Le 25 février 2014, à 04:45 Gérard Leclerc a écrit :
Pardonnez-moi, mais c'est un peu par hasard que j'ai pris connaissance de vos textes, à vrai dire suite à une Insomnie. Et j'ai été extrêmement intéressé et touché par tout. Par exemple votre découverte de cet auteur très singulier qu'est Pascal Quignard, et plus encore ce que vous dites de l'immense Édith Stein.
Merci pour votre belle expérience intérieure.
Cordialement,
Gérard Leclerc
Le 13 février 2014 à 15:29, Sandrine Treuillard a écrit :
Cher Marc,
Je voulais te répondre plus longuement et d'abord te remercier d'avoir amorcé ce dialogue.
Hier j'étais à ma tâche de gouvernante (d'un enfant de 14 ans dont je m'occupe depuis ses 9 ans), & j'ai profité de la journée d'hier & de la nuit pour méditer ce que tu m'as écrit.
J'ai en effet "repris à mon compte" une partie de ce texte de « La Joie de l'Évangile » du Pape François Le temps est supérieur à l'espace sur « Machina Perceptionis ».
Je voulais te répondre en tant qu'artiste.
Mon cheminement intérieur, spirituel, en tant qu'artiste (qui forme un tout) a été contextualisé dans une époque, une sensibilité sociale puis politique. Une sensibilité avant tout liée à des lieux & à un sentiment religieux, & d'abord païen, de la nature dans ces lieux de campagne et de petites villes rurales (le Cher, villages au nord de Bourges, & le Loiret, Briare-le-Canal, puis à nouveau le Cher, Vierzon).
La petite église romane de mon village d'origine (Sury-ès-Bois), où j'ai été baptisée à l'âge de un an, a été la première architecture à accueillir & à canaliser mon sentiment religieux, & la vie mystique qui avait commencé très tôt dans mon enfance.
Les séances de catéchisme avec une dame du village qui nous transmettait sa foi & son amour, puis avec le prêtre de la paroisse, & les pèlerinages à la Basilique de Saint-Benoît-sur-Loire, Vézelay, la visite de la châsse de sainte Bernadette à Nevers, & surtout le témoignage d'une carmélite au Carmel de Nevers, ont encore renforcé cet élan religieux que j'avais développé naturellement au contact de la nature, de ce Pays Fort, paysan… si bien, que lors de la profession de foi/Communion, à mes 12 ans, j'entrais tout sourire dans les ordres, devenais l'épouse de Jésus, avais le grand désir de consacrer ma vie à la religion catholique, carmélite (cloîtrée, absolument).
Mais la vie en avait décidé autrement.
Je devins femme durant cette douzième année, mon corps me faisait vivre des choses sexuels dont je débordais sans les comprendre, ni les maîtriser, avec un grand sentiment de culpabilité, laissée à moi-même, sans accompagnement personnel qui aurait pu permettre de canaliser ces énergies & de comprendre ce que la puberté fait vivre à chacun.
À mes 13 ans, lors de la Confirmation, j'eus l'horrible sentiment d'être abandonnée de Dieu : je ne recevais plus ce que je lisais entre les lignes dans les Évangiles, cet amour de Jésus qui m'irriguait alors, j'eus le sentiment de trahir l'Église qui confirmait ma foi en le catholicisme (au passage, une étymologie du catholicisme : "selon le tout", "cat" : selon ; "holisme" : le tout).
J'ai vécu depuis lors 21 ans d'enfer sur terre, ce qu'on appel la déréliction. L’enfer étant cette coupure d’avec l’Amour de Dieu.
Au contact de Pascal Quignard, en le lisant, puis en lui écrivant, j'ai touché à nouveau à ce sentiment religieux de mon enfance & prime adolescence.
En 2005, j'eus quelques expériences de respiration en apnée.
De ces expériences est née la performance (« Ce qu'il y a de pierre en moi ») à laquelle tu assistas sur l'île Pomègues à Marseille, & dont les "Instants Vidéo" ont été l'écrin avec « Par ce passage… infranchi » initié par Christophe Galatry.
Puis, j'explorais en vidéo cet espace-temps spirituel en contemplant la nature dans la durée du temps présent.
Je continuais de découvrir Quignard. En lisant « L'être du balbutiement » (Essai sur Sacher-Masoch), je tombai sur une description de mon processus en vidéographie qui me subjugua, tant ce qu'il écrivit à l'âge de 20 ans me semblait parler directement de ce que je vivais en filmant.
Ce passage s'intitule « Sur la question de l'Exspectatio », une notion d'Augustin d'Hippone (saint Augustin, en Afrique du Nord…).
À la suite de ceci, tout naturellement, je lu les « Confessions » de saint Augustin.
Et là, c'est en 2007-2008, je fais retour à la source, à l'origine de mon sentiment religieux de la vie. Mais ce n'est pas encore consciemment déclaré.
Je pars en Sicile & Naples pour la seconde fois en février 2008. Je ne comprends rien à ce que je vis, à ce pour quoi je suis là-bas.
À mon retour, je revois Quignard qui me rapporte mes lettres pour que je les photocopie.
C'est Pâques 2008. J'eus alors une expérience lors d'une séance de respiration en apnée qui me fit très peur, de l'ordre d'une manifestation spirituelle dans le corps, un parcours initiatique intérieur en 45 minutes, où un chant s'éleva en moi, une vibration s'augmentant des pieds à la tête, très musicale, qui se termina par le son le plus aigu que jamais je n'imaginais que mon corps puisse produire, avec la sensation couplée d'un faisceaux de lumière sortant par le haut de mon crâne…
Ce fut la dernière respiration en apnée, je décidai de cesser, j'avais été atteinte par quelque chose qui m'effraya.
Le 21 juin 2008, je rencontre Rémi sur le Marché de la poésie, place Saint-Sulpice, sur le stand de Jérôme Mauche qui deviendra mon témoin lors de notre mariage religieux le 14 février 2009.
Rémi avait été lui-même baptisé la nuit de Pâques 2008.
Cet été là, je lui demandai de m'emmener à la basilique de Saint-Benoît-sur-Loire, attirée par une force irrésistible.
C'est là que j'eus ma "reconversion", quand je mis si longtemps à franchir le seuil de la basilique, un remuement intérieur inédit, le temps, justement, n'était pas celui naturel & habituel, & j'avançai sur la gauche, une phrase s'est dite à mon cœur "J'entre dans la maison du Seigneur" et je m'écroule en pleurs derrière le premier pilier.
Ce que je vis alors, avant de me mouvoir sur la gauche, immobilisée par l'émotion, je le vis lors de la vision intérieure de cette séance de respiration en apnée, aux alentours de Pâques : la nef romane baignée d'une douce lumière…
Je demandai alors à Rémi, qui me ramassa à la petite cuillère, de rester à l'office du soir des moines bénédictins (les Vêpres). À la prière du "Notre Père", une grande émotion m'étreint.
Je suis alors accueillie à nouveau par Dieu.
Toutes mes explorations en vidéographie prennent alors enfin leur sens qui était caché au sein de ma pratique. Filmer, prier & célébrer se confondent, se répondent… Je suis enfin centrée, rassemblée, unifiée dans mon être entier.
Le social dans tout cela : Lutte ouvrière à l'internat au lycée de Vierzon de 16 à 18 ans.
Mon père "patron" d'un ouvrier, artisan ébéniste amoureux de son métier & ne comptant pas ses forces, compagnon du devoir sur le tard, son nom "L'amour du bois".
Longtemps je lui en ai voulu d'être l'esclave de son travail, sans percevoir l'amour qu'il déployait à l'exercer (déformation de mon regard due en grande partie au militantisme obtus de Lutte Ouvrière). Quand j'entrai à 18 ans aux Beaux-Arts de Bourges, j'en étais là.
J'ai recontacté ma vérité intérieure bien longtemps après les 7 années qui ont séparé l'entrée & la sortie des écoles d'art. C'est en filmant que j'y ai vraiment accédé. En contemplant. En écrivant aussi.
La dernière vidéographie « Institut de beauté » qui date de juin 2012 est un achoppement qui résume assez bien les rapports esthétiques, artistiques, intérieures… au "loisir" de filmer, au "loisir" de "travailler" dans la nature, au "loisir" d'observer avec bonheur mon père se réaliser dans son domaine, La Sourdaie.
Je ne t'avais pas envoyé ce film, un problème technique jamais résolu m'avait empêchée d'en produire des dvds. Il est entièrement en ligne sur Youtube, & le texte qui l'accompagne sur ce lien est ce que je souhaitais te donner à lire, qui est en relation avec la société, les événements au sein d'un processus historique du rapport au travail.
"Institut de beauté" : Portrait d'un homme dans son paysage
J'ai aussi produit un texte qui fait office de manifeste, en lien avec la grande phénoménologue allemande, Édith Stein, disciple de Hüsserl, juive convertie au catholicisme, devenue carmélite et exterminée à Auschwitz en 1942 :
"En fait d'impressionnabilité, l'enfant, l'artiste & le saint son frères".
Elle est aussi docteur de l'Église, ses textes sur la femme, la transmission, l'amour de Dieu sont magnifiques.
Actuellement, je boucle une vidéographie que j'espère t'envoyer à tant : il me reste à poser le titre & génériques : "Enciellement Édith Etty".
Je pense que ce n'est pas un hasard si tu as répondu à ce mail « Le temps est supérieur à l'espace », même si nous ne sommes plus, en cette fin de lettre, au même point qu'en son commencement…
Je te remercie amicalement de m'avoir "provoquée" à t'écrire tout ceci, et je termine en t'indiquant une autre lecture rafraîchissante : "Connaître & aimer son pays"…
Car toute ma vie est sous le signe de connaître, reconnaître, aimer…
Bien à toi, cher Marc,
Sandrine
Le 17 févr. 2014 à 06:47, Marc Mercier a écrit :
Chère Sandrine,
Je te remercie d'avoir pris ce temps pour me confier cette histoire de vie. Je perçois quelque chose, je crois, de ton cheminement.
C'est étrange de lire cela depuis la Palestine où je suis en ce moment. J'étais hier à Bethléem et ce soir je dormirai à Jérusalem. Territoire où règne la plus absolue des injustices. Comme à chaque fois où je m'y rends, je reviens chargé du devoir de témoigner, de dire ce que j'ai vu et entendu. Avec cette question : comment traduire poétiquement et politiquement une colère ?
Je te souhaite une douce journée et t'envoie cette image de bergers de la vallée du Jourdain, rieurs malgré tout,
Bien à toi,
Marc
Le 9 mars 2014 à 10:44, Marc Mercier a écrit :
Bonjour Sandrine,
Voici un petit compte rendu de mon séjour en Palestine…
Bien à toi,
Marc
RETOUR DE PALESTINE DE DEUX MEMBRES DES INSTANTS VIDÉO (Marseille)
Une délégation composée de huit représentants d’associations membres du REF (Réseau Euromed France) s'est rendue en Palestine afin de rencontrer des associations et personnalités politiques locales.
Du 13 au 19 février, Nacer El Idrissi (ATMF), Tarek Ben Hiba (FTCR), Marc Mercier et Naïk M’Sili (Instants Vidéos Numériques et Poétiques), Stéphane Assézat (AP2i), Ahmed Jemai (Agence Act’Médias Presse), Giovanna Tanzarella (Fondation René Seydoux) et Marion Isvi (Chargée de mission du REF) sont allés à Ramallah, Jérusalem, Bethléem, Bil’in, Naplouse et dans la Vallée du Jourdain pour faire le point sur la situation sur place.
Tentative de restitution de ce que nous avons vu et entendu.
Un compte-rendu plus complet rédigé par l'ensemble de la délégation du REF sera bientôt rendu public. Ce document a été écrit à partir des notes de voyage de Marc Mercier.
13 février
Nous sommes dans l'avion Air France qui nous mène depuis Paris à Tel Aviv. Soudain, une voix nous annonce : « Dans 30 minutes, nous entrerons dans l'espace aérien d'Israël. Nous vous demanderons de ne plus circuler dans la cabine ». Naïk a demandé à un steward les raisons de cette annonce : « Ce sont les Israéliens qui exigent que nous fassions cet appel. Nous sommes même sensés donner les noms des personnes qui n'appliquent pas ces consignes. »
Aéroport, quelques interrogatoires prolongés pour trois ou quatre d'entre nous, un pied de caméra cassé…
Le soir, Ramallah. Au sortir d'un restaurant, nous assistons à une dispute entre un jeune niché dans une voiture de luxe et un petit groupe de jeunes gens. Nous apprenons que la colère provient du fait que le conducteur est membre d'une famille de riches corrompus, proche de l'Autorité Palestinienne.
Nous discutons longuement avec eux de la situation actuelle de la Palestine. Ils ne sont pas très optimistes : « Ils sont forts. Nous sommes faibles ». « Résister, c'est déjà rester vivre en Palestine ».
Nous finissons par leur poser deux questions que nous reposerons systématiquement à tous nos interlocuteurs, auxquelles (à notre grande surprise), nous obtiendrons toujours les mêmes réponses :
— Que pensez-vous que nous (étrangers) pouvons faire pour vous aider dans votre lutte pour la libération de la Palestine ? Tous ont répondu : Faire connaître cette initiative non-violente de la société civile palestinienne : le BDS (Boycott. Désinvestissement. Sanctions).
— Que souhaitez-vous ? Deux états ou un seul ? Tous répondent qu'étant donné l'état d'avancement de la colonisation, du morcellement de la Cisjordanie, de la coupure avec Gaza, la solution des deux États n'est plus sérieusement envisageable. Nous voulons un seul État. Une Palestine laïque dans laquelle vivront ensemble des musulmans, chrétiens, juifs, samaritains, athées…
14 février
Matin
Notre délégation se rend au village de Bil'in située à une douzaine de kilomètres à l'ouest de Ramallah, à proximité du mur de séparation israélien et de la colonie de Modin Illit. Depuis la Conférence de Solidarité qui s'est tenue les 20 et 21 février 2006 pour que cessent les expropriations de terres, les Palestiniens ont initié une résistance populaire pacifiste en organisant notamment une manifestation hebdomadaire face au mur. Nous avons pu constater le caractère international de la mobilisation. Certains d'entre nous ont eu le désagrément de tester l'effet sur les yeux et la gorge des bombes lacrymogène lancées par les soldats israéliens, sous les applaudissements de colons regroupés sur une colline derrière le mur.
Nous avons aussi rencontré un Palestinien qui a pris l'initiative d'une collecte internationale pour planter 1 million d'oliviers en remplacement du million arrachés par les colons.
Après-midi
Nous nous rendons à Naplouse. Visite « politique » de la vieille ville qui porte encore les traces des massacres (plus de 500 morts et des milliers de blessés rien qu'entre 2000 et 2005) perpétués par l'armée d'occupation israélienne.
Nous sommes reçus par une association d'aide aux jeunes enfants créée après 2002 pour que puissent s'exprimer (par des pratiques artistiques notamment) les traumatismes, et aussi pour tenter de renouer une confiance entre enfants et adultes qui n'ont pas été en capacité de les protéger et qui ne sont pas en mesure de leur assurer un avenir décent. Ils apprennent aussi à inventer collectivement des actes de résistance pacifique, comme rédiger et apporter des messages de paix aux soldats des cheik-points, ou y organiser des piques-niques familiaux auxquels sont conviés les soldats, même si ceux-ci les chassent très rapidement. Ces activités ne visent pas à échapper à la réalité, à évacuer la colère mais à la métamorphoser en une énergie créatrice.
Que faire pour aider l'association ? Ils ont besoin d'échanges d'expériences, d'avoir des éclairages culturels venus d'ailleurs, que nous venions voir la réalité de la vie ici et témoigner.
15 février
Matin
Vallée du Jourdain
Nous sommes accueillis par des paysans et éleveurs du secteur et l'association UAWC. Jéricho, seule ville palestinienne (25 000 habitants) de la Vallée du Jourdain. Ailleurs, des villages (96% sont en zone C, donc sous contrôle israélien), 21 colonies, des zones militaires… Le Jourdain n'est plus qu'une petite rivière (l'eau est détournée en amont par la Jordanie et Israël), asséchant petit à petit la Mer Morte. 60 000 palestiniens exploitent 5% du territoire, 6 200 israéliens le reste. Seulement 22% de l'eau est accessible aux Palestiniens qui, depuis les Accords d'Oslo n'ont plus le droit de forer des puits. Quant aux puits déjà existants, la plupart leur sont interdits.
Les terres auxquelles les paysans et éleveurs n'ont plus accès sont soit celles que se sont accaparées les colons, soit des terrains militaires (eux-mêmes cernés par des zones de sécurité), ou des zones jugées « dangereuses » à cause de mines datant de la guerre contre la Jordanie, même si il y a encore peu de temps elles étaient cultivées sans dommage, ou bien des zones de protection de la nature pour préserver des plantes !!!
Nous sommes allés dans le village de Bardala où, grâce à une aide internationale, les paysans ont pu construire quelques citernes pour parer aux pénuries d'eau.
Nous apprenons aussi que les paysans n'ont pas le droit d'être sur leurs terres avant 6h ni après 18h.
Nous roulons en direction d'un village, laissant sur notre passage des colonies entourées d'une végétation abondante qui contraste avec l'aridité des villages palestiniens pourtant juste à côté, soudain nous voyons un panneau en hébreux et en anglais indiquant que cette route mène à un village palestinien et qu'il peut être dangereux pour un Israélien de l'emprunter.
Nous nous arrêtons dans une vallée où nous sommes accueillis près d'un puits « fermés » par un paysan. Derrière lui, l'horizon. Cependant, nous apercevons non loin une ligne droite de terre retournée : « ils » sont en train de construire un nouveau mur » !!!
Soir
Il pleut. Cela peut paraître anecdotique, mais nous pensons aux agriculteurs (pour qui cette eau est la bienvenue) sur le chemin du retour vers Ramallah où nous avons rendez-vous avec deux députés de la gauche palestinienne.
Tout d'abord, avec Mustapha Barghail. Il nous fait un exposé (avec des images, des cartes, un film) sur l'évolution déplorable de la situation.
Il nous parle de ses inquiétudes si venait à être adopté le « Plan Kerry », du nom du secrétaire d'État américain qui accompagne les négociations actuelles entre Israël et l'Autorité Palestinienne, qui s'éloignent des résolutions de l'ONU, remettant en cause le « droit au retour », « Jérusalem Est comme capitale de la Palestine » et même l'idée d'un État palestinien indépendant.
Pour modifier le rapport de force à ce jour défavorable aux Palestiniens, Mustapha Barghail préconise la résistance populaire, le BDS et l'unification des forces palestiniennes.
Il qualifie les accords d'Oslo de « scélérats ».
Il dit que la situation actuelle est comparable à l'Apartheid en s'appuyant sur cette définition : « L'Apartheid, ce sont deux peuples vivant sur une même terre mais avec des droits différents ».
Il dit ne pas se battre seulement pour l'indépendance, mais aussi pour la liberté, l'égalité, la justice.
Puis nous rencontrons Khalida Jarrar, députée notamment en charge des dossiers concernant les prisonniers politiques.
Elle a la même inquiétude que Mustapha Barghail quant au plan Kerry.
Les prisonniers : environ 5000, dont 14 parlementaires, 280 enfants (certains ont 9 ans), 16 femmes, des malades… De nombreux cas de tortures. Pas de véritables procès, car ils sont jugés par des militaires. Sans parler des détentions dites « administratives ». Par ce système hérité du mandat britannique, Israël peut arrêter qui bon lui semble sans acte d'accusation, sans jugement pendant 6 mois et reconduire l’emprisonnement sans limitation.
Depuis 1967, près de 750 000 Palestinien-ne-s ont connu la prison.
Elle nous propose de soutenir la « campagne internationale pour la libération des prisonniers politiques » (http://www.addameer.org), de soutenir les campagnes de boycott du BDS :
http://www.bdsfrance.org
16 février
Matin
Hébron
Nous sommes accueillis par l'Association pour des échanges culturels France/Hébron. La ville de 200 000 habitants est divisée en 2 zones : H1 sous autorité palestinienne, H2 sous contrôle israélien.
Nous partons visiter la vieille ville où règne une véritable situation d'Apartheid avec une implantation de colonies, des rues interdites aux palestiniens, 2/3 de la mosquée est devenue une synagogue… Il faut passer un cheik-point pour entrer dans la vieille ville. Ce sont des soldats israéliens qui contrôlent l'entrée de la mosquée. Certaines rues sont couvertes de grillages pour que les Palestiniens cessent de recevoir sur la tête des détritus, bouteilles vides… Tout est fait pour que les Arabes partent, déjà 80% des maisons et des magasins sont fermés.
Un exemple de résistance : une famille palestinienne n'a plus accès à la rue où se trouve la porte de leur maison. Une solution aurait été d'ouvrir une porte de l'autre côté donnant sur un parking où ils ont accès. Ce serait accepter la situation. Ils ont opté pour une échelle leur permettant d'entrer provisoirement par la fenêtre.
L'Association qui nous guide dans la ville, nous invite à visiter un petit centre culturel pour enfants, des ateliers de peintures, un petit espace de jeux… Petit oasis. Un thé nous est offert.
Après-midi
Bethléem. Camp de réfugiés de Aïda collé au mur. Association culturelle Al Rowwad dirigée par Abdel Fattah Abusrour.
Nous allons voir un nouveau mur qui a pour caractéristique d'avoir des portes dont certaines sont grandes ouvertes, c'est à se demander si ce genre d'édifices muraux servent vraiment à garantir une quelconque sécurité comme le prétendent les Israéliens. Notre hôte palestinien nous annonce qu'il n'a pas le droit d'être là où nous sommes car c'est un espace devenu sous contrôle israélien. Nous passons donc la porte où logiquement nous devrions déboucher sur un territoire sous contrôle palestinien. Et bien, non. Question : que sépare ce mur ? Il faut avoir des notions de surréalisme pour répondre à une telle question.
Entretien avec Abdel Fattah
Il définit le projet du Centre culturel ainsi : « La belle résistance contre la laideur et la violence de l'occupation ».
Il dit : « Trouver d'abord la paix en soi ». « On veut voir nos enfants grandir, s'épanouir ». Le Centre culturel Al Rowwad n'est pas pour lui un projet, mais « une mission de vie ». Les adultes sont auprès des enfants « responsables d'un modèle d’existence, de l'héritage qu'ils leur livreront ». « La Palestine n'est pas une cause humanitaire. On est pauvre, à cause de l'occupation ». « Nous voulons des partenariats, pas de charité ». « Nous ne devons faire aucun compromis sur nos valeurs, liberté, égalité… ».
Il espère la constitution d'un seul État (la Palestine), laïc, où chaque individu sera un citoyen comme un autre… Le peuple palestinien ne doit pas se laisser imposer un agendas par Israël, les USA, l'Europe… Il doit imposer ses propres priorités.
Il pense aussi que le BDS est très important pour affirmer une solidarité internationale.
17 février
Matin
Ramallah
La délégation se rend à une réunion avec PNGO (l'équivalent du REF en Palestine), sauf Naïk et Marc qui se réunissent avec la Quattan Foundation, partenaire principales des Instants Vidéo pour l'organisation du festival (biennale) d'art vidéo et de performance /si:n/ dont la 4ème édition aura lieu en juillet 2015. Est notamment émise l'idée de formaliser un lien (peut-être autour d'un thème ou d'un titre commun) entre le festival en Palestine, celui d'Alexandrie et celui de Marseille.
Le REF et PNGO décident de rédiger un communiqué commun :
DÉCLARATION COMMUNE
PNGO - REF
Dans le cadre d'une mission effectuée par le Réseau Euromed France (REF) du 13 au 19 avril 2014 en Palestine, les membres de la délégation REF ont constaté ce qui suit :
La situation actuelle dans les territoires palestiniens occupés connaît une aggravation de la fragmentation des territoires due à l'occupation par l'État d'Israël, ce qui a pour conséquence un accroissement de la ségrégation et de l'apartheid.
Les agriculteurs de la vallée du Jourdan, les étudiants d'Hébron, les enfants de Naplouse, les réfugiés de Aida, les citoyens de Ramallah, ont tous témoigné de leurs souffrances quotidiennes et d'un sentiment d'injustice croissant.
Le 17 février 2014, à Ramallah, une rencontre s'est tenue entre la délégation du REF et une délégation du PNGO (Palestinian Non-Governmental Organizations Network). Cette rencontre a débouché sur une déclaration commune :
1. Les deux délégations expriment leur rejet de la politique d'apartheid et de ségrégation menée par l'État d'Israël.
2. Les deux délégations soutiennent les résistances du peuple palestinien pour la réalisation de ses aspirations nationales à un État indépendant avec Jérusalem comme capitale ainsi que le droit au retour des réfugiés et le droit à l'autodétermination du peuple palestinien.
3. La délégation du REF s'engage à mieux faire connaître la campagne BDS et la campagne internationale pour la libération des prisonniers palestiniens.
Ramallah, 17 février 2014
18 février
Matin
Jérusalem
Après une promenade sur l'esplanade du Dôme du Rocher (sous contrôle israélien), nous visitons la vieille ville pour mesurer dans les détails l'état d'avancement de la colonisation de Jérusalem Est avec un responsable de l'association Nidal. Nous pouvons parler d'une colonisation méthodique, maison par maison, de la ville. Il n'y a plus d'unité spatiale, mais une mosaïque. Chaque espace plus ou moins totalement accaparé est surveillé par des « miliciens » privés, armés, arrogants. Pour forcer les Palestiniens à partir, par exemple, ces dix derniers jours, 40 familles se sont vues l'eau coupée. Des maisons palestiniennes s'effondrent car des colons ont creusé dans les sous-sols… etc etc…
Après-midi
Nous allons à l'Ouest de Jérusalem, chez Michel Wareschawski, président du Centre d'Information Alternative (AIC), journaliste et militant pacifiste de gauche israélien.
Il nous parle de la dépolitisation des jeunes palestiniens, due à la crise des partis politiques et aussi aux effets du libéralisme qui rend les gens individualistes.
Il pense que la question de un ou deux États n'est pas pertinente. L'idée d'un seul État serait l'expression d'un échec politique, car ce projet s'inscrit dans un temps très long, trop long. Une pensée politique doit travailler sur des solutions à court terme.
Il considère que la 2ème intifada n'est pas un soulèvement populaire, mais une réaction contre la tentative de reconquête par Israël des maigres acquis d'Oslo.
Il dit qu'aujourd'hui Israël craint de ne plus peser assez sur la situation du Moyen-Orient (depuis le Printemps arabe) et craint d'être lâché par les USA (qui donne chaque année à Israël l'équivalent de 3,5 milliards de dollars).
Il pense que le BDS est une bonne initiative, mais que chacun doit le faire à sa façon, comme il peut. Et qu'il est important de poursuivre des actions de coopération sociale, culturelle, avec les Palestiniens pour les aider à tenir bon.
Il a soutenu les Mouvement des Indignés israéliens même s'ils n'ont pas traité de la question palestinienne. D'abord, parce qu'ils n'ont pas prononcé de slogans racistes et parce qu'ils ont défendu l'idée d'un État laïc, citoyens…
Il dit que 35% des garçons ne font plus l'armée, et 70% des filles. Nous sommes surpris par ces chiffres. À vérifier.
Rencontre avec l'Association israélienne B'TSELEM
Soir
Repas avec notre chauffeur qui a souhaité nous faire rencontrer quelques amis dont l'ex-prisonnier franco-palestinien Salah Hamouri.
Salah a été accusé d’avoir eu l’intention d’assassiner un rabbin, dirigeant d’un parti politique intégriste. Civil, il a été jugé par un tribunal militaire illégal qui ne pouvant apporter la moindre preuve, ni le moindre témoignage contre lui malgré la quinzaine de renvois de son procès, a imposé un odieux chantage : accepter de plaider coupable et avoir une peine de 7 ans ou être condamné à 14 ans de détention.
Salah n’a jamais reconnu les accusations portées contre lui, son avocate a accepté le marché pour lui épargner une peine très lourde.
Il a été libéré un peu avant la fin de sa peine dans le cadre des négociations pour la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit retenu à Gaza par le Hamas.
Salah nous a parlé de ses conditions de détention, ainsi que celles des autres prisonniers. Il a dit combien était importante pour les détenus de recevoir des courriers de soutien du monde entier.
19 février
Aéroport de Tell Aviv
Passage de la douane sans trop d'encombres, quelques fouilles de sac, des questions stupides du type quel est le nom de vos parents ? Un douanier s'inquiète du fait que j'avais dans ma valise quatre fois le même livre concernant l'artiste palestinien Bashar Alhroub. Je lui montre que j'ai écrit un texte dedans. Il me demande pourquoi je m'intéresse à l'art palestinien. Je réponds que je ne m'intéresse pas à l'art palestinien, mais à l'art en général. Il me demande pourquoi cet artiste m'intéresse. Je lui dit que c'est à cause de la façon dont il traite la lumière, le gris, le noir… Bref, une discussion qui frôle le théâtre de l'absurde !
Marc Mercier
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Échange antéchronologique des mails précédents
12 février 2014 12:55, Marc Mercier a écrit :
L'essentiel est de cheminer Sandrine.
Je ne m'étais pas aperçu dans mon propre cheminement que les classes sociales avaient disparues. Elles existaient avant Marx, non ? Ce qui est certain, néanmoins, c'est que cette stratégie des pouvoirs à vouloir faire croire aux "pauvres gens" qu'ils ont des intérêts communs "supérieures" avec ceux qui les saignent, est une "idée" beaucoup plus ancienne que le communisme, si je ne m'abuse…
Bien à toi,
Marc
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Le 12 févr. 2014 à 12:21, Sandrine Treuillard a écrit :
Bonjour Marc,
Tu penses encore comme un communiste,
et c'est ce qui est révolu…
Je viens de l'extrême gauche, & j'ai cheminé.
Bien à toi,
Sandrine
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Le 12 février 2014 09:53, Marc Mercier a écrit :
Bonjour Sandrine,
J'ai lu ce texte, mais je trouve étrange que tu puisses le prendre à ton compte.
Ne serait-ce que ce paragraphe :
« Pour avancer dans cette construction d’un peuple en paix, juste et fraternel, il y a quatre principes reliés à des tensions bipolaires propres à toute réalité sociale. Ils viennent des grands postulats de la Doctrine Sociale de l’Église, lesquels constituent « le paramètre de référence premier et fondamental pour l’interprétation et l’évaluation des phénomènes sociaux ». À la lumière de ceux-ci, je désire proposer maintenant ces quatre principes qui orientent spécifiquement le développement de la cohabitation sociale et la construction d’un peuple où les différences s’harmonisent dans un projet commun. Je le fais avec la conviction que leur application peut être un authentique chemin vers la paix dans chaque nation et dans le monde entier. »
C'est un appel à la collaboration des classes sociales comme si patrons et ouvriers (pour dire vite) pouvaient partager un projet commun et former un peuple. Il ne peut y avoir de peuple que dans l'égalité économique et sociale, sans rapport de subordination. Ce texte montre surtout que l'Église a toujours été du côté du sabre, du puissant, appelant les classes exploitées à se soumettre à l'ordre existant et qu'en récompense de cette sage soumission les portes du paradis leur seront ouvertes. Je ne comprends pas que l'on puisse croire à de telles chimères.
Mais bon, aujourd'hui on entend tellement de choses incroyables qu'on croyait révolues…
Bien à toi,
Marc
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Le 10 févr. 2014 à 16:45, Sandrine Treuillard a écrit :
Bonjour,
Ce texte parle si bien de l'expérience du temps
que je suis tentée de le reprendre à mon compte
pour analyser l'expérience du filmage, en vidéographie…
Le temps est supérieur à l’espace
Bien à vous,
Sandrine