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  • Quand Marie Madeleine contemple Dieu dans sa splendeur

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    Nole me tangere Fra Angelico.jpgComme en rêve, ivre de chagrin*, désemparée, désorientée dans le jardin, Marie Madeleine ne perçoit pas la présence surnaturelle des deux anges dans le tombeau. Elle se tient elle-même au bord du réel, chancelante à la frontière du surnaturel. Ses sentiments envers le Christ la font être, depuis bien avant ce jour du trépas de son Jésus, dans la dimension au-delà de la simple humanité. Elle a déjà goûté Dieu par son Christ, mais restée simple de cœur, n’en a pas encore obtenu la conscience claire. Marie Madeleine rejoint son Christ de l’autre côté du réel, véritablement, quand Il l’appelle par son prénom. À ce moment précis, cela y est, elle pourra contempler Dieu dans sa splendeur, sans le toucher avec son corps, mais en communion d’Amour, en Esprit, tout en Union avec Jésus.



    * Le chagrin de Marie Madeleine au tombeau vide résonne des larmes de Anne (la stérile) ivre de douleur dans le Temple.


    Méditation d’après
    l’Évangile selon saint Jean (20,1.11-18)
    Sandrine Treuillard
    22.VII.2014

     

  • Toucher la paix, la partager, la rayonner : Le mystère de la Visitation

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    Réunion de prières interreligieuse 

    Artisans de Paix - Novembre 2019

     

    Toucher la paix,
    la partager, la rayonner :

    Le mystère de la Visitation

     

    Au cours de la semaine de l’amitié islamo-chrétienne (SERIC), le 25 novembre 2019 a eu lieu la 29ème Réunion interreligieuse de prières d’Artisans de Paix à la Zaouia Soufie Naqshbandi de Richarville (Essonne), dont voici le déroulé[1]. Cette rencontre avait pour thème Toucher la paix, la partager, la rayonner.

                      Comme chargée de mission de la Fraternité eucharistique catholique d’Artisans de Paix, j’ai choisi d’évoquer le mystère de la Visitation relaté dans l’Évangile de Luc. Le Mystère de la Visitation est la figure de toute vraie rencontre et mystère de l’hospitalité réciproque, pour Christian de Chergé (prieur des 7 moines trappistes de Tibhirine assassinés en Algérie en 1996, et l’un des 19 martyrs religieux des Années noires en ce pays. Béatifiés à Oran, le 8 décembre 2018). L’extrait d’un de ses textes à ce sujet est reproduit ci-après (III - Partager la paix).

                      Pour commencer, je vais à la source de la paix dans le Premier Testament, avant d’introduire à l’Évangile de Luc dans le Nouveau Testament. Survolons donc le texte biblique qui évoque la paix et se fait annonciateur du Prince de la Paix…

    Sandrine Treuillard

     

    I - La paix depuis la Genèse      Dans le Premier Testament

    « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or, la terre était informe et vide. Les ténèbres couvraient l’abîme, et l’Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. »[2] Ces mots sont les premiers de la Bible, dans le Livre de la Genèse. Dieu s’apprête à créer la lumière et toute sa Création. « Le souffle planait sur les eaux »[3] : la paix, l’harmonie primordiale de la Création régnait sur elle.


    1 - La paix : un fruit de l’Esprit


    Esprit de Dieu planant sur les eaux Enlum Bible Sens 14è.jpgRevoyons cette image, plus loin dans la Genèse : la colombe, après le Déluge, rapporte en son bec un rameau, signifiant par-là que la terre ferme et verdoyante a réapparu à sa surface, que le courroux de Dieu avait inondée. Dieu s’était en effet repenti d’avoir créé l’homme qui, bien qu’à son image mais libre, devînt très indisposé à le suivre dans la voie du Bien. Avec le Déluge, Dieu voulut reprendre sa Création, comme le peintre lors d’un repentir efface une partie du tableau et corrige le geste d’une main, par exemple. Dès la Genèse, la colombe représente l’Esprit. Comme lors du geste créateur de Dieu, elle apparaît à Noé, au-dessus des eaux dont l’arche est environnée.

                La colombe en vol, tenant en son bec le rameau, représente la paix comme fruit de l’Esprit. Quand l’Esprit survolait les eaux, aux commencements de la Création, ce souffle était la paix originelle elle-même. La paix a quelque chose de la Sagesse et de la pureté divine. Dieu l’a placée au cœur même de la Création, c’est-à-dire de toute créature, de la nature, y compris au cœur de l’homme créé à sa ressemblance, à son image. La paix est constitutive de la Création. Elle est consubstantielle au Créateur. C’est l’harmonie spirituelle de Dieu avec toute sa Création.

                La paix, c’est Dieu lui-même. C’est d’ailleurs un des noms de Dieu invoqué par les musulmans dans la prière du Dikhr…


    2 - Le Verbe fait chair : Prince de la Paix


    Le Verbe a planté sa tente parmi nous.jpgDès 740 avant notre ère, dans le premier Testament, le prophète Isaïe annonce la naissance du Christ. Il y est désigné comme Prince de la Paix :

    « Car pour nous un enfant est né, un fils nous est donné. Il exercera l’autorité royale ; il sera appelé Merveilleux Conseiller, Dieu Fort, Père à jamais et Prince de la Paix. Il étendra sa souveraineté et il instaurera la paix qui durera toujours au trône de David et à tout son royaume. Sa royauté sera solidement fondée sur le droit et sur la justice dès à présent et pour l’éternité. Voilà ce que fera le Seigneur des armées célestes dans son ardent amour. »[4] 

    « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous » (Jn 1, 14). Par Jésus-Christ, Dieu vient restaurer sa Création, sa créature humaine pervertie par le péché depuis Adam. Par Jésus-Christ, Dieu fait œuvre de recréation et de paix pour la terre et les hommes qu’il aime. Par Jésus-Christ, Dieu vient dans l’histoire de l’humanité recréer l’homme à son image. Le Christ est contemporain du geste créateur de Dieu, quand « le souffle de Dieu planait sur les eaux », comme l’indique l’évangéliste Jean dans son Prologue : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui est ne s’est fait sans lui » (Jn 1, 1-3). 

                Le Christ est le Prince de la Paix. Il est le Fils de Dieu. Par et avec Jésus Christ, Dieu nous rend l'harmonie spirituelle de l’origine en apportant la restauration de notre relation avec Lui.

     
    3 - La Paix du Christ

    La Paix du Christ.jpgÀ la dernière Cène, avant sa Passion, Jésus donne sa Paix à ses disciples.
    Jésus nous donne la Paix venue de Dieu son Père, comme la vie-même de Jésus est restauration de notre lien à Dieu le Père (c’est le sens de la Rédemption). Jésus la donne aussi sur la croix : « Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel » (Col 1, 19-20).
     

    Esprit St au Cénéacle Pentecôte Paix du Christ.jpgAprès sa Résurrection, le Christ se manifestera et se montrera aux disciples réunis dans le Cénacle, en commençant par leur donner la paix. Quand Jésus donne sa paix, c’est celle de Dieu le Père qu’il nous transmet. La paix de Jésus, celle du Père et leur Esprit, c’est tout Un. Nous sommes là au cœur du mystère de la Trinité. La paix est cette vie qui circule entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Cette harmonie entre les trois personnes de la Trinité produit la paix. Celui qui la véhicule, c’est l’Esprit Saint.

                Depuis l’Ascension, quand Jésus-Christ a rejoint le Père dans le Royaume céleste, nous recevons la paix de Jésus par l’Esprit Saint. La messe est un moment important ou recevoir cette paix en communauté ecclésiale. Mais elle peut être reçue a tout moment, au contacte de la nature, dans la prière, la vie quotidienne, les rencontres… C’est toujours une manifestation de l’Esprit Saint.

    II - Toucher la paix, la partager         Introduction à l’Évangile

                Pour évoquer cette paix dans l’Écriture Sainte, dans les trois états proposés (toucher, partager, rayonner la paix) par la présidente de notre association, Paula, j’ai choisi l’épisode de la Visitation, dans l’Évangile de saint Luc.

                Luc relate l’épisode que l’on nomme la Visitation dès le premier chapitre de son récit de la Bonne Nouvelle. La Visitation est la rencontre de Marie, qui vient de vivre l’Annonciation, avec sa cousine Élisabeth enceinte de 6 mois de Jean (le Baptiste). Pour aller à la Visitation, il faut cependant voir les circonstances de la conception de Jean (l’annonce à Zacharie) et celles de la conception de Jésus (l’Annonciation).  


    1 - Toucher la paix             
    L’annonce à Zacharie

    Annonce à Zacharie.jpgAprès le prologue de son évangile, Luc décrit les circonstances de l’annonce de la naissance de Jean le Baptiste « qui sera rempli d’Esprit Saint dès le sein maternel ». C’est l’ange du Seigneur qui parle ainsi quand il apparaît au futur père, Zacharie, alors qu’il offre l’encens dans le sanctuaire. Zacharie et Élisabeth étaient un couple stérile et avancé en âge. Ils ont touché la paix. Ou plutôt : c’est la paix qui est venue les toucher et qu’ils ont reçue, avec la joie inespérée d’engendrer un fils, Jean (Dieu exauce), le Précurseur du Christ. La conception de Jean est donc le miracle de Dieu pour Zacharie & Élisabeth, et pour toute l’humanité.


    2 - Toucher la paix             
    L’Annonciation

    Lumière Ventre Marie.jpgEn deuxième lieu, Luc l’évangéliste décrit l’annonce de la naissance de Jésus qu’on appelle l’Annonciation. Dans l’annonce faite à Marie, une vierge déjà promise à Joseph, l’ange Gabriel, lui dit qu’elle tombera enceinte du Fils du Dieu Très-Haut. Comme elle est d’abord bouleversée de voir entrer chez elle un ange, et lui adresser la Parole de Dieu, celui-ci lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Il la rassure, l’apaise par ces mots pour l’introduire au message qu’il lui porte de l’action de Dieu sur elle, en elle, et pour l’humanité : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » À la question de Marie « comment cela se fera-t-il puisque je suis vierge ? », l’ange lui révèle que « l’Esprit Saint descendra sur elle, et que la puissance du Dieu très-haut la couvrira de son ombre. »

    Embryon.jpgComme pour Zacharie & Élisabeth, Marie reçoit la paix de Dieu : pour elle-même et pour tous les hommes. Par le Verbe qui prendra chair en son corps, elle touche la paix, et portera le Prince de la Paix en elle avant de lui donner naissance. Aussitôt après avoir reçu les explications de l’ange, Marie se soumet à la volonté de Dieu par ce qu’on appelle son ‘Fiat’ : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. » C’est par l’Esprit Saint que Dieu engendre son Fils en Marie. L’ange lui a annoncé qu’elle portera Jésus Christ, le Verbe fait chair, en elle. Jésus, le fils de Marie, est la paix en personne, de la part de Dieu, pour tous les hommes.


    3 - Partager la paix        
    La Visitation (Évangile selon saint Luc 1, 39-45)

    Esprit Saint en Visitation.jpgL’ange la quitte et quelques jours plus tard, Marie se met en route pour rendre visite à sa cousine Élisabeth, dont elle a appris, lors de l’Annonciation, qu’elle était aussi enceinte depuis six mois. Et c’est l’épisode qui nous intéresse ici : la Visitation.

                C’est donc remplie de l’Esprit Saint, la vie de Jésus commencée en son sein, qu’elle part vers la montagne chez sa parente, Élisabeth. 



    « 
    39 En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée.

    40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.

    41 Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, 42 et s’écria d’une voix forte :

    « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.

    43 D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?

    44 Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.

    45 Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » »[5]

     

    III - Partager la paix         Le texte    Le mystère de la Visitation

                de Christian de Chergé, est extrait de sa Retraite sur le Cantique des cantiques qu’il prêcha en 1990, à des Petites sœurs de Jésus (filles du bx Charles de Foucauld), à Mohammedia, au Maroc, dans le contexte où quelques chrétiens vivent au sein de la société musulmane. C’était 6 ans avant sa mort et celle des 6 autres moines de Tibhirine, en Algérie, dont il était le prieur. Ce texte est intitulé Le mystère de la Visitation par Christian Salenson qui a retranscrit d’après les enregistrements audio, commenté et publié toute cette Retraite sur le Cantique des Cantiques (éditions Nouvelle Cité, 2013).

                « Profiter de la fête de la Vierge pour revenir sur le mystère de la Visitation. Il est évident que ce mystère de la Visitation, nous devons le privilégier dans l’Église qui est nôtre. 

                J’imagine assez bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Élisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Elle l’a reçue d’un ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à Élisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ? Et pourtant, tout en elle déborde, mais elle ne sait pas.

                D’abord, c’est le secret de Dieu. Et puis, il se passe quelque chose de semblable dans le sein d’Élisabeth. Elle aussi porte un enfant. Et ce que Marie ne sait pas trop, c’est le lien, le rapport, entre cet enfant qu’elle porte et l’enfant qu’Élisabeth porte. Et ça lui serait plus facile de s’exprimer si elle savait le lien. Mais sur ce point précis, elle n’a pas eu de révélation, sur la dépendance mutuelle entre les deux enfants. Elle sait simplement qu’il y a un lien puisque c’est le signe qui lui a été donné : sa cousine Élisabeth.

                Et il en est ainsi de notre Église qui porte en elle une Bonne Nouvelle – et notre Église c’est chacun de nous – et nous sommes venus un peu comme Marie, d’abord pour rendre service (finalement c’est sa première ambition)… Mais aussi, en portant cette Bonne Nouvelle, comment nous allons nous y prendre pour le dire… Et nous savons que ceux que nous sommes venus rencontrer, ils sont un peu comme Élisabeth, ils sont porteurs d’un message qui vient de Dieu. Et notre Église ne nous dit pas et ne sait pas quel est le lien exact entre la Bonne Nouvelle que nous portons et ce message qui fait vivre l’autre. Finalement, mon Église ne me dit pas quel est le lien entre le Christ et l’islam.

                Et voici que, quand Marie arrive, c’est Élisabeth qui parle la première. Pas tout à fait exact car Marie a dit : As salam alaikum ! Et ça c’est une chose que nous pouvons faire ! On dit la paix : La paix soit avec vous ! Et cette simple salutation a fait vibrer quelque chose, quelqu’un en Élisabeth. Et dans sa vibration, quelque chose s’est dit… Qui était la Bonne Nouvelle, pas toute la bonne Nouvelle, mais ce qu’on pouvait en percevoir dans le moment. D’où me vient-il que… l’enfant qui est en moi a tressailli ? Et vraisemblablement, l’enfant qui était en Marie a tressailli le premier. En fait, c’est entre les enfants que s’est passé cette affaire là…

                Et Élisabeth a libéré le Magnificat de Marie. Et finalement, si nous sommes attentifs et si nous situons à ce niveau-là notre rencontre avec l’autre, dans une attention et une volonté de le rejoindre, et aussi dans un besoin de ce qu’il est et de ce qu’il a à nous dire, vraisemblablement, il va nous dire quelque chose qui va rejoindre ce que nous portons, montrant qu’il est de connivence… Et nous permettant d’élargir notre Eucharistie, car finalement le Magnificat que nous pouvons, qu’il nous est donné, de chanter, c’est l’Eucharistie. La première Eucharistie de l’Église, c’était le Magnificat de Marie. Ce qui veut dire le besoin où nous sommes de l’autre pour faire Eucharistie : pour vous et pour la multitude… »

    Esprit Saint en Visitation.jpg

    IV - Rayonner la paix       Le chant 

    Luc 1, 46-56 (Le Magnificat)

    45 Marie dit alors :

    « Mon âme exalte le Seigneur,

    47 exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !

    48 Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse.

    49 Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom !

    50 Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

    51 Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.

    52 Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.

    53 Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.

    54 Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour,

    55 de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »

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    V - Toucher la paix, la partager, la rayonner      
    Bénédiction finale

    PSAUME 18 A

    02 Les cieux proclament la gloire de Dieu,
    le firmament raconte l'ouvrage de ses mains.
    03 Le jour au jour en livre le récit
    et la nuit à la nuit en donne connaissance.

    04 Pas de paroles dans ce récit,
    pas de voix qui s'entende ;
    05 mais sur toute la terre en paraît le message
    et la nouvelle, aux limites du monde.

    Là, se trouve la demeure du soleil : +
    06 tel un époux, il paraît hors de sa tente
    il s'élance en conquérant joyeux.

    07 Il paraît où commence le ciel, +
    il s'en va jusqu'où le ciel s'achève :
    rien n'échappe à son ardeur.

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                      Abdelkader Abdellaoui, Muqadam de la Zaouia de Richarville, nous a présenté la Sourate 18 pour évoquer la relation maître-disciple chez les soufis. J'y ai répondu par l'article de Roger Michel : Scandale du mal et patience de Dieu (Sourate 18) avec le texte de Christian de Chergé extrait de l'ouvrage : Le Verbe s'est fait frère - Christian de Chergé et le dialogue islamo-chrétien.[6]

                      Après les bénédictions mutuelles, pour conclure fraternellement cette réunion de prières interreligieuse, la Zaouia a offert au sept participants une soupe de lentilles parfumée à la coriandre. Enfin, les clémentines de culture biologique qu’avait apportées la bouddhiste de Nichiren, Claire Tardieu, nous désaltérèrent plaisamment. Le tout dans la chaleur du poêle et la présence des maîtres soufis Naqshbandis, dont nous croisions le regard dans les visages photographiés…

     

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    N O T E S

    [1] Déroulé de la Vingt neuvième Réunion de prières interreligieuse

    Mots d’accueil d’Abdel Kader ABDELLAOUI, Muqadam de la Zaouia de Richarville et de Paula KASPARIAN, Présidente d’Artisans de Paix.

    Psalmodie

    À l’écoute des signes annoncés par nos textes fondateurs respectifs :

    Bible : Sandrine TREUILLARD
    Coran : Abdel Kader ABDELLAOUI
    Sutras Bouddhique : Marc & Claire TARDIEU

    Invocation musulmane, Dikhr

    Contemplant le témoignage de ceux en lesquels ces textes ont pris corps :

    Tradition chrétienne : Sandrine TREUILLARD
    Tradition islamique : Abdel Kader ABDELLAOUI
    Tradition Bouddhique : Jean-Luc CASTEL                                                                      

    Chant chrétien

    Devenant chacun et ensemble, prière vivante accueillant la Paix parmi nous, la recevant les uns des autres et nous La donnant les uns aux autres : à l’écoute du Souffle ténu qui prend corps parmi nous, se risquer à parler à Celui que certains appellent Dieu et que d’autres ne nomment pas, se taire si l’on préfère ; en tous les cas, recevoir et transmettre la lumière.

    Offrande de prière bouddhique

    Bénédictions et envoi : Témoins des Fraternités Artisans de Paix dont l’espérance prend corps parmi nous, donner à goûter la paix dans le monde d’aujourd’hui :

    Fraternité eucharistique : Sandrine TREUILLARD
    Fraternité islamique : Abdel Kader ABDELLAOUI
    Fraternité bouddhique : Jean-Luc CASTEL, Marc & Claire TARDIEU

    [2] Traduction de la Bible du Semeur, 2000.

    [3] Traduction de l’AELF.

    [4] Traduction de la Bible du Semeur, 2000.

    [5] Traduction de l’AELF.

    [6] Article de Roger Michel : Scandale du mal et patience de Dieu (Sourate 18) avec le texte de Christian de Chergé extrait de Dieu pour tout jour, Chapitres à la communauté de Tibhirine (1989-1996) : collection "Cahiers de Tibhirine" n°1, 2004, Abbaye Notre-Dame d'Aiguebelle, p. 200 : Jeudi 20 juillet 1989 (Saint Élie), Élie et les pensées de Dieu… dans l'ouvrage : Le Verbe s'est fait frère - Christian de Chergé et le dialogue islamo-chrétienÉditions Bayard, 2010. Livre collectif avec des membres de l'ISTR de Marseille : Anne-Noëlle Clément, Christian Salenson, Sr Bénédicte Avon, Roger Michel.

    Retrouvez ce texte sur la page enrichie
    Artisans de Paix ou le désir de rencontrer l'(A)autre

    et la sous-page
    La Visitation :  Mystère de l'hospitalité réciproque
    & f
    igure de toute vraie rencontre - avec Christian de Chergé

  • PMA-GPA : Le consentement à nos limites : un chemin de fraternité et de fécondité

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    Chers amis,

    Merci d’être là.

    Nous sommes là parce que nous ne cédons pas aux modes et aux passades, « comme la paille balayée par le vent » (Ps. 1, v. 4). Nous sommes là pour « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste » comme l’écrivait Charles Péguy[1].

    Bertrand & Gaëlle Lionel Marie.jpg 

    Quelle est-elle cette vérité ?

    C’est que notre société, adolescente, est incapable de poser des limites aux volontés individuelles, quelles qu’en soient les conséquences sur l’ensemble du corps social. (« Dire que je veux et le choix et ce que le choix m’interdit, ça devient une forme d’adolescence d’une société » disait Aïm Korsia, Grand Rabbin de France, devant l’Assemblée nationale, le 29 août 2019).

    C’est que la ‘PMA’ sans père n’a rien à faire dans une loi relative à la bioéthique, parce qu’aucun progrès médical n’est en cause - la première insémination artificielle date de 1790 (Hunter) - !

    C’est que ce n’est pas en créant, par la loi, des familles monoparentales, comme autant d’îlots balayés par le vent et par les vagues, que nous retrouverons le fil d’un projet national.

    C’est qu’après avoir réduit le père à un fournisseur de ressource biologique, c’est-à-dire à sa semence, nous réduirons la mère à son utérus. Édouard Philippe écrivait, d’ailleurs, en 2013 : « Nous nous opposerons résolument à la PMA pour les couples homosexuels féminins, et à la GPA qui, au nom de l'égalité, ne manquera pas d'être réclamée par la suite ».

    C’est que le relativisme des ”valeurs” et des ”lignes rouges” (même à la présidence du CCNE !) fait de nous un bateau ivre, sans boussole ni port d’attache.

    C’est que la suppression, par cette loi, du cadre pathologique de l’AMP nous conduira, cahin-caha, au bébé parfait pour tous… et à l’eugénisme libéral.

    C’est qu’un enfant, n’en déplaise au Rapporteur Touraine, a bien le droit d’avoir un père !

    C’est, Madame la Ministre de la Santé, que M. Elie Buzyn, dont la vie est une victoire contre la barbarie et contre la mort, n’est pas « une femme, une altérité, un oncle ou une grand-mère » mais est votre père !

    C’est que si l’intérêt de l’enfant est une ‘considération primordiale’, il n’est pas possible de consacrer - en même temps - le droit de tout adulte à accéder à une semence labellisée et à une assistance à la procréation, c’est-à-dire au droit à avoir un enfant !

    *

    Dira-t-on demain de nous, de la France : C’est un triste pays, celui dont le Président n’aime pas les enfants !

    *

    Gaëlle Lionel-MArie.jpg

    Mais si nous avons à témoigner de la vérité, nous avons, aussi, à rendre compte de l’Espérance qui habite en nous

    Une autre société et autre projet de loi sont possibles.

    Une société dans laquelle la lutte contre l’infertilité serait une grande cause de santé publique.

    Une société dans laquelle l’indisponibilité et la non-patrimonialité du corps humain seraient gravées dans le marbre de la Constitution.

    Une société dans laquelle on prendrait soin, avec précaution, du scarabée pique-prune mais dans laquelle les enfants ne compteraient pas pour des prunes !

    Une société qui, au lieu d’adapter le corps des femmes au monde du travail (avec cette autoconservation ovocytaire qui est de la poudre aux yeux !), adapterait le monde du travail au corps des femmes.

    Une société qui limiterait l’absolutisme des techniques sur notre environnement mais, aussi, sur notre nature humaine, pour le bien des générations futures…

    Une société dans laquelle on continuerait à célébrer la Gloire de son père, tellement plus que celle d’un tiers donneur !

    Une société dans laquelle l’être humain, quel que soit le stade de son développement, serait toujours considéré comme une fin et jamais comme un moyen pour des chercheurs et pour des marchés…

    Une société dans laquelle l’homme et la femme feraient du consentement aux limites de leur corps et de l’acceptation de leurs manques, un chemin de fraternité et de fécondité…

    *

    L’espérance est

    « comme un enfant qui n’aurait pas la force de marcher

    et qu’on traînerait sur la route malgré elle.

    Et en réalité […], c’est elle […] qui fait marcher tout le monde.

    Et qui le traîne.

    Car on ne travaille jamais que pour les enfants »

    comme disait Péguy[2].

    Bertrand & Gaëlle Lionel-Marie
    Avocats au Barreau de Paris

    #Marchons Enfants ! Mobilisation nationale
    6 octobre 2019, Place du 18 juin 1940, Paris

     

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    [1] Charles Péguy, Lettre du Provincial, I, pp. 291-292.

    [2] Charles Péguy, Le Porche du mystère de la deuxième vertu, IV, p. 537.

     

  • Christian de Chergé, Pentecôte 1994 : Le « martyre » de l’Esprit saint à Tibhirine : Artisans de Paix - 28ème Réunion interreligieuse de prières

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    Voici le chant chrétien et les textes que j’ai choisis et lus/priés au milieu de mes frères et sœurs d’Artisans de Paix, le 2 juin 2019, au Monastère de l’Inspir des Sœurs Bouddhistes de Noisy-le-Grand (91). Le thème était l’Esprit Saint, préparant la Pentecôte du 9 juin. En note, le détail des participants et du déroulé de ces 2h15 de Réunion interreligieuse de prières.[i]

    Sandrine Treuillard
    Chargée de mission pour la Fraternité Eucharistique (catholique) d'Artisans de Paix

    Logo Artisans de Paix.jpg

    Viens Esprit Créateur

    1 - Viens Esprit créateur, nous visiter,
    Viens éclairer l'âme de tes fils ;
    Emplis nos cœurs de grâce et de lumière,
    Toi qui créas toute chose avec amour.

    2 - Toi le don, l'envoyé du Dieu très Haut
    Tu t'es fait pour nous le défenseur ;
    Tu es l'amour, le feu, la source vive,
    Force et douceur de la grâce du Seigneur.

    3 - Donne-nous les sept dons de ton amour,
    Toi le doigt qui œuvre au nom du Père ;
    Toi dont il nous promit le règne et la venue,
    Toi qui inspires nos langues pour chanter.

    4 - Mets en nous ta clarté, embrase-nous,
    En nos cœurs, répand l'amour du Père ;
    Viens fortifier nos corps dans leurs faiblesses,
    Et donne nous ta vigueur éternelle.

    5 - Chasse au loin l'ennemi qui nous menace,
    Hâte-toi de nous donner la paix ;
    Afin que nous marchions sous ta conduite,
    Et que nos vies soient lavées de tout péché.

    6 - Fais-nous voir le visage du très Haut,
    Et révèle-nous celui du Fils ;
    Et toi, l'esprit commun qui les rassemble,
    Viens en nos cœurs, qu'à jamais nous croyions en toi.

    7 - Gloire à Dieu notre Père dans les cieux,
    Gloire au Fils qui monte des enfers ;
    Gloire à l'Esprit de force et de sagesse,
    Dans tous les siècles des siècles.
    Amen.

     

    « Dès sa conception au IXè siècle, vraisemblablement par Raban Maur, cet hymne, le Veni Creator, n’a cessé de résonner dans la chrétienté, spécialement en la fête de la Pentecôte, comme une longue et solennelle invocation de l’Esprit Saint sur l’Église et sur toute l’humanité. Dans les églises chrétiennes d’Occident, l’avènement du XXIè siècle et du nouveau millénaire a été salué par ce chant solennel. Dès les premières décennies du second millénaire, il a inauguré chaque nouvelle année, chaque conclave et chaque concile œcuménique, chaque synode et chaque réunion importante de la vie de l’Église, chaque ordination sacerdotale et épiscopale et, par le passé, chaque sacre royal. » Raniero Cantalamessa, Introduction à Viens Esprit Créateur – Méditations sur le Veni Creator, Éditions des Béatitudes, 2008

     

    Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 14, 15-21

    Jésus vient de laver les pieds de ses disciples. Lors de ce dernier repas au Cénacle avant sa Passion, il leur donne ses dernières recommandations et annonce l'héritage de l'Esprit Saint.  

    Cœur Eucharistique de Jésus.jpg

    15 Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. 16 Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : 17 l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. 18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. 19 D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. 20 En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. 21 Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »

     

    Le texte d’un saint

    Christian de Chergé (portrait de face).jpgPour ce morceau choisi dans la tradition catholique, je vais vous emmener dans un autre monastère : Notre-Dame de l’Atlas à Tibhirine, en Algérie. Nous sommes en 1994. C’est le prieur du monastère, Christian de Chergé, qui donne son homélie de la Pentecôte. C’est le début des années noires en Algérie (1992-2006). Dom Christian a déjà rédigé son testament spirituel en deux fois : à Alger, le 1er décembre 1993, « au moment où, après les attentats dans le métro de Paris et la prise d’otage des passagers d’un Airbus français qui s’était terminée dans le sang à l’aéroport de Marseille, le GIA (Groupe islamiste armé) demandait à tous les étrangers de quitter l’Algérie, les menaçant de mort. » Il termina la rédaction de son testament spirituel à Tibhirine, le 1er janvier 1994, après que « douze ouvriers Croates chrétiens aient été égorgés à Tamezguida, à quelques kilomètres du monastère et, » après que « durant la soirée du 24 décembre, six islamistes armés » se soient « présentés au monastère en présentant des requêtes et des exigences. Durant les jours suivants les moines avaient longuement réfléchi en communauté sur l’opportunité de rester ou de partir. Ils avaient finalement opté unanimement pour rester. Parmi les raisons de rester étaient leur solidarité avec la population locale. » (Citations de Armand Veilleux, ocso. Voir sa conférence La rencontre de l’Autre au cœur de la violence : Le message des sept moines de Tibhirine). 

                À la date de la Pentecôte, le 22 mai 1994, deux religieux français installés en Algérie ont déjà payés de leur vie, et le prieur fera mention de ses amis à la fin de son texte. Le 8 décembre 2018, à Oran, Christian de Chergé a été béatifié avec les 6 autres moines de Tibhirine, et les 12 autres religieux martyrs d’Algérie, assassinés entre 1994 et 1996.

                Cette homélie de Pentecôte commence avec de fortes allusions à la foi musulmane puisque Dom Christian avec toute sa communauté vit en terre d’islam, par choix, comme les 18 autres martyrs. À Tibhirine, il a fondé avec les musulmans spirituels locaux un groupe de réunion interreligieuse : le « Ribât es-Salam », le lien de la paix, qu’il évoque aussi dans ce texte.

     

    Christian de Chergé,
    in L’invincible espérance

    Le « martyre » de l’Esprit saint
    Pentecôte
    22 mai 1994

         « C’est l’Esprit qui rend témoignage… »
                                                            1 Jn 5,6

     

                Pentecôte… au lendemain de l’’Aïd-el-Adhâ, de la « fête du sacrifice », de la « grande fête » (‘Aïd-el-Kebir). La Pentecôte aussi, une « grande fête » ! « Alors, qu’est-ce que tu sacrifies, qu’est-ce que tu égorges ? » me demandait un jeune du voisinage. On pourrait être tenté de répondre : j’offre la foule des TÉMOINS qui, depuis cet événement-là que nous célébrons, n’ont cessé de livrer leur vie pour l’annonce de l’Évangile, à l’exemple de leur Maître et Seigneur.

                En effet, la Pentecôte n’est-elle pas d’abord la grande fête du TÉMOIGNAGE, c’est-à-dire du « martyre » (en grec), ou encore de la « shahâda » (en arabe). Les apôtres étaient là, cloîtrés dans leur peur, mais fidèles à attendre en prière ce que Jésus avait promis. Et voici que les portes s’ouvrent. Un grand courant d’air dans tout leur être. Les langues se délient. Les cœurs s’élargissent aux dimensions du monde, réuni là et qu’ils ne voyaient pas. Bientôt Pierre prendrait la parole : « Ce Jésus… Dieu l’a ressuscité. Nous en sommes témoins » (Ac 2,32). Plus tard, il ajouterait la précision nécessaire qui avait échappé au premier moment tant ils ne faisaient qu’un avec la force neuve qui les portait à témoigner : « … nous sommes témoins de ces choses, nous et l’ESPRIT SAINT que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent » (Ac 5,32).

                Jésus leur avait annoncé : « Quand viendra le Défenseur que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra TÉMOIGNAGE en ma faveur. Et vous aussi – vous ensuite – vous rendrez témoignage » (Jn 15,26). C’est la Bonne Nouvelle, l’évangile de ce jour. Nous proclamons que l’Esprit saint nous a été donné, et nous témoignons qu’il témoigne en nous. C’est la « grande fête » du témoignage de l’Esprit, sans lequel le témoignage de l’Église, celui des apôtres, le nôtre, serait nul et vain. Nous célébrons le DON de ce Témoin qui n’en finit plus de se communiquer, de génération en génération, de langue en langue, de vie en vie, comme dans une course de relais, portant la flamme de l’Amour jusqu’aux extrémités des cœurs.

                Nous célébrons le « martyre » de l’Esprit saint. « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13). C’est là le témoignage de Jésus, son mystère pascal. C’est là, de toute éternité, le témoignage de Dieu. Si l’Esprit saint est le « martyr » par excellence, c’est parce qu’il est le don vivant que le Père et le Fils se font mutuellement de tout ce qu’ils sont. Il est la VIE en Dieu, éternellement donnée, et désormais communiquée à la terre pour une nouvelle création impliquant le sang et la souffrance d’un enfantement laborieux.

                Il semble bien en dehors du temps ce premier « témoignage » de l’Esprit présidant à la genèse, dans la sérénité d’une construction parfaite. Tout était bon… il planait sur les eaux de ce baptême primordial, dans l’amour du Père où le Verbe éveillait toutes choses. Ce « martyre »-là était celui d’un bonheur partagé. Il ignorait la souffrance et le sang répandu. Il se suffisait à lui-même. Il s’inscrivait profond, comme un sceau, une image, une ressemblance. Encore aujourd’hui, il émerge parfois, trace vierge d’une grâce initiale dans un cœur d’enfant que le mal a pu effleurer sans le déflorer… 

                En Jésus, ce témoignage est ressuscité. L’homme est restitué à lui-même. De toutes ses forces, l’Esprit vient témoigner que c’est cela que le Père a voulu pour nous. Que c’est cela qu’il vient accomplir en nous, dans la patience de nos chemins cahotants. Et ce témoin est là, qui veille et ne désespère pas. Il sait qu’en tout homme le Christ se cherche et s’accomplit. « L’Esprit saint en personne atteste que nous sommes enfants de Dieu » (Rom 8,16). Il est le témoin qui suscite les témoins, il est le « martyr » sans lequel il n’y a pas de martyre. Lui seul peut authentifier le témoignage. Elle est sûre, cette parole de Jésus : « Ne vous faites pas de souci ! L’Esprit saint vous donnera de dire et de faire… » Et ce témoin, ce « shahîd », nous dit de ne pas se satisfaire d’une « shahâda » purement verbale : « Ils disent et ne font pas ! » Ce« shahîd » nous dit que le témoin se reconnaît à ses fruits. D’après saint Paul (2e lecture), voilà ce que produit le témoin quand son témoignage lui vient de l’Esprit : « Amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité, maîtrise de soi. » (Ga 5,2 sq.). 

                Et l’Esprit lui-même nous invite aujourd’hui « à élargir notre regard pour contempler son action présente en tout lieu et en tout temps » (RM n°29)[1]. Nous pouvons tous en témoigner – et plus encore dans la situation douloureuse qui est la nôtre – nombreux sont autour de nous ceux qui triomphent des forces du mal et de désespérance parce qu’il y a en eux paix et patience, humilité, justice, maîtrise et oubli de soi… Ils sont cachés, comme l’Esprit en Dieu ; l’Esprit n’a pas de voix… Quand ils émergent, c’est parce que nous avons besoin de bornes témoins sur notre chemin. Ainsi, le cheikh Bouslimani : militant islamiste, et aussi cheville ouvrière d’une sorte de « Caritas » musulmane. Sollicité par des extrémistes de donner une fetwa (un jugement) autorisant la violence au nom de l’islam, il a préféré l’arrestation, la torture et finalement la mort. Pour nous tous, il est un témoin, parce qu’il n’a pas voulu pécher « contre l’Esprit saint ». Nous attestons que son « martyre » vient de l’Esprit, et nous proclamons que ce savant du droit musulman a partagé la grâce des simples et des tout-petits qui est de rendre témoignage à la vérité. 

                 Ainsi l’islam ne se trompe pas lorsqu’il inscrit le nom de « shahîd » parmi les 99 plus beaux noms de Dieu. Dieu est le témoin par excellence. La spécificité de ce Témoin-là, dit le Coran, c’est qu’il se suffit à lui-même (8 fois dans le Coran). Cela veut dire qu’il n’y a pas besoin « de deux ou trois témoins » quand c’est Dieu qui témoigne. En fait, ce témoin unique, c’est l’Esprit saint ; et voici qu’il témoigne qu’en Dieu les témoins sont deux, le Père et le Fils ! Il s’offre à nous comme le témoin de l’un et de l’autre, et c’est sa façon de nous introduire dans l’amour qui unit l’un à l’autre. « Celui-ci est mon Fils bien-aimé », atteste le Père, mais c’est l’Esprit qui nous le fait entendre. « Abba ! Père ! » atteste le Fils, mais c’est l’Esprit qui le murmure, en lui comme en nous. Sa Pâque à lui, c’est de passer de l’un à l’autre dans un total oubli de soi.

                Car le signe particulier de ce témoin, nous dit Jésus, c’est « qu’il n’a rien en propre, rien à lui » (Jn 16, 13 sq.). Tout, il le reçoit ; tout, il le donne, sans rien retenir. Le témoignage de l’Esprit, c’est l’esprit de pauvreté. Il faut avoir un cœur de pauvre pour être témoin selon l’Esprit saint. L’homme a été créé par Dieu, voulu par le Père, avec ce cœur-là, un cœur de fils. La Pentecôte c’est renaître à cette vocation. Ces apôtres apeurés que nous voyons confinés en prière, ils ont fait ce chemin-là qui est de se reconnaître démunis face à une mission trop grande pour eux, de tout attendre de Dieu jusqu’au premier mot de leur témoignage, d’attendre Dieu de Dieu, pour que ce soit Lui qui témoigne. Et le miracle va naître de la rencontre de deux pauvretés, celle des apôtres et celle de cette foule qui est là, dans l’attente. Dans cet événement tout le monde semble témoigner, chacun dans sa langue, et selon sa grâce propre.

                Si nous pensons à notre frère Henri et à notre sœur Paule-Hélène[2] – et comment ne pas y penser ? –, nous savons que leur témoignage ne peut se passer de ceux qu’en disent tous ceux qui ont longuement bénéficié de leur vie si vraiment donnée. Ils étaient venus, l’un et l’autre, avec un cœur de pauvre, prêts à accueillir, et ils ont confessé avoir beaucoup reçu de cette foule de gens pauvres qui les pleurent avec nous, témoignant qu’ils doivent beaucoup. L’Esprit faisait ainsi le « lien de la paix », et c’est lui qui nous aide à vivre leur sacrifice comme une Pentecôte en proclamant sur eux et avec eux « les merveilles de Dieu ».

                Je laisse la parole à Henri, lors d’une réunion de notre ribât, il y a un an : « Nous sommes tous habités par l’Esprit… Dieu chemine avec ce peuple, avec cette religion, mais je ne comprends pas (je suis comme Marie). Je suis en recherche de ce plan. Je me laisse questionner, et je questionne. Je déstabilise un peu l’autre, et l’autre me déstabilise. Il faut toujours essayer de découvrir ce qu’il y a de positif en chacun, et l’encourager. Être veilleurs, c’est être éveilleurs, c’est aider les gens à vivre selon l’Esprit. »

     

    Bénédiction finale

    Psaume 132 (133)

    Oui, il est bon, il est doux pour des frères
    de vivre ensemble et d’être unis. 

    On dirait un baume précieux,
    un parfum sur la tête,
    qui descend sur la barbe, la barbe d’Aaron,
    qui descend sur le bord de son vêtement. 

    On dirait la rosée de l’Hermon
    qui descend sur les collines de Sion.
    C’est là que le Seigneur envoie la bénédiction,
    la vie pour toujours.

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    Artisans de Paix - ou le désir de rencontrer l'(A)autre

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    [i] Constitution de l’assemblée :

    Mots d’accueil de Sœur GIAC NGHIEM, Prieure du Monastère de l’Inspir
    Et de Paula KASPARIAN, Présidente d’Artisans de Paix

    Chant chrétienSandrine TREUILLARD

    A l’écoute des signes annoncés par nos textes fondateurs respectifs :

    L’un et l’autre Testament : Sandrine TREUILLARD
    Coran : Théophile (Ahmad’Ali) de WALLENSBOURG
    Sutras Bouddhique : Sœur GIAC NGHIEM

    Invocation musulmane, Dikhr
    Théophile (Ahmad’Ali) de WALLENSBOURG

    Contemplant le témoignage de ceux en lesquels ces textes ont pris corps :

    Tradition chrétienne : Sandrine TREUILLARD
    Tradition islamique : Théophile (Ahmad’Ali) de WALLENSBOURG
    Tradition Bouddhique : Sœur GIAC NGHIEM

    Offrande de prière bouddhique
    Jean-Luc CASTEL et Vincent PILLEY

    Devenant chacun et ensemble,  prière vivante accueillant la Paix parmi nous,
    La recevant les uns des autres et  nous La donnant les uns aux autres :

    À l’écoute du Souffle ténu qui prend corps parmi nous,
    Se risquer à parler à Celui que certains appellent Dieu
    et que d’autres ne nomment pas,
    Se taire si l’on préfère ; en tous les cas, recevoir et transmettre la lumière.

    Offrande de prière bouddhique
    Moniales du MONASTÈRE DE L’INSPIR

    Témoins des Fraternités Artisans de Paix dont l’espérance prend corps parmi nous,
    Donner à goûter la paix dans le monde d’aujourd’hui, bénédictions et envoi :

    Fraternité eucharistique : Sandrine TREUILLARD
    Fraternité islamique : Théophile (Ahmad’Ali) de WALLENSBOURG
    Fraternité bouddhique : Sœur GIAC NGHIEM et ses Moniales

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    [1] Redemptoris Missio : Lettre encyclique du pape Jean-Paul II, du 7 décembre 1990.

    [2] 8 mai 1994 : Sur les hauteurs de la Casbah, à Alger, se tient un ancien palais oriental. C’est là qu’est aménagé la bibliothèque Ben Cheneb, fréquentée par des étudiants. L’établissement est confié à la direction du frère Henri Vergès, mariste, ex-professeur de mathématiques. Il est assisté de la sœur Paule-Hélène Saint-Raymond, Petite Sœur de l’Assomption, autrefois ingénieur à l’institut français du pétrole et ancienne de l’école Sainte-Marie de Neuilly. Trois agresseurs en tenue de policiers font irruption dans la bibliothèque et les abattent. L’imam de la mosquée locale dénonce ce crime et est assassiné à son tour. (source : Famille chrétienne n° 2134)

     

  • La rencontre de l’Autre au cœur de la violence : Le message des sept moines de Tibhirine

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    Le Père Armand Veilleux était procureur de l’ordre des moines Trappistes-Cisterciens en 1996. Deux mois avant l’enlèvement des sept moines de Tibhirine (nuit du 27-28 mars 1996), il faisait une visite canonique à Notre-Dame de l’Atlas. En 2003, il a porté plainte auprès de la justice française, au nom de l’Ordre (l'Ordre cistercien de la Stricte Observance), pour que la vérité soit faite sur les circonstances de leur assassinat. Il est actuellement abbé émérite de Scourmont (Chimay), en Belgique. Dans cette conférence qu’il donna à Bruxelles en 2016, il expose le message spirituel de la vie des moines de Tibhirine qui ont été béatifiés le 8 décembre 2018, à Oran.

    Reliquaire, Icône, Autel.jpg

    Reliquaire contenant : la Bible du Bhx Christian de Chergé ; l'anneau de la Bhse Esther Paniagua Alonso ; l'étole du Bhx Pierre Claverie ; Icône des 19 martyrs d'Algérie béatifiés ce 8 décembre 2018, en la solennité de l'Immaculée Conception à Notre-Dame de Santa-Cruz d'Oran. Devant l'autel du Monastère de Tibhirine. Arrêt sur image de la messe de béatification des 19 martyrs d'Algérie, le 8 décembre 2018 à Notre-Dame de Santa-Cruz, à Oran, vidéo produite par KTO.

    La rencontre de l’Autre au coeur de la violence

    Le message des sept moines de Tibhirine

    Les 7 moines martyrs de Tibhirine.jpg

                Il y a déjà 20 qu’un groupe de sept moines cisterciens-trappistes étaient enlevés, puis tués en Algérie. Leur mort suscita de vives émotions ainsi que de quasi-unanimes condamnations dans tout le monde occidental, aussi bien musulman que chrétien. C’est du sens de leur vie, encore plus que de leur mort, que je voudrais vous entretenir ce matin.

                Je rappelle tout d’abord très rapidement les faits, qui sont d’ailleurs assez bien connus : Au cours de la nuit du 25 au 26 mars 1996 un groupe d'hommes armés fit irruption dans le monastère de Notre-Dame de l'Atlas à Tibhirine en Algérie et séquestra les sept moines qu'ils y trouvèrent. Au bout d’une longue attente d'environ un mois, durant laquelle on ne sut rien ni d’eux ni de leurs ravisseurs, un premier message signé par un chef du GIA (Groupe Islamique Armé) du nom de Djamel Zitouni revendiquait l'enlèvement des moines et proposait au président de la République française leur libération en contrepartie de celle de prisonniers islamistes. Finalement, après un autre mois d’attente, au cours duquel il y eut diverses tractations sur lesquelles la lumière n’a pas encore été faite totalement, et qui échouèrent, un deuxième communiqué annonçait leur mort. Quelques jours plus tard on célébrait dans la cathédrale d’Alger leurs funérailles, en même temps que celles du Cardinal Duval, décédé quelques jours auparavant, et ils étaient enterrés dans le cimetière du monastère à Tibhirine même, en présence d’une population locale entièrement musulmane qui les aimait et qui pleurait leur mort.

                Ceci est évidemment un résumé très bref des faits. Pour les interpréter, je crois que nous pouvons prendre notre inspiration dans le Testament de Dom Christian de Chergé, prieur de la communauté de Tibhirine et l’un des sept moines assassinés. Ce testament spirituel écrit deux ans avant les événements et ouvert le dimanche de la Pentecôte 1996, quelques jours après l’enterrement des moines, restera sans doute l’une des plus belles pages de la littérature religieuse du 20ème siècle. Les premières lignes de ce Testament nous donnent tout de suite le cadre de notre analyse : 


    « S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui –

    d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant

    tous les étrangers vivant en Algérie,

    j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille,

    se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays.

    (…)

    Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat. »
               

    Christian de Chergé Séminaire Carme.jpg            Christian est un moine qui a choisi de vivre dans la solitude une communion avec Dieu. Il sait cependant qu’une communion authentique avec Dieu n’est pas possible sans une communion tout aussi authentique avec ses frères, comme avec l’Église et la société. Il conserve tous ses liens avec ceux qu’il appelle, non sans une touche d’intimité : ma communauté, mon Église, ma famille. Sa vie n’a pas été simplement « donnée à Dieu » ; mais ce don à Dieu a été incarné dans un don à « ce pays », l’Algérie, qu’il aimait tant. Et, finalement, il n’oublie pas que s’il était victime de la violence qui engloutissait alors l’Algérie, il ne serait qu’une des milliers de victimes de la même violence.  

    Les moines de Tibhirine -groupe.jpg

                Ce texte fut rédigé dans un contexte bien précis du drame algérien. Il porte deux dates : « Alger, 1er décembre 1993 et Tibhirine, 1er janvier 1994 ». La première date correspond au moment où, après les attentats dans le métro de Paris et la prise d’otage des passagers d’un Airbus français qui s’était terminée dans le sang à l’aéroport de Marseille, le GIA (Groupe islamiste armé) demandait à tous les étrangers de quitter l’Algérie, les menaçant de mort. C’est le jour où Christian rédigea la première mouture de son Testament. Le texte reçut sa forme finale un mois plus tard. Entre-temps, divers événements tragiques étaient survenus. D’abord douze ouvriers Croates chrétiens avaient été égorgés à Tamezguida, à quelques kilomètres du monastère et, durant la soirée du 24 décembre, six islamistes armés s’étaient présentés au monastère en présentant des requêtes et des exigences. Durant les jours suivants les moines avaient longuement réfléchi en communauté sur l’opportunité de rester ou de partir. Ils avaient finalement opté unanimement pour rester. Parmi les raisons de rester étaient leur solidarité avec la population locale. Or, pour comprendre la nature et l’importance de cette solidarité, il faut retourner encore un peu plus haut dans l’histoire et considérer le contexte de l’implantation de cette communauté monastique en terre algérienne.

     

    ... Un peu d’histoire de l’Algérie

                Il y avait eu une chrétienté florissante en Afrique du nord au temps de Tertullien et de Cyprien de Carthage et d'Augustin d'Hippone. Cette partie de l'Afrique était alors une colonie romaine. Lorsque Augustin mourut les barbares étaient aux portes de Carthage, et l'église latine d'Afrique du Nord ne survécut guère à l'écroulement de l'Empire romain d'Occident. Elle avait à peu près déjà disparu au moment des invasions musulmanes.

    Une première fondation trappiste fut faite en Afrique du Nord du temps de la colonisation française, à Staouëli, à 17 kilomètres à l'ouest d'Alger. Fondée par l'abbaye d'Aiguebelle en 1843, treize ans après la conquête de l'Algérie par les Français, cette fondation avait acquis une certaine notoriété par son développement rapide. Elle était toutefois très liée au système colonial, dans son esprit et son mode d'implantation. Elle fut fermée en 1904. Notre-Dame de l'Atlas, une nouvelle communauté, d'un style et d'un esprit très différent fut fondée à proximité de Médéa quelque 30 ans plus tard.

                Comme beaucoup de monastères nés au 19ème siècle, ou au début du 20ème, la communauté de Notre-Dame de l'Atlas commença comme un refuge. Un groupe de moines du monastère de Notre-Dame de la Délivrance en Slovénie, dans la crainte d'être chassés, ouvrirent un refuge à Ouled-Trift en 1934, transféré à Ben Chicao en 1935 et à Tibhirine, à 7 kilomètres de Médéa, en 1938. Le refuge fut alors assumé par l'abbaye française d'Aiguebelle et transformé en véritable fondation, qui devint bientôt une communauté monastique autonome. C’est sans doute partiellement à cause de ces humbles débuts que cette communauté établit des relations d'amitié et de collaboration avec la population locale qui, en quelque sorte, l'adopta. Ces liens établis avec la population locale, permirent à la communauté, même si elle était composée entièrement de Français, de passer sans grandes difficultés à travers la guerre d'indépendance d'Algérie. L'un des moines, le frère Luc, fut bien pris comme otage par le FLN, mais libéré au bout de quelques jours, dès qu’on sut qui il était.

                Ce frère, qui était médecin, eut un impact énorme sur le développement de la communauté et surtout sur son intégration dans la société locale, longtemps avant l'Indépendance de l’Algérie. Né en 1914, il avait connut encore enfant les terribles violences de la première Guerre Mondiale et les souffrances de l'après-guerre. Jeune médecin, il connut les violences de la seconde Guerre Mondiale, au cours de laquelle il se porta volontaire pour soigner les prisonniers dans les camps de concentration nazis. Entré ensuite à l’abbaye d’Aiguebelle, en France, il arrivait en Algérie en 1946. Aussitôt, il ouvrit dans l'enceinte du monastère un dispensaire où, depuis cette date jusqu'à sa mort en 1996 – donc, durant un demi-siècle – il soigna quiconque se présentait à lui, sans regard à la nationalité, à l'appartenance politique ou à la religion. Tous l'aimaient et le respectaient parce que tous se savaient aimés et respectés de lui. Au début, son dispensaire suppléait à l'absence de services publics de santé. Si l'on continua à venir à lui longtemps après l'installation d'autres dispensaires et d'hôpitaux publics dans la région, c'est qu'on trouvait chez lui non seulement un toubib au diagnostic presque toujours exact, mais aussi un homme de Dieu incarnant dans son mode d'être, à la fois très humain et très surnaturel, la sollicitude pastorale du Fils de Dieu. Homme d'une grande liberté intérieure, muni d'un sens de l'humour désarmant, il n'avait peur de rien ni de personne. Aucune menace, de quelque quartier qu'elle vienne, n'aurait pu l'empêcher de témoigner jusqu'au bout, même au risque de sa vie, l'amour universel à quiconque avait besoin d'être soigné.

                L’année 1946, durant laquelle frère Luc était arrivé à Tibhirine marquait l’arrivée en Algérie, comme évêque de Constantine, de Monseigneur Léon-Étienne Duval (qui deviendra le Cardinal Duval), un homme qui marqua profondément l'Église d'Algérie et aussi la communauté de Tibhirine. Nommé à la tête de l'archidiocèse d'Alger en 1954, vers la fin de la période coloniale, alors que rien ne semblait l'avoir préparé à une situation aussi complexe, il s'était révélé l'homme de l'heure. Au cours de la guerre d'indépendance, il se fit respecter de tous, sauf des extrémistes d'un côté comme de l'autre, en affirmant sa foi en la possibilité pour tous – Algériens et Français, musulmans et chrétiens – de vivre en frères et dans l’harmonie. Il ne cessa de condamner la violence – toutes les violences, de quelque côté qu'elles viennent. C'était une prise de position fort dangereuse, et c'est un miracle qu'il n'ait jamais été éliminé. Dieu a voulu qu'il demeure, jusque dans un âge avancé et longtemps après l'abandon de ses fonctions officielles, un témoin fidèle de ce type de témoignage chrétien. Les moines de Tibhirine incarnaient le témoignage qu'il avait lui-même vécu tout au long de son épiscopat ; et c’est sans doute la peine profonde causée par l'écroulement apparent de la cohabitation et de la forme de fraternité universelle qu'il avait désirée en Algérie, qui fut la cause immédiate de sa mort. 

                À la fin de la guerre d’indépendance, la situation des Chrétiens d’Algérie était radicalement changée. L'Église d'Algérie, composée en très grande partie de français ou de "pieds-noirs", fut réduite à un tout petit reste, à cause de l'exode massif de ces deux groupes vers la France. Les conversions au christianisme étaient devenues à peu près impossibles – au moins les conversions ouvertement reconnues. Un recrutement local devenant exclu, on pouvait se poser des questions sur l'opportunité de maintenir en Algérie une communauté monastique désormais très réduite en nombre et qui ne pourrait plus se recruter sur place. Les autorités de l'Ordre cistercien décidèrent donc la fermeture du monastère. Mais le Cardinal Duval, ayant depuis longtemps reconnu dans la communauté de Tibhirine une réalisation de son idéal de présence chrétienne, protesta vigoureusement, et le monastère ne fut pas fermé. Cette simple présence d'une communauté monastique chrétienne, quelle que soit la nationalité de ses membres, au milieu d'un peuple musulman, lui semblait d'une importance capitale. La communauté fut maintenue et son témoignage trouva son épanouissement dans la mort de sept de ses membres, en 1996.

                À un certain moment, tout de suite après l'Indépendance en 1960, la communauté fut réduite à seulement deux ou trois personnes. Elle fut ensuite reconstituée avec des moines venant de diverses communautés appartenant à des traditions monastiques différentes. Tous étaient des caractères forts, ayant choisi de venir en Algérie. Il n'était certainement pas facile de faire une communauté homogène à partir de tels éléments. Et pourtant, à travers le dialogue, la prière et une attention contemplative aux manifestations de Dieu, ils arrivèrent à une unité très profonde qui les maintint ensemble durant les trois dernières années de leur vie, qui furent des années exigeantes et très dangereuses.

                Il va sans dire que l'arrivée de Christian de Chergé fut un moment décisif pour la communauté. Trajectoire toute spéciale que celle de sa vocation. De famille de militaires, il avait passé son enfance en Algérie, où sa mère l'avait formé à un profond respect de l'Algérien et du Musulman. Il était ensuite revenu en Algérie durant la guerre, comme jeune officier et avait alors noué une amitié avec un Arabe musulman qui lui a d’ailleurs sauvé la vie au prix de la sienne. D'abord prêtre séculier du diocèse de Paris, il sentit l'appel à la vie contemplative et choisit le monastère de Notre-Dame de l'Atlas à Tibhirine. Avec l'accord de ses supérieurs, il fit d’abord à Rome, au PISAI, des études de langue et de culture arabe. Ayant développé une connaissance assez approfondie et un grand amour pour la religion de l'Islam, il s'impliqua et impliqua profondément sa communauté dans le dialogue interreligieux. Après son élection comme prieur de sa communauté, en 1984, il guida celle-ci dans une orientation plus explicite vers ce dialogue interreligieux, qui venait couronner les autres formes de communion déjà pratiquées dans la vie de tous les jours, dans la fraternité et l’amitié.

                Le monastère de Tibhirine devint, au fil des années, un lieu de dialogue chrétien-musulman. Ce fut le fruit d'une évolution naturelle et non de quelque chose de programmé. Des musulmans profondément religieux se mirent graduellement à fréquenter le monastère. Par la suite, un groupe de dialogue chrétien-musulman, le Ribat es-Salam se constitua, qui se réunissait régulièrement au monastère, pour prier et échanger. (Trois des onze missionnaires assassinés avant les frères de Tibhirine étaient membres de ce groupe).  

                Quelques années après l'élection de Christian comme prieur, la communauté accepta, à la demande insistante de l'évêque de Rabat, de fonder une maison annexe dans le diocèse de Fez au Maroc. Cette fondation eut plusieurs rôles. D'abord elle instaurait au Maroc, un pays entièrement musulman, une présence chrétienne contemplative semblable à celle de Tibhirine en Algérie. De plus elle permettait aux quelques membres anciens de N.-D. de l'Atlas, qui se sentaient moins à l'aise avec l'orientation nouvelle donnée à la communauté par Christian, de continuer au Maroc une présence chrétienne moins explicitement impliquée dans le dialogue interreligieux. Enfin, elle permit providentiellement à la communauté de N.-D. de l'Atlas de survivre à la tragédie de 1996.  

     

    La crise politique de 1990 et des années suivantes

                Considérons maintenant les années qui précédèrent cette tragédie. C’est en 1988 que commença à se manifester l’insatisfaction de la population à l’égard d’un pouvoir perçu comme corrompu. Cette insatisfaction grandit de plus en plus et favorisa la croissance d'un mouvement islamiste, le FIS (Front Islamiste du Salut). À la fin de 1991, lors d'élections nationales dont il apparut évident que le FIS sortirait vainqueur, les militaires arrêtèrent le processus électoral et prirent de nouveau le pouvoir. L'Algérie allait entrer dans une période de violence armée qui dure jusqu'à nos jours, et qui a fait à cette date entre 200.000 et 250.000 victimes, la plupart parmi la population civile – sans compter un million et demi de personnes déplacées à l’intérieur du pays, jusqu’à aujourd’hui. Aussi bien la violence de l'armée, que celle des groupes de résistance islamistes, se radicalisa de plus en plus. Les moines de Tibhirine se voulaient très solidaires de la population locale. Donc, lorsque nous pensons à leur mort, nous devons penser aussi non seulement aux autres religieux catholiques qui furent tués avant eux, mais aussi aux milliers d'Algériens qui furent victimes de la même violence. Parmi ces victimes on pouvait compter de nombreux imans qui furent victimes de leurs appels à la paix et de leur refus de toute violence, qu’elle vienne des islamistes ou de l’armée.

                J’ai mentionné plus haut la ”visite” d’un groupe d’islamistes armés au monastère de Tibhirine, dans la soirée du 24 décembre 1993. Il vaut la peine de s’y arrêter. Le chef du groupe, l'émir Sayah Attiya, était reconnu comme un terroriste d'une violence redoutable. Il était responsable de la mort des douze Croates et aurait, selon les forces de sécurité, égorgé 145 personnes. Son échange avec le Père Christian, supérieur de la communauté de Tibhirine, fut exceptionnel. Père Christian, en appelant au Coran, lui dit que le monastère était un lieu de prière où jamais aucune arme n'avait pénétré et exigea que la conversation ait lieu à l'extérieur du monastère. Ce à quoi Attiya se plia. Il présenta aux moines, en tant que "religieux" comme lui-même et son groupe d'Islamistes, trois exigences de coopération. À chacune Christian répondit que ce n'était pas possible ; chaque fois il dit : « vous n'avez pas le choix » ; et chaque fois Christian répondit : « oui, nous avons le choix ». Il partit en disant qu'il enverrait ses émissaires avec un mot de passe. Lorsqu'au moment de son départ Christian lui dit : « Vous êtes venus ici en armes au moment où nous nous préparions à célébrer Noël, la fête du Prince de la Paix », il répondit : « Excusez-moi, je ne savais pas. »

                Le miracle fut que non seulement Sayah Attiya repartit ce soir-là sans égorger les moines et sans les brutaliser, mais qu'il ne revint pas et n'envoya pas ses émissaires. Lorsque, environ deux mois plus tard il fut blessé gravement dans un affrontement avec les forces de sécurité, il agonisa durant neuf jours dans la montagne, tout près, mais n'envoya pas chercher le médecin du monastère, ce qui avait été l'une des exigences auquel Christian avait dit qu'il ne pouvait pas répondre. Jamais les moines n'achetèrent leur sécurité par quelque concession que ce soit, et ils ne cautionnèrent jamais quelque violence que ce soit ; mais pour eux, toute personne, même le terroriste, demeurait une personne humaine digne de compréhension. Dans l’esprit d’islamistes, comme Ali Benhadjar, qui était présent à ce dialogue entre Christian et l’émir Attiya, celui-ci décida alors que les moines, en tant que religieux, ne devaient pas être l’objet de violence de la part de ses hommes.

                Lorsque plus tard, l'administration algérienne voulut imposer au monastère une protection militaire armée, la communauté refusa nettement cette protection, utilisant le même argument : les armes n'ont pas de place dans un lieu de prière et de paix.                     

                On peut constater des constantes dans ces morts. Tous ces témoins étaient des personnes qui avaient établi des liens d'amitié avec le peuple algérien et qui vivaient en grande communion avec le petit peuple, dont ils partageaient la vie. Tous ont été tués dans le milieu où ils vivaient et travaillaient. Il est clair que le message donné par les assassins – ou leurs mandataires – était que cette proximité et cette fraternité étaient précisément ce qui dérangeait et qu'on voulait faire cesser. On ne leur reprochait pas d'être des prosélytes, ce qu'ils n'étaient pas. On leur reprochait d'être des personnes de communion, et de condamner par leur vie-même toute forme d'exclusion et toute forme de violence, de quelque côté qu'elle vienne, et au nom de quelque idéal – religieux ou politique – qu'elle soit exercée.

               

    La solidarité avec ceux qui ne pouvaient pas partir 

                Après chacune de ces tragédies, dont les victimes étaient dans plusieurs cas des amis intimes de la communauté de Tibhirine, celle-ci se posa la question : Fallait-il rester ou partir ? Chaque fois les moines décidèrent de rester. Pourquoi ?

                En Europe, certains disaient alors qu'on comprenait que des "missionnaires" demeurent pour continuer leur "apostolat", mais pas des moines qui, de toute façon, pouvaient mener leur vie de prière n'importe où ailleurs... C'était ne rien comprendre à leur vie. La vie contemplative ne se vit pas dans l'abstrait. Elle est toujours incarnée, enracinée dans un lieu et un contexte culturel bien concret.

                Le moine cistercien, qui vit selon la Règle de saint Benoît, fait vœu de stabilité. Cela implique non seulement la stabilité dans la vocation monastique, mais aussi la stabilité dans une communauté bien concrète et, à moins d'une mission spéciale, dans un lieu déterminé. Bien sûr, une communauté tout entière peut se déplacer, mais elle ne peut le faire sans tenir compte des liens qu'elle a établis avec la société et la culture locale. La communauté de Tibhirine ne se comprenait pas sans son enracinement dans les montagnes de l'Atlas, sans ses liens d'amitié avec toute la population de Tibhirine, de Draa Esnar, de Médéa. Dans une prédication de retraite donnée à Alger quelques semaines avant l'enlèvement, Christian disait, avec une jeu de mot périlleux : « ... j'affiche cette différence : je viens de la montagne... »

                Les frères étaient conscients que la population locale était elle-même prise dans un étau entre deux violences opposées – celle des islamistes radicaux et celle de l’armée – et qu'elle n'avait pas le choix de fuir. Pour les moines, fuir eut alors été un manque de solidarité avec ceux dont ils avaient partagé la vie dans les moments de paix. Après le martyre de Henri et Paule-Hélène, Christophe écrit dans son journal : « On ne peut pas oublier et partir sans trahir ce qui reste une grâce de proximité, d'amitié de vérité. » (29/05/1995). Mohammed, le gardien, avait dit à Christophe : « Vous, vous avez encore une petite porte par où partir. Pour nous : non, pas de chemin, pas de porte. » Et un autre voisin, Moussa, avait dit à Christian : « Si vous partez, vous nous privez de votre espoir et vous nous enlevez notre espoir. » Il n'eut pas été chrétien de partir. Ils restèrent. Les frères considéraient leur présence comme une affirmation du droit à la différence – droit qu'ils réclamaient pour le peuple des environs aussi bien que pour eux-mêmes.

                Ils n’étaient pas naïfs, loin de là. Sans cesse ils analysaient soigneusement la situation politique du pays et de la région, non pas pour réagir en politiciens mais pour donner à cette situation, dans leur vie de tous les jours, une réponse évangélique. Leur unanimité se fit dans la prière plus qu’à travers les discussions ou les échanges. « La violence me tue et je dois trouver quelque part un appui pour ne pas me laisser emporter par ce flux de mort », écrivait Christophe en son Journal (11/07/1995).

                Aucun d'entre eux ne désirait le martyre. Ils aimaient la vie et redoutaient la mort. Mais ils l'avaient consciemment et explicitement acceptée si c'était la volonté de Dieu. Dans une lettre circulaire du 21 novembre 1995, ils avaient écrit : « La mort brutale – de l'un de nous, ou de tous à la fois – ne serait qu'une conséquence de ce choix de vie à la suite du Christ.[1] »

                Lorsque, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 un groupe d'hommes armés se présentèrent au monastère et les amenèrent en direction de Médéa, aux yeux de ceux qui ont pu les voir traverser le village encadrés d'hommes armés, ils avaient l'air de suivre des terroristes. En réalité ils suivaient le Christ.

                S'il fallait mourir, ils voulaient le bien faire ! Le vieux frère Luc, qui avait depuis longtemps demandé qu'on chante à ses funérailles la chanson d'Edith Piaff "Non, je ne regrette rien", fit à la Prière universelle de l'Eucharistie, le 31 décembre 1994 – donc quelques jours après la visite dramatique de la nuit de Noël – la prière suivante : « Seigneur, fais-nous la grâce de mourir sans haine au cœur. » L'inspiration de cette belle prière a été reprise dans le Testament de Christian.

     

    Encore le Testament

                En effet, tout ce qui précède nous permet, je crois, de mieux comprendre plusieurs passages très denses du Testament de Christian de Chergé, et de percevoir à quel point la mystique et la politique s’y marient dans une solidarité d’inspiration et d’orientation profondément chrétienne.

                Dans ce texte qu’il adresse, comme nous l’avons vu, à sa communauté, son Église, et sa famille, à qui il demande de prier pour lui, il affirme sa conscience d’une responsabilité collective de la violence et du mal :


    « J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal

    qui semble, hélas, prévaloir dans le monde,

    et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. »

                Le vrai mystique n’est pas celui qui prie pour « les pécheurs », comme s’il s’agissait d’une catégorie d’hommes à part. Il prie pour eux, parce qu’il en est solidaire, se sachant lui-même pécheur.

                Du mal qui lui serait fait personnellement, il veut pardonner, mais il sait bien que seule la grâce peut rendre capable de pardonner. Bien plus, il est si conscient de sa co-responsabilité dans tout le mal qui existe sur la terre, qu’il sent le besoin d’être lui-même pardonné du mal qui pourrait le toucher :


    J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité

    qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu

    et celui de mes frères en humanité,

    en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m’aurait atteint. »

                Dans les lignes suivantes de son Testament, Christian affirme très clairement qu’il ne désire aucunement la mort, même pas celle du martyre. Et ce qui est le plus impressionnant est la raison qu’il donne pour ne pas désirer cette grâce :


    « Je ne saurais souhaiter une telle mort.

    Il me paraît important de le professer.

    Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir

    que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.

    C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut-être, la ”grâce du martyre”

    que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit,

    surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’Islam. »

                Il fait ensuite allusion aux caricatures de l’Islam qu’encourage un certain islamisme radical et regrette qu’on identifie l’Islam, qui est avant tout une voie religieuse, avec les intégrismes de ses extrémistes. Ces propos sont sans doute encore plus d’actualité aujourd’hui alors que, surtout depuis le 11 septembre 2001, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, on monte de toutes pièces une guerre des civilisations entre l’Occident que, pour les besoins de la cause, on considère chrétien et le monde arabe, qu’on identifie à l’Islam, et plus précisément à un Islam intégriste.


    « L’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme.

    Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu,

    y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile. »

                Vient ensuite la partie proprement mystique de ce Testament. Il fait allusion à ceux qui le trouvaient quelque peu naïf dans son dialogue avec l’Islam et il se réjouit déjà de pouvoir contempler ses frères musulmans avec les yeux mêmes de Dieu. Combinant dans un raccourci gigantesque l’enseignement de la Genèse sur la création de l’homme et de la femme à l’image et à la ressemblance de Dieu, et la doctrine patristique sur la perte de la ressemblance divine par le péché et son rétablissement par la grâce, de même que les réflexions de Lévinas sur le respect de la « différence », il se représente Dieu rétablissant la ressemblance chez tous ses enfants, en « jouant » avec leurs différences, un peu comme un enfant jouant avec le sable... ou la glaise (ce qui est une allusion au récit biblique de la création).


    « ... sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité.

    Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu,

    plonger mon regard dans celui du Père

    pour contempler avec lui Ses enfants de l’Islam

    tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ,

    fruit de sa Passion, investis par le Don de l’Esprit

    dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion

    et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences. »

                Cet admirable texte se termine par un « merci » adressé non seulement à Dieu, mais à sa famille, à tous les siens, à tous ses amis, étendant ce « merci » également à celui qui pourrait lui trancher la gorge :


    « Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais.

    Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « A-DIEU » en-visagé de toi.

    Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux,

    en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.

    AMEN

    Insh’ Allah. »

                Remarquons en passant le sens, probablement emprunté à Lévinas (qu’il lisait à ce moment-là), qu’il donne au mot « en-visagé » (qu’il écrit d’ailleurs en deux mots, avec un trait d’union. Il avait alors écrit, en dehors de son Testament les mots : « Quand un A-DIEU s’envisage », écrivant aussi le mot a-dieu avec un trait d’union ; le sens étant « quand le chemin vers Dieu prend un visage, ou reçoit un visage ». Il veut donc voir la manifestation de Dieu dans le visage de son bourreau.

                Quelle que soit l’impression très forte faite par leur mort aussi bien en Algérie qu’en France et ailleurs, et quels que soient les résultats de l’enquête judiciaire en cours, il reste que l’impact le plus important de ces quelques moines aura été celui, non pas de leur mort, mais de leur vie. En continuant de vivre tout simplement leur vie monastique de tous les jours dans des circonstances sociales et politiques qui devenaient de plus en plus compliquées et dangereuses, ils se sont manifestés de vrais mystiques répondant à leur vocation monastique d’une vie de communion avec Dieu incarnée dans une communion avec des frères, avec la Société et l’Église locales, aussi bien qu’avec la culture de leur temps.

                On ne peut qu’espérer que les effets en profondeur de cette communion aident l’Algérie à sortir complètement du cycle de violence qui continue de l’affliger et concourre à une compréhension et un dialogue toujours plus grands entre Musulmans et Chrétiens. Les mystiques vont souvent à contre-courant. Le témoignage des moines de Tibhirine va réellement à l’encontre de tout le courant actuel de conquête et d’imposition à l’échelle mondiale d’un type de société et de culture.

                La rencontre de l’Autre, qu’on peut considérer comme une définition de l’expérience mystique, ne peut jamais se réaliser sans la rencontre de l’autre – tout être humain quel qu’il soit – dans la pleine acceptation et le plein respect de sa « différence ». C’est quand on continue tout bonnement de vivre cette rencontre, même lorsqu’elle dérange, que l’on devient « martyr ». 


    Armand Veilleux Béatificat° Oran 8-XII-2018.jpg

     

     

     

    Armand Veilleux

    Conférence donnée à Bruxelles, en 2016.

    Photo ci-contre : arrêt sur image du Père Veilleux portant l'étole à l'inscription en arabe "Dieu est amour", lors de la procession d'entrée de la messe de béatification des 19 martyrs d'Algérie, à Notre-Dame de Santa-Cruz d'Oran, le 8 décembre 2018. Célébration filmée par KTO.

     


    [1]
    Sept Vies pour Dieu et l'Algérie, Bayard / Centurion, 1996, p. 180.

    Autre site : www.moines-tibhirine.org

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    Réunion interreligieuse de prière

    Maison Soufie – Saint-Ouen                                                                   Mardi 20 novembre 2018

    Faire silence pour écouter


    Préalable à la lecture de l’Évangile (Jean 8, 1-12)

    Comme le préconise Ignace de Loyola pour la lecture priée d’un passage de l’Écriture sainte, je vous invite à vous représenter la scène que nous allons lire : figurez-vous la saynète, voyez mentalement les personnages dans l’espace décrit. Attachez-vous aux gestes de Jésus, à ses regards ou absence de regard… et à ceux qui l’entourent.

    Situation du passage de l’Évangile

    Les gardes, que les chefs des prêtres et les pharisiens, bien décidés à le faire mourir, avaient envoyés arrêter Jésus, reviennent bredouilles. Ayant entendu Jésus parler, les gardes, édifiés, n’ont pas osé l’arrêter : « Jamais un homme n’a parlé comme cet homme ! » disent-ils à ceux qui les interrogent à leur retour. — Ils se voient répondre par les pharisiens, vexés et en colère : « Alors, vous aussi, vous vous êtes laissé égarés ? » — Mais, parmi les pharisiens, Nicodème, qui était allé trouver Jésus de nuit pour lui parler, leur dit : « Est-ce que notre Loi permet de condamner un homme sans l’entendre d’abord pour savoir ce qu’il a fait ? » — Dépités, les chefs des prêtres et les pharisiens retournent chez eux. Chacun retourne chez soi en cette fin de journée. — Quant à Jésus, il s’en alla au mont des Oliviers où il passe la nuit, qui est le lieu de silence et de solitude, propice à la prière, au colloque intérieur avec Dieu le Père.


    ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN (8,1-12)

    01 Quant à Jésus, il s’en alla au mont des Oliviers.

    02 Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui,
    il s’assit et se mit à enseigner.

    03 Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu,

    04 et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère.

    05 Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? »

    06 Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre.

    07 Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. »

    08 Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre.

    09 Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu.

    10 Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? »

    11 Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »


    Faire silence pour écouter
    est une attitude de paix dont use Jésus dans ce passage de l’Évangile de Jean, déjà préconisé dans l’Ancien Testament :

    Isaïe 33

    15 Celui qui va selon la justice et parle avec droiture, qui méprise un gain frauduleux, détourne sa main d’un profit malhonnête, qui ferme son oreille aux propos sanguinaires et baisse les yeux pour ne pas voir le mal,

    16 celui-là habitera les hauteurs, hors d’atteinte, à l’abri des rochers. Le pain lui sera donné ; les eaux lui seront assurées. »

     

    « Faire silence pour écouter » & sainte Jeanne de France

    Sainte Jeanne de France (1464 -1505)

                Née en 1464, à Nogent-le-Roi (28 - Eure-et-Loir, à 80 km à l’ouest de Paris entre Dreux & Chartres), Jeanne est la fille du roi Louis XI et de la reine Charlotte de Savoie.

                De 5 ans à 19 ans, elle réside au château de Lignières-en-Berry, où elle vit retirée de la cour, en exil forcé à cause de son handicap dû à une maladie osseuse. En effet, elle est voutée et sera surnommée ‘Jeanne la boiteuse’.

                À 7 ans, dans l’oratoire de Lignières, elle reçoit en elle l’intuition spirituelle qu’un jour elle fondera un Ordre religieux dédié à la Vierge Marie. Les années vont passer.

                À 12 ans, elle est imposée en mariage par son père à Louis d’Orléans, de deux ans son aîné, qui jamais n’accepta ce mariage forcé. Vont suivre 22 ans de vie conjugale difficile.

                Elle a 34 ans en 1498, quand son frère le roi Charles VIII meurt accidentellement. Louis d’Orléans devient alors roi de France (Louis XII) et Jeanna devient de ce fait reine de France. Il fera alors reconnaître par Rome la nullité du sacrement du mariage avec Jeanne pour épouser Anne de Bretagne qu’il convoitait depuis longtemps, qui de veuve de Charles VIII, deviendra alors reine de France à la place de Jeanne. Jeanne, elle, devient duchesse du Berry.

                En 1502, elle concrétise alors l’intuition reçue en sa jeunesse : elle fonde à Bourges l’Ordre de la Vierge Marie, l’Annonciade, avec l’aide de son père spirituel et confesseur franciscain, le bienheureux Gabriel-Maria. 

                Elle meurt trois ans plus tard, le 4 février 1505.

                Béatifiée en 1742, Jeanne de France est canonisée par Pie XII en 1950.

    Ste Jeanne de France (anonyme).jpg

                L’Annonciade, cet Ordre de la Vierge Marie, tire son nom de l’Annonciation.
    L’Annonciation est ce moment où Marie a reçu l’Esprit Saint qui lui fit concevoir la vie de Jésus, Fils de Dieu, le Verbe fait chair, en elle. Annonciade est un néologisme qui résume l’attitude d’écoute et d’accueil de la Vierge Marie de faire la volonté de Dieu, au moment de l’Annonciation, quand l’archange Gabriel lui révèle le dessein de Dieu sur elle. Elle répond à l’ange : « Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole ». Dieu a choisi la Vierge Marie pour être la mère de Jésus pour ses qualités d’accueil, d’écoute, d’humilité, d’obéissance. Parce que Marie est avant tout une femme de prière attentive à la Parole de Dieu. Telle est la spiritualité de sainte Jeanne de France : vivre l’Évangile en se conformant aux attitudes intérieures de la Vierge Marie, décrites dans les Évangiles de Luc et de Jean.
     

    « Faire silence pour écouter » dans la vie de Jeanne de France

    stPJEymard portrait rosé.jpgPermettez-moi de citer un autre saint que j’affectionne tout particulièrement pour vous montrer comment Dieu s’adresse à une âme qu’il a choisie. Saint Pierre-Julien Eymard dans une prédication sur le recueillement écrit ceci : « Il (Dieu) commence par (l’)isoler (l’âme) du monde afin de l’avoir plus à lui – c’est l’époux qui veut avoir à lui seul son épouse ». Ailleurs, à propos de la vie intérieure : « La vie intérieure est le sanctuaire du Saint Esprit dans lequel il forme l’âme fidèle à l’esprit et à la vie de Jésus. Elle est le tabernacle où Dieu rend ses oracles, fait entendre à l’âme sa douce et aimable voix, lui révèle sa vérité, l’attire à sa charité, la remplit des dons de sa bonté. Elle est le règne de Dieu dans une âme. »

                Et enfin, dans un Traité (sur la prière) d’oraison : « On peut dire que le fruit le plus précieux et le plus parfait de l’oraison, c’est de mettre l’âme dans un plus grand recueillement. C’est la condition et la preuve divine et sensible de l’opération de la grâce d’union avec Dieu. Voilà pourquoi quand Dieu veut faire quelques grandes faveurs à une âme, il commence toujours par la recueillir. Heureux silence ! qui laisse Dieu parler, et l’écoute avec amour ! »

                Grâce à son handicap qui la conduira à être rejetée de la cour immédiate de son père le roi Louis XI, Jeanne va être isolée au château de Lignières et au cœur de ce château c’est dans l’oratoire que Dieu lui parlera par l’intermédiaire de la Vierge Marie. En effet, à l’âge de 7 ans Jeanne priait Marie de tout son cœur dans l’oratoire et eut alors le sentiment que la Vierge lui disait (toute les citations et textes sur Jeanne de France sont tirées du site de l'Annonciade https://www.annonciade.info) :

                           « Il y a trois choses qui me plaisent par dessus tout, c’est d’écouter mon Fils, ses paroles et ses enseignements  […], c’est de méditer sur ses blessures, sur sa croix et sa Passion et (enfin) c’est le très Saint Sacrement de l’autel ou la messe […]  Tu chercheras aussi à établir la paix là où tu habites… Fais ceci et tu vivras ». (Chronique de l’Annonciade dans Les Sources). Jeanne vivra donc de ces choses qui plaisent à Marie, pour plaire à Jésus son Fils et à Dieu.

                Jeanne est une femme de foi dont le seul désir est de plaire à Dieu, à l’exemple de la Vierge Marie, la première croyante. Marie est la première à avoir accueilli la parole de Dieu par la bouche de l’archange Gabriel. Marie est la femme qui a accueilli le Verbe fait chair en elle. Elle est la première à avoir obéi à Dieu par son fiat (« Qu’il me soit fait selon ta parole »). L’exemple de la Vierge a été déterminant chez Jeanne. En méditant l’Évangile, avec Marie et comme Marie, Jeanne a appris ces trois choses dont la mise en pratique a contribué à la construire, à la faire tenir bon dans la prière et la charité et, de ce fait, à vivre la charité en acte, notamment auprès des pauvres de Bourges, après l’incendie qui avait ravagé la ville.

                La première chose : lire la Parole de Dieu. Comme « Marie conservait toutes ces choses, les méditant dans son cœur » (Luc, 2, 19.51), Jeanne s’est attachée aux vérités de l’Évangile. Elle l’a médité, particulièrement les passages où il est question de la Vierge, y découvrant ce qui pouvait l’aider dans sa vie quotidienne à elle. Ainsi, elle a découvert dix attitudes du cœur de la Vierge qu’elle pouvait faire siennes. C’est l’héritage spirituel marial qu’elle lègue à ses filles de l’Annonciade : le dizain des dix ‘Ave Maria’. Le regard de son esprit s’est alors posé sur Marie pure, Marie prudente, Marie humble, Marie croyante, Marie priante, Marie obéissante, Marie pauvre, Marie patiente, Marie charitable et Marie compatissante. Ce regard prolongé sur la Vierge a nourri ses pensées, inspiré ses paroles et orienté ses actions, les pénétrant de bonté.

                La seconde chose : méditer la Passion du Christ. « Debout, Marie sa Mère se tenait au pied de la Croix » (Jn, 19,25). À l’exemple de la Vierge du Stabat, Jeanne a contemplé longuement le Crucifié, comprenant que, sur la Croix, Jésus a voulu nous « séduire par son amour » (Bx Duns Scot), par sa vie donnée, sa vie livrée. Cette méditation prolongée l’a conduite à faire de sa vie un service d’amour. Si chaque année, Jeanne lavait les pieds de treize pauvres afin de commémorer le geste du Christ lavant les pieds de ses apôtres, on peut dire que c’est toute l’année qu’elle les leur lavait par ses œuvres bonnes. La méditation de la Passion a contribué aussi à faire de Jeanne un être de bonté.

                La troisième chose : recourir souvent à l’Eucharistie. « Les apôtres, avec quelques femmes, dont Marie la mère de Jésus, étaient assidus à la prière et à la fraction du pain » (Ac, 2,42). À l’exemple de Marie, Jeanne est une femme de prière ; l’eucharistie est pour elle un moment d’intense union avec Celui qu’elle reçoit. Elle communiait souvent. De communion en communion, elle est entrée toujours plus profondément dans l’intelligence de ce mystère, non pas d’une manière intellectuelle, mais existentielle : comme la Vierge, elle a porté en elle la Présence et l’a donnée au monde, là encore, par sa bonté, ses œuvres bonnes.

                Ainsi, ces trois choses que Jeanne appris en regardant la Vierge de l’Évangile l’a fait sortir de chez elle, c’est-à-dire, d’elle-même ; cela l’a conduite à avancer toujours plus avant sur les chemins de la prière et du véritable amour.

                La prière et la charité ont éclairé toute sa vie, toute son existence. C’est à cette lumière qu’elle a pu découvrir le sens des événements qui ont jalonné sa vie. La lumière de la foi, une foi réfléchie et vécue, ainsi qu’une intense vie de prière et de charité, ont constitué cette écoute intérieure lui permettant de lire au cœur des événements de sa vie le sens dont ils étaient porteurs.

     

    Jeanne et la paix

                La paix est bien un des fruits de l’eucharistie (action de grâce). À chaque messe nous recevons la Paix du Christ. À ceux et celles qui étaient proches de l’Annonciade, l’ordre religieux qu’elle fonda à la fin de sa vie, elle demandait d’êtres des artisans de paix dans leur milieu de vie. Elle-même en a donné l’exemple. 

                Le souci de la paix, le souci de construire un climat de paix, habite le cœur de sainte Jeanne. Pour elle, le moindre petit geste de paix, de charité, sert la vie. Dans ce qui est infime, fragile, dans l’insignifiant elle reconnait le don de Dieu. De plus, elle désire que tous aient ce souci de la paix. Voilà pourquoi, elle « recommandait, dit la Chronique de l’Annonciade, d’être patients dans l’adversité et pacifiques envers le prochain, de n’être ni des mécontents, ni des détracteurs ».

    Ce souci de maintenir la paix là où elle vit, Jeanne l’a reçu de la Vierge elle-même. Nous le savons grâce à son confesseur, le père Gabriel-Maria (franciscain) qui rapporte, dans un de ses écrits, les paroles de la Vierge à Jeanne :

    Ste Jeanne de France & 10 vertus.jpg« Tu chercheras à établir la paix entre tous ceux au milieu desquels tu habites. Tu ne diras rien d’autre que des paroles de paix, soucieuse du salut des âmes. Tu n’écouteras pas les paroles médisantes, lui avait dit la Vierge, et dès que tu verras quelques pécheurs, tu diras dans ton cœur : il faut sauver ces pauvres gens. Car Dieu a permis qu’ils pèchent en ta présence pour voir, Lui, Dieu, comment tu voudrais prier pour eux et quel labeur tu entreprendrais pour les sauver. Excuse-les auprès de Dieu afin d’être comme je te l’ai dit l’avocat et le défenseur de tous. »  

    Voilà pourquoi elle recommande à ses filles de garder la paix entre elles :

    « Le Christ a établi son « Tabernacle dans la paix ». Que les sœurs fassent donc tous les jours le « sermon de la paix », c’est-à-dire, qu’elles établissent toujours la paix entre les sœurs, réconciliant celles qui seraient en contestation, les excusant toutes et se faisant toujours les avocates de la paix ».

    Pourquoi cela ?

    « Parce que, répond le père Gabriel-Maria, le Christ est l’auteur de la paix, c’est Lui qui l’a donnée et Lui qui l’a prêchée. » En effet : « c’est ma paix que je vous donne » dit plusieurs fois Jésus dans l’Évangile : au Cénacle, avant sa Passion ; et après sa Résurrection.

    Pour Jeanne comme pour le père Gabriel-Maria, nos paroles doivent construire un climat de paix, et non de division. Dans un sermon sur les vertus de la Vierge Marie, il écrit :

    « Se garder d’entendre mal parler ou de critiquer quoi que ce soit car ce serait contre la vertu de vérité. Bien souvent ces paroles de critique ne sont pas vraies. Il nous faut fuir de telles paroles… Que nos paroles soient nécessaires pour le prochain ! Si la parole est de nul profit, nous perdons notre temps… » Ainsi : « Que toutes paroles ne soient qu’amour et charité. Avoir toujours paix en son cœur : ce qui est le vrai repos de l’âme. »

    (Sources : Jeanne et la paix | L'Annonciade : https://www.annonciade.info/2018/01/jeanne-et-la-paix/)

     

    Humblement, dans le silence de mon cœur…

    T : Bhx Marie-Eugène de l’Enfant Jésus
    M : Fr. Jean-Baptiste de la Sainte Famille, ocd

    R : Humblement, dans le silence de mon cœur,
    je me donne à toi, mon Seigneur. 

    1. Par ton amour, fais-moi demeurer humble et petit devant toi. 
    2. Enseigne-moi ta sagesse, Ô Dieu, viens habiter mon silence.
    3. Entre tes mains, je remets ma vie, ma volonté, tout mon être. 
    4. Je porte en moi ce besoin d'amour, de me donner, de me livrer, sans retour.
    5. Vierge Marie, garde mon chemin dans l'abandon, la confiance de l'amour.

     

     

    La prière de bénédiction de saint François d’Assise

    François écrivit des Louanges de Dieu et la bénédiction à fr. Léon pour chasser une tentation qui assaillait frère Léon. On peut dater cet écrit de septembre 1224. 

    Prière Bénédiction St François d'Assise.jpg

    Bénédiction 

    1 Que le Seigneur te bénisse et te garde ; que le Seigneur te découvre sa Face et te prenne en pitié ! 2 Qu’il tourne vers toi son Visage et te donne la paix ! 3 Que le Seigneur, frère T Léon, te bénisse !

    Signature de François, le signe Tau, en forme de T majuscule, traverse le prénom de Léon en témoignage de bénédiction.

    Septembre 1224 – Traduction : Damien Vorreux (1996)

    (Sources : http://ecole-franciscaine-de-paris.fr/louanges-de-dieu-et-benediction-a-fr-leon/)

     

    Sandrine Treuillard
    Chargée de mission pour la Fraternité Eucharistique (catholique)
    de l'association œcuménique & interreligieuse Artisans de Paix : http://www.artisans-de-paix.org/

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    Artisans de Paix - ou le désir de rencontrer l'(A)autre

  • Audition (PMA/AMP) de La Manif Pour Tous à l'Assemblée Nationale - 24/10/2018 : Texte intégral de l'exposé

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    Vidéo sur Périscope : Audition de La Manif Pour Tous à l'Assemblée Nationale - 24/10/2018

     

    Texte intégral de l’exposé

    1 – La question qui nous est posée

    Toutes les 40 secondes en moyenne, un bébé vient au monde en France. Même lorsqu’il naît d’un couple homme-femme uni au moment de la naissance, nul ne sait si quelques mois ou quelques années plus tard, il ne vivra pas, par exemple, avec un seul de ses parents ou l’un de ses parents et un autre conjoint, de sexe différent ou de même sexe.

    Depuis toujours en effet, des enfants ont été élevés par leur mère seule ou par l’un de leur parent et un « beau-parent », ce qu’on appelle aujourd’hui des familles monoparentales, recomposée ou homoparentale.

    Ce sont là des faits, qui n’ont rien de nouveau : une réalité, que nul ne peut contester.

    Nous commençons par là pour souligner un point essentiel : la question qui nous est posée aujourd’hui sur l’éventuelle extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes n’a rien à voir avec cela. Il ne s’agit pas de parler des familles monoparentales, recomposées ou homoparentales. La question n’est pas celle-ci. Et d’ailleurs nombre de déclarations politiques et médiatiques sont trop souvent à côté de la question en jeu. Il ne faut pas se tromper de sujet !

    La question qui nous est posée, la seule, c’est de déterminer si nous pouvons – en termes d’égalité, de justice, d’éthique – décider de priver délibérément, sciemment, des enfants de père dès avant leur conception :

    Est-il envisageable qu’une société décide de créer volontairement les conditions qui feront que des enfants naissent de père inconnu ? des enfants qui seront privés de père toute leur vie !

    Autrement dit peut-on dire qu’avoir – ou ne pas avoir – de père est sans importance, indifférent dans la vie d’un enfant ?

    Alors que tous les enfants ont un père et une mère – qu’ils connaissent leur père ou non, qu’ils vivent avec lui ou non – peut-on considérer que les enfants nés de AMP, eux,pourraient être volontairement privés de père ?

    Pour le dire autrement, les enfants nés de PMA n’auraient-ils pas les mêmes droits que tous les enfants ?

    Peut-on aller, en somme, à l’encontre de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen selon lequel « les hommes naissent libres et égaux en droits » ?

     

    2 – Que représente le fait de naître de père inconnu ?

    Pour chercher des réponses objectives à cette question, nous avons deux possibilités :

    La première serait de s’appuyer sur des études scientifiques. Malheureusement, le CCNE nous dit lui-même, dans son avis n°126, que « les études sur le vécu des enfants nés ou non d’IAD dans des familles homo- et monoparentales a fait l’objet d’études récentes, mais souvent entachées d’erreurs méthodologiques et dénuées de pouvoir statistique ».

    Cette absence d’études fiables devrait au moins nous inciter à appliquer le principe de précaution, c’est-à-dire à ne pas avancer en l’absence de certitudes étant donné le risque d’injustice pour l’enfant.

    Il y a cependant une seconde possibilité, qui est de nous appuyer sur l’expérience humaine.

    Nous pensons d’abord aux enfants adoptés. S’ils ont été adoptés, c’est parce qu’ils ont d’abord été orphelins. Parce qu’ils sont nés à l’étranger dans des contextes difficiles, ou parce qu’ils sont nés sous X en France, un certain nombre ne savent rien de leurs parents d’origine. Or, nous constatons que nombre d’entre eux, alors qu’ils ont été adoptés par des familles aimantes, recherchent leurs origines.

    Cette quête peut envahir toute leur vie, parfois même jusqu’à l’âge adulte. Je me souviens de Lucas, un homme de 65 ans, né et adopté en France, qui avait pu compter chaque jour de sa vie sur l’amour de ses parents adoptifs, et qui me racontait, les larmes aux yeux, le vide qu’il ressentait en lui-même, le fait qu’il ne pouvait se rattacher à rien ni personne, qu’il ne pouvait se connaître vraiment. De fait, le CCNE indique que la connaissance de ses origines est « un élément structurant de l’identité des personnes ».

    D’autres cas, plus proches encore de la question qui nous intéresse, sont ceux des enfants nés d’une insémination avec donneur.

    Les premiers enfants nés à l’issue d’une IAD ont aujourd’hui plus de trente ans. Nous avons donc du recul à ce sujet. Et le fait est que nous savons que c’est une source de souffrance pour un certain nombre d’entre eux, au point qu’ils ont constitué des associations pour mettre fin à l’anonymat des donneurs, pour qu’il n’y ait plus d’enfants qui, par décision de la société, naissent d’un inconnu.

    Leurs nombreux témoignages sont éloquents. Ils emploient souvent les termes d’ « abîme », « flottement », « exclusion », « solitude », « torture psychologique », etc.

    Nous ne pouvons donc prétendre qu’être né d’un inconnu est indifférent.

    Reconnaissons-le, nous tous présents dans la salle ou suivant nos débats en vidéo, personne ne peut souhaiter à quelqu’un de naître de naître d’un inconnu.

    Alors, pourquoi provoquer volontairement de telles situations ?

     

    3 – L’absence de père est-elle sans importance pour l’enfant ?

    Cependant, les enfants nés d’une AMP avec IAD, jusqu’à présent, ont bien toujours un père qui les élève, un père « social » comme on dit, puisque l’encadrement de l’AMP la réserve depuis la 1e loi de bioéthique de 1994 aux couples homme-femme.

    Mais si l’assistance médicale à la procréation était ouverte aux femmes seules et aux couples de femmes, les enfants concernés vivraient en outre une absence totale de père : pas de présence paternelle, pas d’amour paternel, pas de père du tout.

    Certes, nous comprenons tous la puissance du désir d’enfant. Et nous sommes convaincus qu’une femme seule ou un couple de femmes apporteront de l’amour à l’enfant, qu’il sera choyé. Mais l’amour répond-il à tous les besoins d’un enfant ?

    La réponse est négative puisque, déjà, nous venons de voir que même élevés par des parents aimants, les enfants nés d’un don anonyme se posent des questions existentielles, parfois même envahissantes.

    Mais allons un peu plus loin :

    Se pose en effet la question du père : est-il important pour l’enfant ? Compte-t-il dans la vie d’un enfant ? Ou peut-on dire qu’un père peut être remplacé par une mère – ou deux mères ? Suffit-il d’aimer un enfant pour remplacer son père ?

    Ces questions nous renvoient en fait à la différence père-mère et donc à la différence homme-femme, c’est-à-dire à la différence des sexes et même, pour creuser un peu plus la question, à l’identité sexuelle. Est-elle importante, pour nous-mêmes ? pour notre entourage, pour nos enfants, pour leur construction psychique ?

    Le sexe, nous le savons bien, est une dimension fondamentale de notre être. Il n’est pas possible de balayer d’un revers de la main l’importance de l’identité sexuelle, et par suite l’importance incontournable de la différence des sexes.

    Et c’est bien pourquoi père et mère diffère l’un de l’autre, non d’une simple altérité, mais bien d’une altérité sexuelle.

    La paternité et la maternité sont différentes, et elles sont complémentaires l’une de l’autre.

    Un père, évidemment, peut remplir les mêmes tâches qu’une mère, et réciproquement. Mais ce n’est pas le sujet.

    La véritable question est beaucoup plus profonde que cela et il est clair que la manière d’être à l’enfant, d’être en relation avec l’enfant, diffère entre la mère et le père. Cela explique aussi que l’enfant a éminemment besoin de chacun de ses parents : il a non seulement besoin de connaître ceux dont il est né, mais aussi d’être en relations avec eux,proches d’eux, autant que faire se peut.

    Il est d’ailleurs des réalités sur lesquelles il est bien difficile de mettre des mots, et parler de ce qu’est un père, ou une mère, en fait partie. Mais cela n’empêche pas de vivre cette réalité au plus profond de son cœur et de reconnaître que, s’il est difficile de définir ce que représente un père pour chacun d’entre nous, il nous est plus aisé de savoir qu’il est le plus souvent irremplaçable.

    Alors nous entendons dire, parfois, qu’un grand père, par exemple, pourra tenir le rôle de « référent masculin » auprès de l’enfant.

    Ce besoin de proximité avec des personnes des deux sexes est donc bien identifié par tous.

    Cependant, cette idée d’un référent masculin ne tient pas, d’abord parce qu’un « référent masculin » ne fait pas un père : un grand-père, un oncle, un ami a sa propre vie, ses responsabilités, sa famille, etc.

    D’autre part, si l’on étend l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, il y aura donc des familles dans lesquelles, au bout de quelques années, il n’y aura pas de grand père.

    C’est en somme une réflexion de court terme de dire qu’un « référent masculin » tiendra la place du père.

    Et j’ajoute que la proximité et la légitimité d’un père sont particulières auprès de l’enfant. Quelle légitimité a un ami, par exemple, au moment de l’adolescence, période de contestations et remises en cause parfois très vives ?

    Un « référent masculin », n’est-ce pas une illusion ?

    Nous nous félicitons d’ailleurs, aujourd’hui, et à juste titre, de voir que des pères s’occupent beaucoup plus qu’auparavant de leur enfant. Ces « nouveaux pères » sont une bonne nouvelle pour les enfants, comme pour les mères et l’ensemble de la société.

    Or notre réaction commune, très positive à ce phénomène nouveau dit bien que nous savons, profondément et intuitivement, toute l’importance des pères.

    A contrario, la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 décembre 2017, tout récent donc, a jugé qu’être privé de père est un « préjudice d’affection ». Elle soulignait que l’enfant concerné dans l’affaire, dont le père était mort d’un accident pendant la grossesse de sa mère, « souffre à l’évidence de l’absence définitive de son père ». Et encore, dans ce cas, l’enfant sait au moins qui était son père, connaît sa filiation et sa famille paternelle !

    De fait, nous constatons combien l’absence de père pose problème. La magistrate Dominique Marcilhacy indique, par exemple, que 80% des mineurs qui passent au tribunal en comparution immédiate n’ont pas ou plus de lien avec leur père.

    Quant au phénomène de délinquance grandissante des mineurs – bien connu des services de police et de justice et qui a défrayé la chronique ces derniers temps, n’est-il pas,justement, à mettre en relation avec l’absence, la démission ou l’impossibilité de nombre de pères d’assumer leur rôle – pour diverses raisons ?

     

    4 – Peut-on éviter la commercialisation des gamètes si on étend la AMP ?

    Nous souhaitons maintenant aborder la question des gamètes.

    Nous savons tous que la France manque de gamètes disponibles pour l’assistance médicale à la procréation : la France plafonne à 300 donneurs par an. Cette insuffisance est telle que les 3,9% de couples ayant besoin d’un don de sperme dans le cadre d’une AMP peuvent attendre jusqu’à 2 ans pour en bénéficier, alors que l’âge est un facteur clé du point de vue de la fécondité. Quant aux campagnes de communication sur ce sujet, dont la dernière en 2017, on sait qu’elles ont peu d’impact.

    Or il est évident qu’étendre l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes nécessitera beaucoup plus de gamètes puisque, au contraire du couple homme-femme pour lequel c’est exceptionnel, 100% d’entre elles auront besoin d’apport de gamètes. La situation changerait donc radicalement au regard des besoins en gamètes masculines.

    Alors comment ferions-nous ?

    Le CCNE met pour condition à l’extension de l’AMP, la diffusion, je cite, « de campagnes énergiques, répétées dans le temps ». Qu’est-ce que cela signifie ? Que les campagnes deviendraient tout à coup 10 ou 20 fois plus efficaces ? Qu’on va mettre la pression sur les hommes ? Qu’on va les culpabiliser de ne pas avoir envie de donner leur sperme ?

    Ce n’est ni sérieux, ni crédible !

    Alors comment font les autres pays, les quelques-uns qui ont étendu l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes ?

    Hélas, le fait est qu’aucun Etat n’a pu maintenir la gratuité des gamètes en ayant étendu l’AMP. En effet, soit les Etats ont rendu les gamètes payants, comme l’Espagne et le Danemark ; soit ils achètent à l’étranger, dans des pays où les gamètes sont rémunérés.

    La Grande-Bretagne a ainsi publiquement expliqué, le 31 août dernier, que si les accords sur le Brexit n’incluaient pas aussi l’assistance médicale à la procréation, elle serait confrontée à une pénurie de gamètes parce qu’elle ne pourrait pas continuer à en acheter à d’autres pays. Au passage, elle a précisé qu’elle achetait près de 50% de ses échantillons de sperme au Danemark. Il en est de même pour la Belgique. Nous avons apporté des documents à ce sujet, qui ont été déposés sur vos bureaux.

    Etendre l’AMP, c’est démultiplier le besoin en apport de sperme, ce qui conduit au commerce des gamètes.

    Or le CCNE souligne lui-même qu’ « une fois le principe de la gratuité rompu sur les gamètes, on voit mal ce qui empêcherait de faire la même chose pour les autres produits et éléments du corps humain, y compris les organes (…) Il existe, comme le montre le marché international du sang et de ses dérivés, des gamètes, ou des mères porteuses, un immense vivier de personnes qui, en raison de leurs difficultés économiques, acceptent de vendre les éléments de leur corps. »

    Et le CCNE souligne que ce point « ne peut être ni évacué, ni minimisé ».

    Ce point est fondamental et il impose de ne pas être naïfs : si elle étend l’AMP à des femmes fécondes mais ayant besoin d’apport de sperme, la France participera au commerce international des gamètes. Et comme le dit le CCNE, ce seront ensuite les autres éléments du corps humain qui seront concernés.

    Voulons-nous de la marchandisation de l’humain ?

    Est-ce conforme à nos principes bioéthiques ?

    Est-ce conforme à nos valeurs républicaines ?

     

    5 – L’encadrement actuel de l’AMP ne pose pas de problème au regard de l’égalité

    Le temps nous manque pour développer d’autres points pourtant essentiels pour les générations à venir. Nous pensons à la finalité de la médecine comme à la finalité de notresystème de santé et de l’assurance maladie, lequel est d’ailleurs en difficulté.

    Nous préférons insister sur les conséquences de l’extension de l’AMP sur la pratique de l’AMP elle-même :

    Les couples homme-femme ne peuvent eux-mêmes recourir à l’AMP qu’à des conditions médicale précises : autrement dit, en l’absence d’une pathologie de la fertilité ou d’une maladie d’une particulière gravité susceptible d’être transmise à l’enfant ou au conjoint, les couples homme-femme ne peuvent accéder à l’AMP.

    Il arrive par exemple que des femmes dont le conjoint est décédé, mais dont le sperme a été conservé, réclament ce qu’on appelle une AMP post mortem. Elle n’est pas autorisée à ce jour, justement pour ne pas faire naître sciemment un enfant orphelin de père.

    Mais si l’AMP est étendue aux femmes seules, obligera-t-on des femmes veuves à détruire le sperme de leur mari alors qu’elles pourront faire ensuite une AMP seule avec un apport de sperme anonyme ? Non, évidemment.

    On voit bien, avec ce seul exemple, que sortir du motif médical pour justifier l’accès à l’acte médical qu’est l’AMP serait un engrenage, lequel rapprocherait d’ailleurs la médecine d’une « prestation de service » suivant l’expression employé par le Conseil d’Etat dans son étude « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? »

    A propos du Conseil d’Etat, nous voulions aussi rappeler qu’il souligne, dans son étude précitée et encore dans un arrêt du 28 septembre dernier, que l’encadrement actuel de l’AMP n’est pas contraire au principe d’égalité et qu’il ne pose pas de problème de discrimination. En effet, écrit-il, « les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe (…) La différence de traitement (…) entre les couples formés d’un homme et d’une femme et les couples de personnes de même sexe est en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établit et n’est, ainsi, pas contraire au principe d’égalité. »

    L’extension de l’AMP, en revanche, créerait des inégalités nouvelles :

    –          Entre enfants, les uns ayant un père et une mère, les autres ayant été privés de père par la société

    –          Entre femmes et hommes, les unes ayant accès à un mode de procréation qui leur permettrait d’avoir un enfant, les autres non, la gestation pour autrui étant à ce jour interdite en France.

     

    6 – La consultation publique et officielle a montré que les Français ne souhaitent pas cette extension

    Avant de conclure, nous souhaitons rappeler l’engagement pris par le Président de la République.

    Contrairement à ce que nous entendons souvent, pas un mot n’était dit de l’AMP dans la profession de foi d’Emmanuel Macron en vue de la présidentielle : l’extension de l’AMP ne figurait pas dans son programme.

    En revanche, dans la dernière ligne droite de sa campagne, puis après son élection, Emmanuel Macron a effectivement exprimé son opinion favorable, mais il a systématiquement précisé qu’il s’agissait de son opinion « personnelle ». Et il a toujours posé plusieurs conditions, dont celle d’un débat favorable. Il disait ainsi, à Têtu, dans une interview du 24 avril 2017 : « Je souhaite qu’il y ait un vrai débat dans la société. Si un tel débat aboutit favorablement, je légaliserai la PMA, mais je ne le porterai pas comme un combat identitaire ».

    Or il est de notoriété publique que la consultation légale, publique et officielle des Etats généraux de la bioéthique a montré qu’ « il n’y a pas de consensus », comme l’a souligné à plusieurs reprises le Pr Delfraissy, président du CCNE.

    Dans le détail, les Etats généraux de la bioéthique, dans les réunions publiques qui ont eu lieu partout en France, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, dans les auditions (en prenant en compte la représentativité des organismes auditionnés), comme sur le site internet de consultation en ligne, ont montré que seule une minorité est favorable à l’extension de l’AMP.

    Et en ce qui concerne les sondages, si nous les prenons tous, sans écarter ceux qui ne nous conviendraient pas, nous voyons tout de suite que les Français sont certesspontanément favorables à l’ouverture d’un nouveau « droit », mais quand on leur pose la question concrètement, en incluant l’enfant – premier concerné par l’AMP -, les réponses sont à l’opposé : ainsi, mi-septembre 2018, d’après un sondage IFOP, 82% des Français estiment que « l’Etat doit garantir à l’enfant né par PMA le droit d’avoir un père et une mère ».

    Nous avons apporté des documents à ce sujet, qui ont été déposés sur vos bureaux.

     

    Conclusion

    Toutes les instances publiques qui ont réfléchi sur l’éventuelle extension de l’AMP constatent l’ampleur de ses implications et de ses risques.

    Leurs préoccupations, qui rejoignent les nôtres, portent sur des questions essentielles, sans réponses à ce jour. Cela explique, naturellement, qu’aucune institution n’ait déclaré que l’extension de l’AMP est une nécessité et encore moins qu’il y aurait urgence à la légaliser.

    En outre, comme l’a déclaré le président du CCNE, « il n’y a pas de consensus » sur ce sujet. Il n’existe même dans aucun secteur de la société. Là aussi, nous avons apporté des documents à ce sujet, qui ont été déposés sur vos bureaux.

    Au contraire, la consultation publique et officielle, d’une ampleur inédite, a montré la volonté massive de respecter les droits de l’enfant, la finalité de la médecine et la protection du principe de gratuité des éléments du corps humain.

    J’ajoute que nous qui vivons, pour l’immense majorité, le confort de connaître nos origines paternelles et maternelles, nous avons sans doute un devoir de courage pour protéger les enfants d’un projet qui priverait délibérément, sciemment, volontairement certains d’entre eux de père.

    La société ne peut pas dire, d’une part, que les femmes ne peuvent pas se passer d’enfant et, d’autre part, que les enfants peuvent se passer de père !

    En effet, les enfants nés par PMA ont les mêmes droits que tous les enfants.

    Il semble donc raisonnable de reporter toute initiative qui remettrait en cause l’encadrement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation.

    Un renvoi du débat sur la PMA en l’absence de père pour l’enfant permettra de poursuivre sereinement, et à l’abris de toutes polémiques, les échanges sur les nombreuses implications soulevées et soulignées par toutes les parties prenantes ; ce report donnerait en outre le temps au gouvernement de poser des actes forts attestant d’une opposition réelle et d’une lutte effective contre la pratique des mères porteuses.

    Au-delà des différents avis sur la PMA en l’absence de père, nous partageons tous la crainte de l’engrenage qui conduirait de la PMA sans père à la GPA, celle-ci étant même déjà présente sur la scène pubique.

    On nous dit que la PMA sans père n’entraînerait pas la GPA. Avant toute chose, des actes sont attendus.

    Merci de votre attention.

    Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

     

  • Que le règne eucharistique du Christ arrive ! Conférence intégrale du P. Nicolas Buttet - SC Montmartre

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    À l'occasion de la Nuit d'Adoration au Sacré-Cœur de Montmartre du 20-21 avril 2018 voici la Conférence du Père Nicolas Buttet intégralement retranscrite (d'après l'audio sur YouTube), fondateur de la Fraternité Eucharistein — du samedi 21 avril 2018 — invité par Gino Testa du Groupe de prière Padre Pio de Paris — à la suite de celle (Le 'chant' du P. Eymard - Sa dernière retraite, son testament spirituel) du Père André Guitton, sss (Congrégation du Saint-Sacrement), biographe de st Pierre-Julien Eymard (communauté des Pères du Saint-Sacrement, Chapelle Corpus Christi - 23 av. de Friedland - Paris 8).

    Dans cette conférence, le p. Nicolas Buttet nous donne sa vision du premier Saint Patron (des 4) de la Fraternité Eucharistein, S. Pierre-Julien Eymard. Pour lui c'est "vraiment le grand prophète de l'Eucharistie". Il s'en explique au cours de son exposé.

    Le désenveloppement du Mystère

    Portrait seul.jpgTrès heureux de vous retrouver. Merci cher Père Guitton pour cette présentation si touchante de ce prophète de l'Eucharistie. Je pense que Pierre-Julien Eymard est vraiment le grand prophète de l'Eucharistie. Et vous savez que dans l'histoire de l'Église on appelle cela le 'désenveloppement du Mystère'. Tout est donné au départ, dans la personne de Jésus et, on le sait, la révélation s'achève avec la mort du dernier apôtre. Donc tout est dit. Mais là, les choses se désenveloppent, prennent une tournure particulière. Je vous parlais hier du Sacré Cœur. Il est bien là, ouvert sur la Croix, toute la dévotion se trouve là, il y a des textes merveilleux… Mais finalement c'est au XIIème XIIIème siècle avec sainte Gertrude d’Helfta, sainte Metchilde de Hackeborn, sainte Metchilde de Magdebourg, Hildegarde de Bingen, où tout d’un coup le Sacré Cœur prend une première… Il y a une scène très belle où Hildegarde de Bingen voit le Sacré Cœur de Jésus, repose sur le Sacré Cœur de Jésus, et elle voit saint Jean. Et elle dit à saint Jean : « Tu es un petit cachotier ! Je suis sûre que quand tu as posé ta tête sur le Sacré Cœur de Jésus tu as dû sentir l’amour fou qu’il y avait dans son Cœur, et tu ne nous as rien dit ! Tu es un petit cachotier ! » Alors, saint Jean lui dit : « Effectivement, j’ai senti cet amour fou dans le Cœur de Jésus, mais Dieu m’a confié la mission d’annoncer le Verbe fait chair. Quant aux secrets insondables de son Cœur, ils sont réservés aux temps où la charité se refroidira sur la terre. » Et donc, ça va être Marguerite-Marie Alacoque qui va recevoir cette dévotion au Sacré Cœur. Et puis on va voir que cette dévotion va se concentrer, se cristalliser, s’incarner, si j’ose dire, autour du Christ Eucharistique. Puisque c’est le Cœur Eucharistique de Jésus qui va être la grande dévotion de la fin du XIXème siècle mais un peu brève, malgré tout. Et saint Pierre-Julien Eymard en fait partie, avec tous ses amis, avec Émilie Tamisier, avec le Père Antoine Chevrier, avec le Curé d’Ars… Ils étaient tous copains, c’est incroyable, il y avait une collection de saints qui se côtoyaient et qui priaient ensemble qui était absolument extraordinaire, hein ! C’était les potes de Jésus qui s’étaient rassemblés et ils voulaient annoncer. Ça, c’est important, c’est une belle leçon parce que dans des moments de tiédeur et de froideur Dieu veut vraiment rassembler ses amis pour nous donner le feu et nous donner la grâce d’évangéliser. Et puis tout d’un coup, on va voir que quand on va plus profondément dans ce Cœur de Jésus, on a la Miséricorde et c’est saint Faustine. Finalement toute la révélation de sainte Faustine se joue autour de Jésus Eucharistie. Et je vous disais hier soir cette phrase qui me touche beaucoup : « Dis bien au monde entier qu’il n’y aura pas de paix sur la terre si l’on ne vient pas à ma Miséricorde et le trône de ma Miséricorde c’est le Saint Sacrement. » Donc : « Dis bien au monde entier qu’il n’y aura pas de paix si l’on ne vient pas au Saint Sacrement. » Et donc les prophéties du Père Pierre-Julien Eymard sur la conversion de la France, de l’Europe, sur la nécessité absolue de l’adoration, sur la grâce de l’adoration pour transformer le monde, qui est pris dans la tiédeur et dont les âmes se croient ferventes et qu’elles ne le sont pas parce qu’elles n’ont pas établi leur trône en Jésus Eucharistie… eh bien !, c’est vraiment maintenant que ce temps est là. Il nous est donné maintenant. Et avec cette Miséricorde qui jaillit du Cœur de Jésus. Et pour moi, cette prophétie de Faustine et cette prophétie de saint Pierre-Julien Eymard, est aussi importante que celle de Fatima, voyez-vous. Quand Marie dit, en 1917, que si on ne va pas se convertir, une guerre plus grave encore éclatera sous le pontificat de Pie XI… On est encore à l’époque du pape Benoît XV, Pie XII arrivera en 1922 sur le siège de Pierre, il mourra en 1938, et c’est vrai que la guerre éclate sous le pontificat de Pie XI, juste avant son décès. Marie annonce cela en 1917, et donc, à part Marie et le Ciel, personne ne peut savoir le nom du prochain pape, et elle l’annonce clairement, avec un signe aussi cosmique, qui aura lieu au début de l’année 1938, une lueur dans le ciel qui se verra de manière assez extraordinaire dans le monde un peu partout. Parce qu’on n’aura pas écouté Marie, on aura cette tragédie, voyez-vous.

    Toute prophétie est conditionnelle, soumise à la liberté des hommes

    ND d'Akita -sang.jpgToute prophétie est conditionnelle, soumise à la liberté des hommes. Ninive se convertit, l’Europe ne se convertit pas. Voilà. Et aujourd’hui, le pape François a beaucoup insisté sur le lien entre Fatima et Akita, et donc, c’est quelque chose d’assez important, ce lien entre Fatima et Akita. Notre-Dame d’Akita a été reconnu par l’Église en 1984 et 1988 par le cardinal Ratzinger à Rome. C’est chez les Servantes Eucharistique du Sacré-Cœur, en montrant qu’il faut prier Jésus Eucharistie. Donc, au cœur du renouveau du monde, au cœur du renouveau de notre vie personnelle, au cœur de la guérison du monde, il y a Jésus Eucharistie. Il fallait être fou de la part de Jésus, de se rendre présent dans cette vulnérabilité-là, vous voyez… Bien sûr, c’est Dieu transcendant qui est là, mais c’est le bébé de Marie, c’est le vrai corps que Marie a porté dans ses bras, c’est ce Jésus qu’elle a touché, qu’elle a caressé, qu’elle a pris, et Joseph, et le vieillard Siméon : « Oh qu’il est chou ce petit bébé ! » Et c’est l’émerveillement des bergers à la crèche, voyez-vous… C’est ça ! l’Eucharistie. Alors on a tellement pris de la distance avec l’Eucharistie… On ne dérangeait pas le ‘Divin Prisonnier’. « Interdiction… » Un prêtre a écrit à son évêque : « Interdiction de déranger le Divin Prisonnier. » À un moment donné on interdisait de le toucher avec les dents. Or, comme je l’ai dit hier, le mot ‘trogein’ en grec, c’est ‘broyer avec les dents en faisant du bruit’. Et on est arrivé à dire que c’est un péché mortel de toucher avec les dents l’Eucharistie. Mais comment a-t-on pu vouloir tenir à distance ce Dieu qui se fait si proche, jusqu’à se faire manger et « descendre dans les latrines de notre corps »[i] ?
    Comment a-t-on pu faire pour ne pas rentrer dans la logique évangélique et dans la logique eucharistique d’un Dieu qui s’abaisse et qui est l’ultime point de l’abaissement de Dieu ? Seule l’humilité pouvait descendre plus bas que le péché. Et l’humilité c’est Jésus à l’Eucharistie. C’est de là qu’Il vient nous rechercher, c’est de là qu’Il vient nous empoigner. C’est là qu’Il vient relever chacune et chacun d’entre nous et qui vient transformer le monde.

    Repenser l’Eucharistie avec la théologie mystique des saints

    Gaudate & exsultate.jpgAlors je pense qu’il va falloir repenser l’Eucharistie. Non pas partir de l’acte pur de la transcendance absolue et des concepts philosophiques et même théologiques sur Dieu. Il y a une théologie mystique qui est plus grande encore que la théologie spéculative, qui est la théologie des saints qui nous apprend le vrai mystère. Et Pierre-Julien Eymard est vraiment ce grand prophète de cette théologie mystique. J’en pleurais de joie quand je relisais le dernier texte du pape François (La joie et l’allégresse Gaudete et Exsultate). C’est ce qui manquait à l’Église, depuis des siècles, si j’ose dire. Les papes se sont exprimés avec beaucoup de ferveur, de justesse, de dévotion, d’intelligence et de piété aussi, sur des grands mystères de la foi, mais personne n’avait écrit une encyclique de théologie mystique. C’est-à-dire, d’une véritable théologie des saints. Qui est la science suréminente. Quand on fait de la théologie ont dit que tout est subordonné à la théologie des saints. C’est la science par excellence. On l’a complètement écarté de notre vision théologique. On n’osait même pas en parler parce que ça ne faisait pas scientifique. Mais on s’en fout ! L’important c’est de rencontrer Dieu dans son vrai mystère tel qu’Il s’est révélé à nous. Et la théologie des saints est là, dans cette délicatesse, voyez-vous… Et je vous parlais hier de Jésus qui débarque du tabernacle pour aller trouver sœur Faustine dans sa chambre… C’est ça la théologie mystique… Mais… Il veut être avec nous, Il demeure avec nous. Sa souffrance, c’est de ne pas être avec nous. Un ami chilien me racontait cette histoire, liée à S. Padre Pio, d’ailleurs : il y avait un camionneur qui faisait la traversée de la grande transaméricaine, la grande route qui traverse toute l’Amérique latine, et tout à coup il voit un type en train de faire du stop au bord de la route. Il s’arrête, il prend le gars. Le gars dit : « Vous voyagez toujours seul comme ça ? » « Je ne suis jamais seul ! » et il montre la photo de Padre Pio et dit : « Il est toujours avec moi, Padre Pio, on est toujours ensemble. » D’un coup, il n’y avait personne sur la route, et le camionneur se met à klaxonner très fort. L’autre dit : « Mais qu’est-ce que vous faites ? Il n’y a personne, il n’y a rien ! » Il répond : « Non, mais il y a une église, là-bas, il y a le clocher, alors je sais que Jésus est seul. Alors à chaque fois que je vois une église je klaxonne pour lui dire : « Hello, Jésus, c’est moi ! », je n’ai pas le temps de m’arrêter, mais je lui fais coucou, puisque tout le monde l’oublie ! » Le gars dit : « Arrêtez tout de suite ! » « Pourquoi ? » « Je suis le curé de la paroisse, je quittais le sacerdoce, je partais, je fuyais… Il faut que je retourne dans ma paroisse ! » Vous voyez la Providence de Dieu ?! Ça, c’est la tendresse de Dieu, vous voyez. Lui, il fait son coup de klaxon à Jésus.

    Enfant Jésus au tabernacle.jpgEt c’est ça : Un jour une maman rentre dans une église, elle arrive avec son enfant et lui dit : « Tu vois, là-bas, c’est la petite maison de Jésus, et la petite lumière rouge ça veut dire qu’Il est là. Alors on va faire silence, on va parler à Jésus. » Au bout d’un moment le petit garçon dit : « Maman, c’est quand que c’est vert, qu’on peut repartir ? » Je suis sûr que Jésus à craqué, vous voyez… Voilà… Comment nous rentrons dans cette proximité, cette intimité de Jésus. Avec nous. Vous savez, on accueille chez nous (à la Fraternité Eucharistein, note de La Vaillante) des jeunes traversés par l’alcool, la drogue, la dépression, la violence. Et c’est Jésus Eucharistie qui les guérit. C’est Jésus Eucharistie qui les transfigure. On a une fille qui à douze ans est partie dans la rue : la drogue, la prostitution, le sado-masochisme… enfin, un peu tout, comme ça… qui débarque chez nous à 19 ans, dans un état !…, mais complétement cassée, bourrée de phobies. Tout d’un coup elle découvre Jésus Eucharistie. Je peux vous dire que quand elle va rencontrer Jésus, mais c’est quelque chose ! C’est son Amour. C’est sa force. Elle est prise de combats, de tentations… Elle dit : « Mais c’est Jésus qui me tient. » Et sa communion…! Elle veut recevoir Jésus.

    Trek en Chine.jpgJ’étais en Chine, l’année dernière… On rencontre un gars qui faisait du trekking. On marche dans les montagnes, on visite des communautés chrétiennes du côté du Tibet… Et un gars me dit : « Ah, j’ai appris que vous traversiez la montagne… Je ne connais rien. Est-ce que je peux marcher avec vous ? » Je me dis : c’est un flic camouflé, je suis sûr qu’il va nous surveiller… Comment je vais faire pour lui dire que ce n’est pas possible ? Et en fait, je sonde un petit peu mes amis chinois aussi. Ils me disent, non, il n’est pas de la police, tu peux être confiant. Et je ne lui dis pas qu’on était chrétien. Je lui dit qu’on est des trekkers, on est des marcheurs, comme ça… Et puis on part dans la montagne. C’est trois jours de marche dans la montagne. Le premier soir, on a la messe le soir et un temps d’adoration en pleine nature, à 4000 mètres d’altitude. Et lui, là, vient vers moi et me dit : « C’est quoi ce que vous avez fait ?! » Et je réponds : « Je ne t’ai pas dit avant le départ, mais on est chrétien… » « Oui, mais c’est quoi, cette chose ronde qui est là-bas ?! » « Eh bien je vais te dire : c’est mon Dieu. » Et il se met à pleurer et il me dit : « Mais il m’a parlé, tu sais ?… Il m’a dit qu’Il m’aimait. » Et alors on est arrivé à un petit village, on a fait une nuit d’adoration. Il a passé la nuit entière devant Jésus. Il était là, il ne bougeait pas. Le lendemain matin, il me dit : « Comment on fait pour devenir comme vous ? Ça veut dire quoi ? » Alors je lui explique un petit peu… « Alors moi je veux être baptisé ! Il faut que tu me baptises, Nicolas ! » Je lui dis : « Écoutes, là, c’est trop rapide, je ne peux pas faire ça, mais… » Il me dit : « Mais, je peux continuer de voyager avec vous parce que je ne peux pas me passer de Jésus dans l’Eucharistie comme ça ! » Je dis : « Bien sûr, tu vas faire tout le voyage avec nous, tout le pèlerinage. » Et il a été baptisé à Pâques, cette année, et c’était au mois de… On s’est quitté au mois d’août l’année dernière, et il m’a envoyé des photos et derrière il m’a dit : « Y’a une surprise, y’a une surprise, y’a une surprise ! Et à Pâque il m’a envoyé la photo de lui en grand habit blanc, baptisé à Pâques. Il a créé un groupe : Faithbook. Faith ça veut dire ‘foi’ en anglais… Faithbook pour annoncer Jésus Eucharistie. Ça, c’est Jésus Eucharistie, voyez-vous… Ça c’est ce que Dieu nous demande de vivre et de découvrir aujourd’hui.

    En quoi Jésus Eucharistie est-il vraiment le lieu d’une guérison pour nous ?

    25 mai 2018 P.Buttet Journée Eucharistique StLouis d'A;.jpgAlors c’est un petit peu ce dont je vais vous parler maintenant… j’ai pris un peu de temps en introduction, mais… en quoi Jésus Eucharistie est vraiment le lieu d’une guérison pour nous ? Première chose, d’abord je crois qu’on est très obsédés par la santé aujourd’hui. Je ne sais pas si vous avez remarqué, on est très, très pris par la santé. Mais en fait, en latin, dans différentes langues, en italien, en espagnol, dans les langues latines le mot santé et salut viennent d’une même origine, d’une même étymologie. Et finalement, quand on a perdu le sens du salut, on s’est obsédé de la santé. On se dit, au Nouvel An : « Bonne santé ! » On peut mourir en bonne santé, mais être damné… Et on peut mourir très malade et être sauvé. Ce qui est important de noter c’est le bon salut. Parce que quand on dit ‘salut’, ça veut dire je te souhaite le Salut : la vie éternelle, qui peut comprendre la santé mais qui est d’abord la vie éternelle, le salut de l’âme. Et donc je pense que l’adoration eucharistique nous remet en face de l’essentiel, redit au monde qui a perdu le sens de Dieu : « Mais, retrouve le sens de Dieu, retrouve tout ce qui est important pour toi. » Dans l’Écriture sainte, voyez-vous, ce qui est important ce n’est pas d’être en bonne santé ou d’être malade. Et même pas d’être mort ! Jésus parle à des morts : « Lazare, sors ! » ou « Talita kum ! » « Je dis : lève toi ! » Et puis il ne parle pas à des vivants : à Hérode, à ceux qui le frappent… parce qu’ils sont déjà morts… dans leur cœur. La mort et la vie ne sont pas les mêmes frontières que pour nous. La santé et la maladie ne sont pas les mêmes frontières que pour nous. J’allais dire même mieux que ça : Jésus nous rejoint dans nos vulnérabilités, notre péché.

    Moïse doux.jpgIl y a une scène étonnante dans l’Écriture sainte : c’est Moïse qui négocie avec le Bon Dieu la mission que Dieu lui a confiée, d’aller libérer son peuple, de collaborer à la libération du peuple. Alors, Moïse dit d’abord : « Je suis âgé, je suis à la retraite, je ne peux pas ! » Dieu dit : « Non, ça ce n’est pas une bonne raison. » Alors Moïse dit : « J’ai un casier judiciaire en Égypte, ça ne se fait pas, il n’est pas encore périmé… » Et après il dit : « J’ai un problème : tu me demandes d’être ambassadeur et j’ai la bouche pâteuse. » Sans doute un bégaiement… Dieu dit : « Eh bien ton frère, Aaron, te donnera un coup de main ! » Mais c’est très beau, voyez-vous, l’argument ultime, la souffrance mystérieuse de Moïse, c’est cette bouche pâteuse. Et à la fin quand il meurt sur le mont Nebo quarante ans après, aux portes de la Terre promise, on nous dit qu’il mourut, les traductions disent : « Sur la parole de Dieu, sur l’ordre de Dieu… » Le texte hébreu dit : sur la bouche de Dieu. Et c’est le même mot qui est utilisé quand il dit que la bouche est pâteuse et que la bouche de Dieu le rejoint. Voyez-vous… : Dieu l’a attendu toujours sur cette bouche. L’expérience de sa pauvreté, de sa bouche pâteuse était l’expérience de Dieu qui lui parlait et qui le rejoignait. Ça, ça c’est le christianisme, voyez-vous… Ça c’est la vie avec Dieu. C’est-à-dire que le lieu de la rencontre avec Dieu c’est le lieu de ma propre vulnérabilité. C’est le lieu de ma propre pauvreté. C’est le lieu de mon propre drame. C’est là que Dieu m’attend et c’est là que Dieu me rejoint. Je ne veux pas être trop long là-dessus, il y a plusieurs choses à dire, mais… Voyez-vous, ce que Dieu nous donne, et finalement… c’est là qu’il va falloir venir pour découvrir la tendresse de Dieu et l’amour de Dieu.

    Développer aujourd’hui la véritable ferveur eucharistique de Pierre-Julien Eymard

    PJE au St Sacrement.jpgEt je pense qu’il va falloir développer aujourd’hui la véritable ferveur eucharistique de Pierre-Julien Eymard : faire travailler le saint Sacrement pour que l’irradiation de la grâce de Dieu se répande partout. Benoît XVI démontre deux drames de notre humanité et de notre christianisme aujourd’hui.

                           1- La gnose : Le salut par la connaissance, par la science, par le savoir. Et on croit que notre connaissance va nous sauver. On croit que notre savoir va nous sauver. Sur le plan mondial, c’est sûr, c’est depuis les Lumières, la science qui doit sauver l’humanité. Quand Condorcet disait : On va progressivement vers un monde… Les dix étapes de l’humanité vers le progrès parfait. L’avenir radieux intra-historique. Enfin, on avait cette idée que le monde est perpétuellement en progrès du bien vers le mieux grâce à la science. Et la science répondra à tous les problèmes. Au XXIème siècle on peut se dire qu’on a manqué le train et que le progrès technique ne signifie pas le progrès humain et progrès d’amour. C’est un échec total. Et les idéologies ont marqué l’échec. Reste qu’on est toujours marqué là-dedans, y compris dans l’Église ! La dernière parole du ‘pape intello’, Benoît XVI : « Ma plus grande crainte dans l’Église aujourd’hui c’est l’intellectualisation de la foi. » Une façon de mettre à distance Dieu par la science et par des théories. Non pas une intelligence de la foi. Une intellectualisation de la foi. L’intelligence de la foi passe par le cœur, par la lumière, par l’expérience. Et les saints ont une intelligence de la foi. Et les plus pauvres ont une intelligence de la foi. Cette fille dont je vous parlais tout à l’heure : elle vient vers moi… textuel, texto, elle me dit : « Putain, j’ai pas dormi de la nuit passée ! » Je dis : « Ah ouais… ! » Elle me dit : « Ouais, mais j’ai parlé avec la Trinité. Toute la nuit ! » Ah, j’dis : « Bien, très bien… » Elle dit : « Mais, putain, c’est un truc de ouf !!! Tu te rends compte : le Père n’aime pas comme le Fils ; le Fils n’aime pas comme le Père ; l’Esprit Saint n’aime pas comme le Père. Chacun aime de manière unique ! J’ai parlé avec les trois l’un après l’autre, mais c’était chaque fois des discussions différentes. Il y avait à chaque fois un amour totalement différent : entre l’amour que le Père avait pour moi ; que le Fils avait pour moi ; que l’Esprit Saint avait pour moi. Et nos discussions étaient complètement différentes avec les trois. » Alors je la regarde, comme, ça… Elle me dit : « J’ai dit une bêtise ? » Je dis : « Non, mais l’Église a mis cinq siècles pour découvrir ça, tu vois, dans les Conciles ? » Juste un petit détail… Et quand elle m’a dit ça, avec le ton avec lequel elle me l’a dit… je ne l’ai pas, le ton… Mais le ton avec lequel elle me l’a dit… mais j’ai découvert quelque chose ! J’avais étudié mes Conciles ! J’avais étudié un peu la Trinité, quand même… Enfin, je connais deux ou trois choses. Je ne m’étais jamais émerveillé à ce point du fait que les Personnes n’aimaient pas de la même manière. Je n’en avais pas pris conscience et c’est lorsqu’elle me l’a dit, que j’ai pris conscience de cette réalité-là, vous voyez… Alors, Dieu veut vraiment renouveler le monde… Première chose la gnose. Deuxième chose…

                                       2ème - Le pélagianisme. Pélage était un moine du IVème siècle, qui, pour faire très bref et pas tout juste, mais enfin ça vous dit un peu les choses… C’est un peu l’idée qu’on se sauve à la force du poignet. Que Dieu nous a tout donné dans notre nature et aussi par le baptême et qu’on n’a plus besoin de ce qu’on appelle la grâce actuelle, c’est-à-dire du secours permanent de Dieu pour vivre. Qu’il suffit de… à nous de travailler au salut. La Gnose était première : c’était le salut par la connaissance. Les premiers chrétiens ont vu que ça ne marchait pas, que les grands savants étaient des crétins et des gens pas du tout charitables. Et donc ils se sont dit : c’est les œuvres qui vont… mais les œuvres par nous-mêmes, à la force du poignet. Et François met cela en lumière depuis le début de son pontificat ; il a dit ça. Mais là, dans son dernier texte, Gaudete et Exsultate, il a mis en lumière le fait que c’est le grand drame de l’humanité : on a jeté de côté la grâce ! On a perdu le cœur du christianisme ! La vie de la grâce, la vie théologale. Or, l’Eucharistie nous oblige à entrer dans la vie de la grâce. Non seulement elle donne la grâce, mais elle contient l’auteur de la grâce ! Seul sacrement qui contient l’auteur de la grâce. Tous les sacrements communiquent la grâce divine, la vie divine, mais l’Eucharistie de manière suréminente et unique, non seulement communique la grâce mais contient l’auteur de la grâce, puisque Jésus y est réellement présent. Donc cela c’est déjà une chose inouïe ! Et ensuite, la vulnérabilité du Christ vient rejoindre notre vulnérabilité, qui est en même temps le Dieu tout-puissant. Donc cette tentation du transhumain, du surhomme et tout ça, elle se réalise dans la pauvreté de ce que le Christ nous révèle de lui-même en son corps eucharistique. Lui, de riche qu’il était s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté. Et dans cette merveilleuse parole du pape Benoît XVI : « Sa façon d’être Dieu provoque notre façon d’être homme. » Il n’est pas le Dieu tout-puissant, car il veut, là… voyez-vous, à la Résurrection, Thomas ne dit pas : « Montre-nous la puissance de ta gloire et qu’on voit en toi le rayonnement cosmique de ta personne ! » Il dit : « Si je ne mets pas la main dans ses plaies, dans ses trous, je ne croirai pas. » On demande de toucher le Christ ressuscité dans ses trous des mains, des pieds et dans sa plaie du côté. Ce qui n’aurait jamais dû être ! Parce qu’un corps ressuscité est beau, n’a plus aucun défaut et il a 33 ans, nous dit saint Thomas d’Aquin. La plénitude de l’âge. Donc, comment se fait-il que le corps ressuscité du Christ ait gardé ses stigmates ? Car c’est là qu’on le rejoint. Et c’est là qu’il nous rejoint. Voyez-vous… Il se garde vulnérable et blessé contre toute logique d’un corps glorieux et les apôtres ne se trompent pas : c’est là qu’ils veulent le reconnaître. C’est là qu’ils veulent le rejoindre. La preuve que tu es ressuscité c’est que tu as encore les trous dans ta chair. C’est extraordinaire… Et la preuve que tu es vivant c’est que tu es dans la vulnérabilité de l’apparence d’un bout de pain et d’un peu de vin. Et là j’y crois ! Là, tu es crédible, Seigneur. Et il faut qu’on ait l’audace et le courage de le rejoindre dans cette même pauvreté. Voyez-vous, on fait des théories, parfois… Oui, bien sûr, c’est le Glorieux, oui, bien sûr, mais rentrons dans la logique de Dieu, dans cette tendresse de Dieu. C’est un prêtre qui disait un jour… Il était ici, à Paris, un certain âge, déjà, alors il dit : « Moi, je passe ma journée à l’église, j’accueille les gens, ceux qui veulent se confesser se confessent, ceux qui ont envie de dire un mot en me parlant… Et puis le reste du temps j’adore Jésus. » Et un jour, une personne vient et lui dit : « Mon Père, vous dormez ! Vous devriez aller vous reposer. » « Oh, il dit, madame, peut-on reprocher à un vieux chien fidèle de dormir aux pieds de son maître ?! » C’est ça, l’Eucharistie. On appelle ça l’adodoration… vous savez… Alors, s’il n’y a que ça, c’est peut-être problématique, mais enfin… !

    Adoration et guérison

                Alors, très rapidement peut-être, quelques points qui paraissent importants sur ce rapport, plus spécifiquement, entre adoration et guérison. L’adoration vient au cœur du drame du péché de l’humanité. S. Thomas d’Aquin nous dit que le péché c’est se détourner de Dieu pour se tourner vers la créature. C’est un repliement sur soi. L’homme qui préfère la créature au Créateur, et qui finalement tue en nous le désir de Dieu pour le ratatiner, le réduire au désir de la créature. C’est ça tout le drame de la Création : c’est briser la relation avec Dieu en se repliant sur une fausse relation parce qu’elle n’est pas illuminée par la présence de Dieu.

    L’adoration eucharistique nous met en état d’extase, de sortie de soi

    Adorateur Carmel Angers.jpgL’adoration eucharistique nous met en état d’extase, de sortie de soi. Elle nous fait sortir de nous. Je vous ai dit hier soir cette intuition plus forte : finalement, l’Eucharistie c’est l’ultime de l’amour humain de Dieu pour nous. Si l’amour est extatique, c’est-à-dire qu’il doit sortir de soi — pas extatique dans le sens un peu mystico-gélatineux du terme où on est collé au plafond… C’est bien si certains sont portés par Dieu là, mais ce n’est pas le but… —, c’est une sortie de soi dans l’amour. Eh bien, quel plus grand amour pouvait-il exister d’un Dieu qui sort tellement de lui-même qu’il se rend présent hors de lui-même, sans se quitter, sous l’apparence du pain, sur la table du Séder pascal, c’est-à-dire du repas de la première pâque que Jésus a célébré avec ses apôtres ? C’est inouï, ça, voyez-vous… Et c’est ça la logique de l’Eucharistie. Elle nous extasie. Vous savez que dans l’adoration regarder l’hostie est très important. Parce que le regard est le sens qui nous extasie. L’ouïe nous enstasie : les sons rentrent en nous, et quand on écoute un concert habituellement on ferme les yeux et on écoute, on laisse entrer la musique en nous… sauf si le violoniste est un artiste, une personne assez éblouissante, ou le pianiste, on voit danser les doigts sur le clavier du piano, alors on est un peu fasciné par ça, mais… Mais pour la musique, fondamentalement, c’est l’en stase, ça rentre en nous. Le regard nous extasie. L’amour nous extasie. L’amour s’émerveille. La beauté nous attire. Le plus beau des enfants des hommes, présent au saint Sacrement, nous extasie. Voyez-vous… Et donc il y a dans l’adoration eucharistique la nécessité du regard porté sur l’Hostie, qui est aussi la logique de l’amour. Des amis me racontaient qu’ils étaient en vacances à Castel Gondolfo, dans la maison du pape qui s’appelle Sainte-Marthe, avec le pape Jean-Paul II. Ils avaient huit enfants, ils avaient mangé à table, le soir, avec Jean-Paul II dont ils étaient proches. Le petit dernier était là, ils l’avaient mis à dormir dans la salle d’à côté dans le petit berceau, parce qu’il était fatigué. À la fin du repas ils disent au Pape : « Écoutez, saint Père, si ça ne vous gêne pas, on va mettre à coucher les enfants et on revient chercher le petit dernier après, comme ça on ne va pas le déranger, on va coucher les aînés d’abord… » « Pas de problème, laissez-le là, dans la salle… » Alors, ils mettent à coucher les enfants, cela prend un certain temps, et quand ils arrivent Jean-Paul II était à genoux, penché sur le berceau et il le regardait. Il dit : « Vous voyez, je m’émerveille ! » L’enfant dormait. C’est ça l’extase, voyez-vous… C’est ça l’amour, c’est ça la logique eucharistique. C’est ça le renversement. L’adoration eucharistique vient au renversement du drame du péché. En nous amenant à passer… à renverser le mouvement du péché qui est un repliement, pour entrer dans une logique d’extase qui est la sortie de soi. L’extase vers Dieu qui nous conduit… « à un exode vers les plaies de nos frères et sœurs », dit le pape François.

    De l’extase à l’exode : l’Eucharistie c’est la gratitude

    uch beau geste humble, caché.jpgDonc, on passe de l’extase à l’exode qui nous conduit véritablement à un deuxième aspect qui est juste le contraire du péché. Le péché c’est l’ingratitude, le refus de dire merci, le refus de rendre grâce, le refus de se recevoir, le refus de s’accueillir comme un don. Et l’eucharistie c’est la gratitude, c’est dire merci. ‘Eupharisto’ ça veut dire merci. J’étais un jour en Grèce, dans une léproserie. Il y avait là une dame : plus de bras, plus de jambes, plus de nez, plus d’yeux, aveugle… Un corps tout frêle sur un lit, comme une hostie sur un autel. La sœur responsable de ce centre me dit : « Cette dame est en prière toute la journée… Elle ne fait que ça. » Alors moi j’ai craqué : j’ai sauté sur son lit, je l’ai embrassée… Vous pensez, une masse comme moi qui débarque sur le lit… Cette petite dame dont il ne restait plus que le corps et le visage déformés, complètement méconnaissable… Alors, elle était un peu étonnée au départ. Puis la sœur lui explique en grec ce qui se passe à ce moment-là. Et cette dame avec le peu de lèvre qui lui restait, qui avait aussi été rongé par la lèpre, me dit : « Eupharisto… » Ça veut dire ‘merci’ en grec. Eucharistein. Et j’ai compris le sens de tout ça, voyez-vous… Voilà. Tout d’un coup je reconnais.  

                C’est quand même terrible ! : Aujourd’hui, vous allez partout en management, partout en sens du développement personnel, on ne vous parle que de la gratitude, les bouquins sortent partout sur la gratitude. On s’est fait piqué le cœur de notre vie chrétienne ! ‘eucharistein’, ça veut dire merci ! Et on découvre aujourd’hui que, comme par hasard, si l’homme ne dit pas merci, eh bien, il crève ! Si l’homme n’est pas reconnaissant, il en meurt. Dans les bordes d’entreprise, dans les stages de développement personnel, de tous les côtés, en psychologie, en psychanalyse, vous regardez les livres qui sortent sur la gratitude… c’est partout ! Retrouver la gratitude, le merci devant la vie… Et nous, on avait ça au cœur de notre vie chrétienne. L’Eucharistie, dire merci. Dire merci… et on a oublié ça. Et déjà, les pères de l’Église disaient : Ou on est dans l’eu-charistie, dans l’eu-charistia, ou on est dans l’a-charistia, l’ingratitude. Ce sont les deux mouvements de l’homme. Ou je dis merci, ou je me replie dans l’ingratitude, et je meurs. Et je crève. Quand bien même je suis croyant. J’en meurs… Et j’en crève. Donc, vous voyez, l’eucharistie va bouleverser tout cet ordre et va mettre en relation.  

    Le légalisme

                Le drame du péché originel, dans le texte, c’est quand le serpent dit : « Alors, Dieu a dit… » Ça, c’est tout le drame du péché originel. Ensuite, les tentations arrivent, mais le drame est dans cette parole du texte de la Genèse alors, Dieu a dit. Pourquoi ? Parce que c’est la première fois qu’il n’y a pas un sujet en face de Dieu. Parce que là c’était : Alors Dieu leur dit ; Alors Dieu leur parla ; Alors Dieu leur adressa la parole… Pour la première fois Dieu devient une voie off qui résonne, un principe intellectuel : « Alors, le concept Dieu a dit. » Et le mot ‘Dieu’, dans le texte de la Genèse c’est éloïm, c’est un nom commun pluriel, en hébreu. Alors que là c’était ‘Yahvé éloïm’ : la personne de Dieu leur parle. Dieu n’est plus une personne, c’est un concept, c’est un nom commun qui parle sans s’adresser à quelqu’un. Ça c’est le cœur du péché originel. Après, tout découle de ça. On arrive dans le légalisme : « Alors lui il a dit : Il ne faut pas toucher du fruit de l’arbre. » Mais non, il n’a pas dit ça, le bon Dieu !, il a dit : « Tu ne peux pas en manger. » Mais le toucher, tu fais tout ce que tu veux, tu vas faire ta tasse de soupe… Enfin, il n’a pas dit ça. Légalisme.

    Le moralisme 

                Moralisme : « Ah ! Tu connaitras la science du Bien et du Mal. » Mais non, Dieu ne connaît pas le mal, il ne connaît que le bien. Parce que le bien c’est l’aptitude à la vie. Le mal n’est rien. C’est l’anéantissement du bien.  

    Le formalisme 

                Et puis le formalisme : « toucher » ; « ne pas toucher ». Attends, non, si tu n’as pas mis les pouces comme ça… Aujourd’hui, dans l’Église, vous voyez un retour d’un certain formalisme, d’un certain traditionalisme : « Si tu n’as pas fait comme ça les choses, si tu n’as pas fait le geste juste, attention, le bon Dieu… » Mais il n’en a rien à foutre, le bon Dieu ! Ce n’est pas ce qui l’intéresse. Ce qui l’intéresse c’est que l’on soit en amour avec lui… Alors, il faut des formes, l’Église fournit des formes, bien sûr ! Je ne dis pas le contraire. Mais attention… on croit qu’on fait plaisir. Les juifs pensaient ça, les pharisiens pensaient ça. « T’as vu Seigneur : on t’a sacrifié 3000 bœufs, 5000 chèvres et on t’a tout fait grillé. T’es content ? » « Non ! Vos sacrifices de viande grasse, j’en gerbe ! », dit le bon Dieu. « J’en vomis. J’en peux plus ! Ça me sort par le trou des narines et par les oreilles. » C’est dit comme ça dans la Bible. « J’en peux plus ! Vous croyez me faire plaisir en faisant ça ! Vous ne me faites pas plaisir. » « Ce qui me fait plaisir, c’est de délivrer le pauvre ; de donner à manger à celui qui a faim ; d’aller trouver le malheureux. Ça, ça me fait plaisir », dit Dieu. « Et manger le gigot et puis aller trouver le pauvre et partager le gigot avec le pauvre. Mais vos sacrifices, j’en peux plus ! Vous croyez me faire plaisir avec ça et c’est faux. Vous ne me faites pas plaisir avec ça ! » Dieu nous veut donc dans une relation où on se fasse plaisir les uns les autres.

                Mais on voit ça : un jour j’avais un couple qui vient. C’était assez tendu. Elle dit : « Tu ne m’offre jamais rien ! » Il dit : « Écoute, pour ton anniversaire je t’ai apporté la dernière machine à café, la plus performante. C’est même moi qui suis allé l’acheter pour toi. Je n’ai pas envoyé quelqu’un. J’ai fait l’effort et te l’ai apportée. » Sa femme le regarde et dit : « Et je ne bois jamais de café. » Alors vous vous dites, oh ! mince… il y a un petit problème. Lui buvait du café mais pas sa femme. Alors vous vous dites, comment on va rattraper le coup… ? Des fois, c’est ça avec Dieu : on lui fait des trucs qui ne lui font pas plaisir. Ça te fait plaisir ? Ben non, ce n’est pas comme ça que j’aimerais que tu viennes vers moi. Ça ne me fait pas très plaisir. Reprendre le sens de la relation brisée. Reprendre le sens de ce cœur à cœur avec lui. Reprendre le sens de cette intimité. Et il est un peu joueur le bon Dieu… Une histoire authentique : c’est l’histoire d’un enfant qui était sur une chaise roulante à Lourdes, et qui dit : « Je suis sûr qu’à la bénédiction du saint Sacrement je vais marcher ! » Alors l’évêque arrive, le bénit, et rien du tout, il reste coincé sur son siège. Il regarde Jésus au saint Sacrement et dit : « Jésus, puisque c’est comme ça, j’irai tout dire à ta mère ! » Il fonce à la grotte et à la grotte il s’est levé ! Et j’imagine Jésus et Marie au Ciel en train de discuter le coup… : « Allez, vas-y, vas-y, là c’est pour toi ! » Voyez donc cet émerveillement qui est là.

    Du désespoir à la Pentecôte

    Élévat°Eucharistie Complète.jpgCe que nous fait découvrir aussi le péché, c’est le désespoir. Qu’est-ce qu’on a perdu au moment du péché originel ? On a perdu notre dignité d’enfants de Dieu. La capacité de parler à la brise légère du soir avec le Père, en toute simplicité. C’était extraordinaire, vous imaginez ? Cette idée nous est redonnée. Et Dieu n’a fait que ça, quand on lit tout l’Ancien Testament. Et même l’histoire depuis les origines. Dieu s’est dit : « Mais comment je vais faire pour apprivoiser cette humanité qui s’est détournée de moi ? » Et Il va tenter. Et toute l’histoire de l’Ancien Testament, c’est Dieu qui essaie de ré-apprivoiser l’humanité à travers son peuple, en disant : « Mais je t’aime ! Regarde-moi ! Les idées que tu as sur moi sont fausses. C’est pas comme ça… Tu crois… non… Je n’aime pas fracasser la tête des ennemis. Je n’aime pas le sang qui coule. Mais bon, je t’ai défendu quand même. Et je prends soin de toi. » Jusqu’au moment où il va nous saisir, nous empoigner, et ça, c’est la Pentecôte. Or, il y a deux Pentecôte. Il y a la Pentecôte de saint Luc, qu’on connaît bien, dans les Actes des apôtres. Le phénomène extraordinaire dont je vous parlais hier soir. Et il y a une Pentecôte plus discrète, c’est la Pentecôte de saint Jean. C’est celle qui jaillit du Cœur du Christ sur la Croix. Si on regarde un petit peu cette histoire, mais très rapidement… À un moment donné, vous savez, il y a un papa et son fiston, qui partent… Il n’est plus tout jeune, il a une trentaine d’années, ils partent sur une montagne et le fiston dit au papa : « Mais, papa… On a le feu, on a le bois, mais où est l’agneau du sacrifice ? » C’est Abraham et Isaac… Et ils ont traduit : « Mon fils, Dieu pourvoira à l’agneau. » En hébreu, ce n’est pas ça : « Mon fils, Dieu voit l’agneau. » C’est au présent. Et le présent en hébreu est un présent qui continue. Dieu a sans cesse sous les yeux l’agneau. Ah ! Alors là, on comprend mieux. Ensuite, on connaît l’histoire. En fait, c’est un bélier qui se prend la tête dans un buisson. Je ne sais pas si vous avez remarqué, c’est le papa de l’agneau. C’est le père, d’abord, qui souffre, qui parle, qui participe. C’est le papa de l’agneau qui s’est pris la tête dans le buisson d’épines. Jusqu’au jour où l’agnus se prendra la tête dans le buisson d’épines aussi. Donc, Dieu se cache toujours dans un buisson d’épines. C’est la petite leçon qu’il faut en tirer… Quand ça pique, il y a le bon Dieu qui se cache dedans. Quand ça fait mal, il y a le bon Dieu qui est là, qui nous attend… C’est là qu’on trouve le bon Dieu : dans les buissons d’épines… du quotidien. Bref ! Jusqu’au jour où on arrive au bord du Jourdain. Et tout d’un coup : « Papa, où est l’agneau du sacrifice ? » « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » : saint Jean-Baptiste désignant Jésus. Whouaaa ! on l’a trouvé ! Et alors arrive ce moment extraordinaire, où deux disciples, - les évangélistes nous disent qu’il s’agit de Jean et André – suivirent l’Agneau. L’Agneau se retourne en disant : « Que cherchez-vous ? » Ils lui disent : « Rabbi (Maître), où demeures-tu ? » « Venez et voyez », leur répond-il. Ils allèrent. Ils demeurèrent avec lui ce jour-là. Ils rentrèrent. C’était vers la dixième heure, soit vers 4h de l’après-midi. Et ça, c’est un point où j’ai un petit problème avec saint Jean, quand même… Je dis : « Mais, tu ne nous a pas dit ce qui s’est passé… Tu aurais pu nous dire. Tu était là… Nous expliquer ce que tu as vécu avec l’Agneau pour la première fois que tu le rencontrais. Tu passes la journée avec lui : pas un mot ! Si ce n’est un petit détail : il était vers la dixième heure… Qu’est-ce que l’on en a à faire, 2000 ans plus tard que c’est la dixième heure, la cinquième heure, la huitième heure… » Sauf que la dixième heure est un temps très important. Pour les juifs et pour nous. Je reviendrai pour les juifs après. Mais pour nous c’est très important : parce que les heures reviennent à la fin de l’Évangile de saint Jean, voyez-vous… À la sixième heure : une grande ténèbre se fit sur toute la terre. À la neuvième heure : Jésus poussant un grand cri remit l’esprit. Et avant que les premières lumières du shabbat, quand cette chose s’est passée, ne soient allumées, vers 5h et 1/2, le 14 nisan à cette période de l’année à Jérusalem, on a voulu descendre les condamnés à mort de la croix. Il a fallu vérifier leur mort et pour Jésus, on n’a pas brisé ses jambes mais on a transpercé le cœur. Le temps de le mettre au tombeau, de l’embaumer rapidement, de fermer le tombeau et d’arriver à la maison pour respecter le shabbat de Pâque, de Pessah’, on peut imaginer que c’est vers la dixième heure. Alors, si on prend toute l’histoire du Salut depuis Abraham : « Papa, où est l’agneau du sacrifice ? » « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » « Où demeures-tu ? » « Venez et voyez »… à la dixième heure vous comprendrez tout. Le rendez-vous que Jésus nous fixe depuis les origines, c’est la dixième heure. C’est tellement vrai que c’est l’heure de Jésus. Dans tout saint Jean : « Mon heure n’est pas venue / mon heure n’est pas venue / Mon heure n’est pas venue … » « L’heure est venue / l’heure est venue / l’heure est venue ». L’heure de Jésus c’est ça. En gros, c’est sa Passion, mais quand on zoome, c’est le cœur ouvert.

    Croix san Damiano.jpgQue disent les juifs, le Talmud ? Il dit : « À la sixième heure Dieu créa nos premiers parents, Adam et Ève - Ish et Isha. » « À la neuvième heure, Il leur donna la Loi - la Torah. » « À la dixième heure, ils transgressèrent la Loi. » « À la onzième heure, ils furent chassés du Paradis - du Gad Éden. Ah ! La dixième heure c’est le lieu du péché originel dans la tradition imagée du Talmud, c’est-à-dire dans la succession sur un jour de la grande histoire du Salut. Et à la dixième heure Jésus nous attend pour nous redonner l’Esprit Saint. Il n’y a aucun décalage entre le temps du péché et le temps du don de l’Esprit Saint. Oh ! il y a eu des milliers d’années entre deux ! Mais spirituellement il n’y a pas de décalage. Le péché est le moment où Dieu attend pour me rejoindre. La perte de l’esprit filial où Dieu m’attend pour me redonner l’esprit filial. C’est à la dixième heure que l’un et l’autre adviennent et donc c’est à la dixième heure que j’ai ce rendez-vous. Or, justement, que se passe-t-il à la dixième heure ? Eh bien, Jésus l’annonce dans l’Évangile de saint Jean. C’est le jour de la fête de Souccot. Souccot est une grande fête de la tradition juive où l’on se rappelait le séjour dans le désert. On dormait sous des tentes, on célébrait avec joie la providence divine. Et le dernier jour de la fête de Souccot, il y avait la fête de l’eau, du don de l’eau. C’était une célébration assez étonnante. Il y avait peut-être 300 000 personnes à Jérusalem, à l’époque du Christ, quand on célébrait Souccot et la fête de l’eau. Le grand prêtre descendait chercher l’eau à la fontaine de Siloë, qui était au fond du Cédron, sous le temple de Jérusalem. Qui était la seule source jaillissante d’eau vive à Jérusalem. Jérusalem est alimentée par des puits, mais là c’était l’eau qui jaillissait comme une fontaine, en saccades, nous disait-on, d’ailleurs, dans les récits antiques. Il vient chercher l’eau, il l’apporte au temple et verse l’eau sur l’autel, pour signifier la communion avec le Ciel. Parfois même on dressait une estrade en bois, où on lisait la Torah, tous les sept ans. Et les commentaires juifs, le Midrash, la Mishna, le Talmud, nous dit : « Qui n’a pas vu la joie de la fête de l’eau qui clôt la fête des Tentes ne sait pas ce que c’est que la Joie. » Il y a un commandement de la Joie. Vous devez être joyeux ! Jérusalem était éclairée de mille torches, on voyait comme en plein jour. Il y avait des torches et des bougies partout. Et c’était la Joie des joies. On ne pouvait pas ne pas être joyeux. C’était interdit. À ce moment-là Jésus se met à crier. « Si quelqu’un à soif, qu’il vienne à moi, car il est écrit de son côté jailliront des fleuves d’eau vive. » Il parlait de l’Esprit saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui, au moment de sa glorification. Donc, au moment où c’est le don de l’eau, le rapprochement du ciel et de la terre par l’autel, une estrade en bois sur laquelle le grand prêtre proclame l’Alliance… Au moment où on parle de l’eau qui va jaillir, Jésus annonce le don de l’Esprit saint. Et même ‘pire’, si j’ose dire, le mot grec est utilisé par saint Jean : « Il crie comme un corbeau. » C’est le verbe kraso qui est utilisé en grec : « Il crie comme un corbeau. » « Ôooo… » Or, ce n’est pas très bon signe, dans l’Écriture sainte… Ceux qui crient comme des corbeaux, ceux sont les démons quand Jésus les expulse. C’est la foule qui crie : « À mort, à mort, crucifie-le ! » Dans saint Jean, il y a saint Jean-Baptiste qui crie comme un corbeau. Si vous remontez à la Genèse et à l’Arche de Noé, avant même que la colombe ne soit envoyée sur la terre, pour renouveler la face de la terre, c’est le corbeau qui est envoyé. Plusieurs fois, il va et vient. Plusieurs fois, le corbeau va et vient et ensuite Noé envoie la colombe qui repose ensuite sur la terre, sans revenir. Et la terre, ce n’est pas la terre de la patrie. Ce n’est pas Eretz en hébreu, c’est ‘Adamah : c’est la glaise dont nous sommes tirés. L’Esprit vient sur la glaise dont nous sommes tirés pour renouveler la face de la terre. Eh bien… Jésus annonce que sa Pentecôte sera au Cœur ouvert.

    Le Cœur du Christ à l’Eucharistie : la Pentecôte eucharistique

    Jean sur le cœur de Jésus.jpgOr, où est ce Cœur palpitant du Christ… ? Eh bien, il est à l’Eucharistie aujourd’hui. De sorte que la nouvelle pentecôte prophétisée par Jean XXIII, prophétisée par Marthe Robin, prophétisée par tant de saints et saintes… Prophétisée par le règne eucharistique du Christ de saint Pierre-Julien Eymard, par le triomphe du Cœur Immaculé de Marie, qui est la même chose, à Fatima… C’est à l’Eucharistie que ça se passe. Car c’est du Cœur ouvert du Christ au saint Sacrement que jaillit en permanence l’Esprit Saint. Saint Jean Chrysostome l’a dit dans son texte sur la Pentecôte eucharistique que Benoît XVI et Jean-Paul II ont repris. En disant que l’Eucharistie est une Pentecôte permanente. Alors, elle est moins spectaculaire que celle de saint Marc. Dans le Renouveau charismatique, on aimerait bien les signes et prodiges, le parlé-en-langues, les manifestations, les guérisons… Oui… Sauf que la Pentecôte de saint Luc, dans les Actes, suit la Pentecôte de saint Jean. Et c’est parce qu’il y a eu la Pentecôte de saint Jean qu’il a pu y avoir la Pentecôte de saint Luc. C’est parce qu’il y a eu l’effusion silencieuse, au pied de la Croix, de l’Esprit Saint sur l’Église naissante, avec Marie et Jean… qu’il a pu y avoir ensuite, au Cénacle, au lieu de la première messe, la Pentecôte. Saint Pierre-Julien Eymard, moi je l’aime quand il va chercher à racheter le Cénacle ! Il s’est fait avoir… comme Charles de Foucauld qui s’est fait complètement pigeonné en voulant racheter le Gethsémani… Pigeonné ! Mais c’est beau parce que ça montre le vrai désir, voyez-vous… : être au Cénacle, là où il y a l’Eucharistie et la Pentecôte. Eh bien, on est au Cénacle, à chaque messe. Le cénacle de son cœur, vous l’avez très bien dit (le P. Nicolas Buttet s’adresse alors au P. André Guitton qui a parlé précédemment du testament spirituel du P. Eymard : Le ‘chant’ de P.J. Eymard, note de La Vaillante), est le cénacle de l’Eucharistie.

    La prière

                L’Esprit Saint jaillit en permanence du Cœur du Christ pour nous redonner un cœur filial. Pour nous réapprendre à dire à Dieu : « Abba ! » « Père ! ». Pour prononcer comme des enfants ‘Abba’ : « Dis : ‘papa’ » « - Baba… » « - Non : ‘papa’ » « - Aba… ». Le bon ton de la prière. L’abandon filial. Le cœur filial. C’est ça que Dieu nous demande.

    Arturo Benedetti Michelangeli.jpgLa prière, ce n’est pas une question de parole ou de demande. La prière est une question de ton. Il y a un grand pianiste qui s’appelle Arturo Benedetti Michelangeli. Cortot disait que c’était le « nouveau Liszt ». Un homme assez particulier, assez brillant. Il arrive un jour pour jouer un concert. Il se met au piano et dit : « Ce fa ne va pas. » Et l’accordeur était là et dit : « Écoutez… J’ai vraiment vérifié et je peux vous assurer… » « - Le fa ne va pas ! Débrouillez-vous, je ne peux pas jouer avec ce piano… » Alors, l’accordeur regarde et puis il va regarder sur les feutres et il voit qu’il y avait un cheveux sur le feutre du fa. Alors il enlève le cheveu et Arturo Benedetti Michelangeli revient : « Ah oui ! Cette fois-ci c’est bon ! Qu’est-ce que vous avez fait ? » Il avait retiré un cheveu sur… Vous voyez… Ce n’est pas les paroles, c’est le ton. Est-ce que le ton de ma prière est filial ? Est-ce que j’ai cet abandon filial entre les mains du Père ? Est-ce que je suis dans cette simplicité filiale ? Je suis frappé de voir ces tout pauvres, comme ça… qui ne savent pas articuler une prière, mais Dieu craque devant eux. Parce que… « Seigneur, c’est toi. Tu es Papa, débrouille-toi, quoi… » Dieu aime quand on le prend au mot, comme ça, dans cette simplicité filiale. Une personne me dit un jour : « J’ai une prière puissante, mon Père, il faut que vous l’appreniez ! » Je ne sais pas quel saint c’était… Je lui dis : « Écoutez, moi j’en ai une plus puissante. Je vais vous la donner aussi. » « - Haaannn ! Je peux l’écrire ? » « Vous la savez déjà par cœur. » « C’est pas possible ! Je ne suis pas sûre… Moi, c’est la plus puissante que j’ai découverte… ! » « Je vais vous la dire, la plus puissante : Notre Père, qui es aux cieux, Que ton nom soit sanctifié… C’est Jésus lui-même qui nous l’a enseignée. Vous vous rendez compte ? C’est la plus puissante de toutes ! Pas comme vous l’imaginez. C’est celle qui vous redonne un cœur d’enfant. » Quand les apôtres disent à Jésus « Apprends-nous à prier », il ne dit pas d’apprendre une formule, une technique, la formule magique de la prière. Ils sont saisis par la façon avec laquelle Jésus parle avec son Père. Ils connaissaient la prière juive. Avec les phylactères, proche du cœur, sur le bras gauche, sur le front. Les papillotes, la kippa. Et ce mouvement : le balancier. Il faut se bouger… Ils connaissaient ça, mais tout d’un coup, de voir en silence, Jésus… Ils se disent : « Mais, c’est quoi ton secret ? » Et le secret n’est pas dans une formule, mais dans une relation personnelle avec le Père. C’est ça le grand secret, voyez-vous… C’est ça le gigantesque secret.

    La sainteté

                L’Eucharistie est au cœur de ce renversement total. Thérèse de l’Enfant Jésus disait : « La sainteté n’est pas dans telle ou telle pratique. Elle consiste dans une disposition du cœur qui nous rend humble et petit entre les bras de Dieu, conscient de notre faiblesse et confiant jusqu’à l’audace en sa bonté de Père. » À sainte Faustine : « Tu vois, mon enfant, que tu es par toi-même la cause de tes échecs. C’est que tu comptes trop sur toi et que tu t’appuies trop peu sur moi. Mais que cela ne t’attriste pas outre mesure. Je suis le Dieu de la miséricorde. Ta misère ne saurait épuiser mon amour puisque je n’ai pas limité le nombre de mes pardons. Saches, mon enfant, que les plus grands obstacles à la sainteté sont le découragement et l’inquiétude. Ils t’enlèvent la possibilité de t’exercer à la vertu. Toutes les tentations réunies ne devraient pas, même un instant, troubler la paix de ton cœur. Quand à l’irritabilité et au découragement, ce sont les fruits de ton amour-propre » : le diagnostic médical, par Jésus, sur notre vie intérieure. Et autre chose lié à ce drame du péché…

    L’athéisme

    La foi des démons ou l'athéisme dépassé FH.jpgChesterton, un auteur anglais, disait : « Il n’est pas vrai que lorsque l’homme a cessé d’adorer Dieu, il ne croit en rien. Il croit en n’importe quoi. » Un monde incroyant, qui refuse le Dieu de Jésus-Christ, n’est pas un monde qui ne croit en rien. Il croit en n’importe quoi. On a vu des gens extrêmement savants adhérer à des sectes complètement débiles… Le Temple solaire osait prendre la comète Cyrus pour aller dans l’espace interstellaire… enfin, il y avait des gens brillants qui étaient là ! Qui avaient fait de hautes études, bac + machin… Et crétins comme tout ! Et il y a des gens tout simples qui sont puissamment intelligents parce qu’ils ont l’intelligence de la lumière de la Parole de Dieu. Et donc, un monde sans Dieu, est un monde idolâtre. Un monde qui n’adore pas le vrai Dieu. L’homme ne peut pas ne pas adorer. L’homme ne peut pas ne pas se prosterner. Et s’il ne se prosterne pas devant le vrai Dieu, il se prosterne devant de faux dieux. Il va idolâtrer la science, le savoir… L’athéisme est impossible en lui-même. Il y a un très beau livre de Fabrice Hadjadj là-dessus, La foi des démons ou l'athéisme dépassé, où il montre que si on est dans la pure logique de l’athéisme de se couper délibérément de ce qui donne sens à la vie, l’homme ne peut que se suicider. Il ne peut qu’être conduit à la mort. Donc, l’athéisme en soi est impossible. Le problème, c’est que j’ai rejeté le Dieu de Jésus-Christ, mais que je peux très bien adorer d’autres dieux : mon ego, mon moi, ma santé, une personne, mon enfant, ma femme, mon époux, mon travail, mon sport, mon loisir, telle vedette de cinéma ou de la chanson… Bref… Il y a un culte qui est rendu, qui donne sens à mon existence. Et on comprend bien ! C’est pour ça qu’il ne faut pas être sévère face à cela, parce que ça révèle ce qu’il y a de plus profond au cœur de l’homme. L’homme ne peut pas ne pas être relié. C’est une des étymologies de religion : relié. Voilà… Et alors, l’Eucharistie vient nous libérer de ça, voyez vous…

    L’adoration

    Adoration Veillée.jpgL’homme a un lieu devant qui se prosterner. Le pape Benoît XVI disait : « Nous trouvons ici ce qui est constitutif de l’adoration eucharistique. S’agenouiller en adoration devant le Seigneur. Adorer le Dieu de Jésus-Christ qui s’est fait pain rompu par amour est le remède le plus valable et radical contre les idolâtries d’hier et d’aujourd’hui. S’agenouiller devant l’Eucharistie est une profession de liberté. Celui qui s’incline devant Jésus ne peut et ne doit se prosterner devant aucun pouvoir terrestre, aussi fort soit-il. Nous les chrétiens, nous ne nous agenouillons que devant Dieu, devant le Très-saint Sacrement, parce qu’en lui nous savons et nous croyons qu’est présent le seul Dieu véritable qui a créé le monde et l’a tant aimé au point de lui donner son Fils unique. » C’est la profession la plus révolutionnaire que nous puissions faire. J’ai vécu une expérience un peu étonnante : un jour, j’ai rencontré un jeune qui était complètement athée, qui avait quand même été baptisé dans son enfance, mais qui avait grandi dans un milieu non croyant et qui avait été loin de tout. Et puis il suit un chemin de foi et il demande la confirmation. J’étais son parrain de confirmation. On se retrouve dans une paroisse de Lyon, avec tout le côté catho… c’était l’Emmanuel qui tenait la paroisse. Avec tout son milieu professionnel - il était dans l’aviation - de gens athées, musulmans… Il avait invité tout le monde, parce que c’était un homme avec un beau relationnel, tout le monde était là à sa confirmation. À la fin, il y avait un petit repas, dans un hall de gymnastique. Il avait mis une croix, comme ça. Et à la fin, il me dit : « Il faut que tu leur parles. » « Écoute, je ne sais pas que dire… t’as les cathos pratiquants, charismatiques et puis t’as les athées et les musulmans… Qu’est-ce que tu veux que je leur raconte… ? » « Il me fait : « Ça, c’est ton problème, c’est pas le mien. Vas-y ! » Je dis : « Attends… C’est un peu fort… Attends… » «  Ouais… Je te passe la parole ! » Alors, il annonce au micro. Et moi, j’étais tellement déconcerté que je suis arrivé devant la croix, je me suis prosterné, mais complètement, le front au sol, en disant : « Jésus, là, c’est à toi de jouer, parce que moi je ne sais pas que dire… je ne sais vraiment pas ce que je vais dire ! » Je me relève. Je raconte des choses, je ne sais pas quoi, bref… À la fin, il y a un monsieur qui vient me voir et qui me dit : « Voilà… Je suis musulman. Je veux devenir chrétien. » Je dis : « Ça fait longtemps que vous songez à ça ? » Il me dit : « Non, tout à l’heure. » Je dis : « Comment ? » « Parce que quand vous vous êtes prosterné, le front par terre, en face de la croix, comme nous on le fait en direction de La Mecque cinq fois par jour, j’ai su que vous étiez devant le vrai Dieu. » Il a été baptisé deux ans plus tard. Alors, je lui ai présenté le curé de la paroisse. Je lui ai dit : « Écoutez, moi je suis absent… » Et deux ans plus tard, j’ai reçu la nouvelle qu’il avait été baptisé. Parce qu’on s’est prosterné devant le vrai Dieu, voyez-vous… Et ça, je crois que c’est un acte d’adoration incroyable. Et nous avons ce vrai Dieu…

    Abd el Kader.jpgÀ l’époque, comment s’appelle-t-il… ? Ce chef touareg, qui était venu… heu… Ah ! Ce grand… qui était venu à Paris pour les négociations… Il était avec le grand général de l’armée française qui l’accompagnait… Ah ! mince, je suis fatigué, là… Bref ! Et puis tout d’un coup le prêtre… on est au XIXème siècle, le prêtre portait le saint Sacrement à un malade avec les cierges et tout, et puis le général s’agenouille sur le trottoir. Et il dit : « Qu’est-ce que tu fais là !?… » « Je m’agenouille devant mon Dieu qui est porté par le prêtre. » Et ce chef… Abd el-Kader ! Abd el-Kader lui dit : « Vous vous agenouillez devant un Dieu porté par un prêtre ! Chez nous, on a une plus haute idée de Dieu que ça, dans l’islam ! » Et le général lui répond : « C’est parce que vous avez une idée de Dieu que vous ne pouvez pas comprendre. » Dieu n’est pas une idée : c’est le Verbe fait chair, voyez-vous… Et nous, chrétiens, on a parfois des idées de Dieu. Et on refuse de rentrer dans la logique de l’Incarnation. Dans la stupeur de l’Incarnation. Dans la stupeur de l’abaissement, de la kénose. Du lien… Donc, on est au cœur de ce renversement.

                Le cardinal Garonne disait à l’époque : « Notre temps a perdu le sens de Dieu. C’est-à-dire qu’un monde naît, il est né déjà, où ne s’affirme aucune présence spirituelle. La mobilisation s’impose donc de toutes les puissances d’adoration dont l’Église du Christ est riche. La perte sensible du goût de l’adoration eucharistique, loin de marquer une purification du sens religieux, révèle au contraire un abandon mal avisé et inconscient au courant des choses de ce monde. »

    Marie-Thérèse Dubouché.jpgUne autre grande prophète de l’Eucharistie, Théodelinde, Marie-Thérèse Dubouché. Marie-Thérèse du Sacré Cœur qui a fondé les Sœurs de l’Adoration Réparatrice disait qu’il fallait retrouver ce sens de l’adoration, que c’était là que tout allait pouvoir se transformer. « Quand nous ne ferions autre chose par notre présence perpétuelle à l’église que d’attester la Présence perpétuelle de Jésus au Très Saint Sacrement, quand nous ne prononcerions d’autres paroles que celles-ci : « Dieu est là ! », il me semble que nos vies seraient dignement et utilement employées. » C’est le sens de l’adoration perpétuelle ici à Montmartre depuis 130 ans. Donc voyez vous, cette guérison profondément théologique. Et c’est là qu’il faut comprendre à quel point le Christ vient nous rejoindre, vient nous guérir et à quel point il vient nous transformer par cette présence eucharistique.

    L’orgueil

                Il y aurait aussi peut-être un point plus anthropologique… Je le relèverai assez rapidement, il y aurait plusieurs points à relever, mais… peut-être 2 choses là dessus ; 3 choses ; 4 choses. Rapidement, il y en a plusieurs, oui : 4. Le première, c’est l’orgueil. Je ne sais pas si tout le monde voit ce que c’est, ça, l’orgueil… Ça vous dit quelque chose, ça ?… Je reviens à cette phrase de Benoît XVI : « Sa façon d’être Dieu provoque sa façon d’être homme. » Qui suis-je pour revendiquer quoi que ce soit devant ce Dieu qui s’abaisse à ce point ? Qui suis-je pour revendiquer quelque reconnaissance que ce soit devant un Dieu qui se fait si pauvre, devant moi ? Et qui me rejoint dans ma pauvreté. Qui me rejoint dans ma misère. Il est descendu jusqu’à ce point pour m’apprendre le vrai chemin de la dignité : accepter d’être ce qu’on est. Mais en même temps, reconnaître cette pauvreté, cette vulnérabilité, rejeter cet orgueil devant le Christ qui s’est abaissé, le Dieu Tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, qui se rend présent sous l’apparence d’un bout de pain. Et comme disait un théologien : « C’est même pire aujourd’hui… Parce qu’avant de faire croire que c’est Jésus sous l’apparence de l’hostie, il faut déjà faire croire aux gens que cette petite pastille blanche qui n’a ni le goût du pain, ni l’apparence du pain, ni rien d’un pain… est un pain. » C’est-à-dire qu’on a réduit le signe eucharistique à tel point… que finalement on dit que c’est du pain mais, nos frères et sœurs orthodoxes ont vraiment du pain. Et on se dit : « Oui, c’est du pain qui devient Dieu ». Mais, nous, cette petite hostie… même à une certaine époque on se faisait un honneur de la faire la plus fine possible pour que la plus grande légèreté porte le plus grand être. Mais, non… manger, ce n’est pas déguster. On n’est pas en cuisine gastronomique, voyez vous… On est en Vie ! Je veux manger cette chair du Fils de l’homme ! Au point que des fois… J’ai un ami évêque qui est en Amérique latine, qui a célébré 5 messes dans différents quartiers d’un bidonville, le même dimanche, et un petit garçon était là à chaque messe et venait communier. Alors, à la fin, il dit : « Mon petit, dis donc ! t’aimes Jésus pour venir… » « Non… j’ai très faim ! ». Il a dit : « J’ai compris… Il avait raison. Il avait même raison comme ça !… » Il avait faim physiquement, il venait chercher l’hostie pour manger quelque chose. Le Seigneur, ensuite, Il se débrouille, dans son cœur, hein ! C’est son job.

    L’estime de soi

                Donc, premier point, l’orgueil. Mais en même temps, l’estime de soi. On cherche tous un regard qui nous fasse exister. On cherche tous un regard qui nous fasse vivre. Parce qu’on a besoin d’être regardé. Il y a des psychologues comme Erik Erikson qui montrent que le capital confiance d’un enfant se fait par le regard posé par deux ou trois personnes dans la première année de la vie. C’est le regard paternel, maternel, des frères et sœurs, des grands-parents… très peu de personnes, le capital ‘confiance’ d’une vie… - Erik Erikson montre ça - se situe à ce niveau là. On a tous ce besoin. Et parfois, quand ce regard a manqué, ou quand le regard a dévisagé plutôt que d’envisager ; quand le regard a détruit, plutôt qu’il n’a construit… alors je suis très blessé. Et sous le regard du Christ Eucharistie, je revis. Un jour une fille avait fait 5 tentatives de suicide. J’étais encore dans mon ermitage à l’époque : il y avait 480 marches d’escalier, dans une grotte, un petit rocher… Et je la vois… Il y avait une chapelle à côté. Donc, elle était montée là-haut. Elle avait 15 ans. Et quand j’ai vu la tête qu’elle tirait, je l’ai prise par les épaules et je lui ai dit : « Tu sais que tu es belle ? Dieu t’aime et je t’aime. » Ce que je ne savais pas c’est que son père lui avait dit en psychothérapie familiale : « Tu peux crever, j’en ai rien à foutre ! »… Elle a fait 5 tentatives de suicide et ce jour là elle était montée avec un pistolet dans son sac en se disant qu’avec une balle dans la tête et 135 mètres de chute à-pic elle n’allait pas se louper. On a passé 3 heures ensemble. Elle ne disait rien. « Oui / Non ». La seule chose qu’elle m’a dite c’est : « Je ne crois pas en Jésus. » Elle est descendue par les escaliers. Elle est venue le deuxième jour, le troisième jour. Le troisième jour elle est venue là. Je dis : « Écoutes, tu es trop blessée. Je vais te dire, je vais être cash avec toi. Il n’y a qu’une chose qui peut te relever : c’est te laisser regarder par Jésus. » Elle dit : « Mais je t’ai dit que je n’y croyais pas ! » Je dis : « Ça ne fait rien, Lui, Il croit en toi. » Elle dit : « Ça veut dire quoi ? » Je dis : « Eh bien tu vois, moi, je passe des nuits de prière à la chapelle, à côté. Tu peux venir passer une nuit, si tu veux. Tu viens à 10h du soir, jusqu’à 6h du matin. On va adorer Jésus. » Et je dis : « Tu vois, il y a des gens qui vont passer des heures sur la plage cet été, à se bronzer recto, verso, pile/face… » ce qui n’est pas mal en soi, mais… Mais parfois le cœur revient tout pâle, vous voyez… Là dans la chapelle, la nuit, pas de risque de coup de soleil ! Extérieur en tout cas, mais à l’intérieur, oui, dans le cœur. Je pensais à cette phrase du prophète Malachie : « Le soleil de justice brille portant dans ses rayons notre guérison » qui est la dernière prophétie de l’Ancien Testament - après c’est l’Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu -, où on annonce que le prophète Elie viendra ramener le cœur des enfants vers leur père et le cœur du père vers les enfants. Et c’est la troisième fois dans le Targum, c’est-à-dire dans le texte en araméen de l’Ancien Testament, que le mot ‘Abba’ revient. On nous dit que ‘Abba’ est là, aux portes. Dans l’Ancien Testament c’est 170 fois que ‘Abba’ est là. Donc… je lui parle de ça, elle part au pas de course et elle revient, elle me dit : « Ok ! D’accord, mais 9 nuits ! » Elle m’a dit que sa grand-mère faisait des neuvaines, alors elle voulait faire neuf nuits. Alors elle revient et le premier soir, de 10h du soir à 6h du matin, elle était les yeux rivés sur l’hostie, comme ça. Elle ne bougeait pas. Moi, j’étais comme ça à côté (il mime le fait d’être pantelant). Et je me relevais et je disais : « Houlala… ! Il faut que je m’y mette ! » Elle, rien. Je dis : « Ça a été ? », à 7h du matin, elle me dit : « Oui » « Eh ben, tu peux revenir une autre fois, si tu veux. » Elle dit : « Je viens ce soir ! » Je dis : « Non, pas toutes les nuits. On fait une nuit sur deux. C’est trop… » Elle a fait les neufs nuits. À la fin, elle ne pouvait pas parler, encore. Elle m’a écrit un mot : « Nicolas, je suis tombée si bas, si bas… qu’au fond du trou je me suis cassé le nez sur Jésus. Et comme un trampoline il m’a renvoyé la lumière ! Je me trouvais moche, nulle et conne. Et Jésus m’a dit : « Tu es ma fille bien-aimée, je t’aime » dans ces nuits d’adoration. » Elle s’est revue avec le regard de Jésus. Elle a fait sa confirmation 6 mois plus tard. Elle a passé son bac après. Elle est mariée et a deux enfants. Pour la petite histoire : il y a trois ans en arrière maintenant, je célébrais la messe à 7h du matin dans notre petite chapelle dans notre communauté et je vois un homme dans le fond de la chapelle. Et puis je me dis : « Mais, ce type, je l’ai vu quelque part mais je ne sais plus où le situer… » et je ne comprenais pas. À la fin il me dit : « Vous vous souvenez de moi ? » Je dis : « Votre visage me dit quelque chose mais je ne me souviens plus où on s’est vu. » Et il me dit le nom de cette fille. Et je comprends : c’était le papa de cette fille. Et il m’a dit : «  Je me suis converti et je suis venu à la messe ici ce matin parce que je vais garder les enfants de ma fille. Elle travaille aujourd’hui. » Elle est enseignante, elle a fait un master en lettres classiques, après… Et donc, il me dit : « Comme je vais garder les enfants je suis venu à la messe avant. Ça fait plaisir de venir à la messe ! » Je trouve ça tellement beau ! Jésus Eucharistie qui vient faire ce miracle, voyez vous… : Tu peux crever, j’en ai rien à foutre ! / Je vais garder les enfants de ma fille. Vous voyez, le chemin… Parce que le regard du Christ s’est posé là-dessus, voyez-vous… Donc, deuxième point : l’estime de soi par le regard du Christ.

    L’émotionnalité

                Troisième point : l’émotionnalité. On est pris dans un monde très émotionnel, aujourd’hui. C’est l’exaltation de l’émotion. C’était un philosophe, Michel Lacroix, qui a écrit un livre sur cette question-là. Et il a une expression dedans : ‘l’homo sentiens’. L’homme qui sent. On avait l’homo sapiens sapiens, et là c’est ‘sentiens sentiens’. Où tout est dans le ressenti. Je sens et toute l’existence est faite de ce ressenti, y compris le jugement moral. Franchement, dans l’Eucharistie, je ne sais pas si vous avez déjà vécu ça, mais… on ne ressent pas grand chose. Si on vient de temps en temps, comme ça, Dieu est bon, il peut nous donner des choses, mais à la longue, à passer des heures devant le saint Sacrement, on ne sent pas grand chose. Mais on pose des actes de foi. Et ça, ça nous structure. Quand je ne ressens rien et que je vois… comme disait un gars un jour : « J’ai l’impression d’être comme un rat crevé derrière une armoire en face d’un bout de carton blanc ! ». Je dis : « Ah ! Très bien. Toi, tu n’es pas un rat crevé derrière une armoire. Tu es un être vivant racheté par le sang du Christ ! Et le bout de carton blanc c’est ton Sauveur, Jésus-Christ ! Et tu poses cet acte de foi et ça te structure. » Ils ont besoin d’être structurés par la foi qui perfectionne la raison et qui vient guérir nos émotions, qui vient ordonner notre sensibilité. Non pas pour la nier, mais pour l’ordonner et pour la guérir d’un monde extrêmement émotionnalisé. L’adoration eucharistique doit être aussi une guérison de notre émotionnalité pour resituer notre vie en perspective d’une rationalité perfectionnée par la foi, d’une vérité qui nous libère.

    L’acédie

    Ste Teresa de CALCUTTA.jpgLe dernier point, c’est l’acédie. L’acédie est une tristesse spirituelle. Le pape en parle, d’ailleurs, dans son dernier texte. S. Thomas d’Aquin nous dit que c’est le dégoût de la joie qui naît de l’amour de Dieu. Il rattache l’acédie à un des fruits de l’amour de Dieu répandu en nos cœurs par l’Esprit Saint. Il y a trois fruits, dit-il : la paix, la joie et la miséricorde, qui se traduit en œuvre de miséricorde. Deux fruits internes : la paix, la joie. Un fruit externe : la miséricorde. Et la joie est rongée par la tristesse, par la tiédeur, par le manque de ferveur. Par le ”bof !”, ”rien à faire… !”, ”tout m’ennuie…”. L’acedia dans les textes d’Evagre le Pontique, un Père du désert, c’est celui qui prononce à moitié les paroles de la prière, qui est toujours en train de regarder par la fenêtre, qui veut toujours être ailleurs que là où il est, qui en a marre de tout, qui ne supporte plus rien, qui s’énerve facilement… parce qu’il n’y a plus la joie d’être aimé de Dieu et d’aimer Dieu. L’adoration eucharistique est un lieu de renouveau de la ferveur, de l’amour. D’abord, c’est le sacrement de l’Amour. Qui communique l’Amour ? La grâce propre de l’Eucharistie, c’est l’amour. Mais c’est un lieu où je vais être revivifié dans cet amour ! Et finalement, j’allais dire… c’est parfois un peu au degré d’adoration que je juge un peu mon amour, si j’ose dire… Il y aura la miséricorde et l’amour à l’égard de mes frères et sœurs. C’est Mère Teresa : c’est parce qu’on a contemplé, adoré Jésus au saint Sacrement ici, dans la chapelle, qu’on est capable de le reconnaître sous le visage du frère ou de la sœur, souffrant derrière. J’étais un jour à Calcutta, je parlais avec Mère Teresa devant la porte d’entrée, et tout d’un coup il y a une sœur qui sort et Mère Teresa dit : « Sister ! Come here ! ». La sœur qui était en train de partir revient. « Ma sœur, vous restez ici aujourd’hui. Vous n’allez pas dans les centres du mouroir. » Et la sœur dit : « Ah bon ? C’était prévu… » « Non ! Avec la tête que vous tirez, les pauvres ont déjà suffisamment à supporter sans supporter votre tristesse ! ». En direct ! J’étais à côté, j’ai entendu, hein ! Houlala… j’ai fait semblant de rien… « Oui, ma Mère !… » « Allez à la chapelle trouver Jésus, vous allez faire le ménage après, ici. » Wahouw ! Avec la tête que vous tirez les pauvres ont déjà suffisamment à supporter sans supporter encore votre tristesse. Ouf ! La douce et sainte Mère Teresa… Directe et percutante.

                Donc, voilà, je crois qu’il faut qu’on arrête pour aller célébrer la messe. Merci Seigneur. Amen.       

     

    Capture d’écran 2018-10-01 à 15.18.48.pngP. Nicolas Buttet, fondateur de la Fraternité Eucharistein
    21 avril 2018, salle Saint-Ephrem, Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, Paris 18ème

     

     

    [1] Voici le texte de Benoît XVI, citant S. Bonaventure : « Laissons-nous remplir à nouveau de cette joie : Où y a-t-il un peuple à qui Dieu est aussi proche que notre Dieu est proche de nous ? Si proche qu'il est l'un de nous, au point de nous toucher de l'intérieur. Oui, d'entrer en moi dans la Sainte Eucharistie. Une pensée qui peut être déconcertante. Sur ce processus, saint Bonaventure a utilisé, une seule fois, dans ses prières de Communion, une formulation qui secoue, qui effraie presque. Il a dit : Mon Seigneur, comment a-t-il pu te venir à l'esprit d'entrer dans les latrines sales de mon corps ? Oui, Il entre dans notre misère, il le fait avec conscience et il le fait pour nous pénétrer, pour nous nettoyer et pour nous renouveler, afin que, grâce à nous, en nous, la vérité soit dans le monde et le salut se réalise". »

     

    Retrouvez cet enseignement sur les pages enrichies
    Adoration Saint Martin — Ré-évangéliser les campagnes (Centre-Val-de-Loire)

    et
    Catéchèse Eucharistique Corpus Christi #JubiléPJEymard2018

     

  • Message eucharistique de Notre-Dame de la Salette : Larmes & Lumière

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    Mercredi 27 décembre 2017, en la fête de la saint Jean apôtre & évangéliste, pendant une heure d’adoration à l’oratoire saint Pierre-Julien Eymard, sanctuaire Notre-Dame de la Salette, veille de mon départ, ai vu, lors du dernier quart d’heure, la réminiscence de l’Eucharistie à la blancheur rayonnante se superposer à la croix sur la poitrine de la Vierge de la Salette, de l’ensemble des trois statuettes posées au sol, debout, à droite du thabor ou trône d’exposition du Saint Sacrement. Ce fut le point de départ d’une méditation sur le message eucharistique de la Salette, que voici.

     

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    Les larmes de la Vierge ne se transforment-elles pas en perles de lumière lorsqu’elles atteignent le crucifix sur sa poitrine ? Ces larmes de lumière n’enveloppaient-elles pas tout le Christ en croix et n’en rayonnait-il pas lui-même de plus belle ? La lumière jaillissant du crucifix sur la poitrine de la Vierge n’indique-t-elle pas cette merveilleuse transfiguration de la souffrance chrétienne en gloire de la résurrection ? Cette croix glorieuse sur le cœur de la Mère de Dieu est-elle autre chose que le Mystère pascal révélé dans l’Eucharistie ? L’indifférence des hommes devant Jésus en croix sur laquelle pleure la Vierge n’est-elle pas transmuée en grâce d’amour pour ces mêmes hommes lors de cette apparition à Mélanie et Maximin ?

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    Cette réminiscence visuelle de la blancheur rayonnante de l’Eucharistie sur la poitrine, le Cœur Immaculé de Marie, fut l’image qui a condensé le mystère eucharistique qui unit Marie à son Fils Jésus sacrifié. Ensemble, ils communient à la souffrance devant l’indifférence des hommes pour l’amour que Dieu veut leur communiquer par leurs saintes personnes. Ensemble, ils communient dans la souffrance en une immense prière eucharistique, le don de leur vie et de leur personne, la Mère de Dieu et le Fils de Dieu communient et s’offrent pour le salut des hommes, ce qui attise l’amour divin entre eux et provoque la miséricorde divine pour les hommes.  

     

    Cette apparition de La Salette est une merveilleuse machine d’amour divin. Sur le crucifix, lieu-même du supplice, summum de la souffrance offerte, l’Esprit Saint rebondit, la lumière divine s’écoule, mêlée aux larmes, transfigurant toute tristesse et ténèbres à qui reçoit le message de l’apparition jusqu’au bout, dans son intégralité. La joie d’être lavé de tout péché, le sentiment incommensurable de reconnaissance, la joie de communier à la vie divine du Christ ressuscité, celle de contempler Dieu dans sa gloire sur le cœur de Notre Mère la Vierge, emportée au Ciel.


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    La Belle Dame les quitta.

    Mélanie et Maximin, le visage tourné vers le ciel, rayonnaient.

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    De dessous la pierre d’ardoise où Marie était assise et pleurait, une fontaine a issi.

     

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    Sandrine Treuillard (texte & photos)

    Engagée dans la Fraternité Eucharistique (de 2015 à 2018), branche laïque de la Congrégation du Saint-Sacrement fondée par saint Pierre-Julien Eymard, Chapelle Corpus Christi, Paris 8. 

    Texte initialement publié dans les Annales de La Salette Mai-juin 2018

    Voir aussi : Le Secret de La Salette

     

    Notre-Dame de La Salette, eucharistie, st pierre-julien eymard, adoration eucharistique, adoration,  

  • Le 'chant' du P. Eymard - Sa dernière retraite, son testament spirituel

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    Retranscription d'après l'enregistrement
    des Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre

    P André Guitton sss.jpgLe p. André Guitton, sss (Père du Saint-Sacrement, communauté au 23 avenue de Friedland, Paris 8, Chapelle Corpus Christi) ouvre sa conférence par un Notre Père avec l’assemblée présente, salle Saint Ephrem, Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, ce matin du 21 avril 2018. Il nous confie à l’intercession de Notre-Dame du Saint-Sacrement, saint Joseph, saint Pierre-Julien Eymard et tous les « saints et saintes de Dieu ». 

     

    Petite histoire des éditions des Œuvres complètes de S. P-J. Eymard

    Bannière Chapelle Corpus Christi.jpgBonjour à tous, je suis très heureux d’être parmi vous. Je ne sais pas pourquoi je suis venu, mais j’ai été invité et j’ai eu la simplicité d’accepter cette invitation, comme une grâce. Et puis j’ai rencontré le père Nicolas Buttet, tôt ce matin, pour harmoniser nos interventions orales. Je ne connaissais pas le thème de la conférence qu’il va nous donner tout à l’heure, et j’ai pensé, puisqu’il est question cette année du 150ème anniversaire de la mort de saint Pierre-Julien Eymard, vous présenter sa vie, non pas comme un récit biographique – il y a des livres pour cela, et même si on a évoqué quelques points de sa vie, tout à l’heure, à l’instant… - mais à partir d’une de ses retraites, la dernière qu’il a faite comme retraite personnelle.

                Comme on l’a noté tout à l’heure, le Père Eymard n’est pas un écrivain, en ce sens qu’il n’a pas publié, sinon simplement les livres des Constitutions des Pères du Saint-Sacrement, des Servantes du Saint-Sacrement et une petite revue qui a duré deux ans. Mais il a laissé beaucoup d’écrits. Et à sa mort tous ses textes ont été collationnés, recueillis, conservés, transmis. Ça a été aussi le point de départ d’une édition que l’on a faite pour la piété des fidèles dans les années 1870-76, sous le titre de La divine Eucharistie, en 4 séries, mais qui ne sont pas des éditions qui correspondent aux normes actuelles de l’édition ; qui sont arrangées, reconstruites. Et il a fallu attendre l’ère électronique pour pouvoir saisir, organiser, puis éditer d’abord de façon électronique (sur internet), et ensuite en édition imprimée grâce au frère Poswick de l’abbaye de Maredsous et de son équipe qui ont collationné cette immense masse de documents. Il y avait dans les archives 70 000 pages qui ont été numérisées en 43 000 photos, et là-dedans, une vingtaine de milles pages ont servi de base à l’édition électronique. On a travaillé, pendant 3 ans, d’arrache-pied. On avait un terme. Parce qu’on était en 2002, et on leur a dit : « En 2006, c’est le 150ème anniversaire de la fondation. Ce serait bien que ce soit terminé le 13 mai 2006… » Alors le frère Poswick a dit : « Bon d’accord, on se met au travail. Je vous enverrai tous les mois 300 pages à vérifier, à corriger, à annoter, à traduire, à préparer pour l’édition. Vous me les remettez dans les deux mois qui suivent, moyennant quoi, en l’espace de 2 ans et 1/2 nous pourrons balayer tout l’ensemble. Ce sera fait. » Et ça a été un énorme travail de va et vient dans les petites équipes que nous étions. Et effectivement, le 13 mai 2006, nous avons présenté à l’avenue de Friedland, une première édition, une première partie. Et au mois de décembre de la même année à la Grégorienne, à Rome, nous avons présenté l’édition électronique en ligne, devant les supérieurs majeurs des congrégations religieuses. Et c’était vraiment un événement. Puis, après, on a procédé à l’édition imprimée. On s’est aperçu que l’édition électronique pouvait avoir bien des fautes… et ça passait. Mais l’édition imprimée, ça ne passe pas ! On a tout repris à zéro, on a tout corrigé, on a tout complété, on a tout harmonisé en faisant de chaque document, à ce moment-là, numéroté, et avec sa côte authentifiée. Il y en a plus de 16 000. Et le tirage a été fait : il y a eu 17 volumes, en partenariat avec les éditions Centro Eucharistico di Ponteranica en Italie, l’édition de nos pères (du Saint-Sacrement) italiens et avec Nouvelle Cité de Bruyères-le-Châtel, en France. Ceci, en guise d’introduction.

     

    La dernière retraite personnelle du P. Eymard à Saint-Maurice : son testament spirituel

                En réfléchissant à ce que je pourrais vous dire aujourd’hui, j’ai pensé prendre dans ses retraites, précisément. Deux volumes de l’édition intégrale sont ses Retraites et notes personnelles. Le 5ème volume contient toutes ses retraites personnelles. Il faut vous dire que le P. Eymard écrivait beaucoup et conservait tout. Si bien que nous avons sa première retraite - qui est celle de sa première communion à La Mure en date du 15 février 1823 -, jusqu’à sa dernière retraite qu’il va faire à Saint-Maurice, près de Paris, dans le noviciat de la communauté, au mois d’avril-mai 1868. Et nous avons ses notes de retraites de séminariste, de jeune prêtre, de prêtre de paroisse, de mariste, de père du Saint-Sacrement. C’est extraordinaire parce que ce n’était vraiment pas fait pour être édité. Mais évidemment, nous avions tous les droits et nous l’avons fait.

                Sa dernière retraite de Saint-Maurice, du 27 avril au 2 mai 1868, est vraiment comme son testament spirituel. Si vous voulez retrouver les grands repères, vous les trouverez dans les feuillets qu’on vous a remis. Né à La Mure d’Isère le 4 février 1811, baptisé le lendemain, dans une famille nombreuse. Son père avait eu 6 enfants du premier mariage. Devenu veuf, il eut 4 autres enfants de son second mariage. Beaucoup de décès. Restent à sa naissance simplement 2 du premier mariage encore survivants. Dont sa marraine et son parrain. Famille très chrétienne, laborieuse : le père a un petit commerce dans la petite cité de La Mure. Et puis, désir religieux, profondément. Puis le désir d’être prêtre qui sera contrarié par son père. Néanmoins, malgré les difficultés, après la mort de son père, qui finalement va accepter, en 1831 il entre au Grand Séminaire de Grenoble. Il est ordonné prêtre le 20 juillet 1834. Il sera prêtre du diocèse de Grenoble pendant 5 ans. D’abord 3 ans à Chatte, près de Saint-Marcellin, dans la vallée de l’Isère, et puis 2 ans comme curé à Monteynard, près de La Mure. Puis, désir de la vie religieuse : il rentre chez les maristes en 1839, heureux d’avoir la vie de communauté qui était mariale, et missionnaire. Mais il ne part pas en mission, sa santé ne le lui permet pas. Il est directeur spirituel au collège de Belley. Appelé par le père Colin, le fondateur, comme assistant général, tout jeune qu’il soit. Puis visiteur général, directeur du Tiers-ordre de Marie, à Lyon. Puis directeur, puis supérieur du collège de La Seyne s/ Mer : les maristes sont des éducateurs.

    Eymard Jeune Mariste ?.png            Dans cet itinéraire il va recevoir des grâces, que l’on dira grâces de vocation, qui vont l’orienter vers un choix qui sera décisif, pour lui aussi, de quitter la société de Marie pour fonder à Paris la Société du Saint-Sacrement, avec Mgr Sibour, l’archevêque. Il fonde à Paris, dans un milieu de pauvreté et il va développer sa congrégation. L’archevêque lui avait dit, en le recevant, après sa retraite : « Je ne suis pas pour ces choses-là, c’est purement contemplatif ! » Il pensait que c’était simplement une société d’adorateurs du saint Sacrement. Et le Père Eymard avait sursauté intérieurement, mais très calme, quand même, il dit : « Nous voulons adorer et faire adorer. Et en premier lieu créer l’œuvre de la première communion des jeunes ouvriers. » Paris, en 1856, est en plein chantier, en pleine effervescence de la révolution industrielle qui canalisait de toute la province des jeunes qui venaient à Paris pour travailler, mais dans la banlieue dont plus personnes ne s’occupait. Et lui va mettre sur pied une œuvre pour catéchiser ces jeunes : les rencontrer, les former, les discipliner, les former humainement, bien sûr. Et puis, le 15 août 1859, il a la joie d’avoir les douze premiers communiants, des jeunes, dans sa chapelle de la rue du Faubourg Saint-Jacques qui sont les prémices de 800 jeunes, des garçons, qu’il va catéchiser. Sans compter les filles lorsque Marguerite Guillot va le rejoindre pour former le noyau de la congrégation des Servantes du Saint-Sacrement. C’est à Marseille, sa deuxième fondation, que sera créée l’Agrégation du Saint-Sacrement, qui elle, se situe davantage dans le culte de l’Eucharistie, dans l’aide pour participer à l’adoration dans ces centres pour l’adoration qu’il crée. Troisième communauté à Angers. L’approbation du Saint Siège en 1863 : l’occasion d’une première retraite de fondateur.

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                En 1864, il imagine qu’il peut fonder une communauté du Saint-Sacrement, non seulement à Jérusalem, mais dans le Cénacle. Rien que ça ! Ça revient aux pères du Saint-Sacrement, c’est évident pour lui ! Et il ne soupçonne pas, évidemment, les difficultés énormes que cela pourrait soulever. Avec beaucoup de candeur et avec une opiniâtreté qui était digne de sa vocation, il va se heurter à des fins de non-recevoir. Il part à Rome pour défendre sa cause (auprès de Pie IX qui l’a en grande estime. Mais Pie IX ne peut rien : il convoque une commission de cardinaux qui étudient. Et puis il y a Noël, l’Épiphanie… ”l’épiphanat” : à ce moment-là, il n’y a plus personne qui travaille au Vatican. Alors, c’est renvoyé. Et le Père Eymard quitte le séminaire français où il est hébergé pour aller chez les rédemptoristes et faire à ce moment-là une retraite, jusqu’à ce que la décision soit prise. Le ”jusqu’à-ce-que” va durer 65 jours. Et le Père Eymard, chaque jour : trois méditations dans l’édition impressionnante où il va s’examiner lui-même. « J’ai l’impression d’avoir fait beaucoup de choses mais n’avoir pas fait l’essentiel », qui était sa propre sanctification. Il est venu pour le Cénacle, et puis tout d’un coup, il perçoit que peut-être, au fond, ce n’était pas l’essentiel, le Cénacle à Jérusalem, mais le cénacle en lui. Et à travers cet approfondissement sous l’action de la grâce, le 21 mars 1865, il va faire le don de sa personnalité, de son moi, une grâce qu’il reçoit durant son action de grâces et dont vous avez le texte ici, dans le dépliant, en dessous de la photo de la châsse. « Rien pour moi, personne. » Rien pour moi, comme personne. Ça ne veut pas dire rien pour moi, ni personne. Mais Rien pour moi comme personne. « Rien par moi. Modèle : Incarnation du Verbe. » Et dès lors, il va être tout comme dépouillé de lui-même, comme centre, et, par ailleurs, « tout revêtu de Jésus-Christ ». Il termine ainsi : « Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga. 2,20). Dès lors, le Père Eymard entre dans la nuit de l’Esprit. Dorénavant c’est un état mystique, comme les grands mystiques l’on connu. Comme Thérèse de Lisieux après son acte d’offrande à l’Amour miséricordieux. Dans la foi pure, sans aucune consolation, il va poursuivre et au milieu de nombreuses tribulations. Il va continuer, mais la requête à Jérusalem, comme vous le devinez, a été négative. Il s’est abandonné totalement au Seigneur mais avec le cénacle en lui. Et c’est extraordinaire, parce que nous soupçonnons à peine ce que cela représente. Et dès lors, effectivement, les tribulations, les difficultés vont survenir.

      

    Trois méditations de la Retraite de Saint-Maurice, du 28 avril 1868

    St Pierre-Julien Eymard malade.jpg            Alors, je pensais vous remettre cette feuille double qui est tirée de sa dernière retraite du 28 avril 1868, qui doit être lue [— et on vous le communiquera d’une façon ou d’une autre : voir sur ce lien (qui comporte l’introduction à cet enseignement) —] à la lumière de l’état dans lequel vit S. Pierre-Julien Eymard. Tout dépouillé de lui-même et tout entier donné au Christ, donné à sa mission, donné à ses frères. Et c’est merveilleux parce que dans cette retraite qu’il commence en disant Je suis venu pour prier, il a conscience qu’il est usé, mais il continue à prêcher l’Eucharistie et à vivre. C’est un moment de grâce qu’il vit dans une propriété qui est à Saint-Maurice, Montcouronne - je ne sais pas si vous voyez dans la région parisienne où cela se trouve, du côté de Dourdan, du côté de Saint-Gomez-la-Ville, qui reste d’ailleurs presque telle quelle aujourd’hui… Une belle maison bourgeoise de la fin du XVIIIème siècle, avec 4 hectares d’enclos, où il avait installé son noviciat. Tranquille, heureux ! Il disait : « Ce sera la maison… On ouvrira les portes de la chapelle et les oiseaux viendront chanter leur Créateur ! » On croirait entendre François, n’est-ce pas ? Et il était là, vraiment heureux. Ça a été un moment pour lui de réconfort. Ce 28 avril a été un moment merveilleux parce qu’il fait comme l’anamnèse, la mémoire de ce qu’il a vécu. Mais pensons que c’est un homme qui est dans cet état dépouillé de lui-même et entièrement donné. Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christi qui vit en moi.

                La première méditation de ce 28 avril, c’est d’abord à la Très-Sainte Vierge. On ne va pas le relire en entier, mais…


    NR 45,2 [mardi 28 avril 1868] 2e jour

    de 6 h à 7 h

    1re méditation – À la très Sainte Vierge

    Grâces

    Que de grâces Dieu m’a faites jusqu’à ce jour !

    Comme il m’a aimé ! – À l’excès.

    Que m’a-t-il refusé ? – Rien.

    Que ne me donne-t-il pas à présent !

    Je l’aime peu, et il m’aime tendrement.

    Je le déshonore par ma vie, et il m’honore encore plus par ses dons et […].

    Je le sers si mal, et il me garde à son service, comme si j’étais un bon serviteur.

    Je suis si lâche et si infidèle à mes devoirs, à l’honneur de sa gloire, et il me laisse l’honneur et la puissance.

    Il m’a confié la gloire de sa Société. Hélas ! Je la vole, je la vends, cette gloire. Et il ne reste à mon Maître qu’un serviteur infidèle et un ministre paresseux.

    Qui de nous deux va se lasser ? Sera-ce moi ?

    Quelle a été la source de mon peu de correspondance à la grâce ?

    Je ne me suis jamais donné absolument, exclusivement.

    J’ai servi Dieu par gloire propre.

     

                Impressionnant de la part d’un homme qui est au sommet de la sainteté à laquelle Dieu l’appelle, mais qui se trouve tellement décalé par rapport à l’appel qu’il reçoit, en lui.
     

    J’ai servi Dieu pour mon amour-propre.

    Je n’ai jamais embrassé résolument et constamment la pratique de l’humilité de Jésus. J’ai voulu être quelque chose avec Lui, par Lui. Voilà le dernier mot du vieil homme en moi. 


                Mais, comme c’est sous la protection de la Vierge Marie, il dit tout simplement… Mais il est dans la nuit de l’esprit. Si je vous ai parlé de la Grande Retraite de Rome (1865), c’est qu’on ne peut pas comprendre ce texte si on ne sait pas dans quel état spirituel il se trouve. Il doit être entièrement réinterprété à la lumière de ces états.

     

    Ô Marie ! Qui m’avez conduit et donné à Jésus, il faut maintenant me reconduire, me redonner à Jésus que j’ai perdu !

     

                Parce que c’est par elle qu’il a vraiment cheminé. Cet abîme d’indignité et cet élan extraordinaire vers un plus comme impossible. 


                La deuxième méditation nous fait relire la vie du Père Eymard, par le Père Eymard, donc, trois mois avant son départ pour le Ciel. Elle est intitulée Foi eucharistique. C’est vraiment très beau. C’est très beau parce qu’on a le Père Eymard dans sa limpidité, dans la clarté de son âme et avec son cheminement, les grâces qu’il a reçu. Il nous y donne la clef d’interprétation de toute sa vie, à travers ces notes qu’il écrit pour lui-même. Ce n’est pas pour nous, ça ne nous concerne pas du tout ! Mais nous sommes-là par-dessus et nous voyons le Père Eymard qui écrit ces choses-là.

                La plus grande grâce de ma vie a été une foi vive au très Saint Sacrement, dès mon enfance. Le Père Fiorenzo Salvi, qui a préfacé l’édition intégrale des écrits du Père Eymard, cite ceci comme le fil rouge qui nous permet de comprendre le P. Eymard dans tout son cheminement. Parce qu’il a un cheminement extraordinaire. Et alors de reprendre à ce moment-là les grandes étapes de sa vie. Mais sous l’angle, précisément, de cette foi vive au très Saint Sacrement. Les grands repères pour lui. Il a dit : dès mon enfance.

     

    NR 45,3

    2e jour – de 10 h à 11 h

    2e méditation – Foi eucharistique

    La plus grande grâce de ma vie a été une foi vive au très Saint Sacrement, dès mon enfance :

    – grâce de communion : le désir de ma 8e année : tout vers elle.

     

                Il a 8 ans, il désire communier profondément : mais on est en 1823, le jansénisme marquait très profondément la piété chrétienne, même après la Révolution, et à ce moment-là on attend 12 ans pour communier. Il faut dire que jusqu’au décret libérateur de S. Pie X, en 1910, c’était la norme : 12 ans pour communier. Et lui, à 8 ans, il est tout vers la communion et dit à sa sœur et marraine : « Que tu es heureuse, toi… » (il doit dire ‘vous’ à Marianne, d’ailleurs, parce qu’en famille, à cette époque-là…) : Que vous êtes heureuse de pouvoir communier et communiez pour moi. Et il se penchait vers elle, Jésus est présent en toi, et moi… Et lui se sentait… C’est quand même très beau, parce que… Grâce de communion. Ensuite :
     

    – grâce de dévotion : visite journalière au très Saint Sacrement.


                Figurez-vous que dans ses notes de l’époque - parce qu’on en a aussi -, il a retrouvé dans Les Visites au Saint Sacrement de S. Alphonse de Liguori - qui n’était pas encore saint en ce temps-là -, l’histoire du frère (je ne sais pas si c’est Élie ou autre chose), où il dit : un ami ne pourrait pas passer devant la porte de son ami sans aller lui rendre visite. Quand vous passez devant une église, allez visiter votre ami, Jésus ! Il reprend ces choses-là.
     

    – grâce de vocation : à Fourvière : Notre Seigneur est au très Saint Sacrement, seul, sans un corps religieux qui le garde, l’honore, le fasse glorifier ! Pourquoi ne pas établir quelque chose, un Tiers-Ordre, etc. à La Seyne (saint Joseph), grâce de donation, de fusion, de bonheur, et qui a duré jusqu’à l’approbation apostolique, si douce.

     
                Grâce de vocation. Il passe par-dessus : il est ordonné prêtre, mais là il n’en dit rien : grâce de vocation : à Fourvière. Là, nous sommes en 1851, le P. Eymard est mariste. En 1845 il y a eu quand même un événement. Il y a des grâces qui jalonnent la vie du P. Eymard. Comme jeune vicaire, en 1836-37, au calvaire de Saint-Romans - dans l’Isère, près de Saint-Marcellin -, il a la révélation que le mystère de la Croix n’est pas simplement le mystère des souffrances de Jésus mais de son amour infini et pour chacun. Donc, pour lui, personnellement. Alors qu’il a vécu jusque-là dans une piété assez rigoureuse et rigoriste. Et pénitentielle, à faire des sacrifices… Mais il va s’ouvrir à cette dimension de l’Amour. En 1845, il va prêcher l’Eucharistie : Jésus, Jésus-Christ et Jésus-Christ Eucharistie, reprenant, parodiant, pourrait-on dire, la parole de Saint Paul. À Fourvière, c’est le 21 janvier 1851 qu’il passe dans la petite chapelle de Fourvière - la grande basilique n’existe pas à ce moment-là, c’est la petite chapelle qui est sur le côté -, c’est le début de l’après-midi et il est absorbé par une pensée qu’il note et cite telle quelle : Notre Seigneur est au très Saint Sacrement, seul, sans un corps religieux qui le garde, l’honore, le fasse glorifier ! Pourquoi ne pas établir quelque chose, un Tiers-Ordre, etc. Quand Pierre-Julien dit Notre Seigneur est au très Saint Sacrement, seul ce n’est pas dans le sens romantique du divin prisonnier qui a cours aussi à cette époque-là. Jésus, tout seul… Non. Comme il le dit lui-même un peu après, c’est que l’Eucharistie ne produit pas dans l’Église les fruits qu’elle devrait produire. Donc, un corps religieux, quelque chose, et c’est une pensée. Il n’y a pas de vision, mais simplement une pensée qui lui vient, une parole intérieure.     

    – grâce de vocation : à Fourvière : Notre Seigneur est au très Saint Sacrement, seul, sans un corps religieux qui le garde, l’honore, le fasse glorifier ! Pourquoi ne pas établir quelque chose, un Tiers-Ordre, etc. à La Seyne (saint Joseph), grâce de donation, de fusion, de bonheur, et qui a duré jusqu’à l’approbation apostolique, si douce.

     
                À la Seyne s/ Mer (saint Joseph) : il s’agit du 18 avril 1853, après la messe, d’ailleurs aussi, en action de grâces : grâce de donation, de fusion, de bonheur, et qui a duré jusqu’à l’approbation apostolique, si douce. À la Seyne il reçoit une grâce dans la même ligne de fondation, de force, pour entreprendre tout ce qui sera nécessaire, quelques soient les difficultés, mais de les dépasser, et ça ne lui coûte pas. C’est une grâce de douceur, 'fortiter' & 'suaviter' ("Elle déploie sa vigueur d’un bout du monde à l’autre, elle gouverne l’univers avec bonté." Sg 8,1) ‘suaviter’ : c’est vraiment la douceur de l’Esprit Saint, la puissance de l’Esprit Saint qui lui est donnée. Et Dieu sait s’il y a… lorsque viendra ce moment, par exemple, où il devra renoncer à son état de mariste, ce n’était pas de gaîté de cœur… Il avait confié à son supérieur général, le p. Favre, qui était allé à Rome pour les affaires de la congrégation, en 1856, au mois de février-mars, il lui avait confier le souci de demander au saint Père ce qu’il fallait faire : s’il devait quitter ou s’il ne devait pas quitter la congrégation mariste. C’est beau, parce qu’avec le saint Père on avait le dernier mot, il n’y avait plus de recours, mais… par chance, ou par grâce, quand le p. Favre est revenu et que le P. Eymard l’a retrouvé près de Mâcon, à Chaintré, au noviciat des maristes, et lui a demandé : « Mais le Pape, qu’est-ce qu’il a dit ? », le p. Favre alors lui dit : « Mon pauvre ami, figure-toi, j’ai complètement oublié ! » Alors, on revenait à la case départ ! Et lui qui mettait toute sa confiance ! Il y avait quelque chose d’une simplicité : « Si le Pape dit oui, il n’y a pas de problème, c’est que le p. Favre dira oui, parce qu’il ne peut pas aller (contre l’avis du Pape). » Mais il y a quand même des médiations humaines. Elles existent et elles ont leur sens aussi. Et c’est alors que le P. Eymard dit : « Mais quoi qu’en pensent les autres secrétaires, les monsignori à Rome sur toutes ces affaires-là… » C’est alors que le p. Favre, qui faisait aussi part de son autorité, de cette vérification de la grâce qui est quand même singulière, parce que le Père Eymard était un religieux profès perpétuel qui avait exercé des charges très importantes dans la congrégation, alors le p. Favre lui pose la question : « Quel signe avez-vous de votre vocation ? » Et c’est à ce moment-là qu’il dit : « Je n’ai rien d’extraordinaire, ni vision, ni apparition, ni quoi que ce soit d’extraordinaire » - même s’il a eu des grâces singulières - « mais depuis quatre ans j’éprouve un attrait de plus en plus fort pour me consacrer à cette œuvre. » Le p. Favre lui dira : « Mais je ne peux pas. Je ne fais pas de visite… » « Ah, mais je vais demander à l’évêque ! » « Mais l’évêque… » « Si, si, l’évêque peut me relever de mes vœux… » Et quand le p. Favre a perçu à ce moment-là, la solidité, l’appel, la présence d’un appel qui vraiment venait d’ailleurs, sur le champ, il l’a relevé de ses vœux. Sur le champ ! Alors que normalement c’est le pouvoir du supérieur général avec l’avis de son Conseil. Mais c’était tellement un événement que sur le champ il l’a relevé de ses vœux. Sauf qu’il fallait bien, après, une formulation canonique et en référer au Conseil. Le P. Eymard a aussi été convoqué au Conseil général et il a été très humilié, lorsque d’aucun lui ont reproché… Enfin, peu importe… On ne faisait pas de cadeau, j’allais dire, d’une certaine façon. Et à ce moment-là il a demandé au p. Favre : « Vous suspendez la décision que vous avez prise. Je pars, je quitte Lyon, je quitte la Société, je pars dans un endroit où je ne connais personne. Je confierai à des hommes expérimentés la décision et leur décision sera définitive. » C’était le 22 avril 1856. Il quitte Lyon le 30 avril, il vient à Paris où il était venu jadis comme visiteur général pour visiter la communauté mariste de Paris. Il demande l’hospitalité pour faire sa retraite à la Mère Thérèse Dubouché de l’Adoration réparatrice. Et le 1er mai, c’était le jour de l’Ascension en 1856, il va célébrer à Notre-Dame-des-Victoires à 6h du matin. Puis il revient… Et à ce moment-là, la Mère Dubouché, dira : « Désolé, mais monsieur Gaume, le supérieur ecclésiastique, ne m’a pas permis de… » Elle le regardait embarrassée… « Il faut chercher ailleurs… » Et le P. Eymard va trouver, finalement, au 114 rue d’Enfer, là où sont actuellement les Sœurs aveugles de Saint Paul, qui est le 88 de l’avenue Denfert-Rochereau, juste à côté de l’infirmerie Marie-Thérèse, des prêtres du diocèse, une maison qui appartenait au diocèse, qui était la maison d’un grand homme… Oui, d’un grand homme : Chateaubriand. Le Pavillon Chateaubriand. Mme de Chateaubriand avait acheté l’infirmerie Marie-Thérèse pour les prêtres âgés du diocèse, en 1822, comme œuvre d’assistance, la première du genre, et comme la propriété qui était à côté… il devait y avoir je ne sais quelle chose qui devait s’installer… plus ou moins… ce n’était pas le Moulin Rouge mais c’était quand même assez divertissant… et ça pouvait troubler la tranquillité des prêtres… À ce moment-là, le vicomte avait acheté la propriété et il avait construit son pavillon où il a vécu pendant une dizaine d’années. Mais comme il était criblé de dettes, dix ans après il la cédait à l’archevêché, ce qui a soldé les dettes, et cela a appartenu à l’archevêché. C’est une maison qui était un peu à l’abandon. Et le Père Eymard va faire sa retraite là. Il va rencontrer Monseigneur Sibour qui le confiera à son auxiliaire Léon Sibour (qui était aussi le cousin de l’archevêque), qui va le suivre durant ces quelques jours de retraite entre Ascension et Pentecôte 1856. Et lorsque le mardi de la Pentecôte, le 13 mai, il va rencontrer l’archevêque, alors qu’il cherchait à rencontrer l’auxiliaire, l’archevêque lui dira : « Mais, vous êtes ces prêtres… » Le P. Eymard : « Oui… » L’archevêque : « Ah, non, c’est purement contemplatif, je ne suis pas pour ces choses là… Non, non ! » C’est à ce moment-là qu’il va dire : Nous adorons sans doute, mais nous voulons aussi faire adorer. Nous devons nous occuper de la première communion des adultes. Nous voulons mettre le feu aux quatre coins de la France, et d’abord au quatre coins de Paris, qui en a tant besoin.[1] Et il va créer l’œuvre de la première communion. Il va débuter, sans relation, sans connaissance, à Paris, dans un monde inconnu, sans ressource. Et avec sa seule foi. Comme lui-même le dira ailleurs : Dieu le veut. Et l’homme, plus rien, les moyens viendront. Mais Dieu le veut. D’abord, les vocations se font attendre. Il fera la première exposition du saint Sacrement le 6 janvier 1857, dans la première communauté du Saint-Sacrement.  
     

    – grâce d’apostolat : foi en Jésus. Jésus est là. Donc à Lui, pour [ou par] Lui, en Lui.

     
    Jésus est là mais c’est le mouvement même de la doxologie de la célébration. À lui, pour lui, en lui. Ce dynamisme de l’Eucharistie.

    Renouvellement

    J’ai bien demandé à Notre Seigneur de me renouveler dans cette grâce première. Jésus est là, seul, oublié des siens – stérile en son Sacrement.

     
    Stérile en son Sacrement, voilà le sens de ‘seul’.
     

    J’ai bien demandé la résurrection de cette grâce – de mon état si peiné, si triste, si désolé depuis trois ans.

    Oui, mon cœur a toujours aimé Jésus Hostie. Personne ne l’a eu ce cœur. Mais mon esprit, mais ma vie extérieure, mais mes rapports trop naturels, trop expansifs, voulant me faire louer de ma vocation, me consoler dans les âmes qui semblaient l’aimer, qui pouvaient le glorifier en moi : voilà le tombeau de cette grâce première.

     
    Il va demander à ce moment-là, précisément :

    Oh ! Jésus ! Des profondeurs, je crie vers toi. [Ps 129,1]. – Ressuscite en moi la grâce première. [Reprends ta conduite première] [Cf. 2Tm 1,6 – Ap 2,4].

     
    Le texte de l’Apocalypse. 


                Nous voici à la troisième méditation, pour aller très rapidement, mais c’est toute la vie du Père Eymard qui est évoquée.

     

    NR 45,4

    2e jour – de 3h à 4h

    3e méditation – Vocation eucharistique

    1° Notre Seigneur m’a appelé à son service eucharistique malgré mon indignité.

    Il m’a choisi pour travailler à sa Société malgré mon incapacité et mon infirmité.

    Il m’a conduit de la mort, et par la mort, à la vie de la Société.

     
    Le mystère pascal.

    Tout ce qu’on disait impossible est arrivé facilement, et à l’heure de Dieu.

     
    Et Dieu sait s’il y a eu des choses impossibles dans la vie du P. Eymard !
     

    À Dieu seul, amour et gloire !

    2° Preuves de grâces :

    – Dieu m’a conduit par degrés à sa Société. Il m’en montrait par fractions les sacrifices. Enfin, à La Seyne, il me les a tous demandés, jusqu’à la séparation [de la Société de Marie], – jusqu’à la croix, – jusqu’à l’abandon.

    Or, avec quel bonheur j’ai dit oui à tout, après cette bienheureuse messe ! Et Dieu a tout agréé, et conduit à bonne fin.

     
    C’est donc le 18 avril 1853, à la Seyne s/ Mer, l’épisode qu’on a évoqué plus haut.
     

    – La douceur si grande, qui a duré tant d’années, et toujours croissante par l’Eucharistie, me dit le oui de Dieu.

     
    C’est au milieu des épreuves. Il y a des épreuves, des souffrances. Il y a aussi des grâces de consolation. Recevoir à travers les événements le ‘oui’ de Dieu.
     

    La force qui en sortait, comme le fruit de sa fleur, m’assure le cœur de Dieu.

     
    Je pense que c’est d’une beauté merveilleuse… Puis… Alors-là, c’est… Nous avons dit que la nuit de l’esprit c’est la nuit de l’épreuve.


    – les sacrifices de mort à la pensée de l’œuvre, lors de Rome (P. Favre)3.
    – La mort à la Société de Marie, si pénible.
    – La mort à la réception de l’Archevêque de Paris, après treize jours d’agonie4.

     
    Je ne suis pas pour ces choses là - Pourtant Mgr D. Sibour était un homme très pieux. Et très soucieux. Il est le premier archevêque de Paris à avoir pris conscience du fait de la banlieue qui commence à entourer Paris avec le développement industriel. Et soucieux de la pastorale qui était celle de la paroisse à l’intérieur des murs et qui débordait à ce moment-là les murs de la capitale.


    – La mort au personnel quand, abandonné, tout seul.

     
    Son premier compagnon c’était un capitaine de vaisseau, le commandant de Cuers. Au début, c’était tellement difficile, qu’un beau jour le Père de Cuers l’a laissé, tout seul. Alors lui est allé au prie-Dieu et s’est mis à l’adorer. Et le Père de Cuers est revenu le lendemain.  


    – La mort à Paris, quand le Cardinal voulait nous renvoyer (sainte Thérèse)5.
    – La mort par les sujets.
    – La mort à Rome, lors du Décret6.
    – La mort la plus sensible (séparation du premier [compagnon])7.
    – La mort à l’estime des Évêques par Nemours8.

     
    La communauté des Servantes du Saint-Sacrement qui se termine lamentablement.


    – des miens par…
    – de moi par les plus pénibles épreuves depuis le… au…

    Et cependant la vie suit la mort. C’est la voie de la Société et la mienne.


    3 La rencontre à Chaintré le 22 avril 1856 avec le P. Favre, Supérieur général.

    4 La rencontre avec Mgr D. Sibour le 13 mai 1856.

    5 Le 15 octobre 1857, convocation du cardinal François Morlot qui lui demande les titres de l'approbation de l'institut.

    6 Au mois de mai 1863, à Rome où une accusation calomnieuse l'atteint.

    7 Le départ du P. de Cuers pour fonder son œuvre, en juin 1867.

    8 La fermeture de la communauté des Servantes de Nemours au mois de mai 1867.

     

    Voilà, le P. Eymard tel qu’en lui-même il se révèle. Et si nous prenions alors un peu plus loin, dans cette même retraite qui est très courte, nous verrions la profondeur de sa souffrance lorsqu’il évoque les difficultés, les épreuves qu’il connaît, qui nous laisse entrevoir combien il…
     

    Amour propre (…) 

    Il faut que l’amour de Jésus ait bien décru en moi, si j’en juge par l’état de ma vie : depuis deux [ans] et demi.

    - Jadis, mon esprit vivait de la vérité, du travail pour Jésus, des sacrifices pour sa gloire. Il était libre et fort, joyeux. La peine n'entrait pas dans son état intérieur. Et maintenant, il vit de ses peines en soi-même. Il souffre du prochain au fond de son être. C'est une tentation presque continuelle. L'amour-propre de l'esprit est froissé, est humilié, est dépité. Ce qui ne serait pas, si Jésus était sa vie. Donc…

    - Mon cœur est occupé, tenté, des consolations humaines, – et faible dans les témoignages d'estime et de dévouement. Il est trop faible quand sa vanité ou sa petite vertu est flattée.

    + x Ah! quand Jésus le remplissait, il n'avait même pas la pensée de dire ses peines. Rien ne transpirait sur ses traits. Il n'y avait de place que pour Jésus.

    Quand les épreuves venaient du dehors ou du dedans, un quart d'heure devant le très Saint Sacrement me fortifiait, me rassérénait. Et aujourd'hui, des heures me laissent le cœur brisé.

    Puis j'ai de la peine à me recueillir, à entrer dans l'intérieur des vérités, de Jésus, de moi. Je suis comme un malade qui ne sait parler que de ses douleurs ou de ses déceptions. Je suis dans le négatif.

    Aussi le sentiment intérieur est-il mort dans mes adorations. Mon âme est glacée. Jésus ne fait plus luire son bon soleil. Quel galérien je suis ! 

    (NR 45,11 – 4ème jour, 3ème méditation)


    Il va quand même retrouver une grâce, un peu plus loin, où il dira :


    Oh ! que j'aurais besoin de cette oraison de repos, aux pieds du Maître : 
    Venez à l'écart dans un lieu désert, et reposez-vous un peu [Mc 6,31] ; – de ce repos aux pieds de Jésus, repos qui aspire vers sa grâce, sa bonté, sa miséricorde – un regard d'amour.

    C'est le calme et la paix de tout soi-même, sommeil affectueux et réparateur.

    J'ai eu un petit moment ce repos.

    Oh ! que je désire l'autre oraison dont parle le Sauveur. Je la conduirai au désert, et je parlerai à son cœur [Os 2,16]. 

    (NR 45,14 – 5ème jour, 3ème méditation)

     

    [1] Citation reprise dans la biographie Saint Pierre-Julien Eymard - L’Apôtre de l’Eucharistie, André Guitton, éditions Nouvelle Cité, p. 110. L’épisode y est décrit de façon très complète.


    Lien aux Œuvres complètes en ligne de S. Pierre-Julien Eymard
    :
    http://www.msv3.org/Main.aspx?BASEID=EYM2014

    Bannière Chapelle Corpus Christi.jpgConférence donnée dans le cadre du Jubilé de S. P-J. Eymard que vous retrouverez à la page enrichie sur ce lien : Fraternité Eucharistique Corpus Christi #JubiléPJEymard2018

  • Que le règne eucharistique du Christ arrive ! Conférence du P. Nicolas Buttet - SC Montmartre

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    À l'occasion de la Nuit d'Adoration au Sacré-Cœur de Montmartre du 20-21 avril 2018 : Conférence du Père Nicolas Buttet, fondateur de la Fraternité Eucharistein — du samedi 21 avril 2018 — invité par Gino Testa du Groupe de prière Padre Pio de Paris — à la suite de celle (Le 'chant' de st P-J. Eymard) du Père André Guitton, sss (Congrégation du Saint-Sacrement), biographe de st Pierre-Julien Eymard, de la communauté des Pères du Saint-Sacrement, Chapelle Corpus Christi - 23 av. de Friedland - Paris 8.
    En voici la 'vidéo'-audio enregistrée par les soins des Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre.

     

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Il est bien là, ouvert sur la Croix, toute la dévotion se trouve là, il y a des textes merveilleux, comme ça… Mais finalement c'est au XIIème XIIIème siècle avec sainte Gertrude d’Helfta, sainte Metchilde de Hackeborn, sainte Metchilde de Magdebourg, Hildegarde de Bingen, où tout d’un coup le Sacré Cœur prend une première… Il y a une scène très belle où Hildegarde de Bingen voit le Sacré Cœur de Jésus, repose sur le Sacré Cœur de Jésus, et elle voit saint Jean. Et elle dit à saint Jean : « Tu es un petit cachotier ! Je suis sûre que quand tu as posé ta tête sur le Sacré Cœur de Jésus tu as dû sentir l’amour fou qu’il y avait dans son Cœur, et tu ne nous as rien dit ! Tu es un petit cachotier ! » Alors, saint Jean lui dit : « Effectivement, j’ai senti cet amour fou dans le Cœur de Jésus, mais Dieu m’a confié la mission d’annoncer le Verbe fait chair. Quant aux secrets insondables de son Cœur, ils sont réservés aux temps où la charité se refroidira sur la terre. » Et donc, ça va être Marguerite-Marie Alacoque, qui va recevoir cette dévotion au Sacré Cœur. Et puis on va voir que cette dévotion va se concentrer, se cristalliser, s’incarner, si j'ose dire, autour du Christ Eucharistique. Puisque c’est le Cœur Eucharistique de Jésus qui va être la grande dévotion de la fi du XIXème siècle mais un peu brève, malgré tout. Et saint Pierre-Julien Eymard fait partie, avec tous ses amis, avec Émilie Tamisier, avec le Père Antoine Chevrier, avec le Curé d’Ars… Ils étaient tous copains, c’est incroyable, il y avait une collection de saints qui se côtoyaient et qui priaient ensemble qui était absolument extraordinaire, hein ! C’était les potes de Jésus qui s’étaient rassemblés et ils voulaient annoncer. Ça, c’est important, c’est une belle leçon, parce que dans des moments de tiédeur et de froideur, Dieu veut vraiment rassembler ses amis pour nous donner le feu et nous donner la grâce d’évangéliser. Et puis tout d’un coup, on va voir que quand on va plus profondément dans ce Cœur de Jésus, on a la Miséricorde et c’est sainte Faustine. Finalement, toute la révélation de sainte Faustine se joue autour de Jésus Eucharistie. Et je vous disais, hier soir, cette phrase qui me touche beaucoup : « Dis bien au monde entier qu’il n’y aura pas de paix sur la terre si l’on ne vient pas à ma Miséricorde. Et le trône de ma Miséricorde c’est le Saint Sacrement. » Donc : « Dis bien au monde entier qu’il n’y aura pas de paix si l’on ne vient pas au Saint Sacrement. » Et donc, les prophéties du Père Pierre-Julien Eymard sur la conversion de la France, de l’Europe, sur la nécessité absolue de l’adoration, sur la grâce de l’adoration pour transformer le monde qui est pris dans la tiédeur et dont les âmes se croient ferventes et qu’elles ne le sont pas, parce qu’elles n’ont pas établi leur trône en Jésus Eucharistie… eh bien !, c’est vraiment maintenant que ce temps est là. Il nous est donné maintenant. Et avec cette Miséricorde qui jaillit du Cœur de Jésus. Et pour moi, cette prophétie de Faustine et cette prophétie de saint Pierre-Julien Eymard, est aussi importante que celle de Fatima, voyez-vous. Quand Marie dit, en 1917, que si on ne va pas se convertir, une guerre plus grave encore éclatera sous le pontificat de Pie XI… On est encore à l’époque du pape Benoît XV, Pie XII arrivera en 1922 sur le siège de Pierre, il mourra en 1938 et c’est vrai que la guerre éclate sous le pontificat de Pie XI, juste avant son décès. Marie annonce cela en 1917, et donc, à part Marie et le Ciel, personne ne peut savoir le nom du prochain pape, et elle l’annonce clairement, avec un signe aussi cosmique, qui aura lieu au début de l’année 1938, une lueur dans le ciel qui se verra de manière assez extraordinaire dans le monde, un peu partout. Parce qu’on n’aura pas écouté Marie, on aura cette tragédie, voyez-vous. Toute prophétie est conditionnelle, soumise à la liberté des hommes. Ninive se convertit, l’Europe ne se convertit pas. Voilà. Et aujourd’hui, le pape François a beaucoup insisté sur le lien entre Fatima et Akita, et donc, c’est quelque chose d’assez important, ce lien entre Fatima et Akita. Notre-Dame d’Akita a été reconnu par l’Église en 1984 et 1988 par le cardinal Ratzinger à Rome, c’est chez les Servantes Eucharistique du Sacré-Cœur, en montrant qu’il faut prier Jésus Eucharistie. Donc, au cœur du renouveau du monde, au cœur du renouveau de notre vie personnelle, au cœur de la guérison du monde, il y a Jésus Eucharistie. Il fallait être fou de la part de Jésus, de se rendre présent dans cette vulnérabilité-là, vous voyez… Bien sûr, c’est Dieu transcendant qui est là, mais c’est le bébé de Marie, c’est le vrai corps que Marie a porté dans ses bras, c’est ce Jésus qu’elle a touché, qu’elle a caressé, qu’elle a pris, et Joseph, et le vieillard Siméon : « Oh qu’il est chou ce petit bébé ! » Et c’est l’émerveillement des bergers à la crèche, voyez-vous… C’est ça ! l’Eucharistie. Alors on a tellement pris de la distance avec l’Eucharistie… On ne dérangeait pas le ‘Divin Prisonnier’. « Interdiction… » Un prêtre a écrit à son évêque : « Interdiction de déranger le Divin Prisonnier. » À un moment donné on interdisait de le toucher avec les dents. Or, comme je l’ai dit hier, le mot ‘trogein’ en grec, c’est ‘broyer avec les dents en faisant du bruit’. Et on est arrivé à dire que c’est un péché mortel de toucher avec les dents l’Eucharistie. Mais comment a-t-on pu vouloir tenir à distance ce Dieu qui se fait si proche, jusqu’à se faire manger et « descendre dans les latrines de notre corps »[1]  ? (suite à retranscrire…)       

     

    [1] Voici le texte de Benoît XVI, citant S. Bonaventure : « Laissons-nous remplir à nouveau de cette joie : Où y a-t-il un peuple à qui Dieu est aussi proche que notre Dieu est proche de nous ? Si proche qu'il est l'un de nous, au point de nous toucher de l'intérieur. Oui, d'entrer en moi dans la Sainte Eucharistie. Une pensée qui peut être déconcertante. Sur ce processus, saint Bonaventure a utilisé, une seule fois, dans ses prières de Communion, une formulation qui secoue, qui effraie presque. Il a dit : "Mon Seigneur, comment a-t-il pu te venir à l'esprit d'entrer dans les latrines sales de mon corps ?". Oui, Il entre dans notre misère, il le fait avec conscience et il le fait pour nous pénétrer, pour nous nettoyer et pour nous renouveler, afin que, grâce à nous, en nous, la vérité soit dans le monde et le salut se réalise. »

     

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    P. Nicolas Buttet
    Fondateur de la Fraternité Eucharistein

  • Au terme de sa vie, le 'chant' de S. Pierre-Julien Eymard

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    À l’occasion d’une nuit d’adoration le vendredi 20 avril 2018 en la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre à Paris, organisée par M. Gino TESTA, du Groupe de prière de Padre Pio et animée par le P. Nicolas BUTTET, fondateur de la Fraternité Eucharistein, il m’a été demandé de participer le samedi 21 à une matinée studieuse où j’évoquerais la vie et la mission de S. Pierre-Julien EYMARD, en ce 150e anniversaire de sa mort.


    Plutôt que de reprendre un exposé biographique, j’ai pensé offrir aux participants le texte des trois méditations du 28 avril 1868 – 3 mois avant sa mort – de sa Retraite dite de Saint-Maurice (Essonne) du 27 avril – 2 mai 1868.

    Eymard Jeune Mariste ?.pngIl s’agit de notes personnelles : dans un texte concis il évoque, sous le signe de l’action de grâce, les grandes étapes de sa vie, de prêtre, de mariste, de fondateur. Sa vie singulièrement mouvementée – ‘J’ai été un peu comme Jacob, toujours en chemin, notait-il en 1865 – apparaît unifiée. D’emblée, il note la plus grande grâce de sa vie. Et comment les différents événements qu’il rappelle le conduisent à sa vocation d’adorateur et d’apôtre de l’Eucharistie. Toujours le Saint Sacrement a dominé, note-t-il également dans un autre texte.

    Non seulement le P. Eymard est au terme de sa vie, mais depuis le 21 mars 1865, date à laquelle il s’est engagé par vœu à faire le don de sa personnalité au Seigneur, il vit dans la nuit de l’esprit, sans consolation intérieure, aux prises avec de nombreuses difficultés, dans un abandon total au bon vouloir de Dieu. Les notes qu’il transcrit sont lourdes de cette ultime expérience spirituelle.

    St Pierre-Julien Eymard malade.jpgNous en devinons à mi-mots la profondeur. Il écrit ainsi le 30 avril : Quand les épreuves venaient du dehors ou du dedans, un quart d’heure devant le très Saint Sacrement me fortifiait, me rassérénait. Et aujourd’hui, des heures me laissent le cœur brisé. Au terme de sa retraite, à travers les orientations qu’il prend, il n’entend être tout simplement que le journalier de Dieu.

    La conférence a été enregistrée, ainsi que celle du P. Nicolas Buttet qui a suivi, par les soins des Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre. La vidéo-Audio est sur ce lien et ci-dessus. La retranscription intégrale de l'enseignement du P. André Guitton est lisible sur ce lien : Le 'chant' du P. Eymard - Sa dernière retraite, son testament spirituel.

    Voici le texte des 3 méditations du 28 avril, tel que le P. Eymard l’a rédigé et tel qu’il est édité dans l’édition de ses Œuvres complètes.

     

    NR 45,2 [mardi 28 avril 1868] 2e jour

    de 6 h à 7 h

    1re méditation – À la très Sainte Vierge

    Grâces

    Que de grâces Dieu m’a faites jusqu’à ce jour !

    Comme il m’a aimé ! – À l’excès.

    Que m’a-t-il refusé ? – Rien.

    Que ne me donne-t-il pas à présent !

    Je l’aime peu, et il m’aime tendrement.

    Je le déshonore par ma vie, et il m’honore encore plus par ses dons et […].

    Je le sers si mal, et il me garde à son service, comme si j’étais un bon serviteur.

    Je suis si lâche et si infidèle à mes devoirs, à l’honneur de sa gloire, et il me laisse l’honneur et la puissance.

    Il m’a confié la gloire de sa Société. Hélas ! Je la vole, je la vends, cette gloire. Et il ne reste à mon Maître qu’un serviteur infidèle et un ministre paresseux.

    Qui de nous deux va se lasser ? Sera-ce moi ?

    Quelle a été la source de mon peu de correspondance à la grâce ?

    Je ne me suis jamais donné absolument, exclusivement.

    J’ai servi Dieu par gloire propre.

    J’ai servi Dieu pour mon amour-propre.

    Je n’ai jamais embrassé résolument et constamment la pratique de l’humilité de Jésus. J’ai voulu être quelque chose avec Lui, par Lui. Voilà le dernier mot du vieil homme en moi.

    Ô Marie ! Qui m’avez conduit et donné à Jésus, il faut maintenant me reconduire, me redonner à Jésus que j’ai perdu !

     

    NR 45,3

    2e jour – de 10 h à 11 h

    2e méditation – Foi eucharistique

    La plus grande grâce de ma vie a été une foi vive au très Saint Sacrement, dès mon enfance :

    – grâce de communion : le désir de ma 8e [année] : tout vers elle.

    – grâce de dévotion : visite journalière au très Saint Sacrement.

    – grâce de vocation : à Fourvière : Notre Seigneur est au très Saint Sacrement, seul, sans un corps religieux qui le garde, l’honore, le fasse glorifier ! Pourquoi ne pas établir quelque chose, un Tiers-Ordre, etc. à La Seyne (saint Joseph), grâce de donation, de fusion, de bonheur, et qui a duré jusqu’à l’approbation apostolique, si douce.

    – grâce d’apostolat : foi en Jésus. Jésus est là. Donc à Lui, pour [ou par] Lui, en Lui.

    Renouvellement

    J’ai bien demandé à Notre Seigneur de me renouveler dans cette grâce première. Jésus est là, seul, oublié des siens – stérile en son Sacrement.

    J’ai bien demandé la résurrection de cette grâce – de mon état si peiné, si triste, si désolé depuis trois ans.

    Oui, mon cœur a toujours aimé Jésus Hostie. Personne ne l’a eu ce cœur. Mais mon esprit, mais ma vie extérieure, mais mes rapports trop naturels, trop expansifs, voulant me faire louer de ma vocation, me consoler dans les âmes qui semblaient l’aimer, qui pouvaient le glorifier en moi : voilà le tombeau de cette grâce première.

    Oh ! Jésus ! Des profondeurs, je crie vers toi. [Ps 129,1]. – Ressuscite en moi la grâce première. [Reprends ta conduite première] [Cf. 2Tm 1,6 – Ap 2,4].

     

    NR 45,4

    2e jour – de 3h à 4h

    3e méditation – Vocation eucharistique

     

    Notre Seigneur m’a appelé à son service eucharistique malgré mon indignité.

    Il m’a choisi pour travailler à sa Société malgré mon incapacité et mon infirmité.

    Il m’a conduit de la mort, et par la mort, à la vie de la Société.

    Tout ce qu’on disait impossible est arrivé facilement, et à l’heure de Dieu.

    À Dieu seul, amour et gloire !

    2° Preuves de grâces :

    Dieu m’a conduit par degrés à sa Société. Il m’en montrait par fractions les sacrifices. Enfin, à La Seyne, il me les a tous demandés, jusqu’à la séparation [de la Société de Marie], – jusqu’à la croix, – jusqu’à l’abandon.

    Or, avec quel bonheur j’ai dit oui à tout, après cette bienheureuse messe ! Et Dieu a tout agréé, et conduit à bonne fin.

    – La douceur si grande, qui a duré tant d’années, et toujours croissante par l’Eucharistie, me dit le oui de Dieu.

    La force qui en sortait, comme le fruit de sa fleur, m’assure le cœur de Dieu.

    Puis :
    – les sacrifices de mort à la pensée de l’œuvre, lors de Rome (P. Favre)
    3.
    – La mort à la Société de Marie, si pénible.
    – La mort à la réception de l’Archevêque de Paris, après treize jours d’agonie
    4.
    – La mort au personnel quand, abandonné, tout seul.
    – La mort à Paris, quand le Cardinal voulait nous renvoyer (sainte Thérèse)
    5.
    – La mort par les sujets.
    – La mort à Rome, lors du Décret
    6.
    – La mort la plus sensible (séparation du premier [compagnon])
    7.
    – La mort à l’estime des Évêques par Nemours
    8.
    – des miens par…
    – de moi par les plus pénibles épreuves depuis le… au…

    Et cependant la vie suit la mort. C’est la voie de la Société et la mienne.

     

    NR 45,4.3 La rencontre à Chaintré le 22 avril 1856 avec le P. Favre, Supérieur général.

    NR 45,4.4 La rencontre avec Mgr D. Sibour le 13 mai 1856.

    NR 45,4.5 Le 15 octobre 1857, convocation du cardinal François Morlot qui lui demande les titres de l’approbation de l’institut.

    NR 45,4.6 Au mois de mai 1863, à Rome où une accusation calomnieuse l’atteint.

    NR 45,4.7 Le départ du P. de Cuers pour fonder son œuvre, en juin 1867.

    NR 45,4.8 La fermeture de la communauté des Servantes de Nemours au mois de mai 1867.

     

    [Extrait de La Retraite de Saint-Maurice – 27 avril – 2 mai 1868 – Œuvres complètes, vol. V, NR 45 , p. 391]

    Logo sss NEUF.jpg

     

    André Guitton, sss
    Chapelle Corpus Christi
    23 av. de Friedland - Paris 8

     

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  • Le Don de soi - à la suite de S. Pierre-Julien EYMARD

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    Le Don de soi - Vœu + portrait.jpg

     

    #jubilépjeymard2018,chapellecorpuschristiparis8,andré guiton,eucharistie,adoration eucharistique,adoration,la france,st pierre-julien eymard,foi,christianisme,transmission,sacré cœur,Écologie humaine,vulnérabilitéIntroduction : Le Père Eymard est un passionné, épris de perfection et de sainteté. Sa retraite de première communion s’achève par cette assertion, Mon Dieu et mon tout. Dans sa retraite d’ordination sacerdotale, il est prêt à tout faire et à tout sacrifier pour Dieu. Novice mariste, il aspire à la sainteté et au martyre.

    Mais c’est comme fondateur qu’il découvre, en son cheminement personnel, la réalité du Don de soi. Nous en percevons la trace et le développement dans ses retraites de fondateur, de 1863, 1865 et 1868.

    C’est dans sa première retraite de Rome en 1863 qu’apparaît une réalité nouvelle. Il est allé à Rome pour présenter à Pie IX la demande d’approbation de son Institut. Il a remis ses documents à la Congrégation des Évêques et Réguliers, et tout va pour le mieux. Et puis il y a eu cette dénonciation calomnieuse concernant la communauté de Paris – comme si Religieux et Servantes cohabitaient ! – et il a fallu attendre quelque peu. Le P. Eymard profite de ce délai pour faire une retraite, du 17 au 24 mai, chez les Passionistes à Saints-Jean-et-Paul sur le Caelius, près du Colisée. En cette retraite, le P. Eymard est moins soucieux de sa Société que de lui-même. Je viens faire cette retraite, note-t-il, pour devenir un saint. Le gros travail de la Société est fait. Reste l’intérieur et ce sera le plus difficile – Je n’ai été qu’un homme extérieur. Au terme, il écrit : J’ai demandé le Saint-Esprit, non plus pour les autres, mais en moi. - J’ai compris enfin que Dieu aime mieux un acte de mon cœur, le don de ma personne, que tout ce que je puis faire au-dehors ; qu’un acte intérieur lui est plus glorieux et aimable que tout l’apostolat de l’univers. Et il conclut par cette singulière connaissance qu’il a reçue de lui-même : Hier, Notre Seigneur m’a montré une incroyable vérité, c’est que mon amour pour lui et la Société a été un amour de vanité. Depuis 1856, le P. Eymard s’est beaucoup dépensé pour fonder la Société du Saint-Sacrement, préparer les premières Servantes avec Marguerite Guillot, organiser l’œuvre de la Première communion des adultes à Paris, puis l’Agrégation du Saint-Sacrement à Marseille, établir une troisième communauté à Angers. Avec l’approbation des Religieux du Saint-Sacrement, son œuvre est établie de façon stable et durable. C’est l’extérieur. Reste l’intérieur, note-t-il, et ce sera le plus difficile.

    Cette première retraite de Rome est un prélude à la Grande retraite de Rome en 1865, où il recevra la grâce suprême du don de soi. 

     

    C H E M I N E M E N T   D’U N E   E X P É R I E N C E

    stPJEymard CoucConseils rouges.jpgContexte –
    Il importe de situer la Grande retraite de Rome dans son contexte. Brièvement. Après l’approbation de son Institut par Pie IX le 8 mai 1863, le P. Eymard se retire au mois d’octobre au château de Saint-Bonnet, près de Lyon, chez son ami M. Blanc de Saint-Bonnet. Là, il travaille, libre de toute autre activité extérieure, à la rédaction des Constitutions de ses Instituts religieux. Vers la fin de son séjour, il confie au P. de Cuers son projet d’établir une communauté au Cénacle à Jérusalem. Et il s’emploie sans tarder à le réaliser : premier envoi du P. de Cuers accompagné du Fr. Albert Tesnière à Jérusalem comme éclaireur au mois de janvier – mai 1864. Difficultés diplomatiques et autres. Second envoi du P. de Cuers au cours de l’été. Mais sans succès. Dès lors, il décide de se rendre lui-même à Rome pour suivre les démarches auprès du Saint-Siège. Alors qu’il pensait la chose aisée à régler, il perçoit dès son arrivée à Rome le 10 novembre 1864 que ce sera difficile. À plusieurs reprises, le cardinal Préfet lui répète : ‘On aurait dû commencer par acheter’ Il avait l’air de dire le fait accompli. [À de Cuers, 22 novembre 1864, CO 1486 ; IV,133]. Deux mois après son arrivée, les choses traînant, il entre en retraite chez les Rédemptoristes le 25 janvier 1865, en la fête de la Conversion de saint Paul.

    La Grande retraite de Rome est à situer dans ce contexte historique : une affaire à suivre en cour de Rome et une démarche personnelle qui l’engage personnellement.

    1- L’objet de sa retraite - Le P. Eymard ouvre sa retraite avec la question de l’Apôtre : Que veux-tu que je fasse ? L’objet de la question n’est pas le Cénacle, mais lui-même : Ne travailler qu’à ma sanctification personnelle, par exclusion absolue de toutes personnes et choses – Être tout entier à la grâce du moment et à elle seule. – La retraite constitue une extraordinaire quête de lui-même, sous l’action de l’Esprit Saint. Il se met dans une disponibilité totale à l’action de Dieu en lui. Il n’y a pas de plan préconçu. Les thèmes surgiront selon les temps liturgiques et les inspirations du moment.

    Ce thème de la recherche de la volonté de Dieu est développé dans la 3e méditation du 2e jour. On peut noter l’expression qui revient en de multiples occasions : J’ai vu – dans une grande ET lumineuse vérité, qui révèle que c’est sous l’action de l’Esprit Saint qu’il se découvre lui-même. Voici ce texte :

    J'ai vu dans ma méditation souffrante de corps et d'âme, une grande et lumineuse vérité, qui est la clé de ma vie, que j'avais aperçue quelquefois, mais en courant et comme en en ayant peur. C'est que je n'ai dit le Domine quid me vis facere [Ac 9,6] que pour la grandeur, la gloire du service de Dieu, que pour l'amour de gloire de Notre Seigneur, que pour son triomphe par le zèle, par le succès de son culte. - Pour mieux dire ma pensée, j'ai aimé Notre Seigneur et son service comme le serviteur d'un grand roi, […] un amour de Dieu de vanité. – […] Le moi s'est glissé en tout, est devenu mon langage, mon sentiment délicat jusque dans le soin des âmes, dans les œuvres de Dieu [NR 44, 4 : V,253].

    Telle est l’ouverture de la retraite, comme le prélude, qui va se développer avec une grande liberté.

    2- Le fil rouge : se donner – Très rapidement, apparaît le thème qui va se développer tout au long de sa recherche. Le 29 janvier, il choisit comme thème de sa méditation : Comment je me suis donné à Notre Seigneur. Il découvre qu’il ne s’est donné au service du Seigneur que par vanité. Et il se demande : 

    Qu'est-ce qu'il me faut ? Me donner à Jésus-Christ, et le servir par le don, l'holocauste de moi-même. C’est toi que je veux, et non tes dons [cf. Im 4, 8: 3]. Notre Seigneur m'a fait comprendre qu'il préfère le don de mon cœur à tous les dons extérieurs que je pourrais lui faire, quand [bien] même je lui donnerais les cœurs de tous les hommes, sans lui donner le mien. Mon fils donne-moi ton cœur [Pr 23,26] [NR 44,8 ; V,226]. 

    Voilà une méditation qu’il juge fondamentale.

    3- Un jalon sur la route du Cénacle : Le jour anniversaire de son baptême, le 5 février, il médite sur la grâce reçue en ce jour béni – une recréation en Notre Seigneur, en Jésus Christ, mais en Jésus Christ crucifié. Sa 3e méditation sur La chair, ennemie de l’Esprit Saint s’achève par cette réflexion : 

    Ce qui m'a fait du bien, c'est de comprendre qu'un acte de mépris sur moi rendrait plus de gloire à Dieu que le succès de la Société par moi, ou même du Cénacle, parce que ce serait le cénacle en moi, et la gloire de Dieu en moi – ce que Dieu préfère à tous les hommages que je lui ferais sans moi, en dehors de moi. Voilà une royale vérité [NR 44, 23 ; V,271].

    Il ne s’agit plus de faire quelque chose – même à la limite de transformer le Cénacle en sanctuaire d’adoration – mais bien de devenir comme un cénacle, d’être.

    4- Le Don en sa totalité – Dare totum pro toto – À bien des reprises, le Père Eymard renouvelle le don qu’il a fait de lui-même au Seigneur, mais, semble-t-il, de façon fragmentaire. Le 16 février, après une nuit difficile - Pauvre et triste nuit. Ai-je souffert ! note-t-il, il écrit :

    En me réveillant ce matin, plusieurs fois cette pensée de l'Imitation m'est venue : Il est étrange [Mirum] que vous ne vous abandonniez pas à moi du fond du cœur, avec tout ce que vous pouvez désirer ou posséder. - En me levant, je me suis prosterné jusqu'à terre et ai demandé lumière et grâce. Notre Seigneur m'a bien récompensé de m'être levé plus tôt, et malgré la fatigue de la nuit. - J'ai cherché le chapitre de ce mirum ! C'est le 27e du 3e livre [Im 3, 27: 7]. J'y ai lu : Il faut mon fils, que vous vous donniez tout entier pour posséder tout, et que rien ne soit à vous-même. […] Nul lieu n'est un sûr refuge (retraite Salaise), si l'on manque de l'esprit de ferveur ; et cette paix qu'on cherche au-dehors ne durera guère, si le cœur est privé de son véritable appui, c'est-à-dire si vous ne vous appuyez pas sur moi. Vous changerez, et vous ne serez pas mieux. – Soutenez-moi, Seigneur, par la grâce de l'Esprit Saint. Fortifiez-moi intérieurement de votre vertu […]. – Donnez-moi, Seigneur, la sagesse céleste, afin que j'apprenne à vous chercher et à vous trouver, à vous goûter et à vous aimer par-dessus tout […] Voilà tout le secret trouvé ! - Donner à Notre Seigneur mon moi sans condition. Je l'ai donné, je l'ai juré devant le très saint Sacrement à la consécration. […] Renouveler mon don du moi, comme ma respiration. [..] Totus tuus – Vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous [Im 3, 5: 24] [NR 44, 42 ; V,288].

    Le P. Eymard franchit une nouvelle étape dans sa découverte du ‘Don’ : c’est la notion de ‘totalité’ : à la suite du Christ qui s’est donné sans réserve, le Père se consacre totalement à lui lors de la célébration de l’Eucharistie à la consécration.

    5- Sois à moi dans mon SacrementLe 21 février, il médite sur son ‘Service eucharistique’,

    Il perçoit une double exigence : personnelle, faire son devoir d’adorateur, comme tout autre religieux, et concernant sa communauté, rendre ses frères de bons religieux, de bons adorateurs. Au terme de l’examen qu’il fait sur sa conduite, il reçoit une nouvelle lumière. Il note :

    À la fin de ma méditation, une très belle pensée m'est venue, assurément de la miséricorde de Notre Seigneur. Je lui demandais comment il me voulait à son service. Et alors, il me semble entendre cette parole : “Sois à moi, dans mon sacrement, comme j'ai été à mon Père dans mon incarnation et ma vie mortelle.” Cette pensée m'a vivement frappé. J'en ai remercié ce bon Maître. Et je me suis donné de nouveau à lui, pour être tout à lui comme il était à son Père. Mais comment Jésus est-il à son Père dans sa vie divine de Verbe, comment était-il à son Père dans sa vie mortelle, comment est-il à son Père en sa vie sacramentelle, voilà ce que je dois examiner, répéter en moi.

    Oh ! quelle belle pensée ! Je dois être à Jésus ce que Jésus est à son Père : Moi en eux et toi en moi [Jn 17,23]. – Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour [Jn 15,9]. C'est le [Ce n’est plus moi qui vis,] mais le Christ qui vit en moi [Ga 2,20] de saint Paul.

    Mais prions pour voir cette vérité, et nous y livrer corps et biens [NR 44, 57 ; V,304].

    Un mois avant la grâce du don de la personnalité, la pensée du P. Eymard s’oriente vers le mystère de l’incarnation du Christ et la situation concrète du Père dans sa vocation eucharistique.

    6- Dans un temps d’épreuves extrêmes

    St Pierre-Julien Eymard malade.jpgLa Grande retraite de Rome constitue un temps d’épreuve.

    D’abord, du fait du long délai qui lui est imposé dans l’attente d’une réponse à sa question. Le P. Eymard savait d’expérience qu’à Rome les choses trainent en longueur. Un moment, il avait pensé à regagner Paris. Mais il s’était repris. Si à Rome on ne pousse pas, si on n‘est pas là, c’est long, avait-il écrit au P. de Cuers le 2 décembre 1864 [CO 1490 ; IV,139] et il était resté. Les autres activités attendraient.

    Du fait surtout de ses relations avec le P. de Cuers, de plus en plus tendues. Nous ignorons les reproches qu’il reçoit de son premier compagnon, mais le 9 mars, dans sa 3e méditation sous le titre Tempêtes, il ne peut s’empêcher d’exhaler sa souffrance :

    Oh Dieu ! quelle tempête m'a assailli pendant une heure ! Que n'a pas pensé mon imagination, mon esprit agité, sévère ! Ma volonté en était presque fiévreuse. Mon cœur, cependant, est resté sans aigreur, sans idée de vengeance, ou plutôt de mesure de rigueur contre ce que je croyais de contraire à l'esprit de soumission + + +, et un faux principe en ce cher confrère, qui n'y voit pas plus loin que ses vieilles idées [NR 44,91 ; V,336].

    Cet état de souffrance durera plusieurs jours avant qu’il n’acquiesce le 20 mars, dans sa 3e méditation, Croix :

    J'ai offert les trois croix d'aujourd'hui, qui étouffaient mon cœur et brisaient mon âme. Pour la première fois, j'ai accepté, je me suis mis à la disposition du silence, de la patience, de l'abandon entre les mains de Dieu. […] Il faut prier, patienter, bénir Dieu et voilà tout. – Voir surtout le bien, le juste, le vrai de la croix ! [NR 44, 117 ; V,368].

    Le lendemain, dans sa 1e méditation sous le titre de Croix des saints, il poursuit sa méditation sur le même thème en évoquant l’exemple des saints, apôtres et fondateurs notamment :

    Il n'y a pas de saint qui n'ait été crucifié par le monde, – qui ne se soit crucifié, – que Dieu n'ait crucifié d'une manière admirable. - Ce sont surtout les saints Apôtres, les fondateurs des familles religieuses qui ont le plus souffert. - Fonder, c'est creuser la terre de son cœur, tailler des pierres, les marteler, les cimenter, les unir, leur ôter leur état brut, les polir, leur ôter leur liberté et même leur forme. [Nr 44, V ; 118,369].

    À l’image de la construction onéreuse, - il faut creuser la terre de son cœur -, il joint celle d’un accouchement douloureux, d’une naissance nouvelle, à la suite de s. Paul - Mes petits enfants, vous que j’enfante à nouveau dans la douleur. Dans cet état de déréliction, il s’abandonne à Dieu :

    Mon Dieu ! me voici, avec Jésus au jardin des Olives. Voulez-vous que tous m'abandonnent ? que tous me renient ? que personne ne me reconnaisse plus ? que je sois comme une charge, un embarras et une humiliation ? - Me voici, Seigneur. Brûle, taille-moi, dépouille-moi, humilie-moi. Donne-moi seulement aujourd'hui ton amour avec ta grâce, et demain la croix avec l'épreuve. Mais que je sois ton escabeau à toi, qui es présent dans la sainte hostie [NR 44,118 ; V,370].

     

    7- Le don de sa personnalité


    C’est alors qu’il reçoit, durant l’action de grâce de sa messe, comme une réponse à sa longue attente, le don de la personnalité. C’est un texte que nous ne cesserons jamais de méditer :

    Le Don de soi - Vœu + portrait.jpg
    Action de grâces

    À la fin, j'ai fait le vœu perpétuel de ma personnalité à Notre Seigneur Jésus-Christ, entre les mains de la très sainte Vierge et de saint Joseph, sous le patronage de saint Benoît (sa fête) : rien pour moi, personne, et demandant la grâce essentielle, rien par moi. Modèle : Incarnation du Verbe.

    Or, comme par le mystère de l'Incarnation, l'humanité sainte de Notre Seigneur a été anéantie en sa propre personne, de sorte qu'elle ne se cherchait plus, elle n'avait plus d'intérêt particulier, elle n'agissait plus pour soi, ayant en soi une autre personne substituée, [à] savoir celle du Fils de Dieu, qui recherchait seulement l'intérêt de son Père, qu'il regardait toujours et en toutes choses ; de même, je dois être anéanti à tout propre désir, à tout propre intérêt et n'avoir plus que ceux de Jésus-Christ qui est en moi afin d'y vivre pour son Père. Et c'est pour être ainsi en moi qu'il se donne dans la sainte communion. De même que le Père qui est vivant m’a envoyé, moi aussi je vis par le Père, et celui qui me mange vivra lui aussi par moi [Jn 6,57].

    C'est comme si le Sauveur disait : en m'envoyant par l'Incarnation, le Père m'a coupé toute racine de recherche de moi-même, en ne me donnant pas la personne humaine, mais en m'unissant à une personne divine, afin de me faire vivre pour lui ; ainsi, par la communion, tu vivras pour moi, car je serai vivant en toi. Je remplirai ton âme de mes désirs et de ma vie qui consumera et anéantira en toi tout ce qui est propre. Tellement que ce sera moi qui vivrai et désirerai tout en toi, au lieu de toi. Et ainsi, tu seras tout revêtu de moi. Tu seras le corps de mon cœur ; ton âme, les facultés actives de mon âme ; ton cœur, le réceptacle, le mouvement de mon cœur. Je serai la personne de ta personnalité, et ta personnalité sera la vie de la mienne en toi. – Je vis, mais ce n’est plus moi. C’est le Christ qui vit en moi [Ga 2,20] [NR 44, 120 ; V,371].

    Le premier paragraphe relate l’événement de façon précise et sobre. Il est suivi d’une citation tirée du Catéchisme de la vie intérieure de Monsieur Olier, qui en explicite le contenu.

    Le lendemain, en sa 1ère méditation, il développe le contenu de ce don dans sa méditation sur L’union de Notre Seigneur :

    J'ai médité sur l'union de Notre Seigneur avec nous, union qui doit être la vie de mon vœu de personnalité. – Absque sui proprio [sans rien qui lui appartienne].

    Pourquoi Notre Seigneur désire-t-il tant cette union ? Pourquoi la demande-t-il ? Car [?] cette union est[-elle] possible, convenable et utile à Notre Seigneur ?

    Notre Seigneur désire cette union pour mieux glorifier son Père sur la terre, en s'incarnant en quelque sorte dans chaque chrétien, afin d'en devenir comme la personnalité divine et continuer sur ce chrétien uni ce que sa personne divine fit sur les actions de sa propre nature humaine, – de les élever par la dignité divine de sa personne et par la force et la puissance de cette union jusqu'au mérite divin, jusqu'à les rendre des actions divines.

    C'est donc Notre Seigneur qui veut revivre en nous, et continuer par nous la glorification de son Père comme en ses membres, afin que le Père céleste ait pour agréables toutes nos actions propres, – que, les voyant et les recevant de son divin Fils notre Sauveur, il y trouve ses complaisances et qu'ainsi il vive et règne en chacun des hommes, comme en autant de membres de Jésus-Christ, – et par cette vie et ce règne soit paralysé et détruit le règne du démon son ennemi, – qu'il reçoive de toutes les créatures et de la création, le fruit d'honneur et de gloire qui lui est dû [NR 44, 121 ; V,372].

    8 – En conclusion

    Le 29 mars, le P. Eymard apprend que sa demande concernant le Cénacle est rejetée. Il s’était préparé à cette éventualité dans une méditation la veille sur l’Abandon : Comme acte d’abandon, je me suis bien abandonné à la sante volonté de Dieu pour la décision à recevoir demain… Je me suis bien mis dans le bon plaisir de Dieu [NR 44, 135 ; V,386].

    Il acquiesça en silence et demanda la grâce, le don, la vertu de force - Force qui vient de l’amour – L’amour est fort comme la mort - . Mais cet amour pur, qui fut celui de l’incarnation par le sacrifice du moi humain en Notre Seigneur [R 44, 138 ; V,389].

    Ainsi s’achève la Grande retraite de Rome. Humainement, c’est l’échec. Mais le P. Eymard quitte Rome avec une réalité autre, qu’il avait entrevue le 5 février 1865, le cénacle en moi, et la gloire de Dieu en moi ce que Dieu préfère à tous les hommages que je lui ferais sans moi, en dehors de moi. Voilà une royale vérité [NR 44, 23 ; V,271].

     

    QUELQUES REMARQUES

    1- Le Don de soi, tel que l’a vécu – et le propose – le P. Eymard est l’épanouissement de la grâce baptismale, en sa dimension plénière. Il en va de même pour l’Eucharistie, célébrée et vécue en sa plénitude, réalisant ainsi la parole qu’il avait reçue le 21 février : “Sois à moi, dans mon sacrement, comme j'ai été à mon Père dans mon incarnation et ma vie mortelle.

    2- Dans la tradition de l’École française de spiritualité du 17e s. le point de départ est l’Incarnation du Verbe et sa vie mortelle. En réalité, c’est dans le mystère pascal que le Christ réalise pleinement le don de lui-même à son Père, comme il l’exprime dans la prière ‘sacerdotale’ du chap. 17 de l’évangile de s. Jean : Pour eux, je me consacre moi-même, afin qu’ils soient consacrés par la vérité. (Jn 17, 19). Aussi bien est-ce en cette eucharistie du 21 mars que le P. Eymard reçoit cette grâce et fait le vœu de vivre dans cette dépendance entière du Christ ressuscité, avec le double aspect d’anéantissement à son moi égoïste, de dépouillement du vieil homme – ce n’est plus le moi – et de revêtement du Christ à la gloire du Père – c’est le Christ qui vit en moi. C’est la communion eucharistique qui signifie de la façon la plus expressive cette ‘union de société’ selon le terme du P. Eymard, et la réalise. Entre Incarnation et Communion, il y a le mystère de la Croix glorieuse.

    3- Cette grâce ne saurait se mériter : elle est pur don de Dieu. Il s’agit d’une grâce transformante qui opère souverainement en celui qui la reçoit et l’introduit dans la vie unitive des mystiques. Dans son acte d’abandon du 29 mars, le P. Eymard s’est mis dans le bon plaisir de Dieu. Sur le chemin qui le ramène à sa communauté de Paris, il fera une halte à Lyon et partagera, les seules sans doute, avec Mme Natalie Jordan et sa fille Mathilde quelque chose de son expérience romaine. Par la suite, il donnera à ses communautés, tant des religieux que des Servantes, un enseignement sur le don de la personnalité, en soulignant sa spécificité – peu l’ont enseigné leur dira-t-il, - et son lien avec une vie pleinement eucharistique, Retraites aux Servantes à Nemours au mois de novembre 1866, - aux Religieux de Paris au mois d’août 1867.

    4- Le P. Eymard a vécu cette dernière période de sa vie au milieu de mille difficultés, qu’il énumère en sa dernière retraite à Saint-Maurice. Il vit alors dans la foi pure, sans aucune consolation, avec la seule certitude de sa foi et de son amour.

    Dans son exhortation apostolique La joie et l’allégresse sur la sainteté, qui vient de paraître, le pape François conclut son exposé avec cette double attitude de l’écoute et du don. Nous pouvons penser à Pierre-Julien enfant, caché derrière le tabernacle de l’autel à La Mure : Je suis près de Jésus et je l’écoute. Puis au fondateur, au sommet de son ascension spirituelle à Rome, dans ce don total de lui-même : Rien pour moi, personne. Rien par moi.- « Lui [Dieu] qui demande tout donne également tout et il ne veut pas entrer en nous pour mutiler ou affaiblir mais pour porter à la plénitude », selon les termes du pape François (n° 175).

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    André Guitton, sss
    14 avril 2018
    Chapelle Corpus Christi, Paris 8

     

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    du #JubiléPJEymard2018
    Comprendre l’Eucharistie dans sa totalité avec St Pierre-Julien Eymard         

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    Adorateurs en esprit & en vérité avec Notre-Dame du Saint-Sacrement.
    Depuis enfant, la Vierge Marie occupe une place importante dans la vie de Pierre-Julien.
    À 13 ans, il fait son second pèlerinage, seul et à pied (80km) à Notre-Dame du Laus.
    Elle le guidera fortement dans sa vocation sacerdotale, puis de religieux Mariste.
    Il choisira le vocable "Notre-Dame du Saint-Sacrement" pour la fête de la fondation de la Congrégation (13 mai 1856).
    Jusqu'à ses derniers instants elle sera là : Notre-Dame de La Salette à son agonie.
    En cette 5ème et avant-dernière catéchèse nous nous attacherons à son parcours saint avec la Vierge.
    L'adoration eucharistique qui suivra prendra la forme d'une méditation dévoilant l'intitulé de la catéchèse.

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    Neuvaine à Notre-Dame du Saint-Sacrement avec le P. Eymard
    26 mai - 3 juin (Solennité du St-Sacrement)

    Avec Hozana et la communauté de prière Saint-Pierre-Julien Eymard — Chapelle Corpus Christi Paris 8

     

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  • Repartir du Cénacle — Rallumer la passion pour notre Mission Eucharistique

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    REPARTIR DU CÉNACLE

    RALLUMER LA PASSION POUR NOTRE MISSION EUCHARISTIQUE

    La Mure, été 1865 et 2014Logo sss NEUF.jpg
    Statue P. Eymard génuflexion.jpg

    L’été à La Mure nous réserve toujours des surprises. Une surprise inattendue mais désirée est l’arrivée du père Eymard, ”lou paourou de Dieu” (”le pauvre de Dieu”), comme les gens l’appellent ici en patois. Sa parole attire, tout le monde aime l’écouter et le rencontrer parce qu’il est resté simple et proche de tous. Cette année il me semble plus fatigué que d’habitude. C’est pour cela que dans un premier moment je n’ai pas osé l’approcher. Mais une lumière particulière, qui brillait dans ses yeux, a vaincu la crainte de le déranger. Je lui ai proposé une petite ballade. Nous avons gardé longtemps le silence. Finalement un mot est sorti de ses lèvres et cela a permis le dialogue.

     

    Pierre-Julien : Oh, le Cénacle !

    Manuel Barbiero : Le Cénacle ?

    P.J. : Oui, le Cénacle… c’est un mot qui me fait toujours rêver, plein de suggestions, il me parle d’un lieu aimé et désiré.

    M.B. : Tout le monde sait que l’année dernière, au mois de novembre, tu es parti à Rome pour traiter la grande affaire du cénacle de Jérusalem, et que malheureusement la question n’a pas eu un grand succès.

    P.J. : En effet je rêvais de fonder une communauté à Jérusalem, dans le cénacle même, si cela était possible. Mais pour moi le Cénacle ce n’est pas seulement celui de Jérusalem.

    M.B. : Ton idée a traversé les siècles. Aujourd’hui, notre Congrégation a pris comme slogan « repartir du Cénacle ».

    P-J. EYMARD Portrait n&b.jpegP.J.
    : J’ai entendu cela. Mais je ne voudrais pas qu’on se trompe au sujet du Cénacle. Pour moi le Cénacle, ce « cher Cénacle », a représenté un véritable appel, une vocation. Le Cénacle est le lieu où Jésus a institué l’Eucharistie et révélé les richesses de son amour pour nous ; c’est le lieu de la foi et de l’amour. Il est aussi le lieu où les disciples, réunis avec Marie, priaient attendant l’Esprit Saint, qui est descendu avec puissance. C’est le lieu où, après la Pentecôte, les premiers disciples se réunissaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. Du Cénacle les apôtres, craintifs et renfermés, sont sortis, avec un courage nouveau, pour convertir le monde. À partir de ce moment-là le feu de la Pentecôte, ne s’est plus éteint. Il a donné aux apôtres la puissance de leur mission.

    Père Manuel Barbiero.jpgM.B. : Ce que tu viens de dire me rappelle ce que notre Pape François a dit lors de son pèlerinage en Terre Sainte, le mois de mai dernier (2014), quand il a célébré la messe dans la salle du Cénacle à Jérusalem. Lui aussi a parlé du Cénacle comme le lieu de la dernière Cène et de la descente de l’Esprit Saint sur Marie et sur les disciples. Le Cénacle, a dit le Pape, nous rappelle le service, le lavement des pieds que Jésus a accompli, comme exemple pour ses disciples ; il nous rappelle, avec l’Eucharistie, le sacrifice. Dans chaque célébration eucharistique, Jésus s’offre pour nous tous au Père, pour que nous aussi nous puissions nous unir à Lui, en offrant à Dieu notre vie, notre travail, nos joies et nos peines. Le Cénacle nous rappelle l’amitié, le partage, la fraternité, l’harmonie, la paix entre nous. Le Cénacle enfin nous rappelle la naissance de la nouvelle famille, l’Église. À cette grande famille sont invités tous les enfants de Dieu de tout peuple et de toute langue, car tous frères et enfants de l’unique Père qui est dans les cieux.

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    M.B. : Peux-tu me raconter ce que tu as vécu à Rome ?

    P.J. : Je ne pensais pas que mon affaire aurait trainé si longuement. J’ai alors décidé de faire une retraite. Elle a duré 65 jours. Pendant cette retraite j’ai eu la grâce de comprendre ce que Dieu voulait vraiment de moi : le don de ma personnalité. J’ai compris, et cela grâce à un don de Dieu et à l’action de l’Esprit Saint, qu’on peut donner à Dieu tous les cœurs de tous les hommes de la terre, qu’on peut faire des grandes choses, mais si on garde pour soi son propre cœur, si on ne le donne pas totalement à Dieu, on n’a rien fait. Dieu m’a révélé un autre cénacle, le Cénacle intérieur. Comprends-tu cela ?

    M.B. : Qu’est-ce que c’est plus précisément ce Cénacle intérieur ?

    P.J. : C’est le Christ qui a envahi totalement ma vie ; il voulait vivre en moi, se former en moi, grandir en moi, pour me faire partager jusqu’au bout son mystère pascal, mystère d’abaissement et de gloire infinis. Il voulait me faire partager son amour pour son Père et pour tous les hommes. Au fur et à mesure que le Christ prenait progressivement forme en moi, je me suis rendu compte que ce n’était plus moi qui vivait, mais lui, le Christ vivait en moi. Il était devenu mon conseiller, ma force, ma consolation, mon centre d’amour.

    M.B. : Pendant que le père Eymard parlait, je retenais mon souffle, tellement ce qu’il disait était fort et beau. Finalement j’ai osé un mot : comment y arriver ?

    P-J. EYMARD Portrait n&b.jpegP.J. : Il faut un amour de noble passion, qui enlève tout d’un coup, qui donne tout d’un trait, un amour fort comme la mort. J’ai découvert, comme à nouveau et d’une manière plus profonde, que Dieu m’aime, moi, personnellement, d’un amour de bienveillance, d’un amour infini et éternel. Et l’amour veut l’union, il ne veut pas être heureux seul, l’amour fait l’identité de vie. L’amour, en effet, désire devenir une seule chose avec la personne aimée, sans séparation ni distinction, sans perdre pour autant sa propre identité. J’ai accepté de demeurer dans cet amour, en toute simplicité, comme un enfant. Le Cénacle intérieur est aussi le fait de demeurer en Jésus Christ, dans son amour, dans l’intimité, cœur à cœur avec lui. Le Cénacle intérieur est le Règne de Dieu en nous. Je me suis mis et remis entièrement sous l’action de l’Esprit Saint, afin de me laisser conduire par lui, façonner par lui. C’est l’Esprit Saint qui m’a conduit à faire ce don. Le même Esprit qui a opéré l’incarnation de Jésus Christ en Marie, qui rend présent le Christ sur l’autel et qui le vivifie en chacun de nous. C’est l’Esprit qui fait que nous devenons « Celui que nous avons reçu ».

    M.B. : Tu me sembles fatigué, mais je vois une grande lumière briller dans tes yeux et une force extraordinaire habite tes paroles.

    P.J. : Mon cher ami, je vois bien aujourd’hui : Donnes tout pour trouver tout. Donnes jusqu’à la mort, à la gloire du Christ. Une parole de saint Ignace martyr m’a saisi : Je suis le froment du Christ ; et j’ai ajouté : Que je sois moulu par la mortification, que je sois cuit au feu de l’amour, pour que je devienne un pain pur.

    M.B. : Mais finalement est-ce que tu peux me dire en quoi ta vie a changé ? qu’est-ce qui s’est produit ?

    P.J. : Rien d’extraordinaire extérieurement, si tu veux ; mais à partir du moment où j’ai fait le vœu de ma personnalité, j’ai senti que toute ma personne devenait comme un pain nouveau pour mes frères. Ce que Jésus avait annoncé dans l’évangile de St Jean - qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui, et il vivra pour moi - se réalisait vraiment.

    M.B. : Est-ce que tu peux m’expliquer un peu mieux ce que cela veut dire pour toi ?

    #jubilépjeymard2018,chapellecorpuschristiparis8,manuel barbiero,eucharistie,adoration eucharistique,adoration,la france,st pierre-julien eymard,foi,christianisme,transmission,sacré cœur,Écologie humaine,vulnérabilitéP.J. : Je ne sais pas si j’arrive à me faire comprendre, mais je me suis trouvé comme établi dans une relation nouvelle avec Jésus Christ, dans une relation stable, une union d’amour et d’amitié tellement forte que par cette union mes actions devenaient en quelque sorte les actions de Jésus Christ. La vie de Jésus, ses pensées, ses sentiments, ses désirs, sa manière d’agir me pénétraient et devenaient mes pensées, mes sentiments, mes désirs. À Rome, pendant l’action de grâces de ce jour béni (le 21 mars 1865), j’ai comme entendu Jésus me dire : « Tu seras le corps de mon cœur ; ton âme, les facultés actives de mon âme ; ton cœur, le réceptacle, le mouvement de mon cœur ». Donc, Jésus Christ vivait et agissait en moi, tout à la gloire de son Père.

    M.B. : Jésus vit et agit en toi ! Peut-il vivre en chacun de nous ?

    P.J. : Est-ce que tu arrives à comprendre le fait que le Christ est en nous, vit en nous ; que nous devenons un autre Jésus Christ ? que par nos actions, nos paroles, nos comportements c’est le Christ qui transparait et se communique ?

    M.B. : Ce que je comprends c’est que Jésus Christ, pour toi, est devenu vraiment le centre de ta vie, le tout de ton existence.

    P.J. : Oui, tu as compris l’essentiel. Jésus Christ m’attire sans cesse vers cette vie d’union, Il veut être toute ma vie, Il veut me sanctifier et me faire vivre de sa vie. C’est pour cela que j’ai pris la décision de lui laisser le gouvernement de mon existence, de me mettre sous sa conduite, pour vivre de son esprit. En lui je trouve tout : la vie, le mouvement et l’être ; Jésus Christ est mon maître intérieur, l’hôte de mon âme et de mon corps, mon guide, mon modèle. En un mot : le Dieu de mon cœur. Je l’aime et je veux lui ressembler en tout, avoir les mêmes sentiments que lui, m’identifier à lui.

    M.B. : Pierre-Julien, et notre personnalité, qu’est-ce qu’elle devient ?

    St Pierre-Julien Eymard malade.jpgP.J. : Ce vœu de la personnalité, pour moi est le plus grand, le plus saint de tous les autres, c’est le vœu du moi, et du moi libre de se redonner toujours. Il ne faut pas avoir peur de se donner. Tu as vraiment ce que tu donnes, c’est une loi évangélique, c’est le mystère pascal, le passage de mort et de résurrection qui s’actualise en nous. Je ne perds rien, mais tout ce qui constitue mon humanité - pensées et sentiments, paroles et actes -, tout devient plus noble, plus beau, plus divin. L’union avec notre Seigneur fait notre dignité, nous devenons quelque chose de sacré, de saint. Jésus valorise toute notre humanité, il la divinise. En Jésus Christ je me sens bien à l’aise, comme chez moi. En lui je trouve la grâce, la liberté, la paix, la vie, l’union à Dieu. Celui qui se confie librement au Christ ne perd pas son identité mais devient homme au plein sens du terme.

    M.B. : Ce que tu vis me semble correspondre à ce qui a été affirmé par le Concile Vatican II : quiconque suit le Christ devient lui-même plus homme ; l’homme ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même.

    P.J. : C’est bien cela. C’est l’Eucharistie qui rend possible, jour après jour, notre transfiguration progressive, nous sommes appelés par grâce à être à l’image de Jésus Christ. Toute notre vie devient une extension de la vie du Christ ; et ma vie, grâce à l’Eucharistie, trouve la forme appropriée pour être une vie vécue en plénitude. À travers le don de nous-mêmes le Christ est glorifié en nous ; nous devenons la vraie gloire que le Père désire, l’homme nouveau recréé dans le Christ.

    Père Manuel Barbiero.jpgM.B. : Ce que tu dis fait jaillir en moi comme un fleuve de pensées. Je comprends que quand je reçois ou je contemple Jésus le Pain de la Vie, je suis devant la source de la bonté, de l’humilité, et que grâce à l’amour qui désire ressembler à la personne aimée, cette même bonté et humilité entrent en moi. Le Pape Benoît XVI a dit, une fois, aux jeunes : « En participant régulièrement et avec dévotion à la Messe, en prenant de longs temps d’adoration en présence de Jésus Eucharistie, il est plus facile de comprendre la longueur, la largeur, la hauteur, la profondeur de son amour, qui surpasse toute connaissance. En partageant le pain eucharistique avec nos frères de la communauté ecclésiale, nous sommes poussés à concrétiser en hâte l’amour du Christ dans un généreux service envers nos frères ». J’ai une question. Ce que tu as vécu, est-ce que moi aussi je peux le vivre ? est-ce que ton expérience est réservée à une catégorie privilégiée de personnes ou d’autres peuvent-elles la vivre ?

    P.J. : Le vœu de la personnalité, le don de soi, pour moi représente la grâce de la sainteté par l’Eucharistie, la clé de notre vie, une voie nouvelle, la vertu caractéristique que je veux proposer à tous ceux qui partagent mon idéal de vie. Je te fais une confidence. Quand je suis rentré en France, c’est avec la famille Jordan que j’ai partagé ce que j’avais vécu à Rome. Mme Nathalie et sa fille Mathilde ont bien compris et bien accueilli la grâce que Dieu m’avait faite ; elles y ont adhéré de tout leur cœur.

    M.B. : Qu’est-ce qu’elles ont compris ? ça m’intéresse.

    P.J. : Tout d’abord deux paroles de l’Écriture ont résonné en elles. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi » [Ga 2,20] ; et « Il faut que Jésus-Christ croisse en nous jusqu’à l’état d’homme parfait » [cf. Ep 4,13]. Elles ont compris cette vie d’union avec Jésus Christ, le fait que le Christ habite en nous, qu’il a en chacun une naissance et une croissance spirituelle, parce qu’il veut glorifier son Père en chacun de nous. Pour vivre cette vie d’union il faut donner tout : cœur, esprit, intelligence, jugement, pensée ; travailler en société avec Dieu, devenir intérieur, demeurer en lui, comme lui demeure en nous, vivre dans l’action de grâce, être heureux en lui.

    M.B. : « Donner », « se donner », « le don ». Combien de fois je t’ai entendu répéter ces mots ? Ils sont bien importants pour toi, comme un fil conducteur.

    Logo sss NEUF.jpgP.J. : L’Eucharistie, mon ami ! Pour moi l’Eucharistie est le don par excellence, car il est le don de Jésus Christ lui-même. L’Eucharistie est un don gratuit, sans réserves, sans calculs. Jésus ne regarde pas si les personnes, auxquelles il se donne, sont dignes ou pas, quelle est leur situation morale ou leur capacité intellectuelle et de compréhension. L’Eucharistie est un don concret, incarné. Jésus donne son être, sa vie, lui-même, son existence concrète. Le don de son corps et de son sang exprime la profondeur de l’amour, qui ne garde rien pour lui et accepte tout pour la personne aimée. L’Eucharistie est un don total et éternel, complet et permanent. Elle est un don toujours disponible. L’Eucharistie est un don qui nous donne la vie, qui nous prend totalement et pleinement, qui nous fait entrer dans une vie nouvelle au-delà de la mort. L’Eucharistie est un don qui s’offre comme nourriture, qui construit des relations, tous peuvent apprendre à donner et à recevoir. L’Eucharistie, qui nous fait devenir « un seul corps », contient comme un dynamisme profond d’amour réciproque, de communion intime et profonde. J’ai tout simplement répondu au « Don de Dieu » par le don de moi-même. L’amour est dans l’échange.

    Nous sommes restés silencieux. Puis le p. Eymard a repris la parole.

    P.J. : J’ai un rêve !

    M.B. : Un autre rêve encore ?

    Logo Agrégation sss.jpgP.J. : En regardant la société je constate qu’elle se meurt parce qu’elle n’a plus de centre de vérité et de charité, plus de vie de famille. Chacun s’isole, se concentre, veut se suffire. J’ai l’impression comme d’une dissolution imminente. C’est pour cela que je voudrais voir mes religieux, les servantes aussi mettre le feu aux quatre coins du monde. Comme je le disais à l’archevêque de Paris, je ne voulais pas me borner à Paris, je voulais mettre le feu aux quatre coins du monde. Je voudrais voir les laïcs, qui partagent notre charisme, constituer comme des cénacles de vie eucharistique dans le monde entier. Je voudrais les voir tous sortir, aller, sans aucune crainte. Quitter, comme Abraham a quitté sa terre… en ayant dans le cœur un seul, unique grand amour : le Christ eucharistique.

    M.B. : Le Pape François aujourd’hui nous parle d’une Église en sortie. À Jérusalem il a dit que l’Église est née dans le Cénacle et elle est née en sortie. Du Cénacle elle est partie avec le Pain rompu entre les mains, les plaies de Jésus dans les yeux, et l’Esprit d’amour dans le cœur pour renouveler la terre.

    P.J. : Je pense que le Pape François et moi, nous sommes faits pour nous entendre. Jésus a dit qu’il était venu apporter un feu sur la terre ; il avait désiré avec tant d’ardeur le voir s’allumer partout. Ce feu c’est l’amour divin, car Dieu est amour. Ce foyer de l’amour, c’est l’Eucharistie, c’est là que l’amour de Jésus Christ nous pénètre et nous enflamme.

    M.B. : Tu parles de feu… ce feu je le sens brûler en toi ; il y a une passion qui t’habite et que j’aimerais partager avec toi.

    P.J. : L’Eucharistie est la Pentecôte continuée, dans le Cénacle, avec des langues de feu. C’est Jésus qui, par l’Eucharistie, dépose dans nos corps une grâce d’amour ; il y vient lui-même, il met en nous le foyer de l’incendie : il l’allume, il l’entretient par ses fréquentes venues, il fait l’expansion de cette flamme dévorante. Il est vraiment un charbon qui nous enflamme. C’est un feu ardent qui ne s’éteindra pas si nous le voulons, car son foyer n’est pas de nous mais de Jésus Christ, et c’est lui qui lui donne sa force et son action.

    M.B. : La famille que tu inspires - aujourd’hui on parle de la « famille eymardienne »-, est présente sur les cinq continents, elle affronte de nouveaux défis. Quelle est sa mission ?

    P.J. : Je pense à notre mission ouverte sur le monde. Mais parfois on a peur… on a peur même de changer de communauté. Je viens d’écrire à un religieux, que j’ai envoyé de Paris à Marseille, qu’un religieux du Très Saint-Sacrement n’est d’aucun pays, d’aucune maison, il forme la cour du grand Roi et le suit partout. Je vois la terre-même comme un immense cénacle, et à quelque endroit de la planète que nous nous trouvions, nous sommes dans ce cénacle, nous pouvons toujours être dans ce cénacle, en désirant, en adorant par le cœur.

    M.B. : Mais que faut-il faire ?

    Statue P. Eymard génuflexion.jpgP.J. : Il faut oublier notre individualité, notre petite personne, pour porter Dieu au monde et le monde à Dieu. Je lance à tous une invitation : « Soyez adorateurs ardents de la sainte Eucharistie. Un cœur catholique doit être grand comme Dieu ! Évitez donc cette petite piété, cette petite vertu qui rétrécit l’âme ; la piété, au contraire, est un soleil fécondant qui dilate le cœur qui en est embrasé ! Soyez grands dans vos vues, grands dans vos désirs, grands dans votre amour! ». J’ai écrit au père Leroyer : « Que le règne eucharistique de Notre-Seigneur arrive et que nous en soyons les premiers disciples et les ardents apôtres ; plus de questions personnelles, plus de travaux perdus en dehors de notre grande mission ». Il faut se centrer uniquement sur l’Eucharistie.

    M.B. : Comment imagines-tu ce Cénacle-Monde dont tu parles ?

    Logo Agrégation sss.jpgP.J.
    : L’Eucharistie est le règne de Jésus Christ dans le monde et surtout dans les cœurs de ses enfants : voilà notre belle et aimable mission. Il faut porter le monde à la connaissance de l’amour de Dieu. C’est par l’amour divin qu’il faut ramener les peuples à la vertu, à la religion, à la foi. Il n’y a pas un moyen plus efficace ; c’est peut-être même le seul qui nous reste pour combattre l’indifférence qui règne dans le monde, et qui gagne même le cœur des fidèles. L’Eucharistie est le lien fraternel des peuples entre eux ; il n’y a que des frères au banquet sacré, au pied de l’autel. C’est ce message qu’il faut faire passer. Jésus est venu faire de tous les hommes une seule famille, l’Eucharistie est le pain, le mets commun, le trait d’union de tous les enfants ; elle détruit toute jalousie et distinction, on participe à la même table et on boit à la même coupe ; on a le même Père qui est dans les cieux. Un même esprit de charité unit tous ceux qui mangent le même pain eucharistique. Jésus Christ est alors tout en tous, et l’Eucharistie est la joyeuse fête de la vraie fraternité, que nous pouvons faire durer toujours. Il faut collaborer avec tous ceux qui s’engagent pour construire et réaliser cette fraternité qui a sa source dans l’Eucharistie. C’est seulement alors, que la société renaîtra pleine de vigueur quand tous ses membres viendront se réunir autour de notre Emmanuel. Les rapports d’esprit se reformeront tout naturellement sous une vérité commune ; les liens de l’amitié vraie et forte se renoueront sous l’action d’un même amour ; ce sera le retour des beaux jours du Cénacle.
     

    Conclusion : Nous sommes restés en silence, ainsi comme nous avions commencé. J’ai fermé les yeux pour savourer tout ce que j’avais entendu et les imprégner du rêve du p. Eymard. Les pieds bien sur terre, « repartir du Cénacle » le cœur empli d’une grande passion pour l’Eucharistie.


    Père Manuel Barbiero.jpgManuel Barbiero, sss
    Responsable du Centre Eucharistique
    La Mure, le 8 septembre 2014
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    Retrouvez ce texte dans la sous-page enrichie 
    Fraternité Eucharistique Corpus Christi #JubiléPJEymard2018

    et la page consacrée à Pierre-Julien Eymard – Prophète de l'Eucharistie – Un saint d'avenir

    Communauté de prière en ligne Hozana St Pierre-Julien Eymard – Prophète de l'Eucharistie

     

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  • L'adoration eucharistique assume toute ma chair et ma psychologie pour la tourner vers Dieu

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    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurL’Eucharistie et la guérison

    Enseignement par le Père Nicolas Buttet, fondateur de la Fraternité Eucharistein,  pendant le Congrès sur l'Adoration Eucharistique, Adoratio 2017, avec pour thème "Adorer au Cœur du Monde".

     

     

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurPremière réflexions introductives. D’abord, on a beaucoup de confusion entre la santé et le salut. Finalement ce que nous désirons profondément c’est être sauvés, c’est la vie éternelle. Et puis, on a reporté aujourd’hui, un petit peu, sur la santé la quête de vie éternelle. Il y a une sorte d’obsession de la santé et une sorte de désaffection pour l’idée du salut, de la rédemption, de la vie éternelle, de sorte que, finalement, on estime plus important parfois la santé que le salut. Il ne faut pas opposer l’un à l’autre. Dans le livre des Chroniques on nous dit que Asa eut les pieds malades, une maladie très grave, et même alors il n’a pas recourt dans sa maladie au Seigneur, mais aux médecins seulement. Il ne va pas chez le Seigneur, il est malade, ça ne va pas bien du tout et il ne va pas chez le Seigneur. C’est quand même terrible. Et puis, inversement, dans l’Évangile de saint Marc, on nous parle de cette femme atteinte d’hémorragies et elle avait beaucoup souffert de nombreux médecins et elle avait dépensé tout son avoir sans aucun profit, même que ça allait pire après, qu’avant. Elle va vers Jésus et elle va être guérie. Alors, pour la petite histoire, saint Luc ne parle pas qu’elle avait souffert des médecins. Comme il était toubib lui-même, il ne voulait pas d’ennui avec la profession, il dit juste que c’était compliqué pour elle. Donc, on se rend compte que, tout d’un coup, on a une frontière un peu particulière et saint Augustin nous dira : « Quelques fois le médecin se trompe en promettant au malade la santé du corps. Dieu te donne, à toi qu’il a fait, une guérison certaine et gratuite. Le Christ est à la fois le médecin des corps et des âmes. Dieu guérit parfaitement toute maladie, mais Il ne guérit pas sans le malade. » Première remarque dans cette relation santé/salut qu’il s’agit de bien intégrer.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDeuxième remarque : Est-ce que le malade doit être guérit dans la Bible ? Comme être vivant ou mort, ce n’est pas tout à fait ce qu’on croit. Évidemment la frontière ne passe pas entre une santé physique ou psychique et une maladie physique ou psychique. Elle passe entre être avec Dieu ou être sans Dieu. Quand quelqu’un est avec Dieu, même s’il est malade il est en bonne santé, quelque part. Quand quelqu’un est mort avec Dieu, Dieu lui parle. Á Lazare, vous imaginez !, le frère de Marie-Madeleine. Ça fait quatre jours qu’il est au tombeau, ça sent déjà mauvais et Jésus lui dit : « Sors ! ». On ne parle pas aux morts ! Alors que, à Hérode qui vient lui poser des questions à sa Passion, il ne répond pas parce qu’il est déjà mort dans le cœur. Il y a des vivants qui sont morts, il y a des morts qui sont vivants. Et finalement la frontière n’est pas tout à fait là où on pense qu’elle est. Finalement, au cœur de tout ça, c’est la présence de Jésus. Quand Mère Teresa était malade à l’hôpital, pour une nouvelle crise cardiaque qu’elle venait de faire, le médecin hindou dit au prêtre qui était à côté de Mère Teresa : « Père, allez vite chercher la petite boîte ! ». Le prêtre dit : « La boîte de médicaments ? Quel médicament ? Quelle boîte ? ». « Mais non ! La petite boîte qu’ils apportent et qu’ils mettent dans sa chambre. Quand la boîte est là, Mère Teresa la regarde tout le temps. Si vous la mettez, l’apportez dans sa chambre, elle sera toute calme. » Le prêtre a compris qu’il s’agissait du Tabernacle, la Présence réelle. Et le médecin rajoute : « Quand cette boîte est là dans sa chambre elle ne fait que regarder, regarder, regarder encore cette boîte. » Et donc Mère Teresa avait la grâce d’avoir la Présence réelle dans sa chambre d’hôpital. Et quelque fois Dieu a des manières assez surprenantes de nous voir. Je prends un exemple : Dans les Actes des Apôtres vous savez qu’il y a cet eunuque éthiopien, premier ministre de la reine d’Éthiopie qui retourne chez lui depuis Jérusalem et qui est en train de lire, seul. Alors, il faut s’imaginer ce qu’est un eunuque. C’est une personne qui ne peut plus avoir d’enfant. Dans la tradition antique la postérité était capitale. C’était une façon d’exister socialement. C’est la seule façon d’exister. C’est une sorte de malédiction de ne pas avoir de descendance. Il avait tout le pouvoir politique qu’il voulait. Il avait la reconnaissance de la reine et des gens qui s’inclinent et lui font des courbettes. Mais fondamentalement son être humain est complètement atrophié et sa suite n’est pas là. Il est en train de lire un texte un peu particulier quand Philippe le rattrape. Ce texte que l’on retrouve dans les Actes des Apôtres et qui est une citation du prophète Isaïe : « Dans son humiliation,  ̶ c’est le même mot qui est utilisé en grec pour parler de l’humiliation de Marie : « Il a baissé les yeux sur l’humiliation de sa servante » ­­ ̶  son jugement a été levé et sa postérité, qui en parlera ? ». Donc, il a un texte où lon parle de la postérité. Le type est seul sur son char, il va faire des jours de voyage, et Dieu vient mettre le doigt en plein où il a mal. Ta postérité, qui est-ce qui va en parler, un jour ? Non Seigneur, on ne veut pas de ça, pas de ça ! Ma postérité, c’est mon drame secret. C’est mon infirmité. C’est la question qui me travaille en permanence et quand je suis seul en silence, c’est ça qui me fait mal. « Ta postérité, qui en parlera ? » Et Dieu dit : c’est justement là que je vais te rejoindre. C’est dans cette question-là. Dans cette souffrance-là. Dans ce drame de ta vie. Dans ce qui fait, finalement, la vraie question de ton existence. Tu n’auras pas de postérité. Ton pouvoir c’est bien, ton avoir c’est bien, tout ça c’est bien, mais il y a une chose à côté de laquelle tu es en train de passer. Et Dieu lui dit ça et met le doigt en plein où ça fait mal, pour lui dire c’est là que je te rejoins et c’est là que je vais t’apporter la guérison. Et la guérison ce n’est pas qu’il aura une postérité. La guérison c’est qu’il va être investi par la grâce de Dieu en raison même de cette fêlure et c’est là qu’il va recevoir le baptême que Philippe va lui donner. Vous voyez, quelque part Dieu vient nous rejoindre, et c’est ça l’adoration eucharistique, on en reparlera tout à l’heure…

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurTroisième remarque : Je crois que l’adoration répond aussi à ce grand appel de Jésus : « Venez à moi vous tous qui peinez et ployez sous le poids du fardeau je vous soulagerai. Mettez-vous à mon école, prenez mon joug, apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le soulagement. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger. » Qu’est-ce que le joug dans la tradition antique et aujourd’hui encore d’ailleurs ? Le joug c’est ce qui permet d’unir deux animaux afin de labourer plus facilement le champ. Le joug n’est pas un fardeau qui pèse, le joug est un moyen d’alléger le travail, de rendre plus facile le travail. Si un bœuf laboure seul le champ, c’est difficile, s’ils sont deux, avec le copain à côté, le pote, avec le joug qui les unit, c’est plus facile. Le joug est une façon d’alléger l’épreuve et la souffrance. Jésus nous invite à venir nous unir et ce joug c’est l’Esprit Saint que Jésus nous donne en permanence au Saint Sacrement. Á sainte Gertrude d’Helphta Jésus disait : « Là, dans l’Eucharistie, dans la généreuse bonté de mon cœur, je guéris les blessures de tous les hommes, je procure le soulagement aux pécheurs, j’enrichis la pauvreté par les dons et les vertus, et je console chacun dans ses épreuves. » Il y a dans cette expérience que là, devant Jésus, je vais pouvoir trouver la guérison. Là, devant Jésus, je vais pouvoir venir déposer mon fardeau pour prendre son joug, c’est-à-dire avoir son secours et son aide qui, joints à ma propre responsabilité, mon propre effort, va me permettre de sortir de cette épreuve dans laquelle je suis plongé. D’être là avec ce cri : « Toi seul, Seigneur, peut me sauver ! » Saint Pierre dira : « Lui-même a porté nos péchés dans son corps, sur le bois, afin que morts à nos péchés nous vivions pour la justice. Par ses blessures nous trouvons la guérison. » Et ce corps du Christ vivant ressuscité mais stigmatisé, on pourrait dire, dans l’humilité de la présence sous l’apparence du pain, est un lieu permanent de perfusion de l’Esprit Saint et de perfusion de la vie divine par nos propres fêlures qui passent par ses propres fêlures à Lui.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUn dernier point, quand même : Guérir ou soigner ? Un médecin ne peut pas guérir, il ne peut que soigner. Tout thérapeute ne peut que soigner. Il ne peut pas guérir. La guérison est un processus propre du corps, un processus qui ne peut revenir qu’à Dieu seul, quelque part. On peut faire en sorte que le corps aille mieux par une certaine thérapie, mais le processus de guérison est impossible. Il se fait par la dynamique propre de la vie qui m’habite. Dieu seul est capable de guérir. Un médecin peut soigner. Un thérapeute peut soigner. Mais Dieu seul peut guérir. Il n’y a pas de guérison en dehors de Dieu. On peut soigner, on peut « care » disent les anglais, on peut prendre soin, mais on ne peut pas guérir fondamentalement, puisque le processus de guérison ne dépend pas des médicaments ou de la thérapie, il dépend du processus propre, de dynamiques soit du corps, soit de la psychologie de la personne. Tous les thérapeutes en psychologie, en psychiatrie, savent bien que finalement s’il n’y a pas une collaboration de la personne, un oui de la personne, il n’y a pas de processus de guérison possible. Ultimement, c’est cet acquiescement de la personne qui va amener à ça.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDéjà les juifs avaient compris que tout ce mystère se jouait autour du pain, puisqu’il y avait un pain particulier, un pain azyme, la matsa shemoura, qui était un pain extrêmement important. « Matsa » c’est le pain azyme, « shemoura » veut dire surveiller. On surveillait attentivement toute la fabrication et toute la cuisson et puis là, autour… Ce pain était servi dans le remake, ou l’after de Pâque et on dit que c’était le pain de la foi et de la guérison. Déjà dans la tradition juive on avait l’idée qu’autour du pain de la foi se jouait la guérison.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDonc Jésus est présent, Jésus est là, il est présent partout, c’est sûr… Un jour on demandait à une classe d’enfants : « Où est Jésus ? » « - Dans mon cœur ! » Un autre dit : « Á l’église, au Tabernacle ! » « - Oui, très bien ! » « - Au milieu de nous, quand deux ou trois sont réunis en son nom ! » « Très bien ! » « - Moi monsieur, moi monsieur, j’sais ! » « - Il est où ? » « - Á la salle de bain ! » « - Á la salle de bain ! ?? Pourquoi tu dis ça ? » « Ben, chaque matin quand maman fait sa toilette et que papa est devant la porte il tape, il tape et il dit : « Bon Dieu ! T’es encore là ! ». Non, Dieu n’est pas étranger à nos vies, mais il y a un lieu dans lequel Il veut être, corporellement présent et c’est ça qui change tout, corporellement présent, c’est au Saint Sacrement. Il est là réellement, spirituellement et corporellement. Charnellement présent, réellement présent.

    Alors, j’aimerais voir quatre aspects, rapidement. Le premier aspect est un aspect plus théologique : Comment l’Eucharistie devient un lieu de guérison. Deuxièmement un aspect plus anthropologique, humain : Comment l’Eucharistie est un lieu de guérison très personnel, très concret. Troisièmement : Comment l’Eucharistie peut être une guérison politique, économique, cosmique, si j’ose dire. Et dernièrement : Comment l’Eucharistie est déjà une préfiguration de la guérison ultime qu’est la parousie, la venue en gloire du Christ.     

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurLe premier point. Comment l’adoration eucharistique est au cœur du drame de l’humanité. Le drame de l’humanité c’est le péché. La folie d’amour de Dieu c’est la création, c’est la rédemption qui va s’en suivre, bien sûr, mais le drame, c’est le péché. Et le péché, nous dit saint Thomas d’Aquin, c’est se détourner de Dieu pour se tourner vers la créature. C’est ce mouvement fou de l’homme qui préfère la créature au Créateur. Ou qui n’aime pas les créatures sous le regard du Créateur. Parce qu’il ne s’agit pas de rejeter la créature mais de voir les créatures en tant que don du Créateur et de voir le Créateur toujours là en premier. Comme dit le vieux proverbe chinois : « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. » Ou alors, dans une classe, on demande : Mais d’où vient le lait ? Et un enfant dit du berlingot, de la brique. Oui, c’est vrai, mais il y a peut-être une vache derrière… Donc, nous sommes un peu bloqués sur les créatures sans voir qu’il y a un Créateur derrière. Alors, l’adoration va se mettre là : quand nous nous mettons en adoration, nous proclamons la source, nous proclamons Dieu. Nous renversons ce mouvement du péché qui est de préférer la créature au Créateur pour dire que je préfère le Créateur et le Rédempteur à la créature. Je viens affirmer de manière profonde et forte que le Créateur est au cœur de ma vie, de mon existence. Le péché me replie sur moi-même, l’adoration, disait le pape Benoît XVI, est une extase, une sortie de soi, là où les yeux m’amènent. Il y a un grand guide de montagne, René Desmaison, qui répondait à pourquoi vous êtes monté sur des montagnes, à faire des choses folles ? Il disait : « Je voulais marcher là où mes yeux me portaient. » Je voulais poser mes pieds là où mes yeux m’avaient attiré. Eh bien, voyez-vous, l’adoration, c’est ça : je regarde Jésus. Et je veux être là où est celui que je contemple. Je suis en extase de moi-même qui me met en exode de moi-même. Benoît XVI va dire : « L’extase initiale se traduit dans un pèlerinage, un exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi. Et précisément ainsi vers la découverte de soi, plus encore, vers la découverte de Dieu. » Donc de l’exode à l’extase. Et de l’extase à l’exode. Je sors de moi, je suis en sortie de moi vers ce Dieu. Ça c’est le renversement du mouvement du péché. Le péché. Le péché me replie sur moi-même, me replie sur mon ego, m’enferme en moi-même dans l’enfermement,  ̶  et dans enfermement il y a lenfer aussi, vous voyez, une fermeture totale. Ça cest le drame qui peut sexprimer de manière spirituelle, de manière psychique, psychologique, de manière égoïste, pécamineuse, sans souci de l’autre et Dieu va briser ce mouvement pour me mettre hors de moi. Le pape François disait : « C’est dans le don de soi, dans le fait de sortir de soi-même que se trouve la véritable joie et que par l’amour de Dieu, le Christ, lui, a vaincu le mal. » Même des gens comme Boris Cyrulnik, psychiatre athée, d’origine juive, qui dit, mais écoutez : « La seule guérison possible dans les grands traumatismes c’est de sortir de soi et de regarder à l’extérieur. » Ce que le bon sens a compris, l’Eucharistie nous permet de le vivre, l’adoration eucharistique nous permet de le vivre. Sortir dans un exode qui nous tourne vers le Rédempteur qui est là, qui lui-même nous envoie vers les plaies de nos frères et sœurs. Un petit enfant disait un jour : « Cher Dieu, ça doit être difficile pour toi d’aimer toutes les personnes du monde. Il n’y en a que quatre dans notre famille et je n’y arrive jamais ! » Dieu nous amène à partir de cette extase vers Lui dans un exode et de l’exode vers Lui, un mouvement, se mettre en route, sortir de ma terre pour aller vers la terre de Dieu, sa terre charnelle qui est Présence au Saint Sacrement, et de là, aller vers la chair de mes frères et sœurs souffrants pour semer cet amour que Lui-même me donne.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDeuxième aspect important, théologique : Vous savez que l’on dit que l’Eucharistie est la prolongation de l’action de grâce pour la communion et la préparation dans le désir de la communion suivante. Ce qui est vrai théologiquement. Mais Benoît XVI avait souligné un aspect très important. Il disait déjà que, d’un point de vue naturel, l’homme est appelé à vivre dans la justice, qui est une vertu, et la justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Or, il y a un premier élément constitutif de la vertu de justice, qui s’appelle la vertu de religion. D’un point de vue philosophique les grecs en ont parlé quatre siècles avant Jésus-Christ, soit cinq siècles, même, qui consiste à rendre à Dieu un culte d’adoration, d’action de grâce et de louange car il est la source de tout bien et à cette hauteur de tous les biens, on va lui rendre l’adoration, l’action de grâce et la louange qui lui est due. Eh bien voyez-vous, l’adoration eucharistique permet de remplir ce devoir fondamental de l’être humain à l’égard de son Dieu Créateur, de lui rendre ce qui lui est dû : l’adoration, la louange et l’action de grâce. De sorte que Benoît XVI pouvait même dire que, quelque part, avant même, du point de vue non pas de l’ordre chronologique, où l’Eucharistie, la messe, précède l’adoration, mais du point de vue de l’excellence, l’adoration précède encore tout. Et l’adoration est l’accomplissement du devoir premier du cœur de l’homme, en justice. Et je crois que c’est important de revenir à cela.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurSaint Augustin disait que « personne ne mange cette chair sans auparavant l’avoir adorée. Nous pécherions si nous ne l’adorions pas. » Alors lui il l’entendait de manière très concrète puisqu’on communiait dans la main. On va recevoir le corps du Christ, on va L’adorer avant de Le porter à sa bouche. C’est ce que disait saint Augustin dans cette façon de faire. Mais profondément, cite Benoît XVI, il va faire précéder dans l’ordre de l’excellence l’adoration par rapport au reste pour montrer que c’est le premier devoir de l’être humain, en justice, que de dire : « Mais Dieu, Tu es mon Seigneur et mon Tout ! » Et donc de s’amener vers la gratitude et l’action de grâce, de dire merci. De dire merci à Dieu. C’est le mot efcharisto. Eucharistie ça veut dire merci. C’est l’attitude de l’homme qui dit merci, tout bien vient de Toi. L’ingratitude, l’acharistia en grec, est une catastrophe. Et l’eucharistia est le chemin de la délivrance. Même psychologiquement, aussi aujourd’hui. On se rend compte que la chose la plus importante pour vivre, dans la psychologie positive, c’est de dire merci, d’être dans l’action de grâce. Ceux qui rouspètent tout le temps, ceux qui marmonnent tout le temps, ceux qui sont dans la plainte tout le temps, dans le murmure, eh bien, c’est une tragédie. Le peuple hébreu quand il a commencé à murmurer, plutôt que de traverser le désert en quarante jours a mis quarante ans. Ce n’est pas très agréable, ça fait un peu plus long, vous voyez. Refusant l’eucharistie, ils sont enfermés dans l’acharistia et donc se sont retrouvés dans cette tragédie du murmure perpétuel. Eh bien, l’adoration eucharistique nous sort et nous disons : « Merci à toi Jésus, Gloire à Toi, Gloire à Toi ! » Donc, de sorte qu’à l’adoration on ne commence pas par soi mais on commence par le Christ : Ô Jésus, Toi, Toi, Toi… Vous voyez, ce mouvement de sortie de soi. Il y a un très beau conte soufi de la tradition mystique musulmane : c’est un fiancé qui rentre d’un long voyage et il se réjouit de rencontrer sa fiancée. Il frappe à la porte et la voix aimée à l’intérieur dit : « Mais qui est-ce ? » Il dit : « C’est moi, je suis ton fiancé, ça y est, je suis revenu ! C’est moi ! » La porte ne s’ouvre pas. Il se dit : « Mais ce n’est pas possible ! Elle n’a pas pu m’oublier, elle n’a pas pu m’abandonner… » Alors, il va dans le désert, il prie, il réfléchit, il jeûne. Il revient quelques jours plus tard, il frappe à la porte. La même voix aimée, dedans, dit : « Qui est-ce ? » Il dit : « C’est moi, je suis ton bien-aimé, je suis ton fiancé, je suis revenu du long voyage. Ouvre-moi ! » Et la porte ne s’ouvre pas. Alors il repart dans le désert, il prie, il jeûne, il réfléchit et il revient. Une troisième fois il frappe à la porte. La même voix aimée : « Mais qui est-ce ? » Á ce moment-là il va dire : « C’est toi, ma bien-aimée, c’est toi ! » Et la porte s’ouvre. Vous voyez, l’adoration eucharistique nous fait passer du moi à toi. Un philosophe juif et poète à sa manière, Martin Buber, a fait un poème extraordinaire. Du, qui veut dire en allemand toi. En haut Toi, en bas Toi, à gauche Toi, au-dessus Toi, dans le malheur Toi, dans la joie Toi, Toi, Toi, Toi, rien que Toi, uniquement Toi.  Eh bien l’adoration c’est ça, voyez-vous… Je passe du je au Toi.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurPeut-être un autre point très important dans l’adoration eucharistique, que j’aimerais soulever… Saint Thomas d’Aquin nous dit qu’il y a deux drames qui rongent le cœur de l’homme. C’est la présomption et le désespoir. La présomption c’est croire qu’on peut faire par nous-même les choses. Et le désespoir, c’est se retrouver dans cette pauvreté, cette vulnérabilité où on ne sait plus où donner de la tête, jusqu’à la dépression. Et saint Thomas d’Aquin dit que la présomption et le désespoir sont les deux péchés contre la vertu d’espérance. Ah, c’est intéressant, la vertu d’espérance ! Et l’espérance, dit-il, se nourrit de la prière. Et la prière en particulier du Notre Père qui es au cieux. Or, saint Paul nous dit que personne ne peut dire Abba, Père, sans la puissance de l’Esprit Saint. Or, il se trouve une chose incroyable : l’Eucharistie est justement le lieu de la pentecôte perpétuelle. Saint Jean Chrysostome, un père de l’Église, disait que, à l’origine, la Pentecôte n’était pas qu’un fait initial, c’était un mouvement qui avait été inauguré une fois et que Dieu ne cessait pas de donner l’Esprit Saint, et que l’Esprit Saint est un jaillissement permanent du Cœur eucharistique de Jésus. Il y a deux Pentecôte, on les connaît tous : celle de saint Luc dans les Actes des Apôtres cinquante jours après Pâque, où une flamme arrive, où l’Esprit Saint arrive, de grands signes et de grands phénomènes, avec les flammes sur la tête des apôtres. Ils sortent, Pierre fait un sermon et trois mille conversions. Un ami prêtre m’a dit un jour : « Tu te rends compte ! Un sermon, trois mille conversions ! Moi, trois mille sermons et pas une conversion ! » Je dis : « Non… Le Seigneur travaille quand même, pas de souci ! » Voilà. Et il y a une Pentecôte dont on parle moins, c’est la Pentecôte de saint Jean. Saint Jean ne situe pas la Pentecôte de la même manière que saint Luc, mais pour Jean la Pentecôte est immédiatement à la Croix. Au dernier jour de la fête de Soukkot, la fête des Tentes, où le peuple juif vivait sous des tentes en dehors de leur maison, rappelant le séjour au désert, le dernier jour il y avait un rite particulier où le grand prêtre descendait à la fontaine de Siloé, qui était la seule fontaine jaillissante d’eau vie à Jérusalem. Le reste c’était des puits. Il allait chercher l’eau vive, l’amenait sur l’autel du Temple pour verser l’eau en offrande. Et à ce moment-là, dans une acclamation,  ̶  le commentaire du Talmud dit qui n’a pas vu la joie de la fête de l’eau qui clôt la fête des Tentes ne peut pas connaître la joie. C’était l’apothéose de la joie.  Et Jésus crie à ce moment-là : « Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi, car il est écrit de son sein jaillira l’eau vive. Il parlait de l’Esprit Saint qui jaillirait de son côté, à sa glorification », c’est-à-dire au moment de la Pâque. Donc, pour saint Jean le Cœur ouvert du Christ est la Pentecôte. Or, le Cœur du Christ ne cesse de palpiter au Saint Sacrement. Et l’Esprit Saint ne cesse d’être donné. De sorte que, en l’adoration eucharistique, Dieu vient me libérer de la présomption et du désespoir. Qui suis-je pour, pardonnez-moi l’expression un peu directe, me la péter devant le Bon Dieu, au Saint Sacrement ? Qui suis-je pour avoir quelque sentiment d’orgueil devant Jésus au Saint Sacrement ? Lui, le Tout-puissant s’est fait dans une telle vulnérabilité, sous l’apparence d’un bout de pain inerte, et c’est Dieu qui est là. Et en même temps qui suis-je pour désespérer, puisque la grâce m’est donnée. Puisqu’Il s’est revêtu de mon humanité, Il a pris l’humilité de descendre et vient aux tréfonds me rechercher et m’empoigner. On a accueilli une fille chez nous qui avait fait cinq tentatives de suicides, des violences extrêmes, la drogue depuis douze ans, son copain était un dealer qui s’est fait assassiné, dans la rue comme ça… Enfin voilà, c’était vraiment un truc incroyable. Et quand elle a débarqué chez nous, elle était en hôpital psychiatrique juste avant. Elle avait fracassé l’infirmière qui était venue lui faire une piqûre de calmants, du coup l’infirmière avait dû être hospitalisée pour coups et blessures. Elle avait quinze ans, on ne savait plus que faire d’elle. Alors on l’a amenée chez nous. Un jour elle a pété les plombs, c’était horrible. Et puis elle me dit : « J’me casse ! » J’dis : « Écoute, de toute façon il n’y a plus personne qui peut te supporter ici, donc… Mais avant, on cause. » Et puis elle me dit : « J’ai pas envie de parler avec toi, tu dégages, connard ! »  Très bien. Alors j’dis : « Mais on cause. » Alors je la poursuis, j’arrive à la chambre, elle m’envoie la porte à la figure, je bloque la porte. Je dis : « Écoute, j’ai dit qu’on causait ! » Elle me dit : « T’as pas l’droit de rentrer ici ! » J’dis : « Écoute, c’est ni chez toi, ni chez moi, c’est chez le Bon Dieu, donc on est chez le Bon Dieu tous les deux. » Elle commence à faire sa valise. Á ce moment-là je ferme la valise, je m’assieds dessus, j’dis : « J’t’ai dit qu’on causait avant que tu te casses, quoi ! » Et là, elle vient vers moi avec le poing comme ça, vous savez… Alors j’enlève vite mes lunettes parce que j’me dis qu’il vaut mieux un œil au beurre noir qu’un œil crevé. Et elle s’arrête à ça de moi avec le poing ! J’étais très content, d’ailleurs. Et elle me dit : « Mais pourquoi je suis comme ça, Nicolas ? » « Ah !, j’dis, ça c’est une très bonne question, assied-toi. » On a passé un long moment à discuter, et puis à la fin, elle me dit : « J’fais quoi, maintenant ? » « Si tu veux t’casser, tu veux t’casser… Á moins que tu aies une autre idée, maintenant. » « Tu veux que j’aille où ? » J’dis : « J’suis tout à fait d’accord avec toi, à part la rue, tu n’as rien. » Elle me dit : « Tu m’gardes encore ici ? » J’dis : « Ouais ! Mais à une condition. C’est que quand tu pètes les plombs, tu vas à la chapelle. » Elle me dit : « Non ! mais moi je n’y crois pas à ton machin de Jésus, avec ton machin blanc, là ! J’y crois rien ! » J’dis : « C’est pas ça que je t’ai dit. Je t’ai dit : Il n’y en a qu’un seul qui te supporte ici, c’est Jésus. Et la chapelle est insonorisée. Et il n’y a personne qui te supporte, par ailleurs. Donc, quand tu as envie de péter les plombs, tu vas chez Jésus péter les plombs. D’abord on n’entend pas, ensuite c’est Lui qui te supportera. » Et elle faisait ça très gentiment d’ailleurs, par obéissance. Et un jour, elle sortait de la chapelle, je la vois arriver. Je passais juste devant la chapelle à ce moment-là, c’est vraiment providentiel et elle me dit : « Aïe ! Aïe ! Nicolas ! » J’dis : « Quoi ? » « - Le cœur !... » J’dis : « Saute dans la voiture, on part à l’hôpital tout de suite ! » Je me suis dit, avec toutes les substances qu’elle a prises, le cœur est en train de… Elle dit : « Non, c’est pas ça, c’est l’amour de Jésus ! » « Ah, j’dis, c’est bon ! » Elle me dit : « Tu vois, j’ai dit à Jésus : Tu as une heure, montre suisse en main, tu as une heure pour me dire si tu existes ou pas. Soit tu existes et tu fais quelque chose, soit, s’il n’y a pas de réponse, je vais me suicider. Peut-être, si tu existes, on se retrouvera de l’autre côté. Mais moi je ne supporte plus la vie comme ça. » Elle s’est mise à genoux, une heure montre en main. Après une heure, elle s’est levée et elle a dit : « Tu n’m’as rien dit. Peut-être qu’on se reverra de l’autre côté, si tu existes. » Et à ce moment-là elle me dit : « Je ne sais pas ce qui s’est passé Nicolas, j’ai senti mon cœur brûler, je me suis effondrée au pied du… Elle était à ça de Jésus ! Á ça de l’ostensoir, au bord de l’autel, comme ça ! Elle a dit : « J’l’ai pas quitté des yeux, hein ! J’te lâche pas ! J’te lâche pas les baskets ! » Elle m’a dit : «  J’me suis effondrée là, je sors maintenant de la chapelle. Il m’a dit qu’Il existait et qu’Il m’aimait. » Elle avait des médocs à n’en plus finir. On a fait le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Elle a fait un chemin comme ça. Bref, elle a fait son Bac, elle a terminé son Master en Sciences Po, croyante et tout… Avec cette expérience du Christ qui vient sauver, qui vient regarder. Tout d’un coup, entre la présomption et le désespoir, il y a le cœur de l’enfant de Dieu qui nous est restitué par l’effusion de l’Esprit Saint jaillissant du Cœur eucharistique du Christ. De sorte qu’il y a cette Pentecôte permanente qui est là, et qui fait que tout d’un coup je peux venir à ce Cœur miséricordieux.

    Á sainte Faustine Jésus disait : « Tu vois, mon enfant, ce que tu es par toi-même, la cause de tes échecs, c’est que tu comptes trop sur toi et que tu t’appuies trop peu sur moi. Mais que cela ne t’attriste pas outre mesure, je suis le Dieu de la Miséricorde, ta misère ne saurait épuiser mon Amour, puisque je n’ai pas limité le nombre de mes pardons. Sache, mon enfant, que les plus grands obstacles à la sainteté sont le découragement et l’inquiétude. Toutes les tentations réunies ne devraient pas, même un instant, troubler la tranquillité intérieure. Quant à l’irritabilité et au découragement, ce sont les fruits de ton amour propre. » Le diagnostic est clair, c’est bien, on sait où on en est.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUne autre chose fondamentale dans l’adoration eucharistique c’est qu’on a le choix entre adorer et idolâtrer. Le cœur de l’homme est ainsi fait qu’il ne puisse pas ne pas s’attacher à quelque chose. Qu’il ne puisse pas aller à un endroit où le sens de sa vie prend source, où il s’accroche. L’athéisme comme tel est impossible. J’aurais de toute façon une idole à la place de Dieu. Je peux être athée d’un certain Dieu, du Dieu de Jésus-Christ, je peux être athée d’un autre Dieu, peu importe… Mais je ne peux pas vivre d’un athéisme. J’aurais nécessairement quelque chose qui tient lieu : mon travail, mon sport, ma littérature, ma science, mon art, une personne, mon moi, mon ego… bref, quelqu’un tiendra lieu de Dieu qui remplira cette tâche dans mon existence. C’est subtil, parfois… Un petit enfant de cinq ans : « Maman, t’aimes mieux qui le plus au monde ? – Mais mon p’tit chou ! tu sais bien que je te préfère à tout ! – Ah, c’est là le problème, alors, maman. » C’est que tu n’as pas quelqu’un devant, qui est là et qui pourrait dire : eh bien, oui, c’est parce que j’aime Dieu en premier que je peux t’aimer toujours mieux. Donc l’idolâtrie sera toujours là et Benoît XVI disait : Enfin, avec Jésus au Saint Sacrement, on a quelqu’un devant qui plier le genou : « Celui qui plie le genou devant l’Eucharistie fait une profession de liberté. Il ne pourra plus jamais plier le genou devant quelque idole que ce soit. » Je suis libre quand je plie le genou devant Dieu, quand je m’agenouille devant le Seigneur et Sauveur, quand je me prosterne devant l’unique Seigneur. Ce geste d’adoration devient une contestation révolutionnaire face à notre monde des idoles. Adorer le Saint Sacrement, répandre l’adoration sur la terre entière devient la plus grande contestation révolutionnaire mais dans un sens prophétique et positif du terme de la révolution. Non pas dans un sens destructeur mais au contraire dans la proclamation d’un nouvel ordre du monde qui est un peu déboussolé, qui est un peu désorienté. Un monde qui a perdu l’Orient devient désastré. Il a perdu l’astre. Et c’est une catastrophe. Replier le genou devant celui qui est le Soleil levant qui porte en ses rayons notre guérison, le Christ, Soleil levant, c’est se tourner vers l’Orient, c’est réorienter le cœur de l’homme et le monde et retrouver l’astre du matin qui vient illuminer notre monde. Voilà. C’est ce renversement qui s’opère comme ça. Et je pense qu’il y a une profession de foi prophétique par l’adoration permanente du Saint Sacrement. Un jour à Lyon, un jeune qu’on avait accueilli qui s’était converti et qui allait être confirmé. Il avait invité à la fois des amis de la paroisse, des cathos bien engagés et ses amis du travail qui était athées, musulmans… Á la fin, il m’a dit : « Il faudrait que tu parles… Un petit mot comme ça, devant tout le monde… » J’dis : « Écoute, j’peux pas parler aux gens de ta paroisse de l’Emmanuel de la même manière que je vais parler à un musulman, ou à un athée… Enfin, c’est pas possible ! » Il fait : « Débrouille-toi, ça c’est ton problème, c’est pas le mien ! » C’était un hall de gymnastique, il avait mis une croix quelque part et il y avait un petit pique-nique, là, un petit buffet. Et puis… j’étais tellement perdu que je me suis prosterné devant la croix en mettant le front par terre et disant : « Jésus ! il n’y a plus que Toi qui peut me dire ce qu’il faut dire. » Je me relève. Je raconte, je ne sais pas ce que j’ai raconté… Á la fin, un monsieur vient me voir et me dit : « Voilà… j’aimerais vous dire que je suis musulman, j’aimerais devenir chrétien. » Je dis : « Ah bon ! Vous y pensez depuis longtemps ? » Il me dit : « Non, depuis tout à l’heure. » Je dis : « Quand ça ? » « Quand vous vous êtes prosterné le front par terre devant la Croix du Christ, comme nous on fait en direction de La Mecque, mais vous devant la Croix du Christ, j’ai su que vous adoriez le vrai Dieu ! » Et deux ans après il a été baptisé à Saint-Jean, à la cathédrale de Lyon. Dieu s’est servi de ce geste que j’avais fait de manière "égoïste", en disant Seigneur, moi je ne sais pas ce qu’il faut dire. Je n’avais aucune intention en posant ce geste. Dieu s’est servi de ce geste qui n’avait aucune intention. Je crois qu’il n’a pas écouté ce que j’ai dit après, il a bien fait d’ailleurs, tellement bouleversé par ce que Dieu lui avait donné, ou ce que l’Esprit Saint lui avait donné, par ce geste d’adoration. Professer le Christ dans l’adoration c’est délivrer l’homme de toutes les idoles.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurPeguy disait : « Tous les prosternements du monde ne valent pas le bel agenouillement droit d’un homme libre. Toutes les soumissions, tous les accablements du monde ne valent pas une belle prière bien droite, agenouillée, de ces hommes libres-là. Toutes les soumissions du monde ne valent pas le point d’élancement, bel élancement droit d’une seule invocation d’un libre amour. » C’est bouleversant, ça, voyez… Donc l’adoration est là au cœur du drame de notre humanité pour renverser les choses.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDu point de vue anthropologique, le premier drame de l’humanité, c’est l’orgueil. Quand on est devant le Saint Sacrement exposé, quand on regarde Jésus dans son look du bout de pain, dans son apparence d’un bout de pain, dans cette vulnérabilité-là, vraiment, on est bouleversé. Le Tout-Puissant s’est fait le désarmé. Le Seigneur des armées est devenu le Seigneur désarmé. Désarmé, vulnérable, pauvre. Il ne peut même pas sortir du Tabernacle tout seul. Bon, des fois, il le fait. Avec sainte Faustine, un jour, Il débarque dans sa chambre et Il se pose sur ses mains, et dit : J’en ai marre, ici, il n’y a personne qui m’aime. Il n’y a que toi, donc je quitte cette maison et j’me casse ! Et Faustine négocie, elle dit : Tu ne peux pas Jésus, quand même, non… Il était sorti du Tabernacle, du ciboire, comme ça, et puis Il lui dit, bon, tu m’as convaincu, rapporte-moi au Tabernacle. Elle lui dit non, t’es venu tout seul, tu retournes… Il dit, non, j’y retournerai avec toi. Il lui a fait trois fois le coup comme ça. Trois fois Il lui a dit, non, je ne veux plus rester ici, ça va pas. Et trois fois Faustine dit, mais non, Jésus, écoute… Faut pas faire comme ça, elles sont bien mes sœurs quand même, tu sais…  Et donc, elle ramènera trois fois Jésus au Tabernacle. Á part ça, il a besoin des mains du prêtre ou du diacre, pour sortir, être exposé. Benoît XVI dit : « Sa façon d’être Dieu provoque notre façon d’être homme. » C’est prodigieux cette phrase, aussi. Qui es-tu devant ce Dieu pour revendiquer quoi que ce soit ? Au point que Jean-Paul II a pu dire : « La première tâche de la théologie est l’intelligence de cet abaissement de Dieu  ̶  quon appelle en grec la kénose, en français venant du grec  ̶  le Dieu qui se vide de lui-même, vrai et grand mystère pour l’esprit humain. » Dieu s’abaisse jusqu’à la Croix, jusqu’à l’Hostie. « C’est pourtant dans ce mystère de l’abaissement de Dieu que le mystère de l’homme s’éclaire totalement. Le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. »

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurDeuxième point : l’égoïsme et le repliement sur soi. Nous sommes libres mais nous avons tous besoin d’être libérés. Si de manière générale, théologiquement, l’adoration renverse le mouvement du péché, qui est la préférence de la créature pour le Créateur, d’un point de vue très concret, l’adoration me donne ce goût de la liberté, élargit mon espace, élargit mon cœur. Dans la confiance de la présence de Celui qui me regarde et qui m’aime il y a un mouvement de libération qui peut se faire.  

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurTroisième point de ce côté-là : les troubles de l’estime de soi, les maladies du refus de vivre. Vous savez, on est très marqué par rapport à ça : Je ne m’estime pas, je ne vaux rien, je suis nul, c’est n’importe quoi, rien à foutre… C’est une fille que j’avais accueillie, qui avait fait aussi plusieurs tentatives de suicide. Qui était dans un état aussi incroyable. Elle a passé neuf nuits d’adoration. Neuf nuits de 10h du soir à 6h du matin. Sans trop y croire, d’ailleurs. Après ces neuf nuits elle m’a écrit un mot. Elle ne pouvait pas encore parler parce qu’elle était tellement blessée, traumatisée. Je lui avais dit, t’es trop cassée. Il n’y a qu’une chose qui peut te relever c’est te laisser regarder par Jésus. Elle me dit : « Mais j’y crois pas ! » « Ça fait rien, Lui croit en toi. Alors si tu veux passer une nuit d’adoration, je peux accepter. » La première nuit, de 10h du soir à 6h du matin, elle n’a pas bougé. Moi j’avais la tête qui tombait. Elle rien, rien. Je dis : « Tu peux revenir une fois, si tu veux. » Elle me dit : « Je reviens ce soir. » Je dis : « Non, pas toutes les nuits, une nuit sur deux, quand même ! » Et donc, elle a fait les neuf nuits. Elle m’a écrit : «  Tu vois, Nicolas, je me trouvais moche, nulle et conne. Et Dieu dans l’adoration m’a dit : «  Tu es belle, tu as du prix à mes yeux et je t’aime. » Et j’ai compris que ce qui compte c’est pas ce que moi je pense de moi, même pas ce que mon père pense de moi.  ̶  Qui avait dit en psychothérapie systémique : « Tu peux crever, j’en ai rien à faire », ce qui n’était pas son intention profonde, mais dans le désespoir et la souffrance qu’il avait, c’est la seule chose qu’il a pu sortir, mais elle l’a pris en pleine figure, comme une parole vraie.  ̶  Et puis, c’est pas ce que pensent les copains de moi. Ce qui compte, c’est ce que Jésus pense de moi. » Et ça a été le chemin de la libération.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurOn est vraiment aux antipodes, dans les Métamorphoses d’Ovide, avec le mythe de Narcisse. Ovide dit : « Il meurt victime de ses propres yeux. » C’est extraordinaire : à force de regarder là-dedans, il est séduit par lui-même, il meurt victime de son propre regard replié sur lui-même. Nous, nous allons vivre du regard du Christ posé sur nous. Á l’adoration où Jésus est exposé, nous nous exposons à son regard de miséricorde. Jean-Paul II dans la Théologie du corps dit : « L’homme accueille par un regard celle qui lui est donnée. » Il y a toujours un regard qui est là, voyez-vous. Au cœur de ce mystère, il y a ce regard. François Roustang, un thérapeute psychanalyste, disait : « Dans le regard sur ma propre chair, sur ma propre corporéité, sur ma propre sensibilité, j’ai la certitude d’être vivant en tant que tel, d’une pleine évidence telle qu’elle rejette dans l’ombre toutes les modalités de la vie individuelle. Je suis vivant, je suis assuré d’être vivant et cela me donne une fermeté et un aplomb que je n’avais jamais ressenti auparavant. » Pour lui, il le dit de manière psychanalytique athée, c’est-à-dire que le regard de l’autre me sort de mon narcissisme destructeur, de mon renfermement sur ce regard qui me fait mourir, parce qu’il m’enferme sur moi-même, et me met en présence de Celui qui m’extasie, justement, et qui me regarde. Cette parole d’un psychanalyste s’applique dans sa perfection et son excellence à l’adoration eucharistique. Jésus, avec son regard d’amour, il est là, il a ses yeux. J’étais avec un petit enfant, un jour, cinq ans, devant le Saint Sacrement. Il regarde l’Hostie comme ça, il dit : « Jésus, Toi tu ne me vois pas, hein, mais moi je sais que c’est Toi qui es là ! » Alors : « Oui, oui, Il te voit aussi… » Je l’ai trouvé tellement beau… Tu ne me vois pas, mais moi je sais… On est complice. Et le Pape François disait : « Dans l’adoration, j’ai l’expérience que Dieu m’aime. Cette sécurité, personne ne pourra nous l’enlever, personne ne pourra nous l’arracher. Personne. » Dieu est là. C’est juste l’inverse du regard de Sartre. Dans Les mots, Sartre raconte qu’il était dans le salon de la maison familiale. Il avait joué avec des allumettes, il avait mis le feu au tapis. Le tapis a cramé. Il a réussi à éteindre mais il restait les marques et il dit : Dieu m’a vu, j’étais devenu une cible vivante. J’essayais d’échapper à son regard. J’ai été me cacher sous la table du salon, il me voyait toujours. J’étais à la salle de bain, il me voyait toujours. Alors, je me suis mis à jurer comme mon grand-père. Sacré nom de Dieu, de nom de Dieu, de nom de Dieu, tu ne me regarderas plus ! Je n’ai pas immédiatement cru que Dieu n’existait pas, mais je ne voulais plus qu’il me regarde. Vous voyez l’image qu’il avait du regard de Dieu. Le père Fouettard. Je suis athée de ce Dieu-là de Sartre. Le Dieu auquel je crois n’est pas un Dieu qui regarde pour juger ou accuser. C’est un Dieu qui regarde pour relever, faire exister. Et au Saint Sacrement il me relève et me fait exister. On apprend par Jésus l’expérience de cela. Quand Jacob se bat dans son combat contre Dieu dans cette nuit à Penuel, le nom Penuel veut dire la face de Dieu, se tourner vers le seul vrai Dieu. Et saint Ambroise commentant Marie-Madeleine dit : « Qui cherche-tu ? demande le Christ à Marie. Regarde-moi ! Tant que tu ne me regardes pas je t’appelle femme. Tu me regardes, je t’appelle Marie. Tu reçois le nom de celles qui engendrent le Christ, car, en me regardant spirituellement, tu engendres le Christ dans ton âme. » Et Hagar, chassée par sa maîtresse, Saraï, pas très gentille, là, l’envoie au désert. Elle est là, elle croit qu’elle va mourir. Elle a son enfant d’un côté et va de l’autre côté. Et tout d’un coup, Dieu vient la visiter et lui montre le puits. Elle a l’audace, pour une esclave non juive, de donner un nom à Dieu. Elle va donner à Dieu le nom : « Toi tu es Dieu qui me voit ». Atta-El-roï. C’est pourquoi on appelait ce puits le puits pour le vivant qui me voit. C’est la seule qui ose donner un nom à Dieu. Vous voyez la liberté d’une esclave ! Elle ose donner un nom parce qu’elle a fait l’expérience que dans sa misère et dans la mort qui s’annonçait, pour sa descendance et pour elle, Dieu la voyait et lui a donné la vie. Il lui a donné l’eau vive. Donc n’ayons pas peur de nous présenter à Dieu comme ça, devant lui.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUn autre point. On vit beaucoup dans l’affectivité, l’émotion, le ressenti. L’adoration eucharistique est une guérison de mon émotionnalité. Je ne sais pas si ceux qui adorent régulièrement parmi vous ont beaucoup de guili-guili qui partent de l’occiput à la pointe du petit orteil, mais… Moi, en tout cas, c’est pas trop le cas, depuis des années que je fais cela… Par contre, je vois une chose qui est absolument prodigieuse qui se passe en moi. Ce n’est pas ma sensibilité qui rejoint Dieu. D’ailleurs, elle ne permet jamais de rejoindre Dieu. Elle peut être un cadeau, il ne faut pas rejeter les cadeaux de Dieu dans notre sensibilité, si sa bonté, sa tendresse nous donne ça. Mais c’est un cadeau de Dieu, ce n’est pas Dieu lui-même. Dieu lui-même ne se touche que par la foi, l’espérance et la charité. Par les vertus que l’on appelle théologales. Et donc, l’adoration eucharistique… Si les Pères de l’Église disaient il faut fixer son regard  ̶  et toute l’adoration eucharistique au XIIIème siècle est née du fait que l’on voulait voir Dieu avec nos yeux de chair, puisque certains contestaient sa présence réelle  ̶  On a toujours dit : oui, mais nos yeux de chair, qui sont le vecteur de ce regard posé sur Dieu, portent un autre regard, ceux de l’âme, qui est perfectionné par la foi, l’espérance et la charité. Donc, toute l’adoration eucharistique consiste à poser des actes de foi, d’espérance et de charité. Je crois que Tu es là, Seigneur. Je T’aime, Seigneur, je T’adore et je compte sur Toi, parce que sans Toi, je ne peux rien faire. Et un jour je te verrai face à face. Acte de foi, acte d’espérance et de charité. De sorte que quelques soient mes émotions, quand je ressens, je dis merci Jésus, mais ce n’est pas ça ce à quoi je veux m’attacher. C’est à Toi que je veux m’attacher. Ce n’est pas pour tes cadeaux que je T’aime, c’est pour Toi-même. Et quand je ne ressens rien, encore mieux : je peux au moins m’attacher à Toi par la foi, l’espérance et la charité. Et donc je suis lié à Lui de manière indéfectible. Un jour, un petit enfant de 6 ans, qui préparait sa première communion, devant le Saint Sacrement : « Nicolas, c’est fou, hein ? de penser que c’est Jésus qui est là ! » Je dis, génial, on va… Il me dit : « Enfin, c’est la Toute-Puissance de Dieu, quoi ! » Oui, t’as raison, c’est vrai, la Toute-Puissance peut se faire toute petite.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurL’adoration nous délivre des maladies de la subjectivité ̶ qui se transforment d’ailleurs en pathologies : boulimie, anorexie, dépression, crise identitaire, toxicomanies diverses… ̶  pour nous établir dans une structuration de notre être profond par la dimension essentielle de notre dignité humaine, qui est l’âme spirituelle, qui elle-même est faite d’intelligence et de volonté, qui elles-mêmes, ces facultés, sont perfectionnées par la foi, l’espérance et la charité. Ce qui ne me désincarne pas, ce serait une tragédie, mais qui assume toute ma chair et ma psychologie pour la tourner vers Dieu.


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUn autre point qui me paraît important. Parfois, on a une maladie que l’on appelle l’acédie. Acédie veut dire la perte du désir, la perte de la soif, la perte de la faim ; le train-train, la paresse ; l’assoupissement, le manque de force et de détermination pour aller vers Dieu. L’adoration m’amène à crier vers Dieu en permanence. L’adoration est vraiment ce cri qui me tourne vers Dieu perpétuellement. Paul Claudel disait : « Lève les yeux et tiens-les fixés devant toi. C’est là ! Et regarde l’azyme (le pain) dans la monstrance. Le voile des choses, pour moi, sur un point est devenu transparent. J’étreins la substance, enfin, à travers l’accident. » C’est-à-dire : j’étreins Jésus à travers l’apparence du pain. Il y a donc là un désir. L’adoration est le lieu du désir. C’est Toi que je veux ! J’ai faim de Toi, j’ai soif de Toi ! Je le mange des yeux ! Je le mange du regard et je nourris ma foi, mon espérance et ma charité. Je n’arrête pas de le désirer. Saint Augustin dit : « Le gémissement de mon cœur me faisait rugir. Et qui connaissait la cause de mon rugissement ? Tout mon désir est devant Toi. Non pas devant les hommes mais devant Dieu. Car ton désir c’est ta prière. Si le désir est continuel, la prière est continuelle. » Ça, c’est beau ! Donc, j’apprends le désir. En même temps devant le Saint Sacrement, j’apprends à être moi-même, aussi. Ma vulnérabilité, ma pauvreté, je suis là. Le monde nous pousse à la performance, nous pousse à la réussite. Nietzsche avait parlé du surhomme, aujourd’hui c’est le transhumanisme qui fait fureur partout. J’en parlais avec un spécialiste du transhumanisme ici, en France, Laurent Alexandre, qui me disait : « Mais qui, aujourd’hui, voudrait vivre avec 120 de QI ? Mais c’est 175 minimum, voire 200 ! Il n’y a plus de raison de vivre avez 120 ! » Je dis : « Moi, je n’ai encore jamais rencontré une seule personne qui m’a parlé de son QI ! Mais toutes les personnes que j’ai rencontrées m’ont parlé de leur cœur. Qui souffraient de ne pas être aimées. De ne pas avoir l’amour. De ne pas trouver sens à la vie. Ça oui. Mais personne ne m’a dit, là, j’ai un problème avec mon QI. Jamais. Ou alors avec des gros intellos. Mais c’était très bien pour eux. » Finalement, devant cet appel au culte de la performance et à la fatigue d’être soi (Nietzsche) il y a, devant Jésus, la pauvreté, l’expérience que ma vulnérabilité est aimée, que ma vulnérabilité est le lieu de l’entrée de la grâce, que ma pauvreté est le lieu par lequel Dieu va passer. C’est le lieu par lequel Dieu va me rejoindre. La désappropriation radicale de l’humanité de Jésus dans l’Eucharistie est un lieu pour que je puisse aussi m’abandonner tel que je suis. Ma pauvreté est la porte d’entrée de la grâce. Ma misère est la porte d’entrée de la grâce. Elle est le reposoir de la miséricorde de Dieu et le lieu par lequel Dieu va tout transformer. Et c’est par-là que ça se passe, voyez-vous. C’est capital de redécouvrir cela. De redécouvrir que la vulnérabilité est au cœur de l’existence humaine et au cœur de l’étreinte divine. Dieu vient épouser ma vulnérabilité. Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin. Ce sont les malades. « Je suis venu pour les pécheurs et pas pour les justes. » Vous voyez. Et quand j’arrive comme ça devant Dieu, je peux Lui dire : « Tu n’es pas venu pour rien, Seigneur, tu n’es vraiment pas venu pour rien. Tu as trouvé ton bonhomme devant Toi. »

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurJe pense qu’il y a aussi dans l’adoration eucharistique quelque chose d’assez extraordinaire qui se produit. C’est une… Je disais tout à l’heure que si l’homme est fait pour trouver le sens à sa vie, pour ad-orer, ̶  adorer veut dire "mettre une source à sa bouche pour en vivre". On ne peut pas vivre sans eau. Ou je mets ma bouche à la source de Dieu ; ou je la mets à dautres sources frelatées. Il y a une autre chose qui me caractérise : je ne peux pas vivre sans une certaine dépendance. Si je ne dépends pas de l’unique nécessaire qui est Dieu, je vivrais dans des dépendances affectives diverses. Mon cœur sera balloté. Et ce cœur balloté va se trouver aussi, parfois, souillé. Et Dieu vient me redonner par l’adoration eucharistique la possibilité de m’attacher à l’unique nécessaire, Lui, et une purification aussi du cœur, une chasteté. « Tu nous as fait pour Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en Toi » dit saint Augustin. Il y a, par ce regard posé sur le Christ, une chasteté qui nous est donnée. Jésus dit : « Ton regard, c’est la fenêtre de ton cœur. Garde ton regard pur afin que ton regard soit pur. » On a accueilli une fille qui était dans la prostitution sadomasochiste, dix ans de prostitution, de violence et d’horreur « mais je ne peux même pas, Nicolas, te raconter ce que j’ai fait, parce que tu ne supporterais pas d’écouter ce que moi j’ai vécu. » Et à l’adoration eucharistique, elle passait des heures chaque jour. Elle s’en est sortie. Elle fait de belles études maintenant. Et un jour elle vient vers moi et elle me dit : « Mais tu sais, Nicolas, il semble que Jésus m’a recréé ma virginité. « Je dis, d’accord. Elle me dit : « Je la sens même physiquement. Mon corps qui me faisait mal en permanence, ma féminité qui avait mal en permanence… » pas tant physiquement… Je ne sais pas, je n’ai pas exploré ce qu’elle voulait me dire dans ces mots… Mais en tout cas, dans sa chair meurtrie par ce qu’on lui avait fait par son corps, sa virginité lui était restituée par l’adoration eucharistique. Le regard chaste du Christ et son regard à elle posé sur le Christ venaient à la fois purifier son cœur et purifier son corps. Je crois que dans un monde très marqué par ça, par l’érotisme et la pornographie, l’adoration devient un lieu de guérison profonde. Qui a posé son regard sur le corps du Christ ne peut pas regarder le corps de l’autre n’importe comment. De la même manière que lorsque l’on a touché le corps du Christ on ne peut plus toucher son corps ou le corps de l’autre n’importe comment. La charnalité du Christ, la corporalité du Christ au Saint Sacrement me met en rapport immédiat avec mon corps. Et le respect du corps du Christ et l’adoration du corps du Christ renverse aussi ce mouvement-là. « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. »


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurTout ça passe aussi par ce fameux regard dont je vous parlais. Je crois que c’est très important. Si l’on expose Jésus au Saint Sacrement, c’est pour le regarder, voyez-vous. Autrement, c’est pas le Tabernacle. En Suisse, j’étais dans une chapelle, un jour… Il n’y a que les suisses pour faire ça… Le tabernacle était un coffre-fort. Les portes blindées du coffre-fort, vous voyez. Il fallait y penser, moi je n’y avais pas pensé… Mais… Voilà. En fait, c’est vrai, c’est un trésor, Jésus. Le seul trésor. C’est même plus important que tout ce qu’il y a dans les coffres-forts de toutes les banques suisses. Ce n’est même pas cette porte blindée qui empêchait Jésus de rayonner. Alors, pourquoi l’expose-t-on s’il est là dans le Tabernacle ? C’est parce qu’il y a ce mystère du regard qui peut se poser sur le vrai corps du Christ, sur la vraie corporalité. Le cardinal Journet avait cet exemple, il disait : Imaginez deux amoureux qui se téléphonent. Ils se parlent : je t’aime, moi aussi, mon petit lapin, ma petite chérie… tout ce qu’on veut comme petits diminutifs et tout d’un coup, paf ! ils tombent l’un sur l’autre. Ils se voient et ils s’embrassent. Vous voyez la différence ? Entre le coup de fil et l’étreinte. Si vous n’avez pas compris, vous ne pouvez pas comprendre l’adoration eucharistique. Si vous avez compris la différence qu’il y a entre un coup de fil et une étreinte, vous avez compris l’adoration eucharistique. C’est-à-dire qu’à un moment donné, vous passez d’une communication avec Jésus, d’une présence réelle, spirituelle, à une présence réelle, spirituelle et corporelle. Et la chair est importante.


    Et donc, dans la chair, le regard, qui est le sens qui m’extasie le plus
    ̶ alors que louïe menstasie, fait rentrer en moi les sons et fait vibrer en moi le son qui rentre en moi  ̶  le regard, ladoration mextasie, me sort de moi-même et me permet de voir celui qui maime. Á sainte Gertrude d’Helfta Jésus dit : « Autant de fois l’homme regarde avec amour et révérence l’Hostie qui contient sacramentellement le Corps et le Sang du Christ, autant il augmente ses mérites futurs. J’ai réservé des trésors d’amour et des récompenses particulières pour chaque regard qu’on aura dirigé vers le Saint Sacrement. » Á l’adoration, à l’élévation. Alors, ses sœurs baissaient la tête à l’élévation. Et elle, elle trichait.  Elle regardait par-dessous comme ça. Et puis elle dit : « Jésus, ça t’embête ? – Non, ça me fait tellement plaisir. » Au point que le pape Pie X a dû accorder une indulgence particulière de plus de sept ans à quiconque au moment de l’élévation à la messe regarde Jésus en disant : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Parce que l’amour veut regarder. L’amour regarde. Je voyais un couple, récemment. Ils viennent vers moi, ils ne se regardaient pas l’un l’autre. Ils disent : « On peut parler avec vous ? On a un problème. » Je dis : « Je savais. » « - Quelqu’un vous a dit ? » « - Non, j’ai vu. Vous ne vous êtes pas regardés depuis que vous êtes entrés ici. Vous n’avez pas échangé de regard entre vous. Quand on ne peut plus se regarder, on ne peut plus se voir. » C’est Raymond Devos, l’humoriste, qui disait : « Ma femme et moi on était tellement timide, qu’on n’osait pas se regarder. Après, on ne pouvait plus se voir. » Se regarder et se voir.


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurAutre maladie très forte aujourd’hui : la solitude. On parle beaucoup de cette maladie de la solitude. Et elle est réelle pour tant de personnes. Si je vais à l’adoration, le Christ vient rejoindre ce qui est le plus profond, ce qui est ma solitude. Mais ma solitude en tant que capacité d’être moi-même. Ce que Jean-Paul II appelait la solitude originelle dans le texte de la Genèse. Cette capacité d’exister sous le regard de Dieu, seul, qui me permet la vraie relation avec l’autre et avec les choses. Dieu, en venant combler ma solitude affective par sa Présence réelle, vient me restituer à cette solitude profonde qu’est la solitude originelle, seule capable de me mettre en relation avec les autres de manière juste et guérissante. Je passe donc, avec l’adoration, de Dieu pour moi, à moi pour Dieu. Je peux être capable de venir enfin dans ce qui est l’apothéose de ma dignité humaine, de m’offrir totalement à Dieu, de me donner à Dieu. Lui s’est offert à moi : « Prenez, mangez. » Ce n’est pas rien ! Il s’offre à moi pour que je m’offre à Lui.


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurEt Dieu devient aussi la force des martyrs. Le bienheureux Fulton Sheen disait que ce qui l’a bouleversé dans sa vie 
    ̶  c’était un évêque américain, il a fait des émissions télévisées, des millions de personnes regardaient ça, Pie XII le regardait, ou l’écoutait à la radio, en tout cas  ̶  et donc, il dit : Enfant, jai appris ça un jour, à l’époque de la révolution des boxers en Chine, en 1917. Des gens sont venus dans une église, ont profané le Saint Sacrement, ont mis le prêtre aux arrêts dans le presbytère. Et le prêtre voyait une jeune fille de onze ans, une petite chinoise. Ils avaient jeté le Saint Sacrement par terre et le prêtre savait exactement qu’il y avait trente-deux hosties dans le tabernacle, trente-deux parcelles du Corps du Christ qui étaient là. Et le prêtre voyait depuis sa fenêtre, toutes les nuits, quand les gardes dormaient ou étaient distraits, cette fille qui allait là-bas. Pendant une heure, elle adorait Jésus sur le sol et avec sa langue, elle prenait une hostie, comme ça. Un jour, deux jours, trente et un jours. Il dit : Le trente deuxième jour, j’ai vu arriver cette fille : « L’enfant revînt et échappant à la vigilance des gardes, s’agenouillait, se baissait à quatre pattes après avoir passé une heure en adoration et lapait une hostie de sa langue. Un jour, il ne restait plus qu’une dernière hostie que la petite consomma comme d’habitude. Mais elle fit, sans le vouloir, un bruit qui éveilla l’attention du garde. Celui-ci courut derrière elle, l’attrapa, et la frappa avec la crosse de son arme. » Il l’a tuée comme ça. Fulton Sheen dit : « Depuis ce récit j’ai fait la promesse que jusqu’à ma mort je passerai une heure d’adoration chaque jour devant le Saint Sacrement. Une promesse que j’ai tenue pendant les soixante années de ma vie sacerdotale. » Puisque c’est devant le Saint Sacrement exposé, dans sa chapelle privée, qu’il est mort le 9 décembre 1979.


    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurJe vous parle aussi, mais j’irai très vite, de l’aspect cosmique et social. En un mot : ou le monde est dévoré par la consommation et défiguré par la consommation, ou il est transfiguré par l’adoration. C’est l’alternative dans laquelle nous nous trouvons. Ou la défiguration par la consommation, ou la transfiguration par l’adoration. L’adoration nous donne un vrai rapport aux choses et aux biens. Non pas un rapport de possession, de maîtrise et d’absorption. Mais un rapport de respect et d’utilisation pour le bien de tous. L’Eucharistie est donc à la charnière, aussi, d’un monde nouveau. Elle est aussi l’adoration réparatrice. C’est là que le monde nouveau est en train de se créer. Saint Pierre-Julien Eymard disait : « Le culte de l’adoration est nécessaire pour sauver la société. La société se meurt parce qu’elle n’a pas de centre de vérité, de charité. Mais elle renaîtra pleine de vigueur quand tous ses membres viendront se réunir autour de la vie à Jésus dans l’Eucharistie. Il faut Le faire sortir de sa retraite pour qu’Il se mette de nouveau à la tête des sociétés chrétiennes qu’Il dirigera et sauvera. Il faut lui construire un palais, un trône royal, une cour de fidèles serviteurs, une famille d’amis, un peuple d’adorateurs. Maintenant, il faut se mettre à l’œuvre, sauver les âmes et le monde par la divine eucharistie. Réveiller la France et l’Europe engourdis dans un sommeil d’indifférence parce qu’elles ne connaissent pas le don de Dieu, Jésus, l’Emmanuel eucharistique. C’est la torche de l’amour qu’il faut porter dans les âmes tièdes et qui se croient pieuses et ne le sont pas, parce qu’elles n’ont pas établi leur centre et leur vie dans Jésus-Eucharistie. » Au point que Jean-Paul II pouvait dire que tous les maux de la terre peuvent être guéris grâce à l’adoration permanente du Saint Sacrement. Quand on demandait à Mère Teresa comment faire pour guérir ce monde et ramener… – ce sont des américains qui avaient écrit L’Amérique à Jésus 
    : « Instaurez dans toutes vos paroisses l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement. » Voilà la réponse de Mère Teresa. Guérison aussi des communautés paroissiales grâce à ça. Benoît XVI disait que la vraie crise de l’Occident c’était la crise de la foi. Comment ramener les gens à la foi et à l’expérience de Jésus ? Il disait : « Une telle voie pourrait être des petites communautés où se vivent les amitiés qui sont approfondies dans la fréquente adoration communautaire de Dieu. » Voilà le remède que Benoît XVI trouve. Il disait cela en Allemagne, dans l’Église organisée d’Allemagne, extrêmement structurée, riche et tout ce que vous voulez, mais morte, disait Benoît XVI, parce qu’elle n’a pas son centre de gravité là où c’est important. Au monde de la violence va s’établir le monde de la paix du Christ eucharistique. Jésus dit à Faustine : « Dis bien au monde entier qu’il n’y aura pas de paix dans le monde si l’on ne vient pas à ma miséricorde. Or, le trône de ma miséricorde sur la terre, c’est l’Eucharistie, c’est le Tabernacle. » Ça veut dire : Dis bien au monde entier qu’il n’y aura pas de paix dans les cœurs, dans les familles, dans la société, si l’on ne vient pas à l’Eucharistie. Et pas de paix, à mon avis c’est aussi grave que ce que Marie disait à Fatima : « Si l’on ne vient pas à Jésus, une guerre plus grave éclatera sous le pontificat de Pie XI. » C’était Benoît XV qui était pape à l’époque. Pie XI arrive en 22 alors que cette révélation est en 17. Et la guerre éclatera en 38 avec soixante millions de morts. Cette parole à sainte Faustine est capitale. La paix que nous cherchons, la paix que nous désirons, en Syrie, partout, c’est au cœur miséricordieux eucharistique du Christ qu’on va pouvoir la puiser et la voir.

    eucharistie,adoration,adoration eucharistique,adoration saint martin,nicolas buttet,foi,christianisme,politique,transmission,éducation,vulnérabilité,sacré coeur,sacré cœurUltimement, le dernier point, le quatrième point c’est que l’Eucharistie est déjà la vie éternelle. Jésus va venir dans la gloire, on appelle ça la parousie. La venue ultime : plus de larmes, plus rien, les cieux nouveaux, une terre nouvelle. Nous croyons à ça ! Parousie veut dire en grec venue mais aussi présence. Il y a déjà dans la parousie eucharistique la présence du Christ, déjà les cieux nouveaux et la terre nouvelle. Et c’est ce qu’on va recevoir tout à l’heure. Amen.

    Père Nicolas Buttet
    Enseignement L’Eucharistie et la guérison
    du mercredi 12 juillet 2017
    Basilique Ste Marie-Madeleine, Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (Var).

    Congrès sur l'Adoration Eucharistique, Adoratio 2017,

    avec pour thème "Adorer au Cœur du Monde"
    du 9 au 14 juillet 2017.

     

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    Adoration Saint Martin

  • Le renoncement inacceptable du combat sociétal pour les valeurs anthropologiques : Camel Bechikh

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    camel bechikh,la france,laïcité,Écologie humaine,économie,politique,vulnérabilité,foi,christianisme,islam,conscienceL’actualité nous amène à parler du rassemblement annuel de l’UOIF auquel vous avez participé. Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre participation ?

    Camel Bechikh : Le rassemblement annuel de l’UOIF a lieu depuis 34 ans. J’y suis invité en tant que représentant de Fils de France depuis 2012. Cette année est particulière puisque nous sommes en pleine élection présidentielle. Et je me suis autorisé à, succinctement, exposer que le vote pour Emmanuel Macron était une ineptie pour l’avenir de notre pays. Et le paradoxe a voulu qu’entre les deux tours cette organisation appelle, elle, à voter pour Emmanuel Macron. Pas uniquement elle, d’ailleurs, le CFCM aussi et la Grande mosquée de Paris. Ce qui est pour moi extrêmement dérangeant puisque considérer l’intérêt supérieur de la France c’est évidemment ne pas voter pour Emmanuel Macron, qui plus est lorsque ce dernier appelle à la légalisation de la PMA (Procréation Médicalement Assistée), lorsqu’il appelle à plus de libéralisme, à plus d’immigration, ce qui signifie en fait plus d’esclavagisme moderne. Comment est-ce qu’on délocalise des capitaux, des marchandises et maintenant des êtres humains. Le rêve d’Adam Smith, en somme. Je pense que tout cela, éthiquement, n’est pas acceptable et j’aurais préféré que les associations religieuses restent dans le domaine religieux plutôt que de donner un avis sur une élection aussi politique.

     

    On a vu lors des résultats du premier tour que la plupart des gens qui avaient participé à la Manif pour tous ont voté pour François Fillon. En tant qu’ancien porte-parole de la Manif pour tous, qu’en pensez-vous ?

    camel bechikh,la france,laïcité,Écologie humaine,économie,politique,vulnérabilité,foi,christianisme,islam,conscienceCamel Bechikh : Alors… il faut faire un peu d’histoire. En 1999 lorsque le Pacs a été voté à l’Assemblée Nationale, même des socialistes et des députés de gauche se sont opposé au Pacs. En 2017, le candidat Fillon que l’on présentait comme un conservateur non seulement n’abroge pas le Mariage pour tous, dit Loi Taubira, mais en plus autorise l’adoption simple. Et je trouve un immense paradoxe du fait que des gens qui s’étaient autant engagés contre ce projet de loi se résignent à voter pour un candidat qui validait cette loi. Il faut être conscient de la dégringolade, quand on pense, et je le répète, qu’en 99 des députés de gauche s’étaient opposés au simple Pacs et qu’aujourd’hui le candidat de la droite dite conservatrice valide le mariage homosexuel et que ce dernier appelle à voter pour Emmanuel Macron qui prévoit la Procréation Médicalement Assistée (PMA) et prévoit aussi de reconnaître les enfants nés de GPA à l’étranger. En terme de renoncement du combat sociétal pour les valeurs anthropologiques, que l’on soit croyant ou pas, et là, en l’occurrence, il s’agit quand même majoritairement de public catholique, eh bien il y a un renoncement qui est inacceptable. Et aujourd’hui ce serait trahir l’engagement de ceux qui ont dit ”on ne lâche rien !” que de voter Emmanuel Macron.

     

    En même temps il y a dans le socle de l’église catholique la notion de l’accueil de l’étranger qu’a défendu dernièrement le Pape. Comment pensez-vous que les gens se positionnent vis-à-vis de ces valeurs ?

    Camel Bechikh : L’argument que l’on entend beaucoup parmi les gens qui ont milité à la Manif pour tous et qui sont prêts à voter Macron ou à s’abstenir, c’est l’accueil de l’étranger. Sauf qu’il ne s’agit pas dans le projet néo-libéral d’Emmanuel Macron de la générosité, de la charité à laquelle enjoint, engage l’Évangile. Il s’agit simplement de délocaliser des individus pour pouvoir mieux les exploiter et réhabiliter une forme d’esclavagisme moderne. On n’est pas du tout dans la charité, on est dans l’exploitation, dans l’humiliation même de ces populations que l’on fera venir ici pour faire les travaux les plus dégradants. Sachant que dans le même temps on vide les pays en question des forces vives qui peuvent assurer la prospérité de ces pays. Je pense au Maghreb, à l’Afrique subsaharienne où aujourd’hui la croissance est réelle, en terme de prospérité, en terme de richesse nationale. Il faut donc au contraire permettre à ces populations de pouvoir rester enracinées dans leurs cultures, dans leurs coutumes et participer à l’effort national pour accéder à la prospérité qui pointe son nez, aujourd’hui, dans ces pays-là.

    Je reviens sur cette idée de charité : le néo-libéralisme de Macron, ce n’est pas la charité. C’est l’exploitation de l’homme par l’homme.

     

    À quelle charité appellerait alors Fils de France ? Une charité tournée vers la communauté nationale ?

    Camel Bechikh : Une charité déjà tournée vers la communauté nationale. Une charité de partage de l’identité, de la culture, de 2000 ans d’histoire. 2000 ans d’histoire qui d’ailleurs n’existent pas pour Emmanuel Macron puisque pour lui la France n’a pas de culture et la seule culture qu’il propose est mondialisée, en fait une culture américanisée, uniformisée dans laquelle les coutumes, les traditions, les religions sont ramenées uniquement à la logique d’un grand centre commercial. Il faut donc être extrêmement lucide sur un Emmanuel Macron qui prétend être au-delà des clivages gauche/droite — c’est ce qu’il est, en vérité, mais en prenant le pire de la gauche et le pire de la droite. Qu’est-ce que le pire de la droite ? C’est le néo-libéralisme sauvage. C’est la domination de la finance. Et qu’est-ce qui est le pire de la gauche ? C’est ce progressisme-égalitarisme aveugle qui détruit l’anthropologie humaine et qui rejoint, finalement, le libéralisme financier en permettant que l’on vende et que l’on achète la vie, donc les enfants par le biais de la PMA & de la GPA.

     

    On vient de le dire : Fils de France appelle à ne pas voter Emmanuel Macron. Pourquoi n’appelez-vous pas, dans ce cas-là, à voter pour Marine Le Pen ?  

    Camel Bechikh : Parce que nous nous tenons à l’écart de la vie politique, autant que faire ce peut, et nous tenons à notre indépendance. En revanche, aujourd’hui, si Emmanuel Macron passait, ce serait, quasiment, du fait de l’accélération de l’histoire, du fait de la mondialisation, du mondialisme, du fait du sans-frontièrisme, ce serait la mise à mort de 2000 ans d’histoire pour le quinquennat qui arrive. C’est toujours moins de frontières, toujours plus d’immigration, toujours plus de lois dites progressistes, et finalement le triomphe du marché.

     

    Faisons un peu de prospective et plaçons-nous après le second tour. Quels sont vos espoirs pour les cinq années à venir, pour le peuple français ?

    Camel Bechikh : Comme je le disais la dernière fois : l’espoir de retrouver des frontières géographiques ; le fait de retrouver une souveraineté nationale ; que notre pays ne trouve pas les rennes de son destin à Bruxelles qui est vassalisée à la logique américaine, via le néo-libéralisme ; que nous retrouvions des frontières morales ; que nous cessions d’obéir aux minorités constituées en lobbies. Je pense évidemment à la Loi Taubira, à la Procréation Médicalement Assistée, à la GPA. Que nous remettions plus d’humanité même dans notre agriculture, en étant moins poussés à la surproductivité par les pesticides mais que nous revenions à une consommation plus locale et plus saine. Puisque l’on sait aujourd’hui que le traitement abusif de notre agriculture produit un certain nombre de maladies graves qui doivent être traitées en terme de santé publique. Comme l’on combat aujourd’hui le tabac, on devrait aussi combattre l’utilisation abusive des pesticides. Que nous revenions à une mémoire historique qui ne soit pas uniquement culpabilisante et au contraire qui soit un objet de fierté pour l’ensemble des français quelques soient leurs origines, quelques soient leurs religions, mais que nous revenions à ce qu’a apporté la France au monde dans le passé et que nous puissions la projeter dans le futur. En résumé, si j’étais américain, je voterais pour Emmanuel Macron. Mais je suis français.

     

    Une dernière question, toujours en terme de prospective, concernant Fils de France et plus globalement les musulmans de France. Quels espoirs pour eux ?

    Camel Bechikh : L’espoir qu’ils retrouvent de manière très naturelle la communauté nationale. C’est déjà le cas pour beaucoup, évidemment. Et que les associations dites victimaires soient effacées du paysage associatif par uniquement le bon sens retrouvé par les français de confession musulmane. Et que nous ne soyons plus l’objet de l’instrumentalisation politique, soit par la détestation, soit par la flatterie, qui dans un cas ou dans l’autre ne sert que les bas intérêts de la politique immédiate au dépend du socle national.

     

    Merci Camel Bechikh.

    Camel Bechikh : Avec plaisir.  

     

    Retrouvez cet entretien sur la page enrichie consacrée à Fils de France sur La Vaillante
    Une raison d'espérance        

      

     

          

  • Du micro en chaire ou comment s'incarner père aujourd'hui : Fabrice Hadjadj

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    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceJ’avais le choix entre parler avec un micro ou parler en chaire. J’ai préféré parler en chaire. J’espère que vous allez m’entendre jusqu'au bout… Ça va ? Voyez-vous, c’était fait pour ça. La chaire que nous n’employons plus était justement une manière de surélever celui qui parlait, parce que comme le son tend à retomber, tout le monde l’entendait. En revanche, si vous faites un sermon depuis l’autel, finalement les gens vous entendent moins. J’ai fait deux conférences aujourd’hui avec un micro, dans une église, vous êtes les quatrièmes, et là je me suis dit que ce serait bien de le faire sans micro. On ne réfléchit jamais à ce que fait le micro. Le micro se propose comme un instrument, technique, qui vient simplement nous aider, de telle sorte que la voix est amplifiée. Donc ça, comme un petit plus. Mais en réalité l’introduction de cette technique, de cette technologie, qui apparaissait juste comme un instrument, vous voyez, a transformé les usages liturgiques. Avant, on proclamait l’Evangile. On était obligé de projeter sa voix. Quand vous lisez l’Évangile en projetant votre voix, forcément, vous ne pouvez pas entrer dans de la petite psychologie, de l’intimisme, parler de ‘Jésus’. Ce côté qui est lié à une sorte d’“efféminement”, un peu, on pourrait dire, de la pratique liturgique. Autrefois, vous étiez là-bas, vous étiez obligé de projeter votre voix, et c’était justement une messe solennelle, avec une vraie proclamation. Mais ce qui s’est passé, c’est que quand on a introduit le micro, on a changé le style de la célébration qui devenait intimiste, gentillet, entre nous, sentimental. Et puis, surtout, il n’y avait plus de messe solennelle : on n’a fait qu’amplifier des messes basses. Tout devenait dans le style, de l’ordre de la messe basse. Alors, vous savez qu’il y a des querelles liturgiques sur la forme ordinaire, extraordinaire, les rubriques à suivre ou pas. Mais il y a très peu de réflexion sur l’introduction de certaine technologie qui ont transformé nos usages liturgiques. La lumière électrique : est-ce qu’une église est faite pour être éclairée avec un éclairage électrique ? Autrefois, il y avait des bougies. Les flammes faisaient danser les couleurs des statues. Le micro fait que l’espace d’une église qui était comme une caisse de résonnance est devenu un problème. Parce que dès que vous commencez à mettre un micro, vous devez sonoriser ; mais quand vous sonorisez, vous êtes obligé de compenser les problèmes de réverbérations de l’église ; vous devez donc acheter des enceintes très spécifiques, allongées, pour que le son passe mieux… Et même, on va dire : « On va condamner la chaire. » Vous voyez, cette chaire, normalement on ne l’utilise plus depuis quelques décennies. De telle sorte que l’église devient un problème : il vaudrait mieux une salle de concert, ou une salle de cours. Parce qu’elle résonne trop, tout d’un coup. Pourquoi est-ce que je commence par cela ? D’abord parce que je dois tout le temps parler sur le même thème mais je ne supporte pas de dire la même chose, donc j’ai pris un autre point de départ. J’ai changé les conditions de la conférence pour vous parler autrement que je ne l’ai fait dans les autres conférences. J’ai prévu pour la dernière conférence que je dois faire à 21h30 de boire plusieurs bières, comme ça je serai dans un état différent.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceMais ce que je veux vous dire c'est que nous touchons à un problème très contemporain, qui est le fait que la technologie se présente comme une aide, comme un petit plus, alors qu’en fait elle transforme notre condition. Vous voyez, comme j’ai dit : l’introduction du micro transforme l’espace liturgique, transforme le style de célébration. On va vous dire qu’il y a de petites choses qu’on va vous apporter qui vont vous aider par la technologie, mais qui en fait vont transformer vos modes de vie. Quand on a inventé la voiture, on a dit, la voiture est un moyen qui vous permet d’aller plus rapidement d’un point à un autre. C’est magnifique. C’est hyper efficace. Et en réalité, ce qui s’est passé, c’est qu’on a transformé les villes, on a transformé les paysages, pour les adapter à la circulation des voitures. Et qu’on a transformé nos modes de vie, puisqu’on s’est mis à travailler plus loin, de telle sorte qu’on passe toujours autant de temps dans les transports, voire même plus aujourd’hui, qu’autrefois.


    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceAlors le sujet qu’on m’a proposé de traiter, c’est : devenir homme, devenir père. Vous allez me dire : Quel est le rapport ? Mais justement, devenir homme, devenir père, à l’âge de la technologie, c’est là qu’est le problème. Les conditions de notre vie ont été modifiées par notre environnement technologique. Je vois plusieurs Iphones branchés. Vous n’êtes pas forcément en train de jouer à PokemonGo dans cette église… Ne serait-ce que ça, vous voyez j’ai quand même un micro devant moi, qui ne me sert pas mais qui sert à un enregistrement, d’autres personnes sont en train d’enregistrer… C’est vachement bien, en fait, la chaire, parce que vous êtes surveillé, quoi ! C’est beaucoup mieux, maintenant je comprends ! C’était très intelligent. Ce n’est pas que des questions acoustiques, c’était une question optique aussi. On pouvait voir tout le monde, et de haut. Déjà, par exemple, cet enregistreur fait que je ne m’adresse pas, ou plus, qu’à vous. Si je n’étais seulement qu’avec vous, je n’adresserais des choses qu’à vous et maintenant que je sais que c’est enregistré, il y a des choses que je ne pourrai pas dire. Et de fait, car il y a des choses qui ne peuvent pas sortir de cette enceinte. Si par exemple je critique l’islam, en disant, comme le disait Michel Houellebecq, que « c’est la religion la plus con », je m’expose à une fatwa si c’est communiqué, vous voyez, quelqu’un qui enlève l’enregistreur. Si je commence à dire quelque chose pour vous à cet instant… Parce que je m’adresse à vous comme routiers. Si c’est enregistré, c’est d’autres qui vont entendre et ça ne va pas forcément les concerner, ils ne sont pas forcément de la route. Donc, vous comprenez, déjà, cet instrument modifie mon comportement. Et aujourd’hui, les conditions de l’existence technologiques modifient nos comportements. Et modifient, en fait, le rapport à la vie humaine et à la famille. Vous savez que le pape François a écrit une encyclique, LaudatoSi, sur l’écologie intégrale, mais surtout, une encyclique qui parle de quelque chose de très particulier. Il dit que notre monde est infecté par ce qu’il appelle un paradigme technologique, ou un paradigme techno-économique. Ce paradigme n’est pas simplement le fait qu’il y a des objets technologiques mais que désormais nous vivons sous l’influence de ces objets. Alors même que nous n’utiliserions pas ces objets, le mode de fonctionnement de ces objets devient notre manière d’être. Quand, autrefois, on était dans une époque de culture, c’est-à-dire où le rapport de base au monde était l’agriculture, nos représentations étaient profondément liées à l’agriculture. De telle sorte qu’on savait que pour que quelque chose soit efficace il fallait respecter un végétal, son mode de croissance ; il fallait respecter les saisons ; on savait qu’il y avait une incertitude, ça prenait du temps ; on ne pouvait pas faire pousser de l’herbe en tirant dessus. Maintenant, nous sommes dans une société où le modèle est celui de l’informatique et où notre rapport au monde est lié à ce que j’appelle une ‘push-button-attitude’. Nous appuyons sur des boutons, nous avons un effet immédiat. De telle sorte que notre rapport au monde va changer. Si vous êtes dans un monde agricole et que je vous parle d’obéissance, comment est-ce que vous allez penser l’obéissance ? L’obéissance dans cet imaginaire agricole est quelque chose qui prend du temps. C’est la pousse d’un végétal. Alors que si vous êtes dans le modèle techno-économique, l’obéissance ça doit être immédiat. Et vous allez penser à l’obéissance sous cette forme-là. Obéir c’est : j’appuie sur un bouton, j’ai un résultat. Regardez quand le Christ parle de l’obéissance dans la parabole du semeur, ce qui pousse trop vite n’est pas bon. La vitesse n’est pas un gage de fidélité, de persévérance. Et donc, de véritable obéissance. En revanche, ce qui va pousser lentement, disons à la bonne vitesse, plus lentement qu’un escargot, là il y aurait la véritable obéissance.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceLes rythmes de nos vies ont changé, notre rapport au monde a changé : nous voulons une efficacité immédiate. Nous avons perdu le sens du temps long. Et, avec cette modification qui vient de la technologie, ce qui est changé, c’est notre humanité-même, qui de plus en plus veut passer par ce rapport immédiat au monde. Avec le désir où j’ai des résultats immédiats, mais ça veut dire aussi : je trouve rapidement le bien-être, je vais trouver… je ne sais pas moi, des implants cérébraux qui vont me permettre de vivre dans une sorte d’orgasme permanent. Imaginez… C’est un projet déjà en place, hein ! Il y a donc quelque chose qui s’est modifié de notre humanité. Et notre technologie va en plus modifier notre rapport au don de la vie. Parce que pourquoi dans ces conditions-là même continuer à être père ? D’une part, on va se représenter notre vie, dans cette impatience-là, comme une vie qui n’a pas forcément à enfanter, parce qu’enfanter c’est entrer dans le temps de la maturation, dans un temps long. Mais en plus, si on met au monde des enfants, mieux vaut les mettre au monde par le biais de la technologie.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceDes technologies se sont présentées comme thérapeutiques. On présente des avancées comme des choses thérapeutiques mais qui en fait ont changé radicalement notre rapport à l’enfantement. Ça a été le grand drame de quelqu’un que vous connaissez peut-être, le professeur Lejeune dont la cause est en béatification. Le professeur Lejeune a inventé le diagnostic prénatal. C’est une chose incroyable, le diagnostic prénatal. C’est savoir le code génétique d’un enfant avant même de le voir. Avant même qu’il soit né. Imaginez qu’on ait inventé ça avant la Nativité, ce qu’on aurait célébré, c’est le diagnostic prénatal du Christ, parce que c’était son entrée dans une sorte de visibilité humaine, génétique, on aurait eu un code. S’il y avait eu l’échographie, on aurait célébré la première échographie du Christ. La fête de la Nativité c’est l’entrée de Jésus dans la visibilité. Mais à partir du moment où vous avez cette technologie-là, vous avez un truc qui fait qu’on anticipe sur la naissance. La naissance n’est plus l’événement qu’on croyait. Le professeur Lejeune a inventé ce diagnostic, bien sûr, pour pouvoir soigner les personnes trisomiques. Pour qu’on puisse notamment… C’est lui qui avait découvert que ce qu’on appelait le mongolisme autrefois, relevait d’un chromosome, le chromosome 21. Et c’est lui qui a découvert que ça n’était pas une régression de la race blanche vers la race jaune, comme certains le pensaient, notamment Down ; ça n’était pas non plus dû à des mauvais comportements des parents. C’était quelque chose qui pouvait advenir, génétiquement, aléatoirement. Et il invente donc ce test.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceAujourd’hui, ce test est employé pour éliminer les populations trisomiques. C’est-à-dire qu’il a inventé quelque chose en disant : « On va bien s’en servir. C’est une technologie, il suffit d’en faire bon usage. » Mais en réalité la technologie va induire un type de comportement où on pratique, en France vous le savez bien, déjà, ce qu’on appelle un eugénisme. Non pas positif, mais négatif, c’est-à-dire où on élimine tout ce qui ne nous paraît pas être conforme à une bonne vie humaine. Mais il va falloir aller plus loin. Á partir du moment où vous avez la possibilité par exemple de modifier génétiquement votre enfant pour être sûr qu’il n’aura pas tel ou tel cancer, ou qu’il l’aura très tard. Modifier génétiquement votre enfant pour être sûr qu’il aura les capacités cognitives très développées, de telle sorte qu’il pourra entrer à l’Ecole Normale Supérieure, à Polytechnique ou à HEC. Á partir du moment où vous êtes sûr même qu’on pourra lui assurer une longévité plus grande. Voire même lui assurer l’immortalité. Qu’est-ce que vous allez faire ? Vous allez dire que vous voulez le bien de votre enfant, vous allez dire : « Fabriquez-le. Je ne veux pas être père, je veux me tourner vers des ingénieurs, des experts qui eux vont fabriquer une vie meilleure. »

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceNous sommes dans cette situation-là. Une situation où l’homme disparaît au profit d’une sorte de cyborg performant et où le père doit laisser la place à l’expert. C’est la situation généralisée de notre société. De telle sorte que se posent pour nous des questions absolument neuves. Á partir du moment où on peut modifier l’être humain, la question se pose de savoir pourquoi rester humain. Non seulement devenir humain, mais à la limite pourquoi le rester ? Et puis, une autre question fondamentale : pourquoi donner la vie ? Non seulement pourquoi la donner, pourquoi continuer avec l’humanité dont on sait qu’elle est finie, limitée, etc., mais même aussi pourquoi la donner par cette voie qui est celle ancestrale de la transmission de père en fils par la voie sexuelle ? Est-ce qu’il ne faudrait pas déléguer cela à des gens qui feront des enfants absolument compétents, adaptés, résistants aux conditions nouvelles du monde techno-industriel ? Vous savez que dès lors si vous dites : « Non il faut continuer à être humains, et donc renoncer à certains phénomènes technologiques ; il faut continuer à avoir des enfants sur le mode sexuel, c’est-à-dire aléatoire, avec des risques ; il faut continuer à être des pères et des mères plutôt que des experts en pédagogie… » … On va dire que vous êtes cruels. On va dire que vous êtes réactionnaires. Et c’est ce qui se passe aujourd’hui.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceLe grand paradoxe de notre époque est que les chrétiens qui sont normalement les témoins de la charité, de la compassion, apparaissent comme des personnes cruelles. Elles sont contre l’euthanasie. C’est la compassion, l’euthanasie ! Elles sont contre le fait qu’on puisse, par exemple, modifier le génome pour faire des êtres immortels. Imaginez, vous avez un gamin, il est né, vous l’avez eu comme ça. Il a ses copains à l’école qui ont été modifiés génétiquement, et puis vous allez lui dire : « Nous on est chrétiens, mon chéri tu dois crever ! ». C’est normal. On en est là. Alors, qu’est-ce qui nous pousse, nous, à vouloir rester humains et à vouloir continuer d’essayer de le devenir ? D’abord, vous faites cette expérience dans le scoutisme de ce qu’est une vie simplement humaine. D’abord, et surtout les routiers, vous marchez. C’est un truc incroyable de marcher aujourd’hui ! Vous marchez. Je ne parle pas des machines qui marchent, parce qu’elles marchent aussi. Nous, nous ne marchons plus. Je ne parle pas non plus de faire dix milles pas par jour selon les recommandations de l’OMS. Ça c’est encore la logique du calcul, ce n’est pas la marche. Vous, vous vivez la marche comme une expérience humaine de proximité, de parole, de rencontre. Mais ça n’existe quasiment plus ! Aujourd’hui, il faut croire en Dieu pour marcher ! Regardez, si ce n’est pas pour le fitness. On est dans une société où les gens ne marchent quasiment plus. Ils prennent la voiture, ils ont des trucs… Pour mener une vie simplement humaine, il va falloir croire en Dieu, pour continuer à avoir des enfants selon la loi naturelle, avec un père et une mère. Et même, il va falloir croire en Dieu, pour dire moi je ne veux pas être de l’humanité 2.0 augmentée par la technologie. Et même pas n’importe quel Dieu : il faudra croire au Dieu qui s’est fait homme. Et qui nous garantit qu’être humain, que c’est en étant humain que l’on devient vraiment divin. Non pas en sortant de l’humanité.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceLe Christ a mené une vie d’homme. Il a mené une vie de charpentier. Trente ans à Nazareth, de charpente, et après, trois années de marche et de prédication. Quand vous marchez, vous renouez aussi avec la vie apostolique. Les apôtres qui marchaient, qui faisaient des kilomètres et qui parlaient aux gens qu’ils rencontraient. Qui leur parlaient du Royaume. Tout proche. « Le Royaume est proche de vous. » Le Royaume en fait se joue dans cette proximité humaine. Voilà ce qu’était la vie du Christ. Or, on sait que c’est la vie de l’homme parfait. 0n sait qu’on ne peut pas aller plus loin que cette vie-là. On sait même que mourir à trente-trois ans, ça peut être la chose la plus extraordinaire, la plus merveilleuse qui se fait dans l’Histoire. C’est quand même difficile à accepter, hein ! Mais on le sait. La grâce divine nous fait accepter notre condition humaine sur elle : mortelle. La grâce divine nous fait plus entrer dans cette condition-là et nous rappelle que le travail manuel, le travail du charpentier, peut être un travail divin. Parce que c’est ce rapport avec la nature, avec le monde tel qu’il est donné par Dieu. Ce rapport de culture et pas ce simple rapport d’ingénierie.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous comprenez maintenant ce qui se joue aujourd’hui. Mon but n’est pas de condamner toute forme de technique, puisqu’au contraire je fais l’éloge de la technique comme savoir-faire, de la technique qui était encore une culture, qui accompagnait la nature, qui était encore humaine. Je critique certains types de technologie qui, d’une certaine façon, vont contre la technique. Parce que ce qui est en train de se passer, c’est que le progrès technologique est une régression de la technique. Le projet technologique entraîne une disparition des savoir-faire humains. Humain, ça veut dire avec les mains. Ça veut dire l’artisanat, ça veut dire les arts, ça veut dire… toutes ces choses-là. La réalité de notre existence aujourd’hui, qui nous fait rêver d’être des cyborgs. Nous rêvons d’être des cyborgs parce que nous avons créé une société qui nous empêche de déployer nos vraies potentialités humaines. En fait, c’est quand vous n’avez pas commencé à être humain que vous rêvé d’être un surhomme. Mais quand vous voyez ce que c’est qu’être humain et tout ce qu’on peut déployer en étant humain, à ce moment-là vous n’avez pas du tout envie de devenir un cyborg. Si vous savez jouer d’un instrument de musique, si vous savez vous servir d’une feuille et d’un stylo, pourquoi auriez-vous besoin de la dernière version de GTA ? Dante a écrit La Divine Comédie avec du papier et un stylo, hein ! Léonard de Vinci ou Mozart de quoi ont-ils eu besoin ? Ils ont déployé des choses dont on peut dire qu’elles sont divines, dans leur beauté. Mais ils n’ont pas besoin d’avoir une super technologie. Simplement c’était leurs mains, et leurs mains animées par leur esprit et par leur cœur avec une contemplation du réel. Qui était une contemplation amoureuse, attentive, que nous avons perdue.

    Donc, en réalité, le progrès technologique aboutit à une régression technique, et c’est parce qu’on a perdu les savoir-faire d’autrefois, parce que, finalement, nous ne pouvons plus être Charles Ingalls que nous rêvons d’être Robocop. Mais Charles Ingalls, c’est la vie humaine, simple. La famille, la paternité. On coupe du bois, on retape la maison. On va chez la vieille grand-mère qui est toute seule à côté. On fait des fêtes de village, on joue du violon. On connaît des danses folkloriques, on sait chanter ensemble autour d’une table. On sait faire la cuisine. Une vie de hobbit, quoi. Bien sûr, vous savez bien que c’est le thème fondamental du Seigneur des anneaux ! Cette critique de la logique d’une puissance toujours plus grande et un combat, finalement, pour pouvoir mener la vie simple de la comté. Avec cette idée qu’une graine qui pousse c’est même plus grand que toute la magie. Une phrase qu’on trouve chez Tolkien. Le fait de manger des aliments qu’on a cultivé soi-même, à partir du don de la semence et de la pousse des plantes, c’est quelque chose finalement de plus extraordinaire que d’avoir des super pouvoirs. Et pourquoi ? Parce que ça vous met en communication avec le cosmos. Parce que ça vous fait célébrer le Dieu créateur. Parce que ça vous fait chanter les bontés qui viennent d’au-delà de vous. Alors que quand vous êtes tout-puissant, que vous êtes l’œil de Sauron, qui regarde tout, qui contrôle tout, qui surveille tout, en fait, vous avez perdu la possibilité de l’action de grâce.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceDonc, régression liée au développement technologique, régression technique et même régression morale. Parce que, je ne sais pas si vous avez remarqué, plus se développe la technologie, plus les objets se raffinent, plus nous devenons primaires. Je ne sais pas si vous avez remarqué ce truc-là ? Et… en fait je découvre qu’il y a une sorte de chaise, en plus ils s’asseyaient, ils faisaient semblant d’être debout. Mes chers frères… Vous voyez, c’est ça, c’est toute cette science-là qu’on a perdue… ! Je ne sais pas si vous avez remarqué… les appareils technologiques qui nous poussent à vivre dans un monde où on appuie sur un bouton et où on a des effets extraordinaires cultivent en nous l’impatience. Cette mécanique de la ‘push-button-attitude’ où on veut des résultats immédiats fait qu’on est devenus de plus en plus impatients. Regardez ! : Dès que votre ordinateur rame un peu… Vous avez des types, pourtant qui avaient l’air à peu près intelligents, ils se mettent à parler à leur machine et à l’insulter. Et même ces gens qui disent « eh, moi, je ne prie pas Dieu et tout ça… » sont devant l’ordinateur et disent : « Allez, s’te plaît, marche, s’te plaît… » Ils font des prières. Á leur écran. Parce qu’ils n’en peuvent plus. Parce qu’en réalité, cette technologie qui ne nous donne pas la patience du travail des mains, la patience d’un apprentissage, d’un savoir-faire, la patience de la culture, de l’agriculture, de l’élevage… parce qu’on n’a plus cette patience-là, nous entrons dans un domaine qui est de plus en plus pulsionnel. Et d’ailleurs, pulsionnel, c’est la pulsion, c’est appuyer sur des boutons. Ça veut dire ça. Donc, nous avons largement régressé, nous avons grandi en impatience.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous avez un auteur très intéressant, un auteur anglais qui s’appelle G.J. Ballard, auteur notamment d’un roman assez célèbre qui s’intitule Crash. David Cronenberg a fait un film à partir de ce roman, un film assez trash, d’ailleurs… Il a fait aussi d’autres romans comme Immeuble de grande hauteur, etc. Je crois qu’il y a un film avec Jeremy Irons qui est sorti là-dessus… où il montre que c’est une sorte d’immeuble immense où il y a mille appartements, où tout est organisé, il y a des jacuzzis, des piscines à certains étages, des supermarchés à l’intérieur. Mais voilà que des ascenseurs se détraquent. Et à partir de ce détraquage de l’ascenseur les gens sont dans une sorte d’impatience, d’hystérie, et on voit que petit à petit, à cause du détraquement des machines, comme les gens n’ont pas appris à se maîtriser devant le réel, mais à croire qu’ils dominaient le réel parce qu’ils étaient face à du virtuel, en fait, dans cette domination qu’ils avaient dans le monde virtuel, quand ils sont confrontés à du réel, à une panne.. ils perdent les pédales. Et alors tous les gens bourgeois qui vivaient dans cet immeuble, des ingénieurs, des cinéastes… commencent à devenir fous, et la vie de l’immeuble se change en une vie de plus en plus primitive. Ils vont faire des razzias sur les étages inférieurs, des clans vont se créer entre ceux qui sont en haut, ceux qui sont en bas… Parce que justement la technologie a développé leur côté pulsionnel.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceL’enjeu à être humain c’est donc de retrouver cette vie simple. Qui est aussi la vraie vie spirituelle. Regardez la vie monastique : c’est une vie déconnectée. C’est une vie souvent liée à la terre, liée au travail manuel : ora et labora dit la devise bénédictine. On se rend donc compte que si Jésus était charpentier ce n’était pas un hasard. C’est qu’il y a un lien entre cette vie simple, entre le travail de nos mains et l’élévation de notre esprit. C’est souvent cela qu’on a perdu. Et vous, en réapprenant le travail des mains, par des installations, au scoutisme, peut-être qu’un jour, aussi, le scoutisme s’intéressera au travail de la terre… en marchant, en vivant cette vie de proximité, vous êtes des défenseurs de l’humanité. Et vous êtes les êtres les plus spirituels à une époque où tout se dissipe dans le virtuel. Ce que vous faites là est d’une importance majeure pour devenir humain.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceMaintenant, qu’en est-il de la paternité ? Il faut bien que j’en dise quelques mots. Qu’est-ce que ça veut dire être père ? Pourquoi est-ce que c’est l’autre dimension du déploiement de l’humanité ? Je voudrais juste d’abord vous faire une remarque : vous ne pouvez pas être pères si vous êtes seulement entre routiers. Il faut qu’intervienne cet être complètement inattendu dans ce lieu, même si on en trouve quelques spécimens intrus, ici-même, il faut qu’il y ait la rencontre avec la femme. La rencontre avec une femme va vous faire sortir de la logique de la planification technologique. L’homme croise une femme, il avait des tas de projets, tout d’un coup, non, c’est fini. Il est dépassé. Et ce n’est pas parce qu’il a des affinités simplement avec elle. Ce n’est pas comme un bon copain, une femme. Bon copain : on partage les mêmes sujets de discussion, on a les mêmes préoccupations. Non. Une femme, on l’aime d’abord parce que c’est une femme. On ne l’aime pas parce qu’elle nous ressemble, mais parce qu’elle est autre. C’est très mystérieux. Déjà, ce n’est pas être dans la logique de la réalisation de soi à travers un projet où je maîtrise tout. Et la relation érotique, la relation homme-femme est déjà une relation qui échappe au règne de la technologie. Si vous regardez dans 1984, ce grand roman contre des utopies technologiques, c’est précisément la rencontre d’une femme qui va faire que Wilson, le héros, va s’extraire tout d’un coup du monde totalitaire dans lequel il est.


    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceParce que la rencontre d’une femme, c’est une relation primitive. Ça existe depuis l’origine des temps, c’est l’aventure de base. Vous marchez ensemble, entre hommes, et je vous ai dit, c’est déjà défendre l’humanité. Mais il y a cet autre aspect de l’humanité qui est la rencontre avec l’autre sexe et qui est vraiment un événement absolu. Je vous rappelle que... Je ne sais pas si vous connaissez cette histoire que racontait Alfred Hitchcock, le grand réalisateur. C’est l’histoire d’un scénariste qui, pendant la nuit, a l’idée d’un scénario absolument incroyable, auquel personne n’avait vraiment pensé. Il se dit, c’est génial, avec ça, à Hollywood, je vais avoir un succès fou, les gens vont dire c’est ce qu’on attendait… Et il se recouche et quand il se lève le lendemain matin, il a complètement oublié. Alors, il se dit, bon, si ça me revient, il faut vraiment que je m’en souvienne. Alors au milieu de la nuit il se souvient encore de ce super scénario, il dit là, maintenant, je vais m’en souvenir. Il se recouche, le lendemain matin il a encore oublié. Alors il dit, bon, là, il faut absolument que je prenne un cahier et je vais noter mon idée si elle me revient pendant la nuit ! Et dans la nuit, l’idée lui revient, il la note dans le cahier : l’argument, le scénario absolument génial et puis… il laisse le cahier. Il dit : « demain matin je pourrai relire ça à tête reposée. » Il se lève le lendemain matin, avec grande joie il ouvre son cahier, et qu’est-ce qu’il voit comme scénario extraordinaire ? Un homme tombe amoureux d’une femme. C’est tout.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceAlors vous comprenez pourquoi il croyait l’avoir oublié quand il était réveillé ! Mais, parce qu’effectivement, c’est la base, c’est l’exclamation d’Adam au départ. Les animaux, il arrive à les nommer, il est encore debout, il n’a pas encore perdu toute contenance, mais quand la femme est devant lui, il dit : « Ah ! ». Il est dans une exclamation, il entre dans un cantique, il est dépassé. Et déjà, vous voyez, accepter cette aventure où l’on est dépassé. Mais être dépassé, ça veut dire aussi entrer dans cette aventure. C’est donc ne pas réduire la femme à un objet de jouissance. Sinon, vous n’entrez pas dans cette aventure. Vous en faites un lieu de soulagement, de délassement physiologique, mais ce n’est pas la véritable aventure de la rencontre avec une femme. Et cela vous entraîne, en plus, dans un autre truc : la paternité. Alors, le truc complètement fou, parce que quand vous réfléchissez bien... Moi, quand je vais vers ma femme, je pense à ma femme… J’aime ma femme et puis tout d’un coup elle m’apprend qu’on va avoir un enfant. Quel rapport ? Non mais, franchement, quel rapport ? Parce que dans l’étreinte, je ne pense pas aux enfants, sinon je serais un pervers. Je pense pas aux enfants, je pense pas à ça, enfin, c’est pas à ça qu’on pense ! On est dans quelque chose qui est l’amour. L’homme se tourne vers sa femme, ce n’est pas avec le projet d’avoir des enfants. Simplement s’il laisse faire l’amour tel qu’il est tout d’un coup apparaît cette surabondance à laquelle il n’est donc pas préparé.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous avez un enfant, vous n’avez pas pris des cours pour en avoir. Vous vous rendez compte. On vous fait passer des permis pour conduire une voiture, on ne vous fait pas passer des permis pour être père. Alors que c’est beaucoup plus dangereux. Pour la vie des autres. Pour la vie de l’enfant. Alors certains pourraient dire : « Vous devriez passer des permis. » Et c’est ça que veulent vous dire les experts. Les experts vont vous dire : « Il faut passer des permis parce que c’est seulement si vous avez passé des permis que tout va bien se passer. Il y aura un code de l’enfantement, comme il y a un code de la route. » Mais pourquoi ce n’est pas cela, la paternité ? Parce que la paternité c’est précisément l’aventure des aventures.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous savez que c’est une phrase de Charles Péguy qui dit que le père de famille est l’aventurier des temps modernes. Ce n’est pas une phrase comme ça, sentimentale, pour faire l’éloge du père de famille dans un monde qui méprise les pères et qui vénèrent les experts. C’est parce que c’est vrai ! Regardez toutes les grandes aventures que vous connaissez sont souvent des histoires de rapport au père, et où le héros lui-même va devoir avoir un enfant. Je parle d’aventures récentes qui ont dépassé la figure du héros comme ‘lone some cow-boy’, vous voyez. Qui n’a pas de parents, pas d’enfants. Regardez Harry Potter. C’est vraiment la question de la paternité qui est en jeu. Et le dernier opus, d’ailleurs, le montre spécialement. Est-ce que vous vous rendez compte que dans le dernier opus, que le grand combat de Harry Potter, le grand défi de Harry Potter, la grande aventure pour lui, ce n’est pas de réussir ses examens à Poudlard, ce n’est pas de gagner la coupe de feu, ce n’est pas d’avoir vaincu Valdemort : c’est d’avoir à élever ses fils et filles. Et notamment, il a des difficultés avec son fils Albus. C’est la première fois qu’on parle de Harry Potter dans cette église, et surtout qu’on parle de Harry Potter en chaire… Ce que je veux vous dire ici, c’est que c’est une question… J’aurais pu parler de Star Wars aussi. Ce sont des histoires de paternité qui sont en jeu, tout le temps. La grande aventure de Dark Vador c’est la question de sa paternité. Et dans la suite, c’est encore des histoires de paternités qui vont être en jeu.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceDonc, pourquoi est-ce la grande aventure ? Pourquoi êtes-vous un véritable aventurier quand vous devenez père ? Eh bien, parce que, d’une part, vous entrez dans quelque chose qui dépasse vos compétences. Il n’y a pas d’experts en éducation. Ce n’est pas possible. C’est une contradiction dans les termes. Ou alors c’est réduire l’éducation à une technique. Pourquoi ne peut-il pas y avoir d’experts dans ce domaine-là ? Parce que l’enjeu c’est de transmettre la vie. Et de dire qu’il est bon d’être vivant. Ce n’est pas de devenir compétent dans tel ou tel domaine, ce n’est pas simplement d’aider votre fils à être bon en math, ou à réussir les concours des grandes écoles. On s’en fou de ça. Le plus important, qui dépasse les compétences techniques et qui ne relève pas d’une compétence mais que le père peut faire c’est, voilà : « J’ai consenti à la vie, je t’ai accueilli, j’ai accueilli la vie, et à ce moment-là, dans ma responsabilité, je suis le témoin que la vie est bonne. Alors même que je n’y comprends rien. Alors même que je suis nul. Alors même que je commets des tas d’erreurs. » Et l’essentiel, ce n’est pas le fait de développer les compétences de l’enfant, mais de passer du temps avec lui, de montrer qu’il est bon qu’il soit là. Et dès lors, on reconnaît quelque chose qui dépasse nos programmes, qui dépasse nos plans, qui est l’aventure même d’une vie qui nous échappe. Qui est un évènement permanent qui se renouvelle de génération en génération.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceC’est aussi s’ouvrir à la vie au sens où l’on reconnaît qu’on n’est pas le père. Un père est toujours un fils. C’est même parfois pendant très longtemps, un gamin. Vous avez fait l’expérience… Bon, moi, je suis père de sept enfants, j’ai quarante-cinq ans, et au fond de moi je vois tout ce qui reste de l’adolescent que j’ai été. Je n’en suis pas complètement débarrassé. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que nous sommes des pères, mais aucun d’entre nous n’est le Père. Et c’est ça ce qui se passe. C’est que dans notre incompétence, dans nos défaillances, à travers ces défaillances quelque chose va se jouer. On aura donné une torgnole trop forte à notre enfant, on aura crié abusivement, on aura commis des tas d’erreurs. Mais on ira vers notre enfant en lui disant : « Ce n’est pas moi le maître de la vie. Moi-même je suis un fils, moi-même je suis un pécheur, je te demande pardon. Et à travers mes défaillances je peux me tourner avec toi vers le Père des Miséricordes. » Et qu’est-ce que vous pouvez donner de plus grand à un enfant ?


    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceVous connaissez ce passage du recouvrement au temple. Jésus dit : « Je dois être aux œuvres de mon Père. » Mais en, fait, tout père a pour tâche première de donner l’amour de la vie à son enfant, avant telle ou telle compétence. Parce que lui, il a accueilli la vie et donc il l’engage à le faire aussi. Mais aussi, il doit le tourner vers celui qui est le Père. De telle sorte que son fils, désormais, ce n’est pas sa chose. Ce n’est pas un être qui s’inscrit simplement dans un planning familial. Dans un désir ou dans un droit à avoir un enfant pour compenser les frustrations qu’on a eu nous-mêmes, par exemple, en projetant sur lui une réussite qu’on n’a pas eue. Ce n’est pas ça. C’est reconnaître qu’avec cet enfant s’ouvre un à venir. Le mot avenir c’est le mot qui constitue aventure : ce qui advient. Que tout d’un coup l’avenir se ré-ouvre à travers cet enfantement. Et on va être pris dans une aventure qu’on n’avait pas prévue, avec des enfants qui vont nous entraîner dans des tas d’histoires dramatiques qu’on n’avait pas envisagées. Mais c’est ça l’aventure de la vie. L’aventure première.

    Et c’est pour cette aventure-là que l’on devient aussi un combattant, qu’on devient un vrai guerrier. Parce qu’un vrai guerrier ce n’est pas simplement d’avoir des muscles, hein ! C’est d’avoir une femme et des enfants à défendre. C’est à partir de cette aventure-là que se pose la question de l’avenir, aussi, d’une société. Et c’est comme ça aussi qu’on s’engage vraiment en politique. C’est à partir de cette ouverture à une vie qui nous dépasse, à un temps qui ne sera plus le nôtre mais celui de nos enfants que l’on peut aussi être prêt à mourir.

    Il y a une chose qui m’a toujours frappée : j’ai toujours eu assez peur de la mort. Je ne m’imaginais pas de m’offrir en sacrifice. Je suis même assez douillet, quand je saigne je tourne un peu de l’œil, etc. Mais à partir du moment où j’ai eu un enfant, moi qui suis si faible, à la limite… tout d’un coup j’étais prêt à mourir pour quelqu’un d’autre. Vous voyez, c’est très étonnant, hein. Tout d’un coup c’est là qu’une force m’était donnée et que tout d’un coup je devenais un homme. Avec sa virilité, avec sa force de combat, avec son désir aussi de vivre des choses simples. Parce qu’on redécouvre là que la chose merveilleuse c’est de se retrouver autour d’une table avec sa famille, ses amis, à pouvoir manger ensemble, ou à pouvoir chanter ensemble. Et c’est ça la vie simplement humaine.


    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceC’est la vie que garantit le Christ. C’est la vie qu’il garantit sur cette terre, déjà, au centuple. N’oubliez pas qu’il y a des promesses pour le temps, pas simplement pour l’éternité. Mais aussi pour l’éternité. Parce que le Christ ressuscité, que fait-il ? Est-ce qu’il fait des trucs de superman, des trucs de super technologie ? Est-ce qu’il fait de grands sons et lumière ? Il se retrouve au milieu de ses disciples. Et il mange avec eux. Et il leur lit les Écritures comme il l’avait fait autrefois. Il parle avec eux. Il mène cette vie simple que le scoutisme essaie de réintroduire dans une vie de plus en plus technologisée et virtualisée.

    Alors continuez toujours ainsi ! Ultreïa ! Merci.

    fabrice hadjadj,transmission,éducation,politique,christianisme,foi,conscience,vulnérabilité,Écologie humaine,la franceFabrice Hadjadj
    29 octobre 2016
    Conférence donnée en l'église de Givry (89),
    au pied de la Colline éternelle de Vézelay,
    devant les Routiers Scouts d'Europe en pèlerinage.
     
                                                

                                                                

     

    Peintures
    Saint Vincent de Paul prêchant - Noël Hallé (1711-1781), Cathédrale Saint-Louis, Versailles.
    Hortus Deliciarum (détail) - Jérome Bosch, XVIIe, Musée du Prado.
    L'enfant retrouvé dans le temple - Philippe de Champaigne, 1663, Musée des Beaux-Arts d'Angers.
    Les Pèlerins d'Emmaüs - Mathieu Le Nain, XVIIe siècle, Musée du Louvre, Paris.

     

  • GPA Commerciale / GPA Altruiste ?

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    Un rapport condamnant la GPA ”commerciale” et vantant la GPA ”altruiste” est présenté devant le Conseil de l'Europe. Pour le collectif No Maternity Traffic, cette distinction sert à avaliser le principe même de la GPA.

     

             La parlementaire et gynécologue belge Petra De Sutter revient à la charge. Après le rejet de son rapport le 15 mars dernier, puis son report en juin dernier doublé d'une accusation de conflit d'intérêt, elle va tenter une nouvelle fois, le 21 septembre, de faire adopter un rapport favorable à la maternité de substitution (GPA) par la Commission des affaires sociales de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

    Gpa-Inde Dr+FemEnceinte.jpg         Une fois encore, contre toute transparence parlementaire, les débats seront à huis clos et le projet de rapport est tenu secret. Rappelons que la rapporteur est une professionnelle de la GPA et de la PMA à l'hôpital de Gand, en outre, elle collabore avec une entreprise de GPA commerciale en Inde (Seeds of innocence). Elle a donc tout intérêt à faire accepter la GPA.

     

             La forte opposition à laquelle elle est confrontée semble l'avoir conduite à adopter une position de repli : renoncer à demander explicitement la légalisation de la GPA, et condamner uniquement la GPA commerciale tout en invoquant ”l'intérêt de l'enfant”. Cette approche, apparemment consensuelle, est un piège.

             Le piège repose sur une opposition largement fictive entre GPA altruiste et commerciale : la première serait bonne, et la seconde mauvaise. D'altruiste, la GPA deviendrait commerciale lorsque la somme versée à la mère porteuse serait supérieure aux ”frais raisonnables” causés par la GPA, or ceux-ci incluent nourriture, logement, perte de revenus, etc., ainsi que l'indemnisation de ”l'inconvénient d'être enceinte”. Autant dire que, le plus souvent, ces frais raisonnables sont une rémunération déguisée.

             La dialectique opposant GPA commerciale et altruiste est un piège qui réduit et enferme l'appréciation morale de la GPA à l'un de ses aspects secondaires : l'argent. De fait, le problème avec la GPA, ce n'est pas tant l'argent que la situation de l'enfant et de la mère qui le porte. Une GPA moins chère n'en serait pas moins préjudiciable et condamnable.


    Gpa-Inde FemEnceinteAuscultée.jpg         
    Plus encore, l'opposition entre GPA commerciale et altruiste est fictive : la seule différence porte sur le nom donné à la rétribution de la mère : on parle d'un paiement pour la GPA commerciale et d'une indemnité pour la GPA altruiste. Mais notez que le montant de l'indemnité peut être très supérieur à celui du paiement ! Alors qu'une mère porteuse reçoit environ 20 000 € ”d'indemnités” au Royaume Uni, elle ne reçoit que 10 000 € de ”paiement” en Europe de l'Est et 2 000 € en Asie. Verser 20 000 € ”d'indemnités” serait plus éthique que 10 000 € de ”paiement”

             En tout état de cause, une GPA dite altruiste génère plus de flux financiers qu'une GPA dite commerciale.

     

    Gpa-Inde FemsEnceintesAlitées.jpg         Si l'opposition entre GPA commerciale et altruiste est fictive, elle recouvre en fait une autre distinction, bien réelle : entre la GPA ”low cost” d'Europe de l'Est, et la GPA ”premium” d'Europe de l'Ouest, telle qu'elle se pratique notamment dans le service de Petra De Sutter. Ainsi, condamner la GPA commerciale, revient en fait à promouvoir la GPA ”premium”, présentée en outre comme une pratique exemplaire.

             En invitant les autres députés à condamner avec elle, de façon véhémente, la GPA lorsqu'elle est commerciale, Petra De Sutter fait porter la condamnation sur le seul caractère commercial de la GPA et épargne ainsi la GPA en elle-même. Elle tend ainsi aux députés un autre piège : celui d'entériner le principe même de la GPA, puis la nécessité de l'encadrer, c'est-à-dire de la légaliser. Il est à craindre que certains députés, heureux de condamner avec force la GPA commerciale ne se rendent pas compte du pot aux roses.

     

    NoMaternityTraffic,gpa,politique,vulnérabilité,conscience,lmpt,la france         Plus encore, la situation préjudiciable dans laquelle la GPA place l'enfant ne change pas selon qu'elle est qualifiée de commerciale ou d'altruiste. Dans tous les cas, l'enfant est l'objet d'un contrat, donné ou vendu comme un bien, objet d'un droit de propriété, ce qui le place objectivement en situation d'esclavage au sens du droit international. Dans les deux cas, l'enfant est abandonné par la mère porteuse, et les risques de rejet de l'enfant, par exemple en cas de divorce des commanditaires ou de malformation, sont les mêmes. Les conséquences sur la filiation ne sont pas moins graves, mais pires lorsque l'enfant a été porté par une tante ou sa grand-mère !

             En réalité, le problème avec la GPA, c'est la GPA elle-même.

             La seule démarche réaliste est de s'engager à combattre cette forme de trafic humain, ou alors il faut se résigner à ce que l'homme soit une marchandise pour l'homme.

             Espérons que l'Assemblée du Conseil de l'Europe saura faire prévaloir les valeurs pour lesquelles le Conseil a été institué contre cette nouvelle forme de dégradation et de servitude.

     

    NoMatternityTraffic.jpgCollectif No Maternity Traffic

    Gregor Puppinck est directeur du Centre européen pour le droit et la justice.

    Ludovine de la Rochère est présidente de La Manif pour Tous.

    Caroline Roux est déléguée générale d'Alliance Vita.

    Ils sont tous les trois membres du collectif No Maternity Traffic, qui a remis au Conseil de l'Europe plus de 110 000 signatures pour l'abolition de la GPA.

    Tribune publiée en septembre 2016 dans Figaro Vox

    nomaternitytraffic,gpa,politique,vulnérabilité,conscience,lmpt,la franceGPA : LE DÉBAT CONTINUE AU CONSEIL DE L’EUROPE

             No Maternity Traffic salue le rejet, par la Commission des questions sociales de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, du projet de résolution sur la Gestation par autrui (GPA)  ou maternité de substitution. Ce projet était dangereux car il contenait l’acceptation implicite du principe même de la GPA.

             Ce rejet prouve qu’il est possible de réunir une majorité de parlementaires en faveur d’une interdiction explicite de toute forme de GPA dans la mesure où sa pratique est contraire aux Droits de l’Homme.

             No Maternity Traffic note que le projet de recommandation annexé à la résolution a été néanmoins adopté, après amendement. Il sera débattu lors de la prochaine session de l’Assemblée en octobre.

             Ce projet recommande aux Etats européens d’adopter des lignes directrices visant à préserver les droits des enfants nés dans le cadre d’une GPA.

             No Maternity Traffic partage le souci premier de préserver les droits des enfants. Néanmoins, vouloir préserver sincèrement les droits des enfants suppose de poser d’abord le principe de l’interdiction de la GPA sous toutes ses formes. Il est vain, et même malhonnête, de prétendre lutter contre les conséquences de la GPA pour les enfants, sans en condamner d’abord la cause. La GPA, ou maternité de substitution, est une régression absolue du droit des femmes et de l’intérêt supérieur de l’enfant. La GPA, quelle que soit sa forme, exploite des femmes et génère un trafic d’enfants, privés en tout ou partie de leur filiation.

             Le collectif international No Maternity Traffic poursuit son engagement et invite tous les députés de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à adopter prochainement une recommandation qui, comme l’a fait le Parlement européen en décembre dernier, condamne explicitement toute forme de GPA et recommande aux États d’adopter une politique commune en ce sens au plan européen.

    No Maternity Traffic

     

     

  • L'offrande intégrale de soi - Édith Stein & Etty Hillesum

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    L'encielement Édith & Etty 9.jpg« Nous avons vécu une journée étrange, écrit Etty Hillesum dans ses Lettres de Westerbork[1], lorsqu'un transport nous amena des catholiques juifs ou des juifs catholiques – comme on voudra – nonnes et moines portant l'étoile jaune sur leur habit conventuel. Je me rappelle deux garçons, jumeaux dont le beau visage brun évoquait le ghetto et qui, le regard plein d'une sérénité enfantine sous leur capuce, racontaient aimablement – tout au plus un peu étonnés – qu'on était venu à quatre heures et demie les arracher à l'office du matin et qu'à Amersfoort on leur avait donné du chou rouge […] Et, dominant le tout, le crépitement ininterrompu d'une batterie de machines à écrire : la mitraille de la bureaucratie […] Plus tard, quelqu'un m'a raconté que le soir même il avait vu un groupe de religieux s'avancer dans la pénombre entre deux baraques obscures en disant leur chapelet, aussi imperturbables que s'ils avaient défilé dans le cloître de leur abbaye. » [2]

    Elle ajoute, dans un passage non publié en français de son journal : « [Rencontré aussi] deux religieuses, appartenant à une famille juive très orthodoxe, riche et très cultivée de Breslau, avec l'étoile jaune cousue sur leur habit monastique. Les voilà qui retrouvent leurs souvenirs de jeunesse. »[3]

     

    C'est ainsi que, peut-être l'instant d'un enregistrement administratif ou d'une brève conversation, Etty Hillesum et Edith Stein se sont croisées. Ce mince événement a une portée symbolique. Il en va ici comme de ces morceaux brisés des tessères antiques dont la réunion, sumbolon, dessinait une figure déchiffrable et permettait une reconnaissance entre les hôtes d'un jour, ou les partenaires d'une alliance. La rencontre fugitive et anonyme de ces deux femmes, héritières chacune du mystère d'Israël, dans un des lieux du déni le plus radical qui ait jamais été opposé à ce mystère, dessine elle aussi, de manière discrète mais décisive, une figure significative. Car Etty et Edith, deux brillantes figures de la culture européenne, dont l'une partait comme infirmière dans un hôpital militaire, en 14, avec les Ideen de Husserl et l'Odyssée d'Homère en poche[4], et dont l'autre arrive à Westerbork avec Rilke et Tolstoï dans son sac à dos, vont, chacune à sa manière, se dresser contre la logique de mensonge et de mort du nazisme avant d'en être les victimes. Elles ne le font pas par l'argumentation, ni par la résistance armée. Car la défense des réalités que le nazisme attaquait de plein fouet, la vérité et la vie, ne relève en dernière instance ni de l'argumentation, ni de la force. Elle relève de l'attestation. Attestation qui est plutôt, pour Edith, celle d'un indéfectible amour de la vérité, et pour Etty celle d'un non moins indéfectible amour de la vie. Mais à Westerbork, les témoignages que nous avons sur l'une et sur l'autre manifestent la convergence de ces deux voies dans l'humble amour du prochain.

     

    La lumière de la Croix

    L'enciellement Édith & Etty.jpgLa psychologie fut un des premiers intérêts d'Edith. Mais, après quatre semestres à l'université de Breslau, elle déchanta : « C'était dès le début une erreur de songer à faire un travail en psychologie. Toutes mes études en psychologie m'avaient seulement convaincue que cette science en était encore à ses premiers balbutiements […] Et si ce que j'avais appris jusque là sur la phénoménologie me fascinait tellement, c'était parce qu'elle consistait spécifiquement en ce travail de clarification et qu'on y forgeait soi-même dès le début les outils intellectuels dont on avait besoin. »[5] Exigence de fondation, exigence d'autonomie dans le discernement intellectuel : Edith a vingt ans, mais déjà elle est intellectuellement équipée contre toute espèce de dérive idéologique de la pensée, si l'idéologie commence avec le déguisement des présupposés en raisons, et l'abdication du jugement personnel. Commence alors un itinéraire qui, d’étape en étape, transfigure pour elle et en elle les termes de science et de vérité. C'est d'abord la rencontre avec « la phénoménologie comme science rigoureuse », en un sens nouveau du terme de science, faisant droit à l’esprit comme esprit et à l'âme comme âme. Mais l'attention du phénoménologue à l'expérience religieuse, dont les cours de Max Scheler lui révèlent l'importance, n’est pas encore la foi. De manière significative, celle-ci commence pour Edith avec la découverte de la Croix lorsque Anna Reinach, une amie protestante, vit avec sérénité la mort de son mari au front.  « Ce fut ma première rencontre avec la Croix, avec cette force divine qu’elle confère à ceux qui la portent. Pour la première fois, l’Eglise, née de la Passion du Christ et victorieuse de la mort, m’apparut visiblement. »[6] Edith est alors prête à accueillir la vérité chrétienne, et le jour où elle ouvre, en 1921, la Vie par elle-même de Thérèse d’Avila, sa longue quête prend fin. « C'est la vérité », se dit-elle en refermant le livre.

    C’est cette exigence d'aller « jusqu'au fondement », un fondement qui a pris pour elle un jour et définitivement les traits du Crucifié, et ne se touche que dans la prière, qui commande son herméneutique des violences nazies, dès 1933, en termes d'actualisation du mystère de la Croix dans le présent de l'histoire. Six ans plus tard, le dimanche de la Passion 1939, elle adresse un billet à sa mère prieure, à Echt : « Chère Mère, permettez-moi de m'offrir au Cœur de Jésus en sacrifice d'expiation pour la vraie paix : que le règne de l'Antéchrist s'effondre, si possible sans une nouvelle guerre mondiale, et qu'un ordre nouveau soit établi. Je voudrais m'offrir aujourd'hui même, parce que l'on est à la douzième heure... »[7] L'unité indéchirable de cette interprétation christologique des événements et de l'offrande intégrale de soi constitue « la science de la Croix », titre du livre auquel elle travaillait encore le jour de son arrestation. L'expression fait écho au logos tou staurou paulinien, cette « folie pour les païens » qui vient directement contredire la logique de puissance qui régnait sur l'Europe d'alors. Dans l’introduction de ce livre, Edith s’explique sur la nouvelle signification du mot « science » qui le fait passer cette fois du registre phénoménologique au registre théologal : « Lorsque nous parlons de la science de la Croix, il ne faut pas entendre cette expression selon son sens habituel […]. Il s’agit d’une vérité vivante, réelle et active. Cette vérité est enfouie dans l’âme à la manière d’un grain de blé qui pousse ses racines et croît. Elle marque l’âme d’une manière spéciale […] à tel point que cette âme rayonne au dehors. »[8]

    C'est bien ce qui est advenu : à Westerbork ; la « science de la Croix » n'est plus seulement pour Edith une vérité contemplée et consentie à l'intime de l'âme, mais la réalité même dans laquelle elle est immergée, et qui rayonne de sa personne : « La grande différence entre Edith Stein et les autres sœurs était dans son silence… elle donnait l'impression d'avoir à traîner une telle masse de souffrances que, même quand parfois elle souriait, c'était encore plus attristant… elle pensait à la souffrance qu'elle prévoyait, pas à sa propre souffrance, elle était pour cela trop paisible, mais elle pensait à la souffrance qui attendait les autres. Tout son extérieur éveillait chez moi encore une pensée, quand je me la représente en esprit assise dans la baraque : une Pietà sans Christ. »[9] Mystère douloureux, qu'il ne faut toutefois pas séparer de sa face lumineuse, jusque dans l'enfer du camp de transit : « La seule religieuse qui m'ait aussitôt impressionné et que – malgré les abominables épisodes dont je fus le témoin – je n'ai jamais pu oublier, c'était cette femme avec son sourire, qui n'était pas un masque, mais qui se levait comme un rayon de soleil… cette femme assez âgée, qui donnait une telle impression de jeunesse, qui était si entière, si vraie, si authentique… »[10] Il est significatif que, sous la plume de ce témoin, ce soient les termes de jeunesse, de vérité et d'authenticité qui viennent : démenti existentiel au mystère d'iniquité, mystère de mort et de mensonge. Un autre témoignage souligne qu'elle consacrait son temps à s'occuper des enfants : « Beaucoup de mères paraissaient tombées dans une sorte de prostration, voisine de la folie ; elles restaient là à gémir comme hébétées, délaissant leurs enfants. Sœur Bénédicte s'occupa des petits enfants, elle les lava, les peigna, leur procura la nourriture et les soins indispensables. »[11] La « science de la croix » rayonnait en humble amour de service.

     

    Le pain et le baume

    L'encielement Édith & Etty 6.jpgQuand Etty Hillesum, en mars 41, s'adresse au psychologue Julius Spier, elle est tout simplement en quête d'elle-même. Le journal qu'elle tient à partir de cette rencontre témoigne d'une personnalité vibrante, sensuelle, généreuse et possessive à la fois, surtout étonnamment lucide sur elle-même et sur les autres. Elle est partagée entre un puissant appétit de vivre et de grands passages à vide : « J'ai reçu assez de dons intellectuels pour pouvoir tout sonder, tout aborder, tout saisir en formules claires ; on me croit supérieurement informée de bien des problèmes de la vie ; pourtant là, tout au fond de moi, il y a une pelote agglutinée, quelque chose me retient dans une poigne de fer, et toute ma clarté de pensée ne m'empêche pas d'être bien souvent une pauvre godiche peureuse », écrit-elle à la première page de son journal[12]. Elle évoque un peu plus loin une « occlusion de l'âme ». Dans les cent premières pages, la guerre est simplement l'arrière plan de l'aventure intérieure qui se déroule à travers sa relation avec Julius Spier jusqu'à la mort de ce dernier en septembre 42. Relation complexe, faite de part et d'autre d'un puissant attrait physique et de séduction intellectuelle, mais aussi éveillant chez Etty une quête spirituelle d'abord confuse, puis de plus en plus explicite.

    Le fil conducteur de cette quête pourrait être la lente transmutation de l'amour de la vie qui s'opère au fil des pages et des événements : d'abord spontanéité instinctive d'une personnalité qui se définit elle-même comme douée d'« un fort tempérament érotique », et ayant « un fort besoin de caresses et de tendresse »[13], cet amour de la vie, confronté à la violence dont on voit monter inexorablement la menace, prend peu à peu une tout autre profondeur. Peut-être n'est-il au commencement qu'un sentiment de sécurité au cœur de l'orage qui monte : « Comme c'est étrange ! c'est la guerre. Il y a des camps de concentration […]. Et pourtant, quand je cesse d'être sur mes gardes pour m'abandonner à moi-même, me voilà tout à coup reposant contre la poitrine nue de la vie, et ses bras qui m'enlacent sont si doux et si protecteurs […]. Tel est une fois pour toutes mon sentiment de la vie, et je crois qu'aucune guerre au monde, aucune cruauté humaine si absurde soit-elle n'y pourra rien changer. »[14] Mais plus la guerre rattrape Etty, la conduisant de sa situation somme toute confortable de jeune intellectuelle émancipée d'Amsterdam à celle de fonctionnaire à Westerbork, plus revient, comme un refrain de plus en plus intérieur à la situation dans laquelle elle est prise, l'affirmation de la bonté de la vie : « par essence la vie est bonne, et si elle prend parfois de si mauvais chemins, ce n'est pas la faute de Dieu, mais la nôtre. Cela reste mon dernier mot, même maintenant, même si on m'envoie en Pologne avec toute ma famille. »[15] Quelques lignes plus loin, le secret de cet amour purifié et pacifié de la vie est livré : « C'est curieux, depuis ce dernier transport de rafle, je n'ai plus faim, plus sommeil, plus rien, et pourtant je me sens très bien, on concentre à tel point son attention sur les autres que l'on s'oublie soi-même et c'est fort bien ainsi. »[16] Et encore : « Oui, la détresse est grande, et pourtant […] je sens monter de mon cœur – je n'y puis rien, c'est ainsi, cela vient d'une force élémentaire – la même incantation : la vie est une chose merveilleuse et grande, après la guerre nous aurons à construire un monde entièrement nouveau et, à chaque nouvelle exaction, à chaque nouvelle cruauté, nous devrons opposer un petit supplément d'amour et de bonté. »[17]

    Ce « petit supplément d'amour et de bonté », Etty ne pourra le livrer au monde après la guerre. Mais elle le prodigue à Westerbork. Dans une de ses dernières lettres, en date du 21 août 43, qui évoque de manière bouleversante le départ d'un convoi, et où elle affirme : « cette nuit, j'ai été en enfer », toute sa compassion va aux enfants et ce sont eux qui occupent l'essentiel de son regard, de son récit : « les gémissements des nouveau-nés s'enflent, ils remplissent les moindres recoins, les moindres fentes de cette baraque à l'éclairage fantomatique ; c'en est presque intenable. Un nom me monte aux lèvres : Hérode. »[18] Celle-là même qui, au début de son journal, se découvrant enceinte, n'avait pas hésité à supprimer la vie qu'elle portait en elle, a maintenant sur les enfants qui vont mourir le regard de l'Évangile. En octobre 42, dans la dernière page de son journal, elle écrit : « J'ai rompu mon corps comme le pain et l'ai partagé entre les hommes. Et pourquoi pas ? Car ils étaient affamés et sortaient de longues privations. » Et, aux dernières lignes du texte : « On voudrait être un baume versé sur tant de plaies. »[19] Le pain, le baume : deux signifiants fondamentaux de l'entretien de la vie, de la vie affamée et nourrie, de la vie blessée et guérie. Deux signes sacramentels du salut. Au terme du chemin, Etty est descendue assez profondément dans le mystère de la beauté et du don de la vie pour en entrevoir, du dedans, la portée sacramentelle ultime, inséparable de l'amour en actes.

    Ainsi se sont rejoints le combat d'Edith contre la dérive utilitariste et fonctionnaliste de la vérité dans l'idéologie nazie, et le combat d'Etty contre la caricature instinctuelle et violente de la vie, expression de la culture de mort dans laquelle cette idéologie enfermait l'Europe. Et c'est pourquoi leur rencontre fugitive porte un sens qui la dépasse : maintenir l'alliance de la vérité et de la vie, qui fait la vie de l'esprit, contre toutes les forces qui s'y opposent, c'est témoigner de la victoire de l'esprit là même où il paraît réduit à sa plus grande impuissance. C'est vaincre, de l'intérieur et à la source, la tentation nihiliste. À la déclaration d'Edith, rapportée par le P. Hirschmann : « Jamais dans le monde la haine ne doit avoir le dernier mot »[20], fait écho la formule d'Etty : « Soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu'il n'est déjà. »[21]

     

    L'urgence du témoignage

    L'encielement Édith & Etty 010.jpgMais il y a un second niveau de lecture. Edith et Etty étaient juives l'une et l'autre. Elles ont eu une jeunesse peu ou pas pratiquante. Edith, malgré la grande piété de sa mère, ne fréquente plus la synagogue après ses quatorze ans. Etty n'a quant à elle reçu aucune formation religieuse, et ne découvre réellement la Bible que sur le conseil de Julius Spier. Aucune des deux n'est donc à proprement parler une convertie du judaïsme. Mais l'une et l'autre font, à partir de ce fonds areligieux, un chemin spirituel qui conduit Edith au baptême et au carmel, et Etty à une intense vie de relation à Dieu, sans référence dogmatique ni appartenance synagogale ou ecclésiale. Dans l'enfer de Westerbork, c'est le Bréviaire pour Edith, la Bible pour Etty, qui sont leur source de paix et de force. Faut-il en conclure que l'une et l'autre, la première par sa conversion, la seconde par son absence de toute pratique, n'ont rien à voir avec le mystère d'Israël ? Leur rencontre nous conduit peut-être au contraire au cœur de ce mystère auquel elles ont été l'une et l'autre, de manière paradoxale au premier regard, profondément fidèles. Mais cette fidélité a pris deux chemins et deux visages en elles comme dans notre histoire, l'une ayant rencontré et confessant explicitement le Christ, l'autre non. Saint Paul nous donne à penser, dans sa Lettre aux Romains, que c'est seulement à la fin des temps, à l'heure de la miséricorde de Dieu, que ces deux fidélités se fondront en une seule et que ces deux chemins convergeront. C'est pourquoi la rencontre d'Edith et d'Etty, jusque dans son caractère à peine ébauché, est non seulement symbolique, mais prophétique : elle anticipe sur cette heure-là, à distance, sans qu'elles aient pu prononcer ensemble le nom du Christ, un nom qu'Etty ne cite pratiquement jamais, même si elle se nourrit de l'Évangile[22]. Leur rencontre anticipe cette heure au moment et dans les lieux mêmes où l'idéologie nazie entendait précisément « éradiquer » Israël, et par là priver l'Église, greffée sur l'olivier franc, des racines de sa propre existence, et priver l'histoire humaine de son enracinement surnaturel[23].

             En ce qui concerne Etty, si on relit les textes dans cette perspective, il me semble qu'on peut la considérer, quoique détachée de la pratique cultuelle du judaïsme, comme une authentique fille d'Israël, en qui s'exprime et s'accomplit quelque chose d'essentiel à la vocation spirituelle de son peuple : la mission du témoin. Dès son journal, et de manière intense dans ses lettres, revient cette urgence du témoignage. Au début, elle exprime simplement le besoin et le désir d'écrire, tout en sentant bien que cela exige de sa part un engagement qu'elle ne peut encore pleinement assumer : « En moi certaines choses prennent bel et bien une forme, une forme de plus en plus nette, concentrée et tangible – et pourtant il n'y a encore rien à saisir, comment est-ce possible ? J'ai l'impression d'abriter un grand atelier où on travaille dur, où l'on martèle, taille, etc. »[24] Puis, quand se resserre l'étau, elle comprend que l'écriture n'est pas seulement une manière de se donner forme à elle-même, mais bien de témoigner pour l'histoire : « Je devrais brandir ce frêle stylo comme un marteau, et les mots devraient être autant de coups de maillet pour parler de notre destinée et pour raconter un épisode de notre histoire comme il n'y en a encore jamais eu […] Il faudra bien tout de même quelques survivants pour se faire un jour les chroniqueurs de cette époque. J'aimerais être, modestement, un d'entre eux. »[25] Et plus profondément encore, au-delà de la chronique, au-delà du travail du style, il s'agit pour elle de se faire pur témoin réceptif et attentif de la vie contre la mort, de la bonté contre la brutalité des hommes : « Je n'ai qu'à attendre patiemment que lèvent en moi les mots qui porteront le témoignage que je crois devoir porter, mon Dieu : qu'il est beau et bon de vivre dans ton monde, en dépit de ce que nous autres humains nous infligeons mutuellement. » C'est au terme de ces lignes qu'elle se désigne comme « le cœur pensant de la baraque. »[26]

             Et, de fait, nous trouvons dans ce « cœur pensant » un bouleversant témoignage des expériences spirituelles que le peuple d'Israël a connues et qui constituent son identité la plus profonde : d'abord l'expérience de cette beauté et bonté du monde, qui nous reconduit aux premières pages de la Genèse, rédigées dans le contexte de l'Exil, et fait retentir, au plus noir de la défiguration de la création de Dieu, l'écho de la bénédiction originelle. Puis l'expérience de la progressive dépossession de toutes les assurances, de tous les biens, pour le départ, d'abord vers Westerbork, puis vers une destination inconnue : expérience d'exode et d'exil, au terme de laquelle, dans le dernier billet qu'elle jette du train qui la mène vers Auschwitz, « assise sur (son) sac à dos, au milieu d'un wagon de marchandises bondé », elle peut écrire : « Christine, j'ouvre la Bible au hasard et trouve ceci : « Le Seigneur est ma chambre haute. »[27] C'est aussi, et presque dès le début du Journal, l'expérience d'une proximité intérieure de Dieu, contraignant « la fille qui ne savait pas s'agenouiller » à se jeter à genoux et à rencontrer, au cœur d'elle-même, ce buisson ardent de l'Exode où s'atteste la Présence. Et c'est surtout, authentifiant tout le reste, l'exigence éthique du service du malheureux, l'enfant, le vieillard, le malade, dans ces pages où se laissent entendre, c'est à dire mettre en pratique, la grande voix du Décalogue et l'appel des prophètes.

             Or c'est précisément cette présence de Dieu et cette Loi d'Israël que le nazisme a voulu extirper de la terre[28]. Comment les invalider mieux qu'en « supprimant les témoins »: le peuple juif, témoin, par vocation, de la transcendance de Dieu et de la conscience humaine, témoin de l'image de Dieu jusque dans le plus défiguré des hommes, témoin d'une Promesse donnant sens à l'Histoire jusque dans ses nuits les plus obscures. Etty écrit qu'elle n'a pas l'âme d'une révolutionnaire. Face au déni nazi de la vocation d'Israël, elle a été plus et mieux qu'une révolutionnaire : un témoin, et elle a mis au service de ce témoignage non seulement sa lucidité et son talent littéraire, mais son choix de rester à Westerbork et d'épouser jusqu'au bout la destinée de son peuple.

     

    « Nous allons pour notre peuple »

    L'encielement Édith & Etty 3.jpgC'est le même choix qu'a fait Edith. Elle l'a fait à partir d'une autre situation spirituelle, celle d'une chrétienne qui a redécouvert, du dedans de son baptême, le sens de l'élection d'Israël et la grâce d'y être charnellement rattachée : « Vous ne pouvez imaginer, écrit-elle, ce que cela signifie pour moi d'être une fille du peuple élu. C'est appartenir au Christ non seulement par l'esprit mais par le sang. »[29] Appartenance à la fois heureuse et crucifiante, qui fait d'elle un témoin, dans sa propre chair, de la rencontre aimante et douloureuse du Christ et de son peuple. Elle l'est dans son identité propre de juive devenue chrétienne : elle a souffert de l'incompréhension de sa mère très aimée devant sa conversion, elle a souffert du silence de son Église devant la persécution. Elle l'est dans sa consécration au Carmel, vécue comme une offrande de communion, au pied de la croix, avec la souffrance de son peuple. Elle a su – de la scientia Crucis – que la seule victoire qu'elle pouvait remporter sur la haine déferlante était de s'asseoir à la table des victimes, en sacrifice d'expiation. On peut trouver que sa théologie de l'expiation porte la marque d'un temps ; mais il faut remarquer que, dans un contexte où beaucoup considéraient le peuple juif comme responsable de la mort du Christ, Edith, elle, devant le mystère de la croix, l'assimile à la victime : « cette persécution est une persécution de la nature humaine du Christ. »[30] Enfin, sa mort, en tant que juive et en tant que chrétienne, arrêtée parce que juive, mais en représailles d'un acte de courage chrétien de la part de l'Église, accomplit jusqu'à l'extrême cette double appartenance, ou plutôt cette unique identité scellée par la Croix. Lorsque, au moment où elle quitte le carmel d'Echt sous escorte policière, elle dit à sa sœur Rosa : « Viens, nous allons pour notre peuple », ce peuple – son peuple - est indissociablement le peuple allemand dont elle est membre, et qu'elle voit livré au paganisme nazi, le peuple d'Israël dont elle est issue et dont elle va partager, dans sa chair, le sort, et le peuple nouveau sur lequel l'a greffée son baptême : l'Église.

     

    Un buisson ardent au désert

    L'encielement Édith & Etty 4.jpgEt c'est peut-être ici, au cœur de leur plus grande différence apparente, que nous pouvons voir se rejoindre les deux itinéraires d'Etty et d'Edith, comme une sorte d'attestation concrète de cette unité qu'opère secrètement, sans l'imposer ni la forcer, la Croix du Christ au foyer de l'Histoire. Comme l'a relevé Philibert Secrétan[31], il y a une étonnante convergence entre un texte d'Edith, écrit à l'intention de ses sœurs le 14 septembre 1941, et un passage du journal d'Etty. De part et d'autre, c'est la même conviction : la profondeur intérieure de la personne, l'âme, est demeure de Dieu, gardée par Dieu, quelles que soient les circonstances extérieures. Edith écrit : « Nous nous sommes engagées à la clôture, et nous le faisons de nouveau à chaque renouvellement de nos vœux. Mais Dieu ne s’est pas engagé à nous laisser toujours entre les murs de la clôture. Il n’en a pas besoin, car il dispose d’autres murs pour nous protéger […] Serions-nous même jetées à la rue, le Seigneur enverrait alors ses anges camper autour de nous, et leur vol invisible entourerait nos âmes d'une clôture plus sûre que les murs les plus hauts et les plus solides. »[32] Le 18 mai 42, Etty écrit pour sa part : « J'élève la prière autour de moi comme un mur protecteur plein d'ombre propice, je me retire dans la prière comme dans la cellule d'un couvent et j'en ressors plus concentrée plus forte, plus « ramassée ». »[33] C'est ainsi que, de Cologne à Echt et de Westerbork à Auschwitz pour l'une, d'Amsterdam à Westerbork et à Auschwitz pour l'autre, Edith et Etty ont vécu, dans toute sa dramatique profondeur, l’expérience constitutive de l’Exil : la ruine et la disparition de toutes les médiations qui incarnent habituellement la fidélité à Dieu, jusqu'à n’avoir plus, pour « donner corps » à cette fidélité, que leur propre corps à donner. Mais aussi, dans cet extrême dénuement, l'expérience nue et intense de la Présence, comme un buisson ardent dans le désert. Nous ne pouvons les rejoindre en ce lieu intime, ce saint des saints où chacune poursuivait avec son Seigneur un dialogue qu'aucune circonstance extérieure n'a pu briser. Nous pouvons seulement suggérer que, dans ce dialogue secret, chacune a été fidèle à la mission d'Israël, le peuple où Dieu a choisi d'établir sa résidence.

    Pour Edith, qui écrit de Westerbork : « Jusqu'à présent j'ai pu prier magnifiquement »[34], c'était expérimenter jusqu’en sa propre chair l’alliance nouvelle et éternelle, promise à Israël depuis l’Exil et scellée sur la Croix : habiter, où que ce fut, le Temple indestructible, car non fait de main d’homme, qui est en chacun de nous la demeure du Dieu Vivant à l’intime de notre liberté. Quant à Etty, on peut peut-être déchiffrer dans cette expérience de l'agenouillement intérieur, hors toute médiation cultuelle, l'écho de ces situations extrêmes où, dans le dépouillement total, le cœur de l'Alliance – « Je serai avec vous », « Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » - se met à battre de manière plus sensible dans l'histoire. Etty écrit le 10 octobre 42 : « Si les turbulences sont trop fortes, si je ne sais plus comment m'en sortir, il me restera toujours deux mains à joindre et un genou à fléchir. C'est un geste que nous ne nous sommes pas transmis de génération en génération, nous autres juifs. J'ai eu du mal à l'apprendre. »[35] Ce qu'elle n'avait pas reçu de sa famille – cet agenouillement intérieur et extérieur devant le Saint, cette adoration « en esprit et en vérité », - Etty l'a retrouvé pour ne plus le perdre.

    Peut-être peut-on alors risquer, avec beaucoup de respect, un dernier pas vers la rencontre de ces deux femmes. L'une et l'autre auraient peut-être pu échapper au sort qui les attendait. Il eût fallu qu'Edith se désolidarisât de Rose, sa sœur, ce qui lui aurait sans doute permis de trouver refuge en Suisse. Il eût fallu qu'Etty se désolidarisât de sa famille, ce qui lui aurait sans doute permis de retourner à Amsterdam. Elles ne l'ont pas fait. Elles ont choisi d'aimer jusqu'à l'extrême, au prix de leur propre vie. Elles ont mis cet amour en actes, humblement, en s'occupant des enfants et de ceux dont la détresse criait vers elles. Elles ont témoigné que l'union à Dieu et le service du prochain sont une seule et même grâce. Le 27 février 42, Etty recopie dans son journal quelques versets de l'hymne à la charité de saint Paul, et ajoute : « Tandis que je lisais ce texte, que se passait-il en moi ? […] J'avais l'impression qu'une baguette de sourcier venait frapper la surface durcie de mon cœur et en faisait aussitôt jaillir des sources cachées. »[36] Des « sources cachées » : c'est exactement la même expression qui vient sous la plume d'Edith lorsqu'elle médite sur la mission des âmes contemplatives, qui est aussi la sienne, dans le bouleversement de l'histoire : « Notre temps se voit de plus en plus obligé, quand tout le reste a échoué, de placer son dernier espoir de salut en ces sources cachées. »[37]

    De ces « sources cachées » – ou plutôt, de la Source cachée dont elles émanent - Edith, à la suite de saint Jean de la Croix, a su l'origine.

    Bien que ce fût de nuit.

     

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    Marguerite Léna
    Communauté Saint-François-Xavier

     

     

    Titre initial :
    La trace d’une rencontre
    Edith Stein et Etty Hillesum

    Publié dans la revue Études, juillet 2004


    Photos :
    Vidéogrammes de 
    Enciellement Édith Etty

     

     

    [1] Cf. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork, traduites du néerlandais et annotées par Philippe Noble, Points / Seuil 1995. Etty était venue à Westerbork en tant que membre du Conseil juif, chargé par l’occupant de l’administration interne de ce camp de transit vers les camps d’extermination. Elle s'occupe entre autres de l'enregistrement des arrivants. Elle sera elle-même déportée et mourra à Auschwitz le 30 novembre 43.

    [2] Op. cit. p. 260.

    [3] Cité par le P. Lebeau, Etty Hillesum, un itinéraire spirituel, Editions Fidélité, Namur, et Editions Racine, Bruxelles, 1998, p. 177. Ces « deux religieuses » sont Edith Stein, Sœur Thérèse Bénédicte de la Croix, et sa sœur Rosa, arrêtées au carmel d’Echt le 3 août 1942, en représailles du courageux mandement des évêques hollandais contre les persécutions antisémites. Elles meurent à Auschwitz le 9 août 1942. Edith Stein a été canonisée par le pape Jean-Paul II le 11 octobre 98. Etty fait erreur sur Rosa Stein, qui n'était pas carmélite, mais avait été accueillie par la communauté du carmel d'Echt.

    [4] Cf. E. Stein, Vie d'une famille juive, p. 399.

    [5] Edith Stein, Vie d'une famille juive, Ad Solem/ Cerf, p. 261.

    [6] Elisabeth de Miribel, Comme l'or purifié par le feu, Edith Stein (1891-1942), Plon, 1984, p. 61.

    [7] Edith Stein, billet du 26 mars 1939 à mère Ottilia Thannisch, prieure du carmel d'Echt, cité in Edith Stein, Source cachée, Cerf 1999.

    [8] Edith Stein, La Science de la Croix, Nauwelaerts, Louvain, 1957, p. 3-4.

    [9] Cité par B. Dupuy, id. p. 286.

    [10] Id. p. 287.

    [11] Cité par Elisabeth de Miribel, op.cit. p. 213-214.

    [12] Op. cit. p. 9.

    [13] Id. p. 66.

    [14] Id. p. 119.

    [15] Id. p. 282.

    [16] Id. p. 283.

    [17] Id. p. 288.

    [18] Id. p. 328.

    [19] Id. p. 245-246.

    [20] Cité par B. Dupuy, op.cit. p. 262.

    [21] Id. p. 218.

    [22] C'est ainsi qu'elle répond au vieux communiste Klaas qui s'étonne de son refus de la haine et y voit « un retour au christianisme » : « - Mais oui, le christianisme : pourquoi pas ? » (p. 218).

    [23] Cf Jean Dujardin, L'Église catholique et le peuple juif, Calmann-Lévy, 2003.

    [24] Id. p. 125-126.

    [25] Id. p. 168.

    [26] Id. p. 201-202.

    [27] Id. p. 344.

    [28] Le P. Dujardin le met en lumière de manière décisive et cite à ce propos une parole d'Hitler rapportée par Rauschning : « Les tables du Sinaï ont perdu toute validité. La conscience est une invention des juifs. Elle est l'équivalent d'une circoncision, d'une amputation de l'être humain. » op. cit. p. 47.

    [29] Cf. Cécile Rastoin, Edith Stein et le mystère d'Israël, Ad Solem, 1998, p. 97, note 9.

    [30] Cf. Vie d'une famille juive, p. 589, note 12.

    [31] Philibert Secrétan, « Trois juives dominées par la croix, Edith Stein, Etty Hillesum, Simone Weil », Choisir, mars 99, p. 5-11.

    [32] « Exaltation de la Croix, 14 septembre 1941 », in Source Cachée, p. 277-278.

    [33] p. 116.

    [34] Lettre du 6 août 1942 à Mère Ambrosia Antonia Engelmann, prieure du Carmel d'Echt. Cité par E. de Miribel, op cit. p. 215.

    [35] p. 242.

    [36] Cité par P. Lebeau, id. p. 65 (passage non repris dans l'édition française du Journal).

    [37] Source cachée est le titre choisi pour l’édition française des Œuvres spirituelles d’Edith Stein, Cerf 1999. La citation retenue ici figure p. 69.

  • Du nécessaire don de soi - de sa beauté

    Lien permanent

    1.jpg         À priori, le bon sens nous indique qu’une bonne politique économique devrait avoir pour objectif le développement harmonieux des familles. Pourquoi cette intention n’est elle pas audible ? Au contraire, les mêmes pertes de confiance, les mêmes peurs de « se faire avoir », semblent aujourd’hui brider l’engagement pour construire une famille et devenir entrepreneur ou acteur de la vie économique.

             La doctrine sociale de l’Église nous fait découvrir qu’il n’y a pas de famille sans vérité de l’amour et qu’il n’y a pas de vérité de l’amour sans don de soi. L’éros appelle l’agapè. De même, en matière de politique économique, l’exclusion du don et de la gratuité dans les échanges pour ne rechercher que le profit matériel et financier à tout prix aboutit à la crise annoncée que nous connaissons.

             Il y a une dynamique commune au développement de la famille et à celui d’une politique économique, c’est celle du don et du don de soi qui seule peut fonder la confiance. Mais cette dynamique elle-même a pour première cause la gratitude. Car non seulement il faut donner, mais il faut accepter de recevoir et donc accepter d’être conscient de ce que l’on doit. La famille est la première école du don car elle est l’école de la gratitude pour les dons reçus sans compter et sans aucun mérite.

    2.jpg         Au cœur de la famille se vit la première expérience de l’usage de toutes les richesses qui répondent aux besoins réels de l’homme et dont chacun est appelé à être le ministre de la communication universelle. C’est dans la famille que se vit d’abord la possibilité de transformation de « l’avoir » en « être davantage ». C’est donc dans la famille que s’apprend d’abord la création et l’échange des richesses qui sont l’enjeu d’une politique économique au service de tout l’homme et de tous les hommes et donc de la famille.

             Les missions, naturelles et surnaturelles, de la famille en tant que première société naturelle et Église domestique, révèlent à l’homme qui il est, quelle est sa vocation et donc le chemin du bonheur pour « être davantage », c’est-à-dire un mendiant et ministre du don, du pardon, de l’amour et de la miséricorde.

             Comment parler aujourd’hui de « Politique économique et famille » ?

             L’association de ces mots n’est-elle pas choquante ? D’un côté la loi du marché et les interrogations légitimes sur la manière d’en réguler la dureté, de l’autre la loi de l’amour et la tentation ou le devoir d’en reconnaître la réalité par la loi positive. Une politique, donc une hiérarchie de moyens ordonnés à un but et de l’autre le trésor d’une société et donc un bien commun capable de servir au bonheur de plusieurs personnes.

    3.jpg         Défenseur de la famille, vous vous dites peut-être qu’une politique relève du domaine public quand la famille est un espace de liberté privé et que si l’économie vit de l’échange des richesses mesurables qui ont un prix, la famille est le sanctuaire d’échanges qui n’ont eux, pas de prix.

             La signification même des mots employés, ne nous parle-t-elle pas d’une politique « Art de vivre ensemble », économique c’est-à-dire dont l’objet est « l’ordre ou la loi de la maison » et de famille ? Or comme les familles sont sources de prospérité pour reprendre la belle formule du Président de votre Académie, Jean-Didier Lecaillon, une politique économique raisonnée devrait faciliter la vie de chaque famille. Ce serait même son véritable « intérêt ». La logique de « l’utilité » est même imparable puisque le développement de la famille « fabrique » les agents économiques, producteurs et consommateurs sans lesquels la croissance n’est pas possible.

             Pourquoi donc si la conclusion s’impose au bon sens, est-il suspect et inconfortable pour un homme politique, pour un chef d’entreprise, pour un clerc voire pour un simple père de famille de revendiquer cette cohérence ? Il est vrai qu’au cours de l’année qui s’achève, le sentiment de frustration suscité par la crise qui frappe la société, le monde du travail et l’économie a augmenté. « Une crise dont les racines sont avant tout culturelles et anthropologiques », nous dit Benoît XVI, dans son message du 1er janvier 2012.

    4.jpg         Les réflexions de jeunes en classe préparatoire HEC m’ont invité à réfléchir sur ces sentiments de peur et de frustration qui brident aujourd’hui notre société. Je les avais interrogés sur les motivations qui les conduisent à investir deux à trois années de leur jeunesse dans une vie quasi recluse et sous haute tension. Vous pouvez imaginer les réponses : avoir de l’argent, avoir du pouvoir, pouvoir choisir son métier, pouvoir mieux servir la société, être heureux. Nous avons prolongé naturellement ce questionnement par une réflexion sur la vocation et le désir du bonheur. Je leur ai demandé ensuite ce dont ils avaient peur dans la vie. Chacun y allait de ses « j’aime pas » : manquer d’argent, la maladie, dépendre des autres, etc. jusqu’à ce qu’une jeune étudiante rallie l’adhésion de ses camarades en disant : « moi je n’aime pas me faire avoir ». J’ai demandé des exemples. Et tous les élèves de la classe ont voulu en donner en se référant à des expériences très personnelles associant déboires familiaux et professionnels survenus autour d’eux et très souvent dans leur famille pour justifier leur perte de confiance.

    5.jpg         Plutôt donc que de développer les interactions légitimes et fondamentales entre une politique économique et la famille, je soumets à l’expérience et à l’analyse de votre Académie deux perspectives anthropologiques susceptibles de nous aider à découvrir d’une part les fondations communes mais aussi les refus qui empêchent de mobiliser pour cette cohérence :

    1. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?
    2. Est-ce que cette dynamique pourrait fonder une politique économique au service du développement de toute la personne, à son « être davantage » ?
    3. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?

      1. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?

             Nous pouvons en être étonnés mais cette question a fait très précisément l’objet du premier livre Amour et Responsabilité de Mgr Karol Wojtyla futur Pape et bienheureux Jean-Paul II. Henri de Lubac[1] souhaitera dans la préface de l’édition française publiée en 1965 que l’« argumentation rationnelle » de Jean-Paul II puisse convaincre « bien des esprits sérieux, soucieux de fonder les relations du couple sur une anthropologie complète, cohérente et approfondie » et qu’elle rende « courage à beaucoup ». La logique de Jean-Paul II peut être décomposée en 4 points que je vous propose avant de les reprendre pour les développer :

    6.jpg         1.1. La vision utilitariste de l’amour instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme.

             1.2. Pour sortir de l’utilitarisme, pour ne pas « se faire avoir », l’amour appelle la réciprocité et la recherche du bien commun demandant le don de soi.

             1.3. L’institution politique et donc publique du mariage agit sur la conscience de ceux qui s’aiment et permet le « don de soi ».

             1.4. La famille est l’école de la gratitude, du don et du pardon au bénéfice de l’homme et de toute la société.

                      1.1. La vision utilitariste de l’amour instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme.

             Jean-Paul II a conduit une étude critique de la vision utilitariste de l’amour. Cette vision en effet met l’accent sur l’utilité de l’action. Alors la conséquence douloureuse et logiquement inévitable, quasi antithèse du commandement de l’amour est qu’il faut : « me considérer moi-même comme instrument et moyen puisque je considère ainsi autrui. »[2] Il sera possible d’harmoniser les égoïsmes de l’homme et de la femme dans le domaine sexuel en sorte qu’ils soient profitables l’un à l’autre mais cet amour partiel ne sera plus rien entre eux dès que finit le profit commun.

    7.jpg         Dés lors « Tout ce qui donne du plaisir et exclut la peine est utile, car le plaisir est le facteur essentiel du bonheur humain. Être heureux, selon les principes de l’utilitarisme, c’est mener une vie agréable […]. Dans sa formulation finale, le principe de l’utilité exige donc le maximum de plaisir et le minimum de peine pour le plus grand nombre d’hommes […]. Si j’admets les principes de l’utilitarisme, je me considère nécessairement moi-même comme un sujet qui veut éprouver sur le plan émotif et affectif le plus possible de sensations et d’expériences positives, et comme un objet dont on peut se servir pour les provoquer. Et je considère inévitablement de la même manière toute autre personne, qui devient ainsi pour moi un moyen servant à atteindre le maximum de plaisir […]. L’utilitarisme parait être le programme d’un égoïsme conséquent, d’où on ne peut passer à un altruisme authentique. »[3]

             La vision utilitariste de l’amour peut prendre la forme « rigoriste » (la seule finalité légitime du mariage est la procréation en vue de la continuité de l’espèce ; la recherche du plaisir et de la volupté est un mal nécessaire) où la forme « libidienne » (la seule finalité de l’impulsion sexuelle est la recherche de la volupté). Dans les deux cas, cela aboutit à une instrumentalisation de la personne qui n’est pas compatible avec sa dignité en la considérant seulement comme un « objet » utile, un « moyen » et en ignorant sa réalité de « sujet ». Cette instrumentalisation est à l’antithèse de l’amour.

    8.jpg                  1.2. Pour sortir de l’utilitarisme, pour ne pas « se faire avoir », l’amour appelle la réciprocité et la recherche du bien commun demandant le don de soi.

    Pour sortir de l’utilitarisme, « la seule issue de cet égoïsme inévitable est de reconnaître en dehors du plaisir, le bien objectif qui lui aussi, peut unir les personnes, en prenant alors le caractère de bien commun. C’est lui qui est le véritable fondement de l’amour, et les personnes qui le choisissent ensemble s’y soumettent en même temps… L’amour est communion de personne. »[4]

             Selon Aristote, « il existe diverses sortes de réciprocité et ce qui la détermine, c’est le caractère du bien sur lequel elle repose, et avec elle toute l’amitié. Si c’est un bien véritable (bien honnête) la réciprocité est profonde, mûre et presque inébranlable. Par contre, si c’est seulement le profit, l’utilité (bien utile), ou le plaisir qui sont à son origine, elle sera superficielle et instable… Si l’apport de chaque personne à l’amour réciproque est leur amour personnel, doté d’une valeur morale intégrale (amour-vertu), alors la réciprocité acquiert le caractère de stabilité, de certitude… Ceci explique la confiance qu’on a en l’autre personne et qui supprime les soupçons et la jalousie. Pouvoir croire en autrui, pouvoir penser à lui comme à un ami qui ne peut décevoir est pour celui qui aime une source de paix et de joie. La paix et la joie, fruit de l’amour, sont étroitement liées à son essence même. »[5]

    9.jpg         La seule manière d’avoir une relation avec une personne en respectant sa dignité de sujet sans l’instrumentaliser est de l’aimer c’est-à-dire de vouloir pour elle le plus grand bien. Il faut donc que l’impulsion sexuelle qui initie la relation amoureuse ne soit pas séparée du développement de la personne, des dimensions objectives de l’amour.

             Or « l’être humain est fait pour le don de sa personne. L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. »[6] La logique de l’amour trouve donc son achèvement et sa plénitude dans la réciprocité et le don de soi. L’attrait, l’impulsion sexuelle, l’affectivité, les sentiments amoureux, l’amour de concupiscence et l’amour de bienveillance, le plaisir et la tendresse sont transformés par le don de soi réciproque, définitif et total. Cette harmonie permet l’intégration d’un amour ordonné au bien de la personne libre, sans la réduire à un rôle subi « d’objet ». Dans le cadre du mariage la chasteté en « subordonnant le désir de jouir à la disposition à aimer dans toutes les circonstances »[7], protège la réciprocité fondée sur un bien commun « honnête » et donne la confiance, la paix et la joie.


    10.jpg                  1.3. L’institution politique et donc publique du mariage agit sur la conscience de ceux qui s’aiment et permet le « don de soi »

             Cette institution du don de soi réciproque, « amour sponsal », ce « bien commun », a besoin légitimement d’être reconnue en tant qu’union des personnes, par la société car l’amour a besoin de cette reconnaissance, sans laquelle il n’est pas complet. La reconnaissance par la société de cet engagement public définitif, est donc juste et nécessaire « de même que serait « conventionnel » de vouloir effacer la « différence de significations attribuées aux mots tels que « maîtresse », « concubine », « femme entretenue », etc. avec ceux d’ « épouse » ou de « fiancée » (du côté de l’homme les choses se présentent parallèlement). »[8]

             « Dans ce sens, l’institution du mariage est indispensable non seulement en considération des autres hommes qui constituent la société, mais aussi, et surtout, des personnes qu’elle lie. Même s’il n’y avait pas d’autres gens autour d’elles, l’institution du mariage leur serait nécessaire… Les rapports sexuels de l’homme de la femme exigent l’institution du mariage en premier lieu en tant que leur justification dans la conscience de ceux-ci… En effet : « les rapports sexuels en dehors du mariage mettent ipso facto la personne dans la situation d’objet de jouissance. Laquelle des deux est cet objet ? Il n’est pas exclu que ce soit l’homme, mais la femme l’est toujours. »[9]

    11.jpg         Cette logique de l’amour explique l’exigence de droit naturel en faveur du mariage monogamique et irrévocable (« on ne peut pas se donner à l’essai » dira Jean Paul II), seule institution d’intégration de l’amour en vue du bien commun pour fonder le don de soi et prévenir des drames humains de l’utilitarisme dans l’amour.

             Il est donc significatif et paradoxal, comme un besoin inscrit dans la conscience, que ceux qui se veulent les propagandistes de l’amour libre et considèrent en même temps le mariage comme une affaire privée, manifestent le désir militant de la célébration publique du mariage des divorcés ou celui des homosexuels. Ce combat nous révèle que l’institution du mariage agit en tant que justification des rapports sexuels dans la conscience des personnes. Preuve comme en négatif que dans sa conscience même blessée, toute personne a besoin d’une reconnaissance publique et en vue du bien commun de sa relation amoureuse pour savoir qu’il n’instrumentalise pas l’autre.

                      1.4. La famille est l’école de la gratitude, du don et du pardon au bénéfice de l’homme et de toute la société

    12.jpg         L’harmonie qui permet l’amour intégral, a pour moteur la recherche du bien de l’autre qui passe par une gratuité réciproque et le don de soi. Si bien que la famille, foyer du don réciproque des époux, devient pour la personne, le berceau de la vie humaine. Pour la vie en société la famille sera l’école du don et même du pardon, par l’exemple et l’expérience, en apprenant à être généreux, à recevoir et à donner sans compter.

             En effet, la gratitude pour le don reçu gratuitement, appelle naturellement la gratuité de la paternité, de la maternité et de la fraternité.

             Cette école du don est un droit de l’homme car il est le chemin du bonheur. Dans ce rôle d’Église domestique et de cellule de base de la société, la famille, selon Benoît XVI, est le lieu où : « les enfants et les adolescents, et ensuite les jeunes… apprennent le sens de la communauté fondée sur le don, non sur l’intérêt économique ou sur l’idéologie, mais sur l’amour, qui est « la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière. »[10] Cette logique de la gratuité, apprise dans l’enfance et dans l’adolescence, se vit ensuite dans tous les domaines, dans le jeu et dans le sport, dans les relations interpersonnelles, dans l’art, dans le service volontaire des pauvres et de ceux qui souffrent. Une fois assimilée, elle peut se décliner dans les domaines plus complexes de la politique et de l’économie, participant à la construction d’une cité (polis) qui soit accueillante et hospitalière, et en même temps qui ne soit pas vide, ni faussement neutre, mais riche de contenus humains, à la forte consistance éthique. »[11]

    13.jpg         En résumé de cette première partie, nous pouvons formaliser les points suivants :

    • le bien commun ne peut se réduire au bien utile et appelle le don de soi qui fonde la confiance réciproque et la paix,
    • la recherche du bien commun est nécessaire au développement de l’amour,
    • l’amour est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et peut seul transformer la relation entre les personnes pour prévenir toute instrumentalisation, pour ne pas « se faire avoir »,
    • l’institution publique du mariage monogamique et indissoluble est une nécessité pour prévenir les dangers de l’utilitarisme dans l’amour jusque dans la conscience,
    • la famille est l’école naturelle de la vie sociale et de l’apprentissage du don et de la gratuité.

    Ces conclusions, cette vision de la responsabilité de l’homme et de la famille nous permettent d’aborder la seconde question.

    1. Est-ce que cette dynamique, la dynamique du don, pourrait fonder une politique économique au service du développement de toute la personne, à son « être davantage » ?

    14.jpg         Dans Caritas in Veritate, Benoît XVI construit, comme en écho à la logique de Jean-Paul II du don de soi dans la famille, la logique de la nécessité du don et de la gratuité dans l’économie marchande. Logique que nous pouvons synthétiser en quatre points.

    1. La vision utilitariste de l’économie instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme. « Le profit est utile si, en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien quant à la façon de le créer que de l’utiliser. La visée exclusive du profit, s’il est produit de façon mauvaise ou s’il n’a pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté. »[12] [...] « Abandonné au seul principe de l’équivalence de valeur des biens échangés, le marché n’arrive pas à produire la cohésion sociale dont il a pourtant besoin pour bien fonctionner. Sans formes internes de solidarité et de confiance réciproque, le marché ne peut pleinement remplir sa fonction économique. Aujourd’hui, c’est cette confiance qui fait défaut, et la perte de confiance est une perte grave. »[13] 
    2. Pour sortir de l’utilitarisme réducteur, une politique économique doit favoriser la recherche du bien commun. « Il faut [… ] prendre en grande considération le bien commun. Aimer quelqu’un, c’est vouloir son bien et mettre tout en œuvre pour cela. À côté du bien individuel, il y a un bien lié à la vie en société : le bien commun. C’est le bien du ‘nous-tous’, constitué d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale. Ce n’est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien. C’est une exigence de la justice et de la charité que de vouloir le bien commun et de le rechercher. »[14]
    3. Dans les relations entre les personnes, pour ne pas « se faire avoir », pour être quelqu’un et ne pas être utilisé comme un objet, il faut pour cela le lien fraternel du bien commun. Les institutions et la politique économique doivent créer les conditions favorables de l’exercice de la justice et de la charité. « Œuvrer en vue du bien commun signifie d’une part, prendre soin et, d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement, et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la polis, de la cité. On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille davantage en faveur du bien commun qui répond également à ses besoins réels… »[15]
    4. Et donc : « Si le développement économique, social et politique veut être authentiquement humain, il doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression de fraternité. »[16] « [...] Le grand défi qui se présente à nous [...] est celui de montrer, au niveau de la pensée comme des comportements, que non seulement les principes traditionnels de l’éthique sociale, tels que la transparence, l’honnêteté et la responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale. »[17]

    1.jpg         Nous avons vu avec Jean-Paul II, comment le don de soi est nécessaire à l’amour humain dans la famille si chaque conjoint veut aimer en vérité et donc ne pas instrumentaliser l’autre. Ce don de soi est le fondement de la confiance qui dans la conscience des époux leur « prouve » que c’est bien la recherche d’un bien commun qui les réunit.

             Le don et la gratuité, comme expression de la fraternité, c’est-à-dire de l’amour fraternel, ne sont-ils pas la cause incontournable capable d’orienter une politique économique vers le bien commun ? Cette logique du don et de la gratuité, comme expression de l’amour fraternel, n’est-elle pas la fondation en vérité de la confiance dans l’échange même marchand ?

             Il semble que Benoît XVI, nous suggère la cohérence de cette logique mais sans doute au nom du principe de subsidiarité, nous laisse-t-il la responsabilité de la mettre en œuvre. À l’instar des chercheurs mobilisés par CapitalDon[i] et en particulier de ceux du GRACE (Groupe de Recherche sur l’Anthropologie Chrétienne en Entreprise), présidé par le professeur Pierre-Yves Gomez, il semble donc opportun pour comprendre la crise de se demander pourquoi le don et la gratuité semblent-ils exclus par l’économie contemporaine ?[18]

    2.jpg         Je vous propose de considérer en premier lieu quelles sont, dans l’économie marchande, les richesses à échanger pour répondre aux besoins réels des personnes et par quel système d’échange.

             Nous verrons ensuite que Benoît XVI nous assure qu’une économie ne peut être juste sans le don et la gratuité.

                      2.2 Quelles sont, dans l’économie marchande, les richesses à échanger pour répondre aux besoins réels des personnes et par quel système d’échange ?

             Si nous considérons l’économie et singulièrement l’économie de l’entreprise que je connais mieux comme un transfert de ressources (biens et services produits, informations et conseils, salaires, impôts, dividendes, etc.) entre les parties prenantes. La question économique classique est celle de l’évaluation de ces ressources transférées qui constitue un système économique. Sur la base de la recherche disponible, nous pouvons distinguer trois types d’évaluation :

    3.jpg

    1. l’échange évalué sur un « marché » (dont les définitions sont assez larges) et comptabilisable par un « paiement »,
    2. le don social, évalué par une série de dons et contre-dons qui créent du lien social tel que Marcel Mauss (et ses successeurs) l’a mis en évidence ;
    3. enfin le don libre (ou gratuit), sans contrepartie attendue et dont l’évaluation se fait à partir de la personnalité du donateur et selon des critères subjectifs et moraux (générosité, sacrifice, etc.).

             Le système économique permet des évaluations par le marché, les dons et contre-dons et les transferts gratuits. C’est cet ensemble qui permet de repérer la création de valeur dans une économie.

             Nous considérons que l’économie dominante réduit donc le système d’évaluation économique aux seuls transferts comptabilisables (ou qu’elle oblige à considérer tous les transferts comme « comptabilisables »). Or les organisations ne se résument pas à ces échanges marchands comptabilisés, mais elles intègrent aussi, d’une part des dons et des contre-dons destinés à « créer du lien social » et, d’autre part, des dons sans contreparties (le travail bien fait, l’encouragement et le soutien, le service rendu sans calcul et sans retour, etc.) qui contribuent à l’efficience concrète et à l’efficacité des entreprises. Une analyse réaliste doit donc tenir compte des modes d’évaluation propre à chaque type de transferts, l’ensemble formant la complexité d’une entreprise ou de l’économie dans son ensemble.

    4.jpg         Chaque transfert est, en effet, évalué selon des logiques et une efficacité qui lui est propre et c’est l’ensemble qui permet de définir la cohérence et la performance d’une organisation.

             L’échange marchand permet le transfert d’objets (produits ou services) dont la valeur est établie par un calcul explicite ou implicite. La réciprocité de l’échange est fixée et garantie par les normes sociales en cours.

             Par définition, ce que nous appellerons le don « social » a pour objectif principal de créer du lien social sur la base d’une évaluation bilatérale dans le cadre de normes sociales. Il est de bon ton de rendre une invitation etc. Mais la réciprocité est risquée (pas de retour) mais fait partie des normes sociales.

             Le don libre ou le don gratuit a pour objectif l’affirmation de son être et de son identité sur la base de critères personnels ou moraux. La réciprocité est incertaine, le donateur n’attend pas de retour direct du donataire. Il agit pour le bien de l’autre sans demander un retour.

    5.jpg                  2.3 Alors, une économie peut-elle être juste sans le don et la gratuité ?

             À l’article 1937, le Catéchisme de l’Église Catholique cite les Dialogues dans lesquels le Christ dit à Sainte Catherine de Sienne : « Je ne donne pas toutes les vertus également à chacun... Il en est plusieurs que je distribue de telle manière, tantôt à l’un, tantôt à l’autre... A l’un, c’est la charité ; à l’autre, la justice ; à celui-ci l’humilité ; à celui-là, une foi vive... Quant aux biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres... J’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi. »[19]

             Il ne peut y avoir une politique économique juste ni de système d’échange juste sans la charité puisque l’égalité de l’avoir que Dieu n’a pas voulu, a pour intention de rendre la charité nécessaire.

    6.jpg         Il faut donc que le don et la gratuité fassent partie des échanges de l’économie marchande si l’on veut que cette économie soit juste. Sans la gratuité, on ne parvient même pas à réaliser la justice.

             « Si hier on pouvait penser qu’il fallait d’abord rechercher la justice et que la gratuité devait intervenir ensuite comme un complément, aujourd’hui, il faut dire que sans la gratuité on ne parvient même pas à réaliser la justice. [...] La charité dans la vérité, dans ce cas, signifie qu’il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier le profit, entendent aller au-delà de la logique de l’échange des équivalents et du profit comme but en soi. »[20]

             Benoît XVI va expliciter l’urgence de cette nécessité dans son message pour la paix du 1er Janvier 2012 :

    « Dans notre monde où la valeur de la personne, de sa dignité et de ses droits – au-delà des déclarations d’intentions – est sérieusement menacée par la tendance généralisée à recourir exclusivement aux critères de l’utilité, du profit et de l’avoir, il est important de ne pas couper le concept de justice de ses racines transcendantes. La justice, en effet, n’est pas une simple convention humaine, car ce qui est juste n’est pas déterminé originairement par la loi positive, mais par l’identité profonde de l’être humain. C’est la vision intégrale de l’homme qui permet de ne pas tomber dans une conception contractuelle de la justice et d’ouvrir aussi, grâce à elle, l’horizon de la solidarité et de l’amour.

    7.jpg         Nous ne pouvons pas ignorer que certains courants de la culture moderne, soutenus par des principes économiques rationalistes et individualistes, ont aliéné le concept de justice jusque dans ses racines transcendantes, le séparant de la charité et de la solidarité : « la cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité manifeste toujours l’amour de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle donne une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour la justice dans le monde. »

             Conclusion

             Nous savons que c’est la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs qui est devenue la pierre d’angle.

             L’utilitarisme a conduit notre société à rejeter le don de soi comme fondement de l’amour qui choisit librement le bien commun de la famille. Jean-Paul II nous fait découvrir qu’il en est la pierre d’angle. Sans le don de soi, l’amour et la famille s’écroulent.

    8.jpg         L’avidité matérialiste des bâtisseurs de l’économie a réduit les échanges aux richesses qui ont une valeur financière. Ils ont rejeté le don et la gratuité de leur politique, de leur art de vivre ensemble. Benoît XVI nous invite à ramasser cette pierre pour en faire la « pierre d’angle ».

             Sans le don et la gratuité, la politique économique est dans une impasse. Elle a réduit son champ d’action à celui du profit financier, curieusement, il ne lui reste plus que les dettes financières des États.

             En ces temps de crise où l’avidité mauvaise conseillère semble avoir, par la mauvaise dette, mis en panne le moteur de l’économie, ne serait-il pas juste de refonder aussi la confiance dans l’économie sur le don ?

             Permettez–moi alors dans cette conclusion d’ouvrir une autre perspective qui associe plus encore le destin de la famille et celui d’une politique économique. Car si politique économique et famille ont le don pour vrai moteur, la famille a une mission particulière pour que l’échange soit possible : nous apprendre à recevoir gratuitement !

    9.jpg         Au fond de son cœur en effet, tout homme fait l’expérience de la joie du don.

             Mais il n’a pas confiance que cela soit possible, il n’y croit pas. Pourquoi ?

             Donner, peut-être et souvent oui, pourquoi pas !

             Mais recevoir ? Recevoir par nécessité ? Recevoir sans pouvoir rendre ? Sans jamais être quitte ? Devoir la vie, devoir ce que l’on sait, devoir ce que l’on aime sans aucun mérite de sa part, voilà l’inacceptable des indignés de notre temps.

             Toute l’énergie culturelle, politique et sociale est mobilisée pour que nul n’ait le sentiment de devoir quelque chose à quelqu’un, ni à ses parents qui m’ont fait par plaisir et pour eux, ni à ses frères et sœurs, ni à ses amis qui cotisent à la solidarité sociale, ni à son patron qui fait de l’argent sur notre dos, ni à ses professeurs qui sont au service du pouvoir politique, ni à sa patrie, etc.

             Nous sommes devenus des individus qui ne veulent rien devoir à personne, même pas à Dieu. Nous avons des droits pas des dettes ! Nous voulons être justes mais ne jamais demander pardon. Bénéficier de la solidarité sans visage, oui, si c’est d’un acteur impersonnel dont nous ne pouvons croiser les yeux, une abstraction, la caisse de sécurité sociale, de chômage, l’État, etc.

    10.jpg         Benoît XVI, à l’opposé de la culture ambiante, nous fait découvrir dans Deus Caritas Est que « Pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi mais moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne. »[21] La famille fondée sur le don réciproque des époux, devrait être la société naturelle qui peut nous faire expérimenter la joie de recevoir gratuitement sans nous humilier. La famille est la société « prototype » capable de transformer l’avoir en « plus d’être », qui donne la vie et conduit la personne au-delà du cercle étriqué de son moi, qui « l’éduque en vue du bien commun ».

             De cette certaine manière, la famille fondée sur le don de soi devient sacrement c’est-à-dire signe visible de l’amour de Dieu capable de transformer la nature blessée de l’homme. La famille chrétienne participe ainsi à la mission de l’Église qui s’adressant à tous les hommes, nous dit : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ?
    Écoutez-moi donc : mangez de bonnes choses, régalez-vous de viandes savoureuses ! Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez
    … »[22]

    11.jpg         C’est ainsi que la famille peut révéler à l’homme qui il est : « Ce qu’il a, il le doit », et fonder la confiance pour la vie, à commencer par la confiance en soi parce que l’on sait que l’on est aimé gratuitement. Même si la participation de chacun par son travail au regard de ses talents est nécessaire, chaque homme est un pauvre, riche de dettes.

             C’est la gratitude qui fait l’homme. C’est dans la famille que tout homme peut apprendre à recevoir gratuitement sans en être gêné. C’est donc la famille qui peut faire expérimenter aux hommes la confiance dans l’autre et le moteur nécessaire dans les échanges au service de l’homme : la gratitude et le don. « Ce que vous avez reçu gratuitement donnez le gratuitement ».

             Ce n’est pas la loi du marché qui peut seule créer la vraie richesse, elle a aussi besoin de la loi du don qui n’humilie pas.

             Il faudra ensuite à l’homme toute une vie pour accepter de se présenter les mains vides et devenir mendiant du don gratuit, mendiant du pur amour sans crainte de « se faire avoir ». La famille, Église domestique, participe naturellement à cette révélation de la miséricorde.


             Une politique économique raisonnable s’attachera donc en priorité à donner à la famille la liberté d’être pour tous les hommes le foyer naturel de l’amour, de la confiance et du « don ».

             Dans un monde ou chacun a peur d’être « utilisé », de « se faire avoir », la famille a le secret de la confiance pour nous « faire être » pour l’éternité.

     


    bruno de saint chamas,Écologie humaine,politique,économie,famille,transmission,éducation,foi,christianisme,conscience,sandrine treuillardBruno de Saint Chamas

    Délégué général de CapitalDon,
    Président d'Ichtus

     
    Initialement publié sous le titre 
    Politique économique et famille
    sur le site de l’A.E.S. 
    (Académie d’Éducation et d’Études Sociales)
    le 5 mars 2012.

    Sur ce lien La Vaillante vous invite à lire l’échange de vues à la suite de l’exposé de l’auteur.

     

    12.jpg[i] CapitalDon Un fonds au service du don dans l’économie, destiné à promouvoir la force vertueuse de la gratuité et du don dans les pratiques économiques, une initiative pleine d’une espérance prophétique ». Ce Fonds de dotation est une initiative de Pierre Deschamps. 

    [1] Henry de Lubac sj – expert au concile Vatican II - 1896 -1991, théologien catholique et cardinal français.

    [2] Amour et Responsabilité, p. 31

    [3] Ib., pp. 27-29

    [4] Ib., p. 30

    [5] Ib., p. 79

    [6] Gaudium et spes

    [7] Amour et Responsabilité, p. 158

    [8] Ib., p. 207

    [9] Ib., p. 208

    [10] Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [11] Benoît XVI, Zagreb, 4 juin 2011

    [12] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 21

    [13] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 34

    [14]
    Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [15] Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [16] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 34

    [17] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 36

    13.jpg[18] Pourquoi le don et la gratuité semblent-ils exclus par l’économie contemporaine ?

    L’économie telle qu’elle est enseignée et étudiée aujourd’hui est supposée ne concerner que les échanges marchands comptabilisés entre les acteurs.

    Les notions de don et gratuité sont exclues de l’économie par définition et renvoyées dans le registre du social ou de la morale. Il n’y aurait donc d’économie que marchande. Or cette affirmation devenue pensée dominante pose un certain nombre de problèmes… à l’économie elle-même. Elle ne tient pas compte d’une partie importante de l’activité économique réelle comme la constitution de réseaux, la communication d’information, l’apprentissage ou la créativité entrepreneuriale etc..

    Au plan anthropologique, « l’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa nature de transcendance. L’homme moderne est souvent convaincu, à tort, d’être lui-même le seul auteur de lui-même, de sa vie, de la société. » L’enseignement social de l’Eglise souligne ici un constat universel et qui dépasse toute référence confessionnelle : donner et recevoir sont des caractéristiques anthropologiques fondamentales qui constituent aussi bien l’ordre social que la place de la personne dans la société. Inclus dans des relations sociales interpersonnelles, l’être humain participe mais aussi se réalise pleinement en transférant régulièrement des ressources sans contrepartie évaluées par un échange marchand : par exemple des connaissances, des informations, des expériences, des conseils, des services et des biens utiles aux autres sans qu’un prix soit attaché au transfert.

    De nombreux travaux en anthropologie, en psychologie et en sociologie ont ainsi mis en évidence que le don et le transfert gratuit structurent non seulement la société mais aussi la personnalité humaine.

    Peut-on dés lors considérer que l’entreprise, qui est une organisation sociale centrale dans nos société, échappe seule à cette logique ?

    [19] CEC, 1937 : S. Catherine de Sienne, dial. 1,6

    [20] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 38

    [21] Benoît XVI, Deus Caritas est - 34

    [22] Is., 55, 1-3

     

    J'ai donné ces images en lancette,

    extraites de la vidéographie La partiton (the score),

    que vous pouvez regarder & écouter sur YouTube, ci-dessus.

    Avec une musique à l'accordéon interprétée par le grand Stefan Hussong.

    Sandrine Treuillard, pour Bruno de Saint Chamas & La Vaillante.

     

     

     

     

  • Le droit d'euthanasie aux mineurs signe une forme d'abandon & assombrit d'une mort symbolique le lien filial & social

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    Je m'interroge quant au fait que des jeunes de 12-17 ans auraient potentiellement la maturité de discernement et seraient en état de conscience suffisant pour décider de façon éclairée de se laisser euthanasier en cas de maladie incurable.

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                Même à l'âge présumé dit adulte, un jeune n'a pas fini de se construire. Un jeune ayant tout juste atteint l'âge adulte, se montre encore dépendant – à juste titre – de l'avis des adultes plus âgés que lui. Son autonomie de pensée se fortifie tout en restant relative. Elle se révèle encore dans une dépendance avec la génération qui le précède. Le jeune de 18 ans, et au-delà, reste influençable et dans la plupart des cas appréciera volontiers de s'appuyer sur « plus grand que lui » dans les décisions importantes de sa vie. Il a encore besoin d'être guidé, cadré, conseillé. Que dire alors de la maturité de discernement d'un mineur d'âge ?!

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Les partisans de la « bonne mort » à élargir aux mineurs ont-ils réfléchi aux conséquences d'un tel choix qui deviendrait accessible aux 12-17 ? Le poids de responsabilité psychique, éthique – et spirituel, pour peu que l'on admette l'intervention de cette dimension dans ce débat – chargerait lourdement ces jeunes épaules en leur induisant l'idée d'un « droit » à mourir. Prétendre que ces jeunes mineurs à peine sortis de l'enfance ont soit la capacité de décider s'ils veulent continuer à vivre jusqu'au bout de leur maladie invalidante, soit d'en finir et ce, en en mesurant lucidement les conséquences, m'apparaît non seulement grave mais est également un leurre. J'y vois un risque d'amplification de la souffrance et de majoration de la tension déjà naturellement liée à l'épreuve de la maladie ou du handicap.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Plus profondément, quelle déresponsabilisation, voir décharge, de la part des adultes ! J'y perçois un phénomène de grave démission, révélateur d'une société en perte de repères, de courage et de force face à l'épreuve ultime : celle qui confronte à la peur de la souffrance et au final à la peur de la mort. Octroyer le droit d'euthanasie aux mineurs d'âge signe une forme d'abandon psychique de l'adulte face au jeune. Il assombrit d'une mort symbolique le lien filial et social.

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                L'enfant ou le jeune pourrait-il moins considérer la maladie en soi comme catastrophique que de ressentir et souffrir de la fragilité du lien vécu avec son entourage ? Mon expérience de psychothérapeute me fait dire que la relation aux adultes insécurisés est inconfortable pour le jeune enfant/adolescent et peut devenir anxiogène ; voire également se révéler source de dépression précoce. Les enfants comme les ados encore en pleine croissance ont tendance à capter finement l'atmosphère sensible de l'environnement familial et social. Ils ne savent pas toujours qu'en faire. Ils sont tout à la fois en recherche d'eux-mêmes et aspirent à s'extraire de la dépendance à l'adulte, et tout à la fois encore soumis au souci d'appartenance. « Si je corresponds à, je fais partie de ; si je fais et suis comme, je suis rattaché à... ». Ambivalence peu confortable, normale cependant à ces âges à la fois fougueux et vulnérables.

                À supposer que certains adultes restent submergés par leurs propres émotions, par un sentiment d'impuissance et de détresse, par l'appréhension ressentie quant à la réalité d'un avenir devenu incertain pour leur enfant malade, cela touche et atteint sensiblement cet enfant. Déjà vulnérabilisé par sa maladie ou son handicap, il peut ressentir à fleur de peau l'état psychique du parent ou du corps médical en difficulté. Cette potentielle charge supplémentaire peut réduire sensiblement la capacité de discernement du jeune dans le débat qui nous préoccupe.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Par ailleurs, un adolescent qui se sent abandonné par les adultes à l'idée de la mort, ceci dans la force de vie qui lui reste tant qu'il est vivant, peut aussi en être profondément atteint dans son estime de soi, dans sa dignité, dans son droit et son désir de vivre. Il pourrait se sentir intimement et essentiellement blessé dans le lien qu'il espère vivre dans un attachement solide et fidèle d'amour donné et reçu, jusqu'au bout de l'épreuve.

                Un enfant mineur est-il donc en mesure de « discerner, pleinement et raisonnablement » s'il désire mourir ?

                Il me semble nécessaire d'envisager la perspective qu'il peut exister chez certains jeunes de vouloir préférer démissionner de la vie davantage à cause du poids et de la douleur qu'ils ressentent autour d'eux, qu'à cause de leur propre maladie ou de leur situation médicale invalidante.

                Excluant la pathologie psychique, un enfant, un jeune, désire plutôt vivre que mourir.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Un jeune adolescent n'a pas encore une claire idée de ce que c'est que d'être adulte. Ses projets sont à une autre échelle que ceux que ses parents projettent éventuellement sur lui. Ceux-ci évaluent avec une conscience différente la perspective interrompue d'un potentiel de croissance qu'ils espéraient, selon leurs critères, voire évoluer vers de l'expansion plutôt que vers une extinction.

                Si le jeune est ou devient limité par le handicap ou la maladie, il peut arriver que celui-ci l'envisage avec moins de gravité que ne le ferait l'adulte. Le jeune enfant ou l'adolescent sera par contre très sensible à la façon dont les autres considèrent son état physique ainsi qu'aux pensées projectives de son entourage sur lui.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Dès lors il y a lieu de se poser la question dans le cas où un jeune mineur demanderait à mourir, s'il le demande pour lui ou pour ne plus peser sur l'entourage. « Cela fait trop mal à papa, à maman... j'aime mieux m'en aller ». Il y a ceux qui le diront, et ceux qui le penseront secrètement sans pouvoir le dire. Dire « vouloir mourir » veut également souvent dire « je ne veux plus ressentir cette souffrance » – morale ou physique. Les témoignages des soins palliatifs attestent de réponses autres que la mort à offrir aux personnes sombrant dans de tels épanchements, ô combien compréhensibles. Il est urgent de promouvoir une façon de vivre en société qui humanise et (re)donne une place à la souffrance et à la mort. Ceci, autrement qu'en accélérant voir qu'en forçant la fin de vie. Il n'y a par ailleurs pas à blâmer les parents qui perdent pied devant la souffrance ou l'état critique de leur enfant. La détresse, la révolte et le sentiment d'impuissance sont à entendre, à reconnaître et à panser d'un soin compétent et attentionné. Il y a lieu de chercher à intégrer la réalité de toute souffrance au cœur même d'un lien d'amitié, d'amour et de soutien. Dans sa particularité, ce lien est à tisser et à toujours recréer autour de la personne malade qui cherche avant tout à être rejointe. L'amour échangé ne meurt pas : il circule et grandit. Il n'est tenté ni de faire mourir ni de mourir.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Il s'agirait donc moins de chercher à tuer la souffrance en tuant la personne et avec elle le potentiel d'amour qu'il resterait à s'échanger, qu'à apprivoiser et à assumer l'inconfort de ce qui fait mal. Ceci, au cœur d'une relation nourrissante et privilégiée investie avec la personne malade. Ce qui participe à donner force de vie, c'est de se sentir rejoint, compris, tendrement aimé. C'est la qualité du lien mis en chantier dans la relation qui fait fleurir le goût de la vie plus que celui de la mort. Parce que créer du lien et être dans un lien authentiquement édifiant avec l'autre régénère et offre sa part de sens à la vie. Toute personne – enfant, jeune, adulte, vieillard – est un puits de découverte de la naissance à la mort, si l'on cherche à la rencontrer dans son être essentiel qui « parle » jusqu'au cœur du silence et de la tourmente. C'est interpellant d'entendre de jeunes enfants révéler des trésors de réflexion, de simplicité et de profondeur dans des situations d'extrêmes épreuves. « Mais je danse moi, mais je vis ! », disait une petite fille atteinte d'un mal incurable.


    Anne Schaub-Thomas

    Psychothérapeute

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité
    Retrouvez cet article sur la page enrichie Euthanasie & Dignité humaine

     

    Article publié originellement sur euthanasiestop.be, le 10/12/2013, sous le titre :
    Le droit à l'euthanasie devrait-il s'étendre aux moins de 18 ans ?


    Photographies :
    Flash Mob Alliance Vita mars 2012
    Soulager mais pas tuer.org

     

  • "En fait d’impressionnabilité l’enfant, l’artiste et le saint sont frères" Méditation de la citation de Édith Stein

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    La notion d’Écologie Humaine attire à elle celle, primordiale et fondatrice, de l’intériorité. La vie intérieure de l’être humain est l’espace-temps par lequel il va s’accroître et grandir. C’est l’expérience de soi en soi au sein du monde. Plus il y sera attentif, plus il s’affinera dans sa manière d’être librement au monde et plus il s’y réalisera en phase avec ce qu’il est profondément. Plus il saura visiter la petite cellule qui est en lui, plus il sera plein d’une force sereine qui rayonnera de lui et se propagera sans effort, naturellement. La petite cellule en soi est une chambre des délices[i].

    « En fait d’impressionnabilité l’enfant, l’artiste et le saint sont frères. » ÉDITH STEIN

     

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    TENDRE À UNE DÉFINITION DE L’IMPRESSIONNABILITÉ 

    IMPRESSIONNABILITÉ : vulnérabilité, faculté de se laisser traverser, de se laisser affecter par l’altérité du monde.

    L’être est ouvert à plus grand ou plus petit que lui. Forme de curiosité questionnant le monde, l’extérieur à soi, l’autre. Quête de l’Autre. L’impressionnabilité est une manière d’être en devenir. Une manière de se laisser advenir ; de naître à soi-même par ce qui est extérieur à soi ; de se laisser visiter par l’Autre.

    L’être comme un lieu en soi où, telle une pellicule sensible se laissant impressionner accueille ce que le monde imprime en lui, acquiesce à la coloration qu’il va tracer sur lui, s’en laisse modifier, altérer.

    L’impressionnabilité est un acquiescement à l’altération du monde sur soi, en soi.

    C’est par le jeu pour l’enfant qui rêve tout en jouant, babillant, se racontant des histoires, chantonnant, dansant… ;

    C’est par la création pour l’artiste qui reçoit, se nourrit autant qu’il donne à percevoir le résultat des énergies qui l’ont traversé ;

    C’est par l’oraison pour le saint, qui accompagne toutes ses activités, que ce soit dans le travail, ses relations à autrui, aussi bien que dans sa pratique de la lectio divina (oraison, méditation, contemplation) lecture sainte des religieux.

    Ce qui rend frères l’enfant, l’artiste et le saint est cette attitude de prière étendue à la matérialité du monde, à la relation à l’autre, dans les activités quotidiennes. L’incantation permanente et secrète au creux de soi, où que l’on soit, quoi que l’on fasse.

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    LE SYMBOLE FONDE L’HOMME

    Ce qui fonde l’homme, la nature humaine, c’est sa faculté à susciter du symbolique. Le repère dans la relation à l’autre est symbole. Parce que l’individu est individe, qu’on ne peut le diviser sans porter atteinte à son intégrité vitale, la dimension symbolique est présente à l’homme dès le commencement de sa vie et jusqu’à son terme. C’est d’abord une manière d’être avec sa propre solitude d’individu, être individe. 

    L’homme est l’être de la reconnaissance par excellence. Reconnaissance de soi par autrui, reconnaissance d’autrui, de ceux qui lui font du bien, qui lui ont donné la vie, reconnaissance mutuelle de ceux qui l’aiment et avec lesquels il entre en relation, reconnaissance qui s’exprime aussi, comme à son sommet, dans la possibilité de donner à son tour de soi, de laisser des traces constructives et épanouissantes de soi dans le monde. La quête de reconnaissance est inhérente à l’homme. Il est aussi un être de la louange, capable d’exprimer la gratitude profonde une fois qu’il a éprouvé pour lui-même la joie d’être accueilli pour ce qu’il est, reconnu, né à nouveau dans le regard de l’autre. 

    Le symbole est le vecteur, le véhicule du caractère exclusivement humain de l’homme. C’est la figure, l’objet, la forme, le dessin, l’image, le mot, la parole, la lettre, la métaphore, le geste… mis en circulation, mis en situation de partage, d’échanges entre les enfants, entre les adultes, entre les enfants et les adultes. Entre l’homme et le grand Autre. Ce peut être & devrait être d’abord un rapport à sa propre solitude. Le symbole est ce par quoi se reconnaît la faculté de l’homme à l’être. L’homme est un être de la relation, de la communication, du rapport à l’altérité. Le jeu, le rêve, la rêverie ; le rêve nocturne, le songe, la pensée, la création ; la prière ; toutes les disciplines du travail humain depuis l’artisanat jusqu’aux métiers ayant trait à l’économie, à la finance, au droit, en passant par les professions de santé et du social, ceux de la culture, de l’éducation et de l’enseignement ; et même au sein de la misère sociale, de l’indigence matérielle la plus dégradée, l’homme a encore et toujours ce besoin de relation a plus grand et plus petit que soi, et de matérialiser par des voies symboliques ce fait-là d’être là, un homme au monde dans toutes les situations concrètes qu’il présente de façon incessamment renouvelée. Depuis sa geôle ou sur un trône, seul ou accompagné, en activité ou privé d’activité, la première faculté de l’homme, parce qu’il a soif de relation, est de fabriquer malgré lui du symbolique, de rechercher le lien à l’altérité du monde. C’est par cela qu’il est homme et qu’il existe. Il cherche cette part de lui-même, il s’adresse à l’altérité qui est en lui ; il rêvera, écrira, pensera, parlera, jouera, même seul. Dans la petite cellule en soi, l’homme appelle sans relâche. 

    « Le cœur des petits enfants n’a-t-il pas été créé pour prier, pour aimer ? Pourquoi en est-il si peu qui prient ? Pourtant, la prière des enfants est toute puissante. Rien de plus beau n’est monté à Dieu que la prière des enfants. Plusieurs enfants réunis dans la prière font pour le Ciel des choses merveilleuses. Ô mères ! Faites aimer la prière à vos enfants et Dieu trouvera sa gloire en vous. Soyez certaines que les anges prient au milieu des enfants et demandent avec eux. » MARTHE ROBIN

                Notre société actuelle ruine le symbolique. Elle s’y attaque, mais s’y achoppe. On ne peut retirer à l’homme sa manière d’être qui est toute profondeur. L’impressionnabilité d’Édith Stein est fort mise à mal. Elle est malmenée, utilisée, manipulée, orchestrée, blessée, violée, bafouée ou tout simplement niée. Le nihilisme totalisant dénie le besoin qu’a l’homme du symbolique, le contraignant par cet acte à se plier à ses idéologies, à ses visées néfastes de domination mortifère, bref, à l’avilissement de la nature humaine pour continuer à dominer les masses, les individus ainsi dénaturés. Ce pouvoir utilise aussi, cependant, des armes pleines de symboles qui déracinent l’individu, le privent de la relation vitale à sa vie spirituelle, dénigre l’existence de ce besoin primordial. Bref, divise l’individu en son cœur même, s’introduit en lui pour le briser, le déraciner. Dès que l’enfant à accès aux écrans de toutes sortes (voir le nourrisson en situation devant un écran), son impressionnabilité est alors très vite mise en danger et pervertie.

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    PRENDRE SOIN DE L’IMPRESSIONNABILITÉ

    Considérer chaque individu comme un être porteur au fond de lui comme d’une sorte de chambre obscure, une camera oscura, la chambre photosensible, la cellule intérieure par une petite ouverture de laquelle le monde extérieur figuré par des rayons de lumière va impressionner la pellicule sensible, cette peau interne tapissant les parois de la chambre de l’être. Le lieu en soi, éminemment intime, est visité par les rais de lumière provenant de l’extérieur, qui impriment en lui des impressions de toutes natures. C’est dans cette cellule intérieure exposée à la lumière, ce lieu en soi tout monastique (monos : un seul), à la configuration si unique & particulière bien que présente en chacun universellement, que va se former la relation symbolique au monde, à l’altérité. Il faudrait pouvoir agir avec cette chambre intérieure comme se tenant aux abords d’un sanctuaire. Porter une attention toute spéciale à ce lieu présent dans chaque individu comme s’il s’agissait d’un sanctuaire. Avec discrétion, tact et délicatesse. Sans en forcer l’entrer. Rester en relation avec l’autre c’est respecter cette frontière, cet espace intime vital, ne pas franchir cette zone par la force, ne pas transgresser la limite, mais progresser dans la relation d’altérité, proposer son altérité, l’exposer doucement, et laisser l’autre s’y ouvrir en tout désir, en toute liberté, dans l’acquiescement libre au mouvement du partage. La lumière au seuil du cœur de l’autre, l’ouverture du diaphragme doit pouvoir se faire librement, le diamètre de l’opercule laissant les rais lumineux investir ce lieu interne, pouvoir être modulé sans contrainte extérieur. C’est cela se laisser impressionner. Comme le papier reçoit l’encre des lettres. Comme la pellicule photosensible est exposée à la lumière de façon dosée. 

    L’impressionnabilité chez l’enfant, l’artiste ou le saint est cette attitude toute priante dans sa relation avec l’extérieur, au monde extérieur à soi, à l’altérité du monde. Ce monde comprend les différentes perceptions sensibles que l’on en a, les mouvements, les lumières, les ombres, les procès (au sens de processus), toutes les choses physiques et matérielles qui sont aussi gouvernées par du symbolique, du fait même que le regard de l’être humain est pétri par la quête de l’altérité. Ce regard de l’être humain est à la fois ancré dans l’être et dans le devenir permanent. Le symbolique est en devenir permanent. C’est un langage animé, vivant. Le besoin de relation de l’homme est intégral, absolu. Un bébé laissé à lui-même meurt, même s’il est nourri par des automates. J’ai besoin de la cellule sanctuarisée de l’autre pour vivre. Que je sois enfant, artiste ou saint. Bref, homme tout simplement. C’est la quête de ma vie : me laisser impressionner par la bienveillance du monde extérieur à moi. Et, cette lumière ayant déposé des traces en moi, en restituer les fruits inouïs, inédits, spécifiques à ce que je suis, ce qui relancera ma relation, le dialogue que j’établis avec le monde, l’enrichira et le fera progresser en humanité. 

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    APPRENDRE À RECONNAÎTRE LE SANCTUAIRE DE L’ÊTRE

    La tâche de l’Écologie Humaine en art et culture est d’apprendre à reconnaître ce sanctuaire de l’être où tant de phénomènes exclusivement humains ont lieu, à le connaître, à le préserver. Permettre à chaque individu désireux de vivre en vérité ce qu’il est au fond de lui-même, cet être de relation bienveillante envers soi-même et le monde.

    Avant d’être une pratique, l’art est une manière d’être, comme être enfant en est une, comme être saint en est une autre, avec des pratiques spécifiques nourrissant ces manières d’êtres.

    La pratique de l’art est d’abord une manière d’être et d’agir avec son espace sacré intérieur dans la relation à l’autre, au monde et à soi. L’Écologie Humaine est ce lieu symbolique de partage d’expériences ou pourra s’apprendre à repérer cet espace en soi & à l’aimer ; à le laisser interagir avec autrui & son environnement. Cette cellule sanctuarisée de l’homme est le cœur où s’agitent les énergies créatrices, la chambre secrète dans laquelle s’inscrivent les représentations, les relations au monde, qui seront restituées, comme traduites, dans la manière d’être au monde de chaque individu : individe, unique, précieux et sacré.

     

    SANDRINE TREUILLARD


    16 juin 2013
    pour L’ECOLOGIE HUMAINE
    rubrique Art & culture

     


    i « La petite cellule qui se souvient est une petite chambre des délices. » Geoffroi de Vinsauf, en 1210 environ in « POETRIA NOVA », « en ces temps où la longue tradition de méditation touchait à sa fin » écrit Mary Carruthers dans son ouvrage « MACHINA MEMORIALIS - MÉDITATION, RHÉTORIQUE ET FABRICATION DES IMAGES AU MOYEN ÂGE »

     

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    Sandrine Treuillard

    Née en 1974 à Orléans. Diplômée des Beaux-Arts de Bourges (1995) puis de Lyon (1999). Formation typographique & pao à l’Imprimerie Nationale (2001). Porte 34 est son lieu de vie et de travail (écriture, photographie & vidéographie), rue Étienne Marey, Paris 20ème de 2002 à 2009.

    Correspondances : 1998-2005 avec l’éditeur & commissaire d’exposition bernois Johannes Gachnang. - 2006-2008 avec l’écrivain Pascal Quignard. - 2002-2004 Assistante de l’artiste vidéaste Joël Bartoloméo. - 2004 Voyage à Naples : Carnet de voyage photos mailé. - 2005 Performance à Marseille, exposition à La Friche La Belle de Mai, avec Les Instants Vidéo. - 2006 Commence ses productions en vidéographie. Les Instants vidéo, Côté Court, Traverse Vidéo et Imagespassages sont les festivals qui diffusent ses travaux. - 2008 : Naissance du blog MACHINA PERCEPTIONIS & nouveau voyage à Naples & en Sicile - 2010-2011, travaille le rapport de la vidéographie avec la musique contemporaine des accordéonistes Stefan Hussong & Teodoro Anzellotti. - Été 2012 : création de l’entreprise GRAPHISMISENPAGE - Création & animation du blog La Vaillante - Paroles de fond & de veille au service de la vie dans la société française_Post 13/01/2013  

  • Quand on n’a que l’amour et qu’on ne peut pas avoir d’enfant, on est autorisé, aujourd’hui, à en programmer un qui sera arraché à sa mère dès la naissance

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    AC Venot 1 - 18 juin 2015.jpg         Quand on n’a que l’amour et qu’on ne peut pas avoir d’enfant, on est autorisé, aujourd’hui, à en programmer un qui sera arraché à sa mère dès la naissance. Tout se passera bien pour cet enfant, on lui expliquera tout : ton papa et ta maman, ou tes deux mamans, ou tes deux papas, ne pouvaient pas te concevoir. Alors ils ont loué une dame très gentille qui avait des enfants et ils sont  allés te chercher très loin pour te ramener chez eux. Quand on n’a que l’amour… Et puis le petit bébé va grandir, il va demander qui est sa maman, et réaliser qu’il a deux ou trois mamans : mais alors qui est ma vraie maman ?

             Alors j’ai été abandonné ? Alors vous m’avez négocié, fabriqué, trié, acheté ? Pas de problème, dites-vous, quand on a que l’amour, on sait expliquer… c’est moi, ta vraie maman : moi qui avait l’intention de t’avoir ! Oui mais, à qui je ressemble ?  Quand on n’a que l’amour…

             Et puis l’adolescent se fait jour et avec lui le temps des questions tortueuses, le temps des frottements, le temps de la construction de l’identité et des remises en cause : Vous n’êtes pas mes vrais parents, je veux ma maman, j’irai la chercher. Quelles sont mes origines ? Je déteste me voir dans la glace, je ne sais pas à qui je ressemble, je me sens mal, pourquoi ? Quelle est cette colère sourde qui gronde en moi sans s’apaise… ? Quand on n’a que l’amour… Mais nous t’avons élevé, nous t’aimons, pourquoi ne vas-tu pas bien mon chéri ? Tu as été choisi parmi les meilleurs, pourquoi n’es-tu pas heureux ? Ah oui, entre la case assurance handicap et le choix de la couleur des yeux, cette case n’était pas prévue dans le contrat de GPA.

    MaternitéMarchandisée 18:06:2015.jpg         À tous ceux qui parlent de la Gestation Pour Autrui, de ce bonheur d’être né et abandonné par sa mère, à tous ceux-là, il est temps de dire que nous, les adoptés, nous avons une vraie expérience de la situation. Laissez-nous vous dire que nous portons pour toute notre vie cette blessure d’abandon. Nos parents adoptifs nous ont donné une vraie chance de bien redémarrer et c’est un sacré défi pour tous. Comment derrière vos prétoires, Messieurs les juges, comment assis sur vos bancs, Messieurs les Députés, pouvez-vous ne pas réaliser qu’un enfant n’est pas une chose, qu’il a des sentiments et un ressenti de ce qui lui arrive, même tout petit ? Comment pouvez-vous ignorer que nous avons une peur panique de l’abandon et que nous n’aimons pas le changement ? Pourquoi ne pas vouloir entendre que nous sommes marqués par cet arrachement de départ ?

             Mais, nous les adoptés, savons aussi que nos parents adoptifs ne sont pour rien dans ce qui nous est arrivé. Nos parents adoptifs ne nous ont pas soumis à cette blessure. Ils se sont employés à la guérir. Au contraire, ces petits sans voix, nés d’une GPA et arrachés à leur mère, comment pourront-ils exprimer plus tard leur souffrance et leur mal-être, auprès de parents qui ont programmé l’abandon de leur propre enfant ? Nous, enfants adoptés, n’avons pas ce conflit de loyauté qui sera le leur, et leur interdira de dire leur souffrance, allant même jusqu’à les priver de mots pour la penser et se la dire à eux-mêmes.

    AC Venot 2 - 18 juin 2015.jpg         Réalisez-vous sérieusement que ces filles arrachées à la naissance à leur mère deviendront un jour elles-mêmes ”maman”. Mais le pourront elles seulement, tant leur petite mémoire leur rappellera la souffrance de leur départ dans la vie ? Comment vous faire comprendre cette évidence : nous les enfants nous ne voulons pas être créés pour être abandonnés. Quand on a que l’amour… on n’arrache pas un enfant à sa mère.  

    Anne-Claude Venot 
    Présidente de l’Agence Européenne des Adoptés

    Discours du 18 juin 2015 devant le Palais de Justice de Paris
    repris de Atlantico.

    Photos : Chяistophe † =


     

     

  • Le prêtre, la fatigue & le repos

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                « Ma main sera pour toujours avec lui, mon bras fortifiera son courage » (Ps 88, 22). C’est ainsi que pense le Seigneur quand il dit en lui-même : « J’ai trouvé David mon serviteur, je l’ai sacré avec mon huile sainte » (v.21). C’est ainsi que pense notre Père chaque fois qu’il « trouve » un prêtre. Et il ajoute encore : « Mon amour et ma fidélité sont avec lui, il me dira : tu es mon Père mon Dieu, mon roc et mon salut »  (vv. 25.27).

                Il est très beau d’entrer, avec le psalmiste, dans ce monologue de notre Dieu. Il parle de nous, ses prêtres, ses curés ; mais en réalité ce n’est pas un monologue, il ne parle pas seul : c’est le Père qui dit à Jésus : « Tes amis, ceux qui t’aiment, pourront me dire de manière spéciale : tu es mon Père » (cf. Gn 14, 21). Et si le Seigneur pense et se préoccupe tant de la manière dont il pourra nous aider, c’est parce qu’il sait que la charge d’oindre le peuple fidèle n’est pas facile, elle est dure ; elle nous conduit à la fatigue et à la lassitude. Nous en faisons l’expérience de multiples manières : de la fatigue habituelle du travail apostolique quotidien, à celle de la maladie et de la mort, y compris dans le fait de se consumer dans le martyre.

                La fatigue des prêtres ! Savez-vous combien de fois je pense à cela : à la fatigue de vous tous ? J’y pense beaucoup et je prie souvent, surtout quand moi aussi je suis fatigué. Je prie pour vous qui travaillez au milieu du peuple fidèle de Dieu qui vous a été confié, et, pour beaucoup, en des lieux très abandonnés et dangereux. Notre fatigue, chers prêtres, est comme l’encens qui monte silencieusement vers le ciel (cf. Ps 140, 2; Ap 8, 3-4). Notre fatigue va droit au cœur du Père.

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                Soyez sûrs que la Vierge Marie se rend compte de cette fatigue, et la fait remarquer tout de suite au Seigneur. Comme Mère, elle sait comprendre quand ses fils sont fatigués et elle ne pense à rien d’autre. Elle nous dira toujours, lorsque nous venons à elle : « Bienvenue ! repose-toi, fils. Après nous parlerons… Ne suis-je pas là, moi qui suis ta Mère ? » (cf. Evangelii gaudium, n. 286). Et elle dira à son Fils, comme à Cana : « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2, 3).

                Il arrive aussi que, lorsque nous ressentons le poids du travail pastoral, nous ayons la tentation de nous reposer de n’importe quelle manière, comme si le repos n’était pas une chose de Dieu. Ne tombons pas dans cette tentation. Notre fatigue est précieuse aux yeux de Jésus, qui nous accueille et nous fait relever : «Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, moi je vous procurerai le repos » (cf. Mt 11, 28). Quand quelqu’un sait que, mort de fatigue, il peut se prosterner en adoration et dire : « Ça suffit pour aujourd’hui, Seigneur », et se rendre devant le Père, il sait aussi qu’il ne s’effondre pas, mais qu’il se renouvelle, parce que celui qui a oint le peuple fidèle de Dieu de l’huile d’allégresse, le Seigneur l’oint également : « Il met le diadème sur sa tête au lieu de la cendre, l’huile d’allégresse au lieu des larmes, le chant au lieu d’un esprit abattu » (cf. Is 61, 3).

                Ayons bien présent à l’esprit qu’une clé de la fécondité sacerdotale se trouve dans la manière dont nous nous reposons, dont nous sentons que le Seigneur s’occupe de notre fatigue. Comme il est difficile d’apprendre à se reposer ! Là se joue notre confiance, et aussi le souvenir que nous aussi nous sommes des brebis et nous avons besoin du pasteur, qui nous aide. Quelques questions à ce sujet peuvent nous aider.

    10675579_308744219312834_7326918446506052644_n.jpg            Est-ce que je sais me reposer en recevant l’amour, la gratuité et toute l’affection que me donne le peuple fidèle de Dieu ? Ou bien, après le travail pastoral est-ce que je cherche des repos plus raffinés, non pas ceux des pauvres, mais ceux qu’offrent la société de consommation ? L’Esprit Saint est-il vraiment pour moi « repos dans la fatigue », ou seulement celui qui me fait travailler ? Est-ce que je sais demander l’aide de quelque prêtre sage ? Est-ce que je sais me reposer de moi-même, de mon auto-exigence, de mon autosatisfaction, de mon autoréférence ? Est-ce que je sais converser avec Jésus, avec le Père, avec la Vierge et Saint Joseph, avec mes saints amis protecteurs pour me reposer dans leurs exigences – qui sont douces et légères –, dans la satisfaction d’être avec eux – eux, ils aiment rester en ma compagnie –, et dans leurs intérêts et leurs références – seule les intéresse la plus grande gloire de Dieu – … ? Est-ce que je sais me reposer de mes ennemis sous la protection du Seigneur ? Est-ce que j’argumente et conspire en moi-même, ressassant plusieurs fois ma défense, ou est-ce que je me confie à l’Esprit Saint qui m’enseigne ce que je dois dire en toute occasion ? Est-ce que je me préoccupe et me tourmente excessivement ou, comme Paul, est-ce que je trouve le repos en disant : « Je sais en qui j’ai mis ma foi » (2 Tm 1, 12) ?

                Revoyons un moment, brièvement, les engagements des prêtres, qu’aujourd’hui la liturgie nous proclame : porter aux pauvres la Bonne Nouvelle, annoncer la libération aux prisonniers et la guérison aux aveugles, donner la liberté aux opprimés et proclamer l’année de grâce du Seigneur. Isaïe dit aussi soigner ceux qui ont le cœur brisé et consoler les affligés.

    pape françois,foi,christianisme,transmission,prêtre,vulnérabilité,eucharistie            Ce ne sont pas des tâches faciles, ce ne sont pas des tâches extérieures, comme le sont par exemple les activités manuelles – construire une nouvelle salle paroissiale, ou tracer les lignes d’un terrain de football pour les jeunes du patronage… ; les tâches mentionnées par Jésus engagent notre capacité de compassion, ce sont des tâches dans lesquelles le cœur est « mû » et ému. Nous nous réjouissons avec les fiancés qui se marient, nous rions avec l’enfant qu’ils font baptiser ; nous accompagnons les jeunes qui se préparent au mariage et à la famille ; nous nous affligeons avec celui qui reçoit l’onction sur un lit d’hôpital ; nous pleurons avec ceux qui enterrent une personne chère… Tant d’émotions… Si nous avons le cœur ouvert, cette émotion et tant d’affection fatiguent le cœur du pasteur. Pour nous, prêtres, les histoires de nos gens ne sont pas un bulletin d’information : nous connaissons nos gens, nous pouvons deviner ce qui se passe dans leur cœur ; et le nôtre, en souffrant avec eux, s’effiloche, se défait en mille morceaux, il est bouleversé et semble même mangé par les gens : prenez et mangez. C’est la parole que le prêtre de Jésus chuchote constamment quand il prend soin de son peuple fidèle : prenez et mangez, prenez et buvez… Et ainsi notre vie sacerdotale se donne dans le service, dans la proximité du peuple de Dieu… qui toujours, toujours fatigue.

                Je voudrais maintenant partager avec vous quelques autres fatigues sur lesquelles j’ai médité.

    1538643_213275732193017_440857702_n.jpg            Il y a celle que nous pouvons appeler « la fatigue des gens, la fatigue des foules » : pour le Seigneur, comme pour nous, elle était épuisante – l’Évangile le dit –, mais c’est une bonne fatigue, une fatigue pleine de fruits et de joie. Les gens qui le suivaient, les familles qui lui portaient leurs enfants pour qu’il les bénisse, ceux qui avaient été guéris, qui venaient avec leurs amis, les jeunes qui s’enthousiasmaient pour le Rabbi…, ne lui laissaient même pas le temps de manger. Mais le Seigneur ne se fatiguait pas de rester avec les gens. Au contraire : il semble que cela le remontait. (cf. Evangellii gaudium, n. 11). Cette fatigue au milieu de notre activité est, en général, une grâce qui est à portée de main de nous tous, prêtres (cf. ibid., n. 279). C’est vraiment une belle chose : les gens aiment, désirent et ont besoin de leurs pasteurs ! Le peuple fidèle ne nous laisse pas sans occupation directe, sauf si on se cache dans un bureau ou si on part en ville avec des verres teintés. Et cette fatigue est bonne, c’est une fatigue saine. C’est la fatigue du prêtre avec l’odeur de ses brebis… mais avec le sourire de papa qui contemple ses enfants et ses petits enfants. Rien à voir avec ceux qui sentent des parfums chers et qui te regardent de loin et de haut (cf. ibid., n. 97). Nous sommes les amis de l’Époux, c’est là notre joie. Si Jésus fait paître le troupeau au milieu de nous, nous ne pouvons pas être des pasteurs au visage acide, qui se lamentent, ni, ce qui est pire, des pasteurs qui s’ennuient. Odeur des brebis et sourire de pères… Oui, très fatigués, mais avec la joie de celui qui écoute son Seigneur qui dit : « Venez les bénis de mon Père » (Mt 25, 34).

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                Il y a aussi la fatigue que nous pouvons appeler « la fatigue des ennemis ». Le démon et ses adeptes ne dorment pas ; et comme leurs oreilles ne supportent pas la Parole de Dieu, ils travaillent inlassablement pour la faire taire ou la troubler. Ici la fatigue de les affronter est plus dure. Non seulement il s’agit de faire le bien, avec toute la peine que cela comporte, mais il faut aussi défendre le troupeau et se défendre soi-même du mal (cf. Evangelii gaudium, n. 83). Le malin est plus astucieux que nous, et il est capable de démolir en un moment ce que nous avons construit avec patience durant beaucoup de temps. Il est nécessaire ici de demander la grâce d’apprendre à neutraliser – c’est une habitude importante : apprendre à neutraliser ‑ : neutraliser le mal, ne pas arracher l’ivraie, ne pas prétendre défendre comme des surhommes ce que seul le Seigneur doit défendre. Tout cela aide à ne pas baisser les bras devant l’épaisseur de l’iniquité, devant la dérision des méchants. La parole du Seigneur pour ces situations de fatigue est : «Ayez courage, j’ai vaincu le monde ! » (Jn 16, 33). Et cette parole nous donnera de la force.

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                Et une dernière – dernière pour que cette homélie ne vous fatigue pas trop – il y a aussi « la fatigue de soi-même » (cf. Evangelii gaudium, n. 277). C’est peut-être la plus dangereuse. Parce que les deux autres proviennent du fait d’être exposé, de sortir de nous même pour oindre et nous donner quelque chose à faire (nous sommes ceux qui prenons soin). En revanche, cette fatigue est plus autoréférentielle : c’est la déception de soi-même, mais pas regardée en face, avec la sérénité joyeuse de celui qui se découvre pécheur et qui a besoin de pardon, d’aide : celui-là demande de l’aide et va de l’avant. Il s’agit de la fatigue qui porte à « vouloir et ne pas vouloir », le fait de tout risquer et ensuite de regretter l’ail et les oignons d’Égypte, de jouer avec l’illusion d’être autre chose. J’aime appeler cette fatigue « minauder avec la mondanité spirituelle ». Et quand on reste seul, on s’aperçoit que beaucoup de secteurs de la vie ont été imprégnés de cette mondanité, et on a même l’impression qu’aucun bain ne peut la nettoyer. Il peut y avoir là pour nous une mauvaise fatigue. La parole de l’Apocalypse nous indique la cause de cette fatigue : «Tu ne manques pas de persévérance, et tu as tant supporté pour mon nom, sans ménager ta peine. Mais j’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné » (2, 3-4). Seul l’amour donne du repos. Celui qui ne s’aime pas se fatigue mal, et à la longue, se fatigue plus mal.

                L’image la plus profonde et mystérieuse de la manière dont le Seigneur s’occupe de notre fatigue pastorale est celle de celui qui « ayant aimé les siens…, les aima jusqu’à la fin » (Jn 13, 1) : la scène du lavement des pieds. J’aime la contempler comme lavement de la sequela. Le Seigneur purifie la sequela elle-même, il s’implique avec nous (Evanglii gaudium, n. 24), il se charge le premier de nettoyer toute tache, ce smog mondain et onctueux qui s’est collé durant le chemin que nous avons fait en son Nom.

    pape françois,foi,christianisme,transmission,prêtre,vulnérabilité,eucharistie            Nous savons que l’on peut voir dans les pieds comment va tout notre corps. Dans la manière de suivre le Seigneur se manifeste comment va notre cœur. Les plaies des pieds, les déboitements et la fatigue sont des signes de la manière dont nous l’avons suivi, de ces routes que nous avons faites pour chercher ses brebis perdues, en essayant de conduire le troupeau vers les verts pâturages et les eaux tranquilles (cf. ibid., n. 270). Le Seigneur nous lave et nous purifie de tout ce qui s’est accumulé sous nos pieds pour le suivre. Et c’est sacré. Il ne permet pas qu’ils restent sales. Il les embrasse comme des blessures de guerre, de sorte que la saleté du travail, c’est lui qui la nettoie.

             La sequela de Jésus est lavée par le Seigneur lui-même pour que nous nous sentions en droit d’être « joyeux », « remplis », « sans peur ni faute » et pour que nous ayons ainsi le courage de sortir et d’aller « jusqu’aux extrémités du monde, vers toutes les périphéries », porter cette bonne nouvelle aux plus abandonnés, sachant qu’ « il est avec nous, tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Et s’il vous plaît, demandons la grâce d’apprendre à être fatigués, mais bien fatigués !

     

    581664_109965129190745_49240641_n.pngHomélie du pape François
    Messe chrismale, 2 avril 2015

     

     

    © Librairie éditrice du Vatican
    (2 avril 2015) © Innovative Media Inc.

     

    Retrouvez cette homélie sur la page enrichie La Joie de l'Évangile

  • Bien qu’ayant honte d’elle-même et de son histoire, la France continue de vouloir donner des leçons au monde entier

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    L e t t r e     à    m o n    f r è r e    m u s u l m a n

    Croix-Croissant.jpgPardonne-moi Brahim : l’autre jour l’évêque, qui avait remarqué tes larmes, t’avait largement ouvert les bras et te serrait contre lui. Ces pleurs accueillis en silence valaient tous les mots que j’aurais pu trouver pour te consoler. Tu nous as dit ensuite que tes larmes ne venaient pas des attitudes hostiles aux musulmans en France, mais de cette haine banalisée contre les religions, contre ta religion, à travers ces caricatures obscènes de ce qui est le plus précieux à tes yeux, ton prophète.

    Pardonne-moi parce qu’après cette folie meurtrière des attentats du mois de janvier, nous n’avons trouvé comme antidote que quelques slogans indigents, dont on constate déjà qu’ils n’étaient pas à la hauteur de la situation. Tu nous disais ton incompréhension face à ce rejet brutal de tes raisons de vivre par l’affirmation grossière d’un « devoir de blasphème ». Je me souviendrai longtemps de tes paroles sages affirmant que le fond du problème n’était pas la présence de Dieu, mais bien plutôt son absence de la société. La violence vient du fait que l’on a oublié Dieu, qu’on fait même tout pour le faire disparaître de l’horizon de l’homme. Charles de Foucauld Portrait photo.jpgPardonne-moi parce que nous avons certainement une responsabilité en cela. Toi, dont les ancêtres marocains impressionnèrent Charles de Foucauld explorateur par leur ferveur et leur sens du sacré, tu as été surpris en arrivant en France à l’âge de 16 ans : où donc était Dieu ?

    Pardonne-moi, parce que nous catholiques sommes lents à reconnaître nos torts dans les malheurs d’aujourd’hui, nos « responsabilités dans les maux de notre temps », comme « l’indifférence religieuse qui conduit beaucoup d’hommes d’aujourd’hui à vivre comme si Dieu n’existait pas » et la perte du sens de la transcendance… Nous n’avons pas manifesté l’authentique visage de Dieu « en raison des défaillances de notre vie religieuse, morale et sociale ».

    Pardonne-moi parce que ton profond respect pour la piété est blessé par cette hostilité qui n’est plus muette envers les croyants. Pardon pour toutes les fois où tu t’es senti heurté par l’agressivité de ces militants de l’impiété. Ils disent : pas de Dieu, mais pour toi –comme pour nous !- c’est une folie. Pardonne-moi parce que nous avons fait de cette maladie de l’intelligence une nouvelle religion : l’athéisme.

    Pardonne-moi parce que cette laïcité dont on nous parle abondamment en des termes élogieux est une idée chrétienne devenue folle. Principe évangélique sage, il a été travesti et détourné d’une façon violemment anticléricale. Avec les années nous pensions qu’il était redevenu pacifique : voilà qu’il méprise à nouveau les croyants. Parce que le laïcisme est incapable de comprendre l’Islam, il montre son dédain envers toute la dimension religieuse de l’homme et professe sa commisération pour les chrétiens. Rassure-toi, la laïcité n’est pas ce que nous avons de plus sacré et la République n’est pas devenue notre religion commune. Jamais notre foi chrétienne ne s’est cantonnée à la sphère privée, jamais elle ne doit non plus porter atteinte à la légitime autonomie des réalités temporelles.

    Pardonne-moi parce qu’on n’entend plus ces jours-ci que des appels à l’avènement d’un Islam modéré, républicain et laïc. Je suis confus que l’on puisse ainsi mépriser ta religion en s’adjugeant le pouvoir de déterminer quel est le bon ou le mauvais musulman. C’est une grande tradition jacobine française que de chercher à asservir la religion, à la museler. Mais n’est pas Napoléon qui veut… Même lui d’ailleurs, ayant échoué à éliminer l’Eglise, dût se résigner à composer avec le Pape.

    Pardon, parce seuls vous pouvez nous dire et définir ce qu’est l’Islam. Comme tu le sais nous croyons en la Révélation de Dieu en Jésus-Christ. Le rapport difficile de l’Islam avec la violence n’est pas sans lien avec le statut du Coran et la place de la raison. Mais il ne nous appartient pas de l’interpréter à votre place. Nous ne pouvons que vous donner notre sentiment : il nous apparaît nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu au moyen de la raison. Pardon pour ces exégèses abusives de votre livre, pour qu’il soit absolument laïco-compatible. Nous dissertons sur le Coran, mais nous ignorons le nom de nos voisins musulmans.

    Pardonne-moi Brahim, parce que cette France, obscène et arrogante, obsédée et méprisante, n’est pas la France. Pardonne-moi parce que, bien qu’ayant honte d’elle-même et de son histoire, elle continue de vouloir donner des leçons au monde entier.

    Pardonne-moi parce que nous avons eu peur de vous parler. Nous n’avons pas osé vous dire que les chrétiens souffrent souvent en terre d’Islam et nous avons murmuré derrière votre dos. Nous avons préféré nous taire et nous plaindre, honteux de notre foi. Pardonne-moi parce que nous n’avons pas osé vous partager le meilleur de notre Évangile et les trésors de la Révélation, ne vous aimant pas assez pour cela. Oui, c’est cela, nous ne vous aimons pas assez, nous sommes des témoins peu crédibles de notre foi en Jésus-Christ.

    Tu auras compris que, même si nous souffrons de ses contradictions, nous aimons notre pays, devenu aussi le tien. Même s’ils ne nous faisaient pas rire, nous pleurons les défunts journalistes des attentats, comme les autres victimes : nous prions pour eux et leurs familles. Même si nous ne partageons pas votre foi, nous vous estimons et voulons tisser des relations qui soient fraternelles.

    Accepte notre demande de pardon et accueille notre désir de mieux te connaître et de te rencontrer. Veuille nous accorder la possibilité de bâtir avec toi la Civilisation de l’Amour.

    PèreLM Guitton Portrait.jpgPère Louis-Marie Guitton
    Publié dans l'Observatoire Socio-Politique du diocèse de Fréjus 

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  • La France a créé la surprise en faisant jaillir avec nous une alternative, fidèle à son Histoire

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    « Chers amis,

     

    Vous êtes revenus ! Nous sommes revenus, foule immense et pacifique, avec exactement la même motivation et pour la même raison que celles qui ont fait naître notre mouvement : la protection de l’être humain, de l’enfant contre une forme toute nouvelle de maltraitance, la maltraitance originelle. La privation délibérée de la moitié de son patrimoine généalogique, celle du père par détournement de la PMA, ou celle de la mère par la GPA.

    tugdual derville, lmpt, politique, conscience,

    Je ne reviendrai pas en détail sur ce que ces dernières semaines ont révélé. Ceux qui ont toujours tenté d’étouffer notre voix ne peuvent que constater aujourd’hui les faits : nous avions raison, depuis le début, nous disions vrai : cette loi nous vendait un immeuble entier, avec sa façade trompeuse (le mariage pour tous), sa pièce en fond de cour (l’adoption), et ses appartements cachés (la PMA et la GPA). Et le gouvernement n’a même pas eu le courage d’agir contre ces dérives, alors que de nombreuses personnalités de sa propre famille politique le lui avaient pourtant demandé.

    C’est pourquoi, chers amis, je veux constater avec vous combien notre mobilisation de ce jour est précieuse : le Premier ministre lui-même nous a rendu hommage à sa façon en s’exprimant enfin sur ces sujets avant-hier. En effectuant un revirement sur la GPA, contredisant ce qu’il avait affirmé en 2011, quitte à humilier ceux auxquels il avait alors apporté son soutien ; et pour la PMA en se défaussant sur le Comité d’éthique… Cela ne trompe personne, il est intervenu pour décourager nos manifestations. Mais il nous a surtout donné raison ! Car ce ne sont que des paroles, et nous attendons des actes !

    Avec les élus de tous bords qui nous soutiennent aujourd’hui, et qui sont plus nombreux que lors de notre dernière grande mobilisation, nous voulons donc adresser un message à tous les gouvernants d’aujourd’hui et de demain : à ceux qui s’étonnent encore que nous soyons simplement tenaces, redisons que nous le sommes parce que protéger le plus faible de la loi du plus fort est bel et bien un enjeu politique prioritaire.

    Nous ne pouvons pas accepter qu’une poignée de personnes s’octroie le droit de faire basculer notre pays dans un tel changement de civilisation : une société dans laquelle on passe commande d’un enfant.

    La politique digne de ce nom nécessite cohérence et constance, au service de la justice. La démocratie se dénature si elle piétine les droits des plus faibles, des sans-voix quels qu’ils soient : enfants, personnes handicapées, personnes rejetées, personnes isolées, personnes âgées.

    tugdual derville, lmpt, politique, conscience, Je voudrais surtout insister aujourd’hui sur la promesse magnifique que fait naître notre mouvement pour la France, pour l’Europe et le reste du monde : celle d’une autre culture, une culture altruiste, tournant le dos à l’individualisme dans lequel s’est engouffré la loi Taubira et ses conséquences. Cette nouvelle culture doit être fondée sur des repères anthropologiques qui ne trompent pas :

    -  L’altérité sexuelle, à la source de tout engendrement.

    -  La famille, écosystème de base à protéger en priorité, première source de solidarité, premier amortisseur de crise. Quand comprendront-ils qu’en période de chômage ou de crise du logement, c’est la famille qui est la valeur refuge ?

    -  Et – j’ose le dire – la maternité comme précieux élément du patrimoine de l’humanité, qu’on ne doit ni occulter, ni escamoter, ni éclater, comme c’est le cas dans la GPA. Oui, chers amis, c’est désormais le mot clé : maternité. Chacun d’entre nous, comme tout être humain, et quels que soient nos souffrances, nos errances et nos deuils, qu’il soit homme ou femme, a longuement séjourné dans le corps d’une autre. Cette expérience originelle fait partie intégrante de notre histoire intime et a un immense impact sur notre existence d’aujourd’hui. Valoriser et préserver la maternité : voilà le vrai progrès ! Dévaloriser la maternité, prétendre qu’elle peut être vécue comme un service marchand et s’achever par une séparation contractuelle, l’imaginer dans une machine comme certains scientistes persistent à la prévoir, qui prédisent l’utérus artificiel, c’est faire preuve d’un dangereux négationnisme anthropologique.

    Voilà pourquoi ce que nous demandons au gouvernement est urgent et prioritaire : nous demandons que la France, dans la belle tradition qui est la sienne de non marchandisation du corps et de protection des droits universels de la personne, s’engage – comme elle a su le faire contre le clonage – pour l’abolition de la GPA et du détournement de la PMA. Désigner ces dérives pour ce qu’elles sont, des maltraitances originelles, c’est faire progresser l’humanité. Nous voulons aussi sauver notre politique familiale qui fut un modèle dans le monde entier. Le gouvernement actuel la remet en cause et nous ne pouvons l’accepter.

    tugdual derville, lmpt, politique, conscience, Chers amis, notre mouvement social devra compter demain dans les grandes échéances qui déterminent l’histoire de notre pays. Je veux parler des échéances électorales et politiques. Nous devrons alors nous faire entendre, avec la constance de nos convictions et la force de notre liberté, c’est à dire notre indépendance absolue vis-à-vis des joutes partisanes. Avons-nous conscience qu’aucune association, aucun mouvement politique ou syndicat ne peut rassembler autant de personnes pendant trois ans ?

    Déjà nous agissons, chaque jour, dans nos associations, nos régions, nos quartiers, nos entreprises, parce que nous sommes tout simplement engagés au service du bien commun.

    Nous sommes tout simplement en train d’insuffler une espérance nouvelle et cela se sait, cela s’entend bien au-delà de nos frontières, comme en atteste la présence des soutiens internationaux qui témoignent aujourd’hui devant nous ! Oui, la France a créé la surprise en faisant jaillir avec nous une alternative, fidèle à son Histoire : courageuse, généreuse, et qui sait se rebeller contre la toute-puissance.

    Chers amis, l’âme de la France s’est réveillée, il ne tient qu’à nous qu’elle embrase le monde !

    Merci ! »

     

    Tugdual Derville
    Porte parole de La Manif Pour Tous
    Le 5 octobre 2014

     

    Photos : La Manif Pour Tous

     

  • 5 octobre Journée Internationale de Lutte contre la GPA - Ludovine de La Rochère

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    Discours sous embargo - seul le prononcé fait foi

     

             Comme une immense lame de fond, vous êtes le peuple qui se lève pour lancer un cri d’alarme : que faisons-nous de notre humanité ? Que faisons-nous de l’homme et de la femme ? Que faisons-nous de l’enfant ?

     

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              Bravant les difficultés matérielles et économiques, vous êtes venus de tous les territoires de France et du monde entier. De toutes conditions, de toutes confessions, de toutes opinions politiques et philosophiques, vous êtes des femmes et des hommes libres, vous n’avez pas peur de faire éclater la carcan du « politiquement correct » et ce, en dépit des sempiternelles accusations qui ne visent qu’à nous faire taire, qui tiennent lieu d’arguments à nos opposants. Ces accusations d’autant plus répétées que plus personne n’y croit.

     

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    Tous, vous êtes là pour l’abolition universelle de la GPA.

    Car il est encore temps d’agir.

    Notre civilisation s’est construite sur le respect des droits d’autrui. Or justement, les droits des uns s’arrêtent là où commencent ceux des autres, en l’occurrence ceux des femmes et ceux des enfants. 

             Nous ne pouvons pas nous mentir : la gestation pour autrui est un esclavage.

             La conscience universelle dit que la vie humaine n’a pas de prix, que la seule valeur qu’elle a, est infinie.

             Or la GPA est un marché effrayant avec offres et demandes, concurrence, prix et garanties.

             Et je pense naturellement à Gammy, cet enfant trisomique qu’un couple d’Australiens n’a plus voulu après l’avoir acheté. Mais sa mère a rompu ce contrat inhumain : elle ne l’a pas abandonné, elle l’a gardé, elle l’a sauvé.

    IMG-20141005-00230.jpg         De ce marché où l’enfant est une chose, nous ne voulons pas, sous aucun prétexte, aucun motif. Le désir d’enfant ne justifie pas de le traiter comme une marchandise que l’on produit et que l’on vend.

             L’humanité a déjà connu ce type de marché dans l’histoire. Cela s’appelait l’esclavage. Depuis l’Antiquité, chaque époque a connu sa forme d’esclavage. La déclaration universelle des droits de l’Homme de 1946 l’a définitivement condamné.

             C’est la grandeur de notre civilisation d’y avoir mis fin.

             Hélas, l’esclavage a resurgi sous une nouvelle forme, celle de la GPA. Mais nous ne pourrons pas dire : « nous ne savions pas », car nous savons.

             Et le nier, c’est être complice des agences qui l’organisent. 

             Cependant les lignes bougent. De tous les bords politiques, de toutes les familles de pensées, des voix autorisées se sont élevées ces derniers mois pour condamner sans appel ce marché. Encourageons-les ! Des pétitions sont en cours : signons-les !

             Car il est encore temps d’agir.

    IMG-20141005-00275.jpg         Avant-hier le Premier ministre a déclaré que « la GPA est et sera interdite en France… (et) que le gouvernement exclut totalement d’autoriser la transcription automatique des actes étrangers, car cela équivaudrait à accepter et normaliser la GPA. » Il a dit enfin que « La France entend promouvoir une initiative internationale sur la GPA. » 

             M. Valls a enfin compris la nature même de la GPA, et de cela nous pouvons être fiers, car c’est votre détermination, votre courage à manifester pacifiquement tant et tant de fois depuis deux ans qui l’ont fait comprendre à monsieur Valls !

             Merci à vous tous de n’avoir rien lâché ! C’est une très grande victoire collective !

             Mais, car il y a un mais, l’histoire n’est pas finie.

             Nous sommes ici pour que le Premier ministre passe de la parole aux actes, c’est-à-dire pour qu’il :

             - retire la circulaire Taubira qui tolère de fait la GPA ;

             - ne mette pas en oeuvre l’injonction faite à la France par la Cour Européenne des droits de l’Homme d’inscrire à l’état civil la filiation, bidon en partie ou totalement, exigée par les clients de mère porteuse ;

             - dissuade tout citoyen français de recourir à une mère porteuse, à l’étranger comme en France ;

             - poursuive en justice les agences qui proposent des mères porteuses en France en fraudant la loi, en toute impunité jusqu’à ce jour.

     

             Monsieur le Premier ministre, passez de la parole aux actes, dès aujourd’hui !

             Pouvons-nous avoir encore confiance dans la justice de notre pays ? Je m’interroge ! La Cour de cassation vient de dire un droit qui contredit la législation française et la mise en garde du Conseil constitutionnel sur la filiation. La Cour de cassation se fait ainsi complice de la fabrication d’orphelins de père !

    IMG-20141005-00244.jpg         Mais nous espérons encore, et nous sommes là pour cette raison, que le Conseil d’Etat ne cèdera pas aux scandaleuses injonctions de la CEDH sur la pratique des mères porteuses.

             Car, vous l'avez compris, la CEDH est en réalité favorable à la GPA, elle est complice de cet esclavage ! Et ce, alors même que l’existence de la CEDH est fondée sur la Convention européenne des droits de l’Homme ! Hélas, elle ne connaît plus le sens des mots et oublie totalement les droits de l’enfant, comme si le petit d’Homme n’était pas lui-même un Homme !

             Osons, espérons que le Conseil d’Etat ait le courage d’invalider la circulaire Taubira dans l’avis qu’il doit rendre... depuis maintenant un an et demi ! Aurait-il par hasard attendu l’avis de la CEDH ? Je m’interroge !...

             Espérons cependant que le Conseil d’Etat ne facilite pas le contournement de l’interdiction de la GPA, qu’il ne sera pas complice de l’asservissement de la femme et de la marchandisation de l’enfant !

             Hélas, nous sommes dans un contexte étonnant dans lequel les politiques laissent quelques personnes non mandatées, non élues, prendre les principales décisions, celles qui concernent notre humanité !

    IMG-20141005-00277.jpg         Ainsi, Mms Valls et Hollande ont déclaré qu’ils suivraient, sur la PMA sans père, l’avis du CCNE, le Comité Consultatif National d’éthique. Comme son nom l’indique, celui-ci n’est en principe que CONSULTATIF ! 

             Quelle lâcheté, Messieurs ! 

             Et ouvrons les yeux, regardons au-delà de nos frontières : La GPA, déjà autorisée dans trop d’Etats, est un marché fructueux, qui se chiffre en milliards d’euros. 

             Ce soir l’écho de notre mobilisation raisonne jusque dans les fermes d’Inde, du Nigeria, de Russie ou de Thaïlande où des femmes et des enfants subissent la sordide loi du marché qui se joue de leur pauvreté.

             Oui, le sort de ces femmes et de leurs enfants qui leur seront arrachés à la naissance est entre nos mains.

             Oui, ces femmes attendent que notre liberté permette qu’elles reconquièrent la leur et qu’elles n’entendent jamais l’écho de cette interrogation atroce : « mère, pourquoi m’as-tu vendu ? ».

             C’est une mère qui vous parle.

             Aujourd’hui je m’exprime au nom de toutes les femmes.

             Depuis l’aube de l’humanité, les femmes ont porté leurs enfants.

             Comme elles, comme les mères veilleuses que vous connaissez, j’ai porté mes enfants et jamais je n’aurai eu la force de me séparer de l’un d’eux.

    IMG-20141005-00245.jpg         Les enfants sont la chair de la chair des femmes.

             Et il ne peut y avoir une mère sociale, une mère biologique, une mère donneuse d’ovocyte, etc. Non, une mère, c’est tout cela, tout cela à la fois, en même temps, en harmonie, intimement lié.

             Et l’enfant n’est pas un objet. Il est comme chacun de nous un sujet à part entière : corps, cœur et esprit.

             Et l’enfant est lié à sa mère et à son père comme l’arbre aux racines dont il est issu et dont il vit.

             L’interdiction de la GPA ne se négocie pas. Elle se décrète. Car la GPA juste n’existe pas.

             La GPA éthique n’existe pas.

             La GPA est ou n’est pas.

             Or nous ne voulons pas du Meilleur des mondes, ce monde dans lequel les enfants ne se développent pas dans le sein maternel, ce monde qui bannit le terme de « mère » puisque la femme ne porte plus son enfant ! 

    IMG-20141005-00281.jpg         Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec l'Histoire. Elle nous appelle à mener une lutte pacifique pour l’abolition de ce nouvel esclavage.

             Nous sommes les héritiers du pays qui inventa les droits de l’Homme.

             Notre responsabilité est immense. Le monde entier nous regarde.

             Soyons le fer de lance d’un peuple que blesse la GPA, qu'elle soit pratiquée en France ou à l'étranger !

             Soyons fidèles au principe gravé dans le marbre de la tradition française de la non disponibilité du corps humain.

             Devant l’horreur, c’est notre humeur, notre honneur, de nous engager comme l’ont fait nos aînés contre l’esclavage. 

             J’appelle les Français, les Européens et tous les citoyens du monde à se mobiliser pour arrêter cette folie. C’est pourquoi je propose que nous fassions du 5 octobre la journée internationale de lutte contre la GPA.

             Et je vous propose aussi cet objectif, qui est notre issue : celle d’un traité international qui, seul, empêchera sa généralisation.

             Le mariage et l’adoption Taubira sont l’arbre qui voulait cacher la forêt de la PMA sans père, de la GPA et du genre. Et tous ceux qui ont prétendu le contraire ont menti. Les masques sont en train de tomber.

             Cette loi devra donc être abrogée, comme cela a été le cas dans d’autres pays. Ces États ont compris les conséquences et finalement préféré pour les couples de même sexe une alternative au mariage.

             Cette semaine le gouvernement a une nouvelle fois montré son désamour des familles en annonçant des mesures qui vont encore les fragiliser. Economiser de l’argent sur leur dos est un choix désastreux dont la France paiera les conséquences beaucoup plus vite qu’il ne le pense.

                 La force de notre pays est une démographie dynamique, résultat d’une politique familiale ambitieuse, originale et ancienne. La déconstruire est une lourde erreur, humainement et collectivement.

             Arrêtez cela dès aujourd’hui Monsieur le Premier ministre !

    IMG-20141005-00280.jpg         En ce qui nous concerne, nous continuerons à nous mobiliser toujours pacifiquement, mais sans relâche. Nous ne laisserons plus les ultra-libertaires dicter leur calendrier et les échéances de ces prétendus « progrès ». Il n’y pas plus obscurantiste que la GPA ! 

             Et nous ferons mieux : nous poursuivrons nos propositions pour consolider les familles, pour défendre l’enfant.

             Nous sommes en train de changer le cours de l’histoire. Ne relâchons pas nos efforts malgré les difficultés !` 

             Hommes et femmes libres, agissons pour libérer les opprimés, ces femmes utilisées et ces enfants vendus.

             Notre conscience sera notre récompense, et l’Histoire le juge ultime de nos actes. 

             Anti GPA de tous les pays, unissons-nous ! 

             Vive l’humanité homme/femme !

             Vive l’humanité libre !

             Nous ne lâcherons rien, jamais !

     

    Ludovine de La Rochère
    Présidente de La Manif Pour Tous
    Discours du 5 octobre 2014

     

  • Fabrice Hadjadj #Grenelle de la Famille - 8 mars - Mutualité

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    « Qu’est-ce qu’une famille ? On peut s’étonner que nous soyons ici, ensemble, à poser cette question, et certains ne manqueront pas de croire que notre démarche ne pourra que conduire soit au ressassement de choses banales, soit à la complication de choses simples. Nous n’aurions pas d’autre alternative, avec une telle question, que d’enfoncer des portes ouvertes ou de couper les cheveux en quatre.

    En même temps, on le devine, les premières évidences se cachent toujours dans leur lumière. Ce n’est pas seulement comme le nez au milieu de ma figure, trop proche pour être vu ; ni comme le paysage cent fois retraversé, tellement connu qu’il s’efface. C’est surtout comme une source qui éclaire et fonde les autres choses, mais qui ne peut pas, dès lors, être elle-même fondée ni éclairée. Devant cette source, nous sommes semblables à des oiseaux de nuit qui voudraient regarder le soleil en face.

    Nous provenons tous d’une famille, nous commençons tous avec un nom de famille, nous avons tous eu une certaine famille pour berceau. La famille est un fondement. Or, si elle est un fondement, on ne saurait « fonder la famille ». Si elle se situe au principe de nos vies concrètes, il devient impossible de la justifier ou de l’expliquer, parce qu’il faudrait recourir à un principe antérieur, et la famille ne serait plus qu’une réalité secondaire et dérivée, non pas une matrice. Les théoriciens qui voudraient que la première communauté humaine fût issue d’un contrat passé entre individus asexués et solitaires, déclarent eux-mêmes qu’il s’agit là d’une fiction, d’une hypothèse de travail, et non d’une réalité[1]. Il n’y a pas, au niveau humain, de principe antérieur à la famille. On ne peut donc pas l’expliquer ni la justifier, on peut seulement expliciter sa présence qui nous devance toujours.

    Et c’est pourquoi ceux qui attaquent la famille dans son évidence sont si difficiles à contester. Expliquer que l’homme descend du singe est plus facile que d’expliquer qu’un enfant descend d’un homme et d’une femme, parce que dans le premier cas, la thèse réclame effectivement des explications, et même des explications nombreuses, alors que dans le second, il n’y rien à expliquer, il ne s’agit même pas d’une thèse, mais d’un donné absolument initial, comme l’existence du monde extérieur. Or comment prouver que le monde extérieur existe ? Comment montrer à quelqu’un que le soleil éclaire ?

     

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    Et pourtant le soleil manifeste les couleurs et, par là, indirectement, se manifeste. Et la famille, dont nous avons à parler, manifeste et se manifeste. On a beau contester, cela se manifeste. Et cela ne se manifeste pas que dans les rues, cela se manifeste en nous, dans nos culottes, si j’ose dire, qu’on le veuille ou non, cela se manifeste aussi bien à l’église que dans une soirée LGBT, cela se manifeste par la barbe d’un capucin aussi bien que par la poitrine d’une Femen. Pour que cela ne se manifeste plus, il faudrait être un ange.

    Cette manifestation est si irrésistible que nous assistons depuis quelques décennies, de la part de ceux-là même qui voulaient se débarrasser la famille, à un étrange retour du refoulé familial. Ceux qui dénonçaient la famille comme l’institution répressive et oppressive de base, veulent à présent faire de l’enfant le produit d’une manipulation génétique (puisque l’égalité réclame que deux femmes ou deux hommes puissent également en avoir avec leurs propres gamètes), ce qui est aller bien au-delà de l’oppression ou de la répression, puisque c’est courir vers une fabrication pur et simple, et faire despotiquement de l’enfant, l’objet d’un planning, la réalisation d’un fantasme, et plus encore un cobaye de laboratoire. Cette contradiction prouve qu’on ne peut déconstruire le naturel, mais seulement construire à côté son simulacre, comme on ne fabrique une intelligence artificielle que d’après le peu que l’on a compris de l’intelligence humaine.  

     

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    Qu’est-ce donc qu’une famille ? Les gens les mieux intentionnés à son égard insistent sur certains éléments de définition. J’en retiendrai trois : 1° La famille est d’abord le lieu du premier amour. Il est fondamental que les parents s’aiment et que l’enfant soit aimé, sans quoi la famille ne peut que se dessécher ou se décomposer. 2° La famille est le lieu de la première éducation. L’enfant y naît à partir d’un projet parental responsable, où l’on songe à son futur, à son édification, à sa qualification avec la plus grande compétence possible. 3° La famille humaine est aussi un lieu de respect des libertés. Les parents s’y sont unis par un contrat, et, à travers leur mission éducative, ils contribuent, non à renforcer la dépendance, mais à promouvoir l’autonomie de l’enfant.

    Nous insistons souvent sur ces caractéristiques, parce que nous songeons au bien de l’enfant. Mais ce faisant nous manquons l’essence de la famille, et, alors même que nous pensons la défendre, nous fourbissons les armes qui permettent de l’attaquer. À trop se préoccuper du bien de l’enfant, on oublie l’être de l’enfant. À trop s’attarder sur les devoirs des parents, on oublie l’être du père et de la mère. Les éléments que nous venons de proposer, amour, éducation, liberté, disent tout sauf l’essentiel, à savoir que les parents sont les parents, et l’enfant est leur enfant.

     

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    Et voilà le conséquence fatale : en prétendant fonder la famille parfaite sur l’amour, l’éducation et la liberté, ce qu’on fonde, en vérité, ce n’est pas la perfection de la famille, mais l’excellence de l’orphelinat. Cela ne fait aucun doute : dans un excellent orphelinat, on aime les enfants, on les éduque, on respecte leur personne. On y est même en quelque sorte dans la plénitude du projet parental, puisque prendre soin des enfants est le projet constitutif d’une telle entreprise.

    Ne considérer la famille qu’à partir de l’amour, de l’éducation et de la liberté, la fonder sur le bien de l’enfant en tant qu’individu et non en tant qu’enfant, et sur les devoirs des parents en tant qu’éducateur et non en tant que parents, c’est proposer une famille déjà défamilialisée. Car on pourra toujours vous dire qu’un père et une mère peuvent être moins aimants, moins compétents et moins respectueux que deux hommes ou deux femmes, et certainement moins efficace que toute une organisation composée des meilleurs spécialistes. Cette organisation d’individus compétents pourra passer pour la meilleure des familles, et la meilleure des familles s’identifiera au meilleur des orphelinats.

     

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    Pourquoi manquons-nous si facilement l’essence de la famille ? Parce que le principe de la famille est trop élémentaire, trop humble, trop animal en apparence, et donc honteux (ne parle-t-on pas de « parties honteuses » ?). Vous avez compris, le principe de la famille est dans le sexe. Même quand il s’agit d’une famille adoptive, même quand il s’agit d’une famille spirituelle, où le père est un père abbé, et les frères sont des moines, les pures et hautes dénominations qu’on emploie viennent d’abord de la sexualité. Les noms du père et du fils s’énoncent à partir de ce fondement sensible qui est notre fécondité charnelle.

    C’est parce qu’un homme a connu une femme, et que de leur étreinte, par surabondance, ont jailli des enfants, qu’il y a ces noms de famille, ces noms de père, de mère, de fils, de fille, de sœurs et de frères. Le mot qui achève la devise républicaine : « fraternité » procède lui-même du sexe et de la famille naturelle. Quant aux fameuses théories du genre, qui croient pouvoir affirmer que la masculinité et la féminité ne sont que des constructions sociales, elles s’appuient elle aussi sur la différence des sexes, sans lesquels l’idée même du masculin ou du féminin ne nous viendrait pas à l’esprit.

     

    La famille est donc d’abord le lieu où s’articulent la différence des sexes et la différence des générations, ainsi que la différence de ces deux différences. La différence des sexes, à partir de la fécondité propre à leur union, engendre la différence des générations, et cette différence des générations n’a rien d’analogue avec la différence des sexes. L’interdit fondamental de l’inceste nous le signal, mais aussi le fait que lorsque l’homme s’unit à sa femme, il ne cherche pas d’abord à avoir un enfant, il cherche d’abord à s’unir à sa femme, et l’enfant advient, comme un surcroît.

    La famille noue ainsi cinq types de liens : conjugal (de l’homme et de la femme), filial (des parents aux enfants), fraternel (des parents entre eux), à quoi s’ajoutent deux autres que l’on oublie souvent, et qui sont pourtant décisif pour l’inscription historique et déjà politique de la famille. D’abord, le lien des grands-parents aux petits-enfants, qui permet de tempérer l’influence des parents, et d’ouvrir le temps de la famille à celui de la tradition[2]. Il y a encore un cinquième type de lien que tend à occulter l’idéal du couple mais que ne manque pas de rappeler la belle-mère, je veux parler du lien avec la belle-famille – ce que l’on pourrait appeler la « théorie du gendre ». Avec lui, l’alliance conjugale se double d’une alliance pour ainsi dire tribale, et ouvre l’espace de la famille à celui de la société.

    Or la particularité de ces liens familiaux, c’est qu’ils ne se fondent pas d’abord sur une décision, mais sur un désir, c’est qu’ils ne viennent pas d’abord d’une convention, mais d’un élan naturel. Bien sûr, le désir doit y être assumé dans la décision (ou plutôt le consentement), et la nature s’y déploie à travers des aspects conventionnels. Mais il y va d’abord de quelque chose qui nous traverse, une donation, qui vient de l’autre et va à l’autre, et donc dépasse nos calculs. Cela nous emporte plus loin que nous-mêmes, plus loin que nos projets individuels (qui peut former le projet d’avoir une belle-mère ?), parce que cela nous ouvre à l’autre sexe et à l’autre génération, parce que cela nous intéresse à un temps qui n’est déjà plus le nôtre.

     

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    Disons-le simplement : aucun calcul ne peut avoir pour résultat une naissance. Personne ne peut se dire honnêtement : « Ça y est, je suis prêt, je suis assez mûr, assez compétent pour avoir un enfant, je sais parfaitement comme il faut s’y prendre pour en faire un homme accompli, j’ai le droit souverain de le faire venir au monde et d’être son maître. » Comment donc pourrions-nous avoir le droit d’élever un enfant, quand nous sommes nous-mêmes si bas, quand nous ne comprenons pas le mystère de la vie ?

    Il ne s’agit donc pas d’un droit, mais d’un fait. L’enfant advient selon un don de la nature, et de ce don nous ne sommes jamais vraiment dignes. Il est le surcroît d’un amour sexuel, et non le résultat d’une visée directe. Car aucune assurance humaine, technique ou morale, ne peut être légitimement à l’origine de sa venue. Si sa présence relevait de notre compétence, alors nous le dominerions absolument, il serait un rouage dans un dispositif, une étape dans un projet, et non l’événement de la vie qui commence et toujours nous dépasse. Lorsqu’un enfant lance à ses parents : « Je n’ai pas choisi de naître », les parents peuvent toujours lui retourner la politesse : « Nous non plus, nous n’avons pas choisi, cela nous a été donné, et nous essayons de changer notre surprise en gratitude. »

     

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    Nous pouvons à présent reprendre les trois éléments dont nous avons parlé plus haut, l’amour, l’éducation, la liberté, et voir comment ils se spécifient au sein de la famille, à partir de cette donation qui nous dépasse.

    Première spécificité : l’amour familial est essentiellement un amour sans préférence. Il ne relève pas du choix ni de la comparaison. Cela vaut spécialement pour la relation entre les parents et les enfants. L’amour des parents et des enfants est fondé sur la filiation elle-même et non sur des affinités électives. On le sent très bien lorsque le père est un lecteur de Tite-Live tandis que le fils se consacre aux jeux vidéos. Jamais ils n’auraient songé à se trouver dans le même salon. Jamais ils n’auraient formé ensemble un club. Mais la famille est le contraire du club électif ou sélectif. Les liens du sang y brisent les chaînes du parti tout autant que les chaînettes du caprice.

    L’enfant est toujours tel que les parents ne l’auraient pas voulu, mais aussi tel qu’ils l’aiment, et donc qu’ils consentent inconditionnellement à l’accueillir. Les parents sont toujours tels que les enfants leur auraient préféré des héros de films, Charles Ingalls, par exemple, ou Yoda, mais aussi tels qu’ils les aiment, malgré tout, de cet amour constitutif, qui précéda leur propre conscience d’eux-mêmes, et donc tels qu’ils doivent inconditionnellement les honorer.

    La famille, c’est toujours l’amour du vieux con et du jeune abruti, et c’est cela qui la rend si admirable, c’est cela qui en fait l’école de la charité. La charité est l’amour surnaturel du prochain, celui qu’on n’a pas choisi et qui nous est de prime abord antipathique. Or les premiers prochains que l’on n’a pas choisis, et qui nous sont souvent insupportables, ce sont nos proches. 

     

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    Deuxième spécificité : dans la famille, le lien éducatif se fonde sur une autorité sans compétence. On n’attend pas d’être un bon père ou une bonne mère pour avoir un enfant. Sans quoi on attendrait toujours. La paternité vous tombe dessus, parce que le désir vous a tourné vers une femme. Quel rapport entre les deux ? La biologie y voit une continuité. Mais la phénoménologie, disons la lecture de l’expérience vécue, montre une disproportion radicale, sinon une rupture entre le désir érotique et l’accueil d’un enfant. La paternité n’est pas une anticipation. C’est la présence de l’enfant qui vous la donne, cette paternité, c’est lui qui vous en investit soudain, comme d’un costume trop grand.

    On peut comprendre, s’il en va ainsi, la réticence des fabricateurs du Meilleur des mondes : « En quoi celui qui a simplement couché avec une femme serait-il habilité à élever un enfant ? En quoi sa libido bestiale lui octroie-t-elle une quelconque compétence éducative ? » Cette réticence conduit fatalement au règne des incubateurs et des pédagogues, et à la mise au rebut des véritables parents. Le père est alors remplacé par l’expert, et la famille, par la firme professionnelle.

    Mais, dans la famille, il ne s’agit pas d’abord de projet d’éducation mais de réalité de la filiation. Ce n’est pas la compétence qui y fonde l’autorité. C’est l’autorité reçue, malgré ses faiblesses, qui se met par la suite en quête d’une certaine compétence, sans doute, mais qui possède aussi son efficacité propre quoique paradoxale. L’autorité sans compétence a une valeur en soi, et même une valeur sans prix. D’une part, le père y montre qu’il n’est pas le Père, avec une majuscule, qu’il est lui-même un fils, et donc qu’il doit avec son fils se tourner vers une autorité plus haute que la sienne. D’autre part, puisque son autorité ne vient pas d’une compétence, mais d’un don, le père ne peut pas faire de l’enfant sa créature, et essayer de le valoriser sur sa propre échelle de valeur : il doit l’accueillir comme un mystère. Et c’est cela l’autorité la plus profonde, qui se distingue de toute compétence fonctionnelle. Elle n’instruit pas l’enfant en vue de telle ou telle qualification particulière, elle lui manifeste le mystère de l’existence comme don reçu.

     

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    Enfin, troisième spécificité en droite ligne de celles qui précèdent : dans la famille s’exerce une liberté sans maîtrise, quelque chose, nous l’avons déjà vu, qui n’est pas la liberté d’indépendance ou de pure décision, mais une liberté de consentement à ce qui est donné. Le projet parental est vite brisé par l’aventure familiale. Car il s’agit bien d’une aventure, et non d’une projection. Toutes les tragédies antiques en témoignent, qui mettent toujours en scène des histoires de famille. Mais il y a aussi ce fait ordinaire qui appartient plutôt à la comédie selon Molière : le fils ou la fille n’ont de père et de mère que pour les quitter, fonder une autre famille, épouser un parti qui n’est souvent pas le meilleur aux yeux de leurs parents.

    La famille est toujours en excès sur elle-même, non seulement par le don de la naissance, mais aussi par les alliances extérieures dont elle procède et vers lesquelles elle va. Il y a votre belle-mère et puis il y a la belle-mère de votre propre fils, il y a cette extension de proche en proche qui, d’après Aristote, constitue le village puis la Cité.

    Cette liberté sans maîtrise, qui vous lance dans une aventure et même dans un drame, répond à des liens qui ne sont pas contractuels. On aimerait bien ne vivre que selon des contrats et pouvoir ajuster les rapports selon sa convenance, se dégager dès que ça sent la crise. Or, on peut changer d’associé, mais on ne peut pas changer d’enfant. Et l’on peut devenir copain avec un plus âgé que soi, mais on ne peut, sans fausseté, devenir le copain de son père. Comme la différence sexuelle empêche la fusion, la différence générationnelle interdit le nivellement. Il faut faire avec un ordre causal, une hiérarchie donnée, un patrimoine hérité, ce qui invite la liberté à s’ouvrir aux distinctions du réel, et à ne pas sombrer dans l’indifférenciation d’une prétendue toute-puissance.

     

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    Nous pouvons à présent approcher la famille dans le secret de son essence. Elle n’est pas une chose parmi d’autres, mais foyer, et non pas « foyer clos », mais foyer rayonnant. Un foyer, en peinture, n’est pas un objet qui apparaît dans une perspective, mais le point à partir duquel s’ouvre la perspective. Un foyer est aussi un feu, à savoir lumière et chaleur, et donc quelque chose qu’on n’éclaire pas avec autre chose, mais qui s’éclaire de lui-même, qui se manifeste de lui-même. Je veux dire par là que la famille, avant d’être un objet de pensée, est ce à partir de quoi nous nous sommes mis à penser. Souvent, on l’oublie, comme on oublie le sol, comme on ne voit pas ce qui nous tient et nous pousse en avant. À partir de cet oubli et de la fiction individualiste qui en découle, nous avons tendance à dissocier le logique et le généalogique. Nous posons l’homme comme individu doué de raison, et refusons de le reconnaître comme fils de ses pères. Or il est l’un avec l’autre. La tradition chrétienne nous le rappelle divinement. Pour elle, le Logos est le nom grec de la raison, mais c’est aussi le nom évangélique du Fils.

    Qu’est-ce donc qu’une famille ? On peut l’envisager à partir de ce que nous avons dit : la famille est le socle charnel de l’ouverture à la transcendance. La différence sexuelle, la différence générationnelle, et la différence des ceux deux différences, nous y apprennent à nous tourner vers l’autre en tant qu’autre. C’est le lieu du don et de la réception incalculable d’une vie qui se déploie avec nous mais aussi malgré nous, et qui nous jette toujours plus avant dans le mystère d’exister.

     

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    C’est comme ce premier lieu de l’existence qu’elle est aussi lieu de résistance. Résistance à l’idéologie, à la bien-pensance, à la programmation. La famille est la communauté originelle, donnée d’abord par nature et non seulement instituée par convention. Elle offre donc toujours, par son ancrage sexuel, un contrepoint à l’artifice, et ménage un espace pour ce qu’on peut appeler une vérification.

    L’homme public peut cultiver son image de façade, montrer son plus beau profil sur les réseaux sociaux, mais quel est son visage dans le privé, devant sa femme et ses enfants ? Le grand Hercule, qui a vaincu les monstres, se trouve minable devant Déjanire. Le jeune génie, qui perce sur les étalages, a honte d’être vu avec son papa et sa maman, lesquels attestent de son origine commune. La volonté de puissance est toujours contrariée par la proximité familiale. Et c’est pourquoi le totalitarisme aussi bien que le libéralisme, l’emprise technologique aussi bien que le fondamentalisme religieux, commencent toujours par mettre la famille sous tutelle, avant d’essayer de la détruire. »

     

    Fabrice Hadjadj

    Grenelle de la Famille

    8 mars 2014

    La Mutualité

     

    [1]Rousseau écrit dans l’introduction de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754) :« Commençons donc par écarter tous les faits. » Mais, au début du Contrat Social (I, 2), il ne peut s’empêcher d’admettre le fait fondamental : « La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. »

    [2] Je pense à l’usage grec de la papponymie : « Selon cette coutume, le fait pour un homme de prénommer son fils aîné du prénom de son propre père confirme à la fois et transcende que tout parent retrouve ses propres parents à travers ses enfants. La permutation symbolique implique au minimum la succession de trois générations pour fabriquer de l’humain institué » (Pierre Legendre, Filiation, Filiation. Leçon IV, Fayard, 1990, p. 62.)  

     

     

     

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    fabrice hadjadj,éducation,transmission,vulnérabilitéTout le Grenelle de la Famille #8 mars 2014 en images

    Retrouvez les discours de :

     
     
     
  • Les mots de Marthe Robin nous fortifient : plonger dans l'Amour, revivre notre baptême…

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    En cette fête de la saint Rémi, je vous invite à plonger dans ces pages extraites du Journal de Marthe Robin, du 15 janvier 1931, comme s’il s’agissait de revivre notre baptême. C’est comme cela que j’en ai reçu la lecture moi-même hier soir.

    C’est une manière aussi de nous fortifier pour la Marche Pour La Vie de dimanche 19 janvier prochain.

    Je dédie ces mots à tous leurs lecteurs, et plus particulièrement à quelques personnes qui comptent directement dans la fruition de La Vaillante, pour la foi en la France, la foi en l'homme, la foi en Dieu : Bernard Peyrous, Ludovine de la Rochère, Camel Bechikh, Axel Nørgaard Rokvam, Jean-Marie Élie Setbon, Fabrice Hadjadj, le père Dominique B., frère Théophane, sœur Michèle-MarieLes Veilleurs de France & de Navarre…

    CAMILLE FORNELLO

     

     

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    « J’ai de plus en plus l’attrait d’aimer Dieu « en esprit et en vérité ». L’oraison est à l’esprit ce que l’âme est au corps. Quand l’âme se retire du corps (à la mort), toute vie physique disparaît, et quand on ne fait plus oraison, il n’y a plus de vie intérieure possible. Il en est de la vie de l’âme comme de la vie du corps. Un enfant ne grandit et ne se développe que dans la mesure où on l’alimente ; l’âme ne se développe et ne vit qu’à proportion qu’on la nourrit. La prière est pour l’âme ce qu’une pluie régulière est à un jardin que dessèche les rayons ardents du soleil ; elle lui donne et lui maintient la fraîcheur du ciel dont elle a un besoin constant.

     

    Quand je prie, mes prières ne sont ni articulées ni balbutiées, et cependant mon esprit est constamment plongé en Dieu, perdu en lui, si j’ose m’exprimer ainsi. Je jouis de la présence sensible de Dieu en moi.

     

    Avec ses intimes, Dieu se plaît à parler tout bas. Il aime l’âme qui l’écoute et lui parle sans bruit. Qu’y-a-t-il de plus beau que ce qui ne se voit pas, ne s’entend pas ! Dans l’amour, ce qui se dit tout bas a infiniment plus de valeur que ce qui s’articule tout haut et se comprend bien mieux. Vivre au-dedans de son âme… toutes les lumières divines sont là ! Prier en dedans.

     

    Des profondeurs de la douleur jaillissent et s’élèvent les plus profondes et les plus fécondes prières. C’est en nous amenant au fond de notre âme que la douleur nous fait monter sur les hauteurs… jusqu’à l’infini… jusqu’à Dieu !

     

    Que le silence est bon, fécond avec Dieu ; c’est la fusion dans l’amour infini… l’amour de l’âme ardente que rien n’absorbe, rien n’arrête, rien ne retient ni ne limite. Il ne faut jamais rester au seuil de son âme, il faut rentrer à l’intérieur, y descendre, y réfléchir, y méditer, y travailler et s’y laisser travailler… face à face avec Dieu ! Que de pauvres humains qui ne vivent jamais avec leur âme et reste au seuil toute leur vie. Que de saintes pensées effleurent notre esprit sans le pénétrer ; elles ressemblent aux épaves qui flottent su l’océan et que le vent emporte. Pour qu’une vérité devienne nôtre, il ne faut point y passer rapidement dessus, mais s’y arrêter, y réfléchir, s’y fixer.

     

    Contempler Dieu longuement… le contempler tout le temps… L’âme devient belle en se nourrissant de la beauté… elle devient bonne en s’abreuvant à la bonté… elle devient aimante en s’inondant dans l’Amour. N’être qu’amour dans la douleur.

     

    La Beauté… c’est Dieu ! La Bonté… c’est Dieu ! L’Amour… c’est Dieu.

     

    Une seule âme de beauté suffit pour purifier bien des souillures !… une seule âme de bonté suffit pour racheter bien des laideurs ! Une seule âme d’amour suffit pour faire sombrer bien des haines.

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    Chercher Dieu, c’est la foi… le trouver, c’est l’espérance… le connaître, c’est l’amour… le sentir, c’est la paix ; le goûter, c’est la joie… le posséder… c’est l’ivresse.

     

    La foi est un don de Dieu : on ne se donne pas la foi, on la demande… C’est croire à tout ce que contient le saint Évangile comme révélé par Notre-Seigneur lui-même, à toutes les vérités enseignées par l’Église. Et les mettre en pratique. La foi est le flambeau de la vie éclairant nos espérances, nous amenant à l’amour de Dieu.

     

    La foi, c’est croire sans voir, mais parce que Dieu a parlé, et en avoir confiance ; c’est voir dans les ténèbres par la lumière qui est Dieu. Croire à Dieu, simplement en théorie, n’est pas la foi… la foi, c’est croire par la pratique et vivre ce que l’on croit. Il n’y a que cette foi qui soulève les âmes. Que de chrétiens sont peu chrétiens pour ne pas réaliser leur foi ; réaliser, c’est pratiquer ce qu’on possède. Que nous servirait d’avoir un trésor si nous n’en savions pas l’existence ?

     

    L’espérance, c’est reconnaître les grâces que Dieu nous fait dans l’attente des biens qu’il nous promet ; c’est la pleine confiance qu’en vivant pieusement, vertueusement ici-bas, nous aurons part aux récompenses, au bonheur des élus.

     

    L’amour, c’est la fidélité, la conformité, la pensée continuelle au Dieu que l’on aime. L’amour fait voir Dieu dans la plus humble chose… c’est vivre près de Dieu en craignant le péché, ennemi de Dieu. L’amour peut tenir lieu de tout. Hors l’amour, tout le reste n’est rien, ne porte rien. L’amour pur et vrai n’a point de mesure ; rien ne l’empêche de grandir, les adversités, les douleurs sont un feu qui le pousse. L’amour vrai n’est pas celui qui charme… mais bien celui qui rend humble, détaché, qui porte au recueillement, au devoir.

     

    La paix, c’est un sentiment suave et profond dans l’âme, lequel ne vient que de Dieu, et qui n’est donné qu’à l’âme qui vit dans l’union avec lui. La paix durable et profonde naît dans la prière et le plus souvent dans la souffrance ; elle est semblable à un ruisseau qui coule limpide, calme et paisible, entre deux rives fleuries. C’est bon la paix, meilleur, mille fois, que le succès ; je te donne ma paix, je te laisse ma paix… garde-la bien… ne trouble pas celle de tes frères.

     

    La joie, c’est déjà l’aurore de la moisson que récolteront tous les cœurs fidèles à Dieu. Elle est souvent le fruit d’une longue souffrance, le rayon divin que Dieu projette dans une âme qui lui appartient, qui ne lui refuse rien et sait être son amie. On ne peut se donner la joie, mais on peut toujours se tenir dans la paix.

     

    L’ivresse, c’est la jouissance même de Dieu qui fait que tout le ciel est dans l’âme et l’âme vit de la Vie. C’est goûter en cette vie les délices enivrantes de l’éternelle Patrie dans l’union amoureuse, dans l’intimité avec Jésus. Il fait bon avec vous, Maître… restons.

     

    Ascension ! Jésus est mon guide dans les sentiers surnaturels qui mènent aux sommets invisibles. C’est Jésus que je vois en tout, que je trouve en tout. Me perdre de plus en plus en lui pour n’être plus qu’une transparence de lui.

     

    Esprit Saint, Dieu de Lumière, enveloppez mon âme de vos éblouissantes clartés… qu’elle soit toute submergée dans les feux de l’amour. Ô Jésus ! vous seul dans ma vie.

     

                                                                 15 janvier 1931 (jeudi) »

    MARTHE ROBIN

     

  • Désormais, c’est l’Assemblée Nationale qui pourra dire ce qu’est la dignité, la parenté, le vivant et l’humain

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    L’archaïque République Française doit retrouver sa place dans le grand marathon du Progrès. Enthousiasmé par son avancée fulgurante dans la course à l’égalité des droits, l’État Socialiste ne compte pas s’arrêter en si bonne route, et entend doubler ses voisins européens dans l’épreuve décisive de la compétitivité scientifique. Vous l’aurez compris, un pays moderne ne peut plus tolérer qu’on prive ses chercheurs du droit à utiliser tous les matériaux disponibles pour faire évoluer la Science. Puisqu’il y a un droit à l’enfant, il y aura donc, a fortiori, un droit à l’embryon. Mon but ici n’est pas de discuter l’idée de progrès scientifique (pourtant discutable), ni même de souligner les enjeux moraux des débats qui se tiennent actuellement à l’Assemblée Nationale. Mon projet est d’étudier les implications logiques de la loi autorisant la recherche sur l’embryon.

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         Deux conceptions de la vie s’affrontent. La première est l’héritière d’une longue tradition scolastique, qui considère que la vie est une puissance en devenir. L’essence d’une chose est définie par ce à quoi elle tend, par ce qu’elle est en puissance, par ce qu’elle est capable d’être. Un gland est ainsi un chêne en puissance, parce qu’il tend à réaliser son essence de chêne. Un tilleul, au contraire, bien qu’il ressemble plus à un chêne que notre gland, ne sera jamais un chêne. La deuxième conception, au contraire, étudie, non pas à ce qu’une chose peut devenir, mais ce dont elle est composée, les propriétés qu’elle possède à l’instant T de l’expérience scientifique. Ces propriétés peuvent être matérielles ou non, elles doivent être immédiatement constatables. Ceux qui arguent en faveur de la recherche sur l’embryon partent du principe que l’embryon n’est pas un être humain parce qu’il ne possède pas encore les propriétés qui nous permettraient de le reconnaître comme tel. Tout le problème, alors, est de définir quelles propriétés doivent être constatées pour définir une chose comme un être humain. La sensation ? La capacité à s’exprimer ? L’intelligence ? Puisque l’on expérimente déjà sur des animaux, il semblerait que ni la sensation, ni la capacité d’expression, ne soient des critères suffisants. Après tout, le nouveau-né, par ses propriétés, ressemble davantage à un lapin qu’à une personne raisonnable. Il semble donc, en bonne logique, qu’il faille trancher. Soit on définit un être par ses propriétés immédiates, et alors un enfant de moins de 5 ans n’est pas davantage un humain que l’embryon, soit on admet que l’enfant est un être humain en puissance, et alors, il faut trouver un critère pour définir à partir de quand une chose reçoit le pouvoir de devenir un être humain. On voit ici que la logique est impuissante à poser ce choix : ce sera donc à l’Assemblée de le faire.

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         Mais allons plus loin. Admettons que l’embryon soit seulement un vivant, et aucunement un être humain en puissance. Cette loi nous oblige à reconsidérer notre attitude face à la vie. Quiconque a déjà travaillé avec des animaux sait que l’on ne peut définir a priori leur utilité : le vivant se présente à nous avec ses potentialités multiples, et il dépend seulement de nous de savoir les mettre à profit. Il se trouve que la poule pond des œufs, nous avons à nous adapter à elle. L’inerte au contraire n’a pas de fonction, ni d’essence, qui ne soit construite. Prenons un caillou. Il dépend de nous de transformer ce caillou en arme, en outil, en objet d’art. L’inerte est a priori susceptible de servir à tout et à n’importe quoi. En revanche, une fois son rôle défini, son essence est figée dans une spécialisation unique, dont il ne peut plus bouger. Ce caillou est une statuette, ou une pointe de lance, mais pas les deux à la fois. La tendance actuelle est de réduire le vivant à de l’inerte : la poule de batterie pond, ou bien elle se mange, mais pas les deux à la fois. Quel rapport avec l’embryon ? Dans la mesure où l’on n’accepte pas que l’embryon, comme la poule, ait des puissances qui lui soient propres (ce qui reviendrait, on l’a vu, à admettre qu’il est un humain potentiel), force est de reconnaître qu’il est aussi indéterminé qu’un caillou. Il reviendra donc à son propriétaire de lui donner sa fonction, de lui trouver une utilité spéciale. Il est ainsi remarquable que, dans les présents débats, on ne nous dit jamais à quelles expériences précises l’embryon est censé apporter une solution irremplaçable. Et c’est normal, puisqu’il est indéterminé. Il est, au contraire, une source infinie de découverte : tout dépendra du rôle que lui donnera le scientifique dans son expérience. Un jour support d’une greffe, l’autre élément d’un mélange chimique. La vie devient un outil. Il est bon, ici, de rappeler le fameux passage, cité à tort et à travers, où Descartes affirme que nous sommes « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Dans sa lettre à Reneri datée de mai 1638, il rectifie une mauvaise compréhension de cette expression : la technique ne nous rend maîtres de la nature que si nous reconnaissons que le monde n’a pas été créé pour nous. Il ne nous revient pas de définir, et au besoin de transformer, ce que les choses sont. Bien au contraire, pour nous rendre maîtres du monde, il faut comprendre qu’il n’est pas fait pour nous, mais que nous devons nous adapter à lui : « nous nous sommes insensiblement persuadés que le monde n’était fait que pour nous, et que toutes choses nous étaient dues ».

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         Ce qui se joue donc également ici, c’est une transformation radicale du sens de la science. Si les vivants n’existent que pour nous, si nous décidons de ce qui est humain et de ce qui ne l’est pas, alors la science ne peut plus être une connaissance. A quoi bon chercher à connaître ce qu’il nous revient de définir ? La science ne peut pas non plus être l’étude des fonctions naturelles de la matière, puisqu’il est en notre pouvoir de distribuer les rôles dans le laboratoire, de choisir la fonction de nos outils de travail. La recherche sur l’embryon ne permet pas de mieux savoir exactement ce qu’est un embryon, puisque, de toute façon, son utilisation comme matériau de recherche, implique sa destruction en tant qu’embryon. Notons par ailleurs que la science, dans ce débat, n’a pas son mot à dire. Car l’on sait déjà ce qu’est un embryon. N’importe quel élève de 1ère S vous dira qu’un embryon est un amas de cellule contenant déjà tous les gènes de l’adulte qu’il sera.

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         En réalité, ce débat recouvre les mêmes enjeux que celui de l’euthanasie ou du mariage pour tous, dans la mesure où il revient désormais à l’État de définir la réalité de manière autoritaire, d’imposer d’en haut les limites que l’on ne veut plus chercher dans la nature des choses, cette nature qu’il revenait autrefois à la science de connaître. Désormais, c’est l’Assemblée Nationale qui pourra dire ce qu’est la dignité, ce qu’est la parenté, ce que sont le vivant et l’humain. Cette décision relève désormais, non pas d’une attention au réel, mais d’un choix arbitraire. Rappelons ainsi, au passage, que la ministre a hier utilisé sa réserve de vote, privant ainsi les amendements de l’opposition de toute influence sur le texte de loi. C’est l’État qui dicte le réel au nom de la science. Tristes souvenirs. Triste paradoxe surtout : la vie ne se constate plus, elle se décide. Cette décision, paradoxalement, se fait au nom d’une conception de la vie qui la réduit à ses propriétés immédiatement remarquables. Or, comme nous le voyons, réduire la vie à ce qu’on peut en observer de manière neutre et scientifique, c’est en soi une décision qui n’est pas neutre du tout. Mieux, on réduit la vie à ses propriétés, tout en la transformant en un outil indéterminé, dont on choisit les fonctionnalités intéressantes. Inutile de rappeler que parmi les propriétés immédiatement constatables de l’embryon, il y a celle de devenir un fœtus.  Le chercheur de ne se préoccupe pas de définition. Au contraire, pour mener à bien son expérience, il lui est nécessaire de réduire tel vivant à une unique propriété, sur laquelle porte son étude. Spécialisation de la vie, qui devient un outil. Elle ne se réduit plus à l’ensemble de ses propriétés : au contraire, elle devient un amas de propriétés que l’on peut disséquer, séparer, entre lesquelles on peut faire son marché. Et, in fine, c’est toujours l’État qui choisit quelles propriétés méritent d’être retenues.

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         Le pouvoir produit le savoir, ce dernier devant, en retour, légitimer le pouvoir. C’est ainsi que la science s’échine à prouver depuis des décennies que l’embryon humain ne diffère en rien, au début, de n’importe quel autre embryon animal, que les chromosomes X Y ne définissent pas assurément une identité sexuée, que l’encéphalogramme plat n’est pas le seul critère pour distinguer le vivant du mort, etc. La science ne devient pas seulement une technique neutre : elle est un instrument de domination. Et l’ombre de Foucault, toujours, nous rappelle qu’il n’est pas de pire tyrannie que celle qui s’exerce au nom du progrès scientifique.

    La Loutre (M.D.)
    in L'Alouette
    11 juillet 2013