• Euthanasie & Dignité humaine
Extraits de « ÉTHIQUE DU SOIN ULTIME » de Jacques Ricot, Presses de L’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP), préface de Jean Leonetti, 2010. Suite à la publication dans La Vaillante du documentaire retranscrit "L'euthanasie… jusqu'où ?".
La Vaillante se doit de relire la Loi Leonetti au regard de son application actuelle. Cette interview au sujet de l'euthanasie de Jean-Marie Le Méné nous éclaire à plus d'un titre : « L'opinion obéit par peur à la pensée dominante ».
Et encore, « ce n’est pas l’euthanasie qui est l’alternative à l’acharnement thérapeutique, mais les soins palliatifs », mais là encore, qui le sait ? Pr Louis Puybasset « EUTHANASIE, LE DÉBAT TRONQUÉ ».
Quel signal donnons-nous en tant que société lorsque nous ne réagissons pas au fait qu’une personne n’ait d’autre issue que de demander à être euthanasiée tout simplement parce qu’elle n’a pu bénéficier à temps de l’encadrement multidisciplinaire d’une équipe compétente de soins palliatifs ?
« On autoriserait le médecin à donner la mort à son patient, en conscience », Jean Fontant, Président de l'Association Soigner Dans la Dignité.
« Le droit d'euthanasie aux mineurs signe une forme d'abandon & assombrit d'une mort symbolique le lien filial & social », de Anne Schaub-Thomas, psychothérapeute.
Proposition de loi Claeys Leonetti : une euthanasie déguisée ?
Excellent documentaire sur l'euthanasie
Euthanasie en Belgique : bilan de 15 ans de pratique
La Belgique a dépénalisé l’euthanasie en 2002 pour les personnes majeures. En 2014, la loi a été étendue aux mineurs sans limite d’âge. Depuis 15 ans, le nombre d’euthanasies n’a cessé d’augmenter rapidement, et les propositions de loi se sont multipliées pour faciliter et pour élargir les conditions de la pratique de l’euthanasie.
De fait, les informations disponibles mettent en lumière de multiples dérives dans l’interprétation et dans l’application de la loi : persistance de nombreuses euthanasies clandestines, interprétation de plus en plus large des critères à respecter (notamment sur la notion de « souffrance physique ou psychique constante, insupportable et inapaisable »), rôle discutable de la commission fédérale de contrôle, évolution vers des suicides assistés médiatisés, utilisation des euthanasies pour des dons d’organes, pressions pour supprimer la clause de conscience, etc. (lire la suite…)
LA POLYSÉMIE DE LA DIGNITÉ
« Une autre déviation du langage, oublieuse du sens ontologique, consiste à dire que la dignité se réduit à l’idée que je me fais de moi-même ou qu’autrui se fait de moi.
Or, (…), la dignité de l’homme tient à son humanité. Cela signifie qu’elle est une exigence qui concerne tout être humain indépendamment de son âge, de son handicap physique ou mental, de sa maladie, de l’idée que les autres se font de lui-même. Il arrive que certains hommes, dans des situations de détresse et de fragilité, en viennent à perdre l’estime d’eux-mêmes et finissent par douter de leur propre dignité, surtout quand elle n’est pas honorée par le regard qu’autrui porte sur eux.
Il se trouve que, dans la langue commune, le terme possède plusieurs significations et que des glissements sémantiques s’opèrent d’une manière insidieuse, entraînant des conséquences éthiques redoutables.
Il faut donc analyser avec rigueur le terme de dignité en commençant par mettre en évidence la pluralité de ses usages, mais en se refusant à les constater paresseusement. Il faudra, en effet, s’efforcer de les organiser et de les hiérarchiser.
1. Le sens ontologique, qui est aussi un sens axiologique (axiologie : théorie relative à ce qui a de la valeur), est clairement indiqué (voir pp. 33 à 36 de l’ouvrage d’où est tirée cette citation) dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans la conceptualisation proposée par Kant. La dignité humaine ainsi entendue n’est pas une qualité que nous possédons par nature comme telle caractéristique physique ou psychique, elle n’est pas une détermination de l’être humain, elle est le signe de son intangibilité, renvoyant à la valeur absolue accordée à la personne humaine en sa singularité, valeur inconditionnelle qui jamais ne peut être perdue. Nul n’a le pouvoir de renoncer à sa dignité car elle ne dépend ni de l’idée que l’on se fait de soi-même, ni du regard posé par autrui. Elle possède un sens axiologique, car elle est un appel, une exigence adressée à soi-même et à autrui afin qu’elle soit honorée en tout homme.
2. La dignité, dans l’usage contemporain, désigne cette sorte d’élégance qui épargne à autrui le spectacle de nos propres maux. Ne pas être pour autrui un poids, assumer stoïquement les épreuves de l’existence, cultiver pudeur et discrétion, persévérer dans l’héroïsme du quotidien, ce sont là des vertus communes à l’héritage de toutes les grandes sagesses. Mais la dignité comprise en ce sens connaît aussi sa limite. Car en développant la maîtrise de soi, en se conformant à une image de soi présentable, ne pourrait-on en venir à nier la dignité ontologique de celui qui ne parvient pas à coïncider avec la norme socialement définie du devoir de ne pas importuner autrui ? Malgré sa grandeur, cette deuxième signification de la dignité, qu’on peut appeler dignité-décence, ne doit en aucune façon être confondue avec la première. Manquer de courage, ou encore voir se dégrader l’état de sa propre personne ou de celle d’autrui, n’équivaut pas à la perte de la dignité ontologique ni à la disparition de l’exigence que la dignité soit honorée.
3. Enfin, la dignité ne saurait être confondue avec la liberté, comme on le fait parfois en un raccourci fallacieux, renonçant ainsi à l’originalité du concept et à l’innovation représentée par son acte de naissance juridique lors de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Face à une liberté conçue sur le mode d’une extension indéfinie du moi, bornée par la seule liberté d’autrui, la dignité vient rappeler la limite à l’intérieur de laquelle l’humanité de l’homme doit être préservée.
La dignité ontologique, en tant que principe d’humanité, apparaît dans son intangibilité, en position de réguler les autres usages. Autrement dit, on ne pourra se réclamer de la dignité-décence ou de la dignité-liberté sans s’abstraire de la dignité ontologique et axiologique.
Et l’on admettra que la dignité ne saurait se réduire à n’être qu’une convenance personnelle ou résulter du regard empirique porté par autrui ou encore se fondre avec la libre disposition de soi, sauf à s’éloigner de la construction philosophique et juridique du concept. Si la situation de la personne en fin de vie est bien d’abord celle d’une personne humaine, il n’y a pas lieu de lui appliquer une conception différenciée de la dignité. Celle-ci lui est irréductiblement attachée et implique des devoirs à son égard. La question de la dignité ne se limite pas aux rapports individuels avec ceux qui sont dans un état de vulnérabilité extrême, elle concerne toute une société, toute une culture et, pour ainsi dire, toute une politique.
Respecter la dignité humaine, c’est accompagner et soulager, c’est continuer une relation et non pas l’interrompre et ainsi honorer la dignité au sens ontologique et axiologique. Il peut se faire, en des situations extrêmes, que l’on commette une transgression. Mais ce n’est pas parce que nous transgressons un interdit que nous devons modifier le curseur de l’interdit. Le droit nous offre des ressources pour évaluer chaque transgression et les tribunaux, qui savent utiliser la clémence et l’indulgence, sont là pour dire que les circonstances atténuantes doivent être prises en compte. Mais la clémence n’équivaut pas à l’approbation. La morale, de son côté, ou pour le dire autrement, le tribunal de la conscience, dispose des ressources de la miséricorde. Et là encore, cela ne correspond pas à l’approbation. Il n’est donc pas nécessaire, il est même dangereux, de déplacer les interdits anthropologiques qui font tenir debout les sociétés. »
LA LOI LEONETTI, UNE VOIE FRANÇAISE
Située à une telle altitude et invitée à tenir une position régulatrice, la dignité peut être dite ontologique en ce sens qu’elle est liée consubstantiellement à la valeur de l’être humain, quel que soit le moment de son parcours de vivant, quelle que soit l’image que l’on se fait de lui-même ou celle qu’il se fait de lui-même. Impossible, donc de la restreindre, comme on le fait parfois, à une convenance personnelle. C’est pourtant ce que l’on sous-entend quand on milite pour un droit de mourir dans la dignité ou lorsque des parlementaires déposent des propositions de loi sous cette appellation devenue curieusement synonyme de légalisation de l’euthanasie, sans prendre conscience que la dignité invoquée, réduite à une dimension purement subjectiviste, est déconnectée de son caractère ontologique. Ainsi, au moment du débat sur la loi relative aux malades et à la fin de vie, le docteur Cohen, alors président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), avait indiqué lors de son audition par le Sénat dans la séance du 2 février 2005 : « La dignité peut s'apprécier soit à travers le regard porté par les autres sur une personne, soit par le regard que l’individu porte sur lui-même. » Cette conception de la dignité est très réductrice et dangereuse ainsi que l’ont admis les plus lucides parmi les militants de cette association, tel Gilles Antonowicz qui écrivait, en 2007, alors qu’il était vice-président de l’ADMD :
« La vérité oblige à dire que l’ADMD, en intégrant le mot “dignité” dans son intitulé, porte dans ce faux débat [sur les équivoques de la dignité] sa part de responsabilité. Fonder le combat pour la libération de l’euthanasie sur la dignité n’était sans doute pas une bonne idée, même si cela s’explique historiquement. Lors de la création de cette association, on l’a vu, les pratiques d’acharnement thérapeutiques étaient courantes et portaient atteintes à la dignité des mourants, à leur autonomie et à leur liberté. D’où l’emploi de ce mot qui, depuis la condamnation sans équivoque de l’acharnement thérapeutique, n’a plus lieu d’être. »
Dont acte. Mais alors pourquoi l’association ne modifie-t-elle pas son intitulé et persiste-t-elle à entretenir une si fâcheuse ambiguïté ?
DE LA NOTION DE DIGNITÉ À LA PRATIQUE MÉDICALE
À la dimension ontologique de la dignité, il convient d’associer une autre spécificité conforme à ce qui a été déjà signalé. La dignité n’est pas à concevoir comme une simple propriété de l’être humain, elle est ce qui, en lui, sollicite le respect. Elle est une exigence, un appel. La dignité est donc surtout un axe axiologique parce qu’elle attend d’être honorée. Et c’est ici qu’il convient d’être très précis : si la dignité de l’homme jamais ne peut se perdre, elle peut n’être pas respectée. L’on comprend alors mieux le ferme requête du législateur au personnel soignant lorsqu’il lui enjoint de « sauvegarder la dignité » de la personne.
La dignité ne peut pas être « perdue » au sens où aucune société civilisée ne devrait pouvoir dire à l’un des siens : « Ta vie ne vaut pas d’être vécue, tu as perdu ta dignité et il est donc normal que tu disparaisses. » Portant ce type de discours gagne du terrain chez nos contemporains qui, aveuglés par le « tout compassionnel » ambiant, confondent si aisément l’élimination du souffrant avec le combat contre la souffrance. Ce qui peut se perdre, c’est non pas la dignité, mais l’estime de soi ou encore la conformité avec une norme déterminée (comportementale, physique, morale). Mais le fait de n’être pas à la hauteur d’une norme donnée n’implique en aucune façon la privation de la dignité. Tout le vocabulaire de la déchéance ou de la dégradation contient en germe la périlleuse idée d’une dignité « à géométrie variable », selon une expression parfois utilisée et dont on mesure mal les dégâts. On commence par prétendre que chacun est seul juge de ce qui mérite d’être vécu et l’on ne voit pas le ver qui est dans l’étrange fruit de cette assertion : la demande d’approbation sociale de ce regard autodestructeur porté sur soi que les médecins seraient sommés de confirmer.
Le philosophe allemand Robert Spaeman, membre d’une nation qui a inscrit dans l’article premier de sa Loi fondamentale : « La dignité de l’être humain est intangible », s’en inquiète :
« Même la mort, quand bien même elle est naturelle, reste un événement inséré dans des rites de solidarité humaine. Celui qui, de sa propre autorité, veut sortir de cette communauté, doit le faire tout seul. Demander à d’autres de le faire — et surtout à des médecins dont l’ethos est défini par le service de la vie —, pour l’aider à sortir de son propre gré de cette société, c’est là détruire le fondement de toute solidarité. C’est attendre que l’autre dise : “Tu ne dois plus exister.” Cette attente est une monstruosité. » (Robert Spaema, « Il n’y a pas de bonne façon de tuer », in François-Xavier Putallaz, Bernard N. Schumacher (dir.) L’humain et la personne, Éditions du Cerf, 2008, p. 71.)
Ces considérations sur la dignité permettent d’interpréter correctement le commandement fait au médecin de « sauvegarder la dignité du mourant ». Deux conditions sont requises.
Premièrement, « sauvegarder la dignité » signifie qu’il convient de protéger, de respecter la dignité de celui qui s’en va, et c’est ainsi que doit être comprise la dimension ontologique et axiologique de la dignité. Ce serait donc un grave contresens de prétendre que lorsque la dignité n’est pas sauvegardée, elle serait ôtée comme s’il s’agissait d’une tunique dont on pourrait revêtir ou dévêtir autrui. La dignité ne se porte pas comme un vêtement, et c’est pourquoi, dans les gestes de soin, y compris dans le soin ultime, on ne peut que l’honorer et non l’attribuer ou le refuser. Et si l’on en venait à ne pas l’honorer, cela signifierait qu’on aurait failli dans le devoir d’humanité, et non pas qu’elle serait perdue par celui qui n’en recevrait plus les marques, comme s’il était au pouvoir d’autrui de la conférer ou de la retirer.
Deuxièmement, le « mourant », dont il convient de sauvegarder la dignité, ne doit pas être considéré comme une tierce catégorie entre les vivants et les morts, encore moins comme relevant déjà de l’univers des morts comme pourrait le laisser croire cette forme substantivée du participe présent du verbe mourir. Il n’existe pas, à rigoureusement parlé, de « mourants », mais seulement des « vivants » dont la durée d’existence prévisible est limitée, et il faut se souvenir que lorsque le Code de déontologie médicale de 1995 parle de sauvegarder la dignité, c’est celle du « malade » (article 38) ou mieux encore, celle de la « personne » (articles 2 et 10).
« Sauvegarder la dignité du mourant » signifie donc, pour le soignant comme pour le corps social dont il est le représentant, honorer une exigence, celle de tout faire pour ne pas exclure le malade de la communauté humaine, de continuer les soins qui lui sont dus en respectant sa liberté de refuser des traitements si ce refus est libre et éclairé, de ne pas pratiquer d’obstination déraisonnable et de soulager les douleurs lors de la phase terminale, qu’elles qu’en soient les conséquences sur l’abrègement éventuel de la vie.
La douteuse idéologie de la compassion
Bien vivre, qui ne le désire ? Mais quel est ce « bien » du bien-vivre, objet de la quête d’Aristote et de son innombrable postérité ? LA modernité semble l’avoir réduit à l’hédonisme, au consumérisme, à l’individualisme, comme on peut le constater à l’examen de deux formes de ce bien-vivre particulièrement interrogées aujourd’hui, le bien-naître et e bien-mourir, ce dont témoigne la vigueur et la richesse du débat autour des questions du début de la vie, avec les états généraux de la bioéthique en 2009, et de la fin de vie, avec les auditions et le rapport de la mission parlementaire d’évaluation de la loi du 22 avril 2005. Bien naître, bien mourir, sont des expressions lourdes si on décide de les réduire aux mots grecs qui les traduisent littéralement, eugénisme et euthanasie. Leur usage contemporain est tellement brouillé par les expériences historiques désastreuses du nazisme que l’étymologie est plus un obstacle qu’un auxiliaire dans les controverses d’aujourd’hui quand, par exemple, il s’agit d’évoquer le diagnostic préimplantatoire, avec la démarche de sélection des vies dignes d’être vécues qu’il implique, ou encore quand l’on parle de mettre fin à des vies considérées comme dénuées de sens.
C’est de la vin de la vie qu’il va être question à travers quelques publications récentes, mais on voudrait souligner, avant d’entrer dans cette revue, que ce sont les mêmes mécanismes mentaux qui affectent nos représentations sur certaines questions liées au naître et au mourir : dans l’une et l’autre situation, les enjeux anthropologiques sont complètements recouverts par le triomphe de l’idéologie compassionnelle qui bouleverse les repères éthiques que l’humanité a mis des millénaires à élaborer.
Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, la pratique des mères porteuses, devenue par un tour de passe-passe sémantique celle de la gestation pour autrui, cherche à se traduire en acte de mise à disposition, gratuite ou non, de l’utérus et à maquiller l’abandon délibéré de l’enfant à naître avant même d’avoir été conçu, en geste altruiste et biologiquement neutralisé, puisque la gestation (terme utilisé pour l’ensemble des animaux) ne serait plus une grossesse (terme réservé à l’espèce humaine). Les « mères » porteuses ne seraient que des « femmes » porteuses, comme on le proclame avec ingénuité jusqu’au secrétariat d’État à la famille. Sur ce front, la philosophe Sylviane Agacinski a été la plus active dans le débat citoyen, d’abord en 2008 lors de son audition devant une mission sénatoriale qui avait cru devoir ouvrir la voie à une légalisation des mères porteuses, puis en 2009 à l’occasion de la sortie de son livre Corps en miettes (Flammarion 2009) et la tenue des états généraux de la bioéthique où son argumentation fut particulièrement efficace pour dénoncer l’inévitable marchandisation des corps que cette pratique engendrait là où elle a été légalisée. En ces temps où la démocratie sondagière s’efforce de saper la démocratie politique, il est instructif de noter qu’au moment précis où les français se prononçaient à 60%en faveur de la légalisation des mères porteuses, le panel de citoyens associé aux états généraux de la bioéthique, dûment informé, se prononçait à l’unanimité contre cette légalisation !
Dès le début de son réquisitoire, Sylviane Agacinsky rappelle une évidence oubliée de nos démocraties trop sûres d’elles-mêmes : « La barbarie a toujours été moderne, toujours nouvelle, toujours actuelles. » (Ibid., p.7.) La rhétorique sentimentale du dévouement, du don, de l’aide à la détresse est mobilisée dans la propagande en faveur de la légalisation des mères porteuses. Autre principe rappelé : « Le respect de la dignité de chacun doit être garanti, fût-ce en dépit de la liberté individuelle. » (Ibid., p.100.) Ce sont précisément ces mêmes repères qui permettent d’aborder la question de la fin de vie, et en particulier celle de l’euthanasie, d’une manière dépassionnée.
Car c’est toujours au nom de la compassion vis-à-vis de la « souffrance intolérable » que l’on veut légitimer et légaliser l’acte de provoquer délibérément la mort. C’est en invoquant la générosité, « l’aide » à mourir que l’on plaide pour l’inscription du geste homicide dans les actes médicaux. C’est en s’avançant sous la bannière de la dignité que les partisans de la légalisation de l’euthanasie rédigent les différentes propositions de lois, toujours intitulées « mourir dans la dignité », qui s’abattent périodiquement sur le bureau de l’Assemblée nationale.
En réalité, la dignité de la personne en fin de vie n’est aucunement concernée par l’euthanasie dans la mesure où la demande de légalisation de celle-ci répond strictement à un objectif de liberté, ce dont conviennent honnêtement certains responsables de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) accordant qu’ils militent pour un droit de mourir dans la liberté et non dans la dignité, concept dont ils admettent n’avoir pas le monopole. C’est ce que déclare publiquement, régulièrement et courageusement, Édith Deyris, qui concède que le mot de dignité ne serait pas nécessairement retenu aujourd’hui pour donner son intitulé à l’association qui « peut-être maintenant s’appellerait association pour le droit de mourir dans la liberté ». Vice-président de l’association en 2007, Gilles Antonowicz va plus loin en considérant que l’emploi du mot dignité « depuis la condamnation sans équivoque de l’acharnement thérapeutique, n’a plus lieu d’être ». (Fin de vie. Vivre ou mourir ? Tout savoir sur vos droits, Bernard Pascuito/L’Archipel, 2007, p.160.CF supra, chap. 8, pp.107-108)
L’évaluation de la loi Leonetti
Mourir dans la dignité est une expression qui, désormais, peut être légitimement revendiquée par l’esprit et la lettre de la loi du 22 avril 2005 dont l’évaluation en 2008, sous la conduite pluraliste d’une mission composée de quatre parlementaires (un UMP, un Nouveau Centre, un PS, un PC), a donné lieu à un très riche rapport rédigé par son président, Jean Leonetti, l’auteur de la loi qui porte son nom. Dans la loi, à plusieurs reprises, il est stipulé que le médecin « sauvegarde la dignité » du patient en fin de vie, qu’il s’agisse de respecter son refus de tout traitement, de prendre le risque d’abréger ses jours en lui administrant un traitement soulageant sa douleur, de refuser l’obstination déraisonnable, de tenir compte de ses directives anticipées et de l’avis exprimé par une personne de confiance lorsque le patient n’est plus en mesure de s’exprimer.
Ce rapport d’évaluation est épais, mais il est très lisible et surtout très instructif parce que fondé sur une série de témoignages dont certains, qui avaient été très médiatisés, se retrouvent mis en perspectives après les lourdes déformations que les médias leur avaient fait subir. Jean Leonetti lui-même en a proposé un utile résumé dans un bel essai intitulé À la lumière du crépuscule. Témoignages et réflexions sur la fin de vie (préface d’Axel Kahn, Michalon, 2008) dans lequel il relate la manière dont il a vécu les séances de la mission d’évaluation qu’il a présidée. Souhaitons que la lecture de ce petit livre alerte et personnel provoque l’envie de se plonger dans les auditions qui l’ont suscité. (…)
En effet, le débat de société sur le mourir, quand il est loyalement conduit, pour désormais uniquement sur la possibilité de choisir sa mort. Poser la question en ces termes, c’est faire un grand pas en avant dans la clarification de la discussion en cours au sein des sociétés occidentales en général et dans la France contemporaine en particulier, où la loi du 22 avril 2005 permet aux soignants d’affronter toutes les situations, y compris les plus délicates, dans un cadre légal où le seul défaut est d’être dramatiquement méconnu de l’opinion et des médecins eux-mêmes. « Toutes » les situations ne sont pas « la plupart », comme on l’entend dire pour justifier la nécessité d’une modification de la loi qu’il faudrait effectuer dans des cas particuliers. En effet, les situations exceptionnelles, « épouvantables » dont se prévalent les militants de la légalisation de l’euthanasie sont en réalité, aux yeux de l’observateur objectif, des cas médiatiquement fabriqués, traités d’une façon toujours approximative et le plus souvent falsifiée. C’est lorsque la fièvre est retombée que l’on apprend la réalité des choses. Mais ce qui marque l’opinion, ce n’est jamais le démenti tardif, c’est toujours l’empreinte laissée par le premier choc émotionnel. La temporalité de l’information immédiate n’est pas celle de l’enquête minutieuse. L’affaire Sébire en mars 2008 et l’affaire Humbert en septembre 2003 en ont fourni une démonstration pragmatique. (À ce sujet : La Bataille de l’euthanasie de Tugdual Derville (Salvator, 2012), décrypte les sept grandes affaires médiatiques liées à l’euthanasie et analyse la manipulation dont elles ont été l’objet. Note de La Vaillante).