• Édith Stein & la femme
« Inclinons-nous profondément devant ce témoignage de vie et de mort livré par Édith Stein, cette remarquable fille d'Israël, qui fut en même temps fille du Carmel et sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, une personnalité qui réunit pathétiquement, au cours de sa vie si riche, les drames de notre siècle. Elle est la synthèse d'une histoire affligée de blessures profondes et encore douloureuses, pour la guérison desquelles s'engagent, aujourd'hui encore, des hommes et des femmes conscients de leurs responsabilités ; elle est en même temps la synthèse de la pleine vérité sur les hommes, par son cœur qui resta si longtemps inquiet et insatisfait, jusqu'à ce qu'enfin il trouvât le repos dans le Seigneur. »
Saint Jean-Paul II
à l'occasion de la béatification d'Édith Stein à Cologne, le 1er mai 1987
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Dans sa réflexion, ÉDITH STEIN, femme juive, philosophe, convertie au catholicisme aborde bien des questions actuelles et apporte notamment quelques éléments de réponse à la théorie du genre.
« Seul celui qu’une ardente passion pour le combat a aveuglé peut nier ce fait patent que le corps et l’âme de la femme sont formés en vue d’une fin particulière. Et la parole limpide et irréfutable de l’Ecriture exprime ce que l’expérience quotidienne enseigne depuis l’origine du monde, à savoir que la femme est destinée à être la compagne de l’homme et la mère des êtres humains. Son corps est doté des propriétés requises à cette fin, mais sa spécificité psychique est également à l’avenant. Qu’il existe cette spécificité psychique, c’est derechef un fait empirique évident ; mais cela découle aussi du principe anima forma corporis (l’âme est la forme du corps), posé par saint Thomas. Là où les corps sont de nature si radicalement différente, il doit forcément aussi exister – malgré tous les traits communs à la nature humaine – un type d’âme différent. » [1]
« Je suis convaincue de ce que l’espèce [2] humaine se déploie en tant qu’espèce binaire, l’"homme" et la "femme", que la nature de l’être humain, auquel aucun trait caractéristique ne saurait manquer ici comme là, se manifeste sous une forme binaire, et que toute sa constitution essentielle révèle son empreinte spécifique. Ainsi, ce n’est pas seulement le corps qui est constitué différemment, ce ne sont pas seulement les diverses fonctions physiologiques individuelles qui diffèrent, mais c’est toute la vie somatique qui est autre : autres, les rapports entre l’âme et le corps, autres, à l’intérieur du psychisme, les rapports entre l’esprit et les sens comme les rapports des facultés spirituelles entre elles. A l’espèce féminine correspondent l’unité et l’homogénéité de toute la personne somato-psychique, l’épanouissement harmonieux des facultés, tandis qu’à l’espèce masculine correspond le développement plus intense de quelques facultés en vue de leurs réalisations maximales. »
[1] Dans une lettre du 8 août 1931 : « si l’âme est la forme du corps, la différence physique doit nécessairement être l’indice d’une différence psychique. La matière est là pour la forme et non l’inverse. Cela suggère même que la différence psychique est première. »
Cette vocation naturelle de la femme est clairement manifestée dans son corps : « Le corps et l’âme de la femme sont formés en vue d’une fin particulière. […] la femme est destinée à être la compagne de l’homme et la mère des êtres humains. Son corps est doté des propriétés requises à cette fin..." Conférence d’Édith Stein : « L’éthos des professions féminines » (« Das Ethos der Frauenberufe », ESGA 13, p. 16-29) dans Édith Stein, La Femme, Cours et conférences, introduction, traduction, annotations et annexes par Marie-Dominique Richard, Paris, éd. du Cerf, Toulouse, éd. du Carmel, Genève, éd. Ad Solem , 2008 (édition originale en 2000), p. 68.
[2] Édith Stein emploie le terme espèce pour désigner quelque chose de fixe, qui ne peut subir aucune variation qui serait liée à un changement dans les conditions de vie, c'est-à-dire dans la situation économique et culturelle ou dans l'activité personnelle.
Isabel Rodelet
le 10 juin 2013
In Terre de compassion
De 1928 à 1932, la philosophe Édith Stein – d'origine juive mais convertie au catholicisme – donne une série de conférences sur le thème de la femme. D'une grande actualité, sa pensée scrute la nature féminine, sa spécificité, sa destination, sa mission propre, l'éducation à donner aux jeunes filles ; elle soulève également la question professionnelle, la place de la femme dans l'Église, etc. "L'art éducatif maternel" est le titre d'une de ses conférences donnée à Munich en 1932. Ses lignes rendent un bel hommage à la maternité que nous fêterons ce dimanche 26 mai en France.
Dans la prime enfance "Aucune force naturelle ne peut se mesurer à l'influence de la mère quant à son importance pour le caractère et pour la destinée de l'être humain."
"(…) même si l'enfant peut, par ailleurs, subir de graves préjudices, un amour maternel totalement pur et authentique trouvera, dans la plupart des cas, les moyens d'en venir à bout. Le lien entre la mère et l'enfant a quelque chose de mystérieux. L'entendement ne pourra jamais tout à fait comprendre comment il se fait que le nouvel organisme se forme dans l'organisme maternel. Il est pareillement incompréhensible, mais non moins un fait, qu'après la séparation de la mère et de l'enfant par le processus de la naissance, il demeure un lien invisible en vertu duquel la mère peut sentir ce dont l'enfant a besoin, ce qui le menace, ce qui se passe en lui, et en vertu duquel elle détient un esprit inventif merveilleux pour lui procurer ce qui lui est nécessaire et pour écarter ce qui lui est nuisible, ainsi qu'un dévouement pouvant aller jusqu'à braver la mort. Voilà pourquoi elle est, au fond, irremplaçable, et un enfant auquel la mère est arrachée ou dont la mère n'est pas une "vraie mère" ne pourra jamais s'épanouir comme un enfant qui grandit sous la protection de l'authentique amour maternel."
"Ce lien naturel est le fondement premier et le plus important de cette merveilleuse autorité que nous attribuons à l'influence de la mère. (…) Le devoir et la responsabilité de la mère résultent de son autorité. C'est d'elle plus que de n'importe quelle autre personne que dépend ce qu'il adviendra de son enfant, c'est-à-dire la façon dont son caractère se développera, et s'il sera heureux ou malheureux. Car ce n'est pas tant ce qui nous arrive du dehors que ce que nous sommes qui décide de notre bonheur et de notre malheur."
"La première obligation qui en résulte pour la mère consiste en ce qu'elle doit être là pour son enfant (…). Si des raisons de santé ou une activité professionnelle l'empêchent de prendre soin toute seule de son enfant, elle devra en premier lieu, veiller à ce que le lien demeure ("être là pour l'enfant" ne signifie pas du tout "être toujours avec lui") (…)."
"L'amour authentiquement maternel, dans lequel l'enfant s'épanouit comme les plantes à la douce chaleur du soleil, sait que l'enfant n'est pas là pour la mère : ainsi, il n'est pas là comme un jouet pour meubler son temps vide, il n'est pas là pour assouvir sa soif de tendresse, il n'est pas là pour satisfaire sa vanité ou son ambition. L'enfant est une créature de Dieu (…). Il incombe à la mère de se mettre au service de son épanouissement, de se mettre en silence à l'écoute de sa nature, de la laisser se développer tranquillement là où il n'est pas nécessaire d'intervenir, et d'intervenir là où il est nécessaire de conduire ou de réfréner."
"L'éducation doit commencer dès le premier jour, c'est-à-dire l'éducation à la propreté et à la régularité, ainsi qu'un certain endiguement des instincts : si l'enfant reçoit les repas nécessaires à des heures très précises et absolument rien en dehors, il s'y habitue, en effet, son organisme s'adapte à cet ordre. Mais si l'on cède à ses désirs réels ou présumés, on en fait, en revanche, rapidement un petit tyran. L'accoutumance régulière est donc en même temps un exercice préparatoire à l'obéissance et à l'ordre (…)."
"Autant il est nécessaire, d'un côté, de laisser de la liberté à l'enfant, afin qu'il puisse se mettre en action et s'épanouir conformément à sa nature et à son stade de développement, autant il est nécessaire qu'il sente au-dessus de lui une volonté ferme qui régit sa vie pour son bien. La nature enfantine a besoin d'être fermement conduite et le désire vivement au fond, même si, dans le cas particulier, la volonté de l'éducateur contrarie souvent les désirs enfantins, et même si l'instinct de puissance, l'instinct consistant à s'imposer, est inhérent à chaque être humain et tente de secouer le joug que constitue la volonté d'autrui. (…) Lorsque ses désirs, après un premier refus, sont satisfaits suite à quelque harcèlement, à quelques bouderies et à quelques hurlements, que des menaces ne sont pas mises à exécution et que des ordres sont repris, alors il est vite le maître au foyer pour le calvaire de sa famille et surtout à son propre détriment. Il n'est pas, en effet, encore capable de juger ce qui est bon pour lui et il obtient par la menace des choses qui, la plupart du temps, ne lui sont aucunement profitables. En outre, il gaspille son énergie dans des réflexions et dans des décisions sur des affaires qui devraient être réglées tout naturellement (par exemple, quand et ce qu'il doit manger, ce qu'il doit mettre, etc.), au lieu de l'employer dans le domaine qui, dans ces années-là, constitue le champ le plus important pour son autonomie, c'est-à-dire dans le jeu."
"Des parents très aimants peuvent commettre ces deux fautes, c'est-à-dire faire preuve d'autorité à mauvais escient et accorder la liberté à mauvais escient (…). Ils veulent jouer avec l'enfant et donner, ce faisant, eux-mêmes le ton, alors que l'enfant joue de la façon la plus belle et la plus féconde lorsque c'est lui qui organise entièrement le jeu. Ou bien ils le dérangent au beau milieu du jeu, qui est – non seulement à son sens, mais aussi en toute objectivité – l'une des affaires les plus importantes de sa vie, parce qu'il y a de la visite et que l'objet de fierté de la famille doit être présenté ou dans n'importe quel autre but dont l'enfant ne peut comprendre le caractère urgent."
"(…) L'éducation dans son ensemble doit être étayée par un amour perceptible dans chaque mesure prise et n'engendrant aucune crainte. Et le moyen éducatif le plus efficace n'est pas la parole qui enseigne, mais l'exemple vivant, sans lequel toutes les paroles demeurent vaines."
"Toute vie communautaire humaine est fondée sur la confiance et sur la délicatesse. Un enfant qui se sait protégé par l'amour de sa mère, qui ne connaît rien d'autre que sa relation entièrement fondée sur la sincérité avec cette dernière, entretiendra aussi avec autrui des rapports fondés sur la sincérité et sur la confiance tant que de mauvaises expériences ne l'auront pas fait reculer d'effroi, et, même s'il est déçu ici et là, il ne perdra point sa confiance dans les êtres humains tant que subsistera et ne sera point ébranlée la foi en cet être qui est pour lui le plus proche et le plus important."
Isabel Rodelet
le 25 mai 2013
In Terre de compassion
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Édith Stein… merveilleuse éducatrice
Cette période de vie laborieuse à l’ombre du monastère des Dominicaines enseignantes et tout illuminée de la pure joie de découvrir un peu du contenu de la vérité révélée, nous est connue surtout à travers les témoignages des élèves ou des disciples d’Édith Stein.
La Mère Prieure du couvent de Sainte-Madeleine de Spire nous dit combien son arrivée sembla providentielle ; les religieuses venaient de fonder un établissement à Mannheim et la directrice des études fut transférée dans cette ville. Il avait été impossible de la remplacer et de désigner un professeur d’allemand pour les classes supérieures du collège de jeunes filles. Édith Stein repris ces cours, elle assuma la préparation des élèves aux examens d’État et bientôt celle des jeunes religieuses à l’enseignement.
« Elle était pour nous toutes un exemple lumineux, écrit la supérieure ; nous sentons maintenant encore le bienfait de son rayonnement. » Éducatrice-née, sa manière d’enseigner était remarquable, allant de pair avec un véritable don de pédagogie. Elle trouvait le moyen d’ajouter des heures de leçons particulières à celles de ses cours et de poursuivre en privé l’étude de saint Thomas.
Très simple, humblement dévouée à sa tâche quotidienne, elle aurait souhaité passer inaperçue. Mais son extraordinaire capacité intellectuelle et son don d’expliquer les choses les plus ardues lui valaient de nombreuses requêtes de la part des élèves et des maîtresses. Jamais elle ne refusait de rendre service, s’en tenant littéralement à ce conseil que nous trouvons dans sa correspondance : « … Pour ce qui est de nos relations avec autrui, le besoin des âmes transcende tout règlement de vie. Car nos activités personnelles ne sont que des moyens qui tendent vers une fin, tandis que l’amour du prochain est la fin même, puisque Dieu est Amour.[1] »
Sa bonté était tout à fait remarquable, rapportent les sœurs dominicaines. Dieu seul sait combien de misères physiques et morales elle a soulagées. Sa correspondance très étendue en témoigne. Pas un détail ne lui échappait quand il s’agissait de faire le bien. Les dimanches et jours de fête, lorsque les religieuses étaient appelées au parloir, Édith les déchargeait du soin de la vaisselle. Elle passait des heures, les jours de congé, à distribuer la soupe populaire. Elle s’était procuré la liste des pauvres de la ville et on la voyait, au temps de Noël, disparaître mystérieusement, les bras chargés de colis préparés en secret.
De sa vie intérieure, elle ne nous dit rien. Nous ne savons que ce qui ressort des témoignages portés par son entourage. Celles qui l’on connue n’ont jamais oublié la qualité et la profondeur du silence qui semblait l’envelopper. Elle restait des heures en prière près du tabernacle de la petite chapelle conventuelle, tout absorbée en Dieu. Sa manière de prier touchait les âmes bien davantage que les plus beaux discours : « Sa seule présence, écrit un jeune professeur, était une invitation à monter… elle nous entraînait à sa suite sans beaucoup de paroles, par le seul rayonnement de son cœur pur, noble et donné. »
Afin de consoler une de ses élèves, assez peu douée, Édith trouvait ces termes délicats :
« N’essayez pas de mesurer ce que vous comprenez à la manière dont vous savez le dire. Ce que vous avez compris vous pénètre, agissant en vous et rayonnant de vous, même s’il vous est impossible de l’exprimer. Une fois que l’on s’est totalement remise entre les mains de Dieu, il faut lui faire la confiance de penser qu’il saura bien tirer quelque chose de nous. Il lui appartient de juger ce dont nous sommes capables ; pour nous, il est bien inutile de nous perdre en analyses. Croyez-moi, ces gens que vous avez rencontrés et qui vous ont semblé tellement plus proches que vous de l’idéal chrétien, si vous pouviez les connaître de l’intérieur, vous sauriez qu’ils souffrent eux aussi de leur impuissance et de leur pauvreté…[2] »
Élisabeth de Miribel
Extrait de Comme l’or purifié par le feu - Édith Stein 1891-1942
Cerf, 2012
[1] Mère Thérèse-Renée du Saint-Esprit, Edith Stein, Lebensbild einer Philosophin und Karmelitin, p. 73.
[2] Idem, p. 74.