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  • LA VISITATION : Mystère de l’hospitalité réciproque & figure de toute vraie rencontre

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    artisans de paix,la visitation,fraternités artisans de paix,fraternité eucharistique (catholique),éducation,dialogue interreligieux,sandrine treuillard,collège saint-germain de charonne10 minutes de présentation aux élèves d’une classe de 3ème
    au collège Saint-Germain de Charonne - Paris 20ème
    sur le thème de la fraternité
    & de l'hospitalité interreligieuse.

    Le vendredi 22 octobre 2021

     

                Bonjour, je m’appelle Sandrine. Je suis donc la chrétienne de cette équipe d’Artisans de Paix.

                Après la présentation du point de vue juif de Serge, de l’hospitalité d’Abraham, je vais vous présenter un épisode du tout début de l’Évangile écrite par Luc. Le Livre de la Genèse, où est décrit l’hospitalité d’Abraham, est aussi lu et médité par les chrétiens dans la Bible, puisque Jésus Christ étant juif, tout le Premier/Ancien Testament est son héritage et l’héritage de tous les chrétiens.

                Les chrétiens ont donc comme recueil de la Parole de Dieu, la Bible. La Bible comprend le Premier ou Ancien Testament des juifs. Un Testament, dans le sens des Écritures saintes, c’est ce qui témoigne de la foi, de l’Alliance de Dieu avec les hommes. C’est la conversation de Dieu avec les hommes, écrite par l’intermédiaire de prophètes. Il y a donc d’abord l’ensemble des Livres du Premier Testament, la parole de Dieu avec le peuple juif. Puis, à partir de l’année zéro de l’ère chrétienne, à partir de la naissance de Jésus Christ, la Bible s’est enrichie du Second ou Nouveau Testament.

    LA BIBLE.jpg

                C’est la personne de Jésus Christ qui fait de nous des chrétiens. Le nom de chrétien vient de Christ, qui veut dire celui qui est oint avec de l’huile sainte, qui est l’élu de Dieu, choisi par Dieu, consacré à Dieu. Le Second Testament, tout comme le premier, est un ensemble de livres qui caractérise le témoignage chrétien. Ces livres témoignent de la vie de Jésus durant son passage sur la terre, d’avant sa conception jusqu’à ses 33 ans, puisqu’Il a été crucifié à l’âge de 33 ans. 4 personnes ont écrit la vie de Jésus que l’on appelle la Bonne Nouvelle de Jésus Christ ou Évangile. Ces 4 personnes, les évangélistes, qui ont écrit la vie de Jésus se nomment : Matthieu, Marc, Luc et Jean. À ces 4 évangiles s’ajoutent d’autres livres : d’abord Les Actes des Apôtres. Les Actes des Apôtres témoignent de la vie de l’Esprit Saint pour les premiers chrétiens, une fois que Jésus Christ est mort sur la croix et ressuscité. Car la foi du Chrétien réside dans l’expérience vécue dans notre vie de la présence vivante de Dieu qui est l’Esprit de Jésus mort et ressuscité, et donc bien vivant en nous et dans le monde, sous la forme de son Esprit.

                Dans le Nouveau Testament, il y a aussi de nombreuses lettres : de Pierre qui a connu Jésus de très près et est devenu le chef de l’Église chrétienne. Il y a aussi de nombreuses lettres de Paul qui a répandu la Bonne Nouvelle dans tout le pourtour de la Méditerranée et jusqu’à Rome. Et d’autres lettres d’autres témoins de la vie de Jésus. Il y a enfin un dernier livre qui conclut toute la Bible et le Second/Nouveau Testament : Le Livre de l’Apocalypse, qui est la Révélation finale de la vie de Jésus Christ ressuscité.

                L’épisode lié à l’hospitalité, dont je vais vous parler maintenant, est dans le 3ème livre des Évangiles, la Bonne Nouvelle de Jésus Christ écrite par l’évangéliste Luc. Luc était un médecin. Il commence son récit par l’annonce d’un miracle à un vieux prêtre qui offre de l’encens au Temple. Un ange apparaît à ce prêtre âgé qui s’appelle Zacharie. Ce messager de Dieu, l’ange Gabriel, est debout près de l’autel et révèle à Zacharie que sa femme, Élisabeth, va tomber enceinte alors qu’elle est, elle aussi, âgée. Tous les deux n’avaient pas pu avoir d’enfant durant leur vie de couple. Le miracle qu’annonce l’ange Gabriel est donc celui de la venue d’un enfant pour ce vieux couple stérile : un garçon qui s’appellera Jean.

                Ce même messager de Dieu, l’ange Gabriel, va apparaître 6 mois plus tard à une jeune femme, vierge, qui n’a pas connu d’homme charnellement. L’ange rentre chez elle et lui annonce que là, elle va tomber enceinte miraculeusement, de Dieu. Vous imaginez comme Marie, c’est son nom, est bouleversée quand l’ange débarque chez elle et lui dit que Dieu va la couvrir de son ombre, que son fils s’appellera Jésus – ce qui veut dire le Sauveur –, et que cet enfant sera le fils de Dieu lui-même ! Marie interroge l’ange : « Comment cela va-t-il se faire, puisque je n’ai aucune relation charnelle, ni sexuelle avec un homme ? » L’ange lui répond que tout est possible à Dieu et que, la preuve, sa cousine Élisabeth qui était stérile avec son mari Zacharie, eh bien Élisabeth en est déjà à son 6ème mois de grossesse ! Et l’ange la quitte sur cette annonce ! Cet épisode de l’Évangile de Luc s’appelle l’Annonciation.

                Marie est donc enceinte. En tous cas, c’est ce que l’ange Gabriel lui a dit. Et elle le croit. Elle est remplie de l’Esprit de Jésus en elle-même. Cet Esprit de Jésus qui n’est encore qu’un tout petit haricot dans ses entrailles de jeune fille, la pousse à aller voir sa cousine Élisabeth qui vit, elle, une grossesse miraculeuse depuis 6 mois ! Le ventre de Marie est encore tout plat. Celui d’Élisabeth déjà bien rond… Alors, Marie se jette sur les chemins, elle traverse les montagnes pour aller rendre visite à sa cousine Élisabeth, qui, à son âge, doit bien peiner à porter un enfant. Il reste encore 3 mois de grossesse pour Élisabeth. On peut imaginer tout ce qui se passe dans la tête de Marie, pendant qu’elle est en chemin vers la maison de Zacharie et Élisabeth. Son excitation, son émerveillement, sa joie… !

                Et Marie arrive à la maison du vieux couple. Elle frappe à la porte, elle entre, elle dit : « La paix soit sur cette maison ! ». C’est la salutation habituelle quand on entre chez quelqu’un. Et quand sa voix retentit dans la maison et va jusqu’aux oreilles d’Élisabeth, il se passe quelque chose de très beau et d’extraordinaire dans le ventre d’Élisabeth qui porte le petit Jean : l’enfant bondit de joie dans le ventre de sa mère à la voix de Marie ! Et Élisabeth lui dit ce qu’elle ressent dans son corps, de la vie joyeuse du petit Jean à l’arrivée de Marie dans la maison. En fait, Jean est joyeux parce qu’il rencontre pour la première fois le petit Jésus dans le ventre de Marie. Bien que Jésus ne soit que ”même pas” un petit haricot dans le ventre de Marie, le bébé de 6 mois, Jean, sent l’Esprit, la vie de Jésus, sa présence en Marie.

                Cette rencontre de Marie et Élisabeth, toutes les deux enceintes, est bien sûr une rencontre entre les deux femmes elles-mêmes. Mais c’est surtout la rencontre des enfants qui grandissent en elles : à l’ombre des entrailles de Marie, encore dans le secret, pour Marie ; et très visiblement en Élisabeth. Jean bondit d’allégresse à la venue de Jésus. La mission de Jean est et sera toujours joyeuse de montrer Jésus, de l’indiquer, de le faire connaître.

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                Cet épisode de la Visitation est donc pour nous, ici et maintenant, la figure de toute vraie rencontre. Une rencontre vraie, c’est quand ce qui est précieux en nous est révélé à l’autre que nous rencontrons et quand, réciproquement, nous est révélé ce qui est précieux en lui.

                La Visitation nous présente un mystère : quelque chose qui nous dépasse et nous révèle la présence de quelque chose de plus grand que nous, en nous, en l’autre et entre nous. Cette rencontre vraie et profonde nous pousse à la joie du partage, à la confiance et à l’affection fraternelle. En fait, la Visitation c’est l’Esprit Saint en visitation : c’est l’Esprit qui fait jaillir la joie dans la rencontre.

     

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    Sandrine Treuillard
    Chargée de mission de la Fraternité eucharistique catholique d'Artisans de Paix

     

     

    Après les quatre interventions du juif, de la chrétienne, du musulman et du bouddhiste et le petit échange entre eux, a été proposé l'exercice suivant :

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    La Visitation : Mystère de l'hospitalité réciproque
    & figure de toute vraie rencontre - avec Christian de Chergé

     

  • Audition (PMA/AMP) de La Manif Pour Tous à l'Assemblée Nationale - 24/10/2018 : Texte intégral de l'exposé

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    Vidéo sur Périscope : Audition de La Manif Pour Tous à l'Assemblée Nationale - 24/10/2018

     

    Texte intégral de l’exposé

    1 – La question qui nous est posée

    Toutes les 40 secondes en moyenne, un bébé vient au monde en France. Même lorsqu’il naît d’un couple homme-femme uni au moment de la naissance, nul ne sait si quelques mois ou quelques années plus tard, il ne vivra pas, par exemple, avec un seul de ses parents ou l’un de ses parents et un autre conjoint, de sexe différent ou de même sexe.

    Depuis toujours en effet, des enfants ont été élevés par leur mère seule ou par l’un de leur parent et un « beau-parent », ce qu’on appelle aujourd’hui des familles monoparentales, recomposée ou homoparentale.

    Ce sont là des faits, qui n’ont rien de nouveau : une réalité, que nul ne peut contester.

    Nous commençons par là pour souligner un point essentiel : la question qui nous est posée aujourd’hui sur l’éventuelle extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes n’a rien à voir avec cela. Il ne s’agit pas de parler des familles monoparentales, recomposées ou homoparentales. La question n’est pas celle-ci. Et d’ailleurs nombre de déclarations politiques et médiatiques sont trop souvent à côté de la question en jeu. Il ne faut pas se tromper de sujet !

    La question qui nous est posée, la seule, c’est de déterminer si nous pouvons – en termes d’égalité, de justice, d’éthique – décider de priver délibérément, sciemment, des enfants de père dès avant leur conception :

    Est-il envisageable qu’une société décide de créer volontairement les conditions qui feront que des enfants naissent de père inconnu ? des enfants qui seront privés de père toute leur vie !

    Autrement dit peut-on dire qu’avoir – ou ne pas avoir – de père est sans importance, indifférent dans la vie d’un enfant ?

    Alors que tous les enfants ont un père et une mère – qu’ils connaissent leur père ou non, qu’ils vivent avec lui ou non – peut-on considérer que les enfants nés de AMP, eux,pourraient être volontairement privés de père ?

    Pour le dire autrement, les enfants nés de PMA n’auraient-ils pas les mêmes droits que tous les enfants ?

    Peut-on aller, en somme, à l’encontre de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen selon lequel « les hommes naissent libres et égaux en droits » ?

     

    2 – Que représente le fait de naître de père inconnu ?

    Pour chercher des réponses objectives à cette question, nous avons deux possibilités :

    La première serait de s’appuyer sur des études scientifiques. Malheureusement, le CCNE nous dit lui-même, dans son avis n°126, que « les études sur le vécu des enfants nés ou non d’IAD dans des familles homo- et monoparentales a fait l’objet d’études récentes, mais souvent entachées d’erreurs méthodologiques et dénuées de pouvoir statistique ».

    Cette absence d’études fiables devrait au moins nous inciter à appliquer le principe de précaution, c’est-à-dire à ne pas avancer en l’absence de certitudes étant donné le risque d’injustice pour l’enfant.

    Il y a cependant une seconde possibilité, qui est de nous appuyer sur l’expérience humaine.

    Nous pensons d’abord aux enfants adoptés. S’ils ont été adoptés, c’est parce qu’ils ont d’abord été orphelins. Parce qu’ils sont nés à l’étranger dans des contextes difficiles, ou parce qu’ils sont nés sous X en France, un certain nombre ne savent rien de leurs parents d’origine. Or, nous constatons que nombre d’entre eux, alors qu’ils ont été adoptés par des familles aimantes, recherchent leurs origines.

    Cette quête peut envahir toute leur vie, parfois même jusqu’à l’âge adulte. Je me souviens de Lucas, un homme de 65 ans, né et adopté en France, qui avait pu compter chaque jour de sa vie sur l’amour de ses parents adoptifs, et qui me racontait, les larmes aux yeux, le vide qu’il ressentait en lui-même, le fait qu’il ne pouvait se rattacher à rien ni personne, qu’il ne pouvait se connaître vraiment. De fait, le CCNE indique que la connaissance de ses origines est « un élément structurant de l’identité des personnes ».

    D’autres cas, plus proches encore de la question qui nous intéresse, sont ceux des enfants nés d’une insémination avec donneur.

    Les premiers enfants nés à l’issue d’une IAD ont aujourd’hui plus de trente ans. Nous avons donc du recul à ce sujet. Et le fait est que nous savons que c’est une source de souffrance pour un certain nombre d’entre eux, au point qu’ils ont constitué des associations pour mettre fin à l’anonymat des donneurs, pour qu’il n’y ait plus d’enfants qui, par décision de la société, naissent d’un inconnu.

    Leurs nombreux témoignages sont éloquents. Ils emploient souvent les termes d’ « abîme », « flottement », « exclusion », « solitude », « torture psychologique », etc.

    Nous ne pouvons donc prétendre qu’être né d’un inconnu est indifférent.

    Reconnaissons-le, nous tous présents dans la salle ou suivant nos débats en vidéo, personne ne peut souhaiter à quelqu’un de naître de naître d’un inconnu.

    Alors, pourquoi provoquer volontairement de telles situations ?

     

    3 – L’absence de père est-elle sans importance pour l’enfant ?

    Cependant, les enfants nés d’une AMP avec IAD, jusqu’à présent, ont bien toujours un père qui les élève, un père « social » comme on dit, puisque l’encadrement de l’AMP la réserve depuis la 1e loi de bioéthique de 1994 aux couples homme-femme.

    Mais si l’assistance médicale à la procréation était ouverte aux femmes seules et aux couples de femmes, les enfants concernés vivraient en outre une absence totale de père : pas de présence paternelle, pas d’amour paternel, pas de père du tout.

    Certes, nous comprenons tous la puissance du désir d’enfant. Et nous sommes convaincus qu’une femme seule ou un couple de femmes apporteront de l’amour à l’enfant, qu’il sera choyé. Mais l’amour répond-il à tous les besoins d’un enfant ?

    La réponse est négative puisque, déjà, nous venons de voir que même élevés par des parents aimants, les enfants nés d’un don anonyme se posent des questions existentielles, parfois même envahissantes.

    Mais allons un peu plus loin :

    Se pose en effet la question du père : est-il important pour l’enfant ? Compte-t-il dans la vie d’un enfant ? Ou peut-on dire qu’un père peut être remplacé par une mère – ou deux mères ? Suffit-il d’aimer un enfant pour remplacer son père ?

    Ces questions nous renvoient en fait à la différence père-mère et donc à la différence homme-femme, c’est-à-dire à la différence des sexes et même, pour creuser un peu plus la question, à l’identité sexuelle. Est-elle importante, pour nous-mêmes ? pour notre entourage, pour nos enfants, pour leur construction psychique ?

    Le sexe, nous le savons bien, est une dimension fondamentale de notre être. Il n’est pas possible de balayer d’un revers de la main l’importance de l’identité sexuelle, et par suite l’importance incontournable de la différence des sexes.

    Et c’est bien pourquoi père et mère diffère l’un de l’autre, non d’une simple altérité, mais bien d’une altérité sexuelle.

    La paternité et la maternité sont différentes, et elles sont complémentaires l’une de l’autre.

    Un père, évidemment, peut remplir les mêmes tâches qu’une mère, et réciproquement. Mais ce n’est pas le sujet.

    La véritable question est beaucoup plus profonde que cela et il est clair que la manière d’être à l’enfant, d’être en relation avec l’enfant, diffère entre la mère et le père. Cela explique aussi que l’enfant a éminemment besoin de chacun de ses parents : il a non seulement besoin de connaître ceux dont il est né, mais aussi d’être en relations avec eux,proches d’eux, autant que faire se peut.

    Il est d’ailleurs des réalités sur lesquelles il est bien difficile de mettre des mots, et parler de ce qu’est un père, ou une mère, en fait partie. Mais cela n’empêche pas de vivre cette réalité au plus profond de son cœur et de reconnaître que, s’il est difficile de définir ce que représente un père pour chacun d’entre nous, il nous est plus aisé de savoir qu’il est le plus souvent irremplaçable.

    Alors nous entendons dire, parfois, qu’un grand père, par exemple, pourra tenir le rôle de « référent masculin » auprès de l’enfant.

    Ce besoin de proximité avec des personnes des deux sexes est donc bien identifié par tous.

    Cependant, cette idée d’un référent masculin ne tient pas, d’abord parce qu’un « référent masculin » ne fait pas un père : un grand-père, un oncle, un ami a sa propre vie, ses responsabilités, sa famille, etc.

    D’autre part, si l’on étend l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, il y aura donc des familles dans lesquelles, au bout de quelques années, il n’y aura pas de grand père.

    C’est en somme une réflexion de court terme de dire qu’un « référent masculin » tiendra la place du père.

    Et j’ajoute que la proximité et la légitimité d’un père sont particulières auprès de l’enfant. Quelle légitimité a un ami, par exemple, au moment de l’adolescence, période de contestations et remises en cause parfois très vives ?

    Un « référent masculin », n’est-ce pas une illusion ?

    Nous nous félicitons d’ailleurs, aujourd’hui, et à juste titre, de voir que des pères s’occupent beaucoup plus qu’auparavant de leur enfant. Ces « nouveaux pères » sont une bonne nouvelle pour les enfants, comme pour les mères et l’ensemble de la société.

    Or notre réaction commune, très positive à ce phénomène nouveau dit bien que nous savons, profondément et intuitivement, toute l’importance des pères.

    A contrario, la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 décembre 2017, tout récent donc, a jugé qu’être privé de père est un « préjudice d’affection ». Elle soulignait que l’enfant concerné dans l’affaire, dont le père était mort d’un accident pendant la grossesse de sa mère, « souffre à l’évidence de l’absence définitive de son père ». Et encore, dans ce cas, l’enfant sait au moins qui était son père, connaît sa filiation et sa famille paternelle !

    De fait, nous constatons combien l’absence de père pose problème. La magistrate Dominique Marcilhacy indique, par exemple, que 80% des mineurs qui passent au tribunal en comparution immédiate n’ont pas ou plus de lien avec leur père.

    Quant au phénomène de délinquance grandissante des mineurs – bien connu des services de police et de justice et qui a défrayé la chronique ces derniers temps, n’est-il pas,justement, à mettre en relation avec l’absence, la démission ou l’impossibilité de nombre de pères d’assumer leur rôle – pour diverses raisons ?

     

    4 – Peut-on éviter la commercialisation des gamètes si on étend la AMP ?

    Nous souhaitons maintenant aborder la question des gamètes.

    Nous savons tous que la France manque de gamètes disponibles pour l’assistance médicale à la procréation : la France plafonne à 300 donneurs par an. Cette insuffisance est telle que les 3,9% de couples ayant besoin d’un don de sperme dans le cadre d’une AMP peuvent attendre jusqu’à 2 ans pour en bénéficier, alors que l’âge est un facteur clé du point de vue de la fécondité. Quant aux campagnes de communication sur ce sujet, dont la dernière en 2017, on sait qu’elles ont peu d’impact.

    Or il est évident qu’étendre l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes nécessitera beaucoup plus de gamètes puisque, au contraire du couple homme-femme pour lequel c’est exceptionnel, 100% d’entre elles auront besoin d’apport de gamètes. La situation changerait donc radicalement au regard des besoins en gamètes masculines.

    Alors comment ferions-nous ?

    Le CCNE met pour condition à l’extension de l’AMP, la diffusion, je cite, « de campagnes énergiques, répétées dans le temps ». Qu’est-ce que cela signifie ? Que les campagnes deviendraient tout à coup 10 ou 20 fois plus efficaces ? Qu’on va mettre la pression sur les hommes ? Qu’on va les culpabiliser de ne pas avoir envie de donner leur sperme ?

    Ce n’est ni sérieux, ni crédible !

    Alors comment font les autres pays, les quelques-uns qui ont étendu l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes ?

    Hélas, le fait est qu’aucun Etat n’a pu maintenir la gratuité des gamètes en ayant étendu l’AMP. En effet, soit les Etats ont rendu les gamètes payants, comme l’Espagne et le Danemark ; soit ils achètent à l’étranger, dans des pays où les gamètes sont rémunérés.

    La Grande-Bretagne a ainsi publiquement expliqué, le 31 août dernier, que si les accords sur le Brexit n’incluaient pas aussi l’assistance médicale à la procréation, elle serait confrontée à une pénurie de gamètes parce qu’elle ne pourrait pas continuer à en acheter à d’autres pays. Au passage, elle a précisé qu’elle achetait près de 50% de ses échantillons de sperme au Danemark. Il en est de même pour la Belgique. Nous avons apporté des documents à ce sujet, qui ont été déposés sur vos bureaux.

    Etendre l’AMP, c’est démultiplier le besoin en apport de sperme, ce qui conduit au commerce des gamètes.

    Or le CCNE souligne lui-même qu’ « une fois le principe de la gratuité rompu sur les gamètes, on voit mal ce qui empêcherait de faire la même chose pour les autres produits et éléments du corps humain, y compris les organes (…) Il existe, comme le montre le marché international du sang et de ses dérivés, des gamètes, ou des mères porteuses, un immense vivier de personnes qui, en raison de leurs difficultés économiques, acceptent de vendre les éléments de leur corps. »

    Et le CCNE souligne que ce point « ne peut être ni évacué, ni minimisé ».

    Ce point est fondamental et il impose de ne pas être naïfs : si elle étend l’AMP à des femmes fécondes mais ayant besoin d’apport de sperme, la France participera au commerce international des gamètes. Et comme le dit le CCNE, ce seront ensuite les autres éléments du corps humain qui seront concernés.

    Voulons-nous de la marchandisation de l’humain ?

    Est-ce conforme à nos principes bioéthiques ?

    Est-ce conforme à nos valeurs républicaines ?

     

    5 – L’encadrement actuel de l’AMP ne pose pas de problème au regard de l’égalité

    Le temps nous manque pour développer d’autres points pourtant essentiels pour les générations à venir. Nous pensons à la finalité de la médecine comme à la finalité de notresystème de santé et de l’assurance maladie, lequel est d’ailleurs en difficulté.

    Nous préférons insister sur les conséquences de l’extension de l’AMP sur la pratique de l’AMP elle-même :

    Les couples homme-femme ne peuvent eux-mêmes recourir à l’AMP qu’à des conditions médicale précises : autrement dit, en l’absence d’une pathologie de la fertilité ou d’une maladie d’une particulière gravité susceptible d’être transmise à l’enfant ou au conjoint, les couples homme-femme ne peuvent accéder à l’AMP.

    Il arrive par exemple que des femmes dont le conjoint est décédé, mais dont le sperme a été conservé, réclament ce qu’on appelle une AMP post mortem. Elle n’est pas autorisée à ce jour, justement pour ne pas faire naître sciemment un enfant orphelin de père.

    Mais si l’AMP est étendue aux femmes seules, obligera-t-on des femmes veuves à détruire le sperme de leur mari alors qu’elles pourront faire ensuite une AMP seule avec un apport de sperme anonyme ? Non, évidemment.

    On voit bien, avec ce seul exemple, que sortir du motif médical pour justifier l’accès à l’acte médical qu’est l’AMP serait un engrenage, lequel rapprocherait d’ailleurs la médecine d’une « prestation de service » suivant l’expression employé par le Conseil d’Etat dans son étude « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? »

    A propos du Conseil d’Etat, nous voulions aussi rappeler qu’il souligne, dans son étude précitée et encore dans un arrêt du 28 septembre dernier, que l’encadrement actuel de l’AMP n’est pas contraire au principe d’égalité et qu’il ne pose pas de problème de discrimination. En effet, écrit-il, « les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe (…) La différence de traitement (…) entre les couples formés d’un homme et d’une femme et les couples de personnes de même sexe est en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établit et n’est, ainsi, pas contraire au principe d’égalité. »

    L’extension de l’AMP, en revanche, créerait des inégalités nouvelles :

    –          Entre enfants, les uns ayant un père et une mère, les autres ayant été privés de père par la société

    –          Entre femmes et hommes, les unes ayant accès à un mode de procréation qui leur permettrait d’avoir un enfant, les autres non, la gestation pour autrui étant à ce jour interdite en France.

     

    6 – La consultation publique et officielle a montré que les Français ne souhaitent pas cette extension

    Avant de conclure, nous souhaitons rappeler l’engagement pris par le Président de la République.

    Contrairement à ce que nous entendons souvent, pas un mot n’était dit de l’AMP dans la profession de foi d’Emmanuel Macron en vue de la présidentielle : l’extension de l’AMP ne figurait pas dans son programme.

    En revanche, dans la dernière ligne droite de sa campagne, puis après son élection, Emmanuel Macron a effectivement exprimé son opinion favorable, mais il a systématiquement précisé qu’il s’agissait de son opinion « personnelle ». Et il a toujours posé plusieurs conditions, dont celle d’un débat favorable. Il disait ainsi, à Têtu, dans une interview du 24 avril 2017 : « Je souhaite qu’il y ait un vrai débat dans la société. Si un tel débat aboutit favorablement, je légaliserai la PMA, mais je ne le porterai pas comme un combat identitaire ».

    Or il est de notoriété publique que la consultation légale, publique et officielle des Etats généraux de la bioéthique a montré qu’ « il n’y a pas de consensus », comme l’a souligné à plusieurs reprises le Pr Delfraissy, président du CCNE.

    Dans le détail, les Etats généraux de la bioéthique, dans les réunions publiques qui ont eu lieu partout en France, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, dans les auditions (en prenant en compte la représentativité des organismes auditionnés), comme sur le site internet de consultation en ligne, ont montré que seule une minorité est favorable à l’extension de l’AMP.

    Et en ce qui concerne les sondages, si nous les prenons tous, sans écarter ceux qui ne nous conviendraient pas, nous voyons tout de suite que les Français sont certesspontanément favorables à l’ouverture d’un nouveau « droit », mais quand on leur pose la question concrètement, en incluant l’enfant – premier concerné par l’AMP -, les réponses sont à l’opposé : ainsi, mi-septembre 2018, d’après un sondage IFOP, 82% des Français estiment que « l’Etat doit garantir à l’enfant né par PMA le droit d’avoir un père et une mère ».

    Nous avons apporté des documents à ce sujet, qui ont été déposés sur vos bureaux.

     

    Conclusion

    Toutes les instances publiques qui ont réfléchi sur l’éventuelle extension de l’AMP constatent l’ampleur de ses implications et de ses risques.

    Leurs préoccupations, qui rejoignent les nôtres, portent sur des questions essentielles, sans réponses à ce jour. Cela explique, naturellement, qu’aucune institution n’ait déclaré que l’extension de l’AMP est une nécessité et encore moins qu’il y aurait urgence à la légaliser.

    En outre, comme l’a déclaré le président du CCNE, « il n’y a pas de consensus » sur ce sujet. Il n’existe même dans aucun secteur de la société. Là aussi, nous avons apporté des documents à ce sujet, qui ont été déposés sur vos bureaux.

    Au contraire, la consultation publique et officielle, d’une ampleur inédite, a montré la volonté massive de respecter les droits de l’enfant, la finalité de la médecine et la protection du principe de gratuité des éléments du corps humain.

    J’ajoute que nous qui vivons, pour l’immense majorité, le confort de connaître nos origines paternelles et maternelles, nous avons sans doute un devoir de courage pour protéger les enfants d’un projet qui priverait délibérément, sciemment, volontairement certains d’entre eux de père.

    La société ne peut pas dire, d’une part, que les femmes ne peuvent pas se passer d’enfant et, d’autre part, que les enfants peuvent se passer de père !

    En effet, les enfants nés par PMA ont les mêmes droits que tous les enfants.

    Il semble donc raisonnable de reporter toute initiative qui remettrait en cause l’encadrement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation.

    Un renvoi du débat sur la PMA en l’absence de père pour l’enfant permettra de poursuivre sereinement, et à l’abris de toutes polémiques, les échanges sur les nombreuses implications soulevées et soulignées par toutes les parties prenantes ; ce report donnerait en outre le temps au gouvernement de poser des actes forts attestant d’une opposition réelle et d’une lutte effective contre la pratique des mères porteuses.

    Au-delà des différents avis sur la PMA en l’absence de père, nous partageons tous la crainte de l’engrenage qui conduirait de la PMA sans père à la GPA, celle-ci étant même déjà présente sur la scène pubique.

    On nous dit que la PMA sans père n’entraînerait pas la GPA. Avant toute chose, des actes sont attendus.

    Merci de votre attention.

    Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

     

  • L'adoration eucharistique assume toute ma chair et ma psychologie pour la tourner vers Dieu

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    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurL’Eucharistie et la guérison

    Enseignement par le Père Nicolas Buttet, fondateur de la Fraternité Eucharistein,  pendant le Congrès sur l'Adoration Eucharistique, Adoratio 2017, avec pour thème "Adorer au Cœur du Monde".

     

     

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurPremière réflexions introductives. D’abord, on a beaucoup de confusion entre la santé et le salut. Finalement ce que nous désirons profondément c’est être sauvés, c’est la vie éternelle. Et puis, on a reporté aujourd’hui, un petit peu, sur la santé la quête de vie éternelle. Il y a une sorte d’obsession de la santé et une sorte de désaffection pour l’idée du salut, de la rédemption, de la vie éternelle, de sorte que, finalement, on estime plus important parfois la santé que le salut. Il ne faut pas opposer l’un à l’autre. Dans le livre des Chroniques on nous dit que Asa eut les pieds malades, une maladie très grave, et même alors il n’a pas recourt dans sa maladie au Seigneur, mais aux médecins seulement. Il ne va pas chez le Seigneur, il est malade, ça ne va pas bien du tout et il ne va pas chez le Seigneur. C’est quand même terrible. Et puis, inversement, dans l’Évangile de saint Marc, on nous parle de cette femme atteinte d’hémorragies et elle avait beaucoup souffert de nombreux médecins et elle avait dépensé tout son avoir sans aucun profit, même que ça allait pire après, qu’avant. Elle va vers Jésus et elle va être guérie. Alors, pour la petite histoire, saint Luc ne parle pas qu’elle avait souffert des médecins. Comme il était toubib lui-même, il ne voulait pas d’ennui avec la profession, il dit juste que c’était compliqué pour elle. Donc, on se rend compte que, tout d’un coup, on a une frontière un peu particulière et saint Augustin nous dira : « Quelques fois le médecin se trompe en promettant au malade la santé du corps. Dieu te donne, à toi qu’il a fait, une guérison certaine et gratuite. Le Christ est à la fois le médecin des corps et des âmes. Dieu guérit parfaitement toute maladie, mais Il ne guérit pas sans le malade. » Première remarque dans cette relation santé/salut qu’il s’agit de bien intégrer.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDeuxième remarque : Est-ce que le malade doit être guérit dans la Bible ? Comme être vivant ou mort, ce n’est pas tout à fait ce qu’on croit. Évidemment la frontière ne passe pas entre une santé physique ou psychique et une maladie physique ou psychique. Elle passe entre être avec Dieu ou être sans Dieu. Quand quelqu’un est avec Dieu, même s’il est malade il est en bonne santé, quelque part. Quand quelqu’un est mort avec Dieu, Dieu lui parle. Á Lazare, vous imaginez !, le frère de Marie-Madeleine. Ça fait quatre jours qu’il est au tombeau, ça sent déjà mauvais et Jésus lui dit : « Sors ! ». On ne parle pas aux morts ! Alors que, à Hérode qui vient lui poser des questions à sa Passion, il ne répond pas parce qu’il est déjà mort dans le cœur. Il y a des vivants qui sont morts, il y a des morts qui sont vivants. Et finalement la frontière n’est pas tout à fait là où on pense qu’elle est. Finalement, au cœur de tout ça, c’est la présence de Jésus. Quand Mère Teresa était malade à l’hôpital, pour une nouvelle crise cardiaque qu’elle venait de faire, le médecin hindou dit au prêtre qui était à côté de Mère Teresa : « Père, allez vite chercher la petite boîte ! ». Le prêtre dit : « La boîte de médicaments ? Quel médicament ? Quelle boîte ? ». « Mais non ! La petite boîte qu’ils apportent et qu’ils mettent dans sa chambre. Quand la boîte est là, Mère Teresa la regarde tout le temps. Si vous la mettez, l’apportez dans sa chambre, elle sera toute calme. » Le prêtre a compris qu’il s’agissait du Tabernacle, la Présence réelle. Et le médecin rajoute : « Quand cette boîte est là dans sa chambre elle ne fait que regarder, regarder, regarder encore cette boîte. » Et donc Mère Teresa avait la grâce d’avoir la Présence réelle dans sa chambre d’hôpital. Et quelque fois Dieu a des manières assez surprenantes de nous voir. Je prends un exemple : Dans les Actes des Apôtres vous savez qu’il y a cet eunuque éthiopien, premier ministre de la reine d’Éthiopie qui retourne chez lui depuis Jérusalem et qui est en train de lire, seul. Alors, il faut s’imaginer ce qu’est un eunuque. C’est une personne qui ne peut plus avoir d’enfant. Dans la tradition antique la postérité était capitale. C’était une façon d’exister socialement. C’est la seule façon d’exister. C’est une sorte de malédiction de ne pas avoir de descendance. Il avait tout le pouvoir politique qu’il voulait. Il avait la reconnaissance de la reine et des gens qui s’inclinent et lui font des courbettes. Mais fondamentalement son être humain est complètement atrophié et sa suite n’est pas là. Il est en train de lire un texte un peu particulier quand Philippe le rattrape. Ce texte que l’on retrouve dans les Actes des Apôtres et qui est une citation du prophète Isaïe : « Dans son humiliation,  ̶ c’est le même mot qui est utilisé en grec pour parler de l’humiliation de Marie : « Il a baissé les yeux sur l’humiliation de sa servante » ­­ ̶  son jugement a été levé et sa postérité, qui en parlera ? ». Donc, il a un texte où lon parle de la postérité. Le type est seul sur son char, il va faire des jours de voyage, et Dieu vient mettre le doigt en plein où il a mal. Ta postérité, qui est-ce qui va en parler, un jour ? Non Seigneur, on ne veut pas de ça, pas de ça ! Ma postérité, c’est mon drame secret. C’est mon infirmité. C’est la question qui me travaille en permanence et quand je suis seul en silence, c’est ça qui me fait mal. « Ta postérité, qui en parlera ? » Et Dieu dit : c’est justement là que je vais te rejoindre. C’est dans cette question-là. Dans cette souffrance-là. Dans ce drame de ta vie. Dans ce qui fait, finalement, la vraie question de ton existence. Tu n’auras pas de postérité. Ton pouvoir c’est bien, ton avoir c’est bien, tout ça c’est bien, mais il y a une chose à côté de laquelle tu es en train de passer. Et Dieu lui dit ça et met le doigt en plein où ça fait mal, pour lui dire c’est là que je te rejoins et c’est là que je vais t’apporter la guérison. Et la guérison ce n’est pas qu’il aura une postérité. La guérison c’est qu’il va être investi par la grâce de Dieu en raison même de cette fêlure et c’est là qu’il va recevoir le baptême que Philippe va lui donner. Vous voyez, quelque part Dieu vient nous rejoindre, et c’est ça l’adoration eucharistique, on en reparlera tout à l’heure…

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurTroisième remarque : Je crois que l’adoration répond aussi à ce grand appel de Jésus : « Venez à moi vous tous qui peinez et ployez sous le poids du fardeau je vous soulagerai. Mettez-vous à mon école, prenez mon joug, apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le soulagement. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger. » Qu’est-ce que le joug dans la tradition antique et aujourd’hui encore d’ailleurs ? Le joug c’est ce qui permet d’unir deux animaux afin de labourer plus facilement le champ. Le joug n’est pas un fardeau qui pèse, le joug est un moyen d’alléger le travail, de rendre plus facile le travail. Si un bœuf laboure seul le champ, c’est difficile, s’ils sont deux, avec le copain à côté, le pote, avec le joug qui les unit, c’est plus facile. Le joug est une façon d’alléger l’épreuve et la souffrance. Jésus nous invite à venir nous unir et ce joug c’est l’Esprit Saint que Jésus nous donne en permanence au Saint Sacrement. Á sainte Gertrude d’Helphta Jésus disait : « Là, dans l’Eucharistie, dans la généreuse bonté de mon cœur, je guéris les blessures de tous les hommes, je procure le soulagement aux pécheurs, j’enrichis la pauvreté par les dons et les vertus, et je console chacun dans ses épreuves. » Il y a dans cette expérience que là, devant Jésus, je vais pouvoir trouver la guérison. Là, devant Jésus, je vais pouvoir venir déposer mon fardeau pour prendre son joug, c’est-à-dire avoir son secours et son aide qui, joints à ma propre responsabilité, mon propre effort, va me permettre de sortir de cette épreuve dans laquelle je suis plongé. D’être là avec ce cri : « Toi seul, Seigneur, peut me sauver ! » Saint Pierre dira : « Lui-même a porté nos péchés dans son corps, sur le bois, afin que morts à nos péchés nous vivions pour la justice. Par ses blessures nous trouvons la guérison. » Et ce corps du Christ vivant ressuscité mais stigmatisé, on pourrait dire, dans l’humilité de la présence sous l’apparence du pain, est un lieu permanent de perfusion de l’Esprit Saint et de perfusion de la vie divine par nos propres fêlures qui passent par ses propres fêlures à Lui.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUn dernier point, quand même : Guérir ou soigner ? Un médecin ne peut pas guérir, il ne peut que soigner. Tout thérapeute ne peut que soigner. Il ne peut pas guérir. La guérison est un processus propre du corps, un processus qui ne peut revenir qu’à Dieu seul, quelque part. On peut faire en sorte que le corps aille mieux par une certaine thérapie, mais le processus de guérison est impossible. Il se fait par la dynamique propre de la vie qui m’habite. Dieu seul est capable de guérir. Un médecin peut soigner. Un thérapeute peut soigner. Mais Dieu seul peut guérir. Il n’y a pas de guérison en dehors de Dieu. On peut soigner, on peut « care » disent les anglais, on peut prendre soin, mais on ne peut pas guérir fondamentalement, puisque le processus de guérison ne dépend pas des médicaments ou de la thérapie, il dépend du processus propre, de dynamiques soit du corps, soit de la psychologie de la personne. Tous les thérapeutes en psychologie, en psychiatrie, savent bien que finalement s’il n’y a pas une collaboration de la personne, un oui de la personne, il n’y a pas de processus de guérison possible. Ultimement, c’est cet acquiescement de la personne qui va amener à ça.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDéjà les juifs avaient compris que tout ce mystère se jouait autour du pain, puisqu’il y avait un pain particulier, un pain azyme, la matsa shemoura, qui était un pain extrêmement important. « Matsa » c’est le pain azyme, « shemoura » veut dire surveiller. On surveillait attentivement toute la fabrication et toute la cuisson et puis là, autour… Ce pain était servi dans le remake, ou l’after de Pâque et on dit que c’était le pain de la foi et de la guérison. Déjà dans la tradition juive on avait l’idée qu’autour du pain de la foi se jouait la guérison.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDonc Jésus est présent, Jésus est là, il est présent partout, c’est sûr… Un jour on demandait à une classe d’enfants : « Où est Jésus ? » « - Dans mon cœur ! » Un autre dit : « Á l’église, au Tabernacle ! » « - Oui, très bien ! » « - Au milieu de nous, quand deux ou trois sont réunis en son nom ! » « Très bien ! » « - Moi monsieur, moi monsieur, j’sais ! » « - Il est où ? » « - Á la salle de bain ! » « - Á la salle de bain ! ?? Pourquoi tu dis ça ? » « Ben, chaque matin quand maman fait sa toilette et que papa est devant la porte il tape, il tape et il dit : « Bon Dieu ! T’es encore là ! ». Non, Dieu n’est pas étranger à nos vies, mais il y a un lieu dans lequel Il veut être, corporellement présent et c’est ça qui change tout, corporellement présent, c’est au Saint Sacrement. Il est là réellement, spirituellement et corporellement. Charnellement présent, réellement présent.

    Alors, j’aimerais voir quatre aspects, rapidement. Le premier aspect est un aspect plus théologique : Comment l’Eucharistie devient un lieu de guérison. Deuxièmement un aspect plus anthropologique, humain : Comment l’Eucharistie est un lieu de guérison très personnel, très concret. Troisièmement : Comment l’Eucharistie peut être une guérison politique, économique, cosmique, si j’ose dire. Et dernièrement : Comment l’Eucharistie est déjà une préfiguration de la guérison ultime qu’est la parousie, la venue en gloire du Christ.     

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurLe premier point. Comment l’adoration eucharistique est au cœur du drame de l’humanité. Le drame de l’humanité c’est le péché. La folie d’amour de Dieu c’est la création, c’est la rédemption qui va s’en suivre, bien sûr, mais le drame, c’est le péché. Et le péché, nous dit saint Thomas d’Aquin, c’est se détourner de Dieu pour se tourner vers la créature. C’est ce mouvement fou de l’homme qui préfère la créature au Créateur. Ou qui n’aime pas les créatures sous le regard du Créateur. Parce qu’il ne s’agit pas de rejeter la créature mais de voir les créatures en tant que don du Créateur et de voir le Créateur toujours là en premier. Comme dit le vieux proverbe chinois : « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. » Ou alors, dans une classe, on demande : Mais d’où vient le lait ? Et un enfant dit du berlingot, de la brique. Oui, c’est vrai, mais il y a peut-être une vache derrière… Donc, nous sommes un peu bloqués sur les créatures sans voir qu’il y a un Créateur derrière. Alors, l’adoration va se mettre là : quand nous nous mettons en adoration, nous proclamons la source, nous proclamons Dieu. Nous renversons ce mouvement du péché qui est de préférer la créature au Créateur pour dire que je préfère le Créateur et le Rédempteur à la créature. Je viens affirmer de manière profonde et forte que le Créateur est au cœur de ma vie, de mon existence. Le péché me replie sur moi-même, l’adoration, disait le pape Benoît XVI, est une extase, une sortie de soi, là où les yeux m’amènent. Il y a un grand guide de montagne, René Desmaison, qui répondait à pourquoi vous êtes monté sur des montagnes, à faire des choses folles ? Il disait : « Je voulais marcher là où mes yeux me portaient. » Je voulais poser mes pieds là où mes yeux m’avaient attiré. Eh bien, voyez-vous, l’adoration, c’est ça : je regarde Jésus. Et je veux être là où est celui que je contemple. Je suis en extase de moi-même qui me met en exode de moi-même. Benoît XVI va dire : « L’extase initiale se traduit dans un pèlerinage, un exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi. Et précisément ainsi vers la découverte de soi, plus encore, vers la découverte de Dieu. » Donc de l’exode à l’extase. Et de l’extase à l’exode. Je sors de moi, je suis en sortie de moi vers ce Dieu. Ça c’est le renversement du mouvement du péché. Le péché. Le péché me replie sur moi-même, me replie sur mon ego, m’enferme en moi-même dans l’enfermement,  ̶  et dans enfermement il y a lenfer aussi, vous voyez, une fermeture totale. Ça cest le drame qui peut sexprimer de manière spirituelle, de manière psychique, psychologique, de manière égoïste, pécamineuse, sans souci de l’autre et Dieu va briser ce mouvement pour me mettre hors de moi. Le pape François disait : « C’est dans le don de soi, dans le fait de sortir de soi-même que se trouve la véritable joie et que par l’amour de Dieu, le Christ, lui, a vaincu le mal. » Même des gens comme Boris Cyrulnik, psychiatre athée, d’origine juive, qui dit, mais écoutez : « La seule guérison possible dans les grands traumatismes c’est de sortir de soi et de regarder à l’extérieur. » Ce que le bon sens a compris, l’Eucharistie nous permet de le vivre, l’adoration eucharistique nous permet de le vivre. Sortir dans un exode qui nous tourne vers le Rédempteur qui est là, qui lui-même nous envoie vers les plaies de nos frères et sœurs. Un petit enfant disait un jour : « Cher Dieu, ça doit être difficile pour toi d’aimer toutes les personnes du monde. Il n’y en a que quatre dans notre famille et je n’y arrive jamais ! » Dieu nous amène à partir de cette extase vers Lui dans un exode et de l’exode vers Lui, un mouvement, se mettre en route, sortir de ma terre pour aller vers la terre de Dieu, sa terre charnelle qui est Présence au Saint Sacrement, et de là, aller vers la chair de mes frères et sœurs souffrants pour semer cet amour que Lui-même me donne.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDeuxième aspect important, théologique : Vous savez que l’on dit que l’Eucharistie est la prolongation de l’action de grâce pour la communion et la préparation dans le désir de la communion suivante. Ce qui est vrai théologiquement. Mais Benoît XVI avait souligné un aspect très important. Il disait déjà que, d’un point de vue naturel, l’homme est appelé à vivre dans la justice, qui est une vertu, et la justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Or, il y a un premier élément constitutif de la vertu de justice, qui s’appelle la vertu de religion. D’un point de vue philosophique les grecs en ont parlé quatre siècles avant Jésus-Christ, soit cinq siècles, même, qui consiste à rendre à Dieu un culte d’adoration, d’action de grâce et de louange car il est la source de tout bien et à cette hauteur de tous les biens, on va lui rendre l’adoration, l’action de grâce et la louange qui lui est due. Eh bien voyez-vous, l’adoration eucharistique permet de remplir ce devoir fondamental de l’être humain à l’égard de son Dieu Créateur, de lui rendre ce qui lui est dû : l’adoration, la louange et l’action de grâce. De sorte que Benoît XVI pouvait même dire que, quelque part, avant même, du point de vue non pas de l’ordre chronologique, où l’Eucharistie, la messe, précède l’adoration, mais du point de vue de l’excellence, l’adoration précède encore tout. Et l’adoration est l’accomplissement du devoir premier du cœur de l’homme, en justice. Et je crois que c’est important de revenir à cela.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurSaint Augustin disait que « personne ne mange cette chair sans auparavant l’avoir adorée. Nous pécherions si nous ne l’adorions pas. » Alors lui il l’entendait de manière très concrète puisqu’on communiait dans la main. On va recevoir le corps du Christ, on va L’adorer avant de Le porter à sa bouche. C’est ce que disait saint Augustin dans cette façon de faire. Mais profondément, cite Benoît XVI, il va faire précéder dans l’ordre de l’excellence l’adoration par rapport au reste pour montrer que c’est le premier devoir de l’être humain, en justice, que de dire : « Mais Dieu, Tu es mon Seigneur et mon Tout ! » Et donc de s’amener vers la gratitude et l’action de grâce, de dire merci. De dire merci à Dieu. C’est le mot efcharisto. Eucharistie ça veut dire merci. C’est l’attitude de l’homme qui dit merci, tout bien vient de Toi. L’ingratitude, l’acharistia en grec, est une catastrophe. Et l’eucharistia est le chemin de la délivrance. Même psychologiquement, aussi aujourd’hui. On se rend compte que la chose la plus importante pour vivre, dans la psychologie positive, c’est de dire merci, d’être dans l’action de grâce. Ceux qui rouspètent tout le temps, ceux qui marmonnent tout le temps, ceux qui sont dans la plainte tout le temps, dans le murmure, eh bien, c’est une tragédie. Le peuple hébreu quand il a commencé à murmurer, plutôt que de traverser le désert en quarante jours a mis quarante ans. Ce n’est pas très agréable, ça fait un peu plus long, vous voyez. Refusant l’eucharistie, ils sont enfermés dans l’acharistia et donc se sont retrouvés dans cette tragédie du murmure perpétuel. Eh bien, l’adoration eucharistique nous sort et nous disons : « Merci à toi Jésus, Gloire à Toi, Gloire à Toi ! » Donc, de sorte qu’à l’adoration on ne commence pas par soi mais on commence par le Christ : Ô Jésus, Toi, Toi, Toi… Vous voyez, ce mouvement de sortie de soi. Il y a un très beau conte soufi de la tradition mystique musulmane : c’est un fiancé qui rentre d’un long voyage et il se réjouit de rencontrer sa fiancée. Il frappe à la porte et la voix aimée à l’intérieur dit : « Mais qui est-ce ? » Il dit : « C’est moi, je suis ton fiancé, ça y est, je suis revenu ! C’est moi ! » La porte ne s’ouvre pas. Il se dit : « Mais ce n’est pas possible ! Elle n’a pas pu m’oublier, elle n’a pas pu m’abandonner… » Alors, il va dans le désert, il prie, il réfléchit, il jeûne. Il revient quelques jours plus tard, il frappe à la porte. La même voix aimée, dedans, dit : « Qui est-ce ? » Il dit : « C’est moi, je suis ton bien-aimé, je suis ton fiancé, je suis revenu du long voyage. Ouvre-moi ! » Et la porte ne s’ouvre pas. Alors il repart dans le désert, il prie, il jeûne, il réfléchit et il revient. Une troisième fois il frappe à la porte. La même voix aimée : « Mais qui est-ce ? » Á ce moment-là il va dire : « C’est toi, ma bien-aimée, c’est toi ! » Et la porte s’ouvre. Vous voyez, l’adoration eucharistique nous fait passer du moi à toi. Un philosophe juif et poète à sa manière, Martin Buber, a fait un poème extraordinaire. Du, qui veut dire en allemand toi. En haut Toi, en bas Toi, à gauche Toi, au-dessus Toi, dans le malheur Toi, dans la joie Toi, Toi, Toi, Toi, rien que Toi, uniquement Toi.  Eh bien l’adoration c’est ça, voyez-vous… Je passe du je au Toi.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurPeut-être un autre point très important dans l’adoration eucharistique, que j’aimerais soulever… Saint Thomas d’Aquin nous dit qu’il y a deux drames qui rongent le cœur de l’homme. C’est la présomption et le désespoir. La présomption c’est croire qu’on peut faire par nous-même les choses. Et le désespoir, c’est se retrouver dans cette pauvreté, cette vulnérabilité où on ne sait plus où donner de la tête, jusqu’à la dépression. Et saint Thomas d’Aquin dit que la présomption et le désespoir sont les deux péchés contre la vertu d’espérance. Ah, c’est intéressant, la vertu d’espérance ! Et l’espérance, dit-il, se nourrit de la prière. Et la prière en particulier du Notre Père qui es au cieux. Or, saint Paul nous dit que personne ne peut dire Abba, Père, sans la puissance de l’Esprit Saint. Or, il se trouve une chose incroyable : l’Eucharistie est justement le lieu de la pentecôte perpétuelle. Saint Jean Chrysostome, un père de l’Église, disait que, à l’origine, la Pentecôte n’était pas qu’un fait initial, c’était un mouvement qui avait été inauguré une fois et que Dieu ne cessait pas de donner l’Esprit Saint, et que l’Esprit Saint est un jaillissement permanent du Cœur eucharistique de Jésus. Il y a deux Pentecôte, on les connaît tous : celle de saint Luc dans les Actes des Apôtres cinquante jours après Pâque, où une flamme arrive, où l’Esprit Saint arrive, de grands signes et de grands phénomènes, avec les flammes sur la tête des apôtres. Ils sortent, Pierre fait un sermon et trois mille conversions. Un ami prêtre m’a dit un jour : « Tu te rends compte ! Un sermon, trois mille conversions ! Moi, trois mille sermons et pas une conversion ! » Je dis : « Non… Le Seigneur travaille quand même, pas de souci ! » Voilà. Et il y a une Pentecôte dont on parle moins, c’est la Pentecôte de saint Jean. Saint Jean ne situe pas la Pentecôte de la même manière que saint Luc, mais pour Jean la Pentecôte est immédiatement à la Croix. Au dernier jour de la fête de Soukkot, la fête des Tentes, où le peuple juif vivait sous des tentes en dehors de leur maison, rappelant le séjour au désert, le dernier jour il y avait un rite particulier où le grand prêtre descendait à la fontaine de Siloé, qui était la seule fontaine jaillissante d’eau vie à Jérusalem. Le reste c’était des puits. Il allait chercher l’eau vive, l’amenait sur l’autel du Temple pour verser l’eau en offrande. Et à ce moment-là, dans une acclamation,  ̶  le commentaire du Talmud dit qui n’a pas vu la joie de la fête de l’eau qui clôt la fête des Tentes ne peut pas connaître la joie. C’était l’apothéose de la joie.  Et Jésus crie à ce moment-là : « Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi, car il est écrit de son sein jaillira l’eau vive. Il parlait de l’Esprit Saint qui jaillirait de son côté, à sa glorification », c’est-à-dire au moment de la Pâque. Donc, pour saint Jean le Cœur ouvert du Christ est la Pentecôte. Or, le Cœur du Christ ne cesse de palpiter au Saint Sacrement. Et l’Esprit Saint ne cesse d’être donné. De sorte que, en l’adoration eucharistique, Dieu vient me libérer de la présomption et du désespoir. Qui suis-je pour, pardonnez-moi l’expression un peu directe, me la péter devant le Bon Dieu, au Saint Sacrement ? Qui suis-je pour avoir quelque sentiment d’orgueil devant Jésus au Saint Sacrement ? Lui, le Tout-puissant s’est fait dans une telle vulnérabilité, sous l’apparence d’un bout de pain inerte, et c’est Dieu qui est là. Et en même temps qui suis-je pour désespérer, puisque la grâce m’est donnée. Puisqu’Il s’est revêtu de mon humanité, Il a pris l’humilité de descendre et vient aux tréfonds me rechercher et m’empoigner. On a accueilli une fille chez nous qui avait fait cinq tentatives de suicides, des violences extrêmes, la drogue depuis douze ans, son copain était un dealer qui s’est fait assassiné, dans la rue comme ça… Enfin voilà, c’était vraiment un truc incroyable. Et quand elle a débarqué chez nous, elle était en hôpital psychiatrique juste avant. Elle avait fracassé l’infirmière qui était venue lui faire une piqûre de calmants, du coup l’infirmière avait dû être hospitalisée pour coups et blessures. Elle avait quinze ans, on ne savait plus que faire d’elle. Alors on l’a amenée chez nous. Un jour elle a pété les plombs, c’était horrible. Et puis elle me dit : « J’me casse ! » J’dis : « Écoute, de toute façon il n’y a plus personne qui peut te supporter ici, donc… Mais avant, on cause. » Et puis elle me dit : « J’ai pas envie de parler avec toi, tu dégages, connard ! »  Très bien. Alors j’dis : « Mais on cause. » Alors je la poursuis, j’arrive à la chambre, elle m’envoie la porte à la figure, je bloque la porte. Je dis : « Écoute, j’ai dit qu’on causait ! » Elle me dit : « T’as pas l’droit de rentrer ici ! » J’dis : « Écoute, c’est ni chez toi, ni chez moi, c’est chez le Bon Dieu, donc on est chez le Bon Dieu tous les deux. » Elle commence à faire sa valise. Á ce moment-là je ferme la valise, je m’assieds dessus, j’dis : « J’t’ai dit qu’on causait avant que tu te casses, quoi ! » Et là, elle vient vers moi avec le poing comme ça, vous savez… Alors j’enlève vite mes lunettes parce que j’me dis qu’il vaut mieux un œil au beurre noir qu’un œil crevé. Et elle s’arrête à ça de moi avec le poing ! J’étais très content, d’ailleurs. Et elle me dit : « Mais pourquoi je suis comme ça, Nicolas ? » « Ah !, j’dis, ça c’est une très bonne question, assied-toi. » On a passé un long moment à discuter, et puis à la fin, elle me dit : « J’fais quoi, maintenant ? » « Si tu veux t’casser, tu veux t’casser… Á moins que tu aies une autre idée, maintenant. » « Tu veux que j’aille où ? » J’dis : « J’suis tout à fait d’accord avec toi, à part la rue, tu n’as rien. » Elle me dit : « Tu m’gardes encore ici ? » J’dis : « Ouais ! Mais à une condition. C’est que quand tu pètes les plombs, tu vas à la chapelle. » Elle me dit : « Non ! mais moi je n’y crois pas à ton machin de Jésus, avec ton machin blanc, là ! J’y crois rien ! » J’dis : « C’est pas ça que je t’ai dit. Je t’ai dit : Il n’y en a qu’un seul qui te supporte ici, c’est Jésus. Et la chapelle est insonorisée. Et il n’y a personne qui te supporte, par ailleurs. Donc, quand tu as envie de péter les plombs, tu vas chez Jésus péter les plombs. D’abord on n’entend pas, ensuite c’est Lui qui te supportera. » Et elle faisait ça très gentiment d’ailleurs, par obéissance. Et un jour, elle sortait de la chapelle, je la vois arriver. Je passais juste devant la chapelle à ce moment-là, c’est vraiment providentiel et elle me dit : « Aïe ! Aïe ! Nicolas ! » J’dis : « Quoi ? » « - Le cœur !... » J’dis : « Saute dans la voiture, on part à l’hôpital tout de suite ! » Je me suis dit, avec toutes les substances qu’elle a prises, le cœur est en train de… Elle dit : « Non, c’est pas ça, c’est l’amour de Jésus ! » « Ah, j’dis, c’est bon ! » Elle me dit : « Tu vois, j’ai dit à Jésus : Tu as une heure, montre suisse en main, tu as une heure pour me dire si tu existes ou pas. Soit tu existes et tu fais quelque chose, soit, s’il n’y a pas de réponse, je vais me suicider. Peut-être, si tu existes, on se retrouvera de l’autre côté. Mais moi je ne supporte plus la vie comme ça. » Elle s’est mise à genoux, une heure montre en main. Après une heure, elle s’est levée et elle a dit : « Tu n’m’as rien dit. Peut-être qu’on se reverra de l’autre côté, si tu existes. » Et à ce moment-là elle me dit : « Je ne sais pas ce qui s’est passé Nicolas, j’ai senti mon cœur brûler, je me suis effondrée au pied du… Elle était à ça de Jésus ! Á ça de l’ostensoir, au bord de l’autel, comme ça ! Elle a dit : « J’l’ai pas quitté des yeux, hein ! J’te lâche pas ! J’te lâche pas les baskets ! » Elle m’a dit : «  J’me suis effondrée là, je sors maintenant de la chapelle. Il m’a dit qu’Il existait et qu’Il m’aimait. » Elle avait des médocs à n’en plus finir. On a fait le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Elle a fait un chemin comme ça. Bref, elle a fait son Bac, elle a terminé son Master en Sciences Po, croyante et tout… Avec cette expérience du Christ qui vient sauver, qui vient regarder. Tout d’un coup, entre la présomption et le désespoir, il y a le cœur de l’enfant de Dieu qui nous est restitué par l’effusion de l’Esprit Saint jaillissant du Cœur eucharistique du Christ. De sorte qu’il y a cette Pentecôte permanente qui est là, et qui fait que tout d’un coup je peux venir à ce Cœur miséricordieux.

    Á sainte Faustine Jésus disait : « Tu vois, mon enfant, ce que tu es par toi-même, la cause de tes échecs, c’est que tu comptes trop sur toi et que tu t’appuies trop peu sur moi. Mais que cela ne t’attriste pas outre mesure, je suis le Dieu de la Miséricorde, ta misère ne saurait épuiser mon Amour, puisque je n’ai pas limité le nombre de mes pardons. Sache, mon enfant, que les plus grands obstacles à la sainteté sont le découragement et l’inquiétude. Toutes les tentations réunies ne devraient pas, même un instant, troubler la tranquillité intérieure. Quant à l’irritabilité et au découragement, ce sont les fruits de ton amour propre. » Le diagnostic est clair, c’est bien, on sait où on en est.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUne autre chose fondamentale dans l’adoration eucharistique c’est qu’on a le choix entre adorer et idolâtrer. Le cœur de l’homme est ainsi fait qu’il ne puisse pas ne pas s’attacher à quelque chose. Qu’il ne puisse pas aller à un endroit où le sens de sa vie prend source, où il s’accroche. L’athéisme comme tel est impossible. J’aurais de toute façon une idole à la place de Dieu. Je peux être athée d’un certain Dieu, du Dieu de Jésus-Christ, je peux être athée d’un autre Dieu, peu importe… Mais je ne peux pas vivre d’un athéisme. J’aurais nécessairement quelque chose qui tient lieu : mon travail, mon sport, ma littérature, ma science, mon art, une personne, mon moi, mon ego… bref, quelqu’un tiendra lieu de Dieu qui remplira cette tâche dans mon existence. C’est subtil, parfois… Un petit enfant de cinq ans : « Maman, t’aimes mieux qui le plus au monde ? – Mais mon p’tit chou ! tu sais bien que je te préfère à tout ! – Ah, c’est là le problème, alors, maman. » C’est que tu n’as pas quelqu’un devant, qui est là et qui pourrait dire : eh bien, oui, c’est parce que j’aime Dieu en premier que je peux t’aimer toujours mieux. Donc l’idolâtrie sera toujours là et Benoît XVI disait : Enfin, avec Jésus au Saint Sacrement, on a quelqu’un devant qui plier le genou : « Celui qui plie le genou devant l’Eucharistie fait une profession de liberté. Il ne pourra plus jamais plier le genou devant quelque idole que ce soit. » Je suis libre quand je plie le genou devant Dieu, quand je m’agenouille devant le Seigneur et Sauveur, quand je me prosterne devant l’unique Seigneur. Ce geste d’adoration devient une contestation révolutionnaire face à notre monde des idoles. Adorer le Saint Sacrement, répandre l’adoration sur la terre entière devient la plus grande contestation révolutionnaire mais dans un sens prophétique et positif du terme de la révolution. Non pas dans un sens destructeur mais au contraire dans la proclamation d’un nouvel ordre du monde qui est un peu déboussolé, qui est un peu désorienté. Un monde qui a perdu l’Orient devient désastré. Il a perdu l’astre. Et c’est une catastrophe. Replier le genou devant celui qui est le Soleil levant qui porte en ses rayons notre guérison, le Christ, Soleil levant, c’est se tourner vers l’Orient, c’est réorienter le cœur de l’homme et le monde et retrouver l’astre du matin qui vient illuminer notre monde. Voilà. C’est ce renversement qui s’opère comme ça. Et je pense qu’il y a une profession de foi prophétique par l’adoration permanente du Saint Sacrement. Un jour à Lyon, un jeune qu’on avait accueilli qui s’était converti et qui allait être confirmé. Il avait invité à la fois des amis de la paroisse, des cathos bien engagés et ses amis du travail qui était athées, musulmans… Á la fin, il m’a dit : « Il faudrait que tu parles… Un petit mot comme ça, devant tout le monde… » J’dis : « Écoute, j’peux pas parler aux gens de ta paroisse de l’Emmanuel de la même manière que je vais parler à un musulman, ou à un athée… Enfin, c’est pas possible ! » Il fait : « Débrouille-toi, ça c’est ton problème, c’est pas le mien ! » C’était un hall de gymnastique, il avait mis une croix quelque part et il y avait un petit pique-nique, là, un petit buffet. Et puis… j’étais tellement perdu que je me suis prosterné devant la croix en mettant le front par terre et disant : « Jésus ! il n’y a plus que Toi qui peut me dire ce qu’il faut dire. » Je me relève. Je raconte, je ne sais pas ce que j’ai raconté… Á la fin, un monsieur vient me voir et me dit : « Voilà… j’aimerais vous dire que je suis musulman, j’aimerais devenir chrétien. » Je dis : « Ah bon ! Vous y pensez depuis longtemps ? » Il me dit : « Non, depuis tout à l’heure. » Je dis : « Quand ça ? » « Quand vous vous êtes prosterné le front par terre devant la Croix du Christ, comme nous on fait en direction de La Mecque, mais vous devant la Croix du Christ, j’ai su que vous adoriez le vrai Dieu ! » Et deux ans après il a été baptisé à Saint-Jean, à la cathédrale de Lyon. Dieu s’est servi de ce geste que j’avais fait de manière "égoïste", en disant Seigneur, moi je ne sais pas ce qu’il faut dire. Je n’avais aucune intention en posant ce geste. Dieu s’est servi de ce geste qui n’avait aucune intention. Je crois qu’il n’a pas écouté ce que j’ai dit après, il a bien fait d’ailleurs, tellement bouleversé par ce que Dieu lui avait donné, ou ce que l’Esprit Saint lui avait donné, par ce geste d’adoration. Professer le Christ dans l’adoration c’est délivrer l’homme de toutes les idoles.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurPeguy disait : « Tous les prosternements du monde ne valent pas le bel agenouillement droit d’un homme libre. Toutes les soumissions, tous les accablements du monde ne valent pas une belle prière bien droite, agenouillée, de ces hommes libres-là. Toutes les soumissions du monde ne valent pas le point d’élancement, bel élancement droit d’une seule invocation d’un libre amour. » C’est bouleversant, ça, voyez… Donc l’adoration est là au cœur du drame de notre humanité pour renverser les choses.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDu point de vue anthropologique, le premier drame de l’humanité, c’est l’orgueil. Quand on est devant le Saint Sacrement exposé, quand on regarde Jésus dans son look du bout de pain, dans son apparence d’un bout de pain, dans cette vulnérabilité-là, vraiment, on est bouleversé. Le Tout-Puissant s’est fait le désarmé. Le Seigneur des armées est devenu le Seigneur désarmé. Désarmé, vulnérable, pauvre. Il ne peut même pas sortir du Tabernacle tout seul. Bon, des fois, il le fait. Avec sainte Faustine, un jour, Il débarque dans sa chambre et Il se pose sur ses mains, et dit : J’en ai marre, ici, il n’y a personne qui m’aime. Il n’y a que toi, donc je quitte cette maison et j’me casse ! Et Faustine négocie, elle dit : Tu ne peux pas Jésus, quand même, non… Il était sorti du Tabernacle, du ciboire, comme ça, et puis Il lui dit, bon, tu m’as convaincu, rapporte-moi au Tabernacle. Elle lui dit non, t’es venu tout seul, tu retournes… Il dit, non, j’y retournerai avec toi. Il lui a fait trois fois le coup comme ça. Trois fois Il lui a dit, non, je ne veux plus rester ici, ça va pas. Et trois fois Faustine dit, mais non, Jésus, écoute… Faut pas faire comme ça, elles sont bien mes sœurs quand même, tu sais…  Et donc, elle ramènera trois fois Jésus au Tabernacle. Á part ça, il a besoin des mains du prêtre ou du diacre, pour sortir, être exposé. Benoît XVI dit : « Sa façon d’être Dieu provoque notre façon d’être homme. » C’est prodigieux cette phrase, aussi. Qui es-tu devant ce Dieu pour revendiquer quoi que ce soit ? Au point que Jean-Paul II a pu dire : « La première tâche de la théologie est l’intelligence de cet abaissement de Dieu  ̶  quon appelle en grec la kénose, en français venant du grec  ̶  le Dieu qui se vide de lui-même, vrai et grand mystère pour l’esprit humain. » Dieu s’abaisse jusqu’à la Croix, jusqu’à l’Hostie. « C’est pourtant dans ce mystère de l’abaissement de Dieu que le mystère de l’homme s’éclaire totalement. Le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. »

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDeuxième point : l’égoïsme et le repliement sur soi. Nous sommes libres mais nous avons tous besoin d’être libérés. Si de manière générale, théologiquement, l’adoration renverse le mouvement du péché, qui est la préférence de la créature pour le Créateur, d’un point de vue très concret, l’adoration me donne ce goût de la liberté, élargit mon espace, élargit mon cœur. Dans la confiance de la présence de Celui qui me regarde et qui m’aime il y a un mouvement de libération qui peut se faire.  

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurTroisième point de ce côté-là : les troubles de l’estime de soi, les maladies du refus de vivre. Vous savez, on est très marqué par rapport à ça : Je ne m’estime pas, je ne vaux rien, je suis nul, c’est n’importe quoi, rien à foutre… C’est une fille que j’avais accueillie, qui avait fait aussi plusieurs tentatives de suicide. Qui était dans un état aussi incroyable. Elle a passé neuf nuits d’adoration. Neuf nuits de 10h du soir à 6h du matin. Sans trop y croire, d’ailleurs. Après ces neuf nuits elle m’a écrit un mot. Elle ne pouvait pas encore parler parce qu’elle était tellement blessée, traumatisée. Je lui avais dit, t’es trop cassée. Il n’y a qu’une chose qui peut te relever c’est te laisser regarder par Jésus. Elle me dit : « Mais j’y crois pas ! » « Ça fait rien, Lui croit en toi. Alors si tu veux passer une nuit d’adoration, je peux accepter. » La première nuit, de 10h du soir à 6h du matin, elle n’a pas bougé. Moi j’avais la tête qui tombait. Elle rien, rien. Je dis : « Tu peux revenir une fois, si tu veux. » Elle me dit : « Je reviens ce soir. » Je dis : « Non, pas toutes les nuits, une nuit sur deux, quand même ! » Et donc, elle a fait les neuf nuits. Elle m’a écrit : «  Tu vois, Nicolas, je me trouvais moche, nulle et conne. Et Dieu dans l’adoration m’a dit : «  Tu es belle, tu as du prix à mes yeux et je t’aime. » Et j’ai compris que ce qui compte c’est pas ce que moi je pense de moi, même pas ce que mon père pense de moi.  ̶  Qui avait dit en psychothérapie systémique : « Tu peux crever, j’en ai rien à faire », ce qui n’était pas son intention profonde, mais dans le désespoir et la souffrance qu’il avait, c’est la seule chose qu’il a pu sortir, mais elle l’a pris en pleine figure, comme une parole vraie.  ̶  Et puis, c’est pas ce que pensent les copains de moi. Ce qui compte, c’est ce que Jésus pense de moi. » Et ça a été le chemin de la libération.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurOn est vraiment aux antipodes, dans les Métamorphoses d’Ovide, avec le mythe de Narcisse. Ovide dit : « Il meurt victime de ses propres yeux. » C’est extraordinaire : à force de regarder là-dedans, il est séduit par lui-même, il meurt victime de son propre regard replié sur lui-même. Nous, nous allons vivre du regard du Christ posé sur nous. Á l’adoration où Jésus est exposé, nous nous exposons à son regard de miséricorde. Jean-Paul II dans la Théologie du corps dit : « L’homme accueille par un regard celle qui lui est donnée. » Il y a toujours un regard qui est là, voyez-vous. Au cœur de ce mystère, il y a ce regard. François Roustang, un thérapeute psychanalyste, disait : « Dans le regard sur ma propre chair, sur ma propre corporéité, sur ma propre sensibilité, j’ai la certitude d’être vivant en tant que tel, d’une pleine évidence telle qu’elle rejette dans l’ombre toutes les modalités de la vie individuelle. Je suis vivant, je suis assuré d’être vivant et cela me donne une fermeté et un aplomb que je n’avais jamais ressenti auparavant. » Pour lui, il le dit de manière psychanalytique athée, c’est-à-dire que le regard de l’autre me sort de mon narcissisme destructeur, de mon renfermement sur ce regard qui me fait mourir, parce qu’il m’enferme sur moi-même, et me met en présence de Celui qui m’extasie, justement, et qui me regarde. Cette parole d’un psychanalyste s’applique dans sa perfection et son excellence à l’adoration eucharistique. Jésus, avec son regard d’amour, il est là, il a ses yeux. J’étais avec un petit enfant, un jour, cinq ans, devant le Saint Sacrement. Il regarde l’Hostie comme ça, il dit : « Jésus, Toi tu ne me vois pas, hein, mais moi je sais que c’est Toi qui es là ! » Alors : « Oui, oui, Il te voit aussi… » Je l’ai trouvé tellement beau… Tu ne me vois pas, mais moi je sais… On est complice. Et le Pape François disait : « Dans l’adoration, j’ai l’expérience que Dieu m’aime. Cette sécurité, personne ne pourra nous l’enlever, personne ne pourra nous l’arracher. Personne. » Dieu est là. C’est juste l’inverse du regard de Sartre. Dans Les mots, Sartre raconte qu’il était dans le salon de la maison familiale. Il avait joué avec des allumettes, il avait mis le feu au tapis. Le tapis a cramé. Il a réussi à éteindre mais il restait les marques et il dit : Dieu m’a vu, j’étais devenu une cible vivante. J’essayais d’échapper à son regard. J’ai été me cacher sous la table du salon, il me voyait toujours. J’étais à la salle de bain, il me voyait toujours. Alors, je me suis mis à jurer comme mon grand-père. Sacré nom de Dieu, de nom de Dieu, de nom de Dieu, tu ne me regarderas plus ! Je n’ai pas immédiatement cru que Dieu n’existait pas, mais je ne voulais plus qu’il me regarde. Vous voyez l’image qu’il avait du regard de Dieu. Le père Fouettard. Je suis athée de ce Dieu-là de Sartre. Le Dieu auquel je crois n’est pas un Dieu qui regarde pour juger ou accuser. C’est un Dieu qui regarde pour relever, faire exister. Et au Saint Sacrement il me relève et me fait exister. On apprend par Jésus l’expérience de cela. Quand Jacob se bat dans son combat contre Dieu dans cette nuit à Penuel, le nom Penuel veut dire la face de Dieu, se tourner vers le seul vrai Dieu. Et saint Ambroise commentant Marie-Madeleine dit : « Qui cherche-tu ? demande le Christ à Marie. Regarde-moi ! Tant que tu ne me regardes pas je t’appelle femme. Tu me regardes, je t’appelle Marie. Tu reçois le nom de celles qui engendrent le Christ, car, en me regardant spirituellement, tu engendres le Christ dans ton âme. » Et Hagar, chassée par sa maîtresse, Saraï, pas très gentille, là, l’envoie au désert. Elle est là, elle croit qu’elle va mourir. Elle a son enfant d’un côté et va de l’autre côté. Et tout d’un coup, Dieu vient la visiter et lui montre le puits. Elle a l’audace, pour une esclave non juive, de donner un nom à Dieu. Elle va donner à Dieu le nom : « Toi tu es Dieu qui me voit ». Atta-El-roï. C’est pourquoi on appelait ce puits le puits pour le vivant qui me voit. C’est la seule qui ose donner un nom à Dieu. Vous voyez la liberté d’une esclave ! Elle ose donner un nom parce qu’elle a fait l’expérience que dans sa misère et dans la mort qui s’annonçait, pour sa descendance et pour elle, Dieu la voyait et lui a donné la vie. Il lui a donné l’eau vive. Donc n’ayons pas peur de nous présenter à Dieu comme ça, devant lui.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUn autre point. On vit beaucoup dans l’affectivité, l’émotion, le ressenti. L’adoration eucharistique est une guérison de mon émotionnalité. Je ne sais pas si ceux qui adorent régulièrement parmi vous ont beaucoup de guili-guili qui partent de l’occiput à la pointe du petit orteil, mais… Moi, en tout cas, c’est pas trop le cas, depuis des années que je fais cela… Par contre, je vois une chose qui est absolument prodigieuse qui se passe en moi. Ce n’est pas ma sensibilité qui rejoint Dieu. D’ailleurs, elle ne permet jamais de rejoindre Dieu. Elle peut être un cadeau, il ne faut pas rejeter les cadeaux de Dieu dans notre sensibilité, si sa bonté, sa tendresse nous donne ça. Mais c’est un cadeau de Dieu, ce n’est pas Dieu lui-même. Dieu lui-même ne se touche que par la foi, l’espérance et la charité. Par les vertus que l’on appelle théologales. Et donc, l’adoration eucharistique… Si les Pères de l’Église disaient il faut fixer son regard  ̶  et toute l’adoration eucharistique au XIIIème siècle est née du fait que l’on voulait voir Dieu avec nos yeux de chair, puisque certains contestaient sa présence réelle  ̶  On a toujours dit : oui, mais nos yeux de chair, qui sont le vecteur de ce regard posé sur Dieu, portent un autre regard, ceux de l’âme, qui est perfectionné par la foi, l’espérance et la charité. Donc, toute l’adoration eucharistique consiste à poser des actes de foi, d’espérance et de charité. Je crois que Tu es là, Seigneur. Je T’aime, Seigneur, je T’adore et je compte sur Toi, parce que sans Toi, je ne peux rien faire. Et un jour je te verrai face à face. Acte de foi, acte d’espérance et de charité. De sorte que quelques soient mes émotions, quand je ressens, je dis merci Jésus, mais ce n’est pas ça ce à quoi je veux m’attacher. C’est à Toi que je veux m’attacher. Ce n’est pas pour tes cadeaux que je T’aime, c’est pour Toi-même. Et quand je ne ressens rien, encore mieux : je peux au moins m’attacher à Toi par la foi, l’espérance et la charité. Et donc je suis lié à Lui de manière indéfectible. Un jour, un petit enfant de 6 ans, qui préparait sa première communion, devant le Saint Sacrement : « Nicolas, c’est fou, hein ? de penser que c’est Jésus qui est là ! » Je dis, génial, on va… Il me dit : « Enfin, c’est la Toute-Puissance de Dieu, quoi ! » Oui, t’as raison, c’est vrai, la Toute-Puissance peut se faire toute petite.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurL’adoration nous délivre des maladies de la subjectivité ̶ qui se transforment d’ailleurs en pathologies : boulimie, anorexie, dépression, crise identitaire, toxicomanies diverses… ̶  pour nous établir dans une structuration de notre être profond par la dimension essentielle de notre dignité humaine, qui est l’âme spirituelle, qui elle-même est faite d’intelligence et de volonté, qui elles-mêmes, ces facultés, sont perfectionnées par la foi, l’espérance et la charité. Ce qui ne me désincarne pas, ce serait une tragédie, mais qui assume toute ma chair et ma psychologie pour la tourner vers Dieu.


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUn autre point qui me paraît important. Parfois, on a une maladie que l’on appelle l’acédie. Acédie veut dire la perte du désir, la perte de la soif, la perte de la faim ; le train-train, la paresse ; l’assoupissement, le manque de force et de détermination pour aller vers Dieu. L’adoration m’amène à crier vers Dieu en permanence. L’adoration est vraiment ce cri qui me tourne vers Dieu perpétuellement. Paul Claudel disait : « Lève les yeux et tiens-les fixés devant toi. C’est là ! Et regarde l’azyme (le pain) dans la monstrance. Le voile des choses, pour moi, sur un point est devenu transparent. J’étreins la substance, enfin, à travers l’accident. » C’est-à-dire : j’étreins Jésus à travers l’apparence du pain. Il y a donc là un désir. L’adoration est le lieu du désir. C’est Toi que je veux ! J’ai faim de Toi, j’ai soif de Toi ! Je le mange des yeux ! Je le mange du regard et je nourris ma foi, mon espérance et ma charité. Je n’arrête pas de le désirer. Saint Augustin dit : « Le gémissement de mon cœur me faisait rugir. Et qui connaissait la cause de mon rugissement ? Tout mon désir est devant Toi. Non pas devant les hommes mais devant Dieu. Car ton désir c’est ta prière. Si le désir est continuel, la prière est continuelle. » Ça, c’est beau ! Donc, j’apprends le désir. En même temps devant le Saint Sacrement, j’apprends à être moi-même, aussi. Ma vulnérabilité, ma pauvreté, je suis là. Le monde nous pousse à la performance, nous pousse à la réussite. Nietzsche avait parlé du surhomme, aujourd’hui c’est le transhumanisme qui fait fureur partout. J’en parlais avec un spécialiste du transhumanisme ici, en France, Laurent Alexandre, qui me disait : « Mais qui, aujourd’hui, voudrait vivre avec 120 de QI ? Mais c’est 175 minimum, voire 200 ! Il n’y a plus de raison de vivre avez 120 ! » Je dis : « Moi, je n’ai encore jamais rencontré une seule personne qui m’a parlé de son QI ! Mais toutes les personnes que j’ai rencontrées m’ont parlé de leur cœur. Qui souffraient de ne pas être aimées. De ne pas avoir l’amour. De ne pas trouver sens à la vie. Ça oui. Mais personne ne m’a dit, là, j’ai un problème avec mon QI. Jamais. Ou alors avec des gros intellos. Mais c’était très bien pour eux. » Finalement, devant cet appel au culte de la performance et à la fatigue d’être soi (Nietzsche) il y a, devant Jésus, la pauvreté, l’expérience que ma vulnérabilité est aimée, que ma vulnérabilité est le lieu de l’entrée de la grâce, que ma pauvreté est le lieu par lequel Dieu va passer. C’est le lieu par lequel Dieu va me rejoindre. La désappropriation radicale de l’humanité de Jésus dans l’Eucharistie est un lieu pour que je puisse aussi m’abandonner tel que je suis. Ma pauvreté est la porte d’entrée de la grâce. Ma misère est la porte d’entrée de la grâce. Elle est le reposoir de la miséricorde de Dieu et le lieu par lequel Dieu va tout transformer. Et c’est par-là que ça se passe, voyez-vous. C’est capital de redécouvrir cela. De redécouvrir que la vulnérabilité est au cœur de l’existence humaine et au cœur de l’étreinte divine. Dieu vient épouser ma vulnérabilité. Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin. Ce sont les malades. « Je suis venu pour les pécheurs et pas pour les justes. » Vous voyez. Et quand j’arrive comme ça devant Dieu, je peux Lui dire : « Tu n’es pas venu pour rien, Seigneur, tu n’es vraiment pas venu pour rien. Tu as trouvé ton bonhomme devant Toi. »

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurJe pense qu’il y a aussi dans l’adoration eucharistique quelque chose d’assez extraordinaire qui se produit. C’est une… Je disais tout à l’heure que si l’homme est fait pour trouver le sens à sa vie, pour ad-orer, ̶  adorer veut dire "mettre une source à sa bouche pour en vivre". On ne peut pas vivre sans eau. Ou je mets ma bouche à la source de Dieu ; ou je la mets à dautres sources frelatées. Il y a une autre chose qui me caractérise : je ne peux pas vivre sans une certaine dépendance. Si je ne dépends pas de l’unique nécessaire qui est Dieu, je vivrais dans des dépendances affectives diverses. Mon cœur sera balloté. Et ce cœur balloté va se trouver aussi, parfois, souillé. Et Dieu vient me redonner par l’adoration eucharistique la possibilité de m’attacher à l’unique nécessaire, Lui, et une purification aussi du cœur, une chasteté. « Tu nous as fait pour Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en Toi » dit saint Augustin. Il y a, par ce regard posé sur le Christ, une chasteté qui nous est donnée. Jésus dit : « Ton regard, c’est la fenêtre de ton cœur. Garde ton regard pur afin que ton regard soit pur. » On a accueilli une fille qui était dans la prostitution sadomasochiste, dix ans de prostitution, de violence et d’horreur « mais je ne peux même pas, Nicolas, te raconter ce que j’ai fait, parce que tu ne supporterais pas d’écouter ce que moi j’ai vécu. » Et à l’adoration eucharistique, elle passait des heures chaque jour. Elle s’en est sortie. Elle fait de belles études maintenant. Et un jour elle vient vers moi et elle me dit : « Mais tu sais, Nicolas, il semble que Jésus m’a recréé ma virginité. « Je dis, d’accord. Elle me dit : « Je la sens même physiquement. Mon corps qui me faisait mal en permanence, ma féminité qui avait mal en permanence… » pas tant physiquement… Je ne sais pas, je n’ai pas exploré ce qu’elle voulait me dire dans ces mots… Mais en tout cas, dans sa chair meurtrie par ce qu’on lui avait fait par son corps, sa virginité lui était restituée par l’adoration eucharistique. Le regard chaste du Christ et son regard à elle posé sur le Christ venaient à la fois purifier son cœur et purifier son corps. Je crois que dans un monde très marqué par ça, par l’érotisme et la pornographie, l’adoration devient un lieu de guérison profonde. Qui a posé son regard sur le corps du Christ ne peut pas regarder le corps de l’autre n’importe comment. De la même manière que lorsque l’on a touché le corps du Christ on ne peut plus toucher son corps ou le corps de l’autre n’importe comment. La charnalité du Christ, la corporalité du Christ au Saint Sacrement me met en rapport immédiat avec mon corps. Et le respect du corps du Christ et l’adoration du corps du Christ renverse aussi ce mouvement-là. « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. »


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurTout ça passe aussi par ce fameux regard dont je vous parlais. Je crois que c’est très important. Si l’on expose Jésus au Saint Sacrement, c’est pour le regarder, voyez-vous. Autrement, c’est pas le Tabernacle. En Suisse, j’étais dans une chapelle, un jour… Il n’y a que les suisses pour faire ça… Le tabernacle était un coffre-fort. Les portes blindées du coffre-fort, vous voyez. Il fallait y penser, moi je n’y avais pas pensé… Mais… Voilà. En fait, c’est vrai, c’est un trésor, Jésus. Le seul trésor. C’est même plus important que tout ce qu’il y a dans les coffres-forts de toutes les banques suisses. Ce n’est même pas cette porte blindée qui empêchait Jésus de rayonner. Alors, pourquoi l’expose-t-on s’il est là dans le Tabernacle ? C’est parce qu’il y a ce mystère du regard qui peut se poser sur le vrai corps du Christ, sur la vraie corporalité. Le cardinal Journet avait cet exemple, il disait : Imaginez deux amoureux qui se téléphonent. Ils se parlent : je t’aime, moi aussi, mon petit lapin, ma petite chérie… tout ce qu’on veut comme petits diminutifs et tout d’un coup, paf ! ils tombent l’un sur l’autre. Ils se voient et ils s’embrassent. Vous voyez la différence ? Entre le coup de fil et l’étreinte. Si vous n’avez pas compris, vous ne pouvez pas comprendre l’adoration eucharistique. Si vous avez compris la différence qu’il y a entre un coup de fil et une étreinte, vous avez compris l’adoration eucharistique. C’est-à-dire qu’à un moment donné, vous passez d’une communication avec Jésus, d’une présence réelle, spirituelle, à une présence réelle, spirituelle et corporelle. Et la chair est importante.


    Et donc, dans la chair, le regard, qui est le sens qui m’extasie le plus
    ̶ alors que louïe menstasie, fait rentrer en moi les sons et fait vibrer en moi le son qui rentre en moi  ̶  le regard, ladoration mextasie, me sort de moi-même et me permet de voir celui qui maime. Á sainte Gertrude d’Helfta Jésus dit : « Autant de fois l’homme regarde avec amour et révérence l’Hostie qui contient sacramentellement le Corps et le Sang du Christ, autant il augmente ses mérites futurs. J’ai réservé des trésors d’amour et des récompenses particulières pour chaque regard qu’on aura dirigé vers le Saint Sacrement. » Á l’adoration, à l’élévation. Alors, ses sœurs baissaient la tête à l’élévation. Et elle, elle trichait.  Elle regardait par-dessous comme ça. Et puis elle dit : « Jésus, ça t’embête ? – Non, ça me fait tellement plaisir. » Au point que le pape Pie X a dû accorder une indulgence particulière de plus de sept ans à quiconque au moment de l’élévation à la messe regarde Jésus en disant : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Parce que l’amour veut regarder. L’amour regarde. Je voyais un couple, récemment. Ils viennent vers moi, ils ne se regardaient pas l’un l’autre. Ils disent : « On peut parler avec vous ? On a un problème. » Je dis : « Je savais. » « - Quelqu’un vous a dit ? » « - Non, j’ai vu. Vous ne vous êtes pas regardés depuis que vous êtes entrés ici. Vous n’avez pas échangé de regard entre vous. Quand on ne peut plus se regarder, on ne peut plus se voir. » C’est Raymond Devos, l’humoriste, qui disait : « Ma femme et moi on était tellement timide, qu’on n’osait pas se regarder. Après, on ne pouvait plus se voir. » Se regarder et se voir.


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurAutre maladie très forte aujourd’hui : la solitude. On parle beaucoup de cette maladie de la solitude. Et elle est réelle pour tant de personnes. Si je vais à l’adoration, le Christ vient rejoindre ce qui est le plus profond, ce qui est ma solitude. Mais ma solitude en tant que capacité d’être moi-même. Ce que Jean-Paul II appelait la solitude originelle dans le texte de la Genèse. Cette capacité d’exister sous le regard de Dieu, seul, qui me permet la vraie relation avec l’autre et avec les choses. Dieu, en venant combler ma solitude affective par sa Présence réelle, vient me restituer à cette solitude profonde qu’est la solitude originelle, seule capable de me mettre en relation avec les autres de manière juste et guérissante. Je passe donc, avec l’adoration, de Dieu pour moi, à moi pour Dieu. Je peux être capable de venir enfin dans ce qui est l’apothéose de ma dignité humaine, de m’offrir totalement à Dieu, de me donner à Dieu. Lui s’est offert à moi : « Prenez, mangez. » Ce n’est pas rien ! Il s’offre à moi pour que je m’offre à Lui.


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurEt Dieu devient aussi la force des martyrs. Le bienheureux Fulton Sheen disait que ce qui l’a bouleversé dans sa vie 
    ̶  c’était un évêque américain, il a fait des émissions télévisées, des millions de personnes regardaient ça, Pie XII le regardait, ou l’écoutait à la radio, en tout cas  ̶  et donc, il dit : Enfant, jai appris ça un jour, à l’époque de la révolution des boxers en Chine, en 1917. Des gens sont venus dans une église, ont profané le Saint Sacrement, ont mis le prêtre aux arrêts dans le presbytère. Et le prêtre voyait une jeune fille de onze ans, une petite chinoise. Ils avaient jeté le Saint Sacrement par terre et le prêtre savait exactement qu’il y avait trente-deux hosties dans le tabernacle, trente-deux parcelles du Corps du Christ qui étaient là. Et le prêtre voyait depuis sa fenêtre, toutes les nuits, quand les gardes dormaient ou étaient distraits, cette fille qui allait là-bas. Pendant une heure, elle adorait Jésus sur le sol et avec sa langue, elle prenait une hostie, comme ça. Un jour, deux jours, trente et un jours. Il dit : Le trente deuxième jour, j’ai vu arriver cette fille : « L’enfant revînt et échappant à la vigilance des gardes, s’agenouillait, se baissait à quatre pattes après avoir passé une heure en adoration et lapait une hostie de sa langue. Un jour, il ne restait plus qu’une dernière hostie que la petite consomma comme d’habitude. Mais elle fit, sans le vouloir, un bruit qui éveilla l’attention du garde. Celui-ci courut derrière elle, l’attrapa, et la frappa avec la crosse de son arme. » Il l’a tuée comme ça. Fulton Sheen dit : « Depuis ce récit j’ai fait la promesse que jusqu’à ma mort je passerai une heure d’adoration chaque jour devant le Saint Sacrement. Une promesse que j’ai tenue pendant les soixante années de ma vie sacerdotale. » Puisque c’est devant le Saint Sacrement exposé, dans sa chapelle privée, qu’il est mort le 9 décembre 1979.


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurJe vous parle aussi, mais j’irai très vite, de l’aspect cosmique et social. En un mot : ou le monde est dévoré par la consommation et défiguré par la consommation, ou il est transfiguré par l’adoration. C’est l’alternative dans laquelle nous nous trouvons. Ou la défiguration par la consommation, ou la transfiguration par l’adoration. L’adoration nous donne un vrai rapport aux choses et aux biens. Non pas un rapport de possession, de maîtrise et d’absorption. Mais un rapport de respect et d’utilisation pour le bien de tous. L’Eucharistie est donc à la charnière, aussi, d’un monde nouveau. Elle est aussi l’adoration réparatrice. C’est là que le monde nouveau est en train de se créer. Saint Pierre-Julien Eymard disait : « Le culte de l’adoration est nécessaire pour sauver la société. La société se meurt parce qu’elle n’a pas de centre de vérité, de charité. Mais elle renaîtra pleine de vigueur quand tous ses membres viendront se réunir autour de la vie à Jésus dans l’Eucharistie. Il faut Le faire sortir de sa retraite pour qu’Il se mette de nouveau à la tête des sociétés chrétiennes qu’Il dirigera et sauvera. Il faut lui construire un palais, un trône royal, une cour de fidèles serviteurs, une famille d’amis, un peuple d’adorateurs. Maintenant, il faut se mettre à l’œuvre, sauver les âmes et le monde par la divine eucharistie. Réveiller la France et l’Europe engourdis dans un sommeil d’indifférence parce qu’elles ne connaissent pas le don de Dieu, Jésus, l’Emmanuel eucharistique. C’est la torche de l’amour qu’il faut porter dans les âmes tièdes et qui se croient pieuses et ne le sont pas, parce qu’elles n’ont pas établi leur centre et leur vie dans Jésus-Eucharistie. » Au point que Jean-Paul II pouvait dire que tous les maux de la terre peuvent être guéris grâce à l’adoration permanente du Saint Sacrement. Quand on demandait à Mère Teresa comment faire pour guérir ce monde et ramener… – ce sont des américains qui avaient écrit L’Amérique à Jésus 
    : « Instaurez dans toutes vos paroisses l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement. » Voilà la réponse de Mère Teresa. Guérison aussi des communautés paroissiales grâce à ça. Benoît XVI disait que la vraie crise de l’Occident c’était la crise de la foi. Comment ramener les gens à la foi et à l’expérience de Jésus ? Il disait : « Une telle voie pourrait être des petites communautés où se vivent les amitiés qui sont approfondies dans la fréquente adoration communautaire de Dieu. » Voilà le remède que Benoît XVI trouve. Il disait cela en Allemagne, dans l’Église organisée d’Allemagne, extrêmement structurée, riche et tout ce que vous voulez, mais morte, disait Benoît XVI, parce qu’elle n’a pas son centre de gravité là où c’est important. Au monde de la violence va s’établir le monde de la paix du Christ eucharistique. Jésus dit à Faustine : « Dis bien au monde entier qu’il n’y aura pas de paix dans le monde si l’on ne vient pas à ma miséricorde. Or, le trône de ma miséricorde sur la terre, c’est l’Eucharistie, c’est le Tabernacle. » Ça veut dire : Dis bien au monde entier qu’il n’y aura pas de paix dans les cœurs, dans les familles, dans la société, si l’on ne vient pas à l’Eucharistie. Et pas de paix, à mon avis c’est aussi grave que ce que Marie disait à Fatima : « Si l’on ne vient pas à Jésus, une guerre plus grave éclatera sous le pontificat de Pie XI. » C’était Benoît XV qui était pape à l’époque. Pie XI arrive en 22 alors que cette révélation est en 17. Et la guerre éclatera en 38 avec soixante millions de morts. Cette parole à sainte Faustine est capitale. La paix que nous cherchons, la paix que nous désirons, en Syrie, partout, c’est au cœur miséricordieux eucharistique du Christ qu’on va pouvoir la puiser et la voir.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUltimement, le dernier point, le quatrième point c’est que l’Eucharistie est déjà la vie éternelle. Jésus va venir dans la gloire, on appelle ça la parousie. La venue ultime : plus de larmes, plus rien, les cieux nouveaux, une terre nouvelle. Nous croyons à ça ! Parousie veut dire en grec venue mais aussi présence. Il y a déjà dans la parousie eucharistique la présence du Christ, déjà les cieux nouveaux et la terre nouvelle. Et c’est ce qu’on va recevoir tout à l’heure. Amen.

    Père Nicolas Buttet
    Enseignement L’Eucharistie et la guérison
    du mercredi 12 juillet 2017
    Basilique Ste Marie-Madeleine, Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (Var).

    Congrès sur l'Adoration Eucharistique, Adoratio 2017,

    avec pour thème "Adorer au Cœur du Monde"
    du 9 au 14 juillet 2017.

     

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    Adoration Saint Martin

  • Ma priorité c’est la France : défendre l’intégrité de notre pays et de notre civilisation

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    Chers amis,

    C'est avec très grand plaisir que je vous fais suivre, avec son autorisation, la belle lettre que mon ami Yves Meaudre a adressée à ses enfants.

    Jusqu'à l'été dernier, Yves Meaudre était le directeur général d'Enfants du Mékong, ONG auquel il aura consacré sa vie pour sauver de jeunes asiatiques de la mort et/ou de la misère et leur offrir un avenir digne de ce nom.

    Sans doute, un certain nombre d’entre vous ont-ils répondu à ses appels à la générosité.

    Ce texte élevé constitue un bel appel à l'amour de la patrie, la nôtre, la France. On aurait aimé entendre plus de candidats s'exprimer avec cette hauteur de vue.

    Bonne lecture

    Antoine

     

    Mes chers enfants,

    Je vous confie mes réflexions à la suite d’un dîner d’il y a quelques jours avec des amis à qui je porte une réelle estime mais ceux-ci m’ont profondément troublé. Appartenant sans doute aux familles dont les noms sont les plus prestigieux de France, dont la fortune encore aujourd’hui reste relativement considérable avec un niveau d’étude pour certains au plus haut niveau, ils m’ont déstabilisé. Toutes ces facilités n’excluant pas leurs drames intimes et profonds que le siècle provoque dans leurs propres familles. Nul ne peut se targuer d’être imperméable aux assauts d’un monde très offensif à l’encontre de nos convictions les plus profondes.

    Le sujet du dîner était politique et les choix très ”marqués” avec des positions qui interdisaient tout désir de comprendre la raison pour laquelle tel ou tel adhérait à telle option. Certains sont mondains (parisiens), d’autres plus dans la réflexion affective, mais la plupart assez conditionnés et peu autonomes. Insister aurait risqué de rendre à l’avenir les relations pénibles. Sans trahir ce qui m’habite : l’amour profond de mon pays et de sa grandeur. Avec une certaine peine je constatais que ces petits fils de ”morts héroïques” pour la France avaient une vision ”sentimentale et mondaine” de la chose politique. Lieu grave parce que c’est un lieu de guerre. Comme nous les aimons bien nous n’avons pas voulu poursuivre. Comment se positionner en face d’arguments ”définitifs” ? Aussi ai-je réfléchi à ceux qui m’ont beaucoup marqué.

    politique, yves meaudre, la france,  Je me souviens de la démarche intellectuelle des deux derniers papes, Jean Paul II et Benoit XVI. Tous les deux professeurs d’université qui, voyant un élève adhérer à des positions inverses de celles qu’ils développaient, se taisaient et se mettaient avec une acuité accrue à l’écoute profonde et sincère de ”leur adversaire”. Ils cherchaient en celui-ci les raisons justes qui l’avaient amené à cette position. Non pas pour les réfuter systématiquement mais pour dégager la vérité profonde qui pouvait sortir des éléments passionnels ou idéologiques. Cette position fût celle du Cal Ratzinger avec ”son ami” Hans Küng, ou Wojtyla proposant les conférences au journal Znack avec des personnalités comme Martin Frybes ou Adam Michnick ”marxiste anti communiste !! ”. C’est grâce à cette logique du principe des recoupements que le régime de fer communiste est tombé. Le diable diabolos effaçant toute possibilité de raisonnement pour ne retenir que la peur et la colère qui sont les lieux où il se complait en insistant sur ce qui divise les personnes, même les plus proches.

    Le principe des recoupements est l’attitude d’un Tugdual Derville. Il a su en réunissant des personnes idéologiquement très lointaines voire opposées, les faire adhérer à des principes fondamentaux sur lesquels ils étaient en accord. Il a fait tomber des forteresses d’incompréhension sur son combat et a provoqué les manifestations monstres de 2013. Aussi est-il devenu l’objet de véritables violences depuis.

    politique, yves meaudre, la france,  Mon temps polonais pour moi a beaucoup construit mon jugement. Une violence d’état interdisant tout débat sur le fond, comme aujourd’hui en France, nécessitait une intelligence de comportement dans les positions politiques. Les professeurs Tischner et Wojniakowski rappelaient à tous la priorité du combat au-delà de toute attache partisane : Défendre l’identité polonaise, l’apport de la culture polonaise dans la construction de l’unité de la patrie et rassembler autour de ces principes simples la nation polonaise. Les héroïques professeurs de l’université Jagelon, comme le Pr Wojniakovski soutenus par l’archevêque de Cracovie Mgr Wojtyla, maintenaient le fil.


    Jerzy Popieluszko Issy.jpgÀ l’exemple de cet immense pape, sans renier notre personnalité ni nos convictions, définissons paisiblement dans nos positions politiques nos priorités : l’identité de ma patrie et la culture propre de ma civilisation. Le Père Popiełuzsko, dans ses sermons pour la patrie, touchait là les fondements de l’autorité morale de l’Etat communiste. Celui-ci avait bien compris que cette catéchèse mettait à jour l’incohérence de son système et la contradiction brutale de l’idéologie marxiste avec l’âme polonaise. On connaît sa réponse à celui dont la cause de canonisation est en route. La mort. Comme Jean Paul II, sera l’objet d’un attentat. Tout le travail de résistance de ce dernier s’est centré sur ce ”combat”. Abattre le marxisme pour lui passait par la construction de l’âme polonaise comme Soljenitsyne fera un immense travail de reconstruction culturelle de l’âme russe. On en trouve la synthèse dans son dernier petit livre : Comment reconstruire notre Russie. C’est un peu la réponse à son fameux discours de Harvard qui dénonçait la mort de l’âme de nos nations, ce qui pour nous est d’une cruelle actualité.

    politique, yves meaudre, la france,  Il faut prendre acte que l’autre, en raison des innombrables couches sédimentaires qui ont construit son raisonnement et sa psychologie, ne peut pas en un dîner adhérer à tout ce qui nous a structurés parfois de façon privilégiée. Présentons à l’exemple de Ste Bernadette ce que nous savons de notre patrie mais avec la conscience que nous ne savons pas si notre interlocuteur le croira. « Nous ne sommes pas là pour vous le faire croire mais pour vous le dire » ! Or Bernadette Soubirous est venu au moment où les loges prenaient une grande ampleur sur les consciences en France.

    Le dire est justement ce que déjà le système veut interdire. D’où la loi ahurissante et anticonstitutionnelle du « délai d’entrave ». La campagne électorale est la démonstration la plus claire du déni de démocratie.

    Le démon joue avec un brio extraordinaire sur les affectivités blessées, les éducations très marquées socialement, les expériences personnelles. L’embrigadement intellectuel de l’école primaire à l’université, les mass media interdisent pratiquement toute autonomie intellectuelle. Raison pour laquelle le principe démocratique semble complètement cironné (vermoulu). La campagne électorale atteint un niveau de non raisonnement abyssal révélant par-là que le combat se fera dans l’éducation des âmes et des cœurs sur le long terme. Comme les fils des officiers de Katyn ont su reprendre le cours de l’histoire en permettant à Solidarnosk (non pas limité au seul mouvement ouvrier de Walesa) d’émerger et de chasser les assassins de leurs pères par la volonté des consciences.

    politique, yves meaudre, la france,  Contingentement et sans passion :

    Pour le court terme je m’en tiens à la pertinente position maurassienne. La politique est l’art du possible ; aujourd’hui elle n’est ni du domaine de la morale ni de celui du religieux, c’est du pragmatisme pur ou entre deux maux on choisit le moins pernicieux. Cela n’a pas une valeur morale propre. Les démocrates-chrétiens se sont, à la suite de Marc Sangnier du Sillon, toujours fourvoyés dans une vision irénique. Ils ont toujours exigé des hommes politiques des positions de dames d’œuvres. Les évêques ont souvent sur ces questions-là des jugements qui confondent le jugement moral sur la personne d’avec le jugement sur l’efficacité d’une politique. Si le ”saint” Louis XIII avait lu Sangnier il n’aurait jamais pu à 14 ans (!) faire assassiner sous ses yeux le redoutable Concini ! Si jeune il a su trancher pour le salut du royaume. Quelle leçon politique ! Si Louis XVI, très marqué par la vision sentimentale de l’abbé Soldini, avait fait le roi à la demande de sa très sainte sœur Madame Elizabeth il nous aurait épargné vingt-cinq ans d’hémorragie sanglante et le drame d’une lutte des classes endémique que nous vivons encore aujourd’hui. Faire le roi consistait à la façon de Bonaparte à monter sur son cheval et charger les révolutionnaires pour galvaniser ses troupes.

    Vous voyez où j’en viens :

    Que m’importe que Fillon ait abusé de sa position pour favoriser ”légalement” sa famille, s’il décide de défendre notre patrie, ce qui est pérenne et assure la continuité de notre culture et de notre rayonnement, que m’importe les outrances et les provocations d’une Marine Le Pen et ses positions économiques qu’elle adaptera sûrement à la situation qu’elle trouvera si elle était élue... cela ne me fait pas bouger de mes intentions de vote.

    Ma priorité c’est la France. C’est de défendre mon pays actuellement en situation d’être submergé par une culture et une religion ou par la négation de nos racines spirituelles (ces deux logiques s’alimentant). Le fait d’aimer la France dans les termes que de Gaulle développait, le fait de désigner la mondialisation comme le moteur de désubtanciation de notre peuple appellent mon soutien. Que j’eusse de la sympathie pour l’un ou pour l’autre n’a aucun intérêt, je n’en ai ni pour l’une ni pour l’autre ! Je soutiens simplement le fait qu’il me semble impossible qu’un futur chef d’état devant les ennemis de son pays - et chez eux - insulte sa propre patrie en l’accusant de génocide. Pour moi cette déclaration - s’il venait à devenir chef d’état - est passible de la haute cour. Qu’il y ait un vice dans la construction intellectuelle et morale de ce garçon jouet de la grande finance et des libertaires les plus enragés est une chose, mais insulter les innombrables morts de nos propres familles est tout simplement impossible. Que Macron - puisque c’est lui que j’évoque - soit soutenu par les personnages les plus malsains qu’une société engendre, Xavier Niel pourvoyeur des sites pornographiques et du minitel rose, d’une Taubira chef d’un parti qui voulait mettre la France dehors de la Guyane, d’un Bergé qui a tweeté que si une bombe explosait au milieu de la Manif pour tous ce n’est pas lui qui allait pleurer, etc. le définit pour moi comme l’ennemi à qui il faut tout faire pour l’empêcher d’accéder au pouvoir. Mon choix obéit à une question d’âme.

    J’ai fait le choix de donner la priorité à ceux qui aiment et disent vouloir défendre l’intégrité de notre pays et de notre civilisation. Que ce soit de l’opportunisme, du calcul peu importe, ils le disent et les paroles engagent. Ma prise de position justifiera pour les ennemis de notre pays les douze balles dans la peau qu’ils m’infligeront. Pour moi il est impossible de mettre sur un même plan ce personnage sans substance et otage des forces internationales les plus sulfureuses d’avec une fille sans doute outrancière mais se disant convaincue ”en termes sommaires” de son attachement à sa patrie.

    Je ne veux en aucun cas des socialistes qui haïssent la France et tout ce qui est le fondement même de notre être : ils se sont attaqués à l’âme de nous-même. Le quinquennat terrifiant qui se prolongera avec son héritier est résumé dans un document qu’a sorti Tugdual Derville. Celui-ci est effrayant : 36 décisions politiques sociétales, le mariage pour tous est le plus connu, mais la suppression de la clause de conscience, le contournement de la PMA/GPA que Macron et l’inquiétant Mélenchon légiféreront, l’absolutisation de l’avortement, le divorce à l’amiable, la promotion du genre à l’école primaire, la diminution des prestations familiales font un document de 27 pages ! Une descente aux enfers.

    politique, yves meaudre, la france,  Ma priorité est de bloquer au premier tour toute possibilité à ce monde délétère d’être présent. C’est mon choix pour Fillon. Si malgré cela Macron devait passer au premier tour je voterai sans hésiter pour une fille qui dit vouloir défendre la France, refuser tout compromis avec la GPA et la PMA et proclame haut et fort que la France a une longue histoire fondée sur ses racines chrétiennes. Je n’ai aucune sympathie et pour l’un et pour l’autre et je comprends qu’on puisse ne pas en avoir ; ceux qui m’ont développé leur opposition à celle-ci ont des arguments. Mais je reste Maurrassien (toujours) ; j’estime que dans une guerre il faut faire des choix, les non choix sont des choix par défaut qui profitent à l’ennemi ; ici ils donnent du terrain à celui qu’on a défini comme le plus dangereux pour notre âme. Toujours Maurras : la politique du pire n’est jamais la meilleure. Pie XII a officiellement soutenu ceux qui prêchaient l’alliance avec l’URSS en 1942 pour abattre le nazisme. De Gaulle n’a eu aucun état d’âme à employer les communistes qui, six mois plus tôt étaient les alliés des allemands ! dans sa lutte contre les nazis. Sans vouloir accabler la pauvre Marine d’une telle comparaison j’ai conscience que l’alternative proposée est pire pour notre âme avec Macron qu’avec celle-ci. C’est la position cohérente de Villiers, même si celui-ci fait l’erreur de laisser entendre qu’il soutiendrait celle-ci dès le premier tour, ce qui n’est pas tactiquement judicieux. Mais ses raisons tiennent pour lui à des règlements de compte personnels à assouvir.

     

    politique, yves meaudre, la france,  Dans tous les cas nous devrons travailler à l’exemple de Soljenystsine pour la Russie, de Jean Paul II pour la Pologne, à la reconstruction des intelligences de nos enfants.

    Christ est bientôt ressuscité !

    Votre père.

    Yves Meaudre

    Avril 2017

  • Produire l’idée d’une France asséchée de transcendance, de spiritualité et de sacré, c’est présenter une sous-France

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             Comment vivre ensemble entre personnes de culture ou de religion différentes ? Comment appréhender l’acculturation des populations issues de l’immigration ? La laïcité constitue-t-elle une réponse ? Maire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) depuis 2002, Xavier Lemoine a accepté, pour Permanences, de se livrer à un dialogue en profondeur et sans langue de bois avec Camel Bechikh, français musulman, président de Fils de France, mouvement patriotique qui s’adresse principalement aux musulmans.

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    Permanences
    - Xavier Lemoine, comment la population, notamment musulmane, de Montfermeil et vos élus ont-ils perçu les événements du 7 janvier puis du 11 janvier 2015 ?
     

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.38.53.png         Xavier Lemoine : Vous faites bien de relier les événements du 7 et du 11 janvier parce qu’il y a une continuité entre eux, qui a consacré une forme de fracture.

             La tuerie de Charlie Hebdo, a été vécue de manière très différente par la communauté musulmane. Il y avait une réprobation envers les journalistes de Charlie Hebdo. Le sentiment était, qu’en gros, « ils l’ont un peu cherché ». Il fallait une discussion de personne à personne pour faire évoluer les choses, mais on sentait une réserve, une blessure.

             Ensuite, il y a eu cette montée en puissance - dramatique et dangereuse - du slogan ”Je suis Charlie”. Il y a eu une impossibilité - je l’ai vécue au sein de mon conseil municipal - de pouvoir communier avec les 4 millions de personnes qui ont marché le 11 janvier.

             Nous en avons parlé et mes élus de culture ou de confession musulmane ont été soulagés et m’ont dit : « Merci de nous comprendre et de nous donner la possibilité de pouvoir vous rejoindre dans cette indignation, sans être sur le front ”Je suis Charlie”, car nous ne pouvons pas être Charlie ». Dès lors que l’on fait bien la distinction entre l’esprit du journal et les hommes qui ont perdu la vie, il est possible de revenir à une indignation partagée par le plus grand nombre.

             C’est un travail à faire à l’échelle d’une commune, parce qu’il y a une relation de confiance avec des personnes. C’est à nous de reprendre tranquillement ces événements pour pouvoir rapprocher les points de vue.

     

    P - Camel, vous sillonnez la France, vous parlez dans des mosquées. Qu’avez-vous observé à cet égard ?

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.41.50.png         Camel Bechikh - Évidemment, quand Charlie publie un dessin où l’on voit la Vierge Marie copuler avec le Christ, je ne peux pas y souscrire, pas davantage que je ne souscris aux caricatures liées à l’islam.

             En revanche, face à la tuerie, à l’esprit de communion nationale et de deuil national, j’ai vu évidemment une solidarité, mais qui doit être, comme le disait très justement Xavier Lemoine, stratifiée. On ne peut pas adhérer à tout ”Je suis Charlie”, mais à une partie de ”Je suis Charlie”. C’est exactement ce que j’ai rencontré à la suite du 7 janvier.

             Par ailleurs, il y a une chose que l’on ne perçoit pas forcément sans être à l’intérieur de la communauté musulmane, c’est la grande peur d’être assimilé ou soupçonné de sympathie à l’endroit des tueurs. Il y a une tension. Par ailleurs, j’ai reçu beaucoup de messages de sympathie d’amis catholiques me disant de ne pas faire d’amalgame, au sens où tous les Français ne sont pas dupes de l'agressivité de Charlie Hebdo dans ses caricatures. Le ”pas d’amalgame” fonctionne donc dans les deux sens.

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.39.48.png         X.L. - La question du ”pas d’amalgame” est très importante. Ce mot d’ordre est dangereux dans ce contexte de méfiance envers la communauté musulmane, notamment parce que l’on ne peut déconnecter l’épisode Charlie de ce qui se passe en Syrie, en Irak, ou encore au Nigéria.

             Là-bas il y a des chrétiens qui sont directement victimes de mouvements politiques qui se réclament, qu’on le veuille ou non, de l’islam. Vouloir dire à tout prix ”surtout pas d’amalgame” peut produire l’effet inverse de celui recherché, car le sentiment que l’on nous ment peut mener certains à se dire que tous les musulmans sont comme cela.

             Je pense donc qu’il est préférable, même si le débat n’est pas facile, de pouvoir dire que s’il s’agit de ne pas faire d’amalgame, il s’agit peut-être aussi de vouloir interroger l’islam sur son rapport avec la violence.

             Que l’on puisse accepter que dans la lecture du Coran et des hadiths, qui sont prescriptifs en terme de droit, on puisse reconnaître qu’il y a des lectures bellicistes, même si beaucoup de musulmans en font une lecture plus pacifique.  


    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.45.png         C.B.
    - Au moment des persécutions des chrétiens d’Irak, 120 théologiens musulmans se sont réunis sur une déclaration commune pour affirmer, en s’appuyant sur les textes religieux, l’antinomie avec la violence. Mais on peut retrouver ce rapport aux textes dans l’ensemble des religions et des idéologies.

             Lorsque, au cours de l’Histoire, l’Église catholique, pour des raisons souvent très politiques, cautionne une certaine violence, par exemple vis-à-vis des protestants, il y a une lecture des textes qui n’est pas pacifique. Je crois donc que l’on peut resituer les violences commises au nom de l’islam dans une anthropologie politique plus globale.

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.39.57.png         X.L. - À la différence que, pour la religion catholique, il y a un clergé, une doctrine et le cas échéant l’excommunication, qui n’est pas un vain mot. Il y a un rappel à l’ordre et une sortie de la communauté dès lors que les actes ne sont plus en conformité.

             Je ne conteste en rien la parfaite honnêteté intellectuelle des 120 théologiens qui se sont réunis, mais ils ne peuvent pas interdire à un musulman de faire la lecture qu’il souhaite, parce qu’il n’y a pas d’ordination ni d’agrément.

             C’est toute la difficulté : ces personnes n’engagent qu’elles et pas l’ensemble de la communauté.

             Il y a un autre facteur important, qui est le poids de la communauté sur l’ensemble des fidèles. Nous voyons bien, dans nos quartiers, comment certaines personnes, qui souhaitaient avoir des comportements personnels vestimentaires ou alimentaires qui leur convenaient, en sont venues à adopter d’autres comportements sous le poids de la communauté, pour retrouver une tranquillité.

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.50.png         C.B. - Quand nous parlons de communauté, il faut peut-être cerner le mot. Souvent, cette communauté n’est pas déterminée uniquement par son appartenance à une spiritualité qui peut avoir plusieurs lectures.

             Il y a aussi une communauté, une forme de solidarité, par strates sociales, par quartiers où l’on est dans la même pauvreté, à l’écart du monde qui fonctionne, qui tourne, qui consomme, etc.

             La communauté musulmane est malheureusement souvent perçue à travers la strate sociale à laquelle appartiennent beaucoup de musulmans aujourd’hui en France.

             Mais entre un émir du Qatar et le jeune désœuvré du quartier de Montfermeil, tous deux accèdent à une spiritualité qui s’appelle en effet l’islam, mais avec des parcours sociologiques et une compréhension des textes religieux sensiblement différentes.

             Plus les zones sont paupérisées, plus l’islam devient un marqueur identitaire coupé d’une certaine spiritualité.

     

             X.L. - C’était vrai il y a peut-être cinq ou dix ans, mais ça l’est beaucoup moins maintenant…

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.55.png         C.B. - J’observe que plus on se grime, plus on donne d’importance à l’aspect exotérique de la pratique religieuse par une grande barbe, une djellaba ou le fait de se voiler en noir pour les femmes, moins on a une construction, un capital de connaissance religieuse important.

             Comment une jeune fille qui a été socialisée dans l’école républicaine - avec Dorothée, avec Patrick Sabatier à la télévision - en arrive quasiment à se déguiser dans l’espace public ?

             L’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales a mené une étude sur les filles du salafisme qui montre, d’une part un refus catégorique de transiger sur la tenue vestimentaire, et d’autre part des actes de dévotion - par exemple les cinq prières par jour ou la lecture quotidienne du Coran – qui ne sont pas nécessairement accomplis.

             Les actes de spiritualité dans l’intimité, dans le secret, dans la relation à la transcendance, dans la verticalité, sont extrêmement faibles. En revanche, tout ce qui permet d’être un marqueur dans l’espace public en tant qu’identité est extrêmement rigide et fort. Les habits ne font pas forcément les moines. Vous avez des dealers qui vendent de l’héroïne, qui n’ont pas de pratique religieuse orthodoxe, mais qui se montrent d’un dogmatisme absolu sur la viande halal. C’est une inversion des valeurs. Le fait de manger halal devient un marqueur identitaire structurant pour des personnalités qui sont souvent extrêmement déstructurées.

     

    P - Xavier Lemoine, comment appréhendez-vous cette complexité en termes de politiques publiques ?

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.39.58 1.png         X.L. - Un maire fait quarante métiers différents, ce qui rend la chose passionnante. Nous avons des politiques sectorielles, par exemple le renouvellement urbain, qui consiste à redonner de la dignité et de la fierté aux habitants.

             C’est une condition nécessaire et indispensable avant de pouvoir parler de politique sociale. Mais la clé de voûte de toutes ces politiques sectorielles, c’est la politique culturelle.

             L’enjeu dans les banlieues n’est ni d’abord social, économique ou urbain, mais culturel. Il y a des dysfonctionnements sociaux, économiques et urbains, il faut des politiques de rattrapage sur ces domaines, mais si nous ne faisons que cela, en pensant que ces dysfonctionnements ne sont que des causes et non des conséquences, nous nous trompons.

             Pour moi, la cause réelle, ultime, est culturelle. Ma première priorité est la maîtrise de la langue française. À ce jour, sur 27 000 habitants de Montfermeil, 90 mamans apprennent le français. Il s’agit de remettre une certaine exigence et de susciter une certaine curiosité. L’apprentissage de la langue, c’est aussi l’apprentissage des us, coutumes et codes de fonctionnements de notre société, qui permettent de se mouvoir dans la société française et de comprendre comment elle fonctionne. Il faut aussi aborder la dimension historique et culturelle.

             Ces programmes recueillent un taux d’assiduité de quasiment 100 %. Et là, je vois des familles, des femmes qui s’éveillent, qui entrent dans un parcours de relation avec leur entourage, d’autonomie professionnelle, d’autonomie dans la culture.

             L’aide à la parentalité constitue la seconde priorité. Des systèmes éducatifs qui ont toute leur pertinence dans les pays d’origine produisent de parfaites catastrophes lorsqu’ils sont transposés en l’état dans notre pays. Par exemple, en Afrique subsaharienne, tout adulte se sent dépositaire de l’autorité parentale. Imaginer qu’en France, au 8ème étage d’une tour, c’est le voisin d’à côté qui va prendre pour partie en charge l’éducation de votre gamin, relève de l’utopie. D’autant que c’est plus vraisemblablement le dealer du rez-de-chaussée qui va récupérer la mise… Il faut expliquer aux parents qu’ils ont une relation quasi-exclusive de responsabilité vis-à-vis de leurs enfants et que le voisin de palier ne va pas forcément se préoccuper de l’éducation de leur gamin. Il est très important de redonner aux pères et aux mères la conscience de leurs rôles respectifs.

             Ma troisième priorité est culturelle. Profitant du fait que Montfermeil est à 15 kilomètres de Paris, nous avons pour objectif la connaissance et la fréquentation des grandes œuvres culturelles françaises, qui s’adressent à toutes les générations et subventionnons, des sorties culturelles comme Versailles, le Louvre, ou d’autres musées, monuments ou lieux de culture forts. C’est autre chose que du tourisme ou de la consommation. Il y a une préparation avec des personnes qui ont fait de l’histoire de l’art et qui apprennent aux autres à lire un vitrail, un tableau, une statue, etc. Pour aimer, il faut connaître, pour respecter il faut aimer. Tout est là : connaître - aimer - respecter. Cela vient tout simplement et ce n’est en rien agressif vis-à-vis de la culture d’origine.

     

    P - Camel, vous êtes français, de confession musulmane, vous êtes berrichon, vous aimez la France, son histoire et sa culture. Pour vous, ce que vient de décrire Xavier Lemoine représente-t-il un processus d’acculturation ?

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.58.png         C.B. - Oui, tout à fait, Xavier Lemoine évoque des choses qui sont absolument centrales dans la démarche de Fils de France. Le thème de notre dernière université de Printemps était Connaître et aimer son pays, basé sur un livre de Bernard Peyrous [1]. On peut difficilement aimer la France sans la connaître.

             Xavier Lemoine met la culture avant le social. Personnellement, je pense que la mixité sociale est la principale matrice du processus d’acculturation, qui fait que l’on passe de la culture des parents à la culture française.

             Lorsque l’on a une commune relativement homogène, géographiquement très proche de Paris, mais sociologiquement extrêmement éloignée, où s’ajoutent chaque année des populations arrivées de l’étranger, le processus d’acculturation, d’appropriation des codes culturels, des us et coutumes est quasiment impossible.

             La mixité sociale suppose que les primo-migrants minoritaires puissent se retrouver dans des ensembles où les anciens français sont majoritaires.

             Une école où le Français devient quasiment une langue étrangère, où les enfants ne parlent que le Turc, l’Arabe ou le Berbère, dispense un capital linguistique extrêmement affaibli.

             Faire sa scolarité dans une école aux capitaux culturels et linguistiques faibles débouche sur un diplôme faible, lequel aboutira à un travail faible et à un logement qui vous resituera dans une zone paupérisée, séparée des territoires de la grande France.

             À mon sens l’amorce de l’acculturation, c’est l’intégration ou l’assimilation sociale car elle permet de sortir du cycle infernal de la ghettoïsation. Si vous êtes minoritaire parmi une majorité, vous êtes irrigué par les codes de la majorité et votre processus d’identification via l’islam – lié à l’appartenance à des quartiers, des cités - s’en retrouve complètement arrêté.

             Vous passez dans un cycle vertueux, vos enfants iront dans une école où ils seront ethniquement ou religieusement minoritaires, mais dans un ensemble majoritaire partageant les us, les codes, les coutumes du pays.

             Depuis trente ans, l’identité française, dont le socle est le catholicisme, est bafouée. Le catholicisme a façonné ce pays. Il y a 40 000 lieux de culte dans notre pays et les crucifix ornent nos villes et nos campagnes.

             Le déni d’identité, qui fait naître la France en 1789, coupe les populations nouvellement venues - qui ont besoin de culture et de culture sacrée -, de la grande Histoire de France. Si vous produisez des éléments identitaires liés uniquement à la laïcisation, si vous parlez de réformes sociétales comme le mariage pour tous, si vous faites des traditions françaises la ringardise absolue, vous empêchez ces populations fraîchement françaises de s’approprier l’habitus historique né du baptême de Clovis. Je le dis dans les mosquées : ”Liberté, égalité, fraternité” n’est rien d’autre que la version sécularisé de la doctrine sociale de l’Église.

             Les immigrés s’installent dans un pays qui s’est construit sur une identité religieuse forte, sur des identités régionales fortes. Malgré la mondialisation, nous devrions permettre à ces personnes fraîchement françaises d’envisager la France au-delà du Mac Donald, du kebab, de H&M et de Nike…

     

    P - Xavier Lemoine, aimeriez-vous qu’un musulman vienne à Montfermeil dire de telles choses à ses coreligionnaires ?

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.40.00.png         X.L. - Moi, je suis preneur, mais je ne peux pas me substituer à l’accueil ou à l’invitation que pourrait faire telle ou telle association ou lieu de culte, mais sur le principe je souscris pleinement. Je voudrais revenir sur la mixité sociale. Ce que Camel Bechikh souhaite n’a pas été fait. Et je crains aujourd’hui, au regard des logiques démographiques qui sont en place, que ce ne soit trop tard. Quand bien même ces personnes primo-arrivantes pourraient vivre dans un endroit où elles seraient minoritaires, les structures associatives et communautaires sont suffisamment fortes pour les ”récupérer” de suite. Sans compter que les pays d’origine ne veulent pas perdre la main sur leurs ressortissants.

             D’autant plus que ces primo-arrivants se trouvent en face d’un État qui défigure l’identité de la France au travers d’une laïcité qui est un laïcisme, un athéisme déguisé. Ce rejet de la transcendance arme la violence dont nous sommes collectivement victimes aujourd’hui.

             Montfermeil fait aujourd’hui l’expérience d’une école hors contrat qui se définit comme non-confessionnelle. Elle considère cependant que l’enfant n’est pas obligé de laisser au portail de l’école sa transcendance et sa religion. Mais il lui est demandé, s’il peut venir avec, d’accepter que l’autre vienne avec la sienne, et de l’écouter, d’échanger avec lui. C’est une tout autre attitude que celle de l’école laïque, car l’enfant est respecté dans son identité profonde, dont le fait religieux et le rapport à la transcendance font partie. L’école a un grand respect de l’enfant et des familles. Nous nous adressons ainsi à des identités qui ne sont pas amputées dans le cadre scolaire. Alors que les enfants de l’école dite laïque ont beaucoup de mal à appréhender les matières qu’on leur enseigne puisqu’ils savent qu’une partie d’eux-mêmes est restée dehors.

     

    - Vous parlez ici des cours Alexandre Dumas à Montfermeil. C’est une expérience qui dure depuis trois ans. Il y a là une piste intéressante, un prototype…

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.58.18.png         C.B. - Le cours Alexandre Dumas est l’idéal en termes d’accélération ou d’accompagnement du processus d’acculturation. Si l’école est le lieu de capitalisation de la langue, des savoirs, de l’identité du pays, on a d’un seul coup une machine qui propulse le fils ou petit-fils de migrant vers l’identité française sans renier une part de son identité, qui est son identité religieuse.

             Parce que l’individu est composé de plusieurs identités. Il y a évidemment l’identité sexuelle, même si on tente de la nier aujourd’hui avec la théorie du genre ; une identité ethnique, qui fait que si je suis d’origine algérienne, il y a aussi des basques, des bretons… On doit pouvoir accepter cela. Il y a l’identité spirituelle et l’identité sociale. Le fait d’être notaire dans le centre de Chartres, ce n’est pas comme être agriculteur dans le sud de la France…

             L’ensemble de ces caractéristiques produit des individus originaux. L’altérité dans l’ethnicité est envisageable sans la nier parce que la France s’est construite sur une hétérogénéité ethnique.

             Au Ve siècle, des peuples se rencontrent sur le territoire français - Celtes, Latins, Germains, etc. - qui produisent une hétérogénéité ethnique, à l’échelle européenne. Dans la postmodernité, dans un monde qui devient village, il reste envisageable pour la France d’être fidèle à ses valeurs d’altérité ethnique, mais dans des proportions gardées.

             C’est pour cela que je pense qu’il est extrêmement important de stopper l’immigration.

             Elle pénalise l’ensemble des français, et doublement les français issus de l’immigration. La venue de nouveaux migrants dans les quartiers empêche le processus d’acculturation. Or il y a des limites si l’on veut éviter en France une déliquescence de l’identité qui produise un ressentiment globalisé.

             Vous avez des rues qui ont complètement changé parce que les charcutiers ont déménagé et ont été remplacés par des boucheries hallal avec des écritures en Arabe ! Et les habitants de ces communes sont exaspérés. Mais ils n’ont pas le droit de dire leur exaspération ; et de ce fait deviennent potentiellement ceux qui demain, en cas de paupérisation avancée de notre pays, pourraient passer à autre chose que du discours. Il faut avoir le courage de dire que si l’on veut retrouver un peuple solidaire, un peuple français dans la liberté, dans l’égalité, la fraternité, l’arrivée de 250.000 personnes supplémentaire chaque année en France rend ce désir irréalisable.

     

    P - Xavier Lemoine, faut-il revoir la politique migratoire au niveau français, européen ?

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 14.35.24.png         X.L. - Oui, cela fait des années que je le dis. D’autant qu’au regard des déséquilibres Nord/Sud, je ne suis pas sûr que les 250 000 personnes accueillies annuellement résolvent beaucoup la problématique en question. Elle se situe à un autre niveau bien évidemment, sur des bascules démographiques et donc culturelles sans précédent dans notre histoire, sauf si on revient au Ve siècle, période de grande instabilité et de violence.

     

    P - En guise de conclusion, Camel, pouvez-vous nous dire ce qui, dans la culture française, dans l’Histoire de France, est le plus aimable pour quelqu’un qui vient d’une autre culture ?

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.47 1.png         C.B. - Je crois que c’est l’ambition naturelle de la France d’exportation de ses principes. La France, née du baptême de Clovis, a donné à l’Église son plus grand nombre de saints ; elle a participé à exporter l’idée d’une foi universelle qui est le catholicisme.

             Si l’on arrive à faire émerger l’idée que la France s’est construite sur du sacré et que ce sacré n’a été que ré-habillé d’un champ lexical au moment de la République, si l’on parvient à faire ressentir que la France n’est pas un ensemble matériel ou une construction de la philosophie des Lumières, mais qu’elle est dans la transcendance qui s’imbrique parfaitement avec les valeurs fondamentales de la religion musulmane, nous avons un trait d’union extrêmement fort.

             Produire l’idée d’une France asséchée de transcendance, de spiritualité et de sacré, c’est présenter une sous-France - une souffrance - en un mot et en deux mots.

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 14.35.25.png         X.L. - Dans ce qui vient d’être dit, le mot identité a été souvent prononcé. Et je commence à m’en méfier. L’expérience qui avait été menée sous la présidence de Nicolas Sarkozy m’a convaincu que c’était un mot dangereux. Le général de Gaulle disait : « Comment voulez-vous gouverner un pays avec 365 fromages différents ? ». J’ai peur que nous ayons aujourd’hui 65 millions d’identités différentes.

             C’est pourquoi je préfère le mot ”vocation” pour la France. Et je pense que c’est dans la continuité de ce que vient de dire Camel : une vocation se reçoit et on se met au service de la vocation. On ne renonce à rien de ce que l’on est, de son originalité. Et au regard de nos talents, qui peuvent aider justement à la réalisation de cette vocation, cela rassemble tout le monde.

             Et si, en reprenant la vigoureuse interpellation de Jean-Paul II – « France, fille aînée de l’Eglise, éducatrice des peuples » -, on se mettait, chacun avec ses talents, au service de cette vocation, de cette mission universelle de la France ? C’est dans les gènes et la nature de la France de faire converger les énergies plutôt que les faire se combattre comme elles se combattent aujourd’hui.

     

             C.B. - Absolument !

     

     
    Logo Ichtus.jpgPropos recueillis par Guillaume de Prémare (@g2premare)

    Entretien initialement publié dans la revue Permanences 528-529 (Le défi de l'unité française) de janvier-février 2015 sous le titre 65 millions d’identités différentes

     

    CouvertureGlobeNations.jpg

     

     

     

    [1] Connaître et aimer son pays, Père Bernard Peyrous,
    Ed. de L’Emmanuel, 22 €. En vente sur le site : www.ichtus.fr

     

     

    Retrouvez cet entretien sur la page enrichie consacrée à Fils de France :
    Une raison d'espérance

     


  • Du micro en chaire ou comment s'incarner père aujourd'hui : Fabrice Hadjadj

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    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceJ’avais le choix entre parler avec un micro ou parler en chaire. J’ai préféré parler en chaire. J’espère que vous allez m’entendre jusqu'au bout… Ça va ? Voyez-vous, c’était fait pour ça. La chaire que nous n’employons plus était justement une manière de surélever celui qui parlait, parce que comme le son tend à retomber, tout le monde l’entendait. En revanche, si vous faites un sermon depuis l’autel, finalement les gens vous entendent moins. J’ai fait deux conférences aujourd’hui avec un micro, dans une église, vous êtes les quatrièmes, et là je me suis dit que ce serait bien de le faire sans micro. On ne réfléchit jamais à ce que fait le micro. Le micro se propose comme un instrument, technique, qui vient simplement nous aider, de telle sorte que la voix est amplifiée. Donc ça, comme un petit plus. Mais en réalité l’introduction de cette technique, de cette technologie, qui apparaissait juste comme un instrument, vous voyez, a transformé les usages liturgiques. Avant, on proclamait l’Evangile. On était obligé de projeter sa voix. Quand vous lisez l’Évangile en projetant votre voix, forcément, vous ne pouvez pas entrer dans de la petite psychologie, de l’intimisme, parler de ‘Jésus’. Ce côté qui est lié à une sorte d’“efféminement”, un peu, on pourrait dire, de la pratique liturgique. Autrefois, vous étiez là-bas, vous étiez obligé de projeter votre voix, et c’était justement une messe solennelle, avec une vraie proclamation. Mais ce qui s’est passé, c’est que quand on a introduit le micro, on a changé le style de la célébration qui devenait intimiste, gentillet, entre nous, sentimental. Et puis, surtout, il n’y avait plus de messe solennelle : on n’a fait qu’amplifier des messes basses. Tout devenait dans le style, de l’ordre de la messe basse. Alors, vous savez qu’il y a des querelles liturgiques sur la forme ordinaire, extraordinaire, les rubriques à suivre ou pas. Mais il y a très peu de réflexion sur l’introduction de certaine technologie qui ont transformé nos usages liturgiques. La lumière électrique : est-ce qu’une église est faite pour être éclairée avec un éclairage électrique ? Autrefois, il y avait des bougies. Les flammes faisaient danser les couleurs des statues. Le micro fait que l’espace d’une église qui était comme une caisse de résonnance est devenu un problème. Parce que dès que vous commencez à mettre un micro, vous devez sonoriser ; mais quand vous sonorisez, vous êtes obligé de compenser les problèmes de réverbérations de l’église ; vous devez donc acheter des enceintes très spécifiques, allongées, pour que le son passe mieux… Et même, on va dire : « On va condamner la chaire. » Vous voyez, cette chaire, normalement on ne l’utilise plus depuis quelques décennies. De telle sorte que l’église devient un problème : il vaudrait mieux une salle de concert, ou une salle de cours. Parce qu’elle résonne trop, tout d’un coup. Pourquoi est-ce que je commence par cela ? D’abord parce que je dois tout le temps parler sur le même thème mais je ne supporte pas de dire la même chose, donc j’ai pris un autre point de départ. J’ai changé les conditions de la conférence pour vous parler autrement que je ne l’ai fait dans les autres conférences. J’ai prévu pour la dernière conférence que je dois faire à 21h30 de boire plusieurs bières, comme ça je serai dans un état différent.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceMais ce que je veux vous dire c'est que nous touchons à un problème très contemporain, qui est le fait que la technologie se présente comme une aide, comme un petit plus, alors qu’en fait elle transforme notre condition. Vous voyez, comme j’ai dit : l’introduction du micro transforme l’espace liturgique, transforme le style de célébration. On va vous dire qu’il y a de petites choses qu’on va vous apporter qui vont vous aider par la technologie, mais qui en fait vont transformer vos modes de vie. Quand on a inventé la voiture, on a dit, la voiture est un moyen qui vous permet d’aller plus rapidement d’un point à un autre. C’est magnifique. C’est hyper efficace. Et en réalité, ce qui s’est passé, c’est qu’on a transformé les villes, on a transformé les paysages, pour les adapter à la circulation des voitures. Et qu’on a transformé nos modes de vie, puisqu’on s’est mis à travailler plus loin, de telle sorte qu’on passe toujours autant de temps dans les transports, voire même plus aujourd’hui, qu’autrefois.


    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceAlors le sujet qu’on m’a proposé de traiter, c’est : devenir homme, devenir père. Vous allez me dire : Quel est le rapport ? Mais justement, devenir homme, devenir père, à l’âge de la technologie, c’est là qu’est le problème. Les conditions de notre vie ont été modifiées par notre environnement technologique. Je vois plusieurs Iphones branchés. Vous n’êtes pas forcément en train de jouer à PokemonGo dans cette église… Ne serait-ce que ça, vous voyez j’ai quand même un micro devant moi, qui ne me sert pas mais qui sert à un enregistrement, d’autres personnes sont en train d’enregistrer… C’est vachement bien, en fait, la chaire, parce que vous êtes surveillé, quoi ! C’est beaucoup mieux, maintenant je comprends ! C’était très intelligent. Ce n’est pas que des questions acoustiques, c’était une question optique aussi. On pouvait voir tout le monde, et de haut. Déjà, par exemple, cet enregistreur fait que je ne m’adresse pas, ou plus, qu’à vous. Si je n’étais seulement qu’avec vous, je n’adresserais des choses qu’à vous et maintenant que je sais que c’est enregistré, il y a des choses que je ne pourrai pas dire. Et de fait, car il y a des choses qui ne peuvent pas sortir de cette enceinte. Si par exemple je critique l’islam, en disant, comme le disait Michel Houellebecq, que « c’est la religion la plus con », je m’expose à une fatwa si c’est communiqué, vous voyez, quelqu’un qui enlève l’enregistreur. Si je commence à dire quelque chose pour vous à cet instant… Parce que je m’adresse à vous comme routiers. Si c’est enregistré, c’est d’autres qui vont entendre et ça ne va pas forcément les concerner, ils ne sont pas forcément de la route. Donc, vous comprenez, déjà, cet instrument modifie mon comportement. Et aujourd’hui, les conditions de l’existence technologiques modifient nos comportements. Et modifient, en fait, le rapport à la vie humaine et à la famille. Vous savez que le pape François a écrit une encyclique, LaudatoSi, sur l’écologie intégrale, mais surtout, une encyclique qui parle de quelque chose de très particulier. Il dit que notre monde est infecté par ce qu’il appelle un paradigme technologique, ou un paradigme techno-économique. Ce paradigme n’est pas simplement le fait qu’il y a des objets technologiques mais que désormais nous vivons sous l’influence de ces objets. Alors même que nous n’utiliserions pas ces objets, le mode de fonctionnement de ces objets devient notre manière d’être. Quand, autrefois, on était dans une époque de culture, c’est-à-dire où le rapport de base au monde était l’agriculture, nos représentations étaient profondément liées à l’agriculture. De telle sorte qu’on savait que pour que quelque chose soit efficace il fallait respecter un végétal, son mode de croissance ; il fallait respecter les saisons ; on savait qu’il y avait une incertitude, ça prenait du temps ; on ne pouvait pas faire pousser de l’herbe en tirant dessus. Maintenant, nous sommes dans une société où le modèle est celui de l’informatique et où notre rapport au monde est lié à ce que j’appelle une ‘push-button-attitude’. Nous appuyons sur des boutons, nous avons un effet immédiat. De telle sorte que notre rapport au monde va changer. Si vous êtes dans un monde agricole et que je vous parle d’obéissance, comment est-ce que vous allez penser l’obéissance ? L’obéissance dans cet imaginaire agricole est quelque chose qui prend du temps. C’est la pousse d’un végétal. Alors que si vous êtes dans le modèle techno-économique, l’obéissance ça doit être immédiat. Et vous allez penser à l’obéissance sous cette forme-là. Obéir c’est : j’appuie sur un bouton, j’ai un résultat. Regardez quand le Christ parle de l’obéissance dans la parabole du semeur, ce qui pousse trop vite n’est pas bon. La vitesse n’est pas un gage de fidélité, de persévérance. Et donc, de véritable obéissance. En revanche, ce qui va pousser lentement, disons à la bonne vitesse, plus lentement qu’un escargot, là il y aurait la véritable obéissance.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceLes rythmes de nos vies ont changé, notre rapport au monde a changé : nous voulons une efficacité immédiate. Nous avons perdu le sens du temps long. Et, avec cette modification qui vient de la technologie, ce qui est changé, c’est notre humanité-même, qui de plus en plus veut passer par ce rapport immédiat au monde. Avec le désir où j’ai des résultats immédiats, mais ça veut dire aussi : je trouve rapidement le bien-être, je vais trouver… je ne sais pas moi, des implants cérébraux qui vont me permettre de vivre dans une sorte d’orgasme permanent. Imaginez… C’est un projet déjà en place, hein ! Il y a donc quelque chose qui s’est modifié de notre humanité. Et notre technologie va en plus modifier notre rapport au don de la vie. Parce que pourquoi dans ces conditions-là même continuer à être père ? D’une part, on va se représenter notre vie, dans cette impatience-là, comme une vie qui n’a pas forcément à enfanter, parce qu’enfanter c’est entrer dans le temps de la maturation, dans un temps long. Mais en plus, si on met au monde des enfants, mieux vaut les mettre au monde par le biais de la technologie.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceDes technologies se sont présentées comme thérapeutiques. On présente des avancées comme des choses thérapeutiques mais qui en fait ont changé radicalement notre rapport à l’enfantement. Ça a été le grand drame de quelqu’un que vous connaissez peut-être, le professeur Lejeune dont la cause est en béatification. Le professeur Lejeune a inventé le diagnostic prénatal. C’est une chose incroyable, le diagnostic prénatal. C’est savoir le code génétique d’un enfant avant même de le voir. Avant même qu’il soit né. Imaginez qu’on ait inventé ça avant la Nativité, ce qu’on aurait célébré, c’est le diagnostic prénatal du Christ, parce que c’était son entrée dans une sorte de visibilité humaine, génétique, on aurait eu un code. S’il y avait eu l’échographie, on aurait célébré la première échographie du Christ. La fête de la Nativité c’est l’entrée de Jésus dans la visibilité. Mais à partir du moment où vous avez cette technologie-là, vous avez un truc qui fait qu’on anticipe sur la naissance. La naissance n’est plus l’événement qu’on croyait. Le professeur Lejeune a inventé ce diagnostic, bien sûr, pour pouvoir soigner les personnes trisomiques. Pour qu’on puisse notamment… C’est lui qui avait découvert que ce qu’on appelait le mongolisme autrefois, relevait d’un chromosome, le chromosome 21. Et c’est lui qui a découvert que ça n’était pas une régression de la race blanche vers la race jaune, comme certains le pensaient, notamment Down ; ça n’était pas non plus dû à des mauvais comportements des parents. C’était quelque chose qui pouvait advenir, génétiquement, aléatoirement. Et il invente donc ce test.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceAujourd’hui, ce test est employé pour éliminer les populations trisomiques. C’est-à-dire qu’il a inventé quelque chose en disant : « On va bien s’en servir. C’est une technologie, il suffit d’en faire bon usage. » Mais en réalité la technologie va induire un type de comportement où on pratique, en France vous le savez bien, déjà, ce qu’on appelle un eugénisme. Non pas positif, mais négatif, c’est-à-dire où on élimine tout ce qui ne nous paraît pas être conforme à une bonne vie humaine. Mais il va falloir aller plus loin. Á partir du moment où vous avez la possibilité par exemple de modifier génétiquement votre enfant pour être sûr qu’il n’aura pas tel ou tel cancer, ou qu’il l’aura très tard. Modifier génétiquement votre enfant pour être sûr qu’il aura les capacités cognitives très développées, de telle sorte qu’il pourra entrer à l’Ecole Normale Supérieure, à Polytechnique ou à HEC. Á partir du moment où vous êtes sûr même qu’on pourra lui assurer une longévité plus grande. Voire même lui assurer l’immortalité. Qu’est-ce que vous allez faire ? Vous allez dire que vous voulez le bien de votre enfant, vous allez dire : « Fabriquez-le. Je ne veux pas être père, je veux me tourner vers des ingénieurs, des experts qui eux vont fabriquer une vie meilleure. »

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceNous sommes dans cette situation-là. Une situation où l’homme disparaît au profit d’une sorte de cyborg performant et où le père doit laisser la place à l’expert. C’est la situation généralisée de notre société. De telle sorte que se posent pour nous des questions absolument neuves. Á partir du moment où on peut modifier l’être humain, la question se pose de savoir pourquoi rester humain. Non seulement devenir humain, mais à la limite pourquoi le rester ? Et puis, une autre question fondamentale : pourquoi donner la vie ? Non seulement pourquoi la donner, pourquoi continuer avec l’humanité dont on sait qu’elle est finie, limitée, etc., mais même aussi pourquoi la donner par cette voie qui est celle ancestrale de la transmission de père en fils par la voie sexuelle ? Est-ce qu’il ne faudrait pas déléguer cela à des gens qui feront des enfants absolument compétents, adaptés, résistants aux conditions nouvelles du monde techno-industriel ? Vous savez que dès lors si vous dites : « Non il faut continuer à être humains, et donc renoncer à certains phénomènes technologiques ; il faut continuer à avoir des enfants sur le mode sexuel, c’est-à-dire aléatoire, avec des risques ; il faut continuer à être des pères et des mères plutôt que des experts en pédagogie… » … On va dire que vous êtes cruels. On va dire que vous êtes réactionnaires. Et c’est ce qui se passe aujourd’hui.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceLe grand paradoxe de notre époque est que les chrétiens qui sont normalement les témoins de la charité, de la compassion, apparaissent comme des personnes cruelles. Elles sont contre l’euthanasie. C’est la compassion, l’euthanasie ! Elles sont contre le fait qu’on puisse, par exemple, modifier le génome pour faire des êtres immortels. Imaginez, vous avez un gamin, il est né, vous l’avez eu comme ça. Il a ses copains à l’école qui ont été modifiés génétiquement, et puis vous allez lui dire : « Nous on est chrétiens, mon chéri tu dois crever ! ». C’est normal. On en est là. Alors, qu’est-ce qui nous pousse, nous, à vouloir rester humains et à vouloir continuer d’essayer de le devenir ? D’abord, vous faites cette expérience dans le scoutisme de ce qu’est une vie simplement humaine. D’abord, et surtout les routiers, vous marchez. C’est un truc incroyable de marcher aujourd’hui ! Vous marchez. Je ne parle pas des machines qui marchent, parce qu’elles marchent aussi. Nous, nous ne marchons plus. Je ne parle pas non plus de faire dix milles pas par jour selon les recommandations de l’OMS. Ça c’est encore la logique du calcul, ce n’est pas la marche. Vous, vous vivez la marche comme une expérience humaine de proximité, de parole, de rencontre. Mais ça n’existe quasiment plus ! Aujourd’hui, il faut croire en Dieu pour marcher ! Regardez, si ce n’est pas pour le fitness. On est dans une société où les gens ne marchent quasiment plus. Ils prennent la voiture, ils ont des trucs… Pour mener une vie simplement humaine, il va falloir croire en Dieu, pour continuer à avoir des enfants selon la loi naturelle, avec un père et une mère. Et même, il va falloir croire en Dieu, pour dire moi je ne veux pas être de l’humanité 2.0 augmentée par la technologie. Et même pas n’importe quel Dieu : il faudra croire au Dieu qui s’est fait homme. Et qui nous garantit qu’être humain, que c’est en étant humain que l’on devient vraiment divin. Non pas en sortant de l’humanité.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceLe Christ a mené une vie d’homme. Il a mené une vie de charpentier. Trente ans à Nazareth, de charpente, et après, trois années de marche et de prédication. Quand vous marchez, vous renouez aussi avec la vie apostolique. Les apôtres qui marchaient, qui faisaient des kilomètres et qui parlaient aux gens qu’ils rencontraient. Qui leur parlaient du Royaume. Tout proche. « Le Royaume est proche de vous. » Le Royaume en fait se joue dans cette proximité humaine. Voilà ce qu’était la vie du Christ. Or, on sait que c’est la vie de l’homme parfait. 0n sait qu’on ne peut pas aller plus loin que cette vie-là. On sait même que mourir à trente-trois ans, ça peut être la chose la plus extraordinaire, la plus merveilleuse qui se fait dans l’Histoire. C’est quand même difficile à accepter, hein ! Mais on le sait. La grâce divine nous fait accepter notre condition humaine sur elle : mortelle. La grâce divine nous fait plus entrer dans cette condition-là et nous rappelle que le travail manuel, le travail du charpentier, peut être un travail divin. Parce que c’est ce rapport avec la nature, avec le monde tel qu’il est donné par Dieu. Ce rapport de culture et pas ce simple rapport d’ingénierie.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous comprenez maintenant ce qui se joue aujourd’hui. Mon but n’est pas de condamner toute forme de technique, puisqu’au contraire je fais l’éloge de la technique comme savoir-faire, de la technique qui était encore une culture, qui accompagnait la nature, qui était encore humaine. Je critique certains types de technologie qui, d’une certaine façon, vont contre la technique. Parce que ce qui est en train de se passer, c’est que le progrès technologique est une régression de la technique. Le projet technologique entraîne une disparition des savoir-faire humains. Humain, ça veut dire avec les mains. Ça veut dire l’artisanat, ça veut dire les arts, ça veut dire… toutes ces choses-là. La réalité de notre existence aujourd’hui, qui nous fait rêver d’être des cyborgs. Nous rêvons d’être des cyborgs parce que nous avons créé une société qui nous empêche de déployer nos vraies potentialités humaines. En fait, c’est quand vous n’avez pas commencé à être humain que vous rêvé d’être un surhomme. Mais quand vous voyez ce que c’est qu’être humain et tout ce qu’on peut déployer en étant humain, à ce moment-là vous n’avez pas du tout envie de devenir un cyborg. Si vous savez jouer d’un instrument de musique, si vous savez vous servir d’une feuille et d’un stylo, pourquoi auriez-vous besoin de la dernière version de GTA ? Dante a écrit La Divine Comédie avec du papier et un stylo, hein ! Léonard de Vinci ou Mozart de quoi ont-ils eu besoin ? Ils ont déployé des choses dont on peut dire qu’elles sont divines, dans leur beauté. Mais ils n’ont pas besoin d’avoir une super technologie. Simplement c’était leurs mains, et leurs mains animées par leur esprit et par leur cœur avec une contemplation du réel. Qui était une contemplation amoureuse, attentive, que nous avons perdue.

    Donc, en réalité, le progrès technologique aboutit à une régression technique, et c’est parce qu’on a perdu les savoir-faire d’autrefois, parce que, finalement, nous ne pouvons plus être Charles Ingalls que nous rêvons d’être Robocop. Mais Charles Ingalls, c’est la vie humaine, simple. La famille, la paternité. On coupe du bois, on retape la maison. On va chez la vieille grand-mère qui est toute seule à côté. On fait des fêtes de village, on joue du violon. On connaît des danses folkloriques, on sait chanter ensemble autour d’une table. On sait faire la cuisine. Une vie de hobbit, quoi. Bien sûr, vous savez bien que c’est le thème fondamental du Seigneur des anneaux ! Cette critique de la logique d’une puissance toujours plus grande et un combat, finalement, pour pouvoir mener la vie simple de la comté. Avec cette idée qu’une graine qui pousse c’est même plus grand que toute la magie. Une phrase qu’on trouve chez Tolkien. Le fait de manger des aliments qu’on a cultivé soi-même, à partir du don de la semence et de la pousse des plantes, c’est quelque chose finalement de plus extraordinaire que d’avoir des super pouvoirs. Et pourquoi ? Parce que ça vous met en communication avec le cosmos. Parce que ça vous fait célébrer le Dieu créateur. Parce que ça vous fait chanter les bontés qui viennent d’au-delà de vous. Alors que quand vous êtes tout-puissant, que vous êtes l’œil de Sauron, qui regarde tout, qui contrôle tout, qui surveille tout, en fait, vous avez perdu la possibilité de l’action de grâce.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceDonc, régression liée au développement technologique, régression technique et même régression morale. Parce que, je ne sais pas si vous avez remarqué, plus se développe la technologie, plus les objets se raffinent, plus nous devenons primaires. Je ne sais pas si vous avez remarqué ce truc-là ? Et… en fait je découvre qu’il y a une sorte de chaise, en plus ils s’asseyaient, ils faisaient semblant d’être debout. Mes chers frères… Vous voyez, c’est ça, c’est toute cette science-là qu’on a perdue… ! Je ne sais pas si vous avez remarqué… les appareils technologiques qui nous poussent à vivre dans un monde où on appuie sur un bouton et où on a des effets extraordinaires cultivent en nous l’impatience. Cette mécanique de la ‘push-button-attitude’ où on veut des résultats immédiats fait qu’on est devenus de plus en plus impatients. Regardez ! : Dès que votre ordinateur rame un peu… Vous avez des types, pourtant qui avaient l’air à peu près intelligents, ils se mettent à parler à leur machine et à l’insulter. Et même ces gens qui disent « eh, moi, je ne prie pas Dieu et tout ça… » sont devant l’ordinateur et disent : « Allez, s’te plaît, marche, s’te plaît… » Ils font des prières. Á leur écran. Parce qu’ils n’en peuvent plus. Parce qu’en réalité, cette technologie qui ne nous donne pas la patience du travail des mains, la patience d’un apprentissage, d’un savoir-faire, la patience de la culture, de l’agriculture, de l’élevage… parce qu’on n’a plus cette patience-là, nous entrons dans un domaine qui est de plus en plus pulsionnel. Et d’ailleurs, pulsionnel, c’est la pulsion, c’est appuyer sur des boutons. Ça veut dire ça. Donc, nous avons largement régressé, nous avons grandi en impatience.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous avez un auteur très intéressant, un auteur anglais qui s’appelle G.J. Ballard, auteur notamment d’un roman assez célèbre qui s’intitule Crash. David Cronenberg a fait un film à partir de ce roman, un film assez trash, d’ailleurs… Il a fait aussi d’autres romans comme Immeuble de grande hauteur, etc. Je crois qu’il y a un film avec Jeremy Irons qui est sorti là-dessus… où il montre que c’est une sorte d’immeuble immense où il y a mille appartements, où tout est organisé, il y a des jacuzzis, des piscines à certains étages, des supermarchés à l’intérieur. Mais voilà que des ascenseurs se détraquent. Et à partir de ce détraquage de l’ascenseur les gens sont dans une sorte d’impatience, d’hystérie, et on voit que petit à petit, à cause du détraquement des machines, comme les gens n’ont pas appris à se maîtriser devant le réel, mais à croire qu’ils dominaient le réel parce qu’ils étaient face à du virtuel, en fait, dans cette domination qu’ils avaient dans le monde virtuel, quand ils sont confrontés à du réel, à une panne.. ils perdent les pédales. Et alors tous les gens bourgeois qui vivaient dans cet immeuble, des ingénieurs, des cinéastes… commencent à devenir fous, et la vie de l’immeuble se change en une vie de plus en plus primitive. Ils vont faire des razzias sur les étages inférieurs, des clans vont se créer entre ceux qui sont en haut, ceux qui sont en bas… Parce que justement la technologie a développé leur côté pulsionnel.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceL’enjeu à être humain c’est donc de retrouver cette vie simple. Qui est aussi la vraie vie spirituelle. Regardez la vie monastique : c’est une vie déconnectée. C’est une vie souvent liée à la terre, liée au travail manuel : ora et labora dit la devise bénédictine. On se rend donc compte que si Jésus était charpentier ce n’était pas un hasard. C’est qu’il y a un lien entre cette vie simple, entre le travail de nos mains et l’élévation de notre esprit. C’est souvent cela qu’on a perdu. Et vous, en réapprenant le travail des mains, par des installations, au scoutisme, peut-être qu’un jour, aussi, le scoutisme s’intéressera au travail de la terre… en marchant, en vivant cette vie de proximité, vous êtes des défenseurs de l’humanité. Et vous êtes les êtres les plus spirituels à une époque où tout se dissipe dans le virtuel. Ce que vous faites là est d’une importance majeure pour devenir humain.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceMaintenant, qu’en est-il de la paternité ? Il faut bien que j’en dise quelques mots. Qu’est-ce que ça veut dire être père ? Pourquoi est-ce que c’est l’autre dimension du déploiement de l’humanité ? Je voudrais juste d’abord vous faire une remarque : vous ne pouvez pas être pères si vous êtes seulement entre routiers. Il faut qu’intervienne cet être complètement inattendu dans ce lieu, même si on en trouve quelques spécimens intrus, ici-même, il faut qu’il y ait la rencontre avec la femme. La rencontre avec une femme va vous faire sortir de la logique de la planification technologique. L’homme croise une femme, il avait des tas de projets, tout d’un coup, non, c’est fini. Il est dépassé. Et ce n’est pas parce qu’il a des affinités simplement avec elle. Ce n’est pas comme un bon copain, une femme. Bon copain : on partage les mêmes sujets de discussion, on a les mêmes préoccupations. Non. Une femme, on l’aime d’abord parce que c’est une femme. On ne l’aime pas parce qu’elle nous ressemble, mais parce qu’elle est autre. C’est très mystérieux. Déjà, ce n’est pas être dans la logique de la réalisation de soi à travers un projet où je maîtrise tout. Et la relation érotique, la relation homme-femme est déjà une relation qui échappe au règne de la technologie. Si vous regardez dans 1984, ce grand roman contre des utopies technologiques, c’est précisément la rencontre d’une femme qui va faire que Wilson, le héros, va s’extraire tout d’un coup du monde totalitaire dans lequel il est.


    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceParce que la rencontre d’une femme, c’est une relation primitive. Ça existe depuis l’origine des temps, c’est l’aventure de base. Vous marchez ensemble, entre hommes, et je vous ai dit, c’est déjà défendre l’humanité. Mais il y a cet autre aspect de l’humanité qui est la rencontre avec l’autre sexe et qui est vraiment un événement absolu. Je vous rappelle que... Je ne sais pas si vous connaissez cette histoire que racontait Alfred Hitchcock, le grand réalisateur. C’est l’histoire d’un scénariste qui, pendant la nuit, a l’idée d’un scénario absolument incroyable, auquel personne n’avait vraiment pensé. Il se dit, c’est génial, avec ça, à Hollywood, je vais avoir un succès fou, les gens vont dire c’est ce qu’on attendait… Et il se recouche et quand il se lève le lendemain matin, il a complètement oublié. Alors, il se dit, bon, si ça me revient, il faut vraiment que je m’en souvienne. Alors au milieu de la nuit il se souvient encore de ce super scénario, il dit là, maintenant, je vais m’en souvenir. Il se recouche, le lendemain matin il a encore oublié. Alors il dit, bon, là, il faut absolument que je prenne un cahier et je vais noter mon idée si elle me revient pendant la nuit ! Et dans la nuit, l’idée lui revient, il la note dans le cahier : l’argument, le scénario absolument génial et puis… il laisse le cahier. Il dit : « demain matin je pourrai relire ça à tête reposée. » Il se lève le lendemain matin, avec grande joie il ouvre son cahier, et qu’est-ce qu’il voit comme scénario extraordinaire ? Un homme tombe amoureux d’une femme. C’est tout.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceAlors vous comprenez pourquoi il croyait l’avoir oublié quand il était réveillé ! Mais, parce qu’effectivement, c’est la base, c’est l’exclamation d’Adam au départ. Les animaux, il arrive à les nommer, il est encore debout, il n’a pas encore perdu toute contenance, mais quand la femme est devant lui, il dit : « Ah ! ». Il est dans une exclamation, il entre dans un cantique, il est dépassé. Et déjà, vous voyez, accepter cette aventure où l’on est dépassé. Mais être dépassé, ça veut dire aussi entrer dans cette aventure. C’est donc ne pas réduire la femme à un objet de jouissance. Sinon, vous n’entrez pas dans cette aventure. Vous en faites un lieu de soulagement, de délassement physiologique, mais ce n’est pas la véritable aventure de la rencontre avec une femme. Et cela vous entraîne, en plus, dans un autre truc : la paternité. Alors, le truc complètement fou, parce que quand vous réfléchissez bien... Moi, quand je vais vers ma femme, je pense à ma femme… J’aime ma femme et puis tout d’un coup elle m’apprend qu’on va avoir un enfant. Quel rapport ? Non mais, franchement, quel rapport ? Parce que dans l’étreinte, je ne pense pas aux enfants, sinon je serais un pervers. Je pense pas aux enfants, je pense pas à ça, enfin, c’est pas à ça qu’on pense ! On est dans quelque chose qui est l’amour. L’homme se tourne vers sa femme, ce n’est pas avec le projet d’avoir des enfants. Simplement s’il laisse faire l’amour tel qu’il est tout d’un coup apparaît cette surabondance à laquelle il n’est donc pas préparé.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous avez un enfant, vous n’avez pas pris des cours pour en avoir. Vous vous rendez compte. On vous fait passer des permis pour conduire une voiture, on ne vous fait pas passer des permis pour être père. Alors que c’est beaucoup plus dangereux. Pour la vie des autres. Pour la vie de l’enfant. Alors certains pourraient dire : « Vous devriez passer des permis. » Et c’est ça que veulent vous dire les experts. Les experts vont vous dire : « Il faut passer des permis parce que c’est seulement si vous avez passé des permis que tout va bien se passer. Il y aura un code de l’enfantement, comme il y a un code de la route. » Mais pourquoi ce n’est pas cela, la paternité ? Parce que la paternité c’est précisément l’aventure des aventures.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous savez que c’est une phrase de Charles Péguy qui dit que le père de famille est l’aventurier des temps modernes. Ce n’est pas une phrase comme ça, sentimentale, pour faire l’éloge du père de famille dans un monde qui méprise les pères et qui vénèrent les experts. C’est parce que c’est vrai ! Regardez toutes les grandes aventures que vous connaissez sont souvent des histoires de rapport au père, et où le héros lui-même va devoir avoir un enfant. Je parle d’aventures récentes qui ont dépassé la figure du héros comme ‘lone some cow-boy’, vous voyez. Qui n’a pas de parents, pas d’enfants. Regardez Harry Potter. C’est vraiment la question de la paternité qui est en jeu. Et le dernier opus, d’ailleurs, le montre spécialement. Est-ce que vous vous rendez compte que dans le dernier opus, que le grand combat de Harry Potter, le grand défi de Harry Potter, la grande aventure pour lui, ce n’est pas de réussir ses examens à Poudlard, ce n’est pas de gagner la coupe de feu, ce n’est pas d’avoir vaincu Valdemort : c’est d’avoir à élever ses fils et filles. Et notamment, il a des difficultés avec son fils Albus. C’est la première fois qu’on parle de Harry Potter dans cette église, et surtout qu’on parle de Harry Potter en chaire… Ce que je veux vous dire ici, c’est que c’est une question… J’aurais pu parler de Star Wars aussi. Ce sont des histoires de paternité qui sont en jeu, tout le temps. La grande aventure de Dark Vador c’est la question de sa paternité. Et dans la suite, c’est encore des histoires de paternités qui vont être en jeu.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceDonc, pourquoi est-ce la grande aventure ? Pourquoi êtes-vous un véritable aventurier quand vous devenez père ? Eh bien, parce que, d’une part, vous entrez dans quelque chose qui dépasse vos compétences. Il n’y a pas d’experts en éducation. Ce n’est pas possible. C’est une contradiction dans les termes. Ou alors c’est réduire l’éducation à une technique. Pourquoi ne peut-il pas y avoir d’experts dans ce domaine-là ? Parce que l’enjeu c’est de transmettre la vie. Et de dire qu’il est bon d’être vivant. Ce n’est pas de devenir compétent dans tel ou tel domaine, ce n’est pas simplement d’aider votre fils à être bon en math, ou à réussir les concours des grandes écoles. On s’en fou de ça. Le plus important, qui dépasse les compétences techniques et qui ne relève pas d’une compétence mais que le père peut faire c’est, voilà : « J’ai consenti à la vie, je t’ai accueilli, j’ai accueilli la vie, et à ce moment-là, dans ma responsabilité, je suis le témoin que la vie est bonne. Alors même que je n’y comprends rien. Alors même que je suis nul. Alors même que je commets des tas d’erreurs. » Et l’essentiel, ce n’est pas le fait de développer les compétences de l’enfant, mais de passer du temps avec lui, de montrer qu’il est bon qu’il soit là. Et dès lors, on reconnaît quelque chose qui dépasse nos programmes, qui dépasse nos plans, qui est l’aventure même d’une vie qui nous échappe. Qui est un évènement permanent qui se renouvelle de génération en génération.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceC’est aussi s’ouvrir à la vie au sens où l’on reconnaît qu’on n’est pas le père. Un père est toujours un fils. C’est même parfois pendant très longtemps, un gamin. Vous avez fait l’expérience… Bon, moi, je suis père de sept enfants, j’ai quarante-cinq ans, et au fond de moi je vois tout ce qui reste de l’adolescent que j’ai été. Je n’en suis pas complètement débarrassé. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que nous sommes des pères, mais aucun d’entre nous n’est le Père. Et c’est ça ce qui se passe. C’est que dans notre incompétence, dans nos défaillances, à travers ces défaillances quelque chose va se jouer. On aura donné une torgnole trop forte à notre enfant, on aura crié abusivement, on aura commis des tas d’erreurs. Mais on ira vers notre enfant en lui disant : « Ce n’est pas moi le maître de la vie. Moi-même je suis un fils, moi-même je suis un pécheur, je te demande pardon. Et à travers mes défaillances je peux me tourner avec toi vers le Père des Miséricordes. » Et qu’est-ce que vous pouvez donner de plus grand à un enfant ?


    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous connaissez ce passage du recouvrement au temple. Jésus dit : « Je dois être aux œuvres de mon Père. » Mais en, fait, tout père a pour tâche première de donner l’amour de la vie à son enfant, avant telle ou telle compétence. Parce que lui, il a accueilli la vie et donc il l’engage à le faire aussi. Mais aussi, il doit le tourner vers celui qui est le Père. De telle sorte que son fils, désormais, ce n’est pas sa chose. Ce n’est pas un être qui s’inscrit simplement dans un planning familial. Dans un désir ou dans un droit à avoir un enfant pour compenser les frustrations qu’on a eu nous-mêmes, par exemple, en projetant sur lui une réussite qu’on n’a pas eue. Ce n’est pas ça. C’est reconnaître qu’avec cet enfant s’ouvre un à venir. Le mot avenir c’est le mot qui constitue aventure : ce qui advient. Que tout d’un coup l’avenir se ré-ouvre à travers cet enfantement. Et on va être pris dans une aventure qu’on n’avait pas prévue, avec des enfants qui vont nous entraîner dans des tas d’histoires dramatiques qu’on n’avait pas envisagées. Mais c’est ça l’aventure de la vie. L’aventure première.

    Et c’est pour cette aventure-là que l’on devient aussi un combattant, qu’on devient un vrai guerrier. Parce qu’un vrai guerrier ce n’est pas simplement d’avoir des muscles, hein ! C’est d’avoir une femme et des enfants à défendre. C’est à partir de cette aventure-là que se pose la question de l’avenir, aussi, d’une société. Et c’est comme ça aussi qu’on s’engage vraiment en politique. C’est à partir de cette ouverture à une vie qui nous dépasse, à un temps qui ne sera plus le nôtre mais celui de nos enfants que l’on peut aussi être prêt à mourir.

    Il y a une chose qui m’a toujours frappée : j’ai toujours eu assez peur de la mort. Je ne m’imaginais pas de m’offrir en sacrifice. Je suis même assez douillet, quand je saigne je tourne un peu de l’œil, etc. Mais à partir du moment où j’ai eu un enfant, moi qui suis si faible, à la limite… tout d’un coup j’étais prêt à mourir pour quelqu’un d’autre. Vous voyez, c’est très étonnant, hein. Tout d’un coup c’est là qu’une force m’était donnée et que tout d’un coup je devenais un homme. Avec sa virilité, avec sa force de combat, avec son désir aussi de vivre des choses simples. Parce qu’on redécouvre là que la chose merveilleuse c’est de se retrouver autour d’une table avec sa famille, ses amis, à pouvoir manger ensemble, ou à pouvoir chanter ensemble. Et c’est ça la vie simplement humaine.


    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceC’est la vie que garantit le Christ. C’est la vie qu’il garantit sur cette terre, déjà, au centuple. N’oubliez pas qu’il y a des promesses pour le temps, pas simplement pour l’éternité. Mais aussi pour l’éternité. Parce que le Christ ressuscité, que fait-il ? Est-ce qu’il fait des trucs de superman, des trucs de super technologie ? Est-ce qu’il fait de grands sons et lumière ? Il se retrouve au milieu de ses disciples. Et il mange avec eux. Et il leur lit les Écritures comme il l’avait fait autrefois. Il parle avec eux. Il mène cette vie simple que le scoutisme essaie de réintroduire dans une vie de plus en plus technologisée et virtualisée.

    Alors continuez toujours ainsi ! Ultreïa ! Merci.

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    29 octobre 2016
    Conférence donnée en l'église de Givry (89),
    au pied de la Colline éternelle de Vézelay,
    devant les Routiers Scouts d'Europe en pèlerinage.
     
                                                

                                                                

     

    Peintures
    Saint Vincent de Paul prêchant - Noël Hallé (1711-1781), Cathédrale Saint-Louis, Versailles.
    Hortus Deliciarum (détail) - Jérome Bosch, XVIIe, Musée du Prado.
    L'enfant retrouvé dans le temple - Philippe de Champaigne, 1663, Musée des Beaux-Arts d'Angers.
    Les Pèlerins d'Emmaüs - Mathieu Le Nain, XVIIe siècle, Musée du Louvre, Paris.

     

  • Apôtre éminent de l'Eucharistie : St Pierre-Julien Eymard

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    Fasciné par le mystère de l’Eucharistie, le Père Pierre-Julien Eymard fonde la Congrégation du Saint-Sacrement au milieu du XIXe siècle en Isère. Uni au Christ, il souhaite relier l’activité missionnaire et la contemplation, adorer et faire adorer. Après sa mort, il est béatifié par le pape Pie XI le 12 juillet 1925, avant d’être canonisé le 9 décembre 1962 par saint Jean XXIII.

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             Saint Pierre-Julien Eymard est né à La Mure (Isère) le 4 février 1811 et est décédé dans la même ville le 1er août 1868. Dieu a conduit cet homme, d’étape en étape et par des voies providentielles, parfois insolites, à découvrir sa vocation eucharistique. Aussi pouvait-il écrire, trois ans avant sa mort : « Comme le bon Dieu m’a aimé ! Il m’a conduit par la main jusqu’à la Société du Très Saint-Sacrement ! Toutes mes grâces ont été des grâces de préparation. Tous mes états, un noviciat ! Toujours le Très Saint-Sacrement a dominé » (NR 44, 14)*. Et trois mois avant sa mort, il écrivait : « La plus grande grâce de ma vie a été une foi vive au très Saint-Sacrement » (NR 45, 3).

             Cette « foi vive » dans l’Eucharistie représente le ”fil rouge”
     qui traverse les grandes étapes de l’existence du Père Eymard et l’a amené à découvrir sa vocation et sa mission à une époque de grands défis pour l’Église et de grands changements sociaux et politiques. Il a travaillé à remettre l’Eucharistie au centre de la vie chrétienne et sociale de son temps, convaincu qu’elle est la vraie force pour renouveler l’Église et la société.  

    « C’est que j’écoute et je l’entends mieux d’ici »

    P-J. Eymard Portrait 1.jpg         Pierre-Julien Eymard passe par différentes étapes.
     Dès ses premières années, où sa mère très pieuse l’emmène tous les jours à l’église, il est attiré par l’Eucharistie. À sept ans, il est surpris par sa grande sœur derrière l’autel, sur un escabeau, la tête penchée ; il s’explique ainsi : « C’est que j’écoute et je l’entends mieux d’ici. » Sa première communion, à 12 ans, est un jour de grandes grâces qui fait naître en lui le désir d’être prêtre. Après un essai chez les Oblats de Marie Immaculée à Marseille (1829), il entre au Grand Séminaire de Grenoble (1831). Devenu prêtre le 20 juillet 1834, il s’occupe successivement de deux paroisses de l’Isère : il est d’abord vicaire à Chatte (1834-1837), puis curé à Monteynard (1837-1839). Suivant l’appel à la vie religieuse, il entre chez les Maristes (1839) où il reste jusqu’à la fondation de la congrégation du Saint-Sacrement à Paris (13 mai 1856). Tous ces passages laissent percevoir le cheminement qu’il a parcouru intérieurement, un chemin qu’il est important pour nous de rappeler.


             Parfois nous connaissons la vie d’un saint par les œuvres ou les fioretti
     qui se racontent de bouche-à-oreille. Chacun de nous a une image de tel ou tel autre saint. Mais, comme l’a dit un auteur spirituel contemporain, le saint, surtout « le saint fondateur ne se réduit pas à cette image. Le fondateur est un homme qui est allé jusqu’au bout des vouloirs de Dieu. Qui s’est efforcé – par un don de soi à Dieu toujours plus total et plus ample – d’être parfait comme le père (Matthieu 5, 48) » (Chiara Lubich, Méditations, p. 142). « Les saints se sont donnés à Dieu et Dieu les prend en charge. Artiste unique, il fait d’eux les chefs d’œuvre de son amour » (Chiara Lubich, Méditations, p. 144).


    StPJEymardStRomansVitrail.jpg         Conduit par des grâces à la fois simples et profondes, Pierre-Julien comprend sa vocation. 
    En 1845 à l’église Saint-Paul de Lyon, pendant la procession avec le Saint-Sacrement un jour de Fête-Dieu, il est saisi d’une foi forte en Jésus-Christ présent dans l’Eucharistie et demande à Dieu la grâce d’avoir le zèle apostolique de saint Paul. En 1849, alors qu’il est Provincial, il visite la maison mariste de Paris. Il découvre en cette ville l’œuvre de l’Adoration nocturne, et par la même occasion, il entre en relation avec le comte Raymond de Cuers qui sera son premier compagnon dans la fondation de l’œuvre eucharistique. Il fait aussi connaissance de la fondatrice de l’Adoration réparatrice, la Mère Marie-Thérèse Dubouché. Le 21 janvier 1851, au sanctuaire de Notre-Dame de Fourvière (Lyon), il discerne l’urgence de travailler au renouvellement de la vie chrétienne par l’Eucharistie et voit l’importance d’une formation approfondie pour les prêtres et les laïcs.


             Le 18 avril 1853, à La Seyne-sur-Mer (Var), le Père Eymard reçoit un nouvel appel,
     une « grâce de donation », au regard des projets eucharistiques qu’il élabore avec Raymond de Cuers et quelques personnes. Ce nouvel appel le met dans la disposition de faire le sacrifice de quitter la Congrégation mariste pour fonder la Congrégation du Saint-Sacrement. Finalement, non sans difficultés, son projet est accueilli par l’archevêque de Paris, Mgr Sibour, le 13 mai 1856.


             La vie eucharistique que Pierre-Julien propose ne se borne pas à la seule dimension contemplative 
    ; il veut prendre toute la pensée eucharistique, unir l’action à la contemplation, adorer et faire adorer, s’occuper de la première communion des jeunes ouvriers et mettre le feu aux quatre coins de la France. « Une vie purement contemplative, écrit-il, ne peut être pleinement eucharistique ; le foyer a une flamme » (CO 1030). Le 6 janvier 1857, il inaugure la première communauté adoratrice avec l’exposition du Saint-Sacrement. C’est dans la pauvreté et le dénuement que la vie s’organise. Puis progressivement, la communauté grandit. Le 25 mai 1858, Marguerite Guillot arrive de Lyon à Paris et le 2 juillet suivant, le Père Eymard la place à la tête du petit groupe de candidates venues à Paris en vue de la fondation de la branche féminine, les Servantes du Saint-Sacrement.


    stPJEymard couv Conseils.png         Dès le début et tout au long de son ministère, l’apostolat du Père Eymard est multiforme.
     Il associe des laïcs à son œuvre par l’Agrégation du Saint-Sacrement, il met sur pied l’œuvre de la première communion des adultes, des jeunes ouvriers, des chiffonniers et des marginaux des banlieues ; il s’adonne à la prédication et à la direction spirituelle. Il promeut la liturgie romaine plutôt que les liturgies gallicanes, et tente d’alimenter la vie spirituelle des prêtres par l’Eucharistie. Tout ce qu’il fait part de l’Eucharistie, est motivé par l’Eucharistie et a comme but faire connaître mieux l’Eucharistie. Fasciné par ce mystère, le Père Eymard affirme : « La sainte Eucharistie, c’est Jésus passé, présent et futur » (PG 356, 1). Il est assoiffé de pénétrer ses secrets, d’ouvrir son cœur aux richesses d’intériorité de l’Évangile de saint Jean qu’il médite si souvent : « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (Jean 6, 56). Le temps qu’il passe en adoration est très fécond pour son ministère ; un dynamisme et une force nouvelle l’imprègnent. Sa vision de l’Eucharistie évolue sans cesse et devient vie en lui.


             Un parcours plus intérieur le conduit à un sommet spirituel 
    : le « vœu de la personnalité », le don de lui-même (21 mars 1865). Le Père Eymard se laisse façonner par l’Esprit Saint afin que le Christ vive en lui (cf. Galates 2, 20), pour devenir Eucharistie, « un pain savoureux » pour la vie de ses frères.



    St Pierre-Julien Eymard malade.jpg         Les dernières années du Père Eymard ont été marquées par la maladie et des souffrances de tout genre 
    : problèmes financiers, oppositions, incompréhensions, humiliations, perte de l’estime des évêques, nuit spirituelle. Malgré cela, ses paroles sont restées ardentes comme le feu et ses lettres de direction spirituelle riches d’invitations à la joie et à l’action de grâce pour les bienfaits de Dieu. Après avoir travaillé sans cesse, jusqu’à l’épuisement, il meurt à La Mure d’Isère le 1er août 1868. L’épitaphe sur sa tombe nous livre son message : « Aimons Jésus, qui nous aime tant dans son divin Sacrement. »

     

    ChasseEymardLivretsss -Luminosité.jpg         Au terme des procès ordinaires de Grenoble et de Paris, ouverts en 1898, il est béatifié par Pie XI le 12 juillet 1925. Le 9 décembre 1962, à la fin de la première session du Concile Vatican II, le pape Saint Jean XXIII proclamait « Saint » Pierre-Julien Eymard. Ce jour-là, le Pape dans son homélie disait : « Sa note caractéristique, l’idée directrice de toutes ses activités sacerdotales, on peut le dire, ce fut l’Eucharistie : le culte et l’apostolat eucharistiques. » Le pape saint Jean-Paul II l’a désigné à tous les fidèles comme un apôtre éminent de l’Eucharistie (9 décembre 1995), et a fixé sa fête liturgique à la date du 2 août.
     

    Père Manuel Barbiero.jpg


    Père Manuel Barbiero

    Religieux de la congrégation du Saint-Sacrement
    fondée en 1856 par saint Pierre-Julien Eymard,
    et animateur du centre de spiritualité eucharistique « Eymard » à La Mure.

     

    Article initialement publié par Notre Histoire avec Marie sous le titre : Saint Pierre-Julien Eymard, Apôtre éminent de l’Eucharistie

    *N.B. : les sigles, cités dans cette contribution, renvoient à l’édition électronique et imprimée des Œuvres Complètes de saint Pierre-Julien Eymard.

     

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    Pierre-Julien Eymard, Apôtre de l'Eucharistie, un saint pour notre temps


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    Photographie du chapeau : vitrail de la chapelle Corpus Christi, 23 avenue de Friedland, Paris 8 : Franck Jan / www.lumièredumonde.com

    La châsse du saint abritant ses reliques se trouve dans cette chapelle Corpus Christi.

     

  • "Le genre en images" : Quelle société voulons-nous pour nos enfants ? Le livret VigiGender est arrivé !

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    théorie du genre, VigiGender, éducation, transmission

     

    LIVRET

    "LE GENRE EN IMAGES"

    © VigiGender

    vigi-gender.fr

  • L'offrande intégrale de soi - Édith Stein & Etty Hillesum

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    L'encielement Édith & Etty 9.jpg« Nous avons vécu une journée étrange, écrit Etty Hillesum dans ses Lettres de Westerbork[1], lorsqu'un transport nous amena des catholiques juifs ou des juifs catholiques – comme on voudra – nonnes et moines portant l'étoile jaune sur leur habit conventuel. Je me rappelle deux garçons, jumeaux dont le beau visage brun évoquait le ghetto et qui, le regard plein d'une sérénité enfantine sous leur capuce, racontaient aimablement – tout au plus un peu étonnés – qu'on était venu à quatre heures et demie les arracher à l'office du matin et qu'à Amersfoort on leur avait donné du chou rouge […] Et, dominant le tout, le crépitement ininterrompu d'une batterie de machines à écrire : la mitraille de la bureaucratie […] Plus tard, quelqu'un m'a raconté que le soir même il avait vu un groupe de religieux s'avancer dans la pénombre entre deux baraques obscures en disant leur chapelet, aussi imperturbables que s'ils avaient défilé dans le cloître de leur abbaye. » [2]

    Elle ajoute, dans un passage non publié en français de son journal : « [Rencontré aussi] deux religieuses, appartenant à une famille juive très orthodoxe, riche et très cultivée de Breslau, avec l'étoile jaune cousue sur leur habit monastique. Les voilà qui retrouvent leurs souvenirs de jeunesse. »[3]

     

    C'est ainsi que, peut-être l'instant d'un enregistrement administratif ou d'une brève conversation, Etty Hillesum et Edith Stein se sont croisées. Ce mince événement a une portée symbolique. Il en va ici comme de ces morceaux brisés des tessères antiques dont la réunion, sumbolon, dessinait une figure déchiffrable et permettait une reconnaissance entre les hôtes d'un jour, ou les partenaires d'une alliance. La rencontre fugitive et anonyme de ces deux femmes, héritières chacune du mystère d'Israël, dans un des lieux du déni le plus radical qui ait jamais été opposé à ce mystère, dessine elle aussi, de manière discrète mais décisive, une figure significative. Car Etty et Edith, deux brillantes figures de la culture européenne, dont l'une partait comme infirmière dans un hôpital militaire, en 14, avec les Ideen de Husserl et l'Odyssée d'Homère en poche[4], et dont l'autre arrive à Westerbork avec Rilke et Tolstoï dans son sac à dos, vont, chacune à sa manière, se dresser contre la logique de mensonge et de mort du nazisme avant d'en être les victimes. Elles ne le font pas par l'argumentation, ni par la résistance armée. Car la défense des réalités que le nazisme attaquait de plein fouet, la vérité et la vie, ne relève en dernière instance ni de l'argumentation, ni de la force. Elle relève de l'attestation. Attestation qui est plutôt, pour Edith, celle d'un indéfectible amour de la vérité, et pour Etty celle d'un non moins indéfectible amour de la vie. Mais à Westerbork, les témoignages que nous avons sur l'une et sur l'autre manifestent la convergence de ces deux voies dans l'humble amour du prochain.

     

    La lumière de la Croix

    L'enciellement Édith & Etty.jpgLa psychologie fut un des premiers intérêts d'Edith. Mais, après quatre semestres à l'université de Breslau, elle déchanta : « C'était dès le début une erreur de songer à faire un travail en psychologie. Toutes mes études en psychologie m'avaient seulement convaincue que cette science en était encore à ses premiers balbutiements […] Et si ce que j'avais appris jusque là sur la phénoménologie me fascinait tellement, c'était parce qu'elle consistait spécifiquement en ce travail de clarification et qu'on y forgeait soi-même dès le début les outils intellectuels dont on avait besoin. »[5] Exigence de fondation, exigence d'autonomie dans le discernement intellectuel : Edith a vingt ans, mais déjà elle est intellectuellement équipée contre toute espèce de dérive idéologique de la pensée, si l'idéologie commence avec le déguisement des présupposés en raisons, et l'abdication du jugement personnel. Commence alors un itinéraire qui, d’étape en étape, transfigure pour elle et en elle les termes de science et de vérité. C'est d'abord la rencontre avec « la phénoménologie comme science rigoureuse », en un sens nouveau du terme de science, faisant droit à l’esprit comme esprit et à l'âme comme âme. Mais l'attention du phénoménologue à l'expérience religieuse, dont les cours de Max Scheler lui révèlent l'importance, n’est pas encore la foi. De manière significative, celle-ci commence pour Edith avec la découverte de la Croix lorsque Anna Reinach, une amie protestante, vit avec sérénité la mort de son mari au front.  « Ce fut ma première rencontre avec la Croix, avec cette force divine qu’elle confère à ceux qui la portent. Pour la première fois, l’Eglise, née de la Passion du Christ et victorieuse de la mort, m’apparut visiblement. »[6] Edith est alors prête à accueillir la vérité chrétienne, et le jour où elle ouvre, en 1921, la Vie par elle-même de Thérèse d’Avila, sa longue quête prend fin. « C'est la vérité », se dit-elle en refermant le livre.

    C’est cette exigence d'aller « jusqu'au fondement », un fondement qui a pris pour elle un jour et définitivement les traits du Crucifié, et ne se touche que dans la prière, qui commande son herméneutique des violences nazies, dès 1933, en termes d'actualisation du mystère de la Croix dans le présent de l'histoire. Six ans plus tard, le dimanche de la Passion 1939, elle adresse un billet à sa mère prieure, à Echt : « Chère Mère, permettez-moi de m'offrir au Cœur de Jésus en sacrifice d'expiation pour la vraie paix : que le règne de l'Antéchrist s'effondre, si possible sans une nouvelle guerre mondiale, et qu'un ordre nouveau soit établi. Je voudrais m'offrir aujourd'hui même, parce que l'on est à la douzième heure... »[7] L'unité indéchirable de cette interprétation christologique des événements et de l'offrande intégrale de soi constitue « la science de la Croix », titre du livre auquel elle travaillait encore le jour de son arrestation. L'expression fait écho au logos tou staurou paulinien, cette « folie pour les païens » qui vient directement contredire la logique de puissance qui régnait sur l'Europe d'alors. Dans l’introduction de ce livre, Edith s’explique sur la nouvelle signification du mot « science » qui le fait passer cette fois du registre phénoménologique au registre théologal : « Lorsque nous parlons de la science de la Croix, il ne faut pas entendre cette expression selon son sens habituel […]. Il s’agit d’une vérité vivante, réelle et active. Cette vérité est enfouie dans l’âme à la manière d’un grain de blé qui pousse ses racines et croît. Elle marque l’âme d’une manière spéciale […] à tel point que cette âme rayonne au dehors. »[8]

    C'est bien ce qui est advenu : à Westerbork ; la « science de la Croix » n'est plus seulement pour Edith une vérité contemplée et consentie à l'intime de l'âme, mais la réalité même dans laquelle elle est immergée, et qui rayonne de sa personne : « La grande différence entre Edith Stein et les autres sœurs était dans son silence… elle donnait l'impression d'avoir à traîner une telle masse de souffrances que, même quand parfois elle souriait, c'était encore plus attristant… elle pensait à la souffrance qu'elle prévoyait, pas à sa propre souffrance, elle était pour cela trop paisible, mais elle pensait à la souffrance qui attendait les autres. Tout son extérieur éveillait chez moi encore une pensée, quand je me la représente en esprit assise dans la baraque : une Pietà sans Christ. »[9] Mystère douloureux, qu'il ne faut toutefois pas séparer de sa face lumineuse, jusque dans l'enfer du camp de transit : « La seule religieuse qui m'ait aussitôt impressionné et que – malgré les abominables épisodes dont je fus le témoin – je n'ai jamais pu oublier, c'était cette femme avec son sourire, qui n'était pas un masque, mais qui se levait comme un rayon de soleil… cette femme assez âgée, qui donnait une telle impression de jeunesse, qui était si entière, si vraie, si authentique… »[10] Il est significatif que, sous la plume de ce témoin, ce soient les termes de jeunesse, de vérité et d'authenticité qui viennent : démenti existentiel au mystère d'iniquité, mystère de mort et de mensonge. Un autre témoignage souligne qu'elle consacrait son temps à s'occuper des enfants : « Beaucoup de mères paraissaient tombées dans une sorte de prostration, voisine de la folie ; elles restaient là à gémir comme hébétées, délaissant leurs enfants. Sœur Bénédicte s'occupa des petits enfants, elle les lava, les peigna, leur procura la nourriture et les soins indispensables. »[11] La « science de la croix » rayonnait en humble amour de service.

     

    Le pain et le baume

    L'encielement Édith & Etty 6.jpgQuand Etty Hillesum, en mars 41, s'adresse au psychologue Julius Spier, elle est tout simplement en quête d'elle-même. Le journal qu'elle tient à partir de cette rencontre témoigne d'une personnalité vibrante, sensuelle, généreuse et possessive à la fois, surtout étonnamment lucide sur elle-même et sur les autres. Elle est partagée entre un puissant appétit de vivre et de grands passages à vide : « J'ai reçu assez de dons intellectuels pour pouvoir tout sonder, tout aborder, tout saisir en formules claires ; on me croit supérieurement informée de bien des problèmes de la vie ; pourtant là, tout au fond de moi, il y a une pelote agglutinée, quelque chose me retient dans une poigne de fer, et toute ma clarté de pensée ne m'empêche pas d'être bien souvent une pauvre godiche peureuse », écrit-elle à la première page de son journal[12]. Elle évoque un peu plus loin une « occlusion de l'âme ». Dans les cent premières pages, la guerre est simplement l'arrière plan de l'aventure intérieure qui se déroule à travers sa relation avec Julius Spier jusqu'à la mort de ce dernier en septembre 42. Relation complexe, faite de part et d'autre d'un puissant attrait physique et de séduction intellectuelle, mais aussi éveillant chez Etty une quête spirituelle d'abord confuse, puis de plus en plus explicite.

    Le fil conducteur de cette quête pourrait être la lente transmutation de l'amour de la vie qui s'opère au fil des pages et des événements : d'abord spontanéité instinctive d'une personnalité qui se définit elle-même comme douée d'« un fort tempérament érotique », et ayant « un fort besoin de caresses et de tendresse »[13], cet amour de la vie, confronté à la violence dont on voit monter inexorablement la menace, prend peu à peu une tout autre profondeur. Peut-être n'est-il au commencement qu'un sentiment de sécurité au cœur de l'orage qui monte : « Comme c'est étrange ! c'est la guerre. Il y a des camps de concentration […]. Et pourtant, quand je cesse d'être sur mes gardes pour m'abandonner à moi-même, me voilà tout à coup reposant contre la poitrine nue de la vie, et ses bras qui m'enlacent sont si doux et si protecteurs […]. Tel est une fois pour toutes mon sentiment de la vie, et je crois qu'aucune guerre au monde, aucune cruauté humaine si absurde soit-elle n'y pourra rien changer. »[14] Mais plus la guerre rattrape Etty, la conduisant de sa situation somme toute confortable de jeune intellectuelle émancipée d'Amsterdam à celle de fonctionnaire à Westerbork, plus revient, comme un refrain de plus en plus intérieur à la situation dans laquelle elle est prise, l'affirmation de la bonté de la vie : « par essence la vie est bonne, et si elle prend parfois de si mauvais chemins, ce n'est pas la faute de Dieu, mais la nôtre. Cela reste mon dernier mot, même maintenant, même si on m'envoie en Pologne avec toute ma famille. »[15] Quelques lignes plus loin, le secret de cet amour purifié et pacifié de la vie est livré : « C'est curieux, depuis ce dernier transport de rafle, je n'ai plus faim, plus sommeil, plus rien, et pourtant je me sens très bien, on concentre à tel point son attention sur les autres que l'on s'oublie soi-même et c'est fort bien ainsi. »[16] Et encore : « Oui, la détresse est grande, et pourtant […] je sens monter de mon cœur – je n'y puis rien, c'est ainsi, cela vient d'une force élémentaire – la même incantation : la vie est une chose merveilleuse et grande, après la guerre nous aurons à construire un monde entièrement nouveau et, à chaque nouvelle exaction, à chaque nouvelle cruauté, nous devrons opposer un petit supplément d'amour et de bonté. »[17]

    Ce « petit supplément d'amour et de bonté », Etty ne pourra le livrer au monde après la guerre. Mais elle le prodigue à Westerbork. Dans une de ses dernières lettres, en date du 21 août 43, qui évoque de manière bouleversante le départ d'un convoi, et où elle affirme : « cette nuit, j'ai été en enfer », toute sa compassion va aux enfants et ce sont eux qui occupent l'essentiel de son regard, de son récit : « les gémissements des nouveau-nés s'enflent, ils remplissent les moindres recoins, les moindres fentes de cette baraque à l'éclairage fantomatique ; c'en est presque intenable. Un nom me monte aux lèvres : Hérode. »[18] Celle-là même qui, au début de son journal, se découvrant enceinte, n'avait pas hésité à supprimer la vie qu'elle portait en elle, a maintenant sur les enfants qui vont mourir le regard de l'Évangile. En octobre 42, dans la dernière page de son journal, elle écrit : « J'ai rompu mon corps comme le pain et l'ai partagé entre les hommes. Et pourquoi pas ? Car ils étaient affamés et sortaient de longues privations. » Et, aux dernières lignes du texte : « On voudrait être un baume versé sur tant de plaies. »[19] Le pain, le baume : deux signifiants fondamentaux de l'entretien de la vie, de la vie affamée et nourrie, de la vie blessée et guérie. Deux signes sacramentels du salut. Au terme du chemin, Etty est descendue assez profondément dans le mystère de la beauté et du don de la vie pour en entrevoir, du dedans, la portée sacramentelle ultime, inséparable de l'amour en actes.

    Ainsi se sont rejoints le combat d'Edith contre la dérive utilitariste et fonctionnaliste de la vérité dans l'idéologie nazie, et le combat d'Etty contre la caricature instinctuelle et violente de la vie, expression de la culture de mort dans laquelle cette idéologie enfermait l'Europe. Et c'est pourquoi leur rencontre fugitive porte un sens qui la dépasse : maintenir l'alliance de la vérité et de la vie, qui fait la vie de l'esprit, contre toutes les forces qui s'y opposent, c'est témoigner de la victoire de l'esprit là même où il paraît réduit à sa plus grande impuissance. C'est vaincre, de l'intérieur et à la source, la tentation nihiliste. À la déclaration d'Edith, rapportée par le P. Hirschmann : « Jamais dans le monde la haine ne doit avoir le dernier mot »[20], fait écho la formule d'Etty : « Soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu'il n'est déjà. »[21]

     

    L'urgence du témoignage

    L'encielement Édith & Etty 010.jpgMais il y a un second niveau de lecture. Edith et Etty étaient juives l'une et l'autre. Elles ont eu une jeunesse peu ou pas pratiquante. Edith, malgré la grande piété de sa mère, ne fréquente plus la synagogue après ses quatorze ans. Etty n'a quant à elle reçu aucune formation religieuse, et ne découvre réellement la Bible que sur le conseil de Julius Spier. Aucune des deux n'est donc à proprement parler une convertie du judaïsme. Mais l'une et l'autre font, à partir de ce fonds areligieux, un chemin spirituel qui conduit Edith au baptême et au carmel, et Etty à une intense vie de relation à Dieu, sans référence dogmatique ni appartenance synagogale ou ecclésiale. Dans l'enfer de Westerbork, c'est le Bréviaire pour Edith, la Bible pour Etty, qui sont leur source de paix et de force. Faut-il en conclure que l'une et l'autre, la première par sa conversion, la seconde par son absence de toute pratique, n'ont rien à voir avec le mystère d'Israël ? Leur rencontre nous conduit peut-être au contraire au cœur de ce mystère auquel elles ont été l'une et l'autre, de manière paradoxale au premier regard, profondément fidèles. Mais cette fidélité a pris deux chemins et deux visages en elles comme dans notre histoire, l'une ayant rencontré et confessant explicitement le Christ, l'autre non. Saint Paul nous donne à penser, dans sa Lettre aux Romains, que c'est seulement à la fin des temps, à l'heure de la miséricorde de Dieu, que ces deux fidélités se fondront en une seule et que ces deux chemins convergeront. C'est pourquoi la rencontre d'Edith et d'Etty, jusque dans son caractère à peine ébauché, est non seulement symbolique, mais prophétique : elle anticipe sur cette heure-là, à distance, sans qu'elles aient pu prononcer ensemble le nom du Christ, un nom qu'Etty ne cite pratiquement jamais, même si elle se nourrit de l'Évangile[22]. Leur rencontre anticipe cette heure au moment et dans les lieux mêmes où l'idéologie nazie entendait précisément « éradiquer » Israël, et par là priver l'Église, greffée sur l'olivier franc, des racines de sa propre existence, et priver l'histoire humaine de son enracinement surnaturel[23].

             En ce qui concerne Etty, si on relit les textes dans cette perspective, il me semble qu'on peut la considérer, quoique détachée de la pratique cultuelle du judaïsme, comme une authentique fille d'Israël, en qui s'exprime et s'accomplit quelque chose d'essentiel à la vocation spirituelle de son peuple : la mission du témoin. Dès son journal, et de manière intense dans ses lettres, revient cette urgence du témoignage. Au début, elle exprime simplement le besoin et le désir d'écrire, tout en sentant bien que cela exige de sa part un engagement qu'elle ne peut encore pleinement assumer : « En moi certaines choses prennent bel et bien une forme, une forme de plus en plus nette, concentrée et tangible – et pourtant il n'y a encore rien à saisir, comment est-ce possible ? J'ai l'impression d'abriter un grand atelier où on travaille dur, où l'on martèle, taille, etc. »[24] Puis, quand se resserre l'étau, elle comprend que l'écriture n'est pas seulement une manière de se donner forme à elle-même, mais bien de témoigner pour l'histoire : « Je devrais brandir ce frêle stylo comme un marteau, et les mots devraient être autant de coups de maillet pour parler de notre destinée et pour raconter un épisode de notre histoire comme il n'y en a encore jamais eu […] Il faudra bien tout de même quelques survivants pour se faire un jour les chroniqueurs de cette époque. J'aimerais être, modestement, un d'entre eux. »[25] Et plus profondément encore, au-delà de la chronique, au-delà du travail du style, il s'agit pour elle de se faire pur témoin réceptif et attentif de la vie contre la mort, de la bonté contre la brutalité des hommes : « Je n'ai qu'à attendre patiemment que lèvent en moi les mots qui porteront le témoignage que je crois devoir porter, mon Dieu : qu'il est beau et bon de vivre dans ton monde, en dépit de ce que nous autres humains nous infligeons mutuellement. » C'est au terme de ces lignes qu'elle se désigne comme « le cœur pensant de la baraque. »[26]

             Et, de fait, nous trouvons dans ce « cœur pensant » un bouleversant témoignage des expériences spirituelles que le peuple d'Israël a connues et qui constituent son identité la plus profonde : d'abord l'expérience de cette beauté et bonté du monde, qui nous reconduit aux premières pages de la Genèse, rédigées dans le contexte de l'Exil, et fait retentir, au plus noir de la défiguration de la création de Dieu, l'écho de la bénédiction originelle. Puis l'expérience de la progressive dépossession de toutes les assurances, de tous les biens, pour le départ, d'abord vers Westerbork, puis vers une destination inconnue : expérience d'exode et d'exil, au terme de laquelle, dans le dernier billet qu'elle jette du train qui la mène vers Auschwitz, « assise sur (son) sac à dos, au milieu d'un wagon de marchandises bondé », elle peut écrire : « Christine, j'ouvre la Bible au hasard et trouve ceci : « Le Seigneur est ma chambre haute. »[27] C'est aussi, et presque dès le début du Journal, l'expérience d'une proximité intérieure de Dieu, contraignant « la fille qui ne savait pas s'agenouiller » à se jeter à genoux et à rencontrer, au cœur d'elle-même, ce buisson ardent de l'Exode où s'atteste la Présence. Et c'est surtout, authentifiant tout le reste, l'exigence éthique du service du malheureux, l'enfant, le vieillard, le malade, dans ces pages où se laissent entendre, c'est à dire mettre en pratique, la grande voix du Décalogue et l'appel des prophètes.

             Or c'est précisément cette présence de Dieu et cette Loi d'Israël que le nazisme a voulu extirper de la terre[28]. Comment les invalider mieux qu'en « supprimant les témoins »: le peuple juif, témoin, par vocation, de la transcendance de Dieu et de la conscience humaine, témoin de l'image de Dieu jusque dans le plus défiguré des hommes, témoin d'une Promesse donnant sens à l'Histoire jusque dans ses nuits les plus obscures. Etty écrit qu'elle n'a pas l'âme d'une révolutionnaire. Face au déni nazi de la vocation d'Israël, elle a été plus et mieux qu'une révolutionnaire : un témoin, et elle a mis au service de ce témoignage non seulement sa lucidité et son talent littéraire, mais son choix de rester à Westerbork et d'épouser jusqu'au bout la destinée de son peuple.

     

    « Nous allons pour notre peuple »

    L'encielement Édith & Etty 3.jpgC'est le même choix qu'a fait Edith. Elle l'a fait à partir d'une autre situation spirituelle, celle d'une chrétienne qui a redécouvert, du dedans de son baptême, le sens de l'élection d'Israël et la grâce d'y être charnellement rattachée : « Vous ne pouvez imaginer, écrit-elle, ce que cela signifie pour moi d'être une fille du peuple élu. C'est appartenir au Christ non seulement par l'esprit mais par le sang. »[29] Appartenance à la fois heureuse et crucifiante, qui fait d'elle un témoin, dans sa propre chair, de la rencontre aimante et douloureuse du Christ et de son peuple. Elle l'est dans son identité propre de juive devenue chrétienne : elle a souffert de l'incompréhension de sa mère très aimée devant sa conversion, elle a souffert du silence de son Église devant la persécution. Elle l'est dans sa consécration au Carmel, vécue comme une offrande de communion, au pied de la croix, avec la souffrance de son peuple. Elle a su – de la scientia Crucis – que la seule victoire qu'elle pouvait remporter sur la haine déferlante était de s'asseoir à la table des victimes, en sacrifice d'expiation. On peut trouver que sa théologie de l'expiation porte la marque d'un temps ; mais il faut remarquer que, dans un contexte où beaucoup considéraient le peuple juif comme responsable de la mort du Christ, Edith, elle, devant le mystère de la croix, l'assimile à la victime : « cette persécution est une persécution de la nature humaine du Christ. »[30] Enfin, sa mort, en tant que juive et en tant que chrétienne, arrêtée parce que juive, mais en représailles d'un acte de courage chrétien de la part de l'Église, accomplit jusqu'à l'extrême cette double appartenance, ou plutôt cette unique identité scellée par la Croix. Lorsque, au moment où elle quitte le carmel d'Echt sous escorte policière, elle dit à sa sœur Rosa : « Viens, nous allons pour notre peuple », ce peuple – son peuple - est indissociablement le peuple allemand dont elle est membre, et qu'elle voit livré au paganisme nazi, le peuple d'Israël dont elle est issue et dont elle va partager, dans sa chair, le sort, et le peuple nouveau sur lequel l'a greffée son baptême : l'Église.

     

    Un buisson ardent au désert

    L'encielement Édith & Etty 4.jpgEt c'est peut-être ici, au cœur de leur plus grande différence apparente, que nous pouvons voir se rejoindre les deux itinéraires d'Etty et d'Edith, comme une sorte d'attestation concrète de cette unité qu'opère secrètement, sans l'imposer ni la forcer, la Croix du Christ au foyer de l'Histoire. Comme l'a relevé Philibert Secrétan[31], il y a une étonnante convergence entre un texte d'Edith, écrit à l'intention de ses sœurs le 14 septembre 1941, et un passage du journal d'Etty. De part et d'autre, c'est la même conviction : la profondeur intérieure de la personne, l'âme, est demeure de Dieu, gardée par Dieu, quelles que soient les circonstances extérieures. Edith écrit : « Nous nous sommes engagées à la clôture, et nous le faisons de nouveau à chaque renouvellement de nos vœux. Mais Dieu ne s’est pas engagé à nous laisser toujours entre les murs de la clôture. Il n’en a pas besoin, car il dispose d’autres murs pour nous protéger […] Serions-nous même jetées à la rue, le Seigneur enverrait alors ses anges camper autour de nous, et leur vol invisible entourerait nos âmes d'une clôture plus sûre que les murs les plus hauts et les plus solides. »[32] Le 18 mai 42, Etty écrit pour sa part : « J'élève la prière autour de moi comme un mur protecteur plein d'ombre propice, je me retire dans la prière comme dans la cellule d'un couvent et j'en ressors plus concentrée plus forte, plus « ramassée ». »[33] C'est ainsi que, de Cologne à Echt et de Westerbork à Auschwitz pour l'une, d'Amsterdam à Westerbork et à Auschwitz pour l'autre, Edith et Etty ont vécu, dans toute sa dramatique profondeur, l’expérience constitutive de l’Exil : la ruine et la disparition de toutes les médiations qui incarnent habituellement la fidélité à Dieu, jusqu'à n’avoir plus, pour « donner corps » à cette fidélité, que leur propre corps à donner. Mais aussi, dans cet extrême dénuement, l'expérience nue et intense de la Présence, comme un buisson ardent dans le désert. Nous ne pouvons les rejoindre en ce lieu intime, ce saint des saints où chacune poursuivait avec son Seigneur un dialogue qu'aucune circonstance extérieure n'a pu briser. Nous pouvons seulement suggérer que, dans ce dialogue secret, chacune a été fidèle à la mission d'Israël, le peuple où Dieu a choisi d'établir sa résidence.

    Pour Edith, qui écrit de Westerbork : « Jusqu'à présent j'ai pu prier magnifiquement »[34], c'était expérimenter jusqu’en sa propre chair l’alliance nouvelle et éternelle, promise à Israël depuis l’Exil et scellée sur la Croix : habiter, où que ce fut, le Temple indestructible, car non fait de main d’homme, qui est en chacun de nous la demeure du Dieu Vivant à l’intime de notre liberté. Quant à Etty, on peut peut-être déchiffrer dans cette expérience de l'agenouillement intérieur, hors toute médiation cultuelle, l'écho de ces situations extrêmes où, dans le dépouillement total, le cœur de l'Alliance – « Je serai avec vous », « Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » - se met à battre de manière plus sensible dans l'histoire. Etty écrit le 10 octobre 42 : « Si les turbulences sont trop fortes, si je ne sais plus comment m'en sortir, il me restera toujours deux mains à joindre et un genou à fléchir. C'est un geste que nous ne nous sommes pas transmis de génération en génération, nous autres juifs. J'ai eu du mal à l'apprendre. »[35] Ce qu'elle n'avait pas reçu de sa famille – cet agenouillement intérieur et extérieur devant le Saint, cette adoration « en esprit et en vérité », - Etty l'a retrouvé pour ne plus le perdre.

    Peut-être peut-on alors risquer, avec beaucoup de respect, un dernier pas vers la rencontre de ces deux femmes. L'une et l'autre auraient peut-être pu échapper au sort qui les attendait. Il eût fallu qu'Edith se désolidarisât de Rose, sa sœur, ce qui lui aurait sans doute permis de trouver refuge en Suisse. Il eût fallu qu'Etty se désolidarisât de sa famille, ce qui lui aurait sans doute permis de retourner à Amsterdam. Elles ne l'ont pas fait. Elles ont choisi d'aimer jusqu'à l'extrême, au prix de leur propre vie. Elles ont mis cet amour en actes, humblement, en s'occupant des enfants et de ceux dont la détresse criait vers elles. Elles ont témoigné que l'union à Dieu et le service du prochain sont une seule et même grâce. Le 27 février 42, Etty recopie dans son journal quelques versets de l'hymne à la charité de saint Paul, et ajoute : « Tandis que je lisais ce texte, que se passait-il en moi ? […] J'avais l'impression qu'une baguette de sourcier venait frapper la surface durcie de mon cœur et en faisait aussitôt jaillir des sources cachées. »[36] Des « sources cachées » : c'est exactement la même expression qui vient sous la plume d'Edith lorsqu'elle médite sur la mission des âmes contemplatives, qui est aussi la sienne, dans le bouleversement de l'histoire : « Notre temps se voit de plus en plus obligé, quand tout le reste a échoué, de placer son dernier espoir de salut en ces sources cachées. »[37]

    De ces « sources cachées » – ou plutôt, de la Source cachée dont elles émanent - Edith, à la suite de saint Jean de la Croix, a su l'origine.

    Bien que ce fût de nuit.

     

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    Marguerite Léna
    Communauté Saint-François-Xavier

     

     

    Titre initial :
    La trace d’une rencontre
    Edith Stein et Etty Hillesum

    Publié dans la revue Études, juillet 2004


    Photos :
    Vidéogrammes de 
    Enciellement Édith Etty

     

     

    [1] Cf. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork, traduites du néerlandais et annotées par Philippe Noble, Points / Seuil 1995. Etty était venue à Westerbork en tant que membre du Conseil juif, chargé par l’occupant de l’administration interne de ce camp de transit vers les camps d’extermination. Elle s'occupe entre autres de l'enregistrement des arrivants. Elle sera elle-même déportée et mourra à Auschwitz le 30 novembre 43.

    [2] Op. cit. p. 260.

    [3] Cité par le P. Lebeau, Etty Hillesum, un itinéraire spirituel, Editions Fidélité, Namur, et Editions Racine, Bruxelles, 1998, p. 177. Ces « deux religieuses » sont Edith Stein, Sœur Thérèse Bénédicte de la Croix, et sa sœur Rosa, arrêtées au carmel d’Echt le 3 août 1942, en représailles du courageux mandement des évêques hollandais contre les persécutions antisémites. Elles meurent à Auschwitz le 9 août 1942. Edith Stein a été canonisée par le pape Jean-Paul II le 11 octobre 98. Etty fait erreur sur Rosa Stein, qui n'était pas carmélite, mais avait été accueillie par la communauté du carmel d'Echt.

    [4] Cf. E. Stein, Vie d'une famille juive, p. 399.

    [5] Edith Stein, Vie d'une famille juive, Ad Solem/ Cerf, p. 261.

    [6] Elisabeth de Miribel, Comme l'or purifié par le feu, Edith Stein (1891-1942), Plon, 1984, p. 61.

    [7] Edith Stein, billet du 26 mars 1939 à mère Ottilia Thannisch, prieure du carmel d'Echt, cité in Edith Stein, Source cachée, Cerf 1999.

    [8] Edith Stein, La Science de la Croix, Nauwelaerts, Louvain, 1957, p. 3-4.

    [9] Cité par B. Dupuy, id. p. 286.

    [10] Id. p. 287.

    [11] Cité par Elisabeth de Miribel, op.cit. p. 213-214.

    [12] Op. cit. p. 9.

    [13] Id. p. 66.

    [14] Id. p. 119.

    [15] Id. p. 282.

    [16] Id. p. 283.

    [17] Id. p. 288.

    [18] Id. p. 328.

    [19] Id. p. 245-246.

    [20] Cité par B. Dupuy, op.cit. p. 262.

    [21] Id. p. 218.

    [22] C'est ainsi qu'elle répond au vieux communiste Klaas qui s'étonne de son refus de la haine et y voit « un retour au christianisme » : « - Mais oui, le christianisme : pourquoi pas ? » (p. 218).

    [23] Cf Jean Dujardin, L'Église catholique et le peuple juif, Calmann-Lévy, 2003.

    [24] Id. p. 125-126.

    [25] Id. p. 168.

    [26] Id. p. 201-202.

    [27] Id. p. 344.

    [28] Le P. Dujardin le met en lumière de manière décisive et cite à ce propos une parole d'Hitler rapportée par Rauschning : « Les tables du Sinaï ont perdu toute validité. La conscience est une invention des juifs. Elle est l'équivalent d'une circoncision, d'une amputation de l'être humain. » op. cit. p. 47.

    [29] Cf. Cécile Rastoin, Edith Stein et le mystère d'Israël, Ad Solem, 1998, p. 97, note 9.

    [30] Cf. Vie d'une famille juive, p. 589, note 12.

    [31] Philibert Secrétan, « Trois juives dominées par la croix, Edith Stein, Etty Hillesum, Simone Weil », Choisir, mars 99, p. 5-11.

    [32] « Exaltation de la Croix, 14 septembre 1941 », in Source Cachée, p. 277-278.

    [33] p. 116.

    [34] Lettre du 6 août 1942 à Mère Ambrosia Antonia Engelmann, prieure du Carmel d'Echt. Cité par E. de Miribel, op cit. p. 215.

    [35] p. 242.

    [36] Cité par P. Lebeau, id. p. 65 (passage non repris dans l'édition française du Journal).

    [37] Source cachée est le titre choisi pour l’édition française des Œuvres spirituelles d’Edith Stein, Cerf 1999. La citation retenue ici figure p. 69.

  • Du nécessaire don de soi - de sa beauté

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    1.jpg         À priori, le bon sens nous indique qu’une bonne politique économique devrait avoir pour objectif le développement harmonieux des familles. Pourquoi cette intention n’est elle pas audible ? Au contraire, les mêmes pertes de confiance, les mêmes peurs de « se faire avoir », semblent aujourd’hui brider l’engagement pour construire une famille et devenir entrepreneur ou acteur de la vie économique.

             La doctrine sociale de l’Église nous fait découvrir qu’il n’y a pas de famille sans vérité de l’amour et qu’il n’y a pas de vérité de l’amour sans don de soi. L’éros appelle l’agapè. De même, en matière de politique économique, l’exclusion du don et de la gratuité dans les échanges pour ne rechercher que le profit matériel et financier à tout prix aboutit à la crise annoncée que nous connaissons.

             Il y a une dynamique commune au développement de la famille et à celui d’une politique économique, c’est celle du don et du don de soi qui seule peut fonder la confiance. Mais cette dynamique elle-même a pour première cause la gratitude. Car non seulement il faut donner, mais il faut accepter de recevoir et donc accepter d’être conscient de ce que l’on doit. La famille est la première école du don car elle est l’école de la gratitude pour les dons reçus sans compter et sans aucun mérite.

    2.jpg         Au cœur de la famille se vit la première expérience de l’usage de toutes les richesses qui répondent aux besoins réels de l’homme et dont chacun est appelé à être le ministre de la communication universelle. C’est dans la famille que se vit d’abord la possibilité de transformation de « l’avoir » en « être davantage ». C’est donc dans la famille que s’apprend d’abord la création et l’échange des richesses qui sont l’enjeu d’une politique économique au service de tout l’homme et de tous les hommes et donc de la famille.

             Les missions, naturelles et surnaturelles, de la famille en tant que première société naturelle et Église domestique, révèlent à l’homme qui il est, quelle est sa vocation et donc le chemin du bonheur pour « être davantage », c’est-à-dire un mendiant et ministre du don, du pardon, de l’amour et de la miséricorde.

             Comment parler aujourd’hui de « Politique économique et famille » ?

             L’association de ces mots n’est-elle pas choquante ? D’un côté la loi du marché et les interrogations légitimes sur la manière d’en réguler la dureté, de l’autre la loi de l’amour et la tentation ou le devoir d’en reconnaître la réalité par la loi positive. Une politique, donc une hiérarchie de moyens ordonnés à un but et de l’autre le trésor d’une société et donc un bien commun capable de servir au bonheur de plusieurs personnes.

    3.jpg         Défenseur de la famille, vous vous dites peut-être qu’une politique relève du domaine public quand la famille est un espace de liberté privé et que si l’économie vit de l’échange des richesses mesurables qui ont un prix, la famille est le sanctuaire d’échanges qui n’ont eux, pas de prix.

             La signification même des mots employés, ne nous parle-t-elle pas d’une politique « Art de vivre ensemble », économique c’est-à-dire dont l’objet est « l’ordre ou la loi de la maison » et de famille ? Or comme les familles sont sources de prospérité pour reprendre la belle formule du Président de votre Académie, Jean-Didier Lecaillon, une politique économique raisonnée devrait faciliter la vie de chaque famille. Ce serait même son véritable « intérêt ». La logique de « l’utilité » est même imparable puisque le développement de la famille « fabrique » les agents économiques, producteurs et consommateurs sans lesquels la croissance n’est pas possible.

             Pourquoi donc si la conclusion s’impose au bon sens, est-il suspect et inconfortable pour un homme politique, pour un chef d’entreprise, pour un clerc voire pour un simple père de famille de revendiquer cette cohérence ? Il est vrai qu’au cours de l’année qui s’achève, le sentiment de frustration suscité par la crise qui frappe la société, le monde du travail et l’économie a augmenté. « Une crise dont les racines sont avant tout culturelles et anthropologiques », nous dit Benoît XVI, dans son message du 1er janvier 2012.

    4.jpg         Les réflexions de jeunes en classe préparatoire HEC m’ont invité à réfléchir sur ces sentiments de peur et de frustration qui brident aujourd’hui notre société. Je les avais interrogés sur les motivations qui les conduisent à investir deux à trois années de leur jeunesse dans une vie quasi recluse et sous haute tension. Vous pouvez imaginer les réponses : avoir de l’argent, avoir du pouvoir, pouvoir choisir son métier, pouvoir mieux servir la société, être heureux. Nous avons prolongé naturellement ce questionnement par une réflexion sur la vocation et le désir du bonheur. Je leur ai demandé ensuite ce dont ils avaient peur dans la vie. Chacun y allait de ses « j’aime pas » : manquer d’argent, la maladie, dépendre des autres, etc. jusqu’à ce qu’une jeune étudiante rallie l’adhésion de ses camarades en disant : « moi je n’aime pas me faire avoir ». J’ai demandé des exemples. Et tous les élèves de la classe ont voulu en donner en se référant à des expériences très personnelles associant déboires familiaux et professionnels survenus autour d’eux et très souvent dans leur famille pour justifier leur perte de confiance.

    5.jpg         Plutôt donc que de développer les interactions légitimes et fondamentales entre une politique économique et la famille, je soumets à l’expérience et à l’analyse de votre Académie deux perspectives anthropologiques susceptibles de nous aider à découvrir d’une part les fondations communes mais aussi les refus qui empêchent de mobiliser pour cette cohérence :

    1. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?
    2. Est-ce que cette dynamique pourrait fonder une politique économique au service du développement de toute la personne, à son « être davantage » ?
    3. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?

      1. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?

             Nous pouvons en être étonnés mais cette question a fait très précisément l’objet du premier livre Amour et Responsabilité de Mgr Karol Wojtyla futur Pape et bienheureux Jean-Paul II. Henri de Lubac[1] souhaitera dans la préface de l’édition française publiée en 1965 que l’« argumentation rationnelle » de Jean-Paul II puisse convaincre « bien des esprits sérieux, soucieux de fonder les relations du couple sur une anthropologie complète, cohérente et approfondie » et qu’elle rende « courage à beaucoup ». La logique de Jean-Paul II peut être décomposée en 4 points que je vous propose avant de les reprendre pour les développer :

    6.jpg         1.1. La vision utilitariste de l’amour instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme.

             1.2. Pour sortir de l’utilitarisme, pour ne pas « se faire avoir », l’amour appelle la réciprocité et la recherche du bien commun demandant le don de soi.

             1.3. L’institution politique et donc publique du mariage agit sur la conscience de ceux qui s’aiment et permet le « don de soi ».

             1.4. La famille est l’école de la gratitude, du don et du pardon au bénéfice de l’homme et de toute la société.

                      1.1. La vision utilitariste de l’amour instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme.

             Jean-Paul II a conduit une étude critique de la vision utilitariste de l’amour. Cette vision en effet met l’accent sur l’utilité de l’action. Alors la conséquence douloureuse et logiquement inévitable, quasi antithèse du commandement de l’amour est qu’il faut : « me considérer moi-même comme instrument et moyen puisque je considère ainsi autrui. »[2] Il sera possible d’harmoniser les égoïsmes de l’homme et de la femme dans le domaine sexuel en sorte qu’ils soient profitables l’un à l’autre mais cet amour partiel ne sera plus rien entre eux dès que finit le profit commun.

    7.jpg         Dés lors « Tout ce qui donne du plaisir et exclut la peine est utile, car le plaisir est le facteur essentiel du bonheur humain. Être heureux, selon les principes de l’utilitarisme, c’est mener une vie agréable […]. Dans sa formulation finale, le principe de l’utilité exige donc le maximum de plaisir et le minimum de peine pour le plus grand nombre d’hommes […]. Si j’admets les principes de l’utilitarisme, je me considère nécessairement moi-même comme un sujet qui veut éprouver sur le plan émotif et affectif le plus possible de sensations et d’expériences positives, et comme un objet dont on peut se servir pour les provoquer. Et je considère inévitablement de la même manière toute autre personne, qui devient ainsi pour moi un moyen servant à atteindre le maximum de plaisir […]. L’utilitarisme parait être le programme d’un égoïsme conséquent, d’où on ne peut passer à un altruisme authentique. »[3]

             La vision utilitariste de l’amour peut prendre la forme « rigoriste » (la seule finalité légitime du mariage est la procréation en vue de la continuité de l’espèce ; la recherche du plaisir et de la volupté est un mal nécessaire) où la forme « libidienne » (la seule finalité de l’impulsion sexuelle est la recherche de la volupté). Dans les deux cas, cela aboutit à une instrumentalisation de la personne qui n’est pas compatible avec sa dignité en la considérant seulement comme un « objet » utile, un « moyen » et en ignorant sa réalité de « sujet ». Cette instrumentalisation est à l’antithèse de l’amour.

    8.jpg                  1.2. Pour sortir de l’utilitarisme, pour ne pas « se faire avoir », l’amour appelle la réciprocité et la recherche du bien commun demandant le don de soi.

    Pour sortir de l’utilitarisme, « la seule issue de cet égoïsme inévitable est de reconnaître en dehors du plaisir, le bien objectif qui lui aussi, peut unir les personnes, en prenant alors le caractère de bien commun. C’est lui qui est le véritable fondement de l’amour, et les personnes qui le choisissent ensemble s’y soumettent en même temps… L’amour est communion de personne. »[4]

             Selon Aristote, « il existe diverses sortes de réciprocité et ce qui la détermine, c’est le caractère du bien sur lequel elle repose, et avec elle toute l’amitié. Si c’est un bien véritable (bien honnête) la réciprocité est profonde, mûre et presque inébranlable. Par contre, si c’est seulement le profit, l’utilité (bien utile), ou le plaisir qui sont à son origine, elle sera superficielle et instable… Si l’apport de chaque personne à l’amour réciproque est leur amour personnel, doté d’une valeur morale intégrale (amour-vertu), alors la réciprocité acquiert le caractère de stabilité, de certitude… Ceci explique la confiance qu’on a en l’autre personne et qui supprime les soupçons et la jalousie. Pouvoir croire en autrui, pouvoir penser à lui comme à un ami qui ne peut décevoir est pour celui qui aime une source de paix et de joie. La paix et la joie, fruit de l’amour, sont étroitement liées à son essence même. »[5]

    9.jpg         La seule manière d’avoir une relation avec une personne en respectant sa dignité de sujet sans l’instrumentaliser est de l’aimer c’est-à-dire de vouloir pour elle le plus grand bien. Il faut donc que l’impulsion sexuelle qui initie la relation amoureuse ne soit pas séparée du développement de la personne, des dimensions objectives de l’amour.

             Or « l’être humain est fait pour le don de sa personne. L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. »[6] La logique de l’amour trouve donc son achèvement et sa plénitude dans la réciprocité et le don de soi. L’attrait, l’impulsion sexuelle, l’affectivité, les sentiments amoureux, l’amour de concupiscence et l’amour de bienveillance, le plaisir et la tendresse sont transformés par le don de soi réciproque, définitif et total. Cette harmonie permet l’intégration d’un amour ordonné au bien de la personne libre, sans la réduire à un rôle subi « d’objet ». Dans le cadre du mariage la chasteté en « subordonnant le désir de jouir à la disposition à aimer dans toutes les circonstances »[7], protège la réciprocité fondée sur un bien commun « honnête » et donne la confiance, la paix et la joie.


    10.jpg                  1.3. L’institution politique et donc publique du mariage agit sur la conscience de ceux qui s’aiment et permet le « don de soi »

             Cette institution du don de soi réciproque, « amour sponsal », ce « bien commun », a besoin légitimement d’être reconnue en tant qu’union des personnes, par la société car l’amour a besoin de cette reconnaissance, sans laquelle il n’est pas complet. La reconnaissance par la société de cet engagement public définitif, est donc juste et nécessaire « de même que serait « conventionnel » de vouloir effacer la « différence de significations attribuées aux mots tels que « maîtresse », « concubine », « femme entretenue », etc. avec ceux d’ « épouse » ou de « fiancée » (du côté de l’homme les choses se présentent parallèlement). »[8]

             « Dans ce sens, l’institution du mariage est indispensable non seulement en considération des autres hommes qui constituent la société, mais aussi, et surtout, des personnes qu’elle lie. Même s’il n’y avait pas d’autres gens autour d’elles, l’institution du mariage leur serait nécessaire… Les rapports sexuels de l’homme de la femme exigent l’institution du mariage en premier lieu en tant que leur justification dans la conscience de ceux-ci… En effet : « les rapports sexuels en dehors du mariage mettent ipso facto la personne dans la situation d’objet de jouissance. Laquelle des deux est cet objet ? Il n’est pas exclu que ce soit l’homme, mais la femme l’est toujours. »[9]

    11.jpg         Cette logique de l’amour explique l’exigence de droit naturel en faveur du mariage monogamique et irrévocable (« on ne peut pas se donner à l’essai » dira Jean Paul II), seule institution d’intégration de l’amour en vue du bien commun pour fonder le don de soi et prévenir des drames humains de l’utilitarisme dans l’amour.

             Il est donc significatif et paradoxal, comme un besoin inscrit dans la conscience, que ceux qui se veulent les propagandistes de l’amour libre et considèrent en même temps le mariage comme une affaire privée, manifestent le désir militant de la célébration publique du mariage des divorcés ou celui des homosexuels. Ce combat nous révèle que l’institution du mariage agit en tant que justification des rapports sexuels dans la conscience des personnes. Preuve comme en négatif que dans sa conscience même blessée, toute personne a besoin d’une reconnaissance publique et en vue du bien commun de sa relation amoureuse pour savoir qu’il n’instrumentalise pas l’autre.

                      1.4. La famille est l’école de la gratitude, du don et du pardon au bénéfice de l’homme et de toute la société

    12.jpg         L’harmonie qui permet l’amour intégral, a pour moteur la recherche du bien de l’autre qui passe par une gratuité réciproque et le don de soi. Si bien que la famille, foyer du don réciproque des époux, devient pour la personne, le berceau de la vie humaine. Pour la vie en société la famille sera l’école du don et même du pardon, par l’exemple et l’expérience, en apprenant à être généreux, à recevoir et à donner sans compter.

             En effet, la gratitude pour le don reçu gratuitement, appelle naturellement la gratuité de la paternité, de la maternité et de la fraternité.

             Cette école du don est un droit de l’homme car il est le chemin du bonheur. Dans ce rôle d’Église domestique et de cellule de base de la société, la famille, selon Benoît XVI, est le lieu où : « les enfants et les adolescents, et ensuite les jeunes… apprennent le sens de la communauté fondée sur le don, non sur l’intérêt économique ou sur l’idéologie, mais sur l’amour, qui est « la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière. »[10] Cette logique de la gratuité, apprise dans l’enfance et dans l’adolescence, se vit ensuite dans tous les domaines, dans le jeu et dans le sport, dans les relations interpersonnelles, dans l’art, dans le service volontaire des pauvres et de ceux qui souffrent. Une fois assimilée, elle peut se décliner dans les domaines plus complexes de la politique et de l’économie, participant à la construction d’une cité (polis) qui soit accueillante et hospitalière, et en même temps qui ne soit pas vide, ni faussement neutre, mais riche de contenus humains, à la forte consistance éthique. »[11]

    13.jpg         En résumé de cette première partie, nous pouvons formaliser les points suivants :

    • le bien commun ne peut se réduire au bien utile et appelle le don de soi qui fonde la confiance réciproque et la paix,
    • la recherche du bien commun est nécessaire au développement de l’amour,
    • l’amour est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et peut seul transformer la relation entre les personnes pour prévenir toute instrumentalisation, pour ne pas « se faire avoir »,
    • l’institution publique du mariage monogamique et indissoluble est une nécessité pour prévenir les dangers de l’utilitarisme dans l’amour jusque dans la conscience,
    • la famille est l’école naturelle de la vie sociale et de l’apprentissage du don et de la gratuité.

    Ces conclusions, cette vision de la responsabilité de l’homme et de la famille nous permettent d’aborder la seconde question.

    1. Est-ce que cette dynamique, la dynamique du don, pourrait fonder une politique économique au service du développement de toute la personne, à son « être davantage » ?

    14.jpg         Dans Caritas in Veritate, Benoît XVI construit, comme en écho à la logique de Jean-Paul II du don de soi dans la famille, la logique de la nécessité du don et de la gratuité dans l’économie marchande. Logique que nous pouvons synthétiser en quatre points.

    1. La vision utilitariste de l’économie instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme. « Le profit est utile si, en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien quant à la façon de le créer que de l’utiliser. La visée exclusive du profit, s’il est produit de façon mauvaise ou s’il n’a pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté. »[12] [...] « Abandonné au seul principe de l’équivalence de valeur des biens échangés, le marché n’arrive pas à produire la cohésion sociale dont il a pourtant besoin pour bien fonctionner. Sans formes internes de solidarité et de confiance réciproque, le marché ne peut pleinement remplir sa fonction économique. Aujourd’hui, c’est cette confiance qui fait défaut, et la perte de confiance est une perte grave. »[13] 
    2. Pour sortir de l’utilitarisme réducteur, une politique économique doit favoriser la recherche du bien commun. « Il faut [… ] prendre en grande considération le bien commun. Aimer quelqu’un, c’est vouloir son bien et mettre tout en œuvre pour cela. À côté du bien individuel, il y a un bien lié à la vie en société : le bien commun. C’est le bien du ‘nous-tous’, constitué d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale. Ce n’est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien. C’est une exigence de la justice et de la charité que de vouloir le bien commun et de le rechercher. »[14]
    3. Dans les relations entre les personnes, pour ne pas « se faire avoir », pour être quelqu’un et ne pas être utilisé comme un objet, il faut pour cela le lien fraternel du bien commun. Les institutions et la politique économique doivent créer les conditions favorables de l’exercice de la justice et de la charité. « Œuvrer en vue du bien commun signifie d’une part, prendre soin et, d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement, et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la polis, de la cité. On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille davantage en faveur du bien commun qui répond également à ses besoins réels… »[15]
    4. Et donc : « Si le développement économique, social et politique veut être authentiquement humain, il doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression de fraternité. »[16] « [...] Le grand défi qui se présente à nous [...] est celui de montrer, au niveau de la pensée comme des comportements, que non seulement les principes traditionnels de l’éthique sociale, tels que la transparence, l’honnêteté et la responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale. »[17]

    1.jpg         Nous avons vu avec Jean-Paul II, comment le don de soi est nécessaire à l’amour humain dans la famille si chaque conjoint veut aimer en vérité et donc ne pas instrumentaliser l’autre. Ce don de soi est le fondement de la confiance qui dans la conscience des époux leur « prouve » que c’est bien la recherche d’un bien commun qui les réunit.

             Le don et la gratuité, comme expression de la fraternité, c’est-à-dire de l’amour fraternel, ne sont-ils pas la cause incontournable capable d’orienter une politique économique vers le bien commun ? Cette logique du don et de la gratuité, comme expression de l’amour fraternel, n’est-elle pas la fondation en vérité de la confiance dans l’échange même marchand ?

             Il semble que Benoît XVI, nous suggère la cohérence de cette logique mais sans doute au nom du principe de subsidiarité, nous laisse-t-il la responsabilité de la mettre en œuvre. À l’instar des chercheurs mobilisés par CapitalDon[i] et en particulier de ceux du GRACE (Groupe de Recherche sur l’Anthropologie Chrétienne en Entreprise), présidé par le professeur Pierre-Yves Gomez, il semble donc opportun pour comprendre la crise de se demander pourquoi le don et la gratuité semblent-ils exclus par l’économie contemporaine ?[18]

    2.jpg         Je vous propose de considérer en premier lieu quelles sont, dans l’économie marchande, les richesses à échanger pour répondre aux besoins réels des personnes et par quel système d’échange.

             Nous verrons ensuite que Benoît XVI nous assure qu’une économie ne peut être juste sans le don et la gratuité.

                      2.2 Quelles sont, dans l’économie marchande, les richesses à échanger pour répondre aux besoins réels des personnes et par quel système d’échange ?

             Si nous considérons l’économie et singulièrement l’économie de l’entreprise que je connais mieux comme un transfert de ressources (biens et services produits, informations et conseils, salaires, impôts, dividendes, etc.) entre les parties prenantes. La question économique classique est celle de l’évaluation de ces ressources transférées qui constitue un système économique. Sur la base de la recherche disponible, nous pouvons distinguer trois types d’évaluation :

    3.jpg

    1. l’échange évalué sur un « marché » (dont les définitions sont assez larges) et comptabilisable par un « paiement »,
    2. le don social, évalué par une série de dons et contre-dons qui créent du lien social tel que Marcel Mauss (et ses successeurs) l’a mis en évidence ;
    3. enfin le don libre (ou gratuit), sans contrepartie attendue et dont l’évaluation se fait à partir de la personnalité du donateur et selon des critères subjectifs et moraux (générosité, sacrifice, etc.).

             Le système économique permet des évaluations par le marché, les dons et contre-dons et les transferts gratuits. C’est cet ensemble qui permet de repérer la création de valeur dans une économie.

             Nous considérons que l’économie dominante réduit donc le système d’évaluation économique aux seuls transferts comptabilisables (ou qu’elle oblige à considérer tous les transferts comme « comptabilisables »). Or les organisations ne se résument pas à ces échanges marchands comptabilisés, mais elles intègrent aussi, d’une part des dons et des contre-dons destinés à « créer du lien social » et, d’autre part, des dons sans contreparties (le travail bien fait, l’encouragement et le soutien, le service rendu sans calcul et sans retour, etc.) qui contribuent à l’efficience concrète et à l’efficacité des entreprises. Une analyse réaliste doit donc tenir compte des modes d’évaluation propre à chaque type de transferts, l’ensemble formant la complexité d’une entreprise ou de l’économie dans son ensemble.

    4.jpg         Chaque transfert est, en effet, évalué selon des logiques et une efficacité qui lui est propre et c’est l’ensemble qui permet de définir la cohérence et la performance d’une organisation.

             L’échange marchand permet le transfert d’objets (produits ou services) dont la valeur est établie par un calcul explicite ou implicite. La réciprocité de l’échange est fixée et garantie par les normes sociales en cours.

             Par définition, ce que nous appellerons le don « social » a pour objectif principal de créer du lien social sur la base d’une évaluation bilatérale dans le cadre de normes sociales. Il est de bon ton de rendre une invitation etc. Mais la réciprocité est risquée (pas de retour) mais fait partie des normes sociales.

             Le don libre ou le don gratuit a pour objectif l’affirmation de son être et de son identité sur la base de critères personnels ou moraux. La réciprocité est incertaine, le donateur n’attend pas de retour direct du donataire. Il agit pour le bien de l’autre sans demander un retour.

    5.jpg                  2.3 Alors, une économie peut-elle être juste sans le don et la gratuité ?

             À l’article 1937, le Catéchisme de l’Église Catholique cite les Dialogues dans lesquels le Christ dit à Sainte Catherine de Sienne : « Je ne donne pas toutes les vertus également à chacun... Il en est plusieurs que je distribue de telle manière, tantôt à l’un, tantôt à l’autre... A l’un, c’est la charité ; à l’autre, la justice ; à celui-ci l’humilité ; à celui-là, une foi vive... Quant aux biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres... J’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi. »[19]

             Il ne peut y avoir une politique économique juste ni de système d’échange juste sans la charité puisque l’égalité de l’avoir que Dieu n’a pas voulu, a pour intention de rendre la charité nécessaire.

    6.jpg         Il faut donc que le don et la gratuité fassent partie des échanges de l’économie marchande si l’on veut que cette économie soit juste. Sans la gratuité, on ne parvient même pas à réaliser la justice.

             « Si hier on pouvait penser qu’il fallait d’abord rechercher la justice et que la gratuité devait intervenir ensuite comme un complément, aujourd’hui, il faut dire que sans la gratuité on ne parvient même pas à réaliser la justice. [...] La charité dans la vérité, dans ce cas, signifie qu’il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier le profit, entendent aller au-delà de la logique de l’échange des équivalents et du profit comme but en soi. »[20]

             Benoît XVI va expliciter l’urgence de cette nécessité dans son message pour la paix du 1er Janvier 2012 :

    « Dans notre monde où la valeur de la personne, de sa dignité et de ses droits – au-delà des déclarations d’intentions – est sérieusement menacée par la tendance généralisée à recourir exclusivement aux critères de l’utilité, du profit et de l’avoir, il est important de ne pas couper le concept de justice de ses racines transcendantes. La justice, en effet, n’est pas une simple convention humaine, car ce qui est juste n’est pas déterminé originairement par la loi positive, mais par l’identité profonde de l’être humain. C’est la vision intégrale de l’homme qui permet de ne pas tomber dans une conception contractuelle de la justice et d’ouvrir aussi, grâce à elle, l’horizon de la solidarité et de l’amour.

    7.jpg         Nous ne pouvons pas ignorer que certains courants de la culture moderne, soutenus par des principes économiques rationalistes et individualistes, ont aliéné le concept de justice jusque dans ses racines transcendantes, le séparant de la charité et de la solidarité : « la cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité manifeste toujours l’amour de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle donne une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour la justice dans le monde. »

             Conclusion

             Nous savons que c’est la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs qui est devenue la pierre d’angle.

             L’utilitarisme a conduit notre société à rejeter le don de soi comme fondement de l’amour qui choisit librement le bien commun de la famille. Jean-Paul II nous fait découvrir qu’il en est la pierre d’angle. Sans le don de soi, l’amour et la famille s’écroulent.

    8.jpg         L’avidité matérialiste des bâtisseurs de l’économie a réduit les échanges aux richesses qui ont une valeur financière. Ils ont rejeté le don et la gratuité de leur politique, de leur art de vivre ensemble. Benoît XVI nous invite à ramasser cette pierre pour en faire la « pierre d’angle ».

             Sans le don et la gratuité, la politique économique est dans une impasse. Elle a réduit son champ d’action à celui du profit financier, curieusement, il ne lui reste plus que les dettes financières des États.

             En ces temps de crise où l’avidité mauvaise conseillère semble avoir, par la mauvaise dette, mis en panne le moteur de l’économie, ne serait-il pas juste de refonder aussi la confiance dans l’économie sur le don ?

             Permettez–moi alors dans cette conclusion d’ouvrir une autre perspective qui associe plus encore le destin de la famille et celui d’une politique économique. Car si politique économique et famille ont le don pour vrai moteur, la famille a une mission particulière pour que l’échange soit possible : nous apprendre à recevoir gratuitement !

    9.jpg         Au fond de son cœur en effet, tout homme fait l’expérience de la joie du don.

             Mais il n’a pas confiance que cela soit possible, il n’y croit pas. Pourquoi ?

             Donner, peut-être et souvent oui, pourquoi pas !

             Mais recevoir ? Recevoir par nécessité ? Recevoir sans pouvoir rendre ? Sans jamais être quitte ? Devoir la vie, devoir ce que l’on sait, devoir ce que l’on aime sans aucun mérite de sa part, voilà l’inacceptable des indignés de notre temps.

             Toute l’énergie culturelle, politique et sociale est mobilisée pour que nul n’ait le sentiment de devoir quelque chose à quelqu’un, ni à ses parents qui m’ont fait par plaisir et pour eux, ni à ses frères et sœurs, ni à ses amis qui cotisent à la solidarité sociale, ni à son patron qui fait de l’argent sur notre dos, ni à ses professeurs qui sont au service du pouvoir politique, ni à sa patrie, etc.

             Nous sommes devenus des individus qui ne veulent rien devoir à personne, même pas à Dieu. Nous avons des droits pas des dettes ! Nous voulons être justes mais ne jamais demander pardon. Bénéficier de la solidarité sans visage, oui, si c’est d’un acteur impersonnel dont nous ne pouvons croiser les yeux, une abstraction, la caisse de sécurité sociale, de chômage, l’État, etc.

    10.jpg         Benoît XVI, à l’opposé de la culture ambiante, nous fait découvrir dans Deus Caritas Est que « Pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi mais moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne. »[21] La famille fondée sur le don réciproque des époux, devrait être la société naturelle qui peut nous faire expérimenter la joie de recevoir gratuitement sans nous humilier. La famille est la société « prototype » capable de transformer l’avoir en « plus d’être », qui donne la vie et conduit la personne au-delà du cercle étriqué de son moi, qui « l’éduque en vue du bien commun ».

             De cette certaine manière, la famille fondée sur le don de soi devient sacrement c’est-à-dire signe visible de l’amour de Dieu capable de transformer la nature blessée de l’homme. La famille chrétienne participe ainsi à la mission de l’Église qui s’adressant à tous les hommes, nous dit : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ?
    Écoutez-moi donc : mangez de bonnes choses, régalez-vous de viandes savoureuses ! Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez
    … »[22]

    11.jpg         C’est ainsi que la famille peut révéler à l’homme qui il est : « Ce qu’il a, il le doit », et fonder la confiance pour la vie, à commencer par la confiance en soi parce que l’on sait que l’on est aimé gratuitement. Même si la participation de chacun par son travail au regard de ses talents est nécessaire, chaque homme est un pauvre, riche de dettes.

             C’est la gratitude qui fait l’homme. C’est dans la famille que tout homme peut apprendre à recevoir gratuitement sans en être gêné. C’est donc la famille qui peut faire expérimenter aux hommes la confiance dans l’autre et le moteur nécessaire dans les échanges au service de l’homme : la gratitude et le don. « Ce que vous avez reçu gratuitement donnez le gratuitement ».

             Ce n’est pas la loi du marché qui peut seule créer la vraie richesse, elle a aussi besoin de la loi du don qui n’humilie pas.

             Il faudra ensuite à l’homme toute une vie pour accepter de se présenter les mains vides et devenir mendiant du don gratuit, mendiant du pur amour sans crainte de « se faire avoir ». La famille, Église domestique, participe naturellement à cette révélation de la miséricorde.


             Une politique économique raisonnable s’attachera donc en priorité à donner à la famille la liberté d’être pour tous les hommes le foyer naturel de l’amour, de la confiance et du « don ».

             Dans un monde ou chacun a peur d’être « utilisé », de « se faire avoir », la famille a le secret de la confiance pour nous « faire être » pour l’éternité.

     


    bruno de saint chamas,Écologie humaine,politique,économie,famille,transmission,éducation,foi,christianisme,conscience,sandrine treuillardBruno de Saint Chamas

    Délégué général de CapitalDon,
    Président d'Ichtus

     
    Initialement publié sous le titre 
    Politique économique et famille
    sur le site de l’A.E.S. 
    (Académie d’Éducation et d’Études Sociales)
    le 5 mars 2012.

    Sur ce lien La Vaillante vous invite à lire l’échange de vues à la suite de l’exposé de l’auteur.

     

    12.jpg[i] CapitalDon Un fonds au service du don dans l’économie, destiné à promouvoir la force vertueuse de la gratuité et du don dans les pratiques économiques, une initiative pleine d’une espérance prophétique ». Ce Fonds de dotation est une initiative de Pierre Deschamps. 

    [1] Henry de Lubac sj – expert au concile Vatican II - 1896 -1991, théologien catholique et cardinal français.

    [2] Amour et Responsabilité, p. 31

    [3] Ib., pp. 27-29

    [4] Ib., p. 30

    [5] Ib., p. 79

    [6] Gaudium et spes

    [7] Amour et Responsabilité, p. 158

    [8] Ib., p. 207

    [9] Ib., p. 208

    [10] Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [11] Benoît XVI, Zagreb, 4 juin 2011

    [12] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 21

    [13] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 34

    [14]
    Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [15] Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [16] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 34

    [17] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 36

    13.jpg[18] Pourquoi le don et la gratuité semblent-ils exclus par l’économie contemporaine ?

    L’économie telle qu’elle est enseignée et étudiée aujourd’hui est supposée ne concerner que les échanges marchands comptabilisés entre les acteurs.

    Les notions de don et gratuité sont exclues de l’économie par définition et renvoyées dans le registre du social ou de la morale. Il n’y aurait donc d’économie que marchande. Or cette affirmation devenue pensée dominante pose un certain nombre de problèmes… à l’économie elle-même. Elle ne tient pas compte d’une partie importante de l’activité économique réelle comme la constitution de réseaux, la communication d’information, l’apprentissage ou la créativité entrepreneuriale etc..

    Au plan anthropologique, « l’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa nature de transcendance. L’homme moderne est souvent convaincu, à tort, d’être lui-même le seul auteur de lui-même, de sa vie, de la société. » L’enseignement social de l’Eglise souligne ici un constat universel et qui dépasse toute référence confessionnelle : donner et recevoir sont des caractéristiques anthropologiques fondamentales qui constituent aussi bien l’ordre social que la place de la personne dans la société. Inclus dans des relations sociales interpersonnelles, l’être humain participe mais aussi se réalise pleinement en transférant régulièrement des ressources sans contrepartie évaluées par un échange marchand : par exemple des connaissances, des informations, des expériences, des conseils, des services et des biens utiles aux autres sans qu’un prix soit attaché au transfert.

    De nombreux travaux en anthropologie, en psychologie et en sociologie ont ainsi mis en évidence que le don et le transfert gratuit structurent non seulement la société mais aussi la personnalité humaine.

    Peut-on dés lors considérer que l’entreprise, qui est une organisation sociale centrale dans nos société, échappe seule à cette logique ?

    [19] CEC, 1937 : S. Catherine de Sienne, dial. 1,6

    [20] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 38

    [21] Benoît XVI, Deus Caritas est - 34

    [22] Is., 55, 1-3

     

    J'ai donné ces images en lancette,

    extraites de la vidéographie La partiton (the score),

    que vous pouvez regarder & écouter sur YouTube, ci-dessus.

    Avec une musique à l'accordéon interprétée par le grand Stefan Hussong.

    Sandrine Treuillard, pour Bruno de Saint Chamas & La Vaillante.

     

     

     

     

  • Porter le foulard en France est un choix - musulmane & patriote

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          L’acceptation ou, disons plutôt, le rapport apaisé au foulard islamique doit-il forcément résulter du passage de ce dernier sous le rouleau compresseur de la mode, de l’hyper-consommation et du divertissement à outrance ?

               Il semble qu’il faille tout lisser.

             Dévitaliser, tuer l’essence profonde des choses, l’énergie pure et vibrante qui habite les grandes actions pour que ces dernières trouvent finalement grâce aux yeux de la masse. 

              Tout est étrangement potentiellement appauvri ; rendu inoffensif, médiocre et tiède par la récupération silencieuse qu’en fait la société de marché. 

             Le Che ou Malcolm X sur un T-shirt floqué, du rap prolétaire au hiphop dansant populaire en discothèque, n’est-ce pas la même action mercantile qui vient ajouter son petit zest ? 

             Et maintenant… le foulard au pied des grandes marques, le foulard et le mannequinat, le foulard dans les concours de beauté, le foulard bientôt partout, à condition d’accepter que ce dernier soit relégué au même rang que toutes les autres différences. Nivellement par le bas, dont le slogan pourrait être : « si certains se travestissent, d’autres portent un foulard. »

              Piège subtile, difficile à déceler.

             Il ne faut pas confondre deux choses : d’un côté faire comprendre qu’une femme qui porte le foulard est avant tout une femme, reconnaître son humanité et ses droits légaux, constituent des points de lutte légitimes et importants.

             De l’autre côté, il y a une fausse lutte, une escroquerie qui voudrait habilement faire oublier que choisir, c’est renoncer. Et le foulard en France est un choix. 

             En effet animées par notre foi, il y a des choses auxquelles nous renonçons, auxquelles nous disons non, et ce au risque de ne plus être ”comme tout le monde.”
    Un « non » de principe et d’action. Un rejet, une tentative de résistance.

             Car la banalisation graduelle du foulard sur certains supports – les moins sérieux – ne correspond pas à ce à quoi nous aspirons. Le foulard comme nous le comprenons va bien au-delà d’un simple fichu sur la tête car il est quelque part la manifestation d’un lien direct avec la transcendance.

             Transcendance qui fait que nous rejetons la marchandisation potentielle d’absolument tout, et en première instance ici celle du corps des femmes.

             Rappelons que l’islam comme système de valeurs, au même titre que de nombreuses traditions religieuses, spirituelles et même culturelles, ne peut être dissout dans toutes les folies de notre époque. Il impose encore une fois la résistance. Résister à ce qui nuit à l’Homme dans son ensemble en défendant ce qu’il a de plus précieux. Sa valeur intrinsèque, que certains voudraient pouvoir monnayer.

             Ainsi notre posture n’est pas simplement celle qui réclamerait sa part du gâteau capitaliste. Qui voudrait que chaque chose soit halalisable, qu’il suffirait de flouter ce qui dépasse du cadre pour devenir « muslim friendly ». Non, ceci n’est ni notre approche, ni notre but. 

             Si certains se sont battus contre les discriminations à l’entrée des boîtes de nuit, c’est pour nous un honneur que de ne pas y avoir notre place.
             Quelle reconnaissance y a-t-il au juste à devenir la proie des grandes marques qui ne nous nieront certes jamais le droit inaliénable que nous avons d’être avant tout des consommatrices ?

    Si la foi est réelle, l’inspiration sera supérieure et les actions qui en découleront également. Il y aura donc des choses qui, dans leur essence, seront contre nos principes. 

             Nous ne nions pas la difficulté à définir la ligne et la limite entre les deux.

             Nous ne faisons que témoigner de notre petitesse d’âme après tout.

    Comment aimer ce système injuste et hideux qu’est l’hyper-matérialisme au point de vouloir en devenir la caricature déformée ?

             Remettons les choses dans l’ordre : les femmes qui portent le foulard étaient bénies d’être épargnées par la publicité et les stratégies de communication en tous genres ; en revanche ces femmes continuent de subir l’épreuve du rejet quand il s’agit d’étudier, de travailler, de se rendre dans des lieux culturels ou de s’engager en tant que citoyennes.

             N’orientons pas notre énergie vers la mauvaise lutte, ne nous réjouissons pas de l’entrée du foulard dans des industries qui prônent le contraire de ce dernier.

             En toute fin, il est vrai que : « c’est la femme qui fait le foulard et non le foulard qui fait la femme. »


    « Et j’aimerais mieux être, O fourmis des cités,
    Tourbe, foule, hommes faux, cœurs morts, races déchues,
    Un arbre dans les bois qu’une âme en vos cohues ! »

    Victor Hugo, ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent


    dfvs,islam,la france,foi,politique,transmission,éducation,femmeHynd DFVS

     

    Article initialement publié sous le titre :
    Le foulard de demain, un simple accessoire ?
    sur le site Des Française Voilées S'expriment

     

     



    Précédent article de Hynd DFVS sur La Vaillante :
    L’islam est une chance et une opportunité aujourd’hui en France,
    afin que la France puisse renouer avec ses valeurs traditionnelles
    qui ont fait d’elles cette grande nation

    Autres articles du même auteur sur BV :
    Et si l’extrémisme des Femen nuisait plus aux femmes qu’il ne les libère ?
    Voile musulman : radicalisation ou mondialisation ?

     

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  • Le droit d'euthanasie aux mineurs signe une forme d'abandon & assombrit d'une mort symbolique le lien filial & social

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    Je m'interroge quant au fait que des jeunes de 12-17 ans auraient potentiellement la maturité de discernement et seraient en état de conscience suffisant pour décider de façon éclairée de se laisser euthanasier en cas de maladie incurable.

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                Même à l'âge présumé dit adulte, un jeune n'a pas fini de se construire. Un jeune ayant tout juste atteint l'âge adulte, se montre encore dépendant – à juste titre – de l'avis des adultes plus âgés que lui. Son autonomie de pensée se fortifie tout en restant relative. Elle se révèle encore dans une dépendance avec la génération qui le précède. Le jeune de 18 ans, et au-delà, reste influençable et dans la plupart des cas appréciera volontiers de s'appuyer sur « plus grand que lui » dans les décisions importantes de sa vie. Il a encore besoin d'être guidé, cadré, conseillé. Que dire alors de la maturité de discernement d'un mineur d'âge ?!

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Les partisans de la « bonne mort » à élargir aux mineurs ont-ils réfléchi aux conséquences d'un tel choix qui deviendrait accessible aux 12-17 ? Le poids de responsabilité psychique, éthique – et spirituel, pour peu que l'on admette l'intervention de cette dimension dans ce débat – chargerait lourdement ces jeunes épaules en leur induisant l'idée d'un « droit » à mourir. Prétendre que ces jeunes mineurs à peine sortis de l'enfance ont soit la capacité de décider s'ils veulent continuer à vivre jusqu'au bout de leur maladie invalidante, soit d'en finir et ce, en en mesurant lucidement les conséquences, m'apparaît non seulement grave mais est également un leurre. J'y vois un risque d'amplification de la souffrance et de majoration de la tension déjà naturellement liée à l'épreuve de la maladie ou du handicap.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Plus profondément, quelle déresponsabilisation, voir décharge, de la part des adultes ! J'y perçois un phénomène de grave démission, révélateur d'une société en perte de repères, de courage et de force face à l'épreuve ultime : celle qui confronte à la peur de la souffrance et au final à la peur de la mort. Octroyer le droit d'euthanasie aux mineurs d'âge signe une forme d'abandon psychique de l'adulte face au jeune. Il assombrit d'une mort symbolique le lien filial et social.

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                L'enfant ou le jeune pourrait-il moins considérer la maladie en soi comme catastrophique que de ressentir et souffrir de la fragilité du lien vécu avec son entourage ? Mon expérience de psychothérapeute me fait dire que la relation aux adultes insécurisés est inconfortable pour le jeune enfant/adolescent et peut devenir anxiogène ; voire également se révéler source de dépression précoce. Les enfants comme les ados encore en pleine croissance ont tendance à capter finement l'atmosphère sensible de l'environnement familial et social. Ils ne savent pas toujours qu'en faire. Ils sont tout à la fois en recherche d'eux-mêmes et aspirent à s'extraire de la dépendance à l'adulte, et tout à la fois encore soumis au souci d'appartenance. « Si je corresponds à, je fais partie de ; si je fais et suis comme, je suis rattaché à... ». Ambivalence peu confortable, normale cependant à ces âges à la fois fougueux et vulnérables.

                À supposer que certains adultes restent submergés par leurs propres émotions, par un sentiment d'impuissance et de détresse, par l'appréhension ressentie quant à la réalité d'un avenir devenu incertain pour leur enfant malade, cela touche et atteint sensiblement cet enfant. Déjà vulnérabilisé par sa maladie ou son handicap, il peut ressentir à fleur de peau l'état psychique du parent ou du corps médical en difficulté. Cette potentielle charge supplémentaire peut réduire sensiblement la capacité de discernement du jeune dans le débat qui nous préoccupe.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Par ailleurs, un adolescent qui se sent abandonné par les adultes à l'idée de la mort, ceci dans la force de vie qui lui reste tant qu'il est vivant, peut aussi en être profondément atteint dans son estime de soi, dans sa dignité, dans son droit et son désir de vivre. Il pourrait se sentir intimement et essentiellement blessé dans le lien qu'il espère vivre dans un attachement solide et fidèle d'amour donné et reçu, jusqu'au bout de l'épreuve.

                Un enfant mineur est-il donc en mesure de « discerner, pleinement et raisonnablement » s'il désire mourir ?

                Il me semble nécessaire d'envisager la perspective qu'il peut exister chez certains jeunes de vouloir préférer démissionner de la vie davantage à cause du poids et de la douleur qu'ils ressentent autour d'eux, qu'à cause de leur propre maladie ou de leur situation médicale invalidante.

                Excluant la pathologie psychique, un enfant, un jeune, désire plutôt vivre que mourir.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Un jeune adolescent n'a pas encore une claire idée de ce que c'est que d'être adulte. Ses projets sont à une autre échelle que ceux que ses parents projettent éventuellement sur lui. Ceux-ci évaluent avec une conscience différente la perspective interrompue d'un potentiel de croissance qu'ils espéraient, selon leurs critères, voire évoluer vers de l'expansion plutôt que vers une extinction.

                Si le jeune est ou devient limité par le handicap ou la maladie, il peut arriver que celui-ci l'envisage avec moins de gravité que ne le ferait l'adulte. Le jeune enfant ou l'adolescent sera par contre très sensible à la façon dont les autres considèrent son état physique ainsi qu'aux pensées projectives de son entourage sur lui.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Dès lors il y a lieu de se poser la question dans le cas où un jeune mineur demanderait à mourir, s'il le demande pour lui ou pour ne plus peser sur l'entourage. « Cela fait trop mal à papa, à maman... j'aime mieux m'en aller ». Il y a ceux qui le diront, et ceux qui le penseront secrètement sans pouvoir le dire. Dire « vouloir mourir » veut également souvent dire « je ne veux plus ressentir cette souffrance » – morale ou physique. Les témoignages des soins palliatifs attestent de réponses autres que la mort à offrir aux personnes sombrant dans de tels épanchements, ô combien compréhensibles. Il est urgent de promouvoir une façon de vivre en société qui humanise et (re)donne une place à la souffrance et à la mort. Ceci, autrement qu'en accélérant voir qu'en forçant la fin de vie. Il n'y a par ailleurs pas à blâmer les parents qui perdent pied devant la souffrance ou l'état critique de leur enfant. La détresse, la révolte et le sentiment d'impuissance sont à entendre, à reconnaître et à panser d'un soin compétent et attentionné. Il y a lieu de chercher à intégrer la réalité de toute souffrance au cœur même d'un lien d'amitié, d'amour et de soutien. Dans sa particularité, ce lien est à tisser et à toujours recréer autour de la personne malade qui cherche avant tout à être rejointe. L'amour échangé ne meurt pas : il circule et grandit. Il n'est tenté ni de faire mourir ni de mourir.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Il s'agirait donc moins de chercher à tuer la souffrance en tuant la personne et avec elle le potentiel d'amour qu'il resterait à s'échanger, qu'à apprivoiser et à assumer l'inconfort de ce qui fait mal. Ceci, au cœur d'une relation nourrissante et privilégiée investie avec la personne malade. Ce qui participe à donner force de vie, c'est de se sentir rejoint, compris, tendrement aimé. C'est la qualité du lien mis en chantier dans la relation qui fait fleurir le goût de la vie plus que celui de la mort. Parce que créer du lien et être dans un lien authentiquement édifiant avec l'autre régénère et offre sa part de sens à la vie. Toute personne – enfant, jeune, adulte, vieillard – est un puits de découverte de la naissance à la mort, si l'on cherche à la rencontrer dans son être essentiel qui « parle » jusqu'au cœur du silence et de la tourmente. C'est interpellant d'entendre de jeunes enfants révéler des trésors de réflexion, de simplicité et de profondeur dans des situations d'extrêmes épreuves. « Mais je danse moi, mais je vis ! », disait une petite fille atteinte d'un mal incurable.


    Anne Schaub-Thomas

    Psychothérapeute

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité
    Retrouvez cet article sur la page enrichie Euthanasie & Dignité humaine

     

    Article publié originellement sur euthanasiestop.be, le 10/12/2013, sous le titre :
    Le droit à l'euthanasie devrait-il s'étendre aux moins de 18 ans ?


    Photographies :
    Flash Mob Alliance Vita mars 2012
    Soulager mais pas tuer.org

     

  • Édith Stein… merveilleuse éducatrice

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    SPIRE 1923-1931

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            Cette période de vie laborieuse à l’ombre du monastère des Dominicaines enseignantes et tout illuminée de la pure joie de découvrir un peu du contenu de la vérité révélée, nous est connue surtout à travers les témoignages des élèves ou des disciples d’Édith Stein.

             La Mère Prieure du couvent de Sainte-Madeleine de Spire nous dit combien son arrivée sembla providentielle ; les religieuses venaient de fonder un établissement à Mannheim et la directrice des études fut transférée dans cette ville. Il avait été impossible de la remplacer et de désigner un professeur d’allemand pour les classes supérieures du collège de jeunes filles. Édith Stein repris ces cours, elle assuma la préparation des élèves aux examens d’État et bientôt celle des jeunes religieuses à l’enseignement.

             « Elle était pour nous toutes un exemple lumineux, écrit la supérieure ; nous sentons maintenant encore le bienfait de son rayonnement. » Éducatrice-née, sa manière d’enseigner était remarquable, allant de pair avec un véritable don de pédagogie. Elle trouvait le moyen d’ajouter des heures de leçons particulières à celles de ses cours et de poursuivre en privé l’étude de saint Thomas.

             Très simple, humblement dévouée à sa tâche quotidienne, elle aurait souhaité passer inaperçue. Mais son extraordinaire capacité intellectuelle et son don d’expliquer les choses les plus ardues lui valaient de nombreuses requêtes de la part des élèves et des maîtresses. Jamais elle ne refusait de rendre service, s’en tenant littéralement à ce conseil que nous trouvons dans sa correspondance : « … Pour ce qui est de nos relations avec autrui, le besoin des âmes transcende tout règlement de vie. Car nos activités personnelles ne sont que des moyens qui tendent vers une fin, tandis que l’amour du prochain est la fin même, puisque Dieu est Amour.[1] »

             Sa bonté était tout à fait remarquable, rapportent les sœurs dominicaines. Dieu seul sait combien de misères physiques et morales elle a soulagées. Sa correspondance très étendue en témoigne. Pas un détail ne lui échappait quand il s’agissait de faire le bien. Les dimanches et jours de fête, lorsque les religieuses étaient appelées au parloir, Édith les déchargeait du soin de la vaisselle. Elle passait des heures, les jours de congé, à distribuer la soupe populaire. Elle s’était procuré la liste des pauvres de la ville et on la voyait, au temps de Noël, disparaître mystérieusement, les bras chargés de colis préparés en secret.

             De sa vie intérieure, elle ne nous dit rien. Nous ne savons que ce qui ressort des témoignages portés par son entourage. Celles qui l’on connue n’ont jamais oublié la qualité et la profondeur du silence qui semblait l’envelopper. Elle restait des heures en prière près du tabernacle de la petite chapelle conventuelle, tout absorbée en Dieu. Sa manière de prier touchait les âmes bien davantage que les plus beaux discours : «  Sa seule présence, écrit un jeune professeur, était une invitation à monter… elle nous entraînait à sa suite sans beaucoup de paroles, par le seul rayonnement de son cœur pur, noble et donné. »

             Afin de consoler une de ses élèves, assez peu douée, Édith trouvait ces termes délicats :

    Visage ÉDITH STEIN.jpg         «  N’essayez pas de mesurer ce que vous comprenez à la manière dont vous savez le dire. Ce que vous avez compris vous pénètre, agissant en vous et rayonnant de vous, même s’il vous est impossible de l’exprimer. Une fois que l’on s’est totalement remise entre les mains de Dieu, il faut lui faire la confiance de penser qu’il saura bien tirer quelque chose de nous. Il lui appartient de juger ce dont nous sommes capables ; pour nous, il est bien inutile de nous perdre en analyses. Croyez-moi, ces gens que vous avez rencontrés et qui vous ont semblé tellement plus proches que vous de l’idéal chrétien, si vous pouviez les connaître de l’intérieur, vous sauriez qu’ils souffrent eux aussi de leur impuissance et de leur pauvreté…[2] »

     

    Élisabeth de Miribel

    Extrait de Comme l’or purifié par le feu - Édith Stein 1891-1942
    Cerf, 2012

      



    [1] Mère Thérèse-Renée du Saint-Esprit, Edith Stein, Lebensbild einer Philosophin und Karmelitin, p. 73.

    [2] Idem, p. 74.

     

    Retrouvez cet article sur la page enrichie Édith Stein & la femme

  • "En fait d’impressionnabilité l’enfant, l’artiste et le saint sont frères" Méditation de la citation de Édith Stein

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    La notion d’Écologie Humaine attire à elle celle, primordiale et fondatrice, de l’intériorité. La vie intérieure de l’être humain est l’espace-temps par lequel il va s’accroître et grandir. C’est l’expérience de soi en soi au sein du monde. Plus il y sera attentif, plus il s’affinera dans sa manière d’être librement au monde et plus il s’y réalisera en phase avec ce qu’il est profondément. Plus il saura visiter la petite cellule qui est en lui, plus il sera plein d’une force sereine qui rayonnera de lui et se propagera sans effort, naturellement. La petite cellule en soi est une chambre des délices[i].

    « En fait d’impressionnabilité l’enfant, l’artiste et le saint sont frères. » ÉDITH STEIN

     

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    TENDRE À UNE DÉFINITION DE L’IMPRESSIONNABILITÉ 

    IMPRESSIONNABILITÉ : vulnérabilité, faculté de se laisser traverser, de se laisser affecter par l’altérité du monde.

    L’être est ouvert à plus grand ou plus petit que lui. Forme de curiosité questionnant le monde, l’extérieur à soi, l’autre. Quête de l’Autre. L’impressionnabilité est une manière d’être en devenir. Une manière de se laisser advenir ; de naître à soi-même par ce qui est extérieur à soi ; de se laisser visiter par l’Autre.

    L’être comme un lieu en soi où, telle une pellicule sensible se laissant impressionner accueille ce que le monde imprime en lui, acquiesce à la coloration qu’il va tracer sur lui, s’en laisse modifier, altérer.

    L’impressionnabilité est un acquiescement à l’altération du monde sur soi, en soi.

    C’est par le jeu pour l’enfant qui rêve tout en jouant, babillant, se racontant des histoires, chantonnant, dansant… ;

    C’est par la création pour l’artiste qui reçoit, se nourrit autant qu’il donne à percevoir le résultat des énergies qui l’ont traversé ;

    C’est par l’oraison pour le saint, qui accompagne toutes ses activités, que ce soit dans le travail, ses relations à autrui, aussi bien que dans sa pratique de la lectio divina (oraison, méditation, contemplation) lecture sainte des religieux.

    Ce qui rend frères l’enfant, l’artiste et le saint est cette attitude de prière étendue à la matérialité du monde, à la relation à l’autre, dans les activités quotidiennes. L’incantation permanente et secrète au creux de soi, où que l’on soit, quoi que l’on fasse.

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    LE SYMBOLE FONDE L’HOMME

    Ce qui fonde l’homme, la nature humaine, c’est sa faculté à susciter du symbolique. Le repère dans la relation à l’autre est symbole. Parce que l’individu est individe, qu’on ne peut le diviser sans porter atteinte à son intégrité vitale, la dimension symbolique est présente à l’homme dès le commencement de sa vie et jusqu’à son terme. C’est d’abord une manière d’être avec sa propre solitude d’individu, être individe. 

    L’homme est l’être de la reconnaissance par excellence. Reconnaissance de soi par autrui, reconnaissance d’autrui, de ceux qui lui font du bien, qui lui ont donné la vie, reconnaissance mutuelle de ceux qui l’aiment et avec lesquels il entre en relation, reconnaissance qui s’exprime aussi, comme à son sommet, dans la possibilité de donner à son tour de soi, de laisser des traces constructives et épanouissantes de soi dans le monde. La quête de reconnaissance est inhérente à l’homme. Il est aussi un être de la louange, capable d’exprimer la gratitude profonde une fois qu’il a éprouvé pour lui-même la joie d’être accueilli pour ce qu’il est, reconnu, né à nouveau dans le regard de l’autre. 

    Le symbole est le vecteur, le véhicule du caractère exclusivement humain de l’homme. C’est la figure, l’objet, la forme, le dessin, l’image, le mot, la parole, la lettre, la métaphore, le geste… mis en circulation, mis en situation de partage, d’échanges entre les enfants, entre les adultes, entre les enfants et les adultes. Entre l’homme et le grand Autre. Ce peut être & devrait être d’abord un rapport à sa propre solitude. Le symbole est ce par quoi se reconnaît la faculté de l’homme à l’être. L’homme est un être de la relation, de la communication, du rapport à l’altérité. Le jeu, le rêve, la rêverie ; le rêve nocturne, le songe, la pensée, la création ; la prière ; toutes les disciplines du travail humain depuis l’artisanat jusqu’aux métiers ayant trait à l’économie, à la finance, au droit, en passant par les professions de santé et du social, ceux de la culture, de l’éducation et de l’enseignement ; et même au sein de la misère sociale, de l’indigence matérielle la plus dégradée, l’homme a encore et toujours ce besoin de relation a plus grand et plus petit que soi, et de matérialiser par des voies symboliques ce fait-là d’être là, un homme au monde dans toutes les situations concrètes qu’il présente de façon incessamment renouvelée. Depuis sa geôle ou sur un trône, seul ou accompagné, en activité ou privé d’activité, la première faculté de l’homme, parce qu’il a soif de relation, est de fabriquer malgré lui du symbolique, de rechercher le lien à l’altérité du monde. C’est par cela qu’il est homme et qu’il existe. Il cherche cette part de lui-même, il s’adresse à l’altérité qui est en lui ; il rêvera, écrira, pensera, parlera, jouera, même seul. Dans la petite cellule en soi, l’homme appelle sans relâche. 

    « Le cœur des petits enfants n’a-t-il pas été créé pour prier, pour aimer ? Pourquoi en est-il si peu qui prient ? Pourtant, la prière des enfants est toute puissante. Rien de plus beau n’est monté à Dieu que la prière des enfants. Plusieurs enfants réunis dans la prière font pour le Ciel des choses merveilleuses. Ô mères ! Faites aimer la prière à vos enfants et Dieu trouvera sa gloire en vous. Soyez certaines que les anges prient au milieu des enfants et demandent avec eux. » MARTHE ROBIN

                Notre société actuelle ruine le symbolique. Elle s’y attaque, mais s’y achoppe. On ne peut retirer à l’homme sa manière d’être qui est toute profondeur. L’impressionnabilité d’Édith Stein est fort mise à mal. Elle est malmenée, utilisée, manipulée, orchestrée, blessée, violée, bafouée ou tout simplement niée. Le nihilisme totalisant dénie le besoin qu’a l’homme du symbolique, le contraignant par cet acte à se plier à ses idéologies, à ses visées néfastes de domination mortifère, bref, à l’avilissement de la nature humaine pour continuer à dominer les masses, les individus ainsi dénaturés. Ce pouvoir utilise aussi, cependant, des armes pleines de symboles qui déracinent l’individu, le privent de la relation vitale à sa vie spirituelle, dénigre l’existence de ce besoin primordial. Bref, divise l’individu en son cœur même, s’introduit en lui pour le briser, le déraciner. Dès que l’enfant à accès aux écrans de toutes sortes (voir le nourrisson en situation devant un écran), son impressionnabilité est alors très vite mise en danger et pervertie.

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    PRENDRE SOIN DE L’IMPRESSIONNABILITÉ

    Considérer chaque individu comme un être porteur au fond de lui comme d’une sorte de chambre obscure, une camera oscura, la chambre photosensible, la cellule intérieure par une petite ouverture de laquelle le monde extérieur figuré par des rayons de lumière va impressionner la pellicule sensible, cette peau interne tapissant les parois de la chambre de l’être. Le lieu en soi, éminemment intime, est visité par les rais de lumière provenant de l’extérieur, qui impriment en lui des impressions de toutes natures. C’est dans cette cellule intérieure exposée à la lumière, ce lieu en soi tout monastique (monos : un seul), à la configuration si unique & particulière bien que présente en chacun universellement, que va se former la relation symbolique au monde, à l’altérité. Il faudrait pouvoir agir avec cette chambre intérieure comme se tenant aux abords d’un sanctuaire. Porter une attention toute spéciale à ce lieu présent dans chaque individu comme s’il s’agissait d’un sanctuaire. Avec discrétion, tact et délicatesse. Sans en forcer l’entrer. Rester en relation avec l’autre c’est respecter cette frontière, cet espace intime vital, ne pas franchir cette zone par la force, ne pas transgresser la limite, mais progresser dans la relation d’altérité, proposer son altérité, l’exposer doucement, et laisser l’autre s’y ouvrir en tout désir, en toute liberté, dans l’acquiescement libre au mouvement du partage. La lumière au seuil du cœur de l’autre, l’ouverture du diaphragme doit pouvoir se faire librement, le diamètre de l’opercule laissant les rais lumineux investir ce lieu interne, pouvoir être modulé sans contrainte extérieur. C’est cela se laisser impressionner. Comme le papier reçoit l’encre des lettres. Comme la pellicule photosensible est exposée à la lumière de façon dosée. 

    L’impressionnabilité chez l’enfant, l’artiste ou le saint est cette attitude toute priante dans sa relation avec l’extérieur, au monde extérieur à soi, à l’altérité du monde. Ce monde comprend les différentes perceptions sensibles que l’on en a, les mouvements, les lumières, les ombres, les procès (au sens de processus), toutes les choses physiques et matérielles qui sont aussi gouvernées par du symbolique, du fait même que le regard de l’être humain est pétri par la quête de l’altérité. Ce regard de l’être humain est à la fois ancré dans l’être et dans le devenir permanent. Le symbolique est en devenir permanent. C’est un langage animé, vivant. Le besoin de relation de l’homme est intégral, absolu. Un bébé laissé à lui-même meurt, même s’il est nourri par des automates. J’ai besoin de la cellule sanctuarisée de l’autre pour vivre. Que je sois enfant, artiste ou saint. Bref, homme tout simplement. C’est la quête de ma vie : me laisser impressionner par la bienveillance du monde extérieur à moi. Et, cette lumière ayant déposé des traces en moi, en restituer les fruits inouïs, inédits, spécifiques à ce que je suis, ce qui relancera ma relation, le dialogue que j’établis avec le monde, l’enrichira et le fera progresser en humanité. 

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    APPRENDRE À RECONNAÎTRE LE SANCTUAIRE DE L’ÊTRE

    La tâche de l’Écologie Humaine en art et culture est d’apprendre à reconnaître ce sanctuaire de l’être où tant de phénomènes exclusivement humains ont lieu, à le connaître, à le préserver. Permettre à chaque individu désireux de vivre en vérité ce qu’il est au fond de lui-même, cet être de relation bienveillante envers soi-même et le monde.

    Avant d’être une pratique, l’art est une manière d’être, comme être enfant en est une, comme être saint en est une autre, avec des pratiques spécifiques nourrissant ces manières d’êtres.

    La pratique de l’art est d’abord une manière d’être et d’agir avec son espace sacré intérieur dans la relation à l’autre, au monde et à soi. L’Écologie Humaine est ce lieu symbolique de partage d’expériences ou pourra s’apprendre à repérer cet espace en soi & à l’aimer ; à le laisser interagir avec autrui & son environnement. Cette cellule sanctuarisée de l’homme est le cœur où s’agitent les énergies créatrices, la chambre secrète dans laquelle s’inscrivent les représentations, les relations au monde, qui seront restituées, comme traduites, dans la manière d’être au monde de chaque individu : individe, unique, précieux et sacré.

     

    SANDRINE TREUILLARD


    16 juin 2013
    pour L’ECOLOGIE HUMAINE
    rubrique Art & culture

     


    i « La petite cellule qui se souvient est une petite chambre des délices. » Geoffroi de Vinsauf, en 1210 environ in « POETRIA NOVA », « en ces temps où la longue tradition de méditation touchait à sa fin » écrit Mary Carruthers dans son ouvrage « MACHINA MEMORIALIS - MÉDITATION, RHÉTORIQUE ET FABRICATION DES IMAGES AU MOYEN ÂGE »

     

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    Sandrine Treuillard

    Née en 1974 à Orléans. Diplômée des Beaux-Arts de Bourges (1995) puis de Lyon (1999). Formation typographique & pao à l’Imprimerie Nationale (2001). Porte 34 est son lieu de vie et de travail (écriture, photographie & vidéographie), rue Étienne Marey, Paris 20ème de 2002 à 2009.

    Correspondances : 1998-2005 avec l’éditeur & commissaire d’exposition bernois Johannes Gachnang. - 2006-2008 avec l’écrivain Pascal Quignard. - 2002-2004 Assistante de l’artiste vidéaste Joël Bartoloméo. - 2004 Voyage à Naples : Carnet de voyage photos mailé. - 2005 Performance à Marseille, exposition à La Friche La Belle de Mai, avec Les Instants Vidéo. - 2006 Commence ses productions en vidéographie. Les Instants vidéo, Côté Court, Traverse Vidéo et Imagespassages sont les festivals qui diffusent ses travaux. - 2008 : Naissance du blog MACHINA PERCEPTIONIS & nouveau voyage à Naples & en Sicile - 2010-2011, travaille le rapport de la vidéographie avec la musique contemporaine des accordéonistes Stefan Hussong & Teodoro Anzellotti. - Été 2012 : création de l’entreprise GRAPHISMISENPAGE - Création & animation du blog La Vaillante - Paroles de fond & de veille au service de la vie dans la société française_Post 13/01/2013  

  • Comment apprendre à ce que les urbains reposent la question de la campagne ? (Le Temps des Grâces)

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    Michel Corajoud Paysagiste.jpg« Tant que les urbains n’auront pas pris à bras le corps cette question de leurs campagnes, et qu’il n’y aura pas réconciliation de ces deux mondes, il n’y a pas d’espoir. Parce que c’est quanti-tativement les urbains qui peuvent faire pression. Les paysans sont cuits, ils sont dans une seringue de laquelle ils ne peuvent pas sortir. Mais si un jour l’ensemble des urbains questionne la société en disant : «  Eh ! Attention ! Notre grenier on doit le préserver… notre grenier pour manger, mais aussi notre grenier de paysages à conserver… » ça fait du monde, hein ?! Et comment apprendre à ce que les urbains reposent la question de la campagne ? Il n’y a que l’éducation, il n’y a que l’école.

    ZonePylones élect-Paysage.jpgLe fait que ces petites villes rurales gardent ce qui fait encore leurs qualités, c’est qu’elles sont en perspective de leur rivière, elles sont en perspective de leur montagne, leur territoire agricole est encore en vue, la situation n’est pas bouchée comme elle l’est dans les grands centres urbains où vous ne savez plus où vous êtes. Où il y a la Seine qui fait qu’à Paris on a une géographie qui s’impose quand on est au bord de la Seine. Et puis comme beaucoup du système urbain, Paris est orienté par rapport à elle, sa géographie reste très présente, mais… Et puis, on a la butte Montmartre, on a des choses comme ça, on a quelques éléments de géographie, mais… De plus en plus les villes ont tendance à masquer tout ça. Et je pense qu’il y a une sorte de retour nécessaire à faire pour que l’on retrouve cette sorte de simplicité qui est celle de l’attention où l’on est. Qu’est-ce qui vaut la peine d’être conservé ? À L’Isle-d’Abeau, par exemple, à la sortie de l’école les enfants regardent la vue sur le Mont-Blanc. J’ai le sentiment que c’est mieux que quand ils sortent de l’école ils ne voient rien du tout… Parce qu’ils sont dans des haies, dans des systèmes de protection qui font que l’attention n’est portée sur rien. Quand vous êtes à L’Isle-d’Abeau, de savoir que vous participez d’un paysage, d’une vallée, qui est la grande vallée du Rhône, et que vous avez à l’horizon la chaîne de montagnes des Alpes, je ne sais pas si ça vous guérit de tous les malheurs… mais vous restez en intelligence avec le lieu. Et ça, c’est réactionnaire de penser comme ça ? Je ne crois pas, je pense que cette frénésie de vouloir… Aujourd’hui, il y a toute une série de gens qui voudrait faire penser à tout le monde que la modernité c’est le chaos. »

     

    Michel Corajoud
    Paysagiste, Paris

    Extrait du film documentaire de Dominique Marchais
    Le Temps des Grâces, 2009, Capricci

    "Le Temps des Grâces" en VOD - Film de Dominique Marchais - en Streaming et à Télécharger 

    Le Temps des Grâces Présentation sur La Vaillante

    Le Temps des Grâces Retranscriptions sur La Vaillante 

  • Quand on n’a que l’amour et qu’on ne peut pas avoir d’enfant, on est autorisé, aujourd’hui, à en programmer un qui sera arraché à sa mère dès la naissance

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    AC Venot 1 - 18 juin 2015.jpg         Quand on n’a que l’amour et qu’on ne peut pas avoir d’enfant, on est autorisé, aujourd’hui, à en programmer un qui sera arraché à sa mère dès la naissance. Tout se passera bien pour cet enfant, on lui expliquera tout : ton papa et ta maman, ou tes deux mamans, ou tes deux papas, ne pouvaient pas te concevoir. Alors ils ont loué une dame très gentille qui avait des enfants et ils sont  allés te chercher très loin pour te ramener chez eux. Quand on n’a que l’amour… Et puis le petit bébé va grandir, il va demander qui est sa maman, et réaliser qu’il a deux ou trois mamans : mais alors qui est ma vraie maman ?

             Alors j’ai été abandonné ? Alors vous m’avez négocié, fabriqué, trié, acheté ? Pas de problème, dites-vous, quand on a que l’amour, on sait expliquer… c’est moi, ta vraie maman : moi qui avait l’intention de t’avoir ! Oui mais, à qui je ressemble ?  Quand on n’a que l’amour…

             Et puis l’adolescent se fait jour et avec lui le temps des questions tortueuses, le temps des frottements, le temps de la construction de l’identité et des remises en cause : Vous n’êtes pas mes vrais parents, je veux ma maman, j’irai la chercher. Quelles sont mes origines ? Je déteste me voir dans la glace, je ne sais pas à qui je ressemble, je me sens mal, pourquoi ? Quelle est cette colère sourde qui gronde en moi sans s’apaise… ? Quand on n’a que l’amour… Mais nous t’avons élevé, nous t’aimons, pourquoi ne vas-tu pas bien mon chéri ? Tu as été choisi parmi les meilleurs, pourquoi n’es-tu pas heureux ? Ah oui, entre la case assurance handicap et le choix de la couleur des yeux, cette case n’était pas prévue dans le contrat de GPA.

    MaternitéMarchandisée 18:06:2015.jpg         À tous ceux qui parlent de la Gestation Pour Autrui, de ce bonheur d’être né et abandonné par sa mère, à tous ceux-là, il est temps de dire que nous, les adoptés, nous avons une vraie expérience de la situation. Laissez-nous vous dire que nous portons pour toute notre vie cette blessure d’abandon. Nos parents adoptifs nous ont donné une vraie chance de bien redémarrer et c’est un sacré défi pour tous. Comment derrière vos prétoires, Messieurs les juges, comment assis sur vos bancs, Messieurs les Députés, pouvez-vous ne pas réaliser qu’un enfant n’est pas une chose, qu’il a des sentiments et un ressenti de ce qui lui arrive, même tout petit ? Comment pouvez-vous ignorer que nous avons une peur panique de l’abandon et que nous n’aimons pas le changement ? Pourquoi ne pas vouloir entendre que nous sommes marqués par cet arrachement de départ ?

             Mais, nous les adoptés, savons aussi que nos parents adoptifs ne sont pour rien dans ce qui nous est arrivé. Nos parents adoptifs ne nous ont pas soumis à cette blessure. Ils se sont employés à la guérir. Au contraire, ces petits sans voix, nés d’une GPA et arrachés à leur mère, comment pourront-ils exprimer plus tard leur souffrance et leur mal-être, auprès de parents qui ont programmé l’abandon de leur propre enfant ? Nous, enfants adoptés, n’avons pas ce conflit de loyauté qui sera le leur, et leur interdira de dire leur souffrance, allant même jusqu’à les priver de mots pour la penser et se la dire à eux-mêmes.

    AC Venot 2 - 18 juin 2015.jpg         Réalisez-vous sérieusement que ces filles arrachées à la naissance à leur mère deviendront un jour elles-mêmes ”maman”. Mais le pourront elles seulement, tant leur petite mémoire leur rappellera la souffrance de leur départ dans la vie ? Comment vous faire comprendre cette évidence : nous les enfants nous ne voulons pas être créés pour être abandonnés. Quand on a que l’amour… on n’arrache pas un enfant à sa mère.  

    Anne-Claude Venot 
    Présidente de l’Agence Européenne des Adoptés

    Discours du 18 juin 2015 devant le Palais de Justice de Paris
    repris de Atlantico.

    Photos : Chяistophe † =


     

     

  • GPA-PMA : Un libéralisme effréné a transformé toute personne en marchandise soumise à la loi de l’offre et de la demande

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    JP Delaume Myard 30 mai 2015Vincennes.jpg

    Le 30 mai 2015, Ludovine de La Rochère & Jean-Pier Delaume-Myard
    étaient les invités des AFC du Val-de-Marne,
    dans le cadre du Tour de France pour la Famille de LMPT.
     

     Après le rappel de ce qu'est la GPA, 
    voici l'intervention de Jean-Pier Delaume-Myard :

     

             Mes cher(es) ami(es), merci de m’accueillir, aujourd’hui, parmi vous.

             La question de savoir si la loi Taubira prenait en compte les droits de l’enfant a été cruciale dès mes premières interventions. Elle a été, aussi et bien sûr, le fondement de l’immense mobilisation contre le mariage de personnes de même sexe.

             Pourtant, des centaines et des centaines de milliers de personnes dans la rue ont été méprisées, une pétition de 700 000 signatures déposée au CESE a été balayée d’un revers de main, des débats ont été bâclés et orientés. Nous avons connu également un vote à main levée au petit matin au Sénat, une deuxième lecture sans débat à l’Assemblée Nationale, et tout cela, paraît-il, au nom de la démocratie et afin d’opérer un changement de civilisation dans le pays dits des ”Droits de l’Homme”.

             Depuis la première manifestation fin 2012, La Manif Pour Tous a avancé un certain nombre d’arguments pour s’opposer à la loi Taubira. Ils ont été ignorés par les médias et dénigrés par les partisans du mariage pour tous, au motif que nous mentions ou que nous propagions de fausses informations.

             Si je me suis engagé contre la loi Taubira ouvrant le mariage pour personnes de même sexe, c’est que cette loi est en réalité la porte ouverte à la GPA et à la PMA. La preuve nous a été apportée dès le 25 janvier 2013, par l’envoi de la Garde des Sceaux de la navrante « circulaire Taubira » demandant aux juridictions de délivrer « des certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger d’un père français et d’une mère porteuse et ce, avec « application immédiate » ».

             Il est à noter que cette circulaire est envoyée, à la surprise générale, au moment même où le gouvernement annonce la saisine du Comité consultatif National d’Éthique, dont, entre parenthèse, nous attendons toujours la réponse.

             Revenons un instant sur cette circulaire. Que dit-elle exactement ? La circulaire recommande « lorsqu’il apparaît avec suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui », de « veiller à ce qu’il soit fait droit » à de telles demandes. Cette circulaire est la preuve, depuis le début, du double langage du gouvernement. Alors qu’il jure qu’il ne saurait être question d’accepter la GPA, c’est tout l’inverse dans les faits. C’est en réalité une légalisation de la gestation par et pour autrui.

             C’est aussi et surtout une immense hypocrisie de la part du gouvernement français qui préfère pour ses citoyens la pratique de la GPA en dehors du territoire français.

             Ce ne sont plus seulement les droits de l’enfant que l’on viole, mais aussi ceux de la personne humaine. La GPA n’est pas plus ni moins que la légalisation d’une prostitution étatisée, une nationalisation organisée du corps de la femme.

     

    AFF TDF Vincennes et AFC.jpg   Mais au fait, pourquoi nous à La Manif Pour Tous s’obstine-t-on à parler de GPA ? En promulguant la loi Taubira, le mariage pour tous inclut de facto l’adoption, la GPA et la PMA, car c’est tout ou rien : qui dit mariage dit tout cela, car la finalité du mariage est la fondation d’une famille, il en est le cadre institutionnel.

             On sait bien que les enfants adoptables sont rares et que les couples de même sexe auront beaucoup de mal à en adopter. De fait, environ 25 000 couples hétérosexuels ont un agrément pour seulement 2 000 enfants à adopter. Autre complication induite par la promulgation de la loi Taubira : un certain nombre de pays ont fermé l’adoption aux pays ayant voté une loi sur l’homoparentalité. Le nombre d'adoptions a été de moins de 1 000 en 2014, soit la moitié des adoptions il y a encore trois ans. De plus en plus de pays ont arrêté de collaborer avec la France. Certains, comme Djibouti, n'acceptent plus de candidatures venant de France. D'autres, comme le Congo, ont arrêté net, bloquant ainsi des enfants déjà adoptés, mais pas encore sortis du pays, dans leur orphelinat.
C’est une double catastrophe : d'une part, les enfants sont de plus en plus nombreux dans les orphelinats, d'autre part, les ressources de ces mêmes orphelinats ont chuté brutalement, puisque c'étaient les adoptants qui les finançaient pour la plus grande part.

             Il n’y a pas que des hommes politiques de gauche qui se disent favorables à l’adoption, il y a aussi des hommes politiques de droite comme le maire de Bordeaux qui, dans une interviewe pour un magazine a déclaré : « Après mûre réflexion, je suis favorable à l’adoption par un couple de même sexe, après qu’on aura vérifié, comme c’est le cas pour les couples hétérosexuels, que les conditions d’épanouissement de l’enfant sont réunies ». En ce qui me concerne, j’ai vérifié mes conditions d’épanouissement pour les prochaines élections présidentielles. Et bien en 2017, j’ai décidé, en tant qu’homosexuel, de ne pas adopter Alain Juppé, puisqu’il s’agit de lui. 

             Ceci étant dit, quelle solution reste-t-il alors pour que les couples de même sexe puissent se prévaloir des mêmes droits que les couples hétérosexuels ? Pour les femmes, c’est la pratique de la PMA, légale notamment en Belgique et en Espagne. 

             Est-ce une pratique qui mérite d’être encouragée et admise en France ? Si tel était le cas, les couples d’hommes qui, pour des raisons physiologiques, ne pourront jamais accéder à la procréation, ne seraient-ils pas fondés à réclamer l’égalité par rapport aux couples de femmes en matière d’enfants ? Dans ce cas de figure, seule la légalisation de la GPA permettrait de satisfaire leurs revendications avec toutes ses conséquences.

             Bien sûr  qu’un couple de même sexe peut apporter autant de bonheur qu’un couple hétérosexuel. Certes et après ? Quels seront les repères pour cet enfant, sa filiation ?  Son non rapport à la mère ou au père ? Il y a aussi les grands parents, ils jouent un rôle considérable dans l’éducation, on l’oublie un peu trop souvent. L’enfant n’a pas à être traité comme un cobaye. Il n’a pas à s'adapter à une dictature « Homo-parentale ».

             Le 4 décembre 2013, la majorité a adopté une loi pénalisant les clients de prostitués. Si la GPA passe au détour de la PMA, est-ce que le fait de se servir du corps d’une femme contre rémunération ne sera-t-il pas considéré comme un acte répréhensible par la loi ? Ce n’est pas seulement moi qui m’interroge ainsi, mais Najat Vallaud Belkacem, alors ministre des droits de la femme quand elle dit devant l’Assemblée nationale :

             « La détresse de l’un ne se soigne pas par l’exploitation de la détresse de l’autre. Elle n’est jamais une justification… Depuis quand notre pays admettrait-il que la liberté aille au-delà de ce qui ne nuit pas à autrui ? Depuis quand privilégierions-nous une souffrance par rapport à une autre ? Depuis quand le corps humain devrait-il être assimilé à un médicament ? Depuis quand se soignerait-on aux dépens d’une autre personne. »

             Pour une fois, vous avez raison Madame la Ministre. Ni la femme, ni l’enfant ne doivent être traités comme une marchandise. Ceci est contraire à la reconnaissance de la dignité inhérente de l’être humain. Traiter une personne comme une marchandise est la caractéristique de  l’esclavage, comme une caractéristique de la prostitution.

    DSCN6296.JPG         En tant qu’homosexuel, depuis le début de mon engagement, je ne me bats pas pour une communauté, je me bats en mon âme et conscience pour que chaque enfant ait un père et une mère.  Je suis avant tout un citoyen, un citoyen engagé, si j’avais été hétérosexuel, je me serais battu tout autant au côté de La Manif Pour Tous : c’est-à-dire du côté de la raison ! Mon engagement n’a rien à voir avec mon orientation sexuelle.

             Si demain en France, la GPA et la PMA passent les grands perdants ne seraient pas vous, ni moi. Les grands perdants seraient malheureusement les enfants eux-mêmes en leurs confisquant leur droit à une légitime filiation. En les privant de leur égalité vis-à-vis des autres enfants reconnus d’un père et  d’une mère. Le gouvernement, à force de vouloir faire des lois et des concessions pour le lobby gay, fait de l’apartheid non seulement vis-à-vis des autres citoyens, mais plus encore vis-à-vis des homosexuels eux-mêmes. Et je dis bien de l’apartheid, c’est-à-dire une politique ultra-minoritaire et communautariste à l’encontre d’une majorité de Français.

             En conclusion, la GPA au nom de qui ? Au nom de quoi ?

             Au nom d’un lobby gay non représentatif des homosexuels.

             Au nom d’une idéologie eugéniste.

             Comment pouvons-nous cautionner, accepter la vente d’enfants et l’exploitation de femmes ? Comment pouvons-nous rester aveugle devant tant de souffrance ? 

             Un libéralisme effréné a transformé toute personne en marchandise soumise à la loi de l’offre et de la demande. On veut nous faire croire que c’est au nom des ”droits de l’homme”, caution morale indiscutable, que la GPA doit être acceptée, au nom de l’intérêt supérieur des enfants et du droit au respect de la vie familiale. 

             Mensonge, dix fois, cent fois, mille fois mensonges. Il est urgent d’abroger la loi Taubira qui permet implicitement cette ignominie. Demandons aussi que soit, sans délai, retirée la circulaire Taubira qui est le mensonge le plus odieux en laissant croire qu’un enfant peut être apatride. Taubira à travers cette circulaire octroie de façon scandaleuse, purement et simplement, un droit à la filiation censitaire.

             Cour Européenne des Droits de l’Homme réveillez-vous ! Avec l’arrêt inique que vous avez rendu le 27 janvier dernier, vous réduisez à néant la liberté des États de refuser la GPA et de ne pas lui reconnaître d’effets juridiques. Plus encore, votre arrêt est une incitation au trafic international d’enfants. 

             Non et non, la GPA est ni altruiste, ni généreuse, ni éthique. Elle n’est en rien démocratique. Toute légalisation représenterait une régression du droit, une extension du domaine de l’aliénation.

             Les violeurs d’âme et d’intégrité, par billets de banque ou par cartes bancaires occultent les circonstances d’une naissance obtenue par le manquement le plus élémentaire des droits fondamentaux des mères et des enfants. 

             Outre être des violeurs et des voleurs, ceux qui font appels à la GPA sont aussi le plus souvent de futurs assassins. Les cliniques indiennes réduisent les frais de soins de la mère porteuse entraînant, ainsi, un taux élevé de mortalité maternelle. Telle est la réalité de la GPA dont on demande la libéralisation au nom des droits de l’homme, et qui, aux dires de certains, serait un progrès pour l’humanité. 

             On regrette l’époque où la gauche prônait la lutte des classes, se battait contre l’exploitation de la femme, car il n’y a pas plus pauvre et pas plus en détresse qu’une femme que l’on réduit à l’état de poule pondeuse. Aujourd’hui, cette gauche bien pensante proclame de façon arbitraire le droit à l’enfant, « si je veux et quand je veux », comme un bien de consommation, c’est inacceptable et irresponsable ! 

             En laissant entrer odieusement sur notre territoire des vendeurs d’enfants, on confisque leur droit à une légitime filiation, on les prive de leur égalité vis-à-vis des autres enfants reconnus d’un père et d’une mère.

             Certains hommes politiques  - et pas des moindres -, se refusent de dire si oui ou non ils reviendront sur la loi Taubira, certains hommes politiques - et pas des moindres -, disent clairement que s’ils reviennent au pouvoir, ils seront contre l’abrogation du mariage pour tous. 

             Je voudrais clairement et explicitement leur dire, voir leur expliquez que s’ils n’abrogent pas cette loi, ils légaliseront de fait la polygamie, car comme dirait Lapalisse, deux hommes entre eux ou deux femmes entre elles, ne peuvent pas avoir d’enfant et qu’il faut bien une troisième personne : la mère ou le père génétique. Messieurs et mesdames les politiques, et je sais qu’il y en a dans cette salle, osez dire non à cette loi, ne légalisez pas, en plus de la marchandisation de la femme et de l’enfant, le triolisme. 

             Osez dire non à un lobby qui vous manipule, n’en soyez pas les marionnettes. Prenez garde aux aveugles, ils jalousent la lumière ! 

             En tant qu’homosexuel, je refuse que mon orientation sexuelle devienne l’expression d’une loi imposée à tous ; je refuse d’être la caution d’une loi qui tôt au tard va tuer purement et simplement la Famille. 

             Le désir d'enfants, et je le sais, est une réalité sincère, mais nous homosexuels, nous sommes des personnes responsables, nous n’avons pas à demanderà la société d’organiser légalement des vols d’enfants, des viols de femmes pour transformer cette réalité-là 

             Non le ventre des femmes n’est en rien comparable avec les bras d’un ouvrier. Non le ventre des femmes n’est pas à louer. Non le ventre des femmes n’est pas un distributeur d’enfants pour bobo gay en mal d’affection.

             La GPA pas en notre nom, pas en mon nom !

             Je vous remercie.

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     Jean-Pier Delaume-Myard
    Porte-parole de La Manif Pour Tous

     

     

    Photographies : ©Chantal Desmoulins-Lebeault, AFC Val-de-Marne, LMPT

     

  • Saint Martin, perle des prêtres

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    LE  PLEXUS  SOLAIRE  &  LE  CŒUR 

    Buste-reliquaire St Martin.jpg         La petite boîte en verre enchâssée dans le buste-reliquaire se situe sous la croix pectorale de l’Évêque de Tours, à l’endroit même du plexus solaire[1].

             La poitrine est le siège du cœur et ce dernier rassemble toute la personne en son symbole. La croix pectorale du Christ est ici placée pour être au plus près du cœur de celui qui la porte.

             Le plexus solaire est, lui, situé au centre du diaphragme. Si nous posons notre poing sous les seins à ce niveau de l’estomac, dans ce creux entre la pointe du sternum & le nombril, nous trouvons cette zone qui est un centre nerveux, émotionnel et énergétique très actif et non moins précieux que le cœur. Le plexus solaire participe même de son rayonnement.

             Quand le Christ a subi la crucifixion, sa cage thoracique était compressée de par l’étendue des bras en croix. Le diaphragme et la respiration oppressés, le rythme cardiaque ralenti, l’apport en oxygène dans le sang est raréfié. Lors du martyre de la crucifixion, le plexus solaire est lui-même esquinté : comme les cinq branches d’une étoile tiraillées. Le plexus solaire rassemble en son bulbe un réseau de nerfs intriqués parvenus à lui en rayons d’autres régions du corps. La symbolique du Cœur de Jésus au centre de la poitrine concentre ces deux aspects : du cœur, situé à gauche dans la poitrine ; et du plexus solaire, situé au niveau du diaphragme, sous la poitrine, au centre.

             Sang et respiration. Souffle et pulsation. Sentiments et émotions.

             Quand un saint est représenté sous la forme d’un buste-reliquaire il nous est rappelé que ce saint eut un lien de communion avec le Christ, à ses souffrances, à sa joie et à sa Charité. La relique que renferme la petite boîte en verre du plexus solaire n’est autre que cette Charité. Ce qu’il y a de plus précieux est ici conservé, protégé dans une boîte en verre, et bien souvent objet, fragment difficile à distinguer. Car la Charité est impalpable et invisible. Que ce petit réceptacle en verre fut vide serait plus représentatif du trésor qu’il étreint. La Charité se sent mais ne se perçoit pas comme un objet visible.

             Ce buste-reliquaire de saint Martin n’exhale-t-il pas la charité pure ? La bonté ne se lit-elle pas dans les traits de son visage ? Le rouge de sa chape ne nous transmet-il pas la chaleur de ce qui l’habite ?


    EcceHomo St Martin d'Aubigny:Nère(18).jpg         
    Comme nous l’avons vu dans un précédent écrit[2], saint Martin a communié à la charité du Christ. Il eut la grâce de vivre de sa Passion en voyant en songe l’Ecce Homo lui apparaître, recouvert de la moitié de sa cape romaine qu’il avait cédée la veille à un misérable, à une porte de la ville d’Amiens. La compassion de saint Martin pour ce misérable se révèle être, par le songe divin, participation à la Passion du Christ lorsque Pilate présenta l’Ecce Homo (« voici l’homme ») aux Juifs après l’avoir fait flagellé. Ecce Homo humilié et outragé par les soldats qui le vêtir de la couleur pourpre du Roi et enfoncèrent la couronne d’épines sur son crâne, lui imposant un roseau à maintenir pour sceptre.

             Le buste-reliquaire de l’Évêque de Tours renferme le précieux trésor de la Charité du Christ que Dieu lui partagea, à laquelle Martin eut le privilège de communier avant de se faire chrétien.

             Le plexus solaire est le siège où converge cette énergie d’amour, zone dans laquelle elle circule et d’où elle rayonne.

     

    SAINT MARTIN   PERLE DES PRÊTRES

    St Martin Perle des Prêtres.jpg         Dans le chœur de la Basilique Saint-Martin de Tours, je vis une bannière ancienne sur laquelle était brodée cette affirmation : Saint Martin perle des prêtres. Le bas-relief sculpté dans le bois de l'autel représente ce qui est dessiné ci-contre. 

             Laissons Sulpice Sévère, son biographe, disciple et témoin direct, nous relater cette scène :

    «  (…) ce jour-là, se produisit un fait merveilleux que je vais raconter. Comme l’évêque, suivant le rite, bénissait l’autel, nous avons vu jaillir de sa tête un globe de feu, qui s’éleva dans les airs avec un rayonnement lumineux comme une très longue chevelure de flammes. Cela, nous l’avons vu un jour de grande affluence, au milieu d’une grande multitude de peuple ; et cependant, les seules personnes qui l’aient vu, c’est une des vierges, un des prêtres, trois seulement parmi les moines. Pourquoi tous les autres ne l’ont-ils pas vu ? De cela, nous ne saurions être juges. » 

             Ce qui me frappe, c’est la correspondance des formes entre le cercle plein de la grande eucharistie présentée lors de l’élévation à l’offertoire ; le cercle de ce globe de feu flamboyant au-dessus de sa tête ; et la sensation globulaire de la zone du plexus solaire. Ces trois manifestations sont de l’ordre du rayonnement solaire. Il y a aussi une nette correspondance entre ces trois formes et cette caractérisation de perle (des prêtres), puisque la perle est aussi sphérique que le globe. Et accolée au nom de prêtres cette sphère minuscule atteint la taille du globe de feu, au-dessus de sa tête, ou de la sainte eucharistie qu’il élèvera et que nous adorerons un instant en silence.

             La prière eucharistique commence par ce dialogue entre le prêtre qui célèbre la messe et l’assemblée :

    -       Le Seigneur soit avec vous.
    -       Et avec votre esprit.
    -       Élevons notre cœur.
    -       Nous le tournons vers le Seigneur.
    -       Rendons grâce au Seigneur notre Dieu
    -       Cela est juste et bon.
       

             Le prêtre prononce ces paroles en les accompagnant de gestes. Écartant les bras en un geste d’accueil et de partage : le Seigneur soit avec vous. Tendant les mains en coupelle vers le haut : élevons notre cœur. Par cette élévation du cœur nous nous tournons vers le Père du Ciel, nous disposant ainsi à la prière. Il s’agit d’une orientation de tout l’être vers Dieu (« Examinons notre voix, scrutons-la, et revenons au Seigneur, élevons notre cœur et nos mains vers Dieu qui est au Ciel. » Lm 3, 40-41). Ce mouvement du cœur vers les réalités célestes mimée par le prêtre préfigure l’élévation de l’eucharistie qui suivra, quand le prêtre présentera l’Hostie consacrée à l’assemblée, tendue devant lui et vers le haut, entre le pouce et l'index de la main droite, au-dessus du Sang dans le calice qu'il tient de la main gauche.

    17Depuis l'autel Christ.jpg         Le rituel de la messe met en scène la circulation de l’amour entre Dieu et les hommes, le prêtre représentant à la fois la personne du Christ et la personne de l’Église que forment les membres de l’assemblée de tous les croyants d’ici et du monde entier. Qu’il s’agisse de notre cœur que nous élevons ou de l’Hostie consacrée que présente le prêtre à l’assemblée, l’un symbolise l’amour humain pour Dieu ; l’autre montre la Présence réelle de l’amour de Dieu pour les hommes, dans ce rappel du Sacrifice saint de son Fils Unique Jésus Christ, qu’est l’Eucharistie. 

             Et quand, sur l’autel, nous exposons l’Hostie sainte sertie dans l’ostensoir, souvent sont figurés par l’orfèvre des rayons qui émanent du Saint Sacrement manifestant ainsi le rayonnement de l’amour de Dieu auquel il veut nous faire communier, auquel il nous attire par cette admirable dévotion qu’est l’adoration eucharistique.

     

    L’ADORATION SAINT MARTIN

    ARIm 1.jpg         Suite à la visite de l’église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18) dont témoigne la vidéo-diaporama, enveloppé dans le chant Vivre d’amour de Thérèse de Lisieux (interprété a capella par la Chorale des Guides & Scouts d’Europe), apparaît, se détachant de la pierre au-dessus du portail (à 14'50"), le projet d’un groupe de prière pour les églises de campagne que j’ai nommé Adoration Saint-Martin.

     

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    Foyer d’amour eucharistique
    l’Adoration Saint Martin
    au cœur de nos campagnes.

    À la suite de l’Apôtre de la Gaule
    l’Adoration Saint Martin
    est une fraternité d’adorateurs.

    Pour faire jaillir cette sublime prière
    au cœur des églises de campagne
    l’
    Adoration Saint Martin
    présente un enseignement
    suivi de la célébration eucharistique.

    Le temps d’Adoration
    découle de la Messe.
     

    C’est l’Apôtre qui a posé sa tête
    sur la poitrine du Seigneur
    et boit à la source
    de son Sacré Cœur.


    Foyer d'am Euch Ado St Martin Portail .jpg         L’enseignement peut avoir lieu après la messe, sous la forme d’une méditation lue, afin d’engager les adorateurs dans la prière. Puis, laisser l’Esprit saint œuvrer dans les cœurs, en silence. L’adoration en tant que telle doit se passer dans la prière silencieuse.

             Comme premières méditations lues je propose les deux sous-titres de cet article Le plexus solaire & le cœur et Saint Martin perle des prêtres et, en premier, La compassion de saint Martin de Tours pour la France. Dans la page Adoration Saint Martin d’autres articles viendront enrichir le corpus des textes de méditation. La figure de saint Martin de Tours étant un modèle de sainteté à explorer comme homme, prêtre et évêque, à redécouvrir pour notre époque où l’évangélisation des campagnes est en jeu afin de restaurer le cœur abîmé des hommes et redonner sa vigueur à la foi chrétienne de notre pays.

     

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    Retrouvez cet article sur la page enrichie Adoration Saint Martin
    & sur la page enrichie La France & le Sacré Cœur

    Toutes les photos & dessins : © Sandrine Treuillard
    Buste-reliquaire & arrêts sur image vidéo : église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18)
    Ecce Homo : église Saint-Martin d'Aubigny/Nère (18)
     
     
     
     


    [1] Cet emplacement de la relique est remarquable dans d’autres bustes de ce type. J’en ai vu à Naples, au couvent des Clarisses, devenu un musée, lors de mon voyage en 2008. Comme celui de sainte Claire, datant du XVIIème. 

    Reliquaire Ste Claire Plexus.jpg

    [2]La compassion de Saint Martin de Tours pour la France : http://lavaillante.hautetfort.com/archive/2015/02/07/la-compassion-de-saint-martin-de-tours-pour-la-france5554222.html

     

  • Que veut dire une église à l'intérieur de notre cité ? Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18)

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     6VueGénéraleInté6.jpg 

    « À la vue d'un clocher, vous pouvez dire : - Qu'est-ce qu'il y a là ? - Le Corps de Notre-Seigneur. - Pourquoi y est-il ? - Parce qu'un prêtre est passé là et a dit la sainte messe. » Pensée du saint Curé d'Ars

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    D'abord désigné Évêque de Tours,
    saint Martin, perle des prêtres
    eut d'abord pitié
    des pauvres
    de nos campagnes

     

     

     

     

     

     

     

     

    Buste-reliquaire de saint Martin de Tours,
    don de l'archevêque de Bourges,
    Mgr Armand Maillard




    Vidéo-diaporama : le sens (de la visite) de l'église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18)


    « Qu'on le sache bien
     : un siècle grandit ou décroît en raison de son culte pour la divine Eucharistie. 
    » Saint Pierre-Julien Eymard, Fondateur des Pères du Saint Sacrement (sss Société du Saint Sacrement)
     

    20GénéraleChapelleSCJésusCroix20.jpg

    Le Sacré Cœur correspond au pilier central

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         « Voilà ce qui devrait nous inquiéter : non pas faire en sorte qu’on évite de raser nos églises, mais faire en sorte que pour aujourd’hui et pour demain, nos contemporains soient encore capables de comprendre ce qu’est une église, nos contemporains soient encore capables de comprendre ce que signifie pour eux la place de cette église à l’intérieur de chacune de nos villes et de chacun de nos villages. De fait, ne nous y méprenons pas, nous enfermer dans le lexique de la défense des valeurs, c’est le plus sûr moyen de perdre les unes après les autres toutes les batailles que nous rencontrerons. Reprenons cet exemple tout simple qui est celui du patrimoine sacré à l’intérieur de nos villes. Nous pouvons nous engager pour défendre les murs de nos églises et nous avons raison de le faire, et il va falloir le faire car l’un des grands défis que nous allons rencontrer dans les années à venir sera précisément celui d’éviter que notre patrimoine et notre patrimoine sacré ne soit progressivement ou rasé ou reconverti dans une utilisation qui ne correspond pas à son essence propre et à l’intention de nos aïeux qui ont construit ces églises à l’intérieur de chacune de nos villes. Nous devons nous engager pour défendre ce patrimoine. Mais si nous nous engageons simplement comme chrétiens pour dire « Ne touche pas à mon église » comme d’autres ont dit « Touche pas à mon pote », si nous nous engageons simplement pour dire « Ceci est notre héritage, n’y touchez pas, nous le défendrons jusqu’au bout parce que nous ne voulons pas qu’on touche à notre famille », alors dans ce cas-là nous sommes sûrs de perdre les batailles les unes après les autres et nous sommes certains que nos églises finiront par s’écrouler quel que soit le nombre de pétitions que nous aurons signées, de manifestations que nous aurons organisées, d’occupations que nous aurons mises en scène.

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         Ce qui compte le plus profondément bien sûr, c’est que nous défendions ce patrimoine, mais aussi et surtout que nous fassions en sorte que nos contemporains puissent retrouver le sens de ces églises, pour que nos contemporains puissent entendre à nouveau ce qu’elles veulent dire à l’intérieur de nos villes. Et ceci, précisément, ce n’est pas d’une logique de défense de nos valeurs, de préservation de notre propre famille, de nos intérêts, de notre lobby qu’il s’agit, c’est d’une tentative de conversion collective qu’il s’agit. Voilà ce que nous avons à vivre et à faire vivre. Et la première conversion qu’il s’agit de vivre c’est la nôtre. Croyons-nous encore que nos églises ont quelque chose à dire au temps présent ? Croyons-nous encore que chacune de nos chapelles, que chacune de nos cathédrales qui sont, comme le disait un poète – mais je ne me rappelle plus lequel, pardonnez-moi – qui sont comme des doigts levés vers le ciel dans chacune de nos villes, croyons-nous encore qu’un de ces doigts levés vers le ciel aient quelque chose à dire au temps présent et aux générations qui viennent ?

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         Nous pouvons, je crois, être profondément inquiets, et je le suis comme certains d’entre vous bien sûr, comme tous certainement, lorsque je vois justement tant de nos contemporains, et tant de jeunes en particulier, passer devant nos églises, passer devant nos calvaires, sans rien comprendre de ce qu’ils veulent dire. Comme le dit la magnifique affirmation de Saint-Exupéry dans Citadelle : « Je me sens lourd de secrets inutiles, je me sens lourd de trésors inutiles comme d’une musique qui jamais plus ne sera comprise. » Parfois j’ai le sentiment, comme vous certainement peut-être, que nous avons peut-être déjà perdu la bataille, en tous les cas si nous ne sommes plus capables de faire comprendre à ceux qui sont autour de nous l’actualité de la parole que nous voudrions leur porter. Mais ce désespoir évidemment ne doit pas nous atteindre, il ne doit pas nous empêcher d’agir, car le seul véritable péché, nous le savons, c’est le péché contre l’espérance. Et donc il nous reste à prendre au sérieux l’actualité de notre propre héritage.

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         Voilà ce que veut dire ne pas se laisser exclure : prendre au sérieux l’actualité de notre propre héritage, être convaincu que sans lui aucune société ne se fondera. Madame Taubira nous a menti quand elle disait qu’il s’agissait d’un changement de civilisation. Le mariage pour tous n’était pas un changement de civilisation, la déconstruction de notre héritage n’est pas un changement de civilisation, car il n’y a pas de civilisation dans la déconstruction de cet héritage, il n’y a que la dé-civilisation, la dé-culturation, la destruction de toute société.

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         Nous le savons bien encore une fois, les civilisations sont mortelles. Il ne reste donc plus qu’une seule possibilité : prendre au sérieux pour aujourd’hui et pour demain l’actualité de l’héritage que nous avons reçu pour tous ceux qui nous entourent, prendre au sérieux la soif qu’ils ont, même lorsqu’elle n’est pas dite, même lorsqu’elle n’est pas pensée, même lorsqu’elle ne s’exprime que sous la forme de l’agressivité, prendre au sérieux la soif de notre monde et la nécessité de dire à ce monde qui vient le message que nous avons reçu, en mettant sur ce message des mots d’une actualité absolue. Ne plus tenter simplement de nous faire plaisir en répétant les mêmes mots parce que nous avons le sentiment qu’ils nous parlent à l’intérieur de notre petite communauté, mais tenter de réinventer un vocabulaire qui parle à chacun de ceux qui nous entourent pour rejoindre au plus profond de leur cœur leurs aspirations les plus essentielles. Voilà ce que veut dire croire à la vérité de la parole du Christ. Croire à la vérité de la parole du Christ, c’est croire que tout homme a soif de cette parole, parce qu’elle le rejoint dans la vérité de sa personne, parce qu’elle le rejoint dans la vérité de toute aventure humaine.

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy,ichtus,sacré cœur,saint martin,jeanne d'arc,adoration,eucharistie         Notre but donc n’est pas simplement de défendre nos convictions, notre but n’est pas de faire en sorte que nos chapelles ne s’écroulent pas trop vite, de les protéger en érigeant des lignes Maginot qui nous éviteront pour un temps de voir la destruction de ce que nos ancêtres ont construit. Notre but c’est de faire en sorte que nos chapelles parlent à nouveau à tous ceux qui nous entourent, notre but c’est de faire en sorte précisément de redonner à notre société la vie qu’elle attend en redonnant vie à l’héritage que nous avons reçu. »

    François-Xavier Bellamy

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    12 octobre 2014 - « Faut-il défendre ses convictions »  Introduction au Colloque Ichtus  « Catholiques en action 2014 »
    (Extrait de Une civilisation qui a perdu le sens de l’actualité de son héritage ne peut que s’écrouler de l’intérieur)

    Photographies : Arrêts sur image de la vidéo-diaporama de Sandrine Treuillard

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    Détail de la statue de Sainte Solange
    patronne du Berry

  • Une civilisation qui a perdu le sens de l’actualité de son héritage ne peut que s’écrouler de l’intérieur

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                      Quelle immense joie de vous rencontrer, quelle immense joie de vous retrouver si nombreux, et je voudrais remercier encore Bruno de Saint Chamas de son invitation qui me touche beaucoup, j’espère que je serai à la hauteur de cette marque de confiance pour ouvrir ce nouveau colloque Catholiques en action.

             Alors en réfléchissant à la dynamique de cette journée, eh bien nous avons souhaité ouvrir cette réflexion par une question effectivement provocatrice, mais vous verrez que la réponse l’est tout autant sinon plus : Faut-il défendre ses convictions ?

    Capture d’écran 2015-01-05 à 10.11.51.png

             Et pour entretenir cette réflexion je voudrais commencer par deux petites anecdotes qui me viennent de la semaine passée. Première anecdote, débat entre Alain Duhamel et Eric Zemmour sur RTL la semaine dernière. À un moment donné de la réflexion, Eric Zemmour tente de dire à Alain Duhamel que son propos n’est pas juste, que son propos n’est pas vrai. Alors Alain Duhamel presque étonné, stupéfait, se retire un moment – vous pourrez regarder, une personne m’a envoyé la vidéo par mail, c’est à 16 minutes de la vidéo – et Alain Duhamel dit à Eric Zemmour : « Mais enfin voyons, quelle étrange expression ! Vous savez bien qu’il n’y a pas de vérité, il n’y a pas une vérité ! Chacun défend sa vérité ! ». Première anecdote.

             Deuxième anecdote qui m’a été racontée par le Père Matthieu Rougé que vous connaissez peut-être, au moins de réputation, qui a été pendant des années aumônier des parlementaires et curé de la basilique Sainte-Clotilde à Paris, le Père Matthieu Rougé me raconte qu’il intervenait il y a de cela quelques semaines devant un parterre de chefs d’entreprises invités par une organisation, et parmi les participants à la table ronde, dont il était l’un des membres, figurait le directeur de Sciences Po Aix-en-Provence. À la fin de son propos, à la fin de l’intervention du Père Rougé, le directeur de Sciences Po Aix se lève, interrompt la séance et dit : « Je suis en désaccord profond avec les paroles de Monsieur Rougé, parce que Monsieur Rougé parle tout le temps de la vérité. Mais nous savons bien qu’il n’y a pas une vérité, et nous à Sciences Po, nous formons des étudiants qui savent qu’il n’y a pas de vérité, et nous les formons à défendre les apparences de la sincérité sur n’importe quel sujet. » Le Père Rougé me dit que dans la salle il y a eu un instant de silence.

             Je crois qu’il est important de bien comprendre que nous sommes là au cœur du problème fondamental de la société contemporaine : l’idée selon laquelle il n’y a pas une vérité, une vérité qui nous appartiendrait de chercher ensemble, mais une pluralité de familles de pensées, de convictions, qui s’opposent et qui se rencontrent.

             Le sénateur Jean-Pierre Michel ne disait pas autre chose lorsque, dans la vidéo que vous venez de voir à l’instant, il expliquait à Thibaud Collin, lui aussi stupéfait, que la justice n’était qu’une question de rapport de forces. « Pour moi, disait-il, il n’y a pas une justice à rechercher, il n’y a pas une idée du juste qui devrait nous servir de modèle. La justice, c’est ce que dit la loi, et ce que dit la loi c’est le produit d’un rapport de forces à un moment donné. » Le même sénateur Jean-Pierre Michel ne peut pas s’étonner aujourd’hui, et il ne peut surtout pas considérer que les dernières élections sénatoriales ont été injustes, il y a perdu son fauteuil, ce n’est qu’une question de rapport de forces.

    Capture d’écran 2015-01-05 à 10.12.04.png

             Mais je crois que ce qui est très frappant, vous voyez, c’est que la société contemporaine vit le débat démocratique comme l’occasion pour des familles de pensée, pour des familles d’intérêt, de se rencontrer sur le modèle du rapport de forces. Et le grand drame, je crois, et le grand piège – et c’est peut-être celui que je voudrais tenter de mettre au jour avec vous ce matin – le grand drame et le grand piège serait que nous tombions à notre tour dans cette idée. Combien de fois avons-nous entendu dans le grand mouvement social de 2013 : « Nous nous sommes faits avoir, mais maintenant on ne nous y reprendra pas, nous allons nous aussi devenir un lobby parmi d’autres. Nous allons nous aussi devenir un groupe d’intérêt, et nous allons défendre nos valeurs, nous allons réapprendre à défendre nos valeurs. »

             Axel (Norgaard Rokvam, fondateur des Veilleurs) vient de dire avec l’éloquence qui le caractérise : « Nous passons d’une logique de l’enfouissement, du silence et de la crainte à une logique de l’affirmation, de la proclamation, à une logique précisément dans laquelle nous voudrions à nouveau exprimer ce qui nous tient le plus à cœur et ce qui nous est le plus cher. » Et les Veilleurs ont été l’un des moments, je crois, les plus marquants de cette expression nouvelle de notre désir de communiquer à tous la vérité que nous avons reçue.

             Mais précisément ce qui est en jeu, c’est que nous nous mettions au service de la vérité, et non pas que nous croyions défendre à notre tour, comme d’autres groupes sociaux parmi d’autres, des convictions ou des valeurs ou des intérêts qui nous sont propres. On veut nous faire tomber dans ce piège. Et on voudrait que les chrétiens soient une force de conviction parmi d’autres, qu’ils soient une famille de pensée parmi d’autres. Aujourd’hui ils sont en minorité, on s’attachera à ce qu’ils le soient toujours, mais surtout le plus important d’entre tout, c’est qu’ils continuent de se regarder eux-mêmes comme étant un groupe de pression isolé. De fait ce qui insupporte le monde dans les valeurs que nous défendons, ce qui insupporte le monde dans les convictions que nous portons, ça n’est pas que nous ayons des valeurs ou des convictions, mais c’est que nous pensions qu’elles sont universelles et qu’elles valent pour tout homme.

             On nous a fait là encore, souvenez-vous, dans le grand mouvement de 2013, on nous a fait cette objection étonnée et paradoxalement indignée : « Qu’est-ce que vous venez faire dans cette histoire, vous les catholiques ? Qu’est-ce que vous venez faire là-dedans ? De toute façon vous n’avez rien à perdre dans le mariage homosexuel. Il suffit que vous continuiez à vous marier entre hommes et femmes, vous n’avez rien à perdre. Laissez simplement à d’autres le soin de se marier comme ils veulent, mais vous n’avez rien à perdre dans cette question. » Eh bien d’une certaine façon, c’est vrai. Comme famille de pensée, comme famille spirituelle, nous n’avions probablement pas grand-chose à perdre, et nous aurions pu nous contenter de dire que nous pouvions vivre nos valeurs entre nous.

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             Mais voilà, nous pensons que la définition du mariage que nous avons reçue en héritage, cette définition du mariage n’est pas simplement la nôtre. Ça n’est pas simplement celle que nous préférons, celle qui apporte le plus à notre communauté, propre à notre communauté singulière. Nous pensons que cette définition du mariage est universellement bonne pour l’homme et pour la société. Et c’est pour cela que nous nous sommes engagés. C’est pour cela que nous sommes sortis de chez nous pour aller dire à notre temps que le mariage ne peut pas devenir l’union de deux hommes ou de deux femmes sans perdre sa signification profonde, sans perdre ce qui fait de lui qu’il est un pilier fondamental de la vie de la cité.

             Nous ne défendons pas nos propres convictions pour nous-mêmes, nous ne défendons pas nos propres valeurs. Et, encore une fois, on voudrait nous enfermer dans ce lexique, et ce lexique est le plus relativiste qui soit. Nous ne sommes pas là pour défendre nos convictions, nous sommes là pour servir le bien de la société, et c’est au nom du bien de la société que nous affirmons ce que nous avons à dire et que nous continuerons de le dire envers et contre tout. Et je crois que l’attitude change en profondeur si nous sommes convaincus que ce qui est en jeu ce n’est pas la préservation de nos propres valeurs, mais ce qui est en jeu c’est le bien de la société dans son ensemble.

             Arrêtons-nous un instant sur ce tout petit mot qui concentre à lui-seul, je crois, l’essentiel du piège ; ce tout petit mot que nous chérissons par bien des aspects, et qui pourtant est en réalité un drame intellectuel : ce petit mot de valeur. Il est bon d’avoir des valeurs, croyons-nous, et de  défendre ses valeurs, il est bon de promouvoir ses valeurs. En réalité, vous voyez, je crois profondément que le mot de valeur est le terme le plus relativiste qui soit. Il est normal que chacun ait des valeurs. Les valeurs sont relatives, contrairement à la vérité. Que la vérité soit relative, c’est là quelque chose qui ne peut pas être fondé en raison, qui ne peut même pas être pensé un seul instant. Affirmer qu’il n’y a pas de vérité, que chacun est sa vérité, ce n’est pas le début d’une nouvelle forme de pensée, c’est la fin de toute pensée. Car s’il n’y a pas de vérité, alors à quoi bon tenter de penser le monde ! À quoi bon tenter d’ajuster notre esprit à la réalité qui est présente devant nous, à quoi bon d’ailleurs en parler ensemble ? J’y reviendrai.

             Affirmer, donc, qu’il n’y a pas de vérité, que chacun a sa vérité, c’est là une chose absurde. Mais affirmer que chacun a ses valeurs propres, c’est là tout à fait normal et naturel. Si je devais vous montrer une photo de la maison où j’ai grandi, où j’ai tous mes souvenirs d’enfance, cette photo aurait probablement beaucoup de valeur pour moi, et elle n’en aurait certainement aucune pour vous. Toute la difficulté d’ailleurs de l’assurance vient de la question de savoir comment assurer, précisément, ce qui a une valeur non marchande, ce qui a une valeur tout à fait relative, une valeur très personnelle, une valeur affective. Et nous savons bien que lorsque notre maison brûle nous perdons dans un incendie bien des choses qui avaient beaucoup de valeur, mais qu’on ne nous remboursera jamais.

             Que les valeurs soient personnelles, que les valeurs soient relatives à des groupes humains, à des individualités, que les valeurs dépendent de notre histoire, de notre mémoire, de notre sensibilité, c’est là tout à fait normal et naturel. Mais le christianisme ne fait pas partie de nos valeurs. Et nous n’adhérons pas à la foi chrétienne parce que cela rentre dans nos valeurs. Nous n’adhérons d’ailleurs pas à la foi chrétienne pour les valeurs qu’elle défend. Nous ne défendons pas le christianisme dans le monde parce que nous voulons défendre ces valeurs. Ce serait une absurdité, ce serait précisément considérer que le christianisme est une affaire de valeurs, c’est-à-dire une affaire relative. D’une certaine façon, le lexique de la défense des valeurs marque l’abdication de notre propre intelligence devant le relativisme contemporain. Comme si nous aussi nous rentrions dans cette logique relativiste, comme si nous nous considérions comme une famille de pensée parmi d’autres, comme un lobby parmi d’autres, comme une famille spirituelle parmi d’autres. Nous ne sommes pas une famille de pensée parmi d’autres. Nous ne sommes pas un lobby, nous ne sommes pas un lobby comme les autres. Nous ne défendons pas le christianisme parce qu’il s’agit de nos valeurs et que nous tenons à nos valeurs, non. Il n’y a qu’une seule bonne raison d’adhérer au christianisme, une et une seule. Il n’y a qu’une seule bonne raison de croire au Christ, et cette seule raison, c’est la certitude que le christianisme dit la vérité. Le christianisme dit la vérité, et c’est la seule raison que nous avons de croire au Christ. Aucune autre raison ne peut compter. Ça n’est pas une question de sensibilité, ça n’est pas une question d’attachement personnel, ça n’est pas une question de valeur précisément. Bien-sûr, ensuite, la parole du Christ entre dans notre vie et parce qu’elle entre dans notre vie elle la transforme, elle la bouleverse, elle nous transforme, et elle nous pousse à transformer le monde autour de nous. Et lorsqu’elle rentre dans notre histoire, la parole du Christ marque notre propre vie et alors elle rentre aussi dans notre sensibilité, elle rentre aussi dans nos émotions, dans nos sentiments, dans nos affections. Et alors elle prend une immense valeur pour nous. Mais ce n’est pas d’abord la raison que nous avons de croire au Christ. L’adhésion au christianisme n’est pas une affaire de valeurs, c’est une affaire de vérité.

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            Vous voyez, j’ai été très surpris, dans le débat sur le mariage pour tous, de rencontrer très souvent des catholiques, des jeunes, mais pas seulement des jeunes, de rencontrer parfois même des adultes catholiques, qui venaient me voir en me disant : « Venez nous expliquer un peu ce que c’est que le mariage et la famille, venez nous donner de bonnes raisons de défendre nos convictions. Donnez-nous de bonnes raisons de défendre le mariage, de défendre la famille. » Je comprends en même temps que nous ayons besoin de prendre des moments comme celui que nous allons prendre aujourd’hui pour cultiver ensemble les raisons que nous avons d’adhérer à ce à quoi nous croyons. Mais reconnaissons qu’il y a une grande fragilité dans cette adhésion qui ne connaît même pas les raisons qu’elle a d’adhérer à ce qu’elle voudrait défendre. Nous ne défendons pas, encore une fois, le mariage par tradition, nous ne défendons pas le mariage par habitude, par conformisme social ! Nous ne défendons pas notre héritage parce que c’est celui de notre famille ! Mais nous devons défendre cet héritage pour son actualité, nous devons le défendre par la certitude intérieure, la certitude rationnelle que nous avons de proposer à la société l’accomplissement de l’homme à l’intérieur de la cité.

             Et voilà précisément ce qui fait la parole du chrétien et ce qui fait que la parole du chrétien dérange dans le monde d’aujourd’hui. Nous ne devons pas nous résigner à être une famille de pensée parmi d’autres. Nous défendons une parole, qui n’est pas d’ailleurs la nôtre, nous défendons une parole qui nous dépasse de très loin, et cette parole précisément vaut pour chaque homme. Et c’est précisément pour cela que nous continuerons à la répéter envers et contre tout.

             Je voudrais pointer deux dangers. Deux dangers qui viennent de ce risque de la disparition intérieure de la certitude que nous pouvons avoir de l’universalisme de nos propres convictions, ou en tous les cas, de cette parole que nous avons à  défendre.

    Le premier danger c’est le risque de l’enfermement. De fait, ce dont rêve le monde, c’est de nous enfermer à l’intérieur de notre propre ghetto : « Vous êtes catholique, vous êtes bien sympathique, on aime vous regarder dans Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? ou dans La vie est un long fleuve tranquille, ça nous amuse beaucoup, mais restez là où vous êtes, restez dans votre propre petite famille, restez dans votre zoo, restez comme des animaux de conservation qu’on regarde comme les restes d’une histoire passée. Alors nous vous aimerons, alors nous vous respecterons. Mais surtout ne venez plus faire incursion dans les débats de société, et surtout ne prétendez pas défendre des convictions qui vaudraient de façon universelle. » C’est là ce que nous entendons très souvent, d’ailleursn dans les propos qui se veulent rassurants de certains de nos ministres. Vous avez peut-être lu comme moi l’interview de Manuel Valls dans la Croix à propos de la gestation pour autrui. Et Manuel Valls disait : « Oui, peut-être sur le mariage nous avons été un peu violents, je le reconnais. Il faut savoir écouter tout le monde, il faut savoir écouter les convictions d’où qu’elles viennent, même lorsqu’elles viennent de certaines familles spirituelles. Nous voulons bien vous écouter, nous voulons bien que vous preniez part à la discussion, mais surtout ne venez pas trop nous déranger. Ce que vous dites vaut pour votre famille spirituelle et seulement pour vous. Ce que vous dites vaut comme le signe d’une tradition qui se conserve et que nous voulons bien respecter à ce titre, mais seulement à ce titre. »

             Bref, le rêve de la société contemporaine, c’est de nous enfermer et ainsi de nous exclure, de nous rendre nous-mêmes convaincus que nous défendons nos propres valeurs et que nous ne faisons que défendre des valeurs qui nous appartiennent en propre, mais qui ne valent plus pour le monde contemporain. Ce serait là, je crois, un grand danger. Nous n’avons pas le droit de nous laisser enfermer. J’ai été comme jeune chrétien profondément marqué par cette parole si souvent répétée du pape François lors des dernières Journées Mondiales de la Jeunesse. Le pape François a répété aux jeunes à plusieurs reprises, dans les quelques jours qu’ont duré ses visites aux Journées Mondiales de la Jeunesse, il leur a répété à plusieurs reprises : « Vous n’avez pas le droit de vous laisser exclure. Vous n’avez pas le droit de vous laisser exclure. » Et je crois que nous pourrions redire aujourd’hui la même chose aux catholiques de notre pays : nous n’avons pas le droit de nous laisser exclure, nous n’avons pas le droit de nous laisser regarder comme les restes d’une famille de pensée en train de disparaître, ou comme les restes d’une famille de pensée enfermée sur elle-même. Nous ne sommes pas des marginaux, nous ne parlons pas dans les marges, nous ne parlons pas simplement pour nos chapelles. Notre parole est universelle. Le premier danger, donc, serait celui de l’enfermement, celui de l’enfermement à l’intérieur d’un ensemble, d’un univers de convictions, d’une famille de pensée particulière.

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             Et de fait, c’est peut-être le deuxième danger, c’est le risque du confort que suscite cet enfermement, car à l’intérieur de notre propre chapelle, comme nous sommes bien, comme nous nous sentons bien, comme nous nous sentons tous en accord. Nous sommes heureux les uns avec les autres. Et de fait il est bon que nous puissions cultiver cette amitié, et des journées comme celle-ci sont l’occasion de cultiver cette amitié qui est si nécessaire à la recherche de la vérité. La recherche de la vérité est consubstantielle à la création d’un lien d’amitié. Chercher ensemble le vrai, c’est cela qui fonde une amitié authentique. Une journée comme celle-ci est précieuse, justement pour renforcer en nous cette amitié au service du vrai. Mais qu’elle soit, justement, au service du vrai. Qu’elle soit au service de notre désir d’aller vers l’extérieur porter ensuite ce désir de vérité que nous aurons cultivé ensemble. L’amitié que nous aurons suscitée entre nous deviendra mortifère si précisément elle n’est plus habitée par le désir de porter au monde une parole vivante dans son actualité.

             Si nous continuons à entretenir ensemble simplement un certain nombre de rites et de traditions, qui finiront par valoir pour elles-mêmes, si nous perdons le sens de la dimension transcendante de cette culture dont nous vivons, de cette culture que nous avons reçue et que nous voudrions porter, alors dans ce cas-là il y a un grand danger pour nous, il y a un autre piège. On peut mourir de deux façons, vous savez, on peut mourir de deux façons. On peut très bien se faire tuer, et c’est malheureusement ce que vivent nos frères chrétiens dans bien des lieux du monde. On peut se faire tuer au nom de la foi chrétienne. C’est une première façon de mourir. C’est une première façon de voir disparaître la voix qui porte le Christ à l’intérieur du monde. Mais on peut mourir d’une autre façon malheureusement, et c’est peut-être celle qui nous guette aujourd’hui plus particulièrement : on peut mourir de l’intérieur, on peut se laisser dissoudre de l’intérieur, on peut perdre le sens de la dimension vivante de la parole qui nous habite et ne plus la vivre, ne plus nous relier à elle que sous la forme d’une tradition qu’il faudrait entretenir, qu’il faudrait conserver, conserver à tout prix.

             Bernanos écrit : « On nous dit qu’il faut conserver, mais en réalité nous chrétiens de France nous sommes là pour servir. Nous ne sommes pas là pour conserver, nous ne sommes pas des conservateurs. » Bien-sûr il y a beaucoup à conserver dans l’héritage que nous avons reçu. Mais nous ne conservons pas pour conserver, cet héritage nous le gardons pour le transmettre, parce que cet héritage est vivant. Nous le gardons précisément dans son actualité, non pas parce que nous avons à le conserver, mais d’une certaine façon parce que c’est lui qui nous conserve, et qu’il n’y a que lui qui puisse nous sauver, qui puisse nous conserver.

             L’instinct de conservation n’est pas toujours bon conseiller. Bien-sûr, Bernanos le dit encore : « Nous n’avons pas le goût de la destruction. » Nous ne sommes pas comme le monde contemporain obsédé par la déconstruction. Aujourd’hui, vous voyez, l’obsession du temps présent, c’est de tout déconstruire. Et paradoxalement, même l’école qui devrait être le lieu de la transmission par excellence, devient le lieu de la déconstruction. À l’école on n’apprend plus qu’à déconstruire, et l’obsession de notre actuel ministre de l’Education nationale, comme vous le savez, c’est de déconstruire : déconstruire les stéréotypes sexistes, déconstruire les préjugés de genre, tout déconstruire avant que rien ne soit construit.

             Nous n’avons pas comme le monde contemporain la passion de la destruction. Nous ne sommes pas des obsédés de l’esprit critique à tout prix. Nous ne voulons pas de la domination de l’ironie corrosive, qui fait que toute autorité se disloque instantanément dès qu’elle prétend avoir quelque chose de sérieux à dire. Mais pour autant il y aurait un piège qui consisterait là encore à nous raidir presque par opposition, par réflexe inverse, dans un pur instinct de conservation, qui serait conservation pour elle-même, conservation d’un héritage dans le vide, conservation d’une tradition pour le passé qu’elle représente. Mais notre tradition ne représente pas le passé. Notre tradition, avec toute la richesse de notre histoire, représente précisément ce sur quoi peut se fonder notre avenir, précisément là encore parce qu’elle est puissance de vérité.

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             Et je voudrais peut-être ouvrir notre réflexion à la dimension de la culture, et non pas simplement des convictions qui sont les nôtres. Nous sommes les héritiers d’une culture, et d’une culture bimillénaire. Nous sommes les héritiers d’une histoire et d’une langue. Nous sommes les héritiers d’une civilisation. Cette civilisation, nous le savons, est en péril, car les civilisations sont mortelles comme disait Paul Valéry : « Elles aussi peuvent se détruire de l’extérieur lorsque les grandes invasions les mettent en danger, mais elles se détruisent aussi et sans doute beaucoup plus sûrement de l’intérieur. » Et c’est sans doute exactement ce à quoi nous sommes en train d’assister aujourd’hui. Une civilisation qui a perdu le sens de l’actualité de son héritage, de la dimension profondément vivante de la tradition qu’elle a reçue, cette civilisation-là ne peut que s’écrouler de l’intérieur.

             Sous quel mode devons-nous être attachés à notre culture ? De quel point de vue devons-nous tenter de sauver cette culture que nous avons reçue ? Eh bien là encore, vous voyez, je crois qu’il y aurait un piège qui consisterait à prolonger cette mort intérieure, et qui consisterait à défendre cette culture et cette tradition, un peu comme on enferme les Indiens dans des réserves pour qu’ils y perpétuent leurs rites, afin que nous voyions encore quelque chose en ethnologues de ce à quoi ont ressemblé les siècles passés. Nous ne devons pas défendre notre culture pour l’histoire quelle représente, pour le passé qui l’a formée, mais cette culture nous devons la défendre parce qu’elle est puissance de vie et de vérité. Oh bien-sûr c’est une culture particulière, et l’Église nous apprend à ne pas idolâtrer les cultures, l’Eglise nous apprend à ne pas idolâtrer les langages : contrairement aux musulmans, nous ne croyons pas qu’il y ait une langue dans laquelle Dieu a parlé et que cette langue soit la seule qui puisse exprimer le vrai. Depuis toujours l’Église a rencontré la diversité des cultures et des civilisations. Et j’ai eu la chance d’hériter d’un saint patron qui sait précisément, bien avant que les managers ne s’emparent de ce thème, ce que peut être le dialogue interculturel, un saint patron qui a su ce qu’est que communiquer la vérité de l’évangile à la civilisation chinoise, à la civilisation japonaise, aux civilisations de l’Orient.

             Mais, profondément, ce qui est fondamental, ça n’est donc pas que nous idolâtrions notre culture comme étant la seule à détenir la vérité, mais malgré tout que nous reconnaissions que c’est par elle qu’est passé la vérité de notre évangile. C’est par elle qu’est passé la vérité de l’évangile pour chacun d’entre nous dans notre propre histoire, et de ce point de vue-là nous pouvons lui être reconnaissants. Notre langue, notre culture, notre civilisation est celle par laquelle le Christ nous a parlé, celle dans laquelle le Christ, pour nous, s’est incarné dans l’histoire qui est la nôtre. Mais cette civilisation elle est aussi celle par laquelle le Christ a parlé d’une façon si singulière. Notre civilisation occidentale, notre civilisation européenne, celle précisément où l’Eglise a mis son cœur battant, et notre culture française, notre langue française, la langue de la fille aînée de l’Église, qui a été aux avant-postes dans la réception du message du Christ et dans sa communication au monde, et qui malheureusement peut-être est aujourd’hui aussi aux avant-postes dans le refus de cet héritage.

             Nous devons aimer cette culture, encore une fois non pas pour la conserver comme on conserverait dans du formol quelque relique dépassée qui n’aurait plus aucun sens pour nous, nous devons conserver cette civilisation non pas pour garder des monuments, pour éviter qu’ils ne s’écroulent, et simplement pour rappeler aux historiens de demain ce qu’était l’histoire d’autrefois, mais nous devons la conserver avec amour et avec passion parce qu’elle est ce par quoi peut passer la parole du Christ pour les générations qui viennent, ce par quoi peut passer la parole de vérité, ce par quoi peut passer le bien de l’homme pour la cité de demain. Voilà la seule raison qui doit nous pousser à nous engager. Nous ne sommes pas là pour défendre nos valeurs, nous ne sommes pas là pour défendre notre héritage et notre patrimoine. Ou en tous les cas si nous défendons nos valeurs, si nous défendons notre héritage et notre patrimoine, c’est précisément parce que cet héritage et ce patrimoine sont vivants, c’est parce que dans ces valeurs se trouvent toutes la valeur de l’existence humaine possible, c’est parce que c’est par là que s’accomplit la vie des hommes dans le monde et dans la société.

             Voilà ce qui devrait nous inquiéter : non pas faire en sorte qu’on évite de raser nos églises, mais faire en sorte que pour aujourd’hui et pour demain, nos contemporains soient encore capables de comprendre ce qu’est une église, nos contemporains soient encore capables de comprendre ce que signifie pour eux la place de cette église à l’intérieur de chacune de nos villes et de chacun de nos villages*. De fait, ne nous y méprenons pas, nous enfermer dans le lexique de la défense des valeurs, c’est le plus sûr moyen de perdre les unes après les autres toutes les batailles que nous rencontrerons. Reprenons cet exemple tout simple qui est celui du patrimoine sacré à l’intérieur de nos villes. Nous pouvons nous engager pour défendre les murs de nos églises et nous avons raison de le faire, et il va falloir le faire car l’un des grands défis que nous allons rencontrer dans les années à venir sera précisément celui d’éviter que notre patrimoine et notre patrimoine sacré ne soit progressivement ou rasé ou reconverti dans une utilisation qui ne correspond pas à son essence propre et à l’intention de nos aïeux qui ont construit ces églises à l’intérieur de chacune de nos villes. Nous devons nous engager pour défendre ce patrimoine. Mais si nous nous engageons simplement comme chrétiens pour dire « Ne touche pas à mon église » comme d’autres ont dit « Touche pas à mon pote », si nous nous engageons simplement pour dire « Ceci est notre héritage, n’y touchez pas, nous le défendrons jusqu’au bout parce que nous ne voulons pas qu’on touche à notre famille », alors dans ce cas-là nous sommes sûrs de perdre les batailles les unes après les autres et nous sommes certains que nos églises finiront par s’écrouler quel que soit le nombre de pétitions que nous aurons signées, de manifestations que nous aurons organisées, d’occupations que nous aurons mises en scène.

             Ce qui compte le plus profondément bien sûr, c’est que nous défendions ce patrimoine, mais aussi et surtout que nous fassions en sorte que nos contemporains puissent retrouver le sens de ces églises, pour que nos contemporains puissent entendre à nouveau ce qu’elles veulent dire à l’intérieur de nos villes. Et ceci, précisément, ce n’est pas d’une logique de défense de nos valeurs, de préservation de notre propre famille, de nos intérêts, de notre lobby qu’il s’agit, c’est d’une tentative de conversion collective qu’il s’agit. Voilà ce que nous avons à vivre et à faire vivre. Et la première conversion qu’il s’agit de vivre c’est la nôtre. Croyons-nous encore que nos églises ont quelque chose à dire au temps présent ? Croyons-nous encore que chacune de nos chapelles, que chacune de nos cathédrales qui sont, comme le disait un poète – mais je ne me rappelle plus lequel, pardonnez-moi – qui sont comme des doigts levés vers le ciel dans chacune de nos villes, croyons-nous encore qu’un de ces doigts levés vers le ciel aient quelque chose à dire au temps présent et aux générations qui viennent ?

              Nous pouvons, je crois, être profondément inquiets, et je le suis comme certains d’entre vous bien sûr, comme tous certainement, lorsque je vois justement tant de nos contemporains, et tant de jeunes en particulier, passer devant nos églises, passer devant nos calvaires, sans rien comprendre de ce qu’ils veulent dire. Comme le dit la magnifique affirmation de Saint-Exupéry dans Citadelle : « Je me sens lourd de secrets inutiles, je me sens lourd de trésors inutiles comme d’une musique qui jamais plus ne sera comprise. » Parfois j’ai le sentiment, comme vous certainement peut-être, que nous avons peut-être déjà perdu la bataille, en tous les cas si nous ne sommes plus capables de faire comprendre à ceux qui sont autour de nous l’actualité de la parole que nous voudrions leur porter. Mais ce désespoir évidemment ne doit pas nous atteindre, il ne doit pas nous empêcher d’agir, car le seul véritable péché, nous le savons, c’est le péché contre l’espérance. Et donc il nous reste à prendre au sérieux l’actualité de notre propre héritage.

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             Voilà ce que veut dire ne pas se laisser exclure : prendre au sérieux l’actualité de notre propre héritage, être convaincu que sans lui aucune société ne se fondera. Madame Taubira nous a menti quand elle disait qu’il s’agissait d’un changement de civilisation. Le mariage pour tous n’était pas un changement de civilisation, la déconstruction de notre héritage n’est pas un changement de civilisation, car il n’y a pas de civilisation dans la déconstruction de cet héritage, il n’y a que la dé-civilisation, la dé-culturation, la destruction de toute société.

             Nous le savons bien encore une fois, les civilisations sont mortelles. Il ne reste donc plus qu’une seule possibilité : prendre au sérieux pour aujourd’hui et pour demain l’actualité de l’héritage que nous avons reçu pour tous ceux qui nous entourent, prendre au sérieux la soif qu’ils ont, même lorsqu’elle n’est pas dite, même lorsqu’elle n’est pas pensée, même lorsqu’elle ne s’exprime que sous la forme de l’agressivité, prendre au sérieux la soif de notre monde et la nécessité de dire à ce monde qui vient le message que nous avons reçu, en mettant sur ce message des mots d’une actualité absolue. Ne plus tenter simplement de nous faire plaisir en répétant les mêmes mots parce que nous avons le sentiment qu’ils nous parlent à l’intérieur de notre petite communauté, mais tenter de réinventer un vocabulaire qui parle à chacun de ceux qui nous entourent pour rejoindre au plus profond de leur cœur leurs aspirations les plus essentielles. Voilà ce que veut dire croire à la vérité de la parole du Christ. Croire à la vérité de la parole du Christ, c’est croire que tout homme a soif de cette parole, parce qu’elle le rejoint dans la vérité de sa personne, parce qu’elle le rejoint dans la vérité de toute aventure humaine.

             Notre but donc n’est pas simplement de défendre nos convictions, notre but n’est pas de faire en sorte que nos chapelles ne s’écroulent pas trop vite, de les protéger en érigeant des lignes Maginot qui nous éviteront pour un temps de voir la destruction de ce que nos ancêtres ont construit. Notre but c’est de faire en sorte que nos chapelles parlent à nouveau à tous ceux qui nous entourent, notre but c’est de faire en sorte précisément de redonner à notre société la vie qu’elle attend en redonnant vie à l’héritage que nous avons reçu.

             Voilà peut-être simplement quelques pistes de réflexion très brèves pour ouvrir cette journée. J’espère que vous ne serez pas choqués par le caractère paradoxal ni de la question, ni de la réponse. Nous ne sommes pas là pour défendre nos convictions. Laissons cela aux autres, laissons cela à ceux qui ne défendent que leurs intérêts, laissons cela à Jean-Pierre Michel, à Christiane Taubira, à Vincent Peillon. Laissons-les défendre leurs convictions. Nous servons le bien de l’homme, nous servons le bien de tout homme, et aucun autre but n’est suffisamment grand pour nous.

    Merci beaucoup.

     

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    François-Xavier Bellamy
    12 octobre 2014 - 
    « Faut-il défendre ses convictions »  Introduction au Colloque Ichtus  « Catholiques en action 2014 »

     

     

     

     

    * Voir aussi Que veut dire une église à l'intérieur de notre cité ? Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18) avec François-Xavier Bellamy

     

  • Rebâtir la France, Terre d'Espérance

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    Retranscription de l’émission Le Grand Témoin, du 20 janvier 2015.

    Louis Daufresne invite le général Didier Tauzin à l’occasion de la sortie de son livre Rebâtir la France (Éditions du Mareuil) et pour son association France, Terre d’Espérance.

    http://www.france-terre-esperance.com/index.html

     

    Louis Daufresne Potrait Radio ND.jpgLouis Daufresne : Quand la grande muette commence à l’ouvrir c’est que les choses ne vont pas si bien que cela. Les scènes de guerre en plein Paris habitent toujours les esprits d’autant que la nouvelle caricature de Mahomet publié par Charlie Hebdo, édition diffusée à des millions d’exemplaires, risque fort de mettre le feu à la planète. Déjà des églises brûlent, des hommes meurent. À qui la faute ? Le principe de précaution que s’imposent de plus en plus les peuples vieux et frileux aurait sans doute eu ici toute sa pertinence. Le général Didier Tauzin connaît bien les forces spéciales : il a commandé le premier RPIMA Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine, prestigieuse unité. Il a dirigé plusieurs opérations de libération d’otages. Aujourd’hui, il s’engage en fondant une association, France, terre d’Espérance et en publiant un essai dont nous allons parler au fil de cette émission : Rebâtir la France. Général Tauzin, bonjour.

    Général Didier Tauzin : Bonjour.

    L.D. : Vous avez dit sur une chaîne de télévision, en tout cas c’est ce que j’ai aperçu sur un bandeau de BFMTV : « Ce n’est qu’un début, ce que nous vivons… ». C’est vrai ?

    D. Tauzin 11.37.jpgG. D.T. : Oui, absolument, c’est vrai. Ce n’est qu’un début. Nous sommes maintenant… D’ailleurs monsieur Valls l’a dit lui-même : nous sommes maintenant dans une guerre qui a tous les aspects d’une guerre mondiale. Non pas du tout de celles que nous avons connues au XXème siècle, mais une guerre d’abord complètement asymétrique : du point de vue technologique, au moins, c’est-à-dire des gens extrêmement rustiques qui se contentent de vraiment très peu de choses, qui passent complètement inaperçus, qui ne coûtent rien à leurs commanditaires… face à des armées ou les polices installées et lourdement équipées… face à des populations qui ne s’attendent pas du tout à cela, ne comprennent pas encore qu’elles sont dans une guerre. Asymétrique, aussi, dans le sens où nous ne sommes pas dans une guerre d’armées. Il n’y a pas de champ de batailles. Le champ de bataille c’est le monde entier et c’est en même temps chacun d’entre nous, c’est notre conscience… Il s’agit de nous terroriser, de nous faire progressivement baisser la garde intellectuelle — si je peux dire — pour aller dans le sens idéologique que veulent ces gens-là. C’est aussi une guerre idéologique.

    L.D. : Quel est le but de guerre ? 

    G. D.T. : Le but de guerre, très clairement : il faut se dire que nous sommes face à l’islamisme. L’islamisme dérive d’une lecture du Coran. Il est clair que le Coran prête dans beaucoup de ses sourates a interprétations diverses. J’en ai lu quelques passages récemment, dans le cadre de cette affaire. Il est clair, pour certains passages, que des esprits frustes et très peu cultivés et, surtout, manipulés par des commanditaires peu recommandables, peuvent en faire une lecture vraiment dramatique pour le monde. Dans certains passages est quand même écrit : « Il faut tuer les infidèles ». D’ailleurs, c’est ce que le patron de Daesh, de l’État Islamique, Abou Bakr al-Baghdadi préconise. D’après ce que je sais de lui, c’est quelqu’un qui n’a aucune haine contre quiconque. Simplement il est écrit : « Il faut tuer les mécréants », eh bien, ils tuent les mécréants. Voilà. C’est tout. Donc, le but de guerre en fait dérive d’une lecture extrêmement littérale du Coran. Beaucoup de musulmans font une lecture beaucoup plus spirituelle du Coran, en particulier les soufis, mais d’autres en font une lecture extrêmement littérale. Et donc, il s’agit maintenant de convertir le monde, là, par le sang et le feu. Il ne faut pas non plus se leurrer : on ne regarde plus l’histoire. Mais le Djihad tel qu’il est pratiqué par Al Qaïda, par Daesh, a été pratiqué tout au long de l’histoire de l’islam. L’étendard noir que nous voyons aujourd’hui sur les télévisions, qui est brandi en Iraq et en Syrie par Daesh, est le même étendard noir que brandissaient les armées de Mahomet dès la conquête, par exemple, de l’Espagne. 

    L.D. : Cela veut dire que vous faites l’amalgame, là… 

    G. D.T. : Ce n’est pas un amalgame… Attendez, il faut faire très attention. L’amalgame qu’il ne faut pas faire c’est entre la grande majorité des musulmans qui n’a pas de sang sur les mains, qui n’accepte pas du tout cette interprétation littérale du Coran, et qui ne se reconnait pas du tout dans les crimes commis au nom du Coran et au nom de Mahomet, l’amalgame entre ces gens là et les massacreurs, les terroristes. C’est cet amalgame-là qu’il ne faut pas faire. Par contre, cela n’empêche pas de regarder les choses en face. Quand on veut résoudre un problème il faut le poser correctement. Et je remarque que le président égyptien, le Général al-Sissi, a dit très récemment qu’il faut faire le ménage dans l’islam. Il s’était levé contre le fait que dans les mosquées égyptiennes aujourd’hui on parle encore des juifs comme de singes et des chrétiens comme de porcs. Donc, voyez-vous, même l’islam se remet en question. Cela est très bon et nécessaire. Un écrivain algérien écrivait récemment dans une tribune — du Figaro je crois, peu importe — que la vocation de l’islam c’est de convertir et non de gouverner. Il écrivait que l’immense majorité des musulmans font cela à titre personnelle et dans leur famille, d’une manière pacifique à l’égard de la société. Une infime minorité, au contraire, fait une lecture littérale du Coran.

    L.D. : Général Didier Tauzin, c’est au Sénégal, à Dakar, que vous voyez le jour en 1950. Votre père militaire a fait la guerre de 39-45, l’Indochine et l’Algérie. Vous le dites, votre vocation d’officier est venue très rapidement. Sans doute en 1954 : alors que vous aviez à peine quatre ans, votre père avait alors adressé une lettre à votre mère pensant que ce serait la dernière. Lettre dans laquelle il annonçait qu’il était volontaire pour sauter sur Diên Biên Phu. Une histoire qui a bercé toute votre vie, votre enfance et votre jeunesse. Votre vocation, elle, s’est confirmée avec le temps : à 21 ans, vous intégrez Saint-Cyr.


    Marion Duchêne ortrait Radio ND.jpgMarion Duchêne : Portrait 

             Didier Tauzin a 25 ans, à peine, lors de sa première opération. Il s’agissait de protéger Houphouët-Boigny avec moins de quinze hommes, se souvient-il : « Le commandement m’a transformé. Cela demandait exigence et amour. C’était avant tout un service ». 1992 : Didier Tauzin prend la tête des Para du Premier Régiment d’Infanterie de Marine. La Somalie, la Yougoslavie, le Rwanda entre 92 et 94. En 2006, c’est la retraite. Didier Tauzin le répète : « Ma conversion chrétienne m’a beaucoup aidé à m’épanouir dans les fonctions de commandement. » Élevé dans la religion catholique, il n’a jamais été très pratiquant jusqu’à une retraite ignacienne à Bayonne, en 1975 : « Cela a tout changé dans ma vie ! », dit-il. Le général Tauzin n’a jamais caché sa foi. Mieux : il a toujours eu une statue de la Vierge sur son bureau. La Parole qui le guide aujourd’hui : « Vous êtes la Lumière du monde. » « Ce n’est pas une invitation, c’est un ordre », souligne celui qui a toujours refusé de s’encarter. « On n’a qu’un seul parti, c’est la France », disait-on dans sa famille. L’année 2013 et La Manif Pour Tous ont poussé Didier Tauzin à écrire Rebâtir la France aux éditions Mareuil et à fonder l’association France, Terre d’Espérance. « Nous sommes à la fin d’une époque, c’est pour moi une certitude », déclare le général. « L’objectif de mon livre est d’éviter que notre pays ne bascule dans la guerre civile. On nous a monté les uns contre les autres », insiste-t-il. Et à ceux qui ont trop souvent dénigré les soldats, les gendarmes et les policiers, le général Didier Tauzin répond en citant Anatole France : «  Les vertus militaires ont enfanté la civilisation entière ».  

    Louis Daufresne Potrait Radio ND.jpgL.D. : Je reviens à ce que vous disiez tout à l’heure, général Didier Tauzin, à propos de cette infime minorité qui a une lecture littérale du Coran. Comment peut-on évaluer le soutien dont elle dispose dans les banlieues, cette infime minorité ? Je crois que vous avez des statistiques à nous faire partager…

    D Tauzin 11.36.jpgG. D.T. : Oui. D’après une émission de CNN, la chaîne américaine que j’ai capté sur internet : 15 à 25% de la population musulmane serait plus ou moins favorable au djihadisme, tel qu’il est pratiqué par ces gens-là. 15 à 25% ce qui, au niveau mondial, fait une population de 300 millions d’habitants, d’après cette émission des Services de Renseignements occidentaux. On peut considérer que CNN est une chaîne sérieuse… Il faut d’ailleurs prendre cela avec précaution : la fourchette est large, 15 à 25%. Je prends la moitié de cette fourchette : 20%. Si cette fourchette est avérée, en France, cela fait 1 million de musulmans qui seraient, peu ou proue, favorable au djihadisme tel qu’il est pratiqué. C’est énorme ! Dans cette population importante, dans ce million, une toute petite minorité passe à l’acte. Mais cette minorité se renouvelle en permanence. 

    L.D. : Cela a toujours été le cas dans l’histoire que les minorités… La révolution Russe, c’était pareil…

    G. D.T. : Cela a toujours été le cas. D’ailleurs c’est ce que disait CNN. Il ne faut, bien sûr, pas faire d’amalgame mais… À l’époque de Hitler, il n’y avait qu’une minorité d’allemands qui était nazie. Ils ont mis le feu au monde. Leur objectif étant de terroriser pour faire plier nos consciences et nos volontés, ils peuvent employer à peu près n’importe quels moyens. Je ne sais pas sous quelle forme, mais c’est une guerre qui va durer et qui ne fait que commencer.   

    L.D. : On peut se poser la question. Vous dites : « C’est pour faire plier nos consciences ». Mais on peut avoir le réflexe inverse qui consiste à dire : « Eh bien non, justement cela ne va pas nous faire plier, cela va nous raidir ». Puisque face à l’horreur de ce type de tuerie il peu y avoir une prise de conscience. C’est peut-être ce qui s’est produit, d’ailleurs, il y a un peu plus d’une semaine à la République. C’est peut-être un résultat qui est aléatoire — le fait de chercher à faire plier les consciences. Cela peut produire l’effet inverse.

    G. D.T. : Exactement ! Et ça va produire l’effet inverse. Surtout en France. Parce que nous sommes un peuple rebelle. Et c’est très bien en soi, d’ailleurs. Ça va produire l’effet inverse. Mais peut-être que ces gens-là ne sont pas allés jusqu’au bout de l’étude psychologique des peuples. Ces erreurs-là sont très fréquentes. De toute façon, cela va tomber à plat… enfin, cela va faire beaucoup de mal, mais ça ne peut pas réussir à notre égard parce que, en France, le réveil chrétien est commencé. 

    L.D. : À quoi le voyez-vous ?

    G. D.T. : J’ai vu que le réveil chrétien a commencé à La Manif Pour Tous. Ce n’était pas que des chrétiens, mais suscité largement par des chrétiens. Et j’y ai participé moi-même avec beaucoup de ferveur. Là, j’ai vu un changement radical par rapport à toute la période que j’ai connue depuis mai 1968. Nous sommes vraiment dans un changement radical, un tournant de civilisation. Je partage l’idée fondamentale de Houellebecq — et c’est d’ailleurs cette idée qui a donné lieu à ce livre — qui a été commencé au printemps 2013, quand il dit que nous sommes à la fin de ce cycle qui a commencé avec la Renaissance, la Réforme, qui s’est poursuivit avec les Lumières, qui s’est incarné politiquement avec la Révolution Française. Nous sommes à la fin. Alors, je ne vais pas dire comme lui que la République est morte, parce que de quelle République parle-t-il ? La République-institution ?, ou bien cette République théorique, idéologique, à fond de laïcisme exacerbé, qu’on nous sert en permanence ? Je pense que celle-là, oui, est morte. Mais « son cadavre va bouger encore longtemps » pour prendre le mot de Karl Marx à propos de Dieu. Donc, ce réveil chrétien fait que les islamistes ont perdu d’avance. Ils ont perdu d’avance pour une autre raison. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais je crois, à divers signes, je pense qu’en France il y a beaucoup plus de musulmans qui deviennent chrétiens, que des chrétiens qui deviennent musulmans. J’ai récemment rencontré une jeune marocaine qui s’est convertie de l’islam au christianisme, au catholicisme. Elle me l’a confirmé. Ce mouvement avec ce qui s’est passé, par exemple, la semaine dernière, à mon avis, ne peut que s’amplifier. C’est d’ailleurs un de nos devoirs, à nous, chrétiens : un devoir de chrétiens et un devoir politique en même temps, que d’aller à la rencontre de ces gens-là et de les aider. Et je trouve scandaleux que notre République laisse diffuser des fatwas contre ces gens-là. Par exemple, cette jeune femme fait l’objet d’une fatwa, condamnation à mort, si elle ne revient pas à l’islam.

    L.D. : Et la république ne réagit pas, pour vous… ?        

    G. D.T. : Elle a porté plainte. Pour l’instant n’a été donné aucune suite. L’imam qui a émis la fatwa est toujours en liberté.

    L.D. : Vous seriez pour son expulsion ? 

    G. D.T. : Mais évidemment, il faut faire quelque chose ! Soit les Droits de l’Homme sont quelque chose, soit notre République a un sens et dans ce cas on ne peut pas tolérer que sur notre sol la charia s’applique. Soit elle n’a plus de sens, elle est morte, réellement, déjà. Mais elle va entraîner du chaos. Voilà !

    L.D. : Général Tauzin, vous dites qu’on assiste à des mouvements de conversion d’une ampleur importante.

    G. D.T. : Non, je n’ai pas dit ça ! Je dis qu’il y a plus de musulmans qui se font chrétiens que de chrétiens qui se font musulmans.

    L.D. : C’est une intuition, c’est une appréciation fondée ? 

    G. D.T. : C’est beaucoup plus une intuition qu’une appréciation étayée parce que ces gens-là ne le manifeste pas. Ils ne peuvent pas le manifester parce qu’ils sont automatiquement coupés de leur communauté initiale musulmane. De plus, pour l’instant, notre Église n’est pas encore bien ”équipée” pour les accueillir. J’ai quand même rencontré des gens, récemment, qui se donnent à cette mission d’accueillir les musulmans qui deviennent chrétiens. Ou même, d’ailleurs, d’essayer de convertir. C’est très beau, c’est magnifique. Et je crois franchement que l’avenir est par-là. Mais forcément cela ne peut de toute façon qu’attiser les conflits. Les islamistes vont se retourner vers les musulmans qui se convertissent. Ils vont même sans doute leur faire beaucoup de mal. Je pense que, d’un point de vue chrétien, c’est là que vont se trouver les martyrs qui vont permettre le renouveau national.    

    L.D. : On peut imaginer aussi que ces attentats sont une forme de… une façon de discipliner peut-être aussi la communauté musulmane.

    G. D.T. : C’est évident. C’est une façon de l’encadrer. Mais c’est peut-être aussi le combat de la dernière chance pour ces gens-là, ces attentats. Au niveau mondial l’islam est très perturbé en ce moment. Il a beaucoup de mal à s’adapter à la modernité. Je vais souvent en Afrique et je sais que des chefs musulmans africains s’inquiètent beaucoup du nombre de conversions de musulmans au christianisme. Je dis ”au christianisme” parce qu’ils vont vers des communautés chrétiennes diverses, vers le catholicisme, les protestantismes, etc. Ils s’en inquiètent beaucoup parce qu’il y a un véritable mouvement en Afrique noire musulmane. Et ce mouvement tend à s’amplifier.      

    L.D. : Et ça c’est l’Afrique aussi… ! 

    G. D.T. : C’est l’Afrique, d’accord, mais cela peut passer très vite dans d’autres régions, et particulièrement en Europe.

    L.D. : Mais en Afrique on est peut-être d’abord déjà animiste et puis après catholique, protestant, musulman… 

    G. D.T. : Ohhh, bien sûr, bien sûr. Mais vous savez, même en France il y a encore des relents d’animisme ou de… c’est évident. Mais enfin, quand même, l’islam y est bien implanté. Et même le christianisme. 

    L.D. : Général Didier Tauzin… Je voudrais d’abord aborder une question avant de voir comment on va ”rebâtir la France”, puisque c’est quand même votre ambition… Est-ce que du point de vue sécuritaire la réponse apportée par les autorités françaises vous paraît adaptée ? Est-ce que l’on sait dans quel sens on va ? Parce qu’on a le sentiment que droite et gauche, déjà, se divisent sur la question des libertés individuelles, la restriction des libertés que supposerait une démarche anti-terroriste beaucoup plus pertinente. Quelle est votre analyse sur ce point ? Qu’attendez-vous de la part des autorités ?

    G. D.T. : Mon analyse est justement que notre système politique n’est plus adapté, n’est pas adapté à cette affaire. Parce que ce n’est pas une affaire de partis. Comment fonctionne un parti ? Sur le mode marxiste : thèse/antithèse. Automatiquement, c’est le conflit. Pourquoi ? Parce que le parti a des besoins propres : il a son identité propre, sa stratégie de parti. Tout est vu au travers du prisme de la stratégie du parti. Or, en l’occurrence, il s’agit de quoi ? D’une guerre. Avec des morts. Donc, la stratégie du parti n’a plus lieu d’être. Il y a des mesures techniques à envisager. La première chose est de stopper le gel, la diminution des effectifs et la diminution des budgets. Qu’ils soient militaires, pour la gendarmerie ou pour la police. 

    L.D. : Il aura fallu un attentat…

    TourEiffelMilitaires.jpgG. D.T. : C’est terrible ! C’est absolument terrible qu’il faille un attentat pour en arriver là ! Mais cela fait des années ! Ensuite, il faut prendre la mesure de la menace. On peut considérer que Clausewitz, qui pourtant vivait à l’époque napoléonienne, a vu juste. Il envisageait une montée aux extrêmes de la violence. On y arrive. Parce que la violence non seulement se répand à l’intérieur même des sociétés — nous sommes nous-mêmes personnellement de plus en plus violents, parfois à l’égard de nous-mêmes, d’ailleurs — : 10000 jeunes se suicident chaque année, en France. Et puis les moyens de destructions sont de plus en plus importants. Aujourd’hui, on peut très bien envisager que les djihadistes emploient d’ici à quelque temps, peut-être très rapidement, des armes nucléaires miniaturisées. Puisqu’on sait faire une arme nucléaire miniaturisée depuis pas mal de temps, déjà.         

    L.D. : Ils ont les capacités de le faire ? 

    G. D.T. : Je pense qu’ils peuvent l’avoir. Parce que vous savez que l’argent achète tout, malheureusement, dans notre monde. Et l’argent, ils en ont. Il faut mêler cela aux stratégies des puissances. Un exemple passé : ce sont les américains qui ont créé les Talibans. Qui ensuite se sont retournés contre eux. Au bout du compte cela fait quinze ans de guerre américaine en Afghanistan, avec trois milles morts américains contre les Talibans que les américains ont créés. Si vous voulez, on peut très bien avoir dans le monde quelqu’un possédant la technologie de cette arme nucléaire miniature et qui la vende à Daesh ou Al-Quaïda. Cela peut très bien se produire.

    L.D. : C’est un risque. Est-ce qu’on est à la hauteur de ce risque-là aujourd’hui ? 

    G. D.T. : Je ne pense pas que nous soyons à la hauteur de ce risque-là aujourd’hui, tout simplement parce que… Il faut absolument que nous développions, que nous intensifiions nos services de renseignements et nos moyens d’action. 

    L.D. : Par quel biais ? 

    G. D.T. : D’abord le financement, évidemment. Écoutez, cela fait partie des missions…

    L.D. : Un million de personnes à suivre potentiellement… On ne les suivra jamais. Il n’y aura jamais les budget, ni… 

    G. D.T. : Non, il n’est pas possible de suivre au jour le jour un million de personnes. Ce n’est pas possible. Il faut d’ailleurs dans ce million de personnes repérer ceux qui sont potentiellement… 

    L.D. : Mais c’est colossal, en tout cas. Même s’il y a 10% à suivre, c’est énorme. 

    G. D.T. : C’est colossal. Pour suivre un frère Kouachi en permanence il faut 20 ou 30 personnes. C’est énorme. En estimant qu’il y en a 1500 en France, voilà, vous avez tout de suite une dimension énorme. Mais c’est une mission régalienne ! 

    L.D. : Est-ce qu’il faut changer les lois ? 

    G. D.T. : C’est évident, il faudra changer les lois parce que tout évolue en permanence.    

    L.D. : La gauche, pour vous, prendra l’initiative de restreindre les libertés… ?  

    G. D.T. : La gauche peut devenir, ne serait-ce que par besoin électoral — si je puis dire — démagogie électorale, ou réflexe, sentant qu’elle s’est trompée, peut devenir très dure. Les régimes les plus dictatoriaux et totalitaires, quand même, pratiquement toujours étaient des régimes de gauche ou dits de gauche. Il ne faut pas l’oublier. Donc, oui, la gauche peut faire ça. Mais est-ce qu’il est bon que ce soit la gauche qui le fasse. Et la droite s’opposant plus ou moins… Non. Les missions régaliennes de l’État, à mon avis, ne doivent pas être abordées dans un contexte droite/gauche, dans un contexte de partis. Pour moi c’est une faute. Parce que les missions régaliennes sont la survie de la nation.   

    L.D. : Justement général Tauzin, on va rester sur cette idée pour voir où vous voulez en venir pour Rebâtir la France, c’est aux éditions Mareuil. Je signale que vous avez fondé une association qui s’appelle France, Terre d’Espérance et on va voir où cela va nous conduire après les infos.


    Gérard Leclerc Portrait.jpgChronique de Gérard Leclerc : Michel Onfray et René Girard 

             La question des rapports de l’islam avec la violence est aujourd’hui partout. J’ai regardé en différé l’intervention de Michel Onfray sur le sujet, samedi soir dans l’émission de Laurent Ruquier On n’est pas couché. Elle m’a beaucoup intéressé, d’autant que le fondateur de l’université populaire de Caen se trouvait opposé, dans un véritable bras de fer, avec le journaliste Aymeric Caron, bien connu pour ses positions à propos de l’islamophobie. On pourrait certes reprocher à Michel Onfray une sorte d’hostilité anti-religieuse, thématisée dans son Traité d’athéologie, un ouvrage que, personnellement, je récuse totalement, mais l’intéressé a au moins un mérite : celui d’argumenter ses positions. Avec lui, on peut toujours discuter.

             Or, samedi soir, Onfray avait des arguments incontestables contre lesquels Caron avait du mal à présenter des objections. Son recours consistait à désigner le danger d’essentialiser un islam violent et ainsi de stigmatiser l’ensemble des musulmans. Telle n’était pas l’intention de Michel Onfray, qui réclamait la liberté d’interroger l’histoire et les sources. Là-dessus, je ne puis qu’être d’accord, d’autant plus que je suis disposé à la même acribie à l’égard de ma propre religion, à condition que le travail soit fait sérieusement. Ce n’est pas souvent le cas, la tentation étant de mettre toutes les traditions sur le même pied à partir de postulats rationalistes. L’ennemi intellectuel, c’est bien le fondamentalisme, qui récuse toute intelligence de la foi et toute approche critique du corpus de toutes les traditions. 

             Je ne nie pas qu’il y a un problème de la violence dans le corpus biblique, mais il n’est pas tabou aussi bien chez les juifs que chez les chrétiens. Peut-être conviendrait-il aussi de reprendre les choses sur le mode de René Girard, qui a montré que, dès l’origine, le sacré est en relation directe avec la violence qu’il a pour mission de limiter, non sans dérives dangereuses. Reprendre l’analyse girardienne serait un bon moyen de discernement, en prenant quelques distances avec les passions présentes.


    Louis Daufresne Potrait Radio ND.jpgL.D. : C’est le général Didier Tauzin, général des Forces Spéciales qui est avec nous ce matin, notre grand témoin. Rebâtir la France aux éditions Mareuil. Telle est son ambition, sans cynisme, résolu à quitter la logique des partis et des sondages. François Hollande et Manuel Valls sortent des abysses d’impopularité grâce, paraît-il, à l’unité retrouvée. Le général Tauzin en appelle à la conscience citoyenne estimant, ce sont vos mots mon général, « que l’État ne sert plus la nation que la politique, que la France n’est plus qu’une étape dans un parcours professionnel au service de l’oligarchie mondiale. » Mon général, ce n’est pas si fréquent que des officiers supérieurs se retournent contre le système qu’ils ont servi, qu’ils se lancent dans une autre bataille. Une bataille autrement difficile qui est celle des idées.           

    D. Tauzin 11.36.jpgG. D.T. : C’est assez rare, en effet. Dans notre pays c’est mêmes très rare et cela suscite toujours des questions. Je peux tout de suite rassurer Manuel Valls — ou alors lui occasionner un regret, peut importe… Il ne s’agit pas pour nous, bien entendu — je dis pour nous parce que je ne suis pas seul — il ne s’agit pas de coup d’État, de putsch, etc. C’est évident. Nous restons dans la plus parfaite légalité, c’est clair. Surtout en ce moment où la situation est très tendue en France : il ne s’agit pas d’en rajouter, c’est évident.   

    L.D. : Mais le dire cela signifie que c’est quand même assez ”chaud”, les relations avec les pouvoirs institués… 

    G. D.T. : Non, ce n’est pas ”chaud” avec les pouvoirs institués parce que je n’ai aucune relation avec eux. Ce livre, je l’ai écrit seul dans mon coin, avec beaucoup d’avis que j’ai pris autour de moi mais dans la grande discrétion. Pour l’instant personne n’est au courant. Depuis quelques jours, bien sûr, les journalistes sont au courant. Mais il n’y a pas de distension avec les gens qui sont au pouvoir. Je me situe vraiment sur un autre terrain. J’estime que nous sommes revenu à ce que de Gaulle appelait « le système désastreux des partis ». Je m’explique : en 1962, il provoque un référendum qui finalement décide que le président de la République sera élu au suffrage universel direct. Et à ce moment-là, après le référendum, le général de Gaulle estime que ce faisant, « nous avons mis fin au système désastreux des partis ». L’expression est de lui. Il décède en 1970 et à ce moment-là, dans le monde, notamment aux États-Unis, les observateurs envisageaient que, du fait de ce qu’elle était devenue et de ses fondamentaux, la France était à coup sûr, la grande puissance européenne de la fin du XXème siècle et que la vraie question était de savoir ce qu’elle ferait de sa puissance. Et qu’elle serait aussi l’une des plus grandes puissances mondiales du XXIème siècle. Or, en  2011, Jean-Pierre Chevènement publie un livre La France est-elle finie ?. Que s’est-t-il passé entre temps ? Eh bien, quatre ans après la mort de de Gaulle, avec l’élection du président Giscard d’Estaing, le régime désastreux des partis a commencé à se réinstaller. Et ça n’a fait que se développer, et aujourd’hui nous sommes dans une…   

    L.D. : Et qui l’a voulu, ça ? 

    G. D.T. : Je ne sais pas si cela a été voulu par les acteurs. Certainement par des influences, des gens qui sont derrière les acteurs de premier plan, les présidents, les ministres, etc. Mais en fait, c’est une logique. Normal : un parti, qu’est-ce que c’est ? C’est une équipe, ou une entreprise. Je compare cela maintenant à des entreprises dont l’objectif est de conquérir le pouvoir puis de le conserver. Il y a une stratégie de parti. Ces partis développent une stratégie commerciale, aujourd’hui : du marketing. Nous sommes le marché. Et c’est un marché qui est fini. On ne peut pas l’étendre. Sauf à donner la nationalité française à des immigrés. C’est ce qui a beaucoup été fait. Donc là, on peut étendre le marché. Autrement ce marché est fini. Et donc, la bataille commerciale entre les partis fait rage, à coups de démagogie, à coups d’achat des consciences et des votes, surtout, et cela au détriment de la France. Parce que la stratégie de parti peut…  

    L.D. : À coups de financement aussi : les associations, etc. Aucune transparence quant au financement associatif…

    G. D.T. : Voilà ! Cela fait partie de la démagogie tout cela. Ces stratégies de partis, conquérantes, peuvent très bien aller contre le bien commun, contre l’intérêt général. Peu importe, au bout du compte, puisque c’est bon pour le parti. 

    L.D. : Mais qui met de l’ordre, alors, là-dedans ?

    G. D.T. : Mais personne ne met de l’ordre. Parce que ce système des partis qui… 

    L.D. : Mais vous, vous le souhaitez…        

    G. D.T. : Mais, il faut impérativement mettre de l’ordre…

    L.D. : Par qui ?

    G. D.T. : Par quelqu’un qui s’engage en politique. Je ne sais pas où me mènera cette affaire…

    L.D. : Donc, un militaire… Il faut qu’un militaire remette de l’ordre… C’est souvent un militaire, d’ailleurs, qui vient… 

    G. D.T. : Dans notre histoire c’est souvent un militaire et parfois, d’ailleurs, cela se termine mal pour lui en particulier, et même parfois pour la France. Parce qu’il ne s’y prend pas forcément bien. Mais ça peut être quelqu’un d’autre. J’établis, ici, les grandes orientations qu’il faut prendre pour remettre la France à flot et lui redonner un avenir. Je ne sais pas du tout où va me mener cette affaire. Aujourd’hui en 2014…  

    L.D. : Pas à un coup d’État militaire en tout cas… 

    G. D.T. : Certainement pas. Il ne faut pas faire ça. C’est hors de question. Aujourd’hui, début 2015, on peut se poser la question : Est-ce que l’on pourra réaliser les élections présidentielles en 2017 ? La situation est tellement tendue que l’on peut vraiment se poser la question. Donc, j’ai décidé, dans un premier temps, d’établir les conditions du renouveau français, ou d’un redressement de la France. Et les conditions d’une nouvelle politique d’avenir, une politique de l’espérance. 

    L.D. : Alors, expliquez-moi, général Tauzin… Comment concevez-vous le renouveau en sortant de cette logique de partis ? Puisque vous nous dites, précisément d’ailleurs, un rien agacé, que ce système verrouille tout.

    G. D.T. : Ce système verrouille tout, oui. Agacé, c’est peu. Je suis scandalisé. 

    L.D. : Quitte à emmener la nation dans l’abîme, peu importe à vrai dire. Il y a une logique, en fait, perverse, qui fait que le système se répète… 

    G. D.T. : Tout à fait. Mais qui n’est pas nouvelle dans notre histoire. 

    L.D. : Qui n’est pas nouvelle. Mais alors comment fait-on pour sortir de cela, ou alors rebâtir quelque chose en dehors de ce système ? Que fait-on ? De l’entrisme et on prend le pouvoir dans le système ? De quelle manière casse-t-on les choses ? 

    G. D.T. : Ma démarche est de créer quelque chose en dehors du système. 

    L.D. : Un parti supplémentaire ?

    G. D.T. : Ça peut-être un parti. Parce qu’aujourd’hui, du point de vue économique, du point de vue organisationnel, on peut estimer que le parti est presque incontournable. Pour l’instant, ce n’est qu’une association. Je souhaiterais ne pas la transformer en parti. Mais s’il faut le faire, on le fera. Mais ce parti aura comme objectif, comme raison d’être, de mettre fin au système des partis. Non pas aux partis eux-mêmes, parce que c’est un mal congénital à l’humanité.   

    L.D. : Mais vous aurez tout le monde contre vous : tous les partis et tous les médias. Enfin, peut-être pas le nôtre…

    G. D.T. : Peut-être pas le vôtre, et peut-être pas non plus les français. Parce que regardez les partis : d’après le sondage SEVIPOF de janvier 2014 — j’ai un an de retard — les partis n’ont plus la confiance que de 10 à 12% des français. C’est-à-dire moins que le président Hollande. Ce n’est pas peu dire ! Donc les partis sont quasiment hors jeu. Les médias institutionnels, si je peux dire, les médias politiquement corrects, eux-mêmes… 

    L.D. : ”Main stream” : ceux qui influencent l’opinion.          

    G. D.T. : Voilà ! Ces médias aussi ont eux-mêmes une cotte d’amour, une cotte de confiance de plus en plus rétrécie. 

    L.D. : Oui et non, mon général, parce que regardez, BFMTV : c’est quand même la consécration de BFMTV, qui est quand même un média… Les événements nous ont montré que tout le monde était devant sa télé.  

    G. D.T. : Mais tout le monde est devant sa télé, bien entendu, parce qu’il n’y a que cela ! Mais d’un autre côté, le sentiment des français est qu’ils sont de plus en plus décalés par rapport à ce qui est annoncé. Je ne vais pas vous faire une grande confidence en vous disant que je ne regarde plus jamais les informations télévisées, sauf dans les cas comme cela pour avoir les images. Et uniquement les images. Les commentaires, dans la plupart des cas, sont biaisés.

    L.D. : Vous écoutez la radio, c’est l’essentiel ! 

    G. D.T. : J’écoute certaines radios. La vôtre…

    L.D. : Général Tauzin, vous dites que les partis sont désavoués mais observez que quand il y a des élections, il y a une vraie différence entre une personne qui est investie par un parti et la personne qui ne l’est pas. Celle qui n’est pas investie a un risque inouï d’être ratatinée. Cela veut dire que les partis…

    G. D.T. : C’est évident. Jusqu’à maintenant. Mais regardez quand même ce qui se passe. Maintenant on en arrive à 50% de votants, à peu près. Quand un parti dit : « Je pèse 25% des électeurs, il pèse 25% des votants. C’est-à-dire, en fait, combien ? 12%. Un quart de la moitié. Donc, leur légitimité démocratique, comme on dit, est extrêmement faible aujourd’hui. 12% des français suffisent à élire un président de la République. 

    L.D. : Oui, mais c’est un rapport symbolique, ce n’est pas un rapport de nombres. Cela pourrait être même 2%, ce serait pareil.          

    G. D.T. : Oui, bien sûr, cela pourrait être 2%, ce serait exactement pareil. Cela veut dire que notre système démocratique… existe-t-il vraiment ? Voilà ! Somme-nous vraiment en démocratie ? Or, il y a aujourd’hui, c’est manifeste… J’aime beaucoup parler avec les gens — c’est un défaut, peut-être, enfin non, je ne crois pas. J’aime beaucoup parler avec les gens et énormément de gens, qui votent, par ailleurs — moi-même, je vote — énormément de gens disent : « Mais il faut qu’on change de système ! Ça ne va plus. On va dans le mur ! Ces gens-là, », en parlant des élus du niveau national en particulier, « ces gens-là sont complètement déconnectés de la réalité et ne connaissent pas la France ! »

    L.D. : Alors, comment faites-vous ?    

    G. D.T. : Dans un premier temps, je vous l’ai dit, je fais une association. Je publie ce livre. J’établis : 1° Le diagnostic ; et 2° Les grandes lignes de ce que j’affirme qu’il faut faire pour redresser la France. 

    L.D. : C’est donc un livre manifeste, Rebâtir la France.

    Couv Rebâtir la France.jpgG. D.T. : C’est un livre manifeste. Et avec cette association France, Terre d’Espérance, avec un fonds de dotation et déjà des gens qui s’y accrochent, qui s’y réfèrent, qui vont adhérer. Nous avons décidé hier soir la création de ce qu’on appelle, pour l’instant — l’appellation est tout à fait temporaire — un bureau d’études, un think tank en français moderne, n’est-ce pas. Nous allons aussi créer ce qu’on appelle un club d’entrepreneurs, c’est lancé. Avant de créer des réseaux professionnels. Par exemple, il y a bien sûr des militaires en retraites intéressés par cette initiative et qui ont déjà commencé à se rapprocher de moi, en attendant d’autres professions : les enseignants, etc. Ce que nous voulons c’est diffuser cette initiative. Donner des arguments intellectuels et des objectifs à toute une quantité de gens. Par exemple, les gens de La Manif Pour Tous ont fait un travail remarquable — franchement, c’est fantastique —, mais ont du mal à transformer l’essai. Ils ont réussi à nous rassembler — encore une fois d’une manière magnifique — contre le Mariage Pour Tous. C’est parfaitement réussi, c’est beau ! Et maintenant, passer au niveau politique parce qu’il faut faire autre chose. Eh bien, là, j’essaie et je pense pouvoir leur donner une perspective politique. Alors, sans objectif personnel. Vous savez, à 65 ans, comme disait Giscard d’Estaing il y a quelques années : « Je commence à penser beaucoup plus aux valeurs d’éternité » qu’au reste.                

    L.D. : On est jeune en politique à 65 ans ! 

    G. D.T. : Oui (sceptique suivi d’un grand rire)… Le problème n’est pas là. Je suis officier. Quand je suis entré à Saint-Cyr en 1971, c’était l’époque de la Guerre Froide ”dur-dur” : vous savez, on ne se posait pas la question d’une carrière. On servait la France au risque de sa peau. Je suis toujours dans la même dynamique.

    L.D. : Alors quels savoir-faire, justement, puisque vous parlez de La Manif Pour Tous, qu’est-ce qui a manqué et qu’est-ce qui pourrait intervenir dans ce mouvement — qui continue finalement à exister parce qu’il a suscité des mobilisations — pour passer à l’étape supérieure ? 

    G. D.T. : J’ai rencontré récemment des gens de La Manif Pour Tous qui ont dit leur étonnement de l’ampleur qu’avaient prises les choses. Plusieurs ont dit : « Mais, on y est pour rien. C’est le Saint Esprit qui a fait. Nous, on a fait des bricoles et c’est Lui qui a fait le reste ». Bon. Je me place un petit peu dans la même perspective parce que je perçois combien je suis faible dans cette affaire-là, face à cette montagne que constituent à la fois les partis, les gens en place, les médias, etc. Avec la centaine de personnes qui maintenant me suivent, qu’est-ce que je suis ? Vraiment, une souri face au mammouth. Je le sais.

    L.D. : Vous êtes David. Face à Goliath.

    G. D.T. : Si je suis David, c’est super, parce que David a vaincu Goliath ! 

    L.D. : Mais vous comptez le faire. 

    G. D.T. : Oui, je compte le faire. J’ai vraiment la foi ancrée. Je ne peux pas dire le contraire. Je suis persuadé que nous réussirons. Quand ? Et qui concrètement, moi ou un autre, peu importe. Mais nous réussirons. Ça marchera. Parce que aujourd’hui nous sommes — je reprends un petit peu ce que je dis au début — nous sommes donc à ce changement radical de période politique. Un cycle de 500 ans qui a commencé à la Renaissance se termine maintenant. Une France nouvelle naît. Il y a un cisaillement. C’est une période très dangereuse, à tous points de vue. Dans 20 ans, la bascule… au plus tard — parce que ça peut être dans trois mois… 

    L.D. : La bascule démographique ?

    G. D.T. : La bascule sera faite. Non, pas la bascule démographique. Mais la bascule culturelle. La bascule politique sera faite. Dans 20 ans ce sera fait.

    L.D. : Vous dites : « disparition de la France par déclin démographique et perte de l’identité… »  

    G. D.T. : Attendez… Ça c’est autre chose. Là, on ne parle pas de la même chose. Ici, chez nous en France, il y a une France qui meurt : celle que nous avons vécu au XXème siècle, etc. elle est en train de disparaître — son cadavre va bouger longtemps encore, certes. Et une France qui naît : dans 20 ans au plus tard la bascule sera faite pour des raisons tout simplement d’âge. Mais en ce moment, c’est très dangereux. 

    L.D. : « Le changement, c’est maintenant. »

    G. D.T. : « Le changement, c’est maintenant ! » (rire). Il va se faire de toute façon. Tout simplement, pour l’instant, beaucoup de gens ne savent pas dans quel sens où aller. Alors moi j’ai souhaité  — avec des camarades qui m’y ont incité, d’ailleurs — formaliser ce qu’il faut faire. Cela a donné ce livre. 

    L.D. : Vous en êtes à l’étape ”constitution d’une réflexion de réseaux”…

    G. D.T. : Ah oui, on commence a constituer les réseaux.

    L.D. : Mais à quel moment est-ce qu’on passe dans le dur de l’action ? 

    G. D.T. : Mais qu’est-ce que c’est que le dur de l’action ? Nous nous sommes placés dans une hypothèse : essayer de faire face au pire. Ce n’est pas pour rien que nous sommes officiers généraux. Parce que nous sommes trois officiers généraux — un quarteron auraient dit certains, n’est-ce pas.

    L.D. : C’est le quart de cent, un quarteron.

    Rwanda Livre Didier Tauzin.jpgG. D.T. : (rire) Voilà… Nous avons connu le Liban. La Somalie. Le Rwanda. La Yougoslavie. Et l’un de nous a connu le Cambodge. On a vu — d’un peu plus loin parce que nous étions hors-circuit à ce moment là — la Côte d’Ivoire, etc. Sur le terrain, moi j’ai connu le Liban, la Somalie, le Rwanda, la Yougoslavie. Et au printemps 2013 certains signes nous laissaient croire que potentiellement notre pays allait dans cette direction. Pour nous, c’est insupportable. Insupportable ! Des voitures piégées avec de la viande humaine sur les murs… Je me souviens, en Somalie, j’étais sous un épineux en train de rédiger mes ordres pour le lendemain : eh bien sur 360°, à perte de vue, une tombe tous les deux mètres. Et entre les tombes, des gosses affamés. Je ne veux pas voir ça chez moi. Donc, notre idée est de préparer un recours — c’est très clair — à une situation dramatique. C’est ça notre point de départ. Cette situation dramatique peut survenir très rapidement. Alors on fera ce qu’on pourra. Mais on ne laissera pas la France tomber.  

    L.D. : C’est une question que l’on va vous poser, général Tauzin : Est-ce que vous avez des appuis, est-ce qu’il y a du monde dans le personnel politique que vous reprendriez ? Est-ce qu’il y a une forme de synergie qui pourrait se faire avec du personnel politique actuel ?

    G. D.T. : Ça vient, ça vient. Mais c’est évident. Attendez : nous ne sommes, très clairement, nous ne sommes en guerre contre aucun français. Qu’il soit musulman, chrétien, athée. Qu’il soit de gauche, de droite, de nulle part.

    L.D. : Enfin, La Manif Pour Tous est quand même plus proche de la droite et du catholicisme que de Charlie Hebdo  

    G. D.T. : La Manif Pour Tous est plus proche de la droite et du catholicisme que de Charlie Hebdo mais nous ne sommes en guerre contre aucun français. Ceux qui veulent nous rejoindre, blancs/blacks/beurs, chrétiens/juifs/musulmans/athées… du moment qu’ils reconnaissent, qu’ils acceptent la réalité de la France qui n’a pas seulement des racines chrétiennes, mais qui est chrétienne. Même si aujourd’hui la foi a tendance à s’étioler, quoiqu’elle redémarre… 

    L.D. : C’est un préalable que vous posez. Aucun parti ne pose ce préalable.        

    G. D.T. : Oui, bien entendu, parce qu’on ne peut pas reconstruire… Aucun parti ne pose ce préalable parce qu’ils ne veulent pas reconnaître la réalité. C’est logique qu’ils ne reconnaissent pas ce préalable. C’est logique, pourquoi ? Parce qu’ils se situent tous dans une culture issue du transfert, qui s’est produit en 1789, du transfert de souveraineté vers le peuple. Or, qu’a-t-on transféré au peuple comme souveraineté ? Non seulement la souveraineté du roi, mais aussi la souveraineté de Dieu. Le peuple est devenu, un petit peu, son Dieu, son propre référent. Cela donne les partis. Aujourd’hui, à 50% des voix plus une, on décide qui a le droit de vie ou qui n’a pas le droit de vie. C’est 100% des pouvoirs. Il est donc normal que ces partis ne reconnaissent pas mêmes les racines chrétiennes de la France. 

    L.D. : Merci général Didier Tauzin. Justement, je vais conclure avec ces « racines chrétiennes de la France » dont vous parlez dans cet ouvrage qui est une forme de profession de foi. Ça s’appelle Rebâtir la France aux éditions Mareuil et vous dites justement : « Tout en elle est marqué de l’empreinte chrétienne : sa civilisation, sa culture, sa conception de l’homme, de la liberté, du mérite, du travail. Ses paysages, ses lois, ses mentalités. Même ses partis politiques », que vous venez de fustiger, justement, « procédaient jusqu’à une époque récente « de vertus chrétiennes devenues folles »[i] ». Je précise que l’association que vous avez fondée s’appelle France, Terre d’Espérance, avec son site internet. C’est un projet que vous avez lancé et vous-même — et c’est à souligner parce que c’est assez rare — vous-même militaire, officier supérieur, général, expérience des opérations spéciales, des prises d’otages, eh bien vous-même vous décidez en quelque sorte de vous lancer en politique. À bientôt général Tauzin, merci. Et le Grand Témoin, bien sûr, chaque matin, à partir de 7h35. À demain.              

    Photographies : Portraits du Général Didier Tauzin & des militaires au pied de la Tour Eiffel par Simon Lambert / Haytham Pictures : http://www.haythampictures.com/



    [i] Gilbert Keith Chesterton, dans Orthodoxie, 1908.

  • On autoriserait le médecin à donner la mort à son patient, en conscience

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    Retrouvez cet article sur la page enrichie De la dignité humaine & de la loi Leonetti.

     

    SDD ouvertureSite.jpg         Nous sommes plus de 500 étudiants en médecine de toute la France, regroupés au sein de l'association Soigner Dans la Dignité pour encourager la réflexion et la formation sur la fin de vie.

             Nous voulons lutter contre les peurs entourant la fin de vie, la défiance entretenue par certains contre le corps médical, et contre un préjugé destructeur : non, on ne meurt pas en France dans d'atroces souffrances, les solutions existent mais manquent de moyens et de visibilité.  

    SDD Logo.jpg         Les lois sur la fin de vie ne sont pas assez connues et appliquées. Ce constat unanime motive certains pour demander un nouveau texte. Nous refusons cette démarche. Le cadre actuel de 2005, reconnu et estimé à l'étranger, ouvre une troisième voie raisonnable entre acharnement thérapeutique et euthanasie. La priorité est de faire connaitre cette loi, et non d'en écrire une nouvelle.  

             Alors que le rapport que vont rendre prochainement Jean Leonetti et Alain Claeys à l'Assemblée Nationale devrait proposer des changements importants dans ce domaine, il nous semble important de revenir sur le cas de la sédation en phase terminale d'une maladie.

    SDDOuvertureSite2.jpg         Ce procédé consiste à faire baisser la vigilance du malade de manière réversible dans les situations extrêmes de souffrances liées à une angoisse forte, de détresse respiratoire ou de très rares douleurs réfractaires au traitement antalgique. Ce protocole n'intervient qu'en dernier recours, il concerne une très faible proportion des personnes accompagnées en soins palliatifs. En effet, les médicaments utilisés sont néfastes pour l'organisme, et peuvent abréger la vie du patient par ailleurs. 

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             La loi encadre l'utilisation de tels produits. S'applique alors le principe du double effet : un tel acte médical n'est possible que si l'intention et la volonté du médecin sont d'apaiser les souffrances de la personne, et non d'abréger sa vie. L'intention du médecin introduit ici ne se réduit pas à un concept moral, au contraire. L'intention qui préside à la mise en place d'un traitement régi par le double effet est visible dans les doses mises en place. Les médecins recherchent en effet la plus faible dose efficace, pour minimiser les effets secondaires du produit.  

             Nous sommes alertés par certains propos concernant la sédation. On nous parle notamment d'un « droit à la sédation profonde et terminale », évacuant le principe du double effet. On autoriserait alors très clairement le médecin à donner la mort à son patient, en conscience. Il pourrait ainsi utiliser un sédatif à forte dose, sans que la loi ne prenne en compte son intention. Nous refusons le raccourci mensonger et malheureux d'une euthanasie par sédation profonde, hypocritement déguisée sous ce nom de sédation terminale.

    SDD OuvertureSite 3.jpg         Cette mesure n'est pas un ajustement. Elle franchit une limite dangereuse : nous entrons dans la logique euthanasique. 

             Nous payons aujourd'hui le lourd tribu du manque critique de praticiens formés et disposant des moyens nécessaires à accompagner le mourant dans le respect de sa dignité d'homme. 

     

             Nous, soignants de la France de demain, voulons être une force de proposition au service d'une médecine à visage humain.  

    SDD Logo.jpg

             Nous constatons l'urgence d'informer nos concitoyens sur la loi. Nous désirons être formés à l'accompagnement et refusons toute mesure qui donne au médecin le pouvoir de mettre fin à la vie de son patient. Notre vocation de médecins reçue d'Hippocrate est de « guérir parfois, soulager souvent, réconforter toujours ». Nous sommes au service de nos patients, nous ne voulons pas d'une médecine qui distille la vie ou la mort à volonté.

    Jean Fontant SDD.jpgJean Fontant
    Interne en soins palliatifs, Président de Soigner Dans la Dignité
    Article repris du Figaro Vox

     

     

     

    Alix, étudiante en médecine et porte-parole de Soulager mais pas tuer

     

  • Les professionnels de l'enfance veillent…

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    Portrait Enfant Jérôme Brunet.jpg

    Jérôme Brunet veille…

    J’ai travaillé, comme animateur, dans les quartiers dits « sensibles » à Dreux dans les années 80. J’y ai vu combien le manque de repères, l’absence des parents plongeaient les enfants et les jeunes adolescents dans des comportements marqués par la violence, la peur, les phénomènes de bandes… j’ai vu comment, pour se protéger des autres, ils devaient s’endurcir, se montrer agressif, faire peur à l’autre. J’ai vu cette violence qui naît de l’absence de sécurité psychique.

    Malik, je pense à toi qui as pu montrer, parce que nous avions pu construire la confiance, que derrière l’épaisse carapace de piquants, il y avait un cœur merveilleux, simple. Un cœur d’enfant.

    En formation, à l’école normale des instituteurs, j’ai entendu ces idéologues niant la place de l’inné dans la personne, nous dire que les enfants étaient tous égaux en capacité, dès la naissance. Que tout était une question de pédagogie, de façon de s’y prendre.

    Ceux-là même qui vantaient la méthode globale, méprisaient l’apprentissage par cœur des tables de multiplication, promouvaient la grammaire structuraliste (à laquelle nombre d’enseignants ne comprenaient pas grand-chose…).

    J’ai vu les regards perdus de l’enfant qui n’apprend pas, qui ne comprend pas, parce qu’on ne prend pas en compte sa capacité, sa forme d’intelligence…

    Christophe, Anthony et vous, les jumeaux, je pense à vous. A cette souffrance qu’a été la classe pour vous.

    Instituteur, j’ai découvert la dépression de l’enfant dont les parents se séparent, ou se disputent et à qui on demandait de continuer à être performant à l’école. J’ai frappé au mur de l’indifférence des adultes qui niaient le problème : il ne fallait pas dire que les enfants souffraient du divorce de leurs parents, car cela pouvait être interprété comme un jugement négatif. A l’époque, beaucoup de psychologues n’osaient pas s’exprimer sur cette question ou niaient le problème.

    Je pense à toi, Ariane, qui était pleine de vie et pétillante dans cette classe de grande section. Et qui du jour au lendemain est devenue éteinte… pleurait et me confiait que tes parents se séparaient. Je revois ta maman qui me disait qu’elle t’avait tout expliqué, et que tu allais bien.

    Directeur d’école, j’ai accompagné ces enfants qui perturbaient la classe. J’ai vu leur immense angoisse, leur détresse de ne pas comprendre les repères de la vie avec les autres, parce qu’on ne les leur avait pas appris.

    J’ai vu ces enfants rois, qui devenaient tyrans… ceux que l’on appelle maintenant les pervers narcissiques…

    J’ai accompagné cette angoisse – qu’un adulte ne supporterait pas – qui naît de l’absence des repères structurants, qui posent les limites de la liberté pour la faire naître et qui sécurisent dans un monde de relations si complexes.

    J’ai vu le fruit blette, empoisonné, mortel d’ « il est interdit d’interdire ».

    J’ai entendu ce psychologue qui me confiait son désarroi parce qu’il devait poser des diagnostics de psychopathe pour des enfants de 12 ans.

    Je pense à toi Thomas, qui a réussi à te construire parce que nous avons su baliser un chemin pour t’accompagner. Je pense à toi, Olivier que nous n’avons pu sortir de ta souffrance.

    J’ai vu la détresse de ces parents qui avaient peur de leurs enfants et n’osaient pas dire non et tenir bon face à la contradiction par peur de leur faire du mal.

    J’ai vu aussi des couples exploser à cause de la confusion des rôles.

    Et j’ai vu que le suicide des jeunes devenait une préoccupation de plus en plus grave. Que la violence gratuite entre jeunes apparaissait et se développait. Que la drogue, l’alcool deviennent des fléaux. Que la pornographie circule dans les cours d’école et de collège.

    J’ai vu que la plupart du temps, l’enfant souffre en silence.

    Et j’ai entendu tous ceux-là qui disent que les enfants s’adaptent aux nouvelles situations familiales, que la famille recomposée, c’est formidable, qu’il n’y a aucun problème à avoir deux papas ou deux mamans, à naître par GPA, ou PMA avec donneur anonyme, à être privé d’une partie de sa filiation biologique, puisqu’il « suffit d’expliquer aux enfants pour qu’ils comprennent ».

    Depuis plusieurs années, avec d’autres, j’ai décidé de ne plus me taire et de redire qu’un enfant a droit à une éducation qui le prépare à la vie d’adulte, qui n’est pas un long fleuve tranquille.

    Qu’il a droit à la sécurité physique et psychologique, aux soins, à l’amour de ses parents, à la construction de sa personnalité dans toutes les dimensions de la personne : physique, intellectuelle, psychique.

    Bien sûr, la vie, avec ses accidents ne s’écrit jamais avec des lignes droites, les règles ont toujours des exceptions. C’est la vie.

    Mais l’exception ne doit pas devenir la règle.
    Je suis devenu un veilleur.
    Alors, je veille.

     

    JÉRÔME BRUNET
    Président de l’Appel des Professionnels de l’Enfance
    Porte-parole de la Manif pour tous

    Article initialement publié sur
    APPEL DES PROFESSIONNELS DE L’ENFANCE

     

     

  • Le produit de la trahison d’une classe intellectuelle qui refuse de transmettre l’héritage intellectuel, moral et spirituel à une jeunesse abandonnée aux pulsions de la sauvagerie

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    FX Bellamy LES DÉSHÉRITÉS.jpg                  François-Xavier Bellamy dans son livre « Les déshérités » dénonce les théories de Jean-Jacques Rousseau et de Karl Marx préconisées aujourd’hui par nos ministres. Celles-ci, en effet, mettent comme préalable à toute révolution réussie la fabrique de bons sauvages par la mise en place d’une amnésie collective. Enfants du Mékong en connaît le prix. Pour le seul Cambodge, 2 millions de génocidés avec une sauvagerie inouïe. Les fomentateurs ont tous été formés dans les universités françaises aux lettres de notre encyclopédiste bien connu et de Karl Marx. Le Cambodge était pourtant un peuple d’une culture multiséculaire qui avait ses propres médecins, ses professeurs d’université, ses avocats. Quel est le mécanisme qui engendre une telle barbarie ? François-Xavier Bellamy dénonce la théorie du bon sauvage qui interdit au maître de transmettre ce qu’il sait et impose à son disciple à apprendre à ignorer, plutôt qu’à savoir. Notre normalien démontre que la génération qui a béni les massacres d’hier au nom de la régénération des peuples, corrompus, perdure dans nos écoles. Et de citer des inspecteurs généraux de l’éducation intimant aux brillants élèves de la rue d’Ulm : « Vous n’avez rien à transmettre ». Et un ministre, même de droite, en 2009, de dire que « la culture générale est discriminatoire ». À la fois homme politique et professeur de philosophie, il dénonce la trahison d’une génération qui a bénéficié amplement de la culture transmise. Pourtant, pour incuber du ”bon sauvage”, par perversité idéologique, elle la refuse à la génération suivante. On sait que la barbarie s’est installée chez les jeunes à qui on a refusé toutes références morales et culturelles  : « l’homme réduit à l’utilisation des choses et interdit de rapports moraux d’homme à homme », dénonce-t-il. C’était effectivement le programme de Pol Pot. Ce n’est peut-être pas un hasard si les épurateurs d’hier ont été tellement soutenus par nos universités françaises. Ce sont les mêmes qui, malgré les millions de morts conséquents aux théories qu’ils ont encouragées, continuent à les développer. Le ”bon sauvage” est en réalité un barbare. Le toulousain Merah, ou ce furieux à l’accent de Liverpool qui coupe les têtes pour les brandir comme les révolutionnaires de 93, est en fait un sauvage. « Qu’il soit islamiste ou marxiste il est le produit de la trahison, insiste notre auteur, d’une classe intellectuelle qui refuse de transmettre l’héritage intellectuel, moral et spirituel à une jeunesse abandonnée aux pulsions de la sauvagerie. »   

     

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    Yves Meaudre
    Directeur général
    d’Enfants du Mékong

     

  • L'égalité entre homme et femme selon F-X. Bellamy

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    François-Xavier Bellamy, auteur de « Les déshérités - ou l’urgence de transmettre » répond à Sylvie Braibant et à Mohamed Kaci (Émission « 64’ Le monde en français », rubrique « Grand angle », TV5Monde, du 2 septembre 2014).

     

     

     

                          S.B. : C’est une question un peu sous forme d’interpellation, puisque, François-Xavier Bellamy, vous vous présentez comme un défenseur irréductible entre les sexes et vous soutenez que, pour parvenir à cette égalité, c’est la transmission du savoir qu’il faut faire.

             Je voudrais vous soumettre des chiffres. En France, 71% des filles réussissent au baccalauréat. 61% seulement pour les garçons. Et malgré cette supériorité, les filles se dirigent majoritairement vers les filières littéraires ou médico-sociales, tandis que les garçons se précipitent, eux, dans les secteurs d’excellence tels les sciences dures et les hautes technologies. Cette orientation naturelle ne date pas d’hier, comme le montre cette « Fabrique des filles » qui retrace la pédagogie mise en place depuis Jules Ferry pour inciter les élèves elles-mêmes à se diriger vers des filières où elles pourraient appliquer leurs qualités ”féminines”. Et c’est un travers, d’ailleurs, qui n’existe pas seulement en France, mais dans toute l’Europe, sauf en Suède. Peut-être parce que dans ce pays on a mis en place depuis des décennies ces « ABCD de l’égalité » que vous aimez tant détester.

             Alors, je vous repose la question : Croyez-vous donc toujours que c’est seulement par la transmission du savoir que l’on parviendra à surmonter l’inégalité entre les ”genres” ?

     

    FX Bellamy Photo.jpg         F-X.B. : Merci beaucoup pour votre question et merci pour la formulation de votre question. Vous avez dit quelque chose qui me paraît très symptomatique. Vous avez dit que « les filles ne se dirigeaient pas vers les filières d’excellence mais qu’elles se dirigeaient vers les filières plutôt littéraires. » Moi qui ai fait une filière littéraire et qui suis un professeur, un métier extraordinairement féminisé, je suis absolument en désaccord avec vous sur la formulation même de votre question. Je crois que les filières littéraires sont des filières d’excellence et je ne suis absolument pas jaloux de mes camarades qui ont fait des carrières d’ingénieurs ou de financiers. Je crois que l’enseignement de la philosophie…

     

              M.K. : … Les débouchés ne sont pas les mêmes, quand même…

     

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             F-X.B. : À quelle aune les évalue-t-on ? Si on les évalue en terme strictement financiers oui, c’est vrai que je gagne peut-être moins qu’un ou une de mes ami(e)s qui serait entré(e) dans la banque ou dans la finance. Mais je ne suis pas moins heureux pour autant et même je peux vous garantir le contraire. C’est un métier dans lequel on peut trouver un épanouissement extraordinaire.

             Je crois qu’il faut éviter de plaquer des modèles de réussite exclusifs. Vous voyez, c’est très paradoxal : les métiers vers lesquels les hommes se dirigent majoritairement vous les décrivez comme des métiers d’excellence. En réalité, n’est-ce pas là précisément faire peser une forme d’aliénation sur les femmes qui, parce qu’elles sont attirées par d’autres métiers, se voient déniée la possibilité d’incarner une forme d’excellence dans ces métiers-là ? Moi qui suis enseignant, je crois que c’est un métier qui suppose des compétences extrêmement complexes, variées et dans lesquelles on peut exprimer une excellence particulière. Je ne vois pas pourquoi on serait plus excellent parce qu’on a choisi d’aller compiler des tableaux Excel dans une tour de La Défense.

     

            M.K. : Alors, comment remettre la transmission au cœur du système éducatif français ? Quelles sont les pistes que vous proposez et que vous évoquez dans ce livre ?

     

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             F-X.B. : Pour assurer l’égalité à tous les élèves, l’égalité entre les sexes mais aussi l’égalité entre les origines, les milieux sociaux… je crois précisément qu’il faut que l’école redevienne une école de la transmission qui offre à tous la possibilité d’accéder aux mêmes savoirs. C’est-à-dire au meilleur de ce que notre culture a à transmettre parce que – et c’est l’idée que j’essaie de défendre au cœur de ce livre – au fond, le propre de notre expérience humaine est que nous ne sommes pas nous-mêmes par nature, nous avons besoin de la rencontre avec l’autre, avec ce patrimoine qui nous est transmis pour devenir nous-mêmes et conquérir notre propre personnalité. Garçons comme filles, issus de milieux sociaux divers, nous avons besoin de cette culture que nous recevons. Je crois que la meilleure chose que nous puissions faire est, au lieu de se focaliser sur la volonté de produire des uniformités qui ne répondent à rien, d’obliger les filles à s’intéresser à des métiers d’ingénieur parce que nous avons l’impression que c’est cela l’excellence… Donnons à chacun la même possibilité d’accès au savoir. Les filles qui voudront être ingénieurs seront ingénieurs, les filles qui voudront enseigner la philosophie enseigneront la philosophie. Et de la même façon pour les garçons. C’est la meilleure façon par laquelle nous pourrons servir une égalité réelle et aussi - et c’est très important - une liberté réelle de chacun, l’accès de chacun à sa propre singularité que de transmettre vraiment le meilleur de notre culture, de notre langue, de notre capacité d’écriture et de parole à chacun des enfants de France.  

     

     

    Retrouvez François-Xavier Bellamy avec « La critique du nihilisme contemporain serait très maladroite si elle s’appuyait sur le lexique des valeurs »

     

  • Français, musulman et patriote ? Camel Bechikh à Lyon

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    La Vaillante  a adapté à l'écrit la retranscription faite par Fils de France de la conférence filmée que donna Camel Bechikh à Lyon, en janvier 2014. Vous retrouverez les interventions publiques de Camel Bechikh retranscrites sur la page Une raison d'espérance.

     

    http://www.filsdefrance.fr/Bonsoir, merci pour votre présence, merci à l'ensemble de l’équipe de Fils de France de Lyon d'avoir organisé cette soirée. Depuis deux années d'existence de Fils de France, c'est la première fois que nous venons en province, très heureux de commencer par Lyon, sachant que pour nous, Lyon est un des terrains les plus difficiles en France pour tout un ensemble de raisons que j'évoquerai peut-être tout à l'heure. Si vous le voulez bien, je ne vais pas énormément parler mais plutôt laisser libre les questionnements de façon à ce que nous puissions tordre un peu la ligne Fils de France tout en étant, je l'espère, critique. Que je puisse être stimulé par vous, pour essayer de répondre à tout ce qui n'est pas forcément clair dans vos esprits. J'imagine qu'il doit y avoir pas mal de points d'interrogations sur ce qu'est cet objet un peu non identifié dans le champ métapolitique qu'est aujourd'hui Fils de France. Donc, je fais une présentation relativement succincte et je vous laisse la parole pour discuter sur les points obscurs de Fils de France.

     

    Pour faire simple, Fils de France qu'est-ce que c'est ? Tout à l'heure, je suis allé faire la prière du vendredi dans une mosquée de banlieue. Quelques personnes m'ont reconnu, une conversation s'est engagée avec des personnes qui ne me connaissaient pas du tout et me disaient : « Qu'est-ce que Fils de France ? ». D'après les aspects vestimentaires, on ne peut pas dire qu'ils étaient "clients" potentiels de Fils de France : ils étaient assez lookés qamis, etc... J'ai donc commencé à expliquer… La ligne de Fils de France est relativement simple : c'est de dire que l'individu dans son identité est composé de plusieurs lignes : une ligne nationale, une ligne ethnique, une ligne religieuse, etc… Et que nous, à Fils de France, nous avions le désir ardent de distinguer ce qui relevait du culte de ce qui relevait de la culture. Pour quelles raisons ? Parce que dans un contexte d'immigration relativement important, comme a été celui de la France dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le fait qu'une population importante extra-européenne et extra-chrétienne se retrouve à l'intérieur de l'Hexagone, a questionné les identités des uns et des autres et donc produit aussi un certain nombre de tensions. Dans la volonté de faire baisser ces tensions, l’idée était simplement de dire que l'on pouvait être musulman dans son identité spirituelle, et totalement français dans son identité culturelle. Lorsque nous disons cela, nous répondons à un certain nombre d'acteurs du moment qui insistent dans les revendications sociales, notamment en convoquant l'islam, ou dans un certain rapport à la mémoire où l'on convoque encore la religion musulmane. L'islam se retrouve donc mêlé à des revendications tout à fait légitimes, par une partie des acteurs de quartiers qui, dans leur islamité, combattent les injustices sociales. Or, nous, nous disons que l’appartenance à une strate sociologique ne relève pas de la confession. On peut être riche et musulman et on peut être pauvre et catholique. Constamment amalgamer l'idée de l'islam et de sa condition sociale enferme l'image musulmane dans une stratification sociale, tandis que l'islam est une idée universelle.

     

    Pareillement concernant la mémoire. Notamment concernant la guerre d'Algérie et la mémoire du colonialisme en général ­­─ d'ailleurs c'est pour cela que Lyon est un terrain peu aisé pour Fils de France, puisqu'une grande communauté algérienne est présente. L'Algérie et la guerre d'Algérie en particulier sont souvent amalgamées à l'identité religieuse. Or, tous les musulmans ne sont pas fils ou petits-fils de résistants algériens et tous les résistants algériens n'étaient pas musulmans. Il y a eu un nombre conséquent de communistes, notamment durant la guerre d'Algérie. Ainsi, des français de vieille souche se sont engagés corps et âmes pour l'indépendance de ce pays et qui sont d'ailleurs aujourd'hui considérés comme des résistants. Que l'on soit dans le social, que l'on soit dans l'historique ou dans tout un tas de revendications, il y a un amalgame malheureux entre une identité spirituelle et une condition, une trajectoire sociale. Á Fils de France, nous avions ce désir ardent de distinguer tout cela en disant que oui, nous pouvons être musulman et pas forcément lié à ces trajectoires de revendications sociales ou historiques. Pourquoi ? Parce que la France s'est créée sur des régions aux cultures fortes et qu'elle possède une culture, même si elle est très malmenée en ce moment par cette américanisation rampante qui déstructure des habitudes bien françaises. Cette identité française demeure forte. Maintenir une sorte de fantasme des origines maghrébines ou arabes au fur et à mesure des générations n'avait pas de sens avec la réalité. Vous allez avoir des gens qui revendiquent une appartenance, par exemple, et de manière très pompeuse, à l'Algérie ou au Maroc, mais qui finalement vivent en France de façon bien, ou relativement bien, mais n'émettent pas l'idée du retour dans les pays d'origine. Là encore, l'islam est convoqué comme un adjuvant ou un additif identitaire alors que ce n'est finalement pas son rôle. En terme de perception pour le français de vieille souche, de ce fait religieux à travers ces revendications sociales, à travers la (sur)revendication des origines, etc… cela pose d'énormes points d'interrogations. Si on y ajoute les tensions internationales dues aux différentes guerres du Golf, d'Afghanistan et éventuellement l'aspect belliqueux de certains groupes musulmans, on a un paysage islamique français extrêmement hétérogène mais composé uniquement de trains qui arrivent en retard, en négligeant et en ignorant par une sélection involontaire, tous les trains qui arrivent à l'heure.

     

    Finalement, les trains qui arrivent à l'heure sont tous ces jeunes musulmans français socialisés, de manière tout à fait classique, par l'école républicaine, la télévision, les groupes d'amis, etc… qui ont une islamité soit héritée, soit culturelle, soit pratiquante, et parfois même littéraliste, mais qui n'éprouvent pas de contradictions entre leur identité culturelle et leur identité cultuelle, qui assument tout à fait le fait d'être culturellement français, même si ce culturellement français pose énormément de points d'interrogations dans un contexte de mondialisation destructrice pour les identités culturelles. Donc, ne voyant pas ces trains qui arrivent à l'heure, ne voient pas de contradictions notoires entre le fait de l'identité musulmane et de l'identité française.

     

    Ensuite, on va dire : « Oui, mais il y a des incompatibilités fortes entre la dimension musulmane, qui lie la foi et la loi, et la dimension laïque et française. » Ce sont, je pense, de petites questions auxquelles on peut très simplement et très facilement répondre s’il y a une mise en perspective de ce qu'est l'islam dans son processus d'acculturation, de transmission, ou de passage dans des cultures diverses et variées et la tradition monarchique et républicaine française, qui a toujours fait sa place à l'altérité, qu'elle soit ethnique ou même religieuse.

     

    Puisque l'islam est à la fois un système éthique et à la fois religieux et politique, comment peut-il s'adapter au contexte laïcisé, sécularisé, qu'est le contexte français républicain ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/La religion musulmane a produit une civilisation qu'on a appelée la civilisation musulmane, islamique. Il faut juste distinguer l'islam avec un i minuscule de l'Islam avec un I majuscule. L'islam avec un i minuscule est cet ensemble religieux, universel, qui est une spiritualité. L’Islam avec un I majuscule est l'islam de la civilisation musulmane qui commence avec les omeyades, pour faire simple, donc dynastique, etc… Pourquoi l'islam est-il devenu un système politique ? Parce qu'à l'époque, et les chrétiens avant les musulmans, on imbriquait le religieux dans le politique. La conversion de l'empereur Constantin au christianisme aboutit à ce que l'Empire byzantin, qui était païen, ait pour religion le christianisme. Les musulmans, dans ce contexte-là, ont créé un empire en calquant leur système de gouvernance sur l'Empire byzantin. C'est donc une occurrence historique qui produit un système. Le système califal, où le politique et le religieux s’imbriquent, n'est pas un système qui rencontre la profondeur des textes musulmans, pas du tout. C’est simplement une rencontre avec une donnée politique, historique de l'époque. Et les musulmans ont adopté cette manière de fonctionner qui avait été adoptée par les chrétiens eux-mêmes. Le processus de sécularisation, donc de distinction du religieux et du politique, existait malgré tout puisque les théologiens étaient consultés par le pouvoir politique, mais n'étaient pas le pouvoir politique. Le système califal, dynastique, consultait les théologiens mais les théologiens n'étaient pas les tenants du pouvoir. Je dirais que cette idée que l'islam ne distingue pas le système politique du système religieux est une extrapolation de ce qu'a été l'Islam avec un I majuscule dans un cadre historique particulier. C'est ce qui fait dire à un nombre de théologiens, aujourd'hui, que la possibilité de réinventer les systèmes de gouvernance dans les pays musulmans ou chez les musulmans en tant que minorité dans les pays non-musulmans est constamment en mouvement. Il n'y a donc pas de système arrêté.

     

    Quelle est la position de Fils de France sur l'islam de France ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/L'islam est né dans un pays arabe qui s'appelle la péninsule arabique. Le Coran a été révélé en arabe à un Prophète arabe. Mais c'est un message universel : il y a une réalité anthropologique de ces primo musulmans qui se situe dans l'arabité. Mais le message étant universel, il va très vite dépasser cette arabité et va rencontrer un ensemble de cultures, de races, d'ethnies, de langues extrêmement différentes. Á tel point qu'aujourd'hui, les arabes ne sont qu'un cinquième de la population musulmane mondiale. Quoi de commun entre un malien et un indonésien ? Manifestement, du point de vue culturel, ils s'habillent différemment, ils mangent différemment, ils parlent différemment, ils pensent différemment. Mais si vous les mettez ensemble pour accomplir la prière de midi, de Dohr, ils feront quatre unités de prière tous les deux. Parce que la mécanique religieuse, qu'elle soit liée à l'orthodoxie ou à la pratique, sont identiques quel que soit le lieu où l'on se trouve.

     

    Mais quand on parle d'un islam de France, à Fils de France, on parle même d'un islam français car nous percevons trois étapes. Nous parlons d'abord d'un islam en France qui est l'islam de nos parents : c'est-à-dire que ce sont des gens qui ont vécu vingt ans, trente ans dans le sud de la méditerranée et qui arrivent en France avec une identité religieuse, mais qui est cantonnée à leur culture façonnée par leur vie au Maroc, en Algérie ou en Afrique subsaharienne, en Tunisie, en Turquie, etc… Ensuite, il y a ce que nous appelons l'islam de France : c'est l'islam de leurs enfants, qui commencent à composer avec un environnement nouveau qui accueille une foi nouvelle (nouvelle avec beaucoup de guillemets parce qu'en vérité la France et l'islam connaissent une relation historique bien plus importante que cela). Pour la première fois, massivement, des musulmans vont commencer à réfléchir aux concepts de laïcité, de république, de citoyenneté en les liant, en les confrontant à leur identité religieuse. Nous appelons cela un islam de France. C'est le moment où l'on va tenter d'aménager la rencontre entre cette foi musulmane, cette pratique musulmane et les concepts forts qui font la République française. Et en troisième lieu, nous à Fils de France, nous parlons d'un islam français. L'islam français, c'est celui qui ne se pose plus la question. Je suis musulman, je prie cinq fois par jour. Comme je mange trois fois par jour pour nourrir mon corps, je prie cinq fois par jour pour nourrir mon âme. Ma dimension spirituelle, ma dimension verticale sont intrinsèquement musulmanes. Mais, mon horizontalité, ma socialisation, mes codes culturels, mes codes d'interactions sont inscrits, sans que je me pose la question, puisque c'est un fait j'ai grandi avec, dans la culture française. Il n'y a plus de question posée entre cette verticalité eschatologique, spirituelle ─ pour certains qui en ont la chance, mystique ─ et cette horizontalité culturelle, française. Avec, pour caricaturer à outrance, la baguette et le béret. Baguette et béret avec un mois de jeûne annuel et mes cinq prières par jour. Ça c'est l'islam français.

     

    N’avez-vous pas peur que cet islam français dénature le message authentique de l'islam?

     

    http://www.filsdefrance.fr/C'est un islam français qui est encadré, il n'est pas anarchique. Il est encadré par les théologiens qui ont la capacité de distinguer ce qui peut être acculturé de ce qui ne doit pas l'être. Si on est en France, on priera cinq fois par jour, que l'on soit à New-York, à Médine ou à Bamako, les prières canoniques sont inscrites cinq fois par jour. On peut les faire ou ne pas les faire, ce n'est pas la question. L'orthodoxie musulmane est valable pour l'ensemble des musulmans. Notre spécificité c'est d'être, de vivre et de respirer français et d'aimer notre pays la France avec une spiritualité qui est musulmane. Alors on me dira : « Mais cette spiritualité est étrangère à la culture française ». Je réponds : « Oui, mais le christianisme n'est pas né au Mont St Michel. Le christianisme lui-même est un produit proche-oriental ou sémite. » Il n'y a finalement pas d'opposition entre les deux.

     

    Je vais vous donner un exemple très clair de la plasticité. C'est très important cette idée de plasticité. L'islam est quelque chose d'extrêmement plastique, il a une forte capacité d'adaptation aux cultures que la religion musulmane rencontre. Cette forte capacité d’adaptation se traduit notamment par quelque chose d'important qui est le mariage. Le mariage est une pratique sociale, universelle, à tel point même qu'on nous a fait le "Mariage pour Tous" maintenant. Ce mariage entre un homme et une femme en islam possède quelques conditions. La première condition est l'acceptation mutuelle : le fait que l'homme veuille se marier avec cette femme et que cette femme veuille se marier avec cet homme. Quand on parle de mariage forcé islamique, on est déjà dans l'antinomie de ce qu'est la religion musulmane qu'on amalgame souvent avec des traditions, de malheureuses traditions. Donc, d’abord, l'acceptation mutuelle. Ensuite, la dote : qui peut être presque symbolique. Et les témoins : en islam, contrairement au catholicisme, le mariage n'est pas un sacrement. Le mariage est un contrat entre deux personnes en vue de vivre ensemble et de procréer. Si nous sommes dans un cadre contractuel, il faut que le contrat puisse être respecté, que les deux parties puissent faire respecter leurs droits et devoirs : il faut donc un cadre légal. Au début des années quatre-vingt-dix, un ensemble de théologiens se sont réunis en disant : « Mais puisque la finalité de la jurisprudence musulmane dans le mariage est de faire respecter les droits et devoirs de l'époux et de l'épouse, seul un cadre légal peut assurer la finalité de la jurisprudence musulmane. » Ce n'est donc pas symboliquement le mariage devant un imam qui fera foi puisque la loi ne le reconnaît pas. C'est donc le mariage à la mairie qui devient le mariage musulman. Parce que seul le mariage à la mairie propose un cadre contractuel qui respecte la finalité de ce contrat de mariage, qui est de faire respecter les droits et devoirs de l'époux et de l'épouse. C'est un petit exemple de processus d'acculturation. Je pourrais vous en produire peut-être des dizaines qui exposent cette plasticité de la religion musulmane. Et souvent, nous sommes dans une position très identitaire aujourd'hui en France. Il faut aussi analyser ça à l'aune d'une psychologie sociale. Car être fils d'immigré c'est être quelque part déraciné et en voie d'enracinement. Cette période de fragilité identitaire, souvent, pousse à une forme de rigidité identitaire. D'où la convocation de l'islam, parfois, comme objet de protestation, notamment.

     

    Fils de France semble proche d'une certaine mouvance de droite. Peut-on en déduire que Fils de France est de droite et en quoi seriez-vous de droite ? Et est-ce que vous avez rencontré des résistances de certains partis ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/La ligne de Fils de France a été fondée il y a deux ans par les membres fondateurs. L'idée principale étant le patriotisme français. Donc, nous nous plaçons à droite puisque historiquement la droite est héritière de ces valeurs catholiques, du point de vue de la morale. Mais la droite est aussi, si je schématise à outrance, le réceptacle du néolibéralisme, ou du libéralisme, ou du capitalisme, contre lequel nous nous plaçons en porte à faux puisque souhaitant une résistance de la culture française face à cette mondialisation. Nous savons très bien que c'est le néolibéralisme, la marchandisation à outrance qui détruit les cultures en les uniformisant. Donc nous serions plutôt de ce point de vue-là "social" ou dans un capitalisme social à la De Gaulle. C’est-à-dire un entreprenariat qui ne soit pas bridé mais qui ne devienne pas le centre de la vie du pays. Une économie au service des français et non pas des français au service de quelques patrons. Je ne vais pas reprendre le célèbre slogan "droite des valeurs, gauche du travail"… mais on n'est pas très loin.   

     

    Y a-t-il vraiment une possibilité d'ouverture avec le Front National ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Lorsque je me déplace au Front National (Idée Nation est une composante du Front National) je me déplace chez des gens qui sont islamo-sceptiques, voire islamophobes. Et islamophobe, ça veut dire qu'ils craignent l'islam. Pour certains qu’ils détestent l'islam. Et lorsque les journalistes me disent : « Mais pourquoi allez-vous chez Idées Nation ? Ne pensez-vous pas créditer le Front National d'un musulman de service qui viendrait jouer le rôle de valider quelque part leur ligne ? ». Je réponds : « Pas du tout ». Je dis, si moi je dois dialoguer, si moi j'ai choisi de me battre dans ce pays pour apaiser les tensions… Parce que je pense que fondamentalement plus les français seront divisés plus la France sera faible ; et plus la France sera faible et plus elle risquera de se noyer dans la mondialisation ; et plus elle se noiera dans la mondialisation, plus nous perdrons l'héritage de ce que des générations et des générations d'hommes et de femmes en France nous ont légué. Et ça, on n'a pas le droit de le faire. Donc moi, quand je me déplace chez Idées Nation ou ailleurs, je le fais dans un esprit de dialogue. Je ne vais pas dialoguer avec celui qui est d'accord avec moi, ça n'a aucun sens. Je vais dialoguer avec celui qui me craint, qui me redoute, celui qui me déteste, celui qui me hait, celui avec qui j'ai absolument besoin de parler. Lorsque je me déplace chez des gens qui sont très hostiles à l'islam, aux musulmans, je le fais dans le cadre de l'apaisement, pas dans le cadre d'aller signer un bulletin d'adhésion. Je suis musulman, ça n'échappera à personne, mais Dieu a parlé avec tout le monde même avec le diable, c'est vrai ou c'est pas vrai ? Il y a bien un dialogue entre le diable et Dieu dans le Coran. De plus, je pense que c'est très utile, car souvent les rapports humains permettent de lever beaucoup d'amalgames, de fantasmes, etc…  

     

    Avez-vous rencontré des résistances dans ces milieux de droite, à part le FN ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Non. Même à Idées Nation où la salle était aussi importante que celle-là. Vous savez qu'à la fin de mon intervention, des personnes ont rendu leur carte du FN. Et à côté de ça, j'ai été applaudi quelques fois quand même, et moi je n'ai pas vendu mon identité. Avant la conférence j'étais musulman et après je l'étais toujours. J'ai simplement exposé ce que nous à Fils de France nous avions à dire.

     

    Et avec les monarchistes aussi ?

     

    Oui, avec l'ensemble des courants de droite ou de droite nationale, je n'ai pas rencontré de résistance.

     

    Le prosélytisme fait-il vraiment parti du code génétique de l'islam ? Quel avenir pour nous chrétiens quand on voit cet islam progressant et menaçant ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Vous parlez de l'aspect "missionnaire" ? Qui existe d'ailleurs dans le christianisme et dans l'islam, et pas dans le judaïsme. Je ne suis pas le porte-parole des musulmans de France, loin s'en faut. Mais je crois qu'avant d'envisager l'aspect missionnaire vis-à-vis des autres confessions, ou en dehors des musulmans de France, il y aurait déjà beaucoup à faire au sein des musulmans de France eux-mêmes. En termes de réapprentissage de la foi profonde et du dépassement identitaire, dont je parlais tout à l'heure. Est-ce que les musulmans de France ont des velléités missionnaires ? Je pense qu'il y a des musulmans de France qui ont cette envie de partager leur foi et donc deviennent prosélytes. Mais je ne crois pas que six millions de musulmans en France soient des missionnaires patentés. Je crois que la plupart des musulmans de France vivent paisiblement leur foi, tentent très difficilement de la transmettre à leurs enfants, qui eux-mêmes tentent de la transmettre à leurs enfants, dans un environnement qui est quand même très hostile à la foi et à la morale, qu'elle soit catholique ou musulmane. Avant d'aller chercher en dehors de sa communauté respective, il y a tant à faire à l'intérieur. Déjà à l'intérieur de soi-même : demeurer fidèle à ses engagements, ce qui n'est pas simple, au sein de sa famille, puis au sein de la société ou de la communauté à laquelle on appartient. Mais, en effet vous avez raison, l'islam contient une partie qui est liée à la transmission. Maintenant, l'exposition de ces principes musulmans est d'avantage dans le fait du témoignage, de témoigner de sa foi. C'est comme si vous me posiez la question sur le djihadisme. Je vous dirais oui, la notion de djihad, notamment intérieur, fait partie de l'islam. Qu'il y ait une minorité de musulmans qui la comprenne pour aller en découdre au Proche-Orient, oui cela me semble inévitable. Mais cela reste extrêmement fragmentaire, minoritaire, et ne remet pas en cause l'équilibre global, je pense, de la relation entre la majorité chrétienne, catholique, en espérant qu'elle le reste, car la plus grande menace pour la majorité chrétienne et catholique, je ne crois pas que ce soit l'islam. C'est davantage le consumérisme et une certaine laïcité militante, agressive à l'endroit du catholicisme.

     

    Je crois au contraire que l'islam peut renforcer l'identité chrétienne de la France comme les chrétiens peuvent renforcer l'identité musulmane, à condition qu'il y ait cette logique, cette compréhension fondamentale de valeurs qui unifient.

     

    Que pensez-vous d'un certain aspect "belliqueux" de certaines sourates du Coran ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je ne suis pas théologien, mais je sais que dans le Coran, il y a des versets principiels qui sont des principes ; et des versets contextuels, donc uniquement liés au moment coranique. Les versets belliqueux sont des moments où il y a eu des tensions entre les tribus chrétiennes, juives et musulmanes. Quand on me dit ça, je réponds que d'une part les musulmans lisent très très peu le Coran. Le Coran n'est pas un livre central chez les musulmans, il ne faut pas rêver. Cela fait partie des fantasmes de penser que les musulmans lisent le Coran, le liraient tous les jours, intégralement et le comprendraient. C’est absolument faux. Je ne sais combien il y a de musulmans dans cette salle, je ne vais pas faire un sondage, mais si je demandais de lever la main à ceux qui ont lu le Coran une seule fois dans les six mois derniers, il n'y aurait pas beaucoup de mains qui se lèveraient. Ce n'est pas parce qu'un texte possède des mots que ce texte se traduit par des comportements. Si je dis " qu'UN SANG IMPUR ABREUVE nos SILLONS !", de fait le texte est violent "du sang" " impur" et qui abreuverait des sillons. L'image est hyper violente mais cela ne fait pas des français des zigouilleurs patentés. En effet, dans l'hymne nationale, il y a un couplet qui est assez fort du point de vue de la violence. Mais les français sont-ils nourris par ce couplet de la Marseillaise dans leur manière de vivre au quotidien et même au-delà ? Je ne le crois pas.

     

    Il faut quand même distinguer ce qui relève de la réalité des comportements de ce qui est l'œuvre, d'ailleurs, des exégètes, de quelques versets du Coran, très contextuels à l'endroit de la violence.

     

    Mais la Marseillaise a été écrite par des hommes et le Coran par Dieu. Pourquoi Dieu s'arrêterait-il à des événements contextuels ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Il y a des versets qui sont abrogés dans le Coran car ils relèvent uniquement du contexte, du moment coranique. Mais je le redis : est-ce que le comportement aujourd'hui des musulmans que vous côtoyez au quotidien est imprégné de ces quelques versets dont on nous parle tout le temps, en ignorant d'ailleurs tous les autres versets qui parlent d'amour, de miséricorde, de partage, de générosité, de véracité, de magnanimité, etc... ? Il y a une focalisation qui me semble disproportionnée, hypertrophique, sur quelques versets qui ne se révèlent pas être une réalité dans le quotidien des six millions de musulmans en France, et même ailleurs. Et si l'on veut partir de là, je peux dire que l'histoire du christianisme aussi a été truffée d'épisodes d'une violence rare. Je ne vais pourtant pas stigmatiser ou mettre à l'index la spiritualité catholique qui a donné St Thomas d'Aquin, Jean Chrysostome, St Jean de la Croix, Charles de Foucault, Marthe Robin (que j'explore en ce moment). Il faut être honnête dans son approche : on ne peut pas envisager quelques lignes qui ne se reflètent pas dans le quotidien des musulmans et ignorer la majorité des textes scripturaires : Coran et hadiths, et les textes des théologiens ou des spiritualistes soufis qui ont mis l'amour au centre de tous les comportements. Pourquoi ne nous parle-t-on pas des versets liés à l'amour, à la miséricorde, à la générosité ? J'entends ce que vous dites Monsieur, mais de fait, il y a une sélection des textes musulmans qui vont souvent dans un sens plutôt que dans un autre.

     

    Ce sont les théologiens qui ont abrogé les textes parlant d'amour.

     

    http://www.filsdefrance.fr/Ce que vous dites n'existe pas. Les théologiens n'ont pas abrogé les versets parlant d'amour. Je ne sais pas où vous avez entendu ça. Je ne sais pas par quel canal vous êtes entré en connaissance avec l'islam. Souvent, les gens qui ont cette approche d'un islam violent, dénué d'amour, ont des sources bibliographiques très antimusulmanes. Elles existent, mais il y a aussi celles qui sont plus rationnelles que nous allons trouver chez Louis Massignon, Laoust, Sourdel, etc… qui ont été les grands islamologues français. Mais ceux-là, bizarrement, on ne les lit plus. On lit volontiers les quelques pamphlets antimusulmans et ça devient la seule porte d'entrée pour comprendre la religion musulmane. C'est comme si moi, pour m'intéresser au catholicisme, je passais par la porte d'entrée des libres penseurs, de l'anticléricalisme, des bouffeurs de curés et je me dirais : « Ben dis-donc, le catholicisme c'est ça ?! » Évidemment, si on s'intéresse à un fait religieux par ceux qui le combattent, ple dénigrent, le détestent, évidemment, on va aboutir à une vue de ce fait religieux très orienté.

     

    Mais il n'en reste pas moins que cette littérature très antimusulmane demeure extrêmement minoritaire à l'intérieur de l’ensemble de ce qu'a fourni l'orientalisme depuis le XIXème siècle.

     

    Peut-on admettre de la violence, car la violence fait aussi partie de la réalité humaine ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/On peut tout relativiser. Mais aujourd'hui, l'actualité internationale est très anxiogène pour ceux qui ne sont pas musulmans en France, parce qu'ils ne connaissent pas de l'intérieur ce que vous vous connaissez de l'intérieur. De l'extérieur, quand on voit ce qui se passe en Afghanistan, au Pakistan ou en Arabie Saoudite, pour envisager son voisin musulman, ça produit forcément de l'anxiété. C'est à ça qu'il faut répondre.

     

    Quand je parle de violence, je parle de violence spirituelle...

     

    Mais les gens ne parlent pas de violence spirituelle. Ils parlent d'égorgement, de lapidation, d'attentats, etc…

     

    Certains médias vous accusent de faire de la taqiya, de la ruse. Que répondre à ces gens-là ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Le mot taqiya n'est pas lié à la tradition sunnite. Il est lié à a tradition chiite. Les chiites ont été persécutés par les sunnites. Á un moment, pour dissimuler leur foi chiite, pour ne pas être embêté, inquiété, les chiites ont dissimulé leur chiisme. Ils se sont autorisés le mensonge par ruse dans ce qu'ils appellent la taqyia. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'en France, si les cathares avaient produit de la taqiya, il y aurait encore des cathares en France. Quand une majorité religieuse opprime, persécute une minorité religieuse, soit elle ruse pour survivre, soit elle se fait exterminer. Le mot taqiya n'est déjà pas approprié. Ces gens qui parlent de taqiya pour Fils de France ont l'impression qu'on est obligé de passer par eux pour aimer la France. Or, moi, très sincèrement, je me fiche complètement de ces gens-là ! Mon rapport charnel et amoureux à mon pays, il est dans mon enfance, dans mon Berry, il est dans mes souvenirs affectifs, amoureux, à la terre, à la forêt… Je ne passe pas par ces gens-là pour m'autoriser à avoir un rapport amoureux à mon pays. Après, on ne peut pas être d'accord avec tout le monde, c'est de bonne guerre en plus. Car du côté non musulman, on va nous dire qu’on fait de la taqiya ; et du côté musulman une minorité va nous dire que nous sommes en train de vendre nos principes. Le fait est qu’on ne peut pas plaire à tout le monde.

     

    En revanche, je crois qu’il faut garder sa ligne, être le plus argumenté, le plus articulé possible, rationnel. Mais aussi sentimental. Fils de France est quand même une démarche très sentimentale et aimante. Bien faire et laisser dire. C’est la devise : « Bien faire et laisser dire ».

     

    Je souhaiterais juste apporter un témoignage quant à la plasticité de l'islam. Sur l'Île de la Réunion, les imams demandent le certificat attestant le mariage à la mairie avant de prononcer le mariage au sein de la mosquée, et cela pour conforter ce que vous disiez quant à la plasticité de l'islam, qui est un fait.

     

    http://www.filsdefrance.fr/Concernant la mosquée… La mosquée a son fond et sa forme. Dans son fond, elle est un lieu de moralisation. La mosquée comme l'église, le temple ou la synagogue est un lieu où l'on se nourrit de la présence du divin pour, sorti de cette mosquée, rayonner de cette bienfaisance que nous avons captée dans la prière. C'est valable pour les chrétiens et pour les juifs. Je connais beaucoup moins les religions orientales. La mosquée est un lieu de moralisation dans un moment où la surconsommation pousse à être amoral. Aujourd'hui, le fait de maîtriser son instinct est l'enjeu du bien commun. Parce que maîtriser son instinct c'est maîtriser l'équilibre dans l'espace public. Si chacun s'adonnait et laissait libre court à son instinct, nous serions dans une situation des plus inquiétantes. La morale est là pour cadrer les instincts humains, que l'on soit catholique, juif ou musulman. Quand je parle de mosquée, il y a donc sa forme et son fond. Dans son fond elle est un lieu de moralisation. Á condition que l'imam, le responsable de la mosquée, ait un certain éclairage sur le rapport qui situe la religion et la Nation. Le culte et la culture. La communauté musulmane et la communauté non musulmane. Il faudrait que les imams aient cette conscience dialectique qui fait que le musulman n'est pas que musulman dans la mosquée, mais va interagir avec une majorité qui n'est pas musulmane, dans un pays qui découvre avec fracas médiatique cette présence musulmane importante. Donc dans son fond, la mosquée est un lieu de moralisation dans une époque où la morale n'existe plus. Je pense que c'est extrêmement positif. On ne pourra pas en reprocher l’existence lorsque les couches sociales défavorisées sont de fait plus enclines à produire de la petite délinquance, de la délinquance, de la criminalité, quelque soit son origine ethnique ou religieuse, par ailleurs. Si on prend l'immigration mexicaine aux États-Unis, on a bien des hispaniques de religion catholique qui produisent cette petite délinquance, délinquance, criminalité, banditisme. Au-delà de l'aspect identitaire, dans les classes populaires on est plus sensibles et plus vulnérables au fait de franchir la limite du droit. Maintenant, dans ces classes populaires, s’il n'y a pas comme ciment une moralité qui permette de recadrer cette tentation, c'est le chaos. Le fond de la mosquée est donc moralisateur, et Dieu sait que dans les quartiers populaires on a besoin évidemment de morale. On ne peut pas être musulman pratiquant et délinquant, ça ne va pas ensemble, même si on a tenté de nous le faire croire.

     

    Ainsi, il y a le fond de la mosquée, son enseignement, et il y la forme. La forme doit respecter l'architecture locale. La France, comme je le disais tout à l'heure, est construite sur des identités régionales extrêmement fortes. Je ne vois pas au nom de quoi l’on construirait en Normandie une mosquée à l'image d'une mosquée marocaine, ou algérienne, ou je ne sais quoi. La Normandie a une tradition architecturale, la Bretagne a une tradition architecturale, la Flandre française a une tradition architecturale. Il n'y a pas d'antinomie entre le fait de transmettre dans le fond cette morale, qui participe au bien commun, et l'identité extérieure, architecturale, qui doit s'adapter au cadre.

     

    Le problème de la "progression" de l'islam est surtout le problème de l'immigration. Á partir du moment où vous ouvrez les vannes et que vous faites rentrer 250 000 étrangers par an sur le sol français, dont la majorité est souvent de confession musulmane, l'islamisation de la France passe par l'immigration. Pas par les primo-migrants des années soixante, soixante-dix et par leurs enfants. On confond souvent l'islamisation de la France et l'immigration. Très souvent la confusion entre les deux fait qu'on va désigner un musulman, qui peut être un musulman converti, en plus, tandis que le problème est lié au pouvoir public qui ne limite pas les flux migratoires. Nous à Fils de France, nous sommes très clairs sur la question. Nous distinguons le culte et la culture. Notre culte est musulman, notre culture est française. Et nous sommes farouchement opposés à l'ouverture anarchique des flux migratoires. Pourquoi ? Parce que c'est déjà une violence pour ceux qui émigrent. Le déracinement est déjà une violence pour celui qui émigre. Je vous invite à aller voir un ethnopsychiatre qui s'appelle Hamid Salmi, qui a travaillé sur les pathologies psychiatriques liées au déracinement. Comment certains pères de famille, après avoir émigrés, se retrouvent malades. Malades de ne plus posséder le rôle que l'anthropologie d'origine leur conférait en tant que chef de famille, etc… En France, ils arrivent dans une société qui ne reconnaît pas leur place en tant que telle. Et cela provoque des pathologies. Quand on dit être opposé à l'immigration, ce n'est pas le fils d'immigré qui est content d'avoir immigré, qui se sent bien dans un pays riche et qui refuse le droit à ceux du sud de pouvoir bénéficier de ce dont lui a bénéficié. Ce n'est pas ça. C'est dire qu’il y a aujourd'hui un système néolibéral qui exploite la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes et qui traite les hommes comme on traite les marchandises. On délocalise, finalement. C'est une forme de délocalisation. Sauf qu'on ne parle pas d'usines mais d'individus.

     

    Nous nous opposons donc à l'immigration parce que c'est destructeur pour les cultures, c'est destructeur pour les individus. Et puis ça fait surtout le jeu d'une minorité riche et mondialisée.

     

    Avez-vous des modèles d'homme dans l'Histoire de France ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Oui, Vauban. C'est un modèle parce qu'il fait figure du génie français incarné, de l'amour véritable d'un homme pour son pays. Ce génie d'avoir posé les forteresses pour le défendre. Et totalement intègre dans son rôle d'homme, de serviteur de l'État éminent. Vauban est pour moi le modèle.

     

    Nous sommes en pleine campagne électorale. Certains imams appellent à ne pas voter pour des raisons religieuses. Pensez-vous que le vote musulman soit indispensable à l'amélioration de la condition de la communauté en France ?

     

    Premièrement sur le vote, il me semble aberrant que des imams se mêlent de ces questions-là. Les imams ont un rôle spirituel, c'est déjà extrêmement lourd à porter pour aller s'intéresser aux questions politiques. Ce n’est pas leur rôle. D'autre part, décourager les musulmans d'aller voter est une aberration, puisque cela les coupe d'un droit citoyen fondamental qui est un des symboles d'appartenance à la Nation. Puisque en votant, on se soucie du destin de son pays. Ne votant pas, cela veut dire que l’on a un certain retrait qui n'est pas acceptable lorsque l’on est français. On n'est pas français de papiers, on est français parce qu'on aime son pays et qu'on veut le défendre. On doit pour cela participer au vote. J'espère que le vote musulman ne se confessionalisera jamais. J'espère que nous aurons des musulmans de l'extrême gauche à l'extrême droite. Moi, j'ai mes convictions mais ce ne sont que les miennes. J'espère que la coloration spirituelle n'épousera pas une coloration politique, ce serait dramatique. Je ne crois pas qu'il faille penser l'amélioration de la condition des musulmans de France par une sorte de chantage au vote. Je pense que nous aurons les politiques que nous méritons, mais au-delà de notre appartenance uniquement spirituelle, puisque nous ne sommes pas que musulmans. Nous sommes aussi travailleurs, assurés sociaux, utilisateurs de la route, de l'école publique, des transports publics, etc... La question du vote est liée à un ensemble de questions. Essentialiser la question du vote au bien-être de la communauté musulmane me semble ridicule. On vit dans un système global où le vote n'est qu'une partie. On ne peut pas vivre de manière sélective en disant : « Le vote c'est un péché, par contre les allocations familiales ne sont pas un péché ». Si on veut être "anti" dans sa démarche et donc courageux, eh bien on fait le choix objectif de vivre dans un lieu qui soit en adéquation complète avec ses convictions. Sauf que ça s'appelle le pays de « oui-oui ». Ça n'existe pas.

     

    Lorsque vous allez voter pour quelqu'un aujourd'hui, évidemment, il n'y a aucun français qui vote pour un politique qui répond à cent pour cent à ses aspirations. Vous allez voter pour le moins pire ou voter blanc.

     

    Comment vous situez-vous par rapport à Sheikh Imran Hossein qui appelle justement à ne pas voter ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je vais vous faire une confidence. Je n'ai jamais vu une seule vidéo de cette personne. J'en entends parler, mais je ne le connais pas. J'ai juste entendu dire qu'il s'était autorisé à déclarer que les musulmans de France ne devaient pas voter. J'imagine qu'il a plein de bonnes idées et dis plein de choses intéressantes et très sensées. Mais là, il commettait une énormité. Ce n'est pas son rôle.

     

    Vous parliez de patriotisme et d'amour pour la France par rapport à votre enfance, à vos souvenirs, etc… Il y a des jeunes qui ne grandissent pas dans la campagne ou dans le Berry, qui sont en ville, et qui ont moins de souvenirs positifs que vous. Si aujourd'hui vous deviez vous adresser à eux, quels mots utiliseriez-vous ?

     

    Je vous remercie du fond du cœur, vraiment, vous me touchez beaucoup avec votre question. Parce que j'ai eu cet après-midi une personne qui m'a dit exactement la même chose que vous. Il m'a dit : « Camel, votre discours est trop lié à une partie des musulmans qui existe, mais à Fils de France vous oubliez ceux qui n'ont que le béton et les frustrations de ne pas avoir goûté à cette France charnelle. ». J'entends bien votre propos monsieur et il me touche. Pour vous répondre, je ne peux pas me mettre à votre place, ou à leur place. Mais je peux dire qu’à Fils de France beaucoup de jeunes issus de ces quartiers difficiles nous ont rejoints. Ils nous ont rejoints en signifiant parfaitement l'idée qu'ils ne nous rejoignaient pas par un amour charnel ou sentimental de la France, mais par une dimension intellectuelle. Le patriotisme est ce qui va permettre de recimenter l'ensemble des français qui ne sont pas black-blanc-beur, mais bleu-blanc-rouge pour un meilleur vivre ensemble à l'intérieur de nos frontières, et en terme de rayonnement international.

     

    C'est vrai que nous avons les deux grands ensembles à Fils de France. On a des gens qui, plutôt dans mon profil, ont vécu des choses extrêmement belles dans leur parcours. Et d'autres personnes qui ont vécu des choses très frustrantes, comme vous le disiez tout à l'heure. C'est-à-dire ne pas goûter à la beauté des châteaux de la Loire, ne pas goûter à la forêt, etc… qui n’ont vécu que dans de l'urbanité froide. Il faut prendre de la hauteur, ce n'est jamais trop tard. Une fois que nous avons vingt ans, trente ans, nous pouvons aller redécouvrir ce patrimoine-là. Des jeunes à Fils de France avaient les mêmes propos que vous et n'étaient jamais sortis de la banlieue parisienne. Par leur expérience à Fils de France ils ont choisi d'aller voir ce qu'était la France. Ils ont pris leur voiture, ont passé un mois sur les routes, en passant par les Alpes, ont découvert le Sud-ouest, etc… Et pour la première fois de leur vie, ils touchaient du doigt la beauté de ce pays. Ce qui n'a pas été fait en trente ans s'est produit en l'espace d'un mois. Ils sont devenus des amoureux de la France. Car la France est belle à pleurer en vérité. Il ne faut pas grand-chose.

     

    Merci de votre question monsieur.

     

    Que pensez-vous de la médiatisation soudaine de celui que j'appellerai "l'imam illettré", Chalghoumi, qui contraste avec le silence autour de Fils de France ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Il est utile à une minorité de militants pro-israéliens qui s'appuie sur cette personne... Lorsqu'il s'exprime, je pense que tous les musulmans ont envie de se cacher derrière leur fauteuil… Mais ça m'embête de dire du mal de cette personne-là, car humainement je n'ai pas de ressenti à son égard. J’éprouve plus de peine, de pitié pour le rôle qu'on lui fait jouer, que de ressenti à son égard.

     

    Tout à l'heure, vous parliez des valeurs qui réunissent, qui vous tiennent à cœur et vous évoquiez comment l'islam traditionnel peut s'adapter à la laïcité...

     

    La laïcité est un mot un peu fourre-tout. Mais on peut en distinguer trois grands types. La laïcité juridique est inscrite dans la loi. Elles est une chance pour les religions parce qu’elle permet, quand la loi est respectée, de pouvoir trouver un accommodement raisonnable entre les différentes spiritualités, une zone de neutralité. La laïcité anthropologique est celle que le peuple de France a assimilée dans sa manière d'être, qui fait qu'elle a une vue sécularisée de la foi. Le troisième type de laïcité est problématique : c’est la laïcité militante. Celle qui instrumentalise la laïcité contre la religion. Qui ne fait plus de la laïcité un objet de neutralité mais un objet d'attaque systématique de la religion.

     

    Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain : il y a des choses extrêmement positives dans le processus de sécularisation qu'a vécu la France, pour les religieux et les religions elles-mêmes qui sont protégées du politique. Ce n'est pas uniquement le politique qui se protège du religieux, mais aussi les religions qui se protègent du politique. Dans le même temps, il y a cette instrumentalisation. Par exemple, une personne comme Caroline Fourest convoque la laïcité. Elle fait croire qu'elle attaque un communautarisme par le biais d'une laïcité. Or, elle-même parle depuis un communautarisme qui est celui de LGBT. Elle est farouchement en guerre contre tout ce qui pourrait menacer, de manière réelle ou fantasmée, son orientation sexuelle. Elle fait de cette orientation sexuelle un objet de guerre permanent en passant par la laïcité pour attaquer les religions. Là, on est dans un cas typique de laïcité militante qui, depuis un communautarisme, feint d'en dénoncer un autre.

     

    J'ai été choqué quand vous avez comparé l'Homme à Dieu. On ne peut comparer l'Homme à Dieu...

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je vais vous dire pourquoi on peut. Je vais résumer ma réponse très rapidement. Quand on parle des 99 attributs de Dieu, ce sont 99 attributs qui nous servent de cheminement pour améliorer notre comportement et notre âme. Dieu est le Pardonneur. Nous nous devons, nous, d'être pardonneur. Nous n'atteindrons jamais la capacité de pardon que possède le divin, mais nous nous devons d'avoir comme exemple cet attribut. Quand on parle de "asma wa siffat", les noms et attributs de Dieu, ce sont des pistes qui permettent à l'homme de cheminer vers Dieu. Je ne compare pas Dieu à l’homme, mais… Lorsque, par exemple, on dit : « Dieu a créé l'homme à son image ». Pour un musulman, quelle est l'image absolue de Dieu ? Sa qualité fondamentale première, quelle est-elle ? L'unicité. Quand Dieu dit : « J'ai créé l'homme à mon image » c'est que l'Unicité divine se retrouve dans l’unicité de chacun des individus que nous sommes. Nous sommes tous uniques. Est-ce qu'il y a deux personnes comme vous ? Non, manifestement vous êtes seul. Vous êtes bien créé à l'image de Dieu. Votre unicité est à l'image de l'Unicité de Dieu. Je ne fais pas de comparaison en disant cela. Je dis simplement que le divin se dévoile en partie à l'homme de façon à ce que nous aspirions à le rejoindre dans Ses qualités absolues.

     

    Il est important que nos amis catholiques connaissent mieux la religion musulmane, comme il est aussi très important que les musulmans connaissent mieux la religion catholique. Pour ma part, moi qui ai été davantage socialisé dans les milieux catholiques que dans les milieux musulmans, je viens d'avoir quarante ans, et je redécouvre la mystique catholique. C'est un bonheur absolu parce qu'elle me renvoie à ma spiritualité musulmane. Je prie mieux cinq fois par jour depuis que je lis Marthe Robin, Charles de Foucault, ces grands mystiques chrétiens. Comme certains chrétiens ont mieux pratiqué leur christianisme en s'intéressant à la mystique musulmane. Il y a un effet de miroir, un effet d'altérité qui est extrêmement touchant et qui n'est pas une altérité d'enfermement, mais une altérité d'enrichissement. Je vous dis cela avec mon cœur, mes tripes, mon cerveau.

     

    Pour vous, n'y a-t-il pas d'incompatibilité entre islam et démocratie ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Qu'est-ce que la démocratie ? Comment l'islam définit les systèmes de gouvernance ? Ce sont des questions extrêmement larges. Est-ce qu'aujourd'hui, en France, nous sommes dans une démocratie, fondamentalement ? Les derniers événements nous ont montré que... Ce sont des questions qui me dépassent, il faut les poser à des personnes légitimes pour y répondre. Je n'ai pas de légitimité. Mais pour moi, évidemment, il n'y a pas à couper les cheveux en quatre.

     

    Quel est réellement l'objectif de Fils de France ? Est-ce uniquement un groupe de discussion ou est-ce qu'à terme il y a des projets, des actions sociales, politiques ou autres ?

     

    La vocation de Fils de France est de permettre de faciliter le processus d'acculturation. C'est-à-dire le passage de la culture de nos parents à celle qui est la nôtre, et qui sera encore plus celle de nos enfants et petits-enfants. C’est  désenclaver la communauté musulmane. Participer à "dépolluer" les musulmans de la propagande de SOS Racisme des années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, qui consistait à systématiquement opérer une détestation de la France. C’est rationaliser notre idée au pays, vis-à-vis des musulmans. Et vis-à-vis des non-musulmans, c’est aller présenter au-delà des fantasmes ce qu'est la réalité très hétérogène des musulmans de France.

     

    Nous avons une double mission : celle de présenter, avec toute la modestie que cela impose, ce processus d'acculturation aux musulmans, en disant : « On nous a contaminé avec un certain nombre d'idées presque belliqueuses, depuis notre enfance, vis-à-vis du blanc catholique, etc… ». Et, dans le même temps, aller voir le blanc catholique et lui dire : « Attention, on est en train de polluer aussi votre cerveau avec des idées très arrêtées sur ce qu'est la réalité du fait hétérogène du musulman en France. » Notre mission fondamentale est de créer de l'apaisement, d'éviter la tension, d'essayer de réunir les français autour du bleu-blanc-rouge plutôt qu'autour du black-blanc-beur. C'est tenter de réunifier les français pour un vivre ensemble plus harmonieux et un pays plus fort. Parce que nous sommes patriotes. Nous n'avons pas du tout de projet politique.

     

    Qu'est-ce que l'acculturation?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Le "a" n'est pas un "a" privatif quand nous parlons d'acculturation. C'est le passage d'une culture à une autre. L'acculturation est le fait qu'une minorité, après une vague migratoire, adopte les codes culturels de la majorité. Si nos parents ont vécu ─ et c’est le cas pour beaucoup d'entre nous à Fils de France ─ dans la campagne maghrébine, il est clair et évident que les notions culturelles, les notions de coutumes, de traditions, ne sont pas les mêmes dans la campagne maghrébine que dans la campagne berrichonne. Nos parents sont culturellement situés, et nous, nous le sommes différemment. Nos enfants et nos petits-enfants le seront encore différemment. Tout cela va dans un sens qui est le fait du passage de la culture de nos parents vers la culture qui sera celle de nos enfants et de nos petits-enfants et arrière-petits-enfants.

     

    Acculturation n'est pas la privation de la culture. C'est le passage d'une culture vers une autre sans altérer la transmission de la religion. C'est en cela que nous distinguons parfaitement le culte de la culture. S'acculturer ce n'est pas se dé-islamiser. Se séculariser ce n'est pas se dé-islamiser. Se laïciser ce n'est pas se dé-islamiser. C'est simplement adopter les codes d'interaction coutumiers, traditionnels, culturels de cet ensemble riche qu'est la France. Le problème est que cette acculturation se vit d'une minorité vis-à-vis d’une majorité à l'intérieur de nos murs. Et la France elle-même vit un processus d'acculturation, par l'impérialisme culturel américain qui transforme les traditions culturelles françaises. Je le disais l'autre jour à l'Action Française : il faut savoir que dans le plan Marshall, lorsque les États-Unis aident l'Europe à se reconstruire, et notamment la France, les quatre cinquième de l'aide sont un don. Il n'y a pas de retour. Mais est compris dans cette aide le fait d'accepter, sans condition aucune, la production cinématographique hollywoodienne. En effet, il y a une difficulté, ou des résistances de la minorité vis-à-vis de la majorité, à l'intérieur d'un pays. Parce que ce même pays connaît lui-même une perturbation identitaire, culturelle d'acculturation à une mondialisation qui perturbe. Je ne suis pas très vieux mais la France de mon enfance ne ressemble pas à celle d'aujourd'hui. C'est allé extrêmement vite.

     

    Et cela ne va pas dans le sens de l'identité française. Mais dans le sens de l'hégémonie américaine qui transforme notre environnement.

     

    Je me sens profondément française, mais aussi profondément algérienne, puisque je suis née en Algérie. Peut-on se penser seulement "français" ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Á Fils de France, nous ne sommes pas dans une logique binaire. Nous ne sommes pas en train de dire : « Transformez-vous maintenant, nous sommes purement français et totalement amnésiques de nos racines, etc… ». Pas du tout. Il est hyper important que les musulmans issus de l'immigration connaissent leurs origines, leurs racines, et qu’ils connaissent la possibilité de se rendre dans leur pays d'origine pour aller honorer la tombe de leurs aïeux. Il est important qu'ils transmettent à leurs enfants la mémoire de leur pays d'origine. Mais pas de manière fantasmée, pas de manière agressive et identitaire au sens de repli sur soi. Mais dans un apaisement généralisé.

     

    Par exemple, à Paris vous avez une communauté aveyronnaise extrêmement importante qui au XIXème siècle a immigré et est devenue tenancière des cafés. Les cafés à Paris sont tenus par des Auvergnats, des Aveyronnais et des Kabyles, généralement. Maintenant cela a changé : les chinois ont racheté. Il est tout à fait souhaitable que ces aveyronnais retournent en Aveyron se revivifier et maintiennent, malgré la sur-urbanité parisienne, la filiation culturelle de l'Aveyron. C'est tout à fait souhaitable. Ce que je dis tout le temps, c'est de regarder dans le rétroviseur lorsqu'on conduit. C'est hyper utile. Vous avez besoin de regarder dans votre rétroviseur. Regarder derrière assure votre sécurité. Mais vous ne pouvez pas rester braqué sur votre rétroviseur, sinon vous allez faire un accident. Vous regardez devant vous, vous regardez loin devant vous. Á Fils de France nous regardons loin devant nous. Et c'est parce que nous regardons loin devant que nous arrivons à dépassionner les questions immédiates. Et parce que nous regardons dans le rétroviseur, nous avons un développement que nous trouvons sain. Nous regardons vers le futur, mais sans oublier d'où nous venons.

     

    C'est extrêmement important sinon vous êtes schizophrène.

     

    Mais c'est quand même quelque chose d'assez compliqué de gérer deux cultures ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Oui, parce que nous sommes une génération charnière. Ce problème-là sera moins important pour vos enfants et vos petits-enfants. Nous sommes une génération très "entre-deux". Bien sûr, ce n'est pas facile.

     

    Quelle devrait-être la position d'un français musulman vis-à-vis d'Alain Soral et de Dieudonné ?

     

    La position d'un français musulman, pour moi, cela ne veut rien dire. Être français et musulman ne détermine pas son opinion dans le champ politique. On peut être musulman et être pour l'euro, être musulman et contre l'Euro ; on peut être musulman et apprécier les arts contemporains et être musulman et préférer le classicisme du XVIIIème siècle. Ce n’est pas déterminant.

     

    Concernant Alain Soral et Dieudonné : ils ont en ce moment beaucoup de souffrance, puisqu'ils sont attaqués de toutes parts. Le système se révèle dans son agressivité la plus visible, la plus violente. Mais je crois aussi que cela a créé des solidarités qui ont renforcé leur manière d'être et a eu l'effet de les faire connaître à des gens qui ne les connaissaient pas. Il n'y a pas eu seulement de la perte pour eux, à ce niveau-là.

     

    Quelle est la position de Fils de France par rapport aux JRE (Journée de Retrait de l'École) ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je suis un des porte-parole de la Manif Pour Tous. D'ailleurs, j'espère qu'après demain, tout le monde dans cette salle sera Place Bellecour pour soutenir un tas d'oppositions à des horreurs que le gouvernement nous prépare. Ne comptez pas en disant : « Il y a aura du monde, je n'ai pas besoin d'y aller ». Tout au contraire, non seulement il faut que vous y alliez, mais en plus que vous alliez chercher des gens qui n'étaient pas disposés à y aller, pour vous y accompagner. C'est extrêmement important. Il ne faut pas que le gouvernement sente un essoufflement dans ce mouvement de contestation à la Loi Taubira. Concernant les JRE, nous à la Manif Pour Tous, avons choisi une manière plus "soft" de travailler. Il se trouve que Farida Belghoul, en l’espace d’un mois, a fait avancer les choses plus que nous l'aurions fait, peut être, en dix ans. Elle a bossé impeccablement et on ne peut que la féliciter. D'ailleurs, j'ai eu l'occasion de lui envoyer un message de soutien et de félicitation. Après…  C'est très difficile pour moi, parce que j'appartiens à un mouvement qui a choisi objectivement d'être dans des choses moins radicales, moins subversives. En même temps, je vois la démarche de Farida Belghoul comme étant un coup de génie.

     

    Je suis donc pris entre ma fidélité et ma loyauté à Ludovine de Larochère, la présidente de la Manif Pour Tous, et mon lien sympathique et amical envers Farida Belghoul.

     

    En ce moment le gouvernement veut interdire l'école à la maison. Qu'en pensez-vous ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je ne sais pas si vous connaissez Anne Coffinier, une ancienne ambassadrice française, un des soutiens de la Manif Pour Tous qui a créé un mouvement très important qu'il faut aller voir : "Créer son école". Elle est dans une logique justement de dire que, si le gouvernement attaque les valeurs fondamentales de cette France catholique, traditionnelle, etc… par les horribles choses qu'on nous prépare, il ne s'agit pas de déscolariser mais au moins de pouvoir créer des écoles qui réuniront des enfants et des parents ayant envie de transmettre une éducation, une instruction qui soit différente. Elle a créé son site : créer-son-ecole.com. Une personne d'une intelligence rare.

     

    Tout à l'heure, vous parliez d'acculturation. Quelle est la différence entre assimilation et acculturation ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Intégration, assimilation… Les contours sont flous, on ne sait pas de quoi on parle. Parce que certains vont vous dire : « Intégrez-vous ! Pourquoi ne mangez-vous pas de porc ? », etc... L'intégration ou l'assimilation, dans la tête de certains, est la perte de l'identité religieuse, aussi. C'est pour cela que nous avons mis à l'honneur le mot "acculturation". Parce qu'il permettait de distinguer ce qui fait la religiosité de ce qui fait la culture. Sachant que la religiosité ou la religion musulmane elle-même, parce qu'elle est plastique, a possibilité de s'acculturer.

     

    Il y a une double acculturation. Celle de l'individu dans ce qui ne concerne pas son attachement au religieux. Et l'acculturation de la pratique religieuse qui, elle, englobe le fait de, plastiquement, composer avec un environnement nouveau. Nous ne sommes pas dans l'assimilation, nous ne sommes pas dans l'intégration. Ou alors si Fils de France parle d'assimilation ou d'intégration, il s’agit d'assimilation sociale. L'assimilation sociale ou l'intégration sociale étant le préalable pour le processus d'acculturation. Si vous êtes marginal dans l'école, dans le travail et dans le logement, il y a quasiment une impossibilité de pouvoir passer à la culture majoritaire. Parce que si vous vivez dans un ensemble où, constamment, des vagues migratoires supérieures s'ajoutent d'années en années ; où les codes d'interaction, de communication, le droit coutumier s'inscrivant dans ces zones sont presque refermés sur eux-mêmes… vous êtes coupé des codes de la majorité de la culture française. Évidemment, si on est mal logé, mal scolarisé et mal embauché, vous avez trois points majeurs qui bloquent l'assimilation ou l'intégration sociale.

     

    Á partir du moment où vous êtes dans un quartier relativement ouvert, dans une école où les fils d'immigrés ne sont pas ultra majoritaires ; à partir du moment où vous êtes dans un travail où vous côtoyez la France et les vieux français de souche, vous avez trois points majeurs qui font que vous allez entrer en interaction normale et adopter les codes de la majorité par les frottements avec elle. Je suis très surpris, par exemple, quand je vais à Marseille, de voir de jeunes enfants de troisième ou quatrième génération parler quasiment le dialecte algérois. En fait, Marseille étant un port, vous avez sans cesse des vagues migratoires qui font que les codes, et même les codes de langage de certains ensembles urbains, sont davantage marqués par le sud de la méditerranée que par le provençal.

     

    Ne pensez-vous pas que le voile serait une limite à cette acculturation ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Le fait qu'une musulmane souhaite couvrir ses cheveux peut se faire avec un béret, un chapeau, un bonnet, une casquette… avec ce qu'on veut. Si vous limitez le fait qu'une musulmane doive couvrir ses cheveux avec un voile, vous avez un signe exogène, un signe d'habillement qui n'est pas dans la tradition française et qui va être remarqué dans l'espace public. Si la femme musulmane choisit dans son attitude (parce que ce qui est demandé finalement c'est davantage la pudeur…) de couvrir ses cheveux avec un couvre-chef qui fait partie de la culture locale, cela deviendra totalement invisible.

     

    [L'Abbé de Tanoüarn est traditionnaliste et a des positions très islamo-sceptiques. J'utilise très volontairement un euphémisme. En une heure  et demie de discussion, on ne pouvait pas être fécond. La capacité intellectuelle des deux intervenants a été bridée par la limite du temps.]1

     

    Il y a un monastère, le monastère de Sainte Catherine, au pied du Mont Sinaï, au sein duquel est conservée une lettre du prophète, une lettre d'allégeance où le prophète dit clairement que les chrétiens sont sous notre protection, qu'on ne cherche pas à leur nuire, ni à les convertir, etc… C'est vraiment une lettre qui est intéressante à lire pour un chrétien pour comprendre l'engagement islamique envers le christianisme.

     

    http://www.filsdefrance.fr/Tout à fait. C'est aux musulmans de France, je pense, de remettre au goût du jour l'ensemble des sagesses liées à l'interreligieux qui sont dans nos mains, et que l'on ne montre pas assez...

     

    Je pense que nous avons fait le tour, merci chers amis.

     

     

     

    1 Se réfère au débat islamo-chrétien entre Guillaume de Tanoüarn et Tareq Oubrou organisé par Fils de France le 9 décembre 2013 : « Catholiques et musulmans, partenaires ou adversaires ? ».

  • La critique du nihilisme contemporain serait très maladroite si elle s’appuyait sur le lexique des valeurs

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    FX Bellamy Photo.jpgLa société contemporaine ne se reconnaît pas comme une société nihiliste. Nous ne cessons de rapporter nos comportements politiques, sociaux, et même économiques, à des postulats éthiques : comme individus, comme citoyens, comme consommateurs, nous voudrions agir en fonction de nos valeurs, au point que le vocabulaire des valeurs a littéralement envahi le débat public. Rien ne semble plus indiscutable que l’importance des valeurs ; certaines sont contingentes – les instituts de sondage distingueront les « valeurs de droite » des « valeurs de gauche » ; de quelques autres, au contraire, on voudrait qu’elles soient unanimement partagées : ainsi des « valeurs de la République », par exemple. Le discours de la défense des valeurs, qu’il soit partisan ou universaliste, donne aux discussions politiques, médiatiques et intellectuelles, une tonalité dogmatique bien paradoxale pour notre société.

    Paradoxale, parce que notre époque est en même temps celle du pouvoir absolu de l’ironie. La post-modernité se conçoit comme l’heure du crépuscule de toutes les idoles ; rien ne doit tenir en place de ce qui pourrait nous surplomber. Rien de certain, de sérieux ou de sacré ne saurait être épargné par la corrosion libératrice de l’universelle parodie. La responsabilité politique est dévaluée, la fonction enseignante déclassée, le modèle familial traditionnel dépassé ; tout ce qui pouvait faire fonction d’autorité se trouve progressivement disqualifié. La figure même de l’intellectuel a perdu sa légitimité ; la fonction critique est désormais assumée par l’univers du divertissement, le seul qui puisse encore produire des idoles. La dérision générale s’exerce en particulier sur la religion comme un signe de contradiction posé face à l’affirmation de nos libertés – et en particulier sur la religion catholique, considérée comme la plus dangereuse de toutes puisqu’elle a si longtemps marqué de son emprise une culture que nous voudrions voir enfin laïcisée. Tous les colosses de l’ancien temps sont donc peu à peu abattus ; de performances en pièces de théâtre, de plateaux de télévision en vidéos de grande diffusion, les acteurs médiatiques dissolvent tout ce qui semble encore tenir trop fermement. Rien ne doit rester intouchable, rien ne doit échapper aux coups de marteau que prodigue avec persévérance cette ironie qui ne rit pas.

    Dans cette perspective, l’incantation des valeurs apparaît pour ce qu’elle est : un symptôme. Elle est simplement l’expression de notre peur du vide. La destruction jubilatoire des figures de l’autorité s’opère en effet au nom de notre liberté – une liberté qui ne se déploie plus dans un monde balisé, repéré, mais dans l’espace indéfini, sans bornes, où l’individu  contemporain, débarrassé des normes dont il héritait, évolue à présent. Cette expérience originaire, que nous avons recherchée avec tant d’ardeur, nous fascine et nous terrifie. L’ironie supprime toutes les limites qui s’imposaient à notre désir, mais par là elle nous rend incapables de rien désirer vraiment. C’est exactement cette situation que Hans Jonas décrit dans Le Principe responsabilité : « Nous frissonnons dans le dénuement d’un nihilisme dans lequel le plus grand des pouvoirs s’accouple avec le plus grand vide, la plus grande capacité avec le plus petit savoir du à quoi bon. »

    Nous voilà libres, de cette liberté d’indifférence qui semble constituer, d’une certaine façon, le projet même de la modernité. Liberté d’indétermination, qui suppose d’affirmer l’indifférence du bien et du mal, et donc un relativisme impensable et impraticable, mais nécessaire à notre indépendance. Comme l’écrivait Descartes, dans une lettre célèbre au Père Mesland, « il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d’admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre libre arbitre. » Au nom de la liberté de l’individu, ne plus laisser une norme objective s’imposer à l’action ou à la raison : voilà, si tôt et déjà parfaitement exprimé, le principe du relativisme contemporain – ce qui le fonde, et ce qui l’explique. Car ainsi compris, le relativisme que nous partageons n’est pas sceptique : il est nihiliste.

    Il correspond en effet au culte du vouloir pour lui-même, du vouloir vide, indéterminé. Une volonté que rien ne précède, « volonté de puissance » ou, plus simplement encore, « volonté de volonté ». Pour la jeunesse européenne, ces expressions de Nietzsche et Heidegger trouvent leur effectuation concrète dans la « mondialisation de l’indifférence » dont le Pape François parlait à Lampedusa ; nos vies sont désormais inscrites dans l’universel marché où chacun peut faire ses choix, en fonction de ses ressources. Le culte individualiste de l’autodétermination a conduit à un mouvement d’ « économisation » du monde, structuré autour de la figure du consommateur : le marché est en effet le lieu du libre choix, qu’aucun jugement a priori ne précède et ne détermine. Tout y est commensurable, mesurable, relatif. Le marché n’admet pas de norme absolue – c’est d’ailleurs là le seul absolu qu’il défende : l’éviction de toute transcendance qui viendrait perturber l’espace du libre échange. Dans cette « économisation » du monde, tout devient affaire de transactions : les relations sociales, l’amour, les corps… Les récents débats de société révèlent bien ce mouvement progressif de dérégulation, la suppression des barrières héritées d’une culture de la transcendance au nom d’un espace accru de liberté, qui s’accompagne bientôt de sa traduction économique.

    Dans cette perspective, la rhétorique des valeurs n’est qu’un masque, qui voudrait dissimuler à nos propres yeux l’horizontalité totale de cette axiologie dont la fragilité, dans le relativisme universel, nous angoisse. Comme toutes les autres, les « valeurs de l’humanisme », ou les « valeurs de la République », n’ont aucun fondement dans l’absolu. La valeur est toujours le résultat d’une évaluation ; à l’intérieur du marché, tout prend une valeur – mais une valeur relative, dépendant des besoins du moment, des habitudes du passé et des calculs sur l’avenir. La valeur s’estime et s’ajuste, elle croît et décroît. Que le contexte évolue : le bien qui avait une valeur considérable peut, en un seul instant, ne plus rien valoir du tout. Et puisque, à l’intérieur du marché, rien n’a de valeur absolue, on peut dire en fait que rien ne vaut rien.

    La critique de ce nihilisme contemporain serait donc très maladroite si elle s’appuyait à son tour sur le lexique des valeurs. Qu’elle vienne de la philosophie, de la politique ou de la religion, la « défense des valeurs » signe d’une certaine façon la victoire ultime de ce relativisme contre lequel elle prétend s’armer. À titre personnel, je refuse l’idée de m’engager pour promouvoir « mes valeurs »: notre société ne sera sauvée du nihilisme inassumé qui la caractérise que par une parole qui assume le caractère non relatif des buts auxquels elle tend. Je voudrais parler et écrire pour servir en vérité le bien et la justice dans le monde contemporain ; ce ne sont pas « mes » valeurs, mais ce à quoi aspirent nos consciences, et qu’il nous appartient de rechercher ensemble. C’est cette recherche de l’absolu qui peut seule, aujourd’hui, redonner à nos vies le sens qui les sauvera du désespoir, et à nos sociétés la possibilité du dialogue, d’où vient toute authentique relation.

    François-Xavier Bellamy

    In la Revue Esprit mars-avril 2014
    numéro spécial sur le nihilisme
      Logo Revue Esprit.jpg

     

     

     

  • Des enfants endoctrinés par des théories féministes ne seront en rien demain des personnes libres, mais des esclaves…

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    JP Delaume_Myard.jpg« Cher(e)s ami(e)s, depuis le début de mon engagement, je n’ai eu de cesse de répéter que je suis homosexuel et pas gay. Si je précise de nouveau cela, à l’occasion du bilan de notre grenelle de la Famille, c’est que cette distinction n’est en rien une subtilité linguistique de ma part. Elle revêt une réalité qui est la cause de ce qui s’est passé hier aux États-Unis, ce qui se passe aujourd’hui en France, et ce qui se passera demain dans toute l’Europe, contre la Famille. Le lobby gay est déterminé à détruire, et peut importe les moyens, les institutions du mariage et de la famille ; aidée en cela par certains lobby féministes, comme les femen, mais pas seulement.

    Après la loi Taubira pour le mariage entre personnes de même sexe voici que maintenant risque d’arriver les conséquences directes de celle-ci, la PMA et la GPA.

    Le désir d'enfant, et je le sais, est une réalité sincère et douloureuse, mais nous homosexuels, nous n’avons pas à demander, pour autant, à la société de bricoler quelque chose pour transformer cette réalité-là 

    Mais revenons un instant sur un des multiples mensonges de la loi Taubira. Je veux parler de l’adoption.

    Les couples hétérosexuels ont déjà bien du mal à pouvoir adopter un enfant. Il existe très peu de pupilles de la Nation qui le soient. Ces couples doivent alors se diriger la plupart du temps vers des pays d’Afrique ou d’Amérique Latine.

    Il est peut-être utile de rappeler que dans ces pays, leur convention rejette toute adoption par des parents de même sexe. Et aujourd’hui, certains d’entre eux ferment même leur frontière pour les couples hétérosexuels.

    L’enfant n’a pas à être traité comme un cobaye. Il n’a pas à s'adapter à une dictature « Homo-parentale ».

    Le gouvernement, à force de vouloir faire des lois et des concessions pour le lobby gay, fait de l’apartheid non seulement vis-à-vis des autres citoyens, mais plus encore vis-à-vis des homosexuels eux-mêmes. Et je dis bien de l’apartheid, c’est-à-dire une politique ultra-minoritaire et communautariste à l’encontre d’une majorité de Français.

    Pour faire croire qu’un homme avec un homme ou une femme avec une femme pouvait avoir un enfant, on nous impose l’idéologie du genre. On nous dit mensonge lorsqu’on l’évoque.

    Nous avons beau brandir « Papa porte une robe », « Tango a deux papas » ou bien encore « Jean a deux mamans », on nous dit que nous sommes d’affreux réactionnaires.

    N’ayons pas peur de dire haut et fort que des enfants endoctrinés par des théories féministes ne seront en rien demain des personnes libres, mais des esclaves bien plus que le machisme qu’elles sont censées combattre.

    Une Nation construite ainsi ne pourra adhérer qu’aux idées les plus ridicules et les plus aberrantes et cela avec la même servilité.

    J’aimerais faire une comparaison hasardeuse, mais en réalité je ne le pense pas.

    Le 4 décembre 2013, la majorité a adopté une loi pénalisant les clients de prostitués.

    Si la GPA passe au détour de la PMA, est-ce que le fait de se servir du corps d’une femme contre rémunération ne sera-t-il pas considéré comme un acte du coup répréhensible par la loi ?

    Ce n’est pas seulement moi qui m’interroge ainsi, mais la ministre des droits de la femme elle-même quand elle a dit devant l’Assemblée nationale, je cite :

    JP Delaume-Myard 2.jpg« La détresse de l’un ne se soigne pas par l’exploitation de la détresse de l’autre. Elle n’est jamais une justification… Depuis quand notre pays admettrait-il que la liberté aille au-delà de ce qui ne nuit pas à autrui ? Depuis quand privilégierions une souffrance par rapport à une autre ? Depuis quand le corps humain devrait-il être assimilé à un médicament ? Depuis quand se soignerait-on aux dépens d’une autre personne. »

    Pour une fois, vous avez raison Madame la Ministre.

    Enfin, pour conclure, je voudrais dire comme je l’avais déjà dit, il y a un an à la même date à Tours, il est quand même incroyable qu’en ce 8 mars, journée de la Femme, que cela soit un homme qui plus est homosexuel qui défende l’intégrité de la Femme.

    Lorsque je vois que ce sont des femmes elles-mêmes qui veulent exploiter la misère d’autres femmes, je me dis dans quel monde vit-on ? Femmes réveillez-vous ! Indignez-vous comme aurait dit Stéphane Heissel. »

     

    Jean-Pier Delaume-Myard
    Porte-Parole de La Manif Pour Tous

    Grenelle de la Famille
    8 mars 2014
    Mutualité de Paris

     

     

     

     

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    Comment une Secrétaire d’État m’a demandé de me taire 

    Par Jean-Pier Delaume-Myard, porte-parole national de La Manif Pour Tous, auteur de "HOMOSEXUEL contre le mariage pour tous"

     

    Le 28 avril 2014, la Secrétaire d’État à la Famille et aux Personnes âgées, Laurence Rossignol, a reçu une délégation de La Manif Pour Tous, dans le cadre de ses rencontres avec des associations familiales ou des mouvements citoyens. Une rencontre que nous avions réclamée de longue date et que la Ministre en charge de ce dossier du précédent gouvernement avait toujours refusé.


    Comme le 25 janvier 2013, lors de l’entrevue avec Monsieur le Président de la République, je faisais partie de la délégation, mais j’ai été reçu, cette fois-ci, beaucoup moins courtoisement, la Secrétaire d’État m’a demandé purement et simplement de me taire.

    La délégation autour de Ludovine de la Rochère, Présidente, était composée de quatre personnes, Jérôme Brunet, Porte-parole de L’Appel des professionnels de l’enfance et de La Manif Pour Tous, Albéric Dumont, Coordinateur général de La Manif Pour Tous, Anne-Claude Venot, porte-parole des Adoptés pour l’enfance, mouvement du collectif de La Manif Pour Tous et de moi-même.

    Avant la conclusion de Ludovine de la Rochère, je fus le dernier à prendre la parole.

    J’eus à peine le temps de commencer de donner mon point de vue : « Je représente de nombreux homosexuels - hommes et femmes, qui sont contre la loi qui a ouvert le mariage entre personnes de même sexe. En leurs noms, je vous remercie de me recevoir car nous avons eu, jusqu’ici, l’impression que l’on nous volait notre voix. 

    Madame la Ministre vous avez appelé à l’apaisement. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

    Cependant, dès le mois de mai, débuteront dans toute la France, les gay pride 2014. Et je m’en inquiète fortement en tant que porte-parole de La Manif Pour Tous, mais aussi en tant qu’homosexuel.

    Je m’en inquiète en tant que porte-parole de la Manif Pour Tous car je ne voudrai pas que vous écoutiez les sirènes de la LGBT qui vont, réclamer, à cors et à cris, à cette occasion, l’obtention de la PMA et ses dérives directes, la GPA. »

    Paradoxalement, alors que je l’avais remercié, quelques instants plus tôt, de nous donner (nous homosexuels) la parole que la Secrétaire d’État me demandait si « je souhaitais vraiment poursuivre ». 

    Pour Madame Rossignol, il n’était pas question de revenir sur la loi Taubira. En outre, elle-même, ainsi que le Premier Ministre et Madame Marisol Touraine, ministre des Affaires Sociales et de la Santé, avaient été très claires, « il n’y aura pas de PMA sous cette mandature et pas plus d’amendement » de qui que se soit ; pas plus de madame Esther Benbassa, Sénatrice EELV, qui pour la Secrétaire d’État lorsqu’on lui a fait part de notre inquiétude quant à son souhait de déposer un article, nous a affirmé qu’ « elle était seule à avoir cette position ».

    Lorsque je retentai de prendre la parole pour indiquer que « des associations gays comme l'Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens » souhaitaient la « voir reprendre l'accès à la PMA à toutes les femmes, en couples ou célibataire, le statut du beau-parent, la reconnaissance de la pluriparentalité, et la reconnaissance des états civils étrangers des enfants nés par GPA. » 

    Que je poursuivis, en rappelant que « la circulaire Taubira » inquiétait « également La Manif Pour Tous. Cette circulaire signifie la régularisation, en France, d'enfants qui seraient nés, entre guillemets, illégalement. Mais, Madame la Ministre comme vous le savez tout enfant-né, par exemple, sur le sol américain est américain. Cette circulaire introduit en réalité un premier pas vers la légalisation de la GPA et la mercantilisation de l'enfant ce qui est pour nous totalement insupportable. »

    La Secrétaire d’État a affirmée, alors que cette circulaire fait actuellement l’objet, depuis plusieurs mois, d’un recours devant le Conseil d’État, qu’elle « faisait partie à part entière de la Loi Taubira ».

    Puis, elle ignora la suite de mes propos souhaitant aborder les futures propositions de la Loi Famille dont la première devrait passer dès le mois de mai en commission des lois.

    Alors que la Secrétaire d’État demande l'apaisement avec les associations contre le mariage homosexuel, elle commence fort mal, du moins avec un des représentants homosexuels.

    On verra bien, si Madame Rossignol demandera à la LGBT de se taire sur la PMA, on verra bien si Madame Rossignol demandera à Madame Esther Benbassa, Sénatrice EELV, de se taire au Sénat.

    Si le gouvernement ne veut plus attendre parler de la Loi Taubira et de la PMA, pourquoi alors ne demande-t-il pas au Comité Consultatif National d’Éthique de se dessaisir de la demande du Président de la République de donner un avis sur la PMA ? Pourquoi ne demande-t-il pas à Madame Taubira de retirer sa circulaire qui introduit une suspicion quant à la GPA ?

    Enfin, si la Secrétaire d’État ne souhaite plus que soit abordé la question de la PMA, condition très clairement sine qua non pour être de nouveau reçu, pourquoi laisser alors l’adoption dans la loi ouvrant le mariage pour personnes de même sexe, puisque tout le monde sait que l’adoption pour des couples homosexuels est pratiquement impossible, la majorité des conventions des pays autorisant l’adoption l’interdisant pour les homosexuels… il faudra, donc, bien qu’un jour ou l’autre, face à la pression des associations gays ce gouvernement traite de nouveau la question de la PMA.

    Pour l’heure, circulez il n’y a rien à voir. Taisez-vous, Jean-Pier… Delaume-Myard.

     

  • Fabrice Hadjadj #Grenelle de la Famille - 8 mars - Mutualité

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    fabrice hadjadj,éducation,transmission,vulnérabilité  

    Conclusion-Grenelle-Famille.pdf

     

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    « Qu’est-ce qu’une famille ? On peut s’étonner que nous soyons ici, ensemble, à poser cette question, et certains ne manqueront pas de croire que notre démarche ne pourra que conduire soit au ressassement de choses banales, soit à la complication de choses simples. Nous n’aurions pas d’autre alternative, avec une telle question, que d’enfoncer des portes ouvertes ou de couper les cheveux en quatre.

    En même temps, on le devine, les premières évidences se cachent toujours dans leur lumière. Ce n’est pas seulement comme le nez au milieu de ma figure, trop proche pour être vu ; ni comme le paysage cent fois retraversé, tellement connu qu’il s’efface. C’est surtout comme une source qui éclaire et fonde les autres choses, mais qui ne peut pas, dès lors, être elle-même fondée ni éclairée. Devant cette source, nous sommes semblables à des oiseaux de nuit qui voudraient regarder le soleil en face.

    Nous provenons tous d’une famille, nous commençons tous avec un nom de famille, nous avons tous eu une certaine famille pour berceau. La famille est un fondement. Or, si elle est un fondement, on ne saurait « fonder la famille ». Si elle se situe au principe de nos vies concrètes, il devient impossible de la justifier ou de l’expliquer, parce qu’il faudrait recourir à un principe antérieur, et la famille ne serait plus qu’une réalité secondaire et dérivée, non pas une matrice. Les théoriciens qui voudraient que la première communauté humaine fût issue d’un contrat passé entre individus asexués et solitaires, déclarent eux-mêmes qu’il s’agit là d’une fiction, d’une hypothèse de travail, et non d’une réalité[1]. Il n’y a pas, au niveau humain, de principe antérieur à la famille. On ne peut donc pas l’expliquer ni la justifier, on peut seulement expliciter sa présence qui nous devance toujours.

    Et c’est pourquoi ceux qui attaquent la famille dans son évidence sont si difficiles à contester. Expliquer que l’homme descend du singe est plus facile que d’expliquer qu’un enfant descend d’un homme et d’une femme, parce que dans le premier cas, la thèse réclame effectivement des explications, et même des explications nombreuses, alors que dans le second, il n’y rien à expliquer, il ne s’agit même pas d’une thèse, mais d’un donné absolument initial, comme l’existence du monde extérieur. Or comment prouver que le monde extérieur existe ? Comment montrer à quelqu’un que le soleil éclaire ?

     

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    Et pourtant le soleil manifeste les couleurs et, par là, indirectement, se manifeste. Et la famille, dont nous avons à parler, manifeste et se manifeste. On a beau contester, cela se manifeste. Et cela ne se manifeste pas que dans les rues, cela se manifeste en nous, dans nos culottes, si j’ose dire, qu’on le veuille ou non, cela se manifeste aussi bien à l’église que dans une soirée LGBT, cela se manifeste par la barbe d’un capucin aussi bien que par la poitrine d’une Femen. Pour que cela ne se manifeste plus, il faudrait être un ange.

    Cette manifestation est si irrésistible que nous assistons depuis quelques décennies, de la part de ceux-là même qui voulaient se débarrasser la famille, à un étrange retour du refoulé familial. Ceux qui dénonçaient la famille comme l’institution répressive et oppressive de base, veulent à présent faire de l’enfant le produit d’une manipulation génétique (puisque l’égalité réclame que deux femmes ou deux hommes puissent également en avoir avec leurs propres gamètes), ce qui est aller bien au-delà de l’oppression ou de la répression, puisque c’est courir vers une fabrication pur et simple, et faire despotiquement de l’enfant, l’objet d’un planning, la réalisation d’un fantasme, et plus encore un cobaye de laboratoire. Cette contradiction prouve qu’on ne peut déconstruire le naturel, mais seulement construire à côté son simulacre, comme on ne fabrique une intelligence artificielle que d’après le peu que l’on a compris de l’intelligence humaine.  

     

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    Qu’est-ce donc qu’une famille ? Les gens les mieux intentionnés à son égard insistent sur certains éléments de définition. J’en retiendrai trois : 1° La famille est d’abord le lieu du premier amour. Il est fondamental que les parents s’aiment et que l’enfant soit aimé, sans quoi la famille ne peut que se dessécher ou se décomposer. 2° La famille est le lieu de la première éducation. L’enfant y naît à partir d’un projet parental responsable, où l’on songe à son futur, à son édification, à sa qualification avec la plus grande compétence possible. 3° La famille humaine est aussi un lieu de respect des libertés. Les parents s’y sont unis par un contrat, et, à travers leur mission éducative, ils contribuent, non à renforcer la dépendance, mais à promouvoir l’autonomie de l’enfant.

    Nous insistons souvent sur ces caractéristiques, parce que nous songeons au bien de l’enfant. Mais ce faisant nous manquons l’essence de la famille, et, alors même que nous pensons la défendre, nous fourbissons les armes qui permettent de l’attaquer. À trop se préoccuper du bien de l’enfant, on oublie l’être de l’enfant. À trop s’attarder sur les devoirs des parents, on oublie l’être du père et de la mère. Les éléments que nous venons de proposer, amour, éducation, liberté, disent tout sauf l’essentiel, à savoir que les parents sont les parents, et l’enfant est leur enfant.

     

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    Et voilà le conséquence fatale : en prétendant fonder la famille parfaite sur l’amour, l’éducation et la liberté, ce qu’on fonde, en vérité, ce n’est pas la perfection de la famille, mais l’excellence de l’orphelinat. Cela ne fait aucun doute : dans un excellent orphelinat, on aime les enfants, on les éduque, on respecte leur personne. On y est même en quelque sorte dans la plénitude du projet parental, puisque prendre soin des enfants est le projet constitutif d’une telle entreprise.

    Ne considérer la famille qu’à partir de l’amour, de l’éducation et de la liberté, la fonder sur le bien de l’enfant en tant qu’individu et non en tant qu’enfant, et sur les devoirs des parents en tant qu’éducateur et non en tant que parents, c’est proposer une famille déjà défamilialisée. Car on pourra toujours vous dire qu’un père et une mère peuvent être moins aimants, moins compétents et moins respectueux que deux hommes ou deux femmes, et certainement moins efficace que toute une organisation composée des meilleurs spécialistes. Cette organisation d’individus compétents pourra passer pour la meilleure des familles, et la meilleure des familles s’identifiera au meilleur des orphelinats.

     

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    Pourquoi manquons-nous si facilement l’essence de la famille ? Parce que le principe de la famille est trop élémentaire, trop humble, trop animal en apparence, et donc honteux (ne parle-t-on pas de « parties honteuses » ?). Vous avez compris, le principe de la famille est dans le sexe. Même quand il s’agit d’une famille adoptive, même quand il s’agit d’une famille spirituelle, où le père est un père abbé, et les frères sont des moines, les pures et hautes dénominations qu’on emploie viennent d’abord de la sexualité. Les noms du père et du fils s’énoncent à partir de ce fondement sensible qui est notre fécondité charnelle.

    C’est parce qu’un homme a connu une femme, et que de leur étreinte, par surabondance, ont jailli des enfants, qu’il y a ces noms de famille, ces noms de père, de mère, de fils, de fille, de sœurs et de frères. Le mot qui achève la devise républicaine : « fraternité » procède lui-même du sexe et de la famille naturelle. Quant aux fameuses théories du genre, qui croient pouvoir affirmer que la masculinité et la féminité ne sont que des constructions sociales, elles s’appuient elle aussi sur la différence des sexes, sans lesquels l’idée même du masculin ou du féminin ne nous viendrait pas à l’esprit.

     

    La famille est donc d’abord le lieu où s’articulent la différence des sexes et la différence des générations, ainsi que la différence de ces deux différences. La différence des sexes, à partir de la fécondité propre à leur union, engendre la différence des générations, et cette différence des générations n’a rien d’analogue avec la différence des sexes. L’interdit fondamental de l’inceste nous le signal, mais aussi le fait que lorsque l’homme s’unit à sa femme, il ne cherche pas d’abord à avoir un enfant, il cherche d’abord à s’unir à sa femme, et l’enfant advient, comme un surcroît.

    La famille noue ainsi cinq types de liens : conjugal (de l’homme et de la femme), filial (des parents aux enfants), fraternel (des parents entre eux), à quoi s’ajoutent deux autres que l’on oublie souvent, et qui sont pourtant décisif pour l’inscription historique et déjà politique de la famille. D’abord, le lien des grands-parents aux petits-enfants, qui permet de tempérer l’influence des parents, et d’ouvrir le temps de la famille à celui de la tradition[2]. Il y a encore un cinquième type de lien que tend à occulter l’idéal du couple mais que ne manque pas de rappeler la belle-mère, je veux parler du lien avec la belle-famille – ce que l’on pourrait appeler la « théorie du gendre ». Avec lui, l’alliance conjugale se double d’une alliance pour ainsi dire tribale, et ouvre l’espace de la famille à celui de la société.

    Or la particularité de ces liens familiaux, c’est qu’ils ne se fondent pas d’abord sur une décision, mais sur un désir, c’est qu’ils ne viennent pas d’abord d’une convention, mais d’un élan naturel. Bien sûr, le désir doit y être assumé dans la décision (ou plutôt le consentement), et la nature s’y déploie à travers des aspects conventionnels. Mais il y va d’abord de quelque chose qui nous traverse, une donation, qui vient de l’autre et va à l’autre, et donc dépasse nos calculs. Cela nous emporte plus loin que nous-mêmes, plus loin que nos projets individuels (qui peut former le projet d’avoir une belle-mère ?), parce que cela nous ouvre à l’autre sexe et à l’autre génération, parce que cela nous intéresse à un temps qui n’est déjà plus le nôtre.

     

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    Disons-le simplement : aucun calcul ne peut avoir pour résultat une naissance. Personne ne peut se dire honnêtement : « Ça y est, je suis prêt, je suis assez mûr, assez compétent pour avoir un enfant, je sais parfaitement comme il faut s’y prendre pour en faire un homme accompli, j’ai le droit souverain de le faire venir au monde et d’être son maître. » Comment donc pourrions-nous avoir le droit d’élever un enfant, quand nous sommes nous-mêmes si bas, quand nous ne comprenons pas le mystère de la vie ?

    Il ne s’agit donc pas d’un droit, mais d’un fait. L’enfant advient selon un don de la nature, et de ce don nous ne sommes jamais vraiment dignes. Il est le surcroît d’un amour sexuel, et non le résultat d’une visée directe. Car aucune assurance humaine, technique ou morale, ne peut être légitimement à l’origine de sa venue. Si sa présence relevait de notre compétence, alors nous le dominerions absolument, il serait un rouage dans un dispositif, une étape dans un projet, et non l’événement de la vie qui commence et toujours nous dépasse. Lorsqu’un enfant lance à ses parents : « Je n’ai pas choisi de naître », les parents peuvent toujours lui retourner la politesse : « Nous non plus, nous n’avons pas choisi, cela nous a été donné, et nous essayons de changer notre surprise en gratitude. »

     

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    Nous pouvons à présent reprendre les trois éléments dont nous avons parlé plus haut, l’amour, l’éducation, la liberté, et voir comment ils se spécifient au sein de la famille, à partir de cette donation qui nous dépasse.

    Première spécificité : l’amour familial est essentiellement un amour sans préférence. Il ne relève pas du choix ni de la comparaison. Cela vaut spécialement pour la relation entre les parents et les enfants. L’amour des parents et des enfants est fondé sur la filiation elle-même et non sur des affinités électives. On le sent très bien lorsque le père est un lecteur de Tite-Live tandis que le fils se consacre aux jeux vidéos. Jamais ils n’auraient songé à se trouver dans le même salon. Jamais ils n’auraient formé ensemble un club. Mais la famille est le contraire du club électif ou sélectif. Les liens du sang y brisent les chaînes du parti tout autant que les chaînettes du caprice.

    L’enfant est toujours tel que les parents ne l’auraient pas voulu, mais aussi tel qu’ils l’aiment, et donc qu’ils consentent inconditionnellement à l’accueillir. Les parents sont toujours tels que les enfants leur auraient préféré des héros de films, Charles Ingalls, par exemple, ou Yoda, mais aussi tels qu’ils les aiment, malgré tout, de cet amour constitutif, qui précéda leur propre conscience d’eux-mêmes, et donc tels qu’ils doivent inconditionnellement les honorer.

    La famille, c’est toujours l’amour du vieux con et du jeune abruti, et c’est cela qui la rend si admirable, c’est cela qui en fait l’école de la charité. La charité est l’amour surnaturel du prochain, celui qu’on n’a pas choisi et qui nous est de prime abord antipathique. Or les premiers prochains que l’on n’a pas choisis, et qui nous sont souvent insupportables, ce sont nos proches. 

     

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    Deuxième spécificité : dans la famille, le lien éducatif se fonde sur une autorité sans compétence. On n’attend pas d’être un bon père ou une bonne mère pour avoir un enfant. Sans quoi on attendrait toujours. La paternité vous tombe dessus, parce que le désir vous a tourné vers une femme. Quel rapport entre les deux ? La biologie y voit une continuité. Mais la phénoménologie, disons la lecture de l’expérience vécue, montre une disproportion radicale, sinon une rupture entre le désir érotique et l’accueil d’un enfant. La paternité n’est pas une anticipation. C’est la présence de l’enfant qui vous la donne, cette paternité, c’est lui qui vous en investit soudain, comme d’un costume trop grand.

    On peut comprendre, s’il en va ainsi, la réticence des fabricateurs du Meilleur des mondes : « En quoi celui qui a simplement couché avec une femme serait-il habilité à élever un enfant ? En quoi sa libido bestiale lui octroie-t-elle une quelconque compétence éducative ? » Cette réticence conduit fatalement au règne des incubateurs et des pédagogues, et à la mise au rebut des véritables parents. Le père est alors remplacé par l’expert, et la famille, par la firme professionnelle.

    Mais, dans la famille, il ne s’agit pas d’abord de projet d’éducation mais de réalité de la filiation. Ce n’est pas la compétence qui y fonde l’autorité. C’est l’autorité reçue, malgré ses faiblesses, qui se met par la suite en quête d’une certaine compétence, sans doute, mais qui possède aussi son efficacité propre quoique paradoxale. L’autorité sans compétence a une valeur en soi, et même une valeur sans prix. D’une part, le père y montre qu’il n’est pas le Père, avec une majuscule, qu’il est lui-même un fils, et donc qu’il doit avec son fils se tourner vers une autorité plus haute que la sienne. D’autre part, puisque son autorité ne vient pas d’une compétence, mais d’un don, le père ne peut pas faire de l’enfant sa créature, et essayer de le valoriser sur sa propre échelle de valeur : il doit l’accueillir comme un mystère. Et c’est cela l’autorité la plus profonde, qui se distingue de toute compétence fonctionnelle. Elle n’instruit pas l’enfant en vue de telle ou telle qualification particulière, elle lui manifeste le mystère de l’existence comme don reçu.

     

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    Enfin, troisième spécificité en droite ligne de celles qui précèdent : dans la famille s’exerce une liberté sans maîtrise, quelque chose, nous l’avons déjà vu, qui n’est pas la liberté d’indépendance ou de pure décision, mais une liberté de consentement à ce qui est donné. Le projet parental est vite brisé par l’aventure familiale. Car il s’agit bien d’une aventure, et non d’une projection. Toutes les tragédies antiques en témoignent, qui mettent toujours en scène des histoires de famille. Mais il y a aussi ce fait ordinaire qui appartient plutôt à la comédie selon Molière : le fils ou la fille n’ont de père et de mère que pour les quitter, fonder une autre famille, épouser un parti qui n’est souvent pas le meilleur aux yeux de leurs parents.

    La famille est toujours en excès sur elle-même, non seulement par le don de la naissance, mais aussi par les alliances extérieures dont elle procède et vers lesquelles elle va. Il y a votre belle-mère et puis il y a la belle-mère de votre propre fils, il y a cette extension de proche en proche qui, d’après Aristote, constitue le village puis la Cité.

    Cette liberté sans maîtrise, qui vous lance dans une aventure et même dans un drame, répond à des liens qui ne sont pas contractuels. On aimerait bien ne vivre que selon des contrats et pouvoir ajuster les rapports selon sa convenance, se dégager dès que ça sent la crise. Or, on peut changer d’associé, mais on ne peut pas changer d’enfant. Et l’on peut devenir copain avec un plus âgé que soi, mais on ne peut, sans fausseté, devenir le copain de son père. Comme la différence sexuelle empêche la fusion, la différence générationnelle interdit le nivellement. Il faut faire avec un ordre causal, une hiérarchie donnée, un patrimoine hérité, ce qui invite la liberté à s’ouvrir aux distinctions du réel, et à ne pas sombrer dans l’indifférenciation d’une prétendue toute-puissance.

     

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    Nous pouvons à présent approcher la famille dans le secret de son essence. Elle n’est pas une chose parmi d’autres, mais foyer, et non pas « foyer clos », mais foyer rayonnant. Un foyer, en peinture, n’est pas un objet qui apparaît dans une perspective, mais le point à partir duquel s’ouvre la perspective. Un foyer est aussi un feu, à savoir lumière et chaleur, et donc quelque chose qu’on n’éclaire pas avec autre chose, mais qui s’éclaire de lui-même, qui se manifeste de lui-même. Je veux dire par là que la famille, avant d’être un objet de pensée, est ce à partir de quoi nous nous sommes mis à penser. Souvent, on l’oublie, comme on oublie le sol, comme on ne voit pas ce qui nous tient et nous pousse en avant. À partir de cet oubli et de la fiction individualiste qui en découle, nous avons tendance à dissocier le logique et le généalogique. Nous posons l’homme comme individu doué de raison, et refusons de le reconnaître comme fils de ses pères. Or il est l’un avec l’autre. La tradition chrétienne nous le rappelle divinement. Pour elle, le Logos est le nom grec de la raison, mais c’est aussi le nom évangélique du Fils.

    Qu’est-ce donc qu’une famille ? On peut l’envisager à partir de ce que nous avons dit : la famille est le socle charnel de l’ouverture à la transcendance. La différence sexuelle, la différence générationnelle, et la différence des ceux deux différences, nous y apprennent à nous tourner vers l’autre en tant qu’autre. C’est le lieu du don et de la réception incalculable d’une vie qui se déploie avec nous mais aussi malgré nous, et qui nous jette toujours plus avant dans le mystère d’exister.

     

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    C’est comme ce premier lieu de l’existence qu’elle est aussi lieu de résistance. Résistance à l’idéologie, à la bien-pensance, à la programmation. La famille est la communauté originelle, donnée d’abord par nature et non seulement instituée par convention. Elle offre donc toujours, par son ancrage sexuel, un contrepoint à l’artifice, et ménage un espace pour ce qu’on peut appeler une vérification.

    L’homme public peut cultiver son image de façade, montrer son plus beau profil sur les réseaux sociaux, mais quel est son visage dans le privé, devant sa femme et ses enfants ? Le grand Hercule, qui a vaincu les monstres, se trouve minable devant Déjanire. Le jeune génie, qui perce sur les étalages, a honte d’être vu avec son papa et sa maman, lesquels attestent de son origine commune. La volonté de puissance est toujours contrariée par la proximité familiale. Et c’est pourquoi le totalitarisme aussi bien que le libéralisme, l’emprise technologique aussi bien que le fondamentalisme religieux, commencent toujours par mettre la famille sous tutelle, avant d’essayer de la détruire. »

     

    Fabrice Hadjadj

    Grenelle de la Famille

    8 mars 2014

    La Mutualité

     

    [1]Rousseau écrit dans l’introduction de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754) :« Commençons donc par écarter tous les faits. » Mais, au début du Contrat Social (I, 2), il ne peut s’empêcher d’admettre le fait fondamental : « La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. »

    [2] Je pense à l’usage grec de la papponymie : « Selon cette coutume, le fait pour un homme de prénommer son fils aîné du prénom de son propre père confirme à la fois et transcende que tout parent retrouve ses propres parents à travers ses enfants. La permutation symbolique implique au minimum la succession de trois générations pour fabriquer de l’humain institué » (Pierre Legendre, Filiation, Filiation. Leçon IV, Fayard, 1990, p. 62.)  

     

     

     

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  • Théorie du Genre : destruction de la personne

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    RÉFLEXION SUR LE GENDER ET SES CONSÉQUENCES SUR L’HUMANITÉ
    Entretien avec Yann Carrière, docteur en psychologie 

     

    DÉFINIR LE GENDER

    Yann Carrière Doct en psycho Théorie du Genre.jpgDéfinir est une démarche de rigueur. Or la rigueur, comme il m’a été rétorqué une fois à l’université, c’est un truc d’homme hétérosexuel blanc du XVIIIème siècle. Avec la théorie du genre, on est dans un domaine où on est systématiquement pas rigoureux. C’est une technique de prise de pouvoir. C’est comme ça que la théorie du genre a pris le pouvoir à Pékin en 1995 en faisant signer, par des étrangers qui ne connaissaient pas l’emploi du mot gender en anglais, quelque chose qu’ils pouvaient  croire correspondre simplement à une autre désignation des sexes (masculin, féminin), mais qui en réalité renvoie aussi à une théorie assez confuse où un ensemble de mouvements d’idées (mouvements idéologiques et politiques)  qui a derrière lui des implications radicales. Je crois que c’est Marguerite Peeters qui parle de couches comme pour un oignon. Vous avez des façades dans le genre qui sont tout à fait respectables, et en effet le genre, comme aspect social de l’identité sexuée, c’est quelque chose de tout à fait scientifique. Si on l’approche de manière rigoureuse, on peut essayer de voir effectivement comment sont variables les aspects sociaux de l’identité sexuée. Mais si on s’en tient à ça, et ça c’est la façade soft que les idéologues du gender présentent quand ils veulent faire passer leurs idées, c’est une recherche scientifique légitime.

    Et puis vous avez, très lié au reste, le noyau dur, pour qui le gender est une approche uniquement en terme de pouvoir. C’est-à-dire que les hommes et les femmes n’existent pas : parler d’hommes et de femmes, c’est juste transmettre une vision complètement politique, hiérarchisée et oppressive de la société et c’est cela qu’il faut détruire. Et à ce moment-là, il faut détruire toute l’hétérosexualité, l’identité d’homme et l’identité de femme. Donc il n’y a pas de définition, c’est normal et c’est très utile pour les idéologues du gender.

    En fait, c’est George Orwell qui, en écrivant « 1984 », avait onze ans d’avance. La théorie du gender, qui est une théorie fascisante, a pris le pouvoir au niveau mondial à l’ONU en 1995 à Pékin. George Orwell n’avait que onze ans d’avance. Et pas en disant « Il n’y a pas d’homme, il n’y a pas de femme ». On est vraiment dans « la guerre, c’est la paix », on est vraiment dans la redéfinition des mots ; qui n’est pas seulement un trait du genre, on trouve ça déjà dans les idéologies de libération ; mais c’est une stratégie générale qui est utile pour noyer l’esprit. Depuis des décennies, on substitue au raisonnement et à l’intellect des fonctionnements par émotions et par images, notamment grâce à la publicité. Le brouillage des mots fait partie de cette dégradation, en partie voulue et délibérée, de la réflexion intellectuelle.

    Si on empêche de penser, c’est presque la mort de l’humanité. Le vivant et l’humain fonctionnent sur la discrimination. La première discrimination, c’est peut-être « cette plante est-elle comestible ou pas ? Je vais discriminer ce qui est bien de ce qui est mal. » C’est comme ça que la vie fonctionne et que la pensée fonctionne. Et il y a une menace, à partir du moment où on refuse de penser, (« supprimez le mot ‘race’ de la constitution, cachez ce mot » - on ne peut même plus nommer des choses – « homme, femme », on ne peut plus nommer la différence, etc.), eh bien c’est un aspect extrêmement mortifère. Mortifère assumé. Vous avez un des plus brillants auteurs de la théorie du genre qui s’appelle Lee Edelmann, il a écrit un livre qui s’appelle « No future : Queer Theory and the Death Drive » (death instinct as a drive - l’instinct de mort), et il le revendique. C’est-à-dire que les Queers sont ceux qui contestent cette proportion obligatoire - et donc oppressive – de l’humanité à se reproduire. Et il prend comme exemple (il insiste) le film d’Hitchcock « Les oiseaux » parce qu’il dit : « typiquement, ce sont les enfants qui sont les victimes ». Et il dit « les Queers sont ceux qui s’opposent à cette reproduction imposée ». Et il revendique cette place. Donc à partir de cette non-définition, on débouche sur la non-pensée, et sur quelque chose qui tue l’humanité, en fin de compte. Et c’est revendiqué, c’est-à-dire que chez les gens du Gender, vous avez des gens brillants, il faut le reconnaitre ; après on verra pourquoi et en quoi ça déconne, mais ce ne sont pas eux qui sont les plus dangereux, ce sont ceux qui les récupèrent. Il y a toujours deux couches dans l’idéologie : il y a ceux qui y croient, et les cyniques qui manipulent les idéologies. Eh bien ils sont brillants, et ils assument ce qu’ils disent. En particulier Lee Edelmann, qui dit parfaitement « Mais oui, nous sommes du côté de la pulsion de mort. »

     

    LE GENDER ET LA SCIENCE

    YC1.jpgVoici en gros les idées de la théorie du genre : il n’y a pas de différences entre les hommes et les femmes ; les différences, c’est un système social construit oppresseur qu’il s’agit de détruire. En gros, c’est ça. Donc une idée au départ en elle-même ni scientifique, ni pas scientifique. Ce qui va être scientifique sera la manière dont on va la creuser, et en particulier la manière dont on va accepter de lui faire passer les tests des preuves de la réalité. Et de voir si, expérimentalement, la théorie donne des résultats qu’on peut prévoir, etc. Les principaux auteurs ne se réclament pas du tout d’une approche scientifique. Mais même s’ils se le réclamaient, il y a un vice de fond dans l’idée principale de l’idéologie du genre : il n’y a pas de différence entre les hommes et les femmes, parce que scientifiquement c’est la seule chose qu’on ne pourra jamais prouver. Pourquoi ? Parce que quoi que soit ce que vous fassiez comme confrontation au réel, comme expérience, comme expérimentation, parce que c’est bien cela la science, ce sera toujours quelque chose de limité et fini. Et donc si dans cette expérience limitée et finie vous trouvez qu’il n’y a pas de différences entre les hommes et les femmes, vous n’aurez pas prouvé qu’il n’y a pas de différences : vous aurez prouvé que sur ce champ-là, dans ces conditions-là, il n’y a pas de différences. On pourra toujours vous rétorquer « oui mais les différences, pour les voir, il fallait faire autre chose, et vous ne l’avez pas fait ». On peut prouver qu’il y a des différences. Mais pour prouver qu’il n’y a pas de différences, il faut faire une infinité d’expérimentations tout le temps. Donc c’est la seule hypothèse idiote, en fait, qu’il n’y ait pas de différences entre les hommes et les femmes. On peut choisir plein d’hypothèses, mais celle-là est la plus absurde parce que c’est celle qu’on ne pourra jamais assumer.

     

    LE GENDER ET LA CONTINUATION DU FÉMINISME RADICAL

    YC2.jpgLe féminisme libéral : « nous voulons les mêmes droits » est le féminisme auquel moi j’adhère à cent pour cent. Il n’y a aucune raison de faire des droits différents avec les hommes et les femmes. Et puis, là, certains ont eu des attentes déçues. Parce que comme l’explique le journaliste norvégien dans « Norwich on paradox », si vous donnez les mêmes droits à des gens qui sont différents, qui ont des préférences différentes comme les hommes et les femmes, au résultat final vous aurez des divergences importantes. C’est-à-dire que si les femmes préfèrent les études de lettres et de psychologie et les hommes les études d’ingénieur, la société va se diversifier selon les genres et va décevoir tous ceux qui pensaient qu’ils auraient des femmes partout et surtout aux postes de pouvoir. Alors là, soit on accepte la réalité, soit on la refuse et on se réfugie dans l’idéologie. C’est là qu’intervient le féminisme radical qui, par analogie avec la conception marxiste des oppresseurs et des opprimés, a dit « c’est parce qu’il y a un système peu visible et une idéologie peu visible qui oppriment les femmes au bénéfice des hommes ».

    Là, on commence à entrer dans quelque chose de dangereux parce que ça suscite la haine. Parce que ça stigmatise – en psychologie on parle de clivage – les bons d’un côté, les méchants de l’autre. Évidemment, les méchants, tout le monde va se mettre à les détester. Et ça, c’est l’irruption et la domination de ce type de féminisme dans les années quatre-vingt. Ça a été la raison de l’émergence de la misandrie, c’est-à-dire le sexisme contre les hommes, des quotas qui empêchent les hommes d’avoir la juste rétribution de leurs efforts, de leurs goûts ou de leurs compétences, et cela donne lieu – et ça, c’est important de le dire – à deux énormes mensonges qui dominent aujourd’hui notre société, bien avant l’irruption de la théorie du genre : les mensonges sur les violences conjugales et les mensonges sur les prétendues inégalités salariales.

     

    VIOLENCES CONJUGALES ET INÉGALITÉS SALARIALES

    YC3.jpgUn mot sur ces deux mensonges parce qu’ils donnent une idée de comment fonctionnent nos médias et notre démocratie, qu’il est très important d’avoir si on veut comprendre comment fonctionne l’implantation d’une idéologie comme le genre et comment la combattre.

    Depuis qu’on fait des études sur les violences conjugales, c’est-à-dire les années 1970, toutes les études ont toujours trouvé qu’il y a autant, sinon plus d’hommes battus que de femmes battues. Toutes les études. Il n’y en a pas d’autres. Si on fait une étude sérieuse en interrogeant hommes et femmes, on trouve qu’il y a autant d’hommes battus que de femmes battues, et autant de femmes violentes que d’hommes violents, voire un peu plus. Évidemment, vous voyez bien que ce n’est pas du tout ce qui est transmis ni par les médias, ni par le gouvernement. Il y a donc des mensonges délibérés, il y a des livres écrits là-dessus mais tout le monde s’en fout. L’important est de montrer que le féminisme radical a raison et que via cette violence, les femmes sont opprimées et qu’il faut toujours les avantager puisqu’elles sont toujours opprimées.

    Le deuxième mensonge est celui sur les inégalités salariales qui est continuellement asséné par les médias et le gouvernement. Il existe des disparités salariales, mais si on cherche les raisons pour les expliquer, on les trouve. Un auteur américain comme Warren Farrell je crois, qui est tout à fait accepté par les féministes, a listé vingt-cinq variables qui, quand on les introduit dans l’analyse des différences, suppriment toute différence ; et même révèlent que les femmes sont plutôt plus payées que les hommes. Et ça, même les gens en France qui sont statisticiens peuvent le savoir. Pourquoi ce mensonge ? Pour pouvoir toujours avoir l’idée que les femmes sont opprimées. Personne n’est excusé de croire à ce mensonge, à mon avis, parce qu’il peut vérifier autour de lui. Et puis même la logique du système capitaliste, si vraiment les femmes étaient payées 20% de moins que les hommes, à travail égal et à performances égales, tout le monde se précipiterait pour les embaucher. Ca commence à se voir, que ça ne marche pas, cette théorie. Par exemple, si on prend la catégorie de femmes auto-employées, aucun système ne les opprime, ce sont elles qui font leur entreprise et décident de combien elles sont payées, et elles sont moins payées que les hommes. Il y a des explications à ça : c’est qu’elles font des choix différents des hommes. Par exemple, pour celles qui sont médecins, elles vont décider de voir moins de gens, mais de prendre plus de temps avec. Alors évidemment, elles vont gagner plutôt moins d’argent. Et là, la théorie de l’oppression, la théorie du féminisme radical ne marche plus. Alors comment expliquer ? La théorie du genre est géniale. Déjà, on y arrivait avec les derniers travaux du ministre radical, Carole Gilligan. C’est le problème de la socialisation. C’est-à-dire que les femmes se limitent elles-mêmes.

     

    LA DOMINATION MASCULINE

    YC4.jpgL’éducation conditionne des tout-petits : les garçons à être dominants et à revendiquer, et les filles à être soumises et à se déprécier. Et ça, ça va être le gros travail de Carole Gilligan dans les années quatre-vingt-dix en faisant des études pas du tout sérieuses sur le plan méthodologique mais très à la mode sur le plan idéologique, en même temps que les livres de Judith Butler (ce sont toujours les mêmes époques : « Gender trouble » de Butler date des années 90, et les études de Gilligan aussi). Voilà comment le relais se fait. Parce qu’on ne peut plus arguer qu’il y a un système. Le mythe du plafond de verre, quand on le regarde de près, en fait ça ne marche pas du tout. En revanche, si on dit que c’est dès le conditionnement, dès la constitution de l’identité que tout s’installe, alors on a une bonne idée. Et ça aboutit à ce que vous trouvez maintenant sur les sites américains d’éducation : si on tolère que les petits garçons se conduisent différemment des petites filles, alors on perpétue l’oppression des femmes. Conclusion : il faut empêcher les petits garçons d’être différents des petites filles. Et c’est cela, l’ambition de la théorie du genre dans l’éducation.

     

    LES DISCRIMINATIONS

    YC5.jpgIl m’arrive de donner des conférences et j’ai remarqué qu’il y a vraiment une difficulté, voire une incapacité pour des personnes y compris qui ont fait des études supérieures, à raisonner de manière satisfaisante pour conjuguer à la fois les contraintes de la réalité et les aspirations légitimes à l’égalité et à l’absence de discriminations injustes. En fait, le raisonnement à tenir à tout moment est relativement simple : il est de dire que si on prend des groupes, il est normal d’avoir des différences statistiques entre les hommes et les femmes, ne serait-ce que de taille, de force musculaire au niveau des bras ; mais ce n’est pas un prétexte justifié pour brimer un homme ou une femme en fonction des caractéristiques de son groupe.

    Quand je donne des conférences, je prends l’exemple des bûcherons. Il n’y a pas de raison d’interdire à une femme d’être bûcheron si elle en a la force, l’agressivité, l’énergie et l’envie d’être bûcheron. En revanche, il ne faut pas s’étonner s’il y a plus de bûcherons hommes que femmes parce qu’en principe, au niveau du corps, dans la force des bras et des muscles, les hommes sont plus costauds et ils ont peut-être plus de plaisir à le faire. Eh bien ce raisonnement, si tout le monde le tenait, il suffirait à résoudre tous les problèmes de discrimination. Parce qu’on accepterait à la fois les différences générales quelles qu’elles soient, et évidemment qui sont toujours bonnes ou mauvaises pour les uns et les autres, tout dépend de quel côté on se place. Et on serait toujours en train de traiter avec équité les personnes qu’on a devant soi en fonction de leur réalité : il peut y avoir des hommes féminins, des femmes masculines etc. Mais ça, je me rends compte quand je donne des conférences que bien des gens ne sont plus capables de ce raisonnement.

     

    LA PERVERSITÉ DU GENDER

    YC6.jpgJe pense que le plus simple est de reprendre l’analogie avec le communisme. Qu’a fait le communisme, qui est le fascisme le plus violent qu’ait connu l’humanité au XXème siècle ?

    Au nom du bien, et de la défense des prolétaires qui est une bonne cause, il a massacré des paysans, des bourgeois, des millions et des millions de personnes. Et ça, c’est pervers. C’est pervers au sens étymologique, parce que le pervers retourne la logique naturelle. Le communisme était censé faire le bien et il a fait le mal. Dans ce sens-là, le gender se promet de prendre la suite ; c’est-à-dire qu’il ne promet pas une société sans classes, mais il promet une société sans sexes, puisqu’il y aura une infinité de genres.

     

    LA PATHOLOGIE DU NARCISSISME

    YC7.jpgOn est dans la pathologie du narcissisme. Simone de Beauvoir a dit « On ne naît pas femme, on le devient ». Au départ, c’est une intention libératrice quand elle l’écrit dans « Le deuxième sexe » de 1949. Seulement quelques temps plus tard, une féministe, Betty Friedan, lui dit « Mais vous savez, il y aura toujours des femmes qui voudront être mères et privilégieront ça au travail ». Simone de Beauvoir lui répond, du moins c’est ce qui est écrit dans le livre de Christina Hoff Sommers : « Eh bien dans ce cas, il faudra le leur interdire ». Ce qui signifie « je libère les gens mais je ne tolère pas qu’ils aient un avis différent du mien ». Ça, c’est du narcissisme : « je réorganise le monde ». Et les gens qui ont une dynamique narcissique sont souvent des révolutionnaires, des leaders, et en ce sens-là ils peuvent être bénéfiques ; mais il y a une dérive possible qui est « je libère le monde uniquement dans le sens de mon idéal et il n’est pas question que je tolère que l’autre ait aussi son avis ».

    Dans le Genre, c’est ça qui se passe. Au départ de la théorie du genre, et notamment chez Judith Butler, vous avez une ambition légitime, une ambition bénéfique, qui est de défendre les gens qui n’ont pas la chance de tomber facilement dans une catégorie hommes ou femmes : soit parce qu’ils sont hermaphrodites, soit parce qu’ils ont une orientation sexuelle non hétérosexuelle. Ils vont avoir du mal à se caser dans le monde très normé, et parfois, ça peut aller, comme elle le soulignait elle-même, jusqu’au meurtre. On peut tuer des gens parce qu’ils sont homos. Et c’est tout à fait louable, en tout cas à mon avis, de vouloir aménager le monde pour que ces gens-là trouvent au mieux leur place.

    Seulement, la théorie du genre qui se répand aujourd’hui, ce n’est pas du tout ça. La théorie du genre qui se répand aujourd’hui, c’est dire « pour que ces gens trouvent leur place, il faut détruire la structure psychique de tous les gens qui trouvaient naturellement leur place en hommes et femmes et en hétérosexuels ». Et là, c’est pervers. Vous voyez bien qu’à nouveau, au nom de la libération d’une petite quantité de gens (mais ça vaut toujours le coup de s’occuper des gens même s’ils ne sont pas nombreux), on va opprimer la majorité. Et comme dans le communisme, il y a un retournement pervers.

     

    LA NÉGATION DE LA RÉALITÉ

    YC8.jpgEn psychanalyse, les pervers nient une partie de la réalité qui est la différence des sexes. Donc effectivement, la théorie du genre est emblématique en niant une partie de la réalité, qui est la différence des sexes, mais je voudrais rétropédaler par rapport à votre question : la négation de la réalité est une très vieille tradition en occident même ; et quand on veut se pencher sur les racines des dysfonctionnements actuels, il faut absolument prendre ça en compte. Moi, je remonterais presque jusqu’au nominalisme au Moyen Âge, qui réduisait la possibilité de faire une adéquation vraiment à la réalité. Mais après, quand vous avez Descartes qui dit « Je suppose que rien n’existe et je m’aperçois qu’il ne reste plus que ma pensée », on est aussi dans le doute de la réalité. Quand vous avez Rousseau qui dit « Commençons par écarter tous les faits », on est aussi dans l’éloignement de la réalité. De ce point de vue-là, les théoriciens du gender ne font pas de saut qualitatif important, mais prolongent une longue tradition. Et à la limite, si on n’est pas content, ça veut dire qu’il faut se poser la question « comment tout a dérivé depuis Saint Thomas d’Aquin ? ». J’exagère à peine.

     

    LE NARCISSIQUE ET LA RÉALITÉ

    YC9.jpgQuand on parle de toute puissance narcissique, en tant que psychologue c’est là que je place la racine du mal. On parlait de nier la réalité. Le narcissique est à cheval entre ses rêves et la réalité et quand il est en bonne santé, il arrive à jongler entre les deux. Mais quand il commence à délirer, comme dans ses mouvements révolutionnaires, il veut plier la réalité à son rêve (communiste ou gender) et à ce moment-là, il va massacrer ceux qui lui résistent.

    La première limite, la limite minimale, la limite symbolique à la toute-puissance du narcissisme, c’est l’idée de Dieu : c’est l’idée que « moi, je ne suis pas tout, et je ne suis pas tout-puissant ». Vous avez des gens qui ont étudié les leaders, je pense à Kohut, un grand spécialiste du narcissisme, et je pense aussi à un Australien qui s’appelle Hawks. Ils ont remarqué qu’il y a deux types de gourous. Il y a les gourous qui se croient eux-mêmes la Divinité, et il y a ceux qui se croient messagers de la divinité. Ceux-ci ont leur narcissisme grandiose divisé en deux parties : eux et la divinité qu’ils représentent.

    Évidemment, il y en a qui finissent mieux que les autres. Parce que si vous vous octroyez la divinité à vingt, trente, quarante ans ça peut encore marcher, à cinquante, soixante, soixante-dix ans la réalité vous rattrape et vous montre que la divinité n’est pas si glorieuse que ça. Ceux-là ne finissent pas très bien. Mais ceux qui sont simplement des messagers peuvent maintenir leur équilibre psychique plus longtemps. Parce que le grandiose, l’idéal, il est en Dieu. Et moi je crois que si on veut vraiment lutter contre ces délires qui arrivent régulièrement à l’humanité, il faut se pencher sur le lien avec la croyance en Dieu. Les deux grands fascismes qui ont massacré des millions de gens au XXème siècle sont des idéologies athées, que ce soit le communisme ou le nazisme.

    Comme on dit « la crainte de Dieu est le début de la sagesse ». Si je ne suis pas le plus grand, je vais me relier au monde et aux autres différemment.

     

    LE GENDER, UN MOUVEMENT POLITIQUE MONDIAL

    YC10.jpgCe mouvement d’idées n’est pas resté un mouvement d’idées : il est devenu un mouvement politique, un mouvement qui a pris le pouvoir, un mouvement qui s’impose au monde entier depuis Pékin 1995. Et là, c’est une autre sorte de danger, et c’est même, à mon avis, un alignement fascisant de la société. C’est-à-dire que progressivement, vous n’avez plus le droit de penser différemment que ce que dit la théorie du genre.

    J’ai répondu à des intervenants dans une entreprise où j’étais, qui faisaient de la propagande sur la théorie du genre, subventionnée par la Direction des Ressources Humaines.Ce que nous disait le psychiatre, c’est que dans des années il n’y aura plus de normes, nous serons tous des exceptions et ce sera peut-être difficile à gérer. Je lui ai répondu « Mais attendez monsieur, si nous sommes tous des exceptions, il n’y a plus d’exceptions. Il n’y a plus de loi, il n’y a plus de règle : on a un magma informe de gens paumés parce qu’ils n’ont plus d’identité et contrairement à ce que vous dites, ce n’est pas difficile à gérer, c’est extrêmement facile à manipuler. » Et ça, en tant que psychologue, c’est un message fort : si on détruit les repères des gens, ça donne des gens paumés faciles à manipuler.

    Dans les années 1990, j’ai été amené à enseigner une théorie du management, qui s’appelle le chaos management. Le chaos du management, c’est casser les repères des gens pour les rendre plus créatifs et plus productifs. Mais ils sont aussi plus faciles à manipuler. Cette théorie, je n’en entends plus beaucoup parler en tant que théorie, mais en revanche je la vois appliquée partout, que ce soit dans les entreprises ou au niveau politique actuellement. Casser les repères des gens rejoint la prédiction de Marx. Marx disait « le capitalisme détruira tout ce qui s’oppose à lui ». Donc toutes les structures anciennes, les nations, les familles etc. sont en train d’être brisées à travers le monde : soit par les guerres, soit pas l’immigration, etc.

    Ce qui se cache derrière est une mise en ordre, au niveau mondial et politique, de l’humanité, qui à mon avis va dans le sens – mais là je peux me tromper parce que ce n’est pas mon domaine – d’une sorte de mise en esclavage au profit des grandes puissances financières. C’est une hypothèse que je risque. En tout cas, ce dont je suis sûr, c’est que c’est dangereux, parce que ce n’est pas une idéologie, c’est un mouvement politique qui s’impose avec violence au monde.

     

    QUAND LES DÉLIRES S’IMPOSENT AU RÉEL

    YC11.jpgComment une erreur cognitive, ou ce qui peut apparaître à certains ou à certaines comme un gentil délire, donne des résultats terribles si on veut le forcer avec violence sur la réalité : c’est l’affaire Jandré Botha en Afrique du Sud. C’est cette affaire de deux lesbiennes dont l’une a un petit garçon, et sa compagne veut que le petit garçon l’appelle « papa ». Ce qui est parfaitement conforme à la théorie du genre. Le genre, c’est une question de rôle social construit : je ne vois pas pourquoi le petit garçon, même si je suis une femme, ne m’appellerait pas « papa ». Il a refusé, et il a été torturé à mort. Voilà ce qui se passe quand les délires sont imposés par la violence au réel. Ça donne des massacres comme on a connu au XXème siècle.

    Donc ce n’est pas une théorie, c’est vrai que penser est toujours dangereux mais ce qui se passe n’est pas la théorie du genre : ce qui se passe, c’est l’imposition au niveau mondial de la théorie du genre. Et comme toutes les questions de diversité, de ce que je constate, que ce soit dans les entreprises ou dans les gouvernements, les questions de diversité servent, même si elles ont un bon fond au départ, de cache-sexe à des manœuvres de pouvoir et de domination sociale.

     

    LE GENDER À L’ÉCOLE

    YC12.jpgAu niveau de l’école, la première conséquence est une amplification de ce qu’a très bien décrit l’Américaine Christina Hoff Sommers dans son livre « The war against boys », La guerre contre les garçons. Derrière les discours lénifiants sur « déconstruire les stéréotypes », clairement, les Américains sont parfois plus francs, ils disent : « si on permet aux petits garçons d’être différents des petites filles, on perpétue l’oppression des femmes. On va donc interdire aux petits garçons d’être différents des petites filles. » On va donc les inviter fortement à jouer à la poupée, à porter des robes, on va supprimer les cours de récréation pour qu’ils ne puissent pas courir, etc. C’est ce que décrit Christina Hoff Sommers dans son livre. Et donc, on a vraiment, là, les traits d’un fascisme qui fabrique un homme nouveau, ou un androgyne nouveau, un homme-femme, si vous voulez. On a vu avec Simone de Beauvoir que ce n’est pas mieux intentionné vis-à-vis des femmes, mais malgré tout comme un des principaux axes est de libérer les femmes, la haine, ou l’agression, ou la rage est dirigée contre les garçons et les hommes.

     

    LA DESTRUCTION DE LA PERSONNE

    YC13.jpgLe but visé, à mon avis, ou l’intérêt, ce pour quoi cette idéologie rend service, c’est parce qu’elle aboutit à la destruction de la personne. Le sous-titre de Judith Butler, c’est Féminisme et subversion de l’identité. Ce n’est pas Subversion de l’identité sexuée. C’est subversion de l’identité tout court. C’est-à-dire que dans cette idéologie post-moderne, la personne, le sujet n’existe pas. Le chemin pris par Descartes « Je pense, donc je suis » a été mené jusqu’au bout, mais « je » n’existe pas. Donc, nous sommes juste un petit noyau de vie manipulé par des rapports de pouvoir qui nous font homme ou femme : c’est ça, le gender. Mais que la personne n’existe pas, ça, c’est génial pour un état totalitaire. Parce que ça va à l’encontre de toute la civilisation chrétienne qui est fondée sur la dignité de la personne faite à l’image de Dieu.

    La personne n’est pas intéressante pour un système capitaliste, que ce soit du point de vue employeur ou consommateur. Et d’ailleurs, vous n’avez plus de Direction du Personnel, mais une Direction des Ressources Humaines qui s’occupe des compétences des gens. Vous avez des portefeuilles de compétences sur pattes, en gros ; ambulants, qu’on va exploiter au mieux, mais la personne, c’est gênant, parce que ça a des besoins, notamment spirituels. De même du côté de la consommation, on ne va pas se soucier de la personne, on va faire du marketing en fonction du fait que vous êtes – je ne sais pas, moi – musulman, chrétien, juif, ou en fonction de ce que vous êtes mère de famille, père isolé, parent isolé etc. et on va créer en vous des actes compulsifs d’achat, c’est ça le but du marketing. Mais il ne se soucie pas de la personne, c’est un encombrement, il faut la bipasser. Et quel meilleur moyen de la bipasser que d’enlever toute structure à l’identité ?

    Bien sûr, c’est totalitaire, mais c’est bougrement commode si on a en vue un monde organisé uniquement sous le prima de la consommation et du fonctionnement capitaliste.

     

    LE GENDER, LA VIOLENCE ET LE SACRÉ

    YC14.jpgLe fondateur de la chaire de sociologie à Harvard est quelqu’un qui s’appelait Pitirim Sorokin et qui a beaucoup travaillé sur les groupes et la notion de l’amour. Il a écrit un livre qui s’appelle « The power of love », Le pouvoir de l’amour. Et il avait remarqué qu’on pouvait glisser assez rapidement de l’amour d’un groupe à la haine des autres groupes. Pas besoin d’insister : le nazisme, le communisme, etc., c’est vraiment typiquement ça : l’amour des Allemands – la haine des Juifs ; l’amour des prolétaires – la haine des bourgeois et des oppresseurs…

    Alors, moi, ce qu’il me semble, c’est que en réalité, notamment dans une société qui a refusé Dieu, le besoin de sacré de l’homme est tellement fort qu’on va avoir tendance à idéaliser, à sacraliser une partie de l’humain. Et typiquement, à notre époque qui idéalise les victimes, les pauvres victimes d’injustices vont être idéalisées. On va complètement investir ce groupe. Ça peut être les femmes, ça peut être les homosexuels, ça peut être les hommes, ça dépend des circonstances. Le problème, c’est que s’il n’y a pas un régulateur qui est Dieu au-dessus de tout le monde, à ce moment-là l’idéalisation d’un groupe va être concomitante de la déshumanisation de l’autre groupe. Forcément, parce que s’il y a oppresseur et opprimés, on va porter aux nues les opprimés, et les oppresseurs sont des méchants qui perdent leur statut d’humains et on va les massacrer.

    Et donc, voilà une autre raison pour laquelle il est important que le narcissisme soit mobilisé au niveau de Dieu. C’est Dieu qui est grand. Et une deuxième notion très importante du christianisme qui permet la régulation, c’est la notion de péché originel, qui fait que le mal est présent en tout le monde, donc on ne peut pas utiliser le mécanisme du clivage en disant « les bons d’un côté, et les gentils de l’autre ». Et c’est aussi en ça que l’éloignement de la religion chrétienne fait qu’on délire de plus en plus, parce qu’on va investir les gentils d’un côté et on va massacrer les autres.

     

    L’OBJECTIF FINAL DU GENDER

    YC16.jpgC’est un mouvement qui cherche à détruire. Et ce qui est curieux, c’est qu’il y ait un ennemi privilégié. Et l’ennemi privilégié, c’est le christianisme et l’Église catholique. Pour deux raisons essentiellement : d’abord parce que c’est une organisation internationale qu’on pourrait qualifier d’idéologique, qui propose aux gens une structuration (on a vu que le but était de déstructurer l’humanité pour la manipuler) ; et en particulier parce que la notion de personne est très ancré dans la foi catholique et la foi chrétienne, l’homme ou la femme à l’image de Dieu, et que c’est ça qu’il s’agit de détruire toujours dans le but de manipuler les gens. Ce qui rend les gens in-manipulables, c’est leur relation à Dieu. Donc c’est ça qu’il faut détruire.

     

    Entretien : Matthias Barbier et Louis-Marie de l’Épinois de Réinformation-TV

    Transcription réalisée par Sophie Naumiak pour La Vaillante

     

     

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