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Fabrice Hadjadj & l'embryon : on ferait mieux de se demander si l'on est face à de la vie humaine ou pas.

À l'occasion du débat parlementaire sur la recherche sur l'embryon, le philosophe FABRICE HADJADJ examine LE STATUT DE L'EMBRYON.  

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Ce mardi 16 juillet, l'Assemblée nationale a voté une proposition de loi autorisant la recherche sur l'embryon en France. Le philosophe ­Fabrice ­Hadjadj, directeur de Philanthropos, l'Institut Européen d'Études Anthropologiques (Fribourg, Suisse), analyse, dans un entretien ci-dessous, la complexité du statut de l'embryon humain, qui ne peut être ramené à un simple amas de quelques cellules. Il répond ainsi au professeur René Frydman qui, dans Le Figaro, le vendredi 12 juillet, affirmait de son côté: « Pour moi, l'embryon n'est pas une personne humaine », et estimait en particulier qu'interdire la recherche sur l'embryon était « incohérent et rétrograde ». Le débat continue avec le point de vue du philosophe, cette fois.

LE FIGARO. - Beaucoup affirment que « l'embryon n'est pas une personne ». Qu'en pensez-vous ?


Fabrice HADJADJ. - C'est curieux, on ne vient jamais chercher un philosophe pour effectuer une PMA ; mais on n'hésite pas à demander à un médecin de se prononcer sur des questions philosophiques. Je rappelle que la notion de personne est une notion métaphysique, d'origine théologique même, et qu'on ne peut l'employer comme ça sans être plus arriviste et plus fat que « Le Bourgeois Gentilhomme ». D'ailleurs, je ne sais si vous avez remarqué, on s'évertue à dire l' « embryon », tout court. Mais de quoi s'agit-il ? D'un embryon de veau, de macaque, d'ornithorynque ? Non, il s'agit d'un embryon humain. M. Frydman a beau jeu d'argumenter en disant: « Un œil non averti ne peut différencier un embryon de souris d'un embryon humain. » Lui, le défenseur du « in vitro veritas », connaissant la génétique et maniant le microscope électronique, refuse tout d'un coup de voir le code génétique de cet embryon, fait la promotion de l'« œil non averti ». Implante-t-il un embryon de souris chez les femmes qui lui demandent une PMA ? Pourquoi pas, si ça ne fait aucune différence ? L'évidence, c'est que l'embryon dont il est question est humain. Aucun scientifique ne peut dire le contraire. Or supprimer un être humain, c'est un homicide. Faire de l'être humain un matériau disponible, c'est le comble de l'exploitation. Je n'émets pas ici un jugement de valeur. Après tout, il peut y avoir des motifs d'être homicide, et de nombreux États ont légalisé l'exploitation et la manipulation des humains, au nom du progrès. Ce que je reproche, en tant que philosophe, c'est que l'on refuse d'appeler un chat un chat, et qu'on se livre à des détours de langage qui relèvent de la dissimulation.

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LE FIGARO. - Si les choses sont si évidentes, pourquoi un tel débat ?


Fabrice HADJADJ. - Un texte de Bertrand Monthubert, ancien secrétaire national à la recherche du PS, paru le 11 juillet, est assez significatif. Je cite son argumentation savoureuse dans sa grammaire très approximative : « L'embryon n'est pas une personne, la science est très claire là-dessus. Si c'étaient des personnes, ça voudrait dire que les embryons qu'on crée et qu'on détruit dans le cadre des FIV sont des assassinats. Ce n'est absolument pas le cas. » Tout y est. On parle de « l'embryon », sans préciser qu'il s'agit d'un embryon humain. On prétend que la notion de personne est « très claire » pour la science. Et l'on produit pour seul argument l'impossibilité d'être un assassin. La dénégation a donc deux causes. La première, c'est ce mot de « personne » et la confusion métaphysico-juridique qu'il induit. On ferait mieux de se demander si l'on est face à de la vie humaine ou pas.
Or, puisque cette vie est humaine, la question est de savoir si l'on veut en rester à l'article 16 du Code civil, stipulant que « la loi garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie », ou s'il faut l'abandonner. La deuxième cause est dans la difficulté à reconnaître que, suivant une logique techniciste, nous avons créé une situation insoluble et insoutenable, devant laquelle notre conscience est déboussolée. En effet, ces 50.000 humains congelés, dont on voudrait surtout se servir comme réactifs pour des laboratoires pharmaceutiques, c'est quelque chose d'inimaginable. Il faudrait admettre que nous sommes déjà au-delà du « Meilleur des mondes » d'Aldous Huxley.


LE FIGARO. - Est-il possible d'affirmer en même temps que l'embryon humain « n'est pas une personne », et qu'« il est une personne en devenir » dans la mesure où il s'inscrit dans un projet parental ?


Fabrice HADJADJ. - Les scientifiques qui le soutiennent sont en vérité des adeptes de la magie noire. Abracadabra ! Je veux que ce soit une personne, et c'est une personne. Ça n'entre pas de mon projet, et pouf ! La personne disparaît ! On est vraiment dans le règne des apprentis sorciers. Mais cette manière de voir, si elle fait penser à la magie, est typiquement technocratique. Son principe est que la volonté prime sur l'être, et que dès lors tout le donné naturel, mon corps y compris, n'est qu'un matériau que je peux manipuler au gré de mes caprices. Je rappelle cependant ce que disait Hannah Arendt à la fin du Système totalitaire : l'essence du totalitarisme se trouve dans le refus de la naissance comme événement absolu, c'est-à-dire dans le fait de vouloir que l'individu n'ait de valeur que s'il s'inscrit dans une planification, que s'il est le rouage d'un dispositif antérieur à sa venue, qu'il s'agisse de l'idéologie du Parti, ou du projet des parents.

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LE FIGARO. - Peut-on accepter les interruptions de grossesse et les destructions d'embryons sans projet parental et refuser la recherche sur l'embryon ?

 


Fabrice HADJADJ. - Il est certain que tout cela est lié. Il faut d'ailleurs rappeler qu'une PMA, au final, fait détruire plus d'embryons qu'un avortement. De nouveau, je ne prétends pas me situer au niveau éthique, et surtout pas de cette éthique dont tout le monde aujourd'hui se sert comme d'une étiquette, pour se payer sa bonne conscience. Je constate simplement que nous sommes entrés dans une ère de manipulation radicale (c'est-à-dire dès la racine) de la vie humaine… Malgré tout, le changement de loi auquel on veut procéder n'est pas anecdotique. Jusqu'à présent, au point de vue législatif, le principe est le respect de la vie humaine, et la destruction ou l'utilisation d'embryons humains (on pourrait même dire la « marchandisation ») ne sont permises qu'à titre dérogatoire. Aujourd'hui, il s'agit de faire de la dérogation un principe, et d'inscrire comme prescription positive la réduction de l'humain à un pur matériau.


LE FIGARO. - Ne devrait-on pas vous taxer de rétrograde ?


Fabrice HADJADJ. - D'où vient cette rhétorique du « grand bond en avant » ? Avec elle, Mao fit 30 millions de morts. Il est bon de faire marche arrière quand on est au bord du précipice. En outre, ce qui est rétrograde, c'est de ne pas suivre la voie ouverte par le Prix ­Nobel de médecine, le Pr Yamanaka, avec ses cellules reprogrammées, lesquelles ne posent aucun problème éthique. Mais nous nous enferrons dans la recherche à partir d'embryons humains (sans doute, au fond, comme un moyen d'éviter à notre conscience le malaise d'avoir à les détruire) et nous laissons le Japon nous devancer dans des méthodes qui ont déjà donné de meilleurs résultats.


LE FIGARO. - Peut-on dire que ceux qui s'opposent à la loi sont toujours sous l'influence de l'Église Catholique ?


Fabrice HADJADJ. - M. Frydman l'a prétendu dans vos colonnes. Ce qui est doublement déloyal. Première déloyauté : faire croire que tous ceux qui s'opposent à ses opinions sont des fidéistes irrationnels. C'est tout à fait dans le style du procès stalinien. Seconde déloyauté : il se laisse présenter comme le « père du premier bébé-éprouvette ». Mais où est donc passé Jacques Testart ? Pourquoi ne parle-t-on plus de lui comme pionnier de la fécondation in vitro ? Précisément parce que, sans être catholique, Testart a dénoncé ceux qui « applaudissent religieusement à toutes les productions de laboratoire ». Il y aurait beaucoup à dire sur l'obscurantisme scientiste et ses fanatiques aujourd'hui.

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Le Figaro
15 juillet 2013

 

 

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