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artisans de paix

  • Correspondances entre St François d’Assise, Ste Marguerite-Marie Alacoque & St Jean Paul II

    Présentation d’Artisans de Paix – Monastère Sainte-Claire - Paray-le-Monial
    2 premières diapos par Sandrine Treuillard – 16 octobre 2023

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  • Les réflexions philosophiques de Bertrand Vergely sur les questions sociétales 7 ans après le Mariage Pour Tous

    Cette année 2022, Artisans de Paix invite Bertrand Vergely à s'exprimer lors de la Retraite interreligieuse au Centre spirituel des frères carmes de Avon. Le thème proposé est Les sens spirituels. Il en est question à travers l'émission ci-après.

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    Quand La Vaillante est née, le 16 février 2013, elle avait relayé la parole de Bertrand Vergely : Le mariage gay ou la dictature de la confusion. Dans l'émission suivante de KTO Conversations philosophiques, 7 ans plus tard et à la veille des 10 ans du Mariage Pour Tous, il formule a nouveau sa pensée, très clairement. Elle peut être entendue par chacun, loin de toute idéologie, revenant, au contraire, au bon sens et à la sagesse ordinaires qui savent s'émerveiller devant la vie.

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  • Prier avec le Souffle — — 32e Réunion de prières interreligieuse pour la paix — Artisans de Paix

    32e Réunion de prières interreligieuse pour la paix

    Logo Artisans de Paix.jpgARTISANS DE PAIX

    Zaouïa Naqshabandi de Richardville (91)

    dans le cadre de la SERIC

    7 novembre 2022

    Prier avec le Souffle

     

     


    Photographies de la soirée par un participant (Xiao DU)

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    1 - LE CHANT

    Ô Père des Lumières

    Lucernaire (Hymne à la Lumière)
    (Rimaud/Bénédictines de Vanves)

     

    1 – Ô Père des lumières,
    Lumière éternelle
    Et source de toute lumière,
    Tu fais briller au seuil de la nuit
    La lumière de ton visage :
    Les ténèbres pour toi ne sont pas ténèbres,
    Pour toi les nuits sont aussi claires que le jour ! R/


    R/
    Que ma prière devant toi
    s'élèvent comme un encens
    et nos mains comme l'offrande du soir !

    2 – Ô Père des lumières,
    Lumière éternelle
    Et source de toute lumière,
    Tu fais briller au seuil de la nuit
    La splendeur du ressuscité :
    Nous n'avons plus besoin de lune ou de soleil :
    Nous avançons à la lumière de l'Agneau ! R/

    3 – Ô Père des lumières,
    Lumière éternelle
    Et source de toute lumière,
    Tu fais briller au seuil de la nuit
    La clarté de ton Esprit Saint :
    Nous tenons allumées nos lampes pour les noces,
    Et nous allons à la rencontre de l'Époux ! R/

     

    2 – L’ÉVANGILE  

                Quand Paula m’a dit le thème de ce soir, Prier avec le Souffle, c’était un mercredi. Devant le Saint-Sacrement, pendant l’adoration, j’ai pensé à l’épisode de l’évangile quand Jésus ressuscité souffle sur les disciples. C’est le premier soir de la Résurrection, à peine 3 jours après sa mort sur la croix. Il est apparu toute la journée, depuis l’aube : dans le jardin du tombeau vide à Marie-Madeleine ; aux disciples attristés sur le chemin d’Emmaüs ; à Pierre… Le soir, Jésus apparaît dans la salle du Cénacle où ils sont réunis, complètement désorientés, renfermés à double-tour par crainte des Juifs qui ont tué leur Maître. Jésus souffle sur eux après leur avoir transmis, par deux fois, sa Paix de Ressuscité, la Paix qui l’unit à Dieu le Père.

                Évangile selon saint Jean 20, 19-23

    19 Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »

    20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.

    21 Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »

    22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.

    23 À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

     

                Puis, je pensais qu’il fallait revenir à la source de ce Souffle de la Résurrection, c’est-à-dire à celui qu’il expira sur la croix, remettant son âme au Père, en l’Évangile de saint Luc :

                Évangile de saint Luc 23, 44-48

    44 Il était déjà presque midi ; l’obscurité se fit dans tout le pays jusqu’à trois heures, 45 car le soleil s’était caché. Le rideau du Temple se déchira par le milieu.

    46 Alors, Jésus poussa un grand cri : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Et après avoir dit cela, il expira.

    47 À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendait gloire à Dieu : « Sûrement, cet homme, c’était un juste. » 48 Et tous les gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, voyant ce qui était arrivé, s’en retournaient en se frappant la poitrine.

     

                Délicatesse et force du Souffle du Christ : fortiter et suaviter. Force et douceur. Efficacité du Souffle du Verbe fait chair, comme sa parole « est vivante, énergique et plus coupante qu’une épée à double tranchants » (He. 4,12)

                Toute parole du Christ est performative, elle opère ce qu’elle énonce, ce qu’elle dit. En ce sens, elle est aussi prière, parce que si la parole de Jésus dit et opère ce qu’elle dit, c’est parce qu’il est sans cesse en lien avec Dieu le Père qui fait tout ce que Jésus, son Fils unique et parfait, lui demande. Leur union divine indéfectible a la Toute-Puissance d’opérer, de réaliser la demande du Fils par le Père, dans l’Esprit Saint. C’est ce qu’on appelle la circumincession de la sainte Trinité : quand le Fils parle et agit, il parle et agit en union avec le Père et l’Esprit. 

                Quand le Ressuscité ”déboule” au Cénacle, il donne par deux fois la paix aux disciples tétanisés. Dans un premier temps, ça les détend : douceur de la paix du Christ. Puis ça leur procure de la joie : joie de voir Jésus vivant, bien sûr, et que c’est bien lui et pas un fantôme, preuves à l’appui : ses plaies de Crucifié. Mais cette Joie est aussi et surtout un don de l’Esprit en acompte du Don qui va suivre : le Souffle de l’Esprit Saint lui-même qui habite en Jésus et qui « procède du Père et du Fils » (Credo). Jésus souffle l’Esprit Saint sur eux, son haleine de Ressuscité. Ça ne sent pas la mort, mais la vie. Son haleine de Ressuscité leur communique alors un pouvoir particulier que Jésus énonce ainsi : « À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus » (v.23).

                J’ai alors perçu un parallèle troublant entre ces deux extraits d’Évangile. Comme une réponse donnée aux hommes par le Souffle du Christ. Vous allez comprendre…

                Dans le second extrait d’Évangile, nous sommes plongés dans les ténèbres en plein milieu de l’après-midi ; le rideau du Temple se déchire et le cri de Jésus est associé à ce déchirement et à cette nuit. Mais… « les ténèbres pour toi ne sont pas ténèbres, pour toi les nuits sont aussi claires que le jour ! » comme nous le rappelle le lucernaire chanté au début de cette réunion de prières. Car… Ô Jésus !, tu remets ton esprit entre les mains du Père : « Et après avoir dit cela, il expira ».

                Ça y est, il est mort ! Après le supplice, le long chemin du calvaire depuis le jardin de Gethsémani où Judas est venu le cueillir par un baiser… où la puissance des ténèbres a commencé : la corde qui ronge les poignets, les soufflets, gifles, crachats ; la flagellation ; le visage tuméfié sous la couronne d’épines, le roseau moqueur à la main et le vêtement pourpre ; la croix qui lacère les épaules ; les trois clous, l’enfoncement du pied de la croix en terre, le sang qui irrigue le bois et la terre… les 7 paroles du Christ en croix. Ça y est, le supplice a pris fin, « Jésus de Nazareth, le roi des juifs » est enfin mort ! Soulagement. OUF !!!

                Mais c’est un baiser que Jésus expire sur la croix : l’Amour FOU de Dieu. Un baiser au Père : tout son corps, son sang, sa vie est un baiser au Père, un oui définitif, une preuve d’amour et d’obéissance dans cet Amour. C’est aussi un baiser à toute l’humanité, le baiser du salut pour tous les hommes.

                Au pied de la croix, ce baiser ultime agit immédiatement, bien qu’en secret : d’abord dans le cœur du centurion « qui rendait gloire à Dieu : « Sûrement, cet homme, c’était un juste. » Et dans le cœur de « tous les gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle », qui, « voyant ce qui était arrivé, s’en retournaient en se frappant la poitrine. » Le baiser d’amour fou de Jésus sur la croix opère la conversion de ceux qui se laissent toucher par sa mort : son Souffle remis et retourné à la Source. Souffle qui est le Don de la Vie de Dieu pour les hommes.

                Vous le voyez donc, dans la finale de ces deux extraits d’Évangile, c’est le Souffle de la vie qui a le dernier mot :

                1° Le Christ en croix manifestant l’Amour infini de Dieu par son Souffle qui donne sa Grâce à ceux restés au pied de la croix : grâce de la foi, du repentir, de la conversion. De la reconnaissance que Jésus est le juste et le Messie attendu des Juifs.

                2° L’haleine que le Ressuscité souffle à ses disciples au Cénacle a le pouvoir de les mouvoir, de se faire engouffrer le vent dans leur voile pour aller apporter sa paix, la Paix du Christ que nous recevons et échangeons à chaque messe. Paix du Christ Jésus reçu depuis l’Eucharistie que nous sommes envoyés, tout comme les disciples, à communiquer au monde, à en être les fidèles témoins.

                L’haleine du Ressuscité donne aussi le pouvoir aux disciples de pardonner les péchés ”en son Souffle” – comme on dirait en son nom – ou de ne pas les pardonner. Ce choix qui est laissé aux disciples de pardonner (« remettre les péchés ») ou de ne pas pardonner (« ne pas remettre les péchés ») manifeste la liberté constitutive du don de la vie de Dieu : notre liberté d‘enfants de Dieu. Mais au fond, bien sûr, c’est toujours Dieu qui pardonne : les disciples sont les vecteurs, les véhicules du pardon de Dieu. Liberté leur est laissée d’exercer ce don ou pas. Liberté de se laisser traverser par le « Souffle du Don » de Dieu ou pas. Cette liberté de pardonner ou pas au nom de Dieu est aussi une responsabilité fraternelle. La dynamique du pardon touche à la circumincession des trois personnes de la Trinité qui nous est communiquée par le Souffle de l’Esprit de Jésus. La liberté inclut notre responsabilité d’enfants de Dieu d’annoncer à nos frères et sœurs en humanité le salut du Christ transmis par ce « Souffle du Don » qui nous envoie en nous transfusant sa dynamique.

     

    3 - LE TEXTE DE LA TRADITION CHRÉTIENNE 

    le souffle du don.jpgQuand j’ai mis entre guillemets « le souffle du don », c’était pour annoncer, de façon encore voilée, le titre du Journal de frère Christophe, moine de Tibhirine, qui répond avec éloquence et adéquation au thème de ce soir : Prier avec le Souffle. « le souffle du don » de frère Christophe Lebreton est a été écrit entre le 8 août 1993 et le 19 mars 1996, jour anniversaire de sa consécration à Marie, quelques jours avant l’enlèvement des 7 moines de Tibhirine. Ils ont été béatifiés le 8 décembre 2018, à Oran, avec les 12 autres religieux martyrs d’Algérie.

     

     

                Dès le 22 août, fr. Christophe écrit dans son « cahier de prière », comme il appelait son Journal : « Assassinats à Alger. Après tant d’autres. Ce cahier ne peut rester à l’abri de cette violence. Elle me traverse ». « Tout au long des mois qui suivront, Christophe se laissera traverser par cette violence »[1]. J’ajoute : Comme le Christ s’est prêté librement aux mains de ses bourreaux. En lisant le Journal de fr. Christophe (qui porte le nom du Christ, comme son Prieur Christian de Chergé…), nous voyons comment il se laisse traverser par la violence et comment sa propre violence se convertit. En lisant, nous voyons le travail de l’Esprit en lui, du Souffle de Jésus Christ qui opère sa conversion pour le préparer au don de lui-même, en conformité avec Lui, jusqu’à verser son sang par amour de l’Algérie, du petit peuple qui souffrait, et que les moines du monastère de l’Atlas se sont refusé à quitter par amour de leurs voisins musulmans, devenus leur famille implicitement choisie par le vœu de stabilité inscrit dans la Règle de Saint Benoît des trappistes.

    Le 2e jour fr. Christophe réfléchit à son entreprise d’écriture : « Transcrire un baiser ».

    Au 20e jour : « … J’écrirai au désert. Je défendrai ta cause. Si ton Souffle prend ma main : j’obéirai à ton langage. »

    Le 15 décembre, il est à la trappe de Fès. À son retour, le 22 décembre : « Il y a eu des choses vécues ici à Tibhirine. / Surtout : le massacre des [12] Croates travaillant à creuser un tunnel et habitant en bas de chez nous. / Apprendre cela à Fès et puis vivre l’événement qui nous touche ici n’est pas identique. / Je retrouve une communauté très marquée, impressionnée : approfondie dans son identité chrétienne, humaine et… contemplative. / Je dois essayer d’intégrer en moi ce qu’ils ont vécus. »

                Mais il n’en aura pas le temps. Deux jours plus tard, dans la nuit de Noël, c’est la « visite du Père Noël » (mot de fr. Paul) : Sayah Attia, « le bourreau des Croates », « et l’émir des terroristes de la région centrale »[2], nommés « frères de la montagne » par les moines, déboule en armes avec ses compères au monastère et veut « emprunter » le docteur, fr. Luc, qui tenait le dispensaire et soignait tout homme sans demander de quel bord il était. Le Prieur, fr. Christian, tient tête par trois fois à Sayah Attia qui le menaçait en disant que les moines n’avaient pas le choix. « Si, nous avons le choix ». Fr. Christophe et Philippe, quand ils avaient entendu fr. Célestin crier à l’arrivée des maquisards armés, étaient descendus se cacher dans l’une des grosses cuves à vin désaffectées de la cave. 2 heures dans la cuve où ils ont dû retenir leur souffle… Ils en sont remontés tout étonnés et honteux de voir leurs frères encore là, en vie, chantant l’office de Noël. Le 14 janvier 1994, fr. Christophe note : « À Vigiles, cette nuit, j’ai lu l’histoire du Déluge. / Et puis j’ai lu l’histoire de ta Passion et de ta Glorification. / Le sens de ce Noël 93, tu le dis à Pilate : / Je suis né / et je suis venu dans le monde / pour rendre témoignage à la vérité. / Ton souffle nous compromet : corps et biens / dans ton témoignage, / le témoignage de Jésus, c’est le souffle de la prophétie. / Faut-il faire un effort de communication pour essayer de faire entendre que ce souffle nous a bouleversés, traumatisés dit-on… / et pour ma part, je voudrais ne pas trop m’en distraire, rester branché au lieu d’expiration : ta Croix / ici s’ouvre le Chemin de l’Église / on fait ici stabilité de pèlerin, de passant. » Le 16/01 : « Dans la nuit, j’ai rendu de ta part ce service infini de dire : je te pardonne / Est-ce que je sais mon corps pour toi et toi pour mon corps. / Je ne puis dire si je suis uni à toi, simplement je pleure et supplie de n’être jamais séparé de toi, / temple du Souffle qui est en moi / venant du Père, par toi donné, / et je ne m’appartiens pas : Marie est en moi le garant de ce détachement qui en elle fut total, radical. / Près d’elle : je suis. Alors je pourrai te glorifier par mon corps. / Christian, rencontré longuement ce matin (…). J’en suis venu à parler de ce qui s’est passé le 24 au soir : qui fut vécu comme une fuite, puis une attente, puis une remontée de l’abîme. » Le 17/01, il recopie deux passages de M. Alain Chevalier à propos de l’Évangile de saint Jean :

    30 Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. (Jn 19,30)

    « Le fait (Jn 19,30) de transmettre le Souffle à un groupe dont la caractéristique est son approche de la croix dans une attitude de foi et indépendamment de tout autre titre… est bien dans la droite ligne du propos johannique. » Et, au sujet du passage d’évangile que j’ai choisi de vous lire tout à l’heure, en Jean 20 : « Le v. 23 annonce qu’à la suite du Fils et animé par son souffle va se poursuivre dans le monde un ministère de pardon et de condamnation, un ministère de jugement (krisis). Dans la perspective johannique, c’est toute la communauté qui continue dans le monde la démarche du Fils. »

                Le 20/01 : « Donne-moi à boire : de toi. La bouche grande ouverte : j’aspire. / Ce que tu me (nous) dit est : souffle de vie. / Je reçois mission de source : c’est Toi en moi, jaillissant en Vie éternelle. / Mission de respiration. » 25/01 : Conversion de saint Paul : « Cet Évangile n’est pas d’inspiration humaine. Dieu m’a appelé par son chérissement à le découvrir en moi pour que je l’annonce. Nul ne vient au Fils que par le Don du Père. Nul ne conçoit le Fils sinon le Père. Le Souffle seul sonde la Relation. / Te découvrir en moi, Jésus Fils du Père, c’est aussi me reconnaître merveille au regard de la Miséricorde. Venez voir, il m’a dit tout ce qui me concerne. / La mission, avant toute annonce, est écoute du Fils, accueil de ton Évangile en moi. L’Église, c’est d’abord un corps évangélisé. Et la maison de ton souffle de vérité : c’est charnel et pas une construction abstraite ou un échafaudage théorique. / Quand le disciple que tu aimes entend : voici ta mère / c’est Révélation en moi / de ton Je. »

                Le 1er février : « Nouvelle disposition du chœur. Elle accentue le recueillement, favorise l’écoute en communion. Je suis en vis-à-vis de toi – crucifié qui m’attires en ta vie. L’autel nous relie. J’ai tant besoin de ton Souffle. Ami, pour faire acte de foi, acte de chant – que jamais il ne se hausse plus haut que celui du serviteur. N’en déplaise aux liturges. » Le 2/02 : « Les échanges et les votes communautaires du temps de Noël ont bien manifesté ce nous vivant, survivant. Sa vocation ultime n’est pas la défense d’un temple [le monastère]. Nous avons fait l’expérience d’être ton corps / traversé par un glaive / habité par ton Souffle / c’est Lui qui défend notre identité christique. » Le 8/02 : « Peuple porteur du Nom, notre identité tient à dire Notre Père. La Croix : identité d’inspiration et d’expiration dans le Souffle remis. Absence en moi : de joie, de charité. Ne pas désespérer. Avec les survivants de Sarajevo, avec le peuple des humiliés, tenir entre tes mains = tenus de supplier : vite Notre Père, délivre-moi, délivre-nous du mal. » 56 jours après la « visite du Père Noël », le 19/02 : « À Médéa [ville dont dépend Tibhirine, en bas], l’autre nuit encore, ils ont fait œuvre de mort, ils ont aggravé la ténèbre. Mais il y a ce temps spécial ouvert pour nous, pour moi, dans la Nuit de ta naissance. Et on a dit : jusqu’à Pâques. Au-delà ne doit pas être envisagé, c’est un temps renouvelé, coulant de Source. Mais d’ici là, j’ai une conversion radicale à faire : devenir petit enfant. Puisque né de nouveau ce 24 décembre : tu m’as tiré de la fosse et fait remonter de l’abîme. Pour vivre : par toi, avec toi, à toi et en toi vers le Père. »

    Le 1er mars 94 : « Prier. À Jérusalem, au Liban, en Algérie, à Sarajevo… partout, c’est dangereux. Le priant est vulnérable, désarmé. / La prière de l’enfant : ta croix nous y invite. Elle m’attire… à Tibhirine. La prière de qui n’a pas d’autre défenseur que toi : tenu par ton Souffle. » Le 04/03 : « Tu me parles – quand je dis et chante : Pour moi grâce à ton amour, j’accède à ta maison. / Là en moi – si loin, si proche : / En Toi, j’ai accès à mon je, livré à l’amour dont tu es aimé, si quelqu’un m’aime – / et comment dire je t’aime sinon grâce à ton Souffle même / nous viendrons chez lui / moi et mon Père. » Le 6/03 : « Jésus serein ? Le zèle de ta maison me dévorera. Angoissé à mort… ta sérénité est celle du Priant. Levant les yeux au ciel, tu dis : l’heure est venue, Père. / Dans ta Prière, toute l’angoisse humaine est surmontée : par le Don qui investit entièrement ta liberté. / Le port d’attache, c’est ton Corps de Bien-aimé. / Ne me retiens pas car je monte vers mon Père et votre Père. / Dans la nuit du 24-25 décembre [1993], on est passé de la maison au corps. »

    Le 13/03 : « Belle eucharistie. Sur ta parole, Jésus, j’ai pris le Don, le Don qui te donne, je l’ai pris comme on prend un baiser : la meilleure part… au vol. Je l’ai saisi et ne le lâcherai pas. Obéir, c’est communier au Don. »

    Le 16/03 : « Le Don qui prend au corps – sinon c’est une idée de don. / Perdre ma vie, c’est le Don : à prendre ou à laisser. »

    Le 19/03, anniversaire de sa consécration à Marie qu’il aimait tendrement. « Le Souffle du Don » traverse ce jour de la saint Joseph : « Aujourd’hui, j’entends au fond de moi ton bonheur d’être en moi : Toi, l’Aimé de l’Amour. / L’expérience si pauvre – et dérisoire à en pleurer ou à en rire – de cet étudiant tourangeau disant je t’aime sans que nulle réponse ne vienne. / C’est ton je t’aime m’attirant dans la réciprocité du Don. / Ta liberté, Jésus, est liberté d’allure : là où je vais / après / nous y sommes : il s’agit de te suivre. »

    Le 06/05 : « Terrible répression : autour de nous. L’épicentre, c’est ta croix où tu te dessaisis de ta vie pour ceux que tu aimes : ici, aujourd’hui. » 8 mai 1994 : « À 14h, au centre de Ben Chnets à la Casbah, Henri Vergès, frère mariste, et Paule-Hélène, petite sœur de l’Assomption, sont assassinés. Nul n’a de plus grand amour que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime. » 10/05 : « Prier devrait conduire toute mon existence – quotidienne – à l’heure de passer de ce monde au Père. / C’est ici que m’attire ce que tu dis. Combien ton Église tient à toi : à ton Souffle de vérité. Tu lui envoies le Défenseur et dans la mort de Paule-Hélène et d’Henri : il démasque le Mensonge. Il fait tenir debout : à ce poste de travail où ton Amour même les tenait : se donnant là jusqu’à l’extrême. Ce témoignage passe par des servantes et serviteurs – amis – il vient de loin – il va et se mêle à l’Eucharistie. »

    Le 12 décembre 1995 : « Ma vie offre-t-elle prise à ton Souffle… épris de toi qui viens ? Marie : elle, debout, en plein vent, libre de Toi. »

     

    4 – LA BÉNÉDICTION

                Poème tiré de AIME JUSQU’AU BOUT DU FEU – Frère Christophe moine-martyr de Tibhirine – 100 poèmes de vérité et de vie – choisis et présentés par frère Didier, moine à l’abbaye Notre-Dame de Tamié – Éditions Monte-Cristo, Toussaint 1997.

                AIME JUSQU’AU BOUT DU FEU est un message d’amour pour le monde entier. C’est pourquoi le poème ICI ET LÀ de Fr. Christophe a été traduit en arabe, latin, italien, allemand, portugais, japonais, anglais, russe, polonais, espagnol, chinois, hébreu, hongrois, langue africaine, grec…

     

    Portrait fr Christophe Lebreton.jpgIci et là

     

    L’offrande de Jésus
    me passe entre les mains

    je sais où va sa vie
    je pars

    pour autant   ,   frères
    étant donné      Amour
                  je demeure

     

     

    Logo Fraternités AdP.jpg

     

     

     

    Sandrine Treuillard
    de la Fraternité eucharistique catholique d’Artisans de Paix

     

     

    Retrouvez tous les textes sur la page enrichie 
    Artisans de Paix – ou le désir de rencontrer l'(A)autre


    N O T E S

    [1] Citation de Dom Armand Veilleux qui préface le Journal. LE SOUFFLE DU DON – Journal de frère Christophe – Tibhirine 1993-1996. 1ère édition Bayard/Centurion, 1999. 2ème édition Bayard 2012, préface de Mgr Henri Teissier en plus de celle de Dom A. Veilleux.

    [2] John Kiser PASSION POUR L’ALGÉRIE – LES MOINES DE TIBHIRINE – L’enquête d’un historien américain, Éditions Nouvelle cité, 2006. 

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  • Les 7 Demeures spirituelles du Bhx Père Marie Jean-Joseph LATASTE, op

    artisans de paix,demeures spirituelles d'artisans de paix,jean-joseph lataste,dominicaines de béthanie,sandrine treuillardPETITE INTRODUCTION À LA 'GÉOMÉTRIE SPIRITUELLE'
    D'ARTISANS DE PAIX

    Le logo d'Artisans de Paix s'inspire du parcours dans le labyrinthe de Chartres où, pour parvenir au centre, le pèlerin ne cesse d'aller et venir en s'éloignant du centre, étant régulièrement renvoyé sur le bord du cercle formant le labyrinthe.

    La ménorah juive d'Artisans de Paix est un outil permettant de retracer le chemin spirituel de quiconque. C'est la présidente d'Artisans de PaixPaula Kasparian, qui est à l'origine de cet outil.

    Le pilier de la ménorah, correspondant à la 4e Demeure spirituelle, la Voie illuminative, est aussi la rosace qui aboutit au centre du cercle du labyrinthe de Chartres. Ce qui donne le schéma de la fusion du logo d'Artisans de Paix et de la ménorah vue de haut (cf illustrations plus bas, au cours de la lecture de cet article).

    N.B. : Les 7 Demeures sont contemporaines les unes des autres.

     

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    LES SAINTS NE SONT PAS ATTEINTS PAR LA MORT,

    ILS SE MARIENT


    Séminaire de recherche du 20 avril 2021

    7e Demeure spirituelle d’Artisans de Paix

    Portrait LATASTE + Logo Labyrinthe AdP .jpg 
    Le Bienheureux Père Marie Jean-Joseph Lataste, op


    I N T R O D U C T I O N

    Dans le culte catholique, le 1er novembre, nous fêtons tous les saints, ceux officiellement canonisés par le Vatican au cours des siècles, et ceux inconnus. Nous fêtons en réalité tous les baptisés, chacun étant appelé à devenir saint. Que signifie être saint pour un chrétien ? La voie de la sainteté chrétienne est le chemin à la suite du Christ. Une voie spirituelle, promesse d’atteinte du bonheur en plénitude dans l’union divine, à l’imitation du Christ. Un saint accompli est celui qui s’est conformé au Christ, à ses préceptes évangéliques, à sa vie, à ses Béatitudes. Heureux est-il ! nous disent-elles. Cette page de l’Évangile, aussi appelée le sermon sur la montagne, est un portrait spirituel du Christ.

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    Dans le schéma, la ménorah représente cette montagne. L’évangile des Béatitudes se situe au niveau du PILIER de la ménorah, correspondant à la VOIE ILLUMINATIVE. Le Verbe fait chair, le Christ, la Parole de Dieu incarnée, profère : Heureux ! Ce texte est une douce tornade qui descend de la bouche de Dieu vers les hommes. Les disciples sont assis en demi-cercle devant Jésus qui regarde chacun dans les yeux, tout en prononçant ces paroles. La douce tornade de la Parole de Jésus balaie les 7 Demeures spirituelles : tous les niveaux de notre être, de notre vie spirituelle. Son mouvement est multiple : de haut en bas, vers tout homme ; horizontalement, à tous les niveaux spirituels : en spirale descendante. Puis, en spirale ascendante elle visite encore chacune de nos demeures : ces paroles cherchent à nous élever à la plénitude de l’union à Dieu. La litanie du mot heureux visite chaque demeure, en spirale descendante, puis en spirale ascendante, puisque le but des Béatitudes est de nous élever à Dieu.

    ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU                                   

    1 Voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.

    2 Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :

    3 « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.

    4 Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.

    5 Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.

    6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

    7 Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

    8 Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

    9 Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.

    10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.

    11 Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.

    12 Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.


    Et c’est ainsi que Jésus Christ, le Fils de Dieu, sera lui-même persécuté à cause de son identité divine : flagellé et crucifié, mort sur la croix et ressuscité le 3ème jour. Croix glorieuse qui transfigure tout sur son passage. C’est dans son union à Dieu, à la volonté du Père, que Jésus, le Verbe fait chair et Dieu fait homme a réalisé cette plénitude de vie que sont les Béatitudes et qui, à vue humaine, nous semblent paradoxale. C’est parce que Jésus est sans cesse uni à Dieu le Père qu’il a la force de transfigurer les réalités, les épreuves, les souffrances humaines en béatitudes. Toute la vie du Christ, comprenant sa mort et sa résurrection, est le modèle de l’union totale à Dieu. Les Béatitudes sont une sorte de mode d’emploi pour y parvenir. Voie lumineuse de l’abandon confiant à Dieu (4e Demeure, voie illuminative).

    Aujourd’hui, pour vous parler de l’accomplissement spirituel d’un saint dans les noces spirituelles, la 7e et ultime Demeure d’Artisans de Paix, j’ai choisi de vous présenter la vie avec ses petites morts, ses résurrections et son enciellement – la naissance au Ciel, le face à face avec le divin Époux ­– d’un dominicain du XIXe siècle – le siècle de l’eucharistie comme l’a décrit saint Pierre-Julien Eymard, son aîné et son contemporain : le veux parler du bienheureux père Marie Jean-Joseph LATASTE, apôtre de la Miséricorde divine et des prisons, fondateur des Dominicaines de Béthanie.

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    1 – PREMIÈRES ANNÉES

    Le père Lataste est né en 1832, à Cadillac-sur-Garonne, près de Bordeaux, en Gascogne. Il est baptisé du nom d’Alcide deux jours après sa naissance. Sa sœur Rosy, son aînée de 15 ans, devient sa marraine. Il est le 7e enfant de la fratrie. Nourrisson, on craint déjà sa mort. Première occurrence avec le Christ : à l’image du petit Jésus dans la crèche dont le roi Hérode voulut la mort et entreprit le massacre des Innocents pour l’éliminer. Grâce à la fuite en Égypte de Marie et Joseph, le petit Jésus sera épargné. Pour le petit Alcide Lataste, l’air confiné de la demeure paternelle, mi-habitation, mi-magasin de draperies, déclenche une grave maladie, sans doute respiratoire. Le bébé est alors confié à une nourrice, à la campagne. De longs mois durant on essaye des remèdes, en vain, et le médecin renonce à le soigner, le déclarant perdu. Mais, peu à peu et contre toute attente, la santé de l’enfant s’améliore. La mère de l’enfant, Jeanne Lataste, a beaucoup prié la sainte Vierge. Elle lui attribue cette guérison inespérée[1]. La venue au monde d’Alcide est donc, dès le départ, un combat spirituel contre les forces de la mort. Nous sommes alors dans la seconde Demeure spirituelle d’Artisans de Paix. L’immense désir pour la vie de son enfant a poussé la mère à recourir à la prière mariale, qui correspond à la première Demeure d’Artisans de Paix. La pieuse nourrice n’est pas non plus étrangère au sauvetage de l’enfant. Ni sa sœur ainée de 15 ans, Rosy, d’ailleurs.

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    Après trois ans à la campagne avec sa nourrice qu’il aime comme sa propre mère, « Alcide revient à Cadillac et fréquente l’école maternelle des Sœurs de la Sagesse[2]. Il a ou va avoir 4 ans. Il est très pieux. Sa mère lui a expliqué le danger auquel il a échappé et la protection divine dont il a manifestement bénéficié. » Sa vie est voulue de Dieu, dont il est aimé.

    À l’âge de 7 ans, Alcide « va en classe chez les Frères de Saint-Gabriel ». « Il commence à lire. Sa piété grandit ; il désire devenir prêtre. » Deuxième occurrence avec le Christ : devenir un alter Christus, un autre Christ en désirant être prêtre. Nous sommes dans la première Demeure spirituelle, un immense désir, mais déjà dans la 5e, Demeure de l’élection.

    Souvent, sa mère ou sa nourrice « conduit Alcide à l’antique sanctuaire de Notre-Dame de Verdelais, à deux heures de marche de Cadillac. Un jour, le garçonnet coupe un morceau d’une des robes dont on revêt la statue miraculeuse, l’emporte comme une précieuse relique.

    Verdelais est certainement l’un des Hauts-Lieux qui influenceront le plus sa piété mariale. Il y reviendra toujours avec joie et, devenu homme, demandera maintes fois qu’on y prie pour lui la Madone. »

    À l’âge de 9 ans, il entre au petit séminaire de Bordeaux où il excellera en version latine. À 10 ans, Alcide « reçoit la sainte Eucharistie pour la première fois ». Un an plus tard, « il reçoit le sacrement de la Confirmation et choisit le nom de Marie. Il se souviendra plus tard avec bonheur de ces deux actes importants de sa vie. L’enfant garde envers la sainte Vierge une grande dévotion et continue à envisager le sacerdoce : « Cependant, écrira-t-il, je n’osais me déclarer, tant la mission de prêtre me paraissait grande et tant je m’en reconnaissais indigne. » »

     

    2 – ADOLESCENCE

    Alcide a 14 ans. Il « ne parle plus de son avenir. » Ses parents « s’inquiètent de ce silence, croient à un fléchissement de sa vocation. Ils décident de l’éprouver : leur fils ne retournera pas au petit séminaire. Cependant, « au début de l’année scolaire, Alcide arrive au Collège de Pons, « ayant au dedans de lui la ferme conviction qu’il serait un jour prêtre ». Sous la pression de son père, Alcide va dans la section laïque de ce collège. Alors commencent les épreuves qui feront dire au collégien que « le démon avait mis tout en œuvre pour l’empêcher d’arriver au sacerdoce. » » Il devient léger au contact de ses camarades, mais reste bon.

    Nous sommes, à l’entrée en adolescence du futur Père Lataste, dans ce déchirement intérieur entre l’immense désir de la 1ère Demeure et l’Appel de la 5e, celle de l’élection, dans le combat spirituel de la seconde. Ce combat que lui mène le démon est là pour lui empêcher l’accès à la 6e Demeure des fiançailles.               

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    Cercles des 7 Demeures spirituelles d’Artisans de Paix – Ménorah vue de haut :
    Le pilier central correspond à la 4ème Demeure, la voie illuminative.
    Opération en spirale de l’Esprit saint au niveau de toutes les Demeures,
    à partir de la voie illuminative, la 4ème Demeure.
    La spirale représente cette opération de l’Esprit appelée plus haut
    ”la douce tornade des Béatitudes”. (cf schéma en introduction)

     

    Dans ce combat pour l’empêcher d’atteindre la 5e Demeure de l’élection, sa sœur aînée et marraine, Rosy, lui porte secours. Il a 16 ans quand elle en a 31. Rosy est entrée l’année précédente au noviciat des Sœurs de la Sagesse. « En apprenant qu’il quittait le petit séminaire de Bordeaux, sa prière devient plus instante. L’abandon d’un projet qu’elle croit conforme aux desseins de Dieu, la consterne. Elle veut en savoir la raison. Une correspondance s’engage. Le jeune homme lui dit l’état de son âme : depuis longtemps il hésitait devant la grandeur du sacerdoce dont il se sent indigne. Rosy insiste : la vocation d’Alcide ne lui semble pas douteuse. Sentir son indignité est un indice favorable. Un sentiment de peur domine Alcide : il ne peut supporter l’idée d’être prêtre et de n’être pas saint. »    

     

    3 – ENTRÉE DANS LA VIE D’ADULTE

    À 19 ans, après l’obtention de son baccalauréat, Alcide décide d’entrer dans l’administration des contributions directes, à Bordeaux. Sa fréquentation du formateur à sa profession, un « fervent chrétien », « favorise la victoire décisive du jeune homme sur le démon de son adolescence. » Son ami « le présente à la Conférence Saint-Vincent de Paul où il se trouve d’emblée dans son élément. On organise l’adoration nocturne du saint Sacrement. Alcide et son ami sont des plus fidèles à ces veillées. »

    À 20 ans, Alcide, reçu à l’examen d’entrée de l’administration des contributions directes, est nommé en poste à Privas, en Ardèche. Après une période d’ennui il rejoint la Conférence Saint-Vincent de Paul locale. Il s’épanouit dans cette œuvre de charité envers les pauvres. Et c’est à Privas qu’Alcide tombe amoureux de Cécile, Mlle Léonide Cécile de Saint-Germain. Amour partagé. Mais les parents d’Alcide refusent cette union précoce et qui ferait dommage à la jeune femme car la situation matérielle d’Alcide est modeste au regard du rang social de Cécile.

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    Le père d’Alcide cherche à acquérir « l’assurance que cette affection n’est pas un caprice d’un moment. Il a jugé, à cet effet, convenable de les éloigner pour que cet amour soit éprouvé par l’absence ».

    C’est ainsi qu’à 21 ans, trois mois après sa rencontre de Cécile, Alcide est muté à Pau, pour continuer sa profession. « Dans l’épreuve, l’amour pour celle qu’il appelle désormais « ma sœur » se spiritualise, s’avive. Sa piété envers notre Dame devient plus fervente. Il se donne à la sainte Vierge et rédige son Testament spirituel : 6e Demeure : les fiançailles spirituelles.

     

    4 – L’APPEL DES ANGES

    Un soir, il entre dans une église pour prier. Il fait cette demande au pied de l’autel de la Vierge : « Si vous n’approuvez pas notre union, faites qu’Elle (Cécile) se détache de moi ou donnez-moi quelque autre signe qui me fasse comprendre ce que vous demandez de votre serviteur. »

    Deux ans plus tard, il est exaucé, à la manière divine : Il a 23 ans, quand, d’abord :

    1° : Sa sœur religieuse décède des suites « d’une paralysie. Elle avait offert sa vie pour la vocation de son frère et filleul. » – 2° : Deux jours plus tard, c’est sa nourrice, celle qui « l’avait gardé trois ans auprès d’elle et lui avait sauvé la vie », qui trépasse à son tour. – 3° : Enfin, un mois plus tard, Cécile de Saint-Germain « succombe des suites d’une fièvre typhoïde violente et compliquée de pleurésie », en quinze jours.

    Face à ses trois deuils à mener de front, dans un premier temps il passe toute son énergie dans la Conférence Saint-Vincent de Paul et ne désire plus que devenir religieux ou bien se consacrer aux pauvres dans le célibat. Alors qu’il a 24 ans, un vendredi de décembre dans la Neuvaine à l’Immaculée Conception, Alcide « se met à l’étude de sa vocation affermie sur la tombe de Cécile, la sœur des anges, comme il l’appelle désormais, et prie « pour les besoins et les désirs de son âme » à lui.

     

    5 – FRÈRE PRÊCHEUR

    À 25 ans, il rédige un acte de renonciation à la vie et entre au noviciat des dominicains, à Flavigny. Il devient frère Jean-Joseph : 6e Demeure, les fiançailles spirituelles.

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    À 28 ans, novice étudiant au couvent dominicain, un an après la réinstallation des Dominicains par Lacordaire à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, dans le Var, souffrant d’une ostéomyélite à la hanche, le fr. Jean-Joseph a le privilège et la grâce d’embrasser la relique du crâne de Marie-Madeleine, sainte patronne des dominicains, à l’occasion de la translation des reliques dans un nouveau reliquaire, à la basilique. Là, il reçoit l’illumination spirituelle, de la 3e Demeure, et, en quelques mois sera guéri de son mal. Cette infection osseuse de la hanche était un obstacle à la réalisation de son vœu à devenir prêtre. Or, il fait profession solennelle comme frère prêcheur et est enfin ordonné prêtre à 30 ans. Il parvient ainsi à la plénitude de la Demeure de l'élection (5e).

    Un an plus tard, il prêche sa première retraite aux détenues de la Maison de force de Cadillac (extrait 1 et extrait 2 du Sermon 96, sur Hozana), sa ville natale, à près de 400 femmes détenues. Il renouvelle l’expérience un an plus tard : 4e Demeure, les 3 qualités du Souffle primordial (Création – Rédemption – Participation à l’offrande), ce qui se traduit dans la prédication du Père Lataste par l'approfondissement de ses trois sujets de prédilection : 1 – la Miséricorde  2 – Marie-Madeleine  3 – l'Eucharistie.

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    Quand le père Lataste a déposé un baiser sur le chef de Sainte Marie-Madeleine, c’est comme une illumination spirituelle qui va irriguer tout le reste de sa vie, de sa prédication et le pousser à fonder. Quand il prêche la Miséricorde divine aux femmes détenues à Cadillac, la figure de la pécheresse pardonnée de l’évangile de Luc 7, 36-48 : Une femme verse du parfum sur les pieds de Jésus suscite un retournement profond en lui. Il les appelle « mes chères sœurs » et les entend en confession avant une nuit d’adoration. Il découvre que certaines sont prêtes à devenir religieuses, vivant déjà dans le grand silence pénitentiel de la prison, le travail forcé, ayant déjà pardonné tout le mal subit et regrettant l’enchaînement
    malheureux des événements qui les ont poussées à l’avortement, l’infanticide, la prostitution, ou à la mendicité et au crime…

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    Fusion du labyrinthe de Chartres, logo d’Artisans de Paix,
    et des Cercles des 7 Demeures spirituelles
    (ménorah vue de haut, le centre étant le pilier - la voix illuminative -
    superposé à la rosace au centre du labyrinthe)


    6 – FONDATEUR DES DOMINICAINES DE BÉTHANIE

    De ces prédications, des rencontres providentielles et avec l’intercession de saint Joseph qui accélère le processus, le Père Lataste fonde l’Ordre des Dominicaines de Béthanie, à l’âge de 34 ans, 3 ans avant sa mort : 6e Demeure, les fiançailles spirituelles. Il ouvre la vocation religieuse à ces femmes issues de prison : restaurées aux yeux de Dieu, elles ont retrouvé leur innocence en expiant leur crime en maison de force. Elles vivront ensemble avec des femmes issues de milieux favorisés dans le même couvent. L’adoration eucharistique quotidienne les rassemble, les guérit, les unit… La fondation des dominicaines de Béthanie est une véritable révolution au sein de l’Église et au sein de la société. Il rédige une brochure à ce sujet : Les Réhabilitées.


    7 – ENCIELLEMENT

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    Le père Marie Jean-Joseph Lataste rend l’âme trois ans plus tard, le 10 mars 1869, pas encore âgé de 37 ans, atteint d’une pleuro-pneumonie et en odeur de sainteté. Durant son agonie, 5 jours avant sa naissance au Ciel, son enciellement, le frère Rolland recueille cette confidence, qui présage de son entrée dans la 7e Demeure, les Noces spirituelles. Ce texte a été lu en ouverture de sa béatification, le 3 juin 2012, à Besançon. On l’intitule généralement UNE ADORATION PERPÉTUELLE. Le voici :

    « Autrefois j’avais pour la très sainte Vierge une dévotion toute filiale. Je remettais entre ses mains, pour qu’elle-même en fît l’application selon sa sagesse et sa prédilection, tous les mérites que la grâce de Dieu, mes actes de piété et ma vie religieuse, toute d’obéissance et de charité, pouvaient me faire acquérir. Peu à peu cette dévotion fut un peu éclipsée par une autre plus radieuse et plus féconde. Pendant tout mon noviciat et une partie des années de ministère que Dieu m’a données, l’amour de notre Seigneur alimenta mon âme et la remplit. Maintenant tout s’efface devant une pensée unique qui domine mon âme et s’impose à elle avec force : la pensée de Dieu, de Dieu seul. Je Le vois, je Le sens dans mon âme d’une manière confuse et un peu inconsciente, il est vrai, mais je L’y vois et je L’y sens avec une inébranlable et brûlante certitude. Aussi mon âme se porte vers Lui sans cesse par un acte d’amour continu un peu vague et un peu sourd, il est vrai, mais plus fort que moi-même. Il se fait en moi une adoration perpétuelle de Dieu par un acte simple de mon âme, toujours le même et toujours nouveau, sans commencement, sans milieu, sans fin : c’est comme un reflet, une lueur de l’éternité. Il me semble que Dieu m’abaisse et m’anéantit Lui-même devant Lui pour m’élever ensuite et me fixer en Lui-même par une adhésion intime à Lui seul tout-puissant, tout lumière, tout amour, et par un détachement absolu de tout ce qui n’est pas Lui. Je ne puis plus concevoir de pensée précise sur Lui, plus produire d’actes d’amour déterminés comme autrefois, je n’ai plus qu’une seule pensée qui comprend tout et épuise toutes les forces de mon âme : Dieu, plus qu’un seul acte d’amour si intense et si continu que je ne puis plus, sans un grand effort, ni augmenter son ardeur, ni le cesser pour le recommencer. Il me semble que toute mon âme avec tout ce qui est en elle, est jetée dans le sein de Dieu et qu’il ne reste plus rien en elle que Dieu la pénétrant de toutes parts, la vivifiant, l’illuminant, l’embrasant, la divinisant. »

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    Dominicaines de Béthanie
    lors de la béatification du Père Lataste
    3 juin 2012 - Besançon

     

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    Sandrine Treuillard

    Chargée de mission de la Fraternité eucharistique catholique d’Artisans de Paix.
    Conceptrice, rédactrice en communication,
    auteur du texte, des schémas et de la mise en page de ce document.

     

     

    N O T E S        

    [1] Pour écrire ce texte je m’appuie sur l’ouvrage de Robert et Claude Evers Le Père Lataste – Apôtre des prisons, Imp. de La Presse, 1954, dont les citations sont entre guillemets.

    [2] Les Sœurs ou Filles de la Sagesse est l’Ordre issu de la spiritualité mariale de Louis-Marie Grignon de Montfort, alors non encore canonisé. Les Frères de Saint-Gabriel également. Les Sœurs de la Sagesse ont également le soin des detenues de la Maison de force de Cadillac, dont nous reparlerons plus loin.

     

    Intervention à retrouver sur la page enrichie
    ARTISANS DE PAIX OU LE DÉSIR DE RENCONTRER L'A(a)UTRE

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  • Du corps parlant au corps priant : Quelle transition ? – Réunion interreligieuse de prières – ARTISANS DE PAIX

    artisans de paix,réunion interreligieuse de prières,père lataste,marie-madeleine,sandrine treuillard22 novembre 2021
    Zaouïa Naqshabandi de Richarville (91)

     

     

     

     

     

     

     

    ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC 7, 31-37

    GUÉRISON D’UN SOURD-BÈGUE

    Traduction du grec : Lucien Deiss C. S. Sp., 1963 – Synopse des Évangiles, DDB, 1991

    31 Et étant sorti de nouveau du territoire de Tyr,
    il vint par Sidon vers la mer de Galilée,
    en plein territoire de la Décapole.

    32 Et ils lui amènent un sourd-bègue.
    Et ils le supplient de lui imposer la main.

    33 Et l’ayant pris à l’écart de la foule,
    Il lui mit ses doigts dans les oreilles.

    Et ayant craché, il toucha sa langue ;

    34 Et ayant levé les yeux au ciel,
    il soupira.
    Et il lui dit : « Ephphata »
    C’est-à-dire : « Ouvre-toi ! »

    35 Et ses oreilles s’ouvrirent.
    Et aussitôt, le lien de sa langue fut délié.
    Et il parlait correctement.

    36 Et il leur défendit de le dire à personne.
    Mais plus il le leur défendait,
    Bien plus encore eux le proclamaient.

    37 Et ils étaient au comble de l’étonnement, disant :
    « Il a bien fait toutes choses !
    Et il fait entendre des sourds
    Et parler des muets ! »

     

    Pour évoquer le corps parlant et priant, j’ai choisi un évangile apophatique : apophase signifie négation. C’est plutôt par le silence que le corps de Jésus parle dans cet évangile. Une seule parole est relevée, celle qui opère la guérison de cet homme sourd-bègue.

    Prenons verset par verset :

    v. 31 : LONGUE MARCHE DE JÉSUS, après avoir guéri la syro-phénicienne : environ 150 kilomètres parcourus. Si vous prenez une carte, vous voyez la courbe de sa marche qui n’a pas l’air très logique : c’est que Jésus suit la volonté divine, pas à pas. Il ne sait pas à l’avance où il sera envoyé. Il quitte Tyr et remonte en Phénicie jusqu’à Sidon, puis redescend à l’est de la mer de Galilée en plein territoire des Dix Villes, au sud-est du lac de Galilée. La marche de Jésus est UNION À SON PÈRE DU CIEL. Pour Jésus, marcher c’est prier le Père, attention permanente à ce que lui souffle l’Esprit Saint. C’est comme si, en marchant, il accumulait une force, tout en priant, comme si cette marche-prière était une dynamo qui accumulait cette force dont il fera bénéficier le sourd-bègue ensuite. Jésus arrive au cœur de la Décapole[1], en plein territoire non-juif.

    v. 32 : Mystérieusement attirés par Jésus, les habitants d’une ville de la Décapole lui amènent un sourd-bègue. Ils savent que Jésus fait des miracles, en ont le souvenir dans celui du gérasénien possédé d’un esprit impur qu’il a libéré à la suite d’une traversée du lac, en Marc 5, 1-20. Jésus, quant à lui, est très discret et NE S’ANNONCE PAS LUI-MÊME LORS DE SES DÉPLACEMENTS. Ces gens lui demandent d’imposer la main sur le sourd-bègue, geste thaumaturge, pour le guérir de son handicap.

    artisans de paix,réunion interreligieuse de prières,père lataste,marie-madeleine,sandrine treuillardv. 33 : Première réaction décisive de Jésus : il emmène cet homme loin des bruits, des yeux, des paroles de la foule. Il cherche à ÉTABLIR UNE INTIMITÉ avec cet homme silencieux et privé d’une parole claire. Ce n’est pas dit dans le texte, mais implicite : pour aller à l’écart de la foule, ils sont donc côte à côte, à marcher en silence. Ce temps-là de la marche silencieuse est déjà une action de Jésus, de relation, très délicate, invisible, tout intérieure et attentive à la personne de l’homme dont il prend soin, dès qu’il lui est confié. Ce TEMPS DE LA MARCHE est celui de la rencontre mutuelle et de l’apprivoisement de la P(p)résence. Ce qui permet à Jésus de poser les GESTES TRÈS INTIMES ET INTRUSIFS de cette guérison : mettre ses propres doigts dans les trous des oreilles ; cracher dans la paume de sa main, prélever sa salive et l’appliquer sur la langue de l’homme, qui voit très bien ses gestes.

    LA SALIVE suggère la création d’Adam de la terre : pour faire de la boue il faut ajouter de l’eau à la terre. La salive fait aussi penser au SOIN MATERNEL : avec son petit, quand elle donne les premiers aliments solides, il n’est pas rare que la mère goûte pour voir si ce n’est pas trop chaud, où mâchouille avant de mettre le petit bout de nourriture en la bouche du petit… Enfin, et c’est peut-être le plus important ici, LA SALIVE DU CHRIST, le Verbe fait chair, est CONDUCTRICE DE VIE et de recréation, de restauration.

    v. 34 : Ces gestes très charnels et intrusifs de Jésus sont finalement très maternels. C’est d’ailleurs ce qui qualifie la miséricorde divine : des entrailles de mère. Les gestes du Christ Jésus s’accompagnent de sa prière vers le Père du Ciel : tout en levant les yeux au ciel Jésus PRONONCE EN SOUPIRANT un vocable en trois syllabes, une PAROLE ELLE-MÊME PLEINE DU SOUFFLE AVEC LE SON F DOUBLÉS : « Ephphata ». On ne sait pas trop s’il demande au Ciel/au Père de s’ouvrir pour faire descendre le Souffle divin en l’homme, sur l’homme, comme la colombe de l’Esprit Saint au baptême de Jésus ; ou bien s’il demande à la personne sur laquelle il prononce cette parole de s’ouvrir au don de Dieu, de son Esprit. Il s’agit sans doute des deux : étant le médiateur entre la volonté du Père et l’action de l’Esprit Saint, JÉSUS INSUFFLE SA DIVINITÉ.

    v. 35 : Ainsi, le Verbe fait chair, Dieu fait homme, Jésus prononce Ouvre-toi ! et sa parole agit ce qu’elle dit, performative. Parole plus efficace qu’une épée à double tranchant, avec ses deux f du Souffle divin ! Et ses oreilles s’ouvrirent. Et aussitôt, le lien de sa langue fut délié. Et il parlait correctement. La guérison qu’opère Jésus rend toute son intégrité de personne à cet homme qui, dorénavant, ne pourra plus être qualifié par son handicap.

    v. 35-36 : Entre le verset 35 et le verset 36, Jésus va rendre cet homme à sa communauté. Il n’est pas dit qu’ensemble ils retournent à la ville, mais c’est une évidence. LE COMPAGNONNAGE DE LA MARCHE RECOMMENCE, mais d’une façon inouïe, toute nouvelle pour l’homme qui entend désormais ses pas sur le sable, la terre, les cailloux… et ceux de Jésus, et qui peut exprimer ce qu’il ressent de façon articulée et droite, sans doute avec beaucoup de joie. Tous les deux partagent ce moment exceptionnel et certainement très intense, dans l’intimité de leur marche.

    V 36 : De retour au point de départ, dans la ville en plein territoire de la Décapole, la foule qui les attendait est là. Après avoir rendu son intégrité à cet homme, il le rend à sa communauté en leur défendant une chose bien étrange : alors qu’il a rendu la parole à cet ex sourd-bègue, il interdit à tous de clamer la guérison qu’il a opérée ! Il défendit de le dire à personne. Alors qu’une foule est témoin du miracle ! Et LE MIRACLE PARLE DE LUI-MÊME ! Et naturellement : plus il le leur défendait bien plus encore eux le proclamaient. Alors pourquoi Jésus ordonne-t-il le silence sur la guérison qu’il a opérée ? Parce qu’il est MU PAR L’OBÉISSANCE AU PÈRE ET PAR L’HUMILITÉ : toute sa personne est tournée vers le Père et toute ses actions sont faites pour rendre gloire à Dieu, pour nous montrer Dieu le Père, car c’est lui la Source du salut, la Source de toute libération et de toute guérison. JÉSUS SE VEUT L’HUMBLE SERVITEUR DE DIEU. IL S’EFFACE.

    v. 37 : Mais la nature humaine est telle que personne ne comprend la nature divine de Jésus au milieu d’eux, qui fait des miracles : ils sont au comble de l’étonnement. Dans l’admiration toute charnelle, ils ne peuvent que publier les œuvres du Seigneur opérées par Jésus.

    Jésus, Dieu sauve : pour sauver l’humanité, il est nécessaire que Jésus s’efface, se donne lui-même jusqu’au bout, dans l’humilité, le silence, l’ombre, l’effacement.

    Pour finir : LE CORPS DE JÉSUS EST LE CANAL DE L’ESPRIT SAINT. Quand il marche, il est sans cesse relié au Père et en chacun de ses gestes aussi. Comme la nuée au désert, dans le premier Testament, qui descend sur l’arche d’Alliance, manifestant la présence divine qui accompagne les pérégrinations de son peuple, ainsi en va-t-il de la marche et des gestes de Jésus, mais de manière discrète et invisible aux yeux du corps… « que celui qui a des oreilles entende ! ».

     

    CHANT

    ABBA PÈRE – Collectif Cieux Ouverts

    Un chant de recréation, de restauration et de rappel du lien de l’homme à la divinité, dans l’Esprit et la confiance du tout petit, dans la tendresse du Tout-Puissant.

    Bien avant le chant qui créa l'univers
    Bien avant l'Esprit qui planait sur la Terre
    Bien avant que tu me formes de la poussière
    Tu rêvais du jour où Tu pourrais m'aimer

    Et bien avant les premiers battements de mon cœur
    Bien avant que je m'éveille à Ta douceur
    Bien avant mes doutes, mes joies et mes douleurs
    Tu rêvais du jour où je pourrais T'aimer (bis)  
    —> Ref

    Ref / Abba Père, je suis à Toi
    Abba Père, je suis à Toi
    Abba Père, je suis à Toi
    Abba Père, je suis à Toi
     

    Bien avant que Jésus marche sur la Terre
    Bien avant le Fils qui nous montre le Père
    Bien avant que les cieux sur moi soient ouverts
    Tu rêvais du jour où Tu pourrais m'aimer

    Bien avant que mon péché brise Ton cœur
    Bien avant que coulent le sang et la sueur
    Bien avant les clous, le froid et la douleur
    Tu rêvais du jour où je pourrais T'aimer (bis)   —> Ref

    Abba Père, je suis émerveillé
    Saisi par l'immensité de Ton amour pour moi
    Abba Père, si grande est ta tendresse
    Ton cœur est grand ouvert et je viens plonger dans Tes bras  (BIS & Ref)

     

    TEXTE DE LA TRADITION

    MADELEINE du Bienheureux Père Marie Jean-Joseph LATASTE (1832-1868)

    Né en 1832 à Cadillac-sur-Garonne, près de Bordeaux, les premières années de la vie religieuse dominicaine du Bhx père Marie Jean-Joseph LATASTE, jusqu’à son ordination, sont marquées par la maladie qui l’empêche de suivre normalement la vie dominicaine régulière. Un panaris à la main, mal soigné pendant son noviciat, faillit aboutir à une amputation de l’index, l’empêchant ainsi d’être ordonné prêtre. Plus tard, une ostéomyélite de la hanche gênera toute la période de ses études. La rencontre fondamentale de ces années de formation n’est pas celle de S. Thomas d’Aquin ou de la théologie, mais bien plutôt celle de Marie-Madeleine. À partir de 1859, à 27 ans, dans sa correspondance, il lui est quasiment impossible de parler de l’amour de Dieu, de l’attachement au Christ, du pardon, sans nommer Marie-Madeleine. Il semble fasciné par le travail de la grâce à l’œuvre chez cette femme : « Je ne sais rien de beau comme cette innocence recouvrée dans les larmes et dans l’amour », dit-il dans un Sermon (383 pour le jour de Pâques sur la persévérance, sans date).

    Grâce à sa maladie, il aura le privilège de baiser le chef vénéré de Marie-Madeleine, lors des grandes cérémonies entourant la translation des reliques dans un nouveau reliquaire, à Saint-Maximin, à la Sainte-Baume, le 20 mai 1860. Dans un précédent travail pour un séminaire de recherche d’Artisans de Paix, j’ai repéré que ce baiser à la tête de Marie-Madeleine du Père Lataste correspondait à son illumination spirituelle, le TOUCHER DE L’ESPRIT, à la 3ème demeure spirituelle d’Artisans de Paix.

    Je vais donc vous lire quelques extraits de ce sermon prêché aux détenues. Il décrira la scène de sa rencontre des détenues, 3 ou 4 ans plus tard, ainsi :

    « Elles étaient là, près de quatre cents, couvertes de vêtements grossiers, la tête enveloppée d’un mouchoir étroitement serré autour des tempes qui leur donnait une physionomie toute singulière et (il me le parut alors du moins) vraiment repoussante.

    Il était quatre heures et demie du matin. Je fus tout d’abord frappé de leur grand nombre et de leur recueillement. Il avait été réglé que, pour ne nuire en rien au travail forcé auquel elles sont soumises et aux habitudes de la prison, les exercices de la retraite seraient pris sur le temps ordinaire de leur sommeil : le matin, la prière, l’instruction, la Sainte Messe ; le soir, l’instruction, la prière et la bénédiction du très Saint Sacrement. Mais ces exercices étaient absolument libres ; c’était le seul point sur lequel on leur avait laissé l’usage de leur liberté, et cependant toutes étaient là, toutes à part deux mauvaises femmes obstinées, aussi quelques protestantes qui se tenaient à la porte, sans oser entrer, mais toutefois le plus près possible des autres. Il en fut ainsi tous les jours. (…) »

    Extrait du Sermon 95 du bhx Père Marie Jean Joseph Lataste, prononcé le 3ème soir de la retraite de 4 jours (samedi 17 septembre 1864), aux détenues de la Maison de Force de Cadillac. Retraite d’inauguration et d’introduction à l’Adoration perpétuelle du Saint Sacrement dans la chapelle de cette prison. Maison de force pour femmes tenue par des religieuses.

    Bannière LATASTE.jpg

    « Le moyen assuré d’échapper à la damnation et d’êtres admises aux banquets du Ciel, c’est de vous convertir dès la vie, à l’exemple de Marie-Madeleine, de vous convertir résolument et de tout cœur. Et que faut-il pour une conversion complète ? Madeleine va vous l’enseigner. Et quels sont les fruits d’une conversion complète ? Vous l’apprendrez encore par l’histoire de Madeleine.

    Il arriva un certain jour qu’un pharisien invita Jésus à manger avec lui. (…)

    Or, tandis qu’ils étaient à table, une femme connue dans la ville pour une pécheresse, apprenant que Jésus était là, entra dans la maison du pharisien apportant avec elle un vase et, se tenant humblement par-derrière aux pieds de Jésus, elle commença à les arroser de ses larmes, et elle les essuyait de ses cheveux, et elle les couvrait de baisers, et elle les oignait de son parfum. – Ce que voyant, le pharisien se disait en lui-même : Si cet homme-là était prophète, il saurait bien quelle est cette femme qui le touche et qu’elle est une pécheresse. – Et Jésus, qui lisait dans son cœur, répondant à sa pensée intime [lui dit une parabole. Puis, se tournant vers la femme, Jésus dit à Simon le pharisien :] Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as pas donné d’eau pour laver mes pieds ; mais elle, depuis qu’elle est entrée, elle n’a cessé d’arroser mes pieds de ses larmes et de les essuyer de ses cheveux. – Tu ne m’a pas donné le baiser en entrant, mais elle, depuis qu’elle est entrée, n’a pas cessé de baiser mes pieds. – Tu n’as pas embaumé ma tête, mais elle, elle a couvert mes pieds de parfum. – C’est pourquoi je te le dis : Beaucoup de péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé. Celui a qui il est moins remis, c’est qu’il aime moins. Et se tournant vers Marie-Madeleine, car c’était elle : Vos péchés vous sont remis. Votre confiance vous a sauvée. Allez en paix.

    Oh ! la douce et ineffable parole ! Et vous aussi, pauvres âmes, vous pouvez l’entendre, cette parole divine au fond de votre âme aussi pleine et entière que Madeleine ; si vous repentant comme elle vous allez à Dieu avec confiance, si vous faites ensuite ce qu’elle a fait… Trois choses : Braver la honte et l’humiliation publique. – Employer à Dieu ce qu’elle employait au péché. – Vivre pénitente. (…)

    artisans de paix,réunion interreligieuse de prières,père lataste,marie-madeleine,sandrine treuillardAvez-vous remarqué ceci : C’est qu’elle se sert pour exprimer au Sauveur son repentir et son amour des mêmes choses qu’elle employait autrefois au péché, et à témoigner aux misérables créatures ses amours criminelles : ses parfums, ses baisers, ses cheveux… elle les emploie au service du Sauveur ; et les purifie à ce contact sacré. C’est ainsi qu’il faut faire. Il n’est rien de bon qui ne nous vienne de Dieu et qu’il ne nous ait donné pour l’aimer. Ces dons de la libéralité de Dieu, les hommes les emploient bien souvent à des œuvres mauvaises ; vous-mêmes, Dieu vous avait donné bien des facultés, peut-être : la jeunesse, la santé, les avantages extérieurs peut-être, peut-être une âme ardente et capable des grandes et nobles affections, une intelligence ouverte, pénétrante, peut-être, capable de comprendre et de goûter les grandes et solides joies de la piété et de la foi… et tous ces dons de Dieu vous en avez abusé contre Dieu lui-même. Que vous reste-t-il à faire, maintenant que vous êtes résolues à vous convertir à lui ? – Allez-vous essayer de vous dépouiller de toutes ces choses par la raison que vous les avez employées au péché, allez-vous maudire votre jeunesse, votre santé, votre âme ardente, allez-vous essayer de tuer votre cœur et charger de fers votre intelligence… Non, non, mille fois non ; et sans compter que vous n’aboutiriez pas peut-être, ce n’est pas là ce que Dieu demande de vous. – Toutes ces choses c’est lui qui vous les a données, et il veut que vous en usiez pour le bien. Reportez tout cela vers lui, dépensez à l’aimer et à le servir désormais, dépensez à expier vos fautes et à lui faire oublier le passé, toute la force de votre âge, toute l’activité de votre âme, toute la lumière de votre âme, tout l’élan et toutes les tendresses de votre cœur. – Suivez le conseil de l’apôtre : Ne faites pas de vos membres des armes d’iniquité ; mais donnez-vous à Dieu et désormais devenus vivants, de morts que vous étiez, consacrez-lui ces mêmes membres et faites-en, à son service, des armes de justice et de sainteté. Et comme vous avez fait autrefois servir les membres de votre corps à l’impureté et à l’injustice pour commettre l’iniquité, faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification[2]. (…)

    Il y a quelque temps – Saint-Maximin – Procession – Sept Évêques – Deux cents prêtres et moines – vierge – foule, décors. – Qu’est-ce donc ? Est-ce Jésus sous les voiles du pain ?… Non, c’est un crâne, une tête décharnée, une tête de femme… C’est le Chef de Ste Madeleine… Sainte-Baume…

    C’est ainsi que la grâce de Dieu peut relever les âmes tombées et d’un monceau de boue, d’un vase de honte et d’ignominie faire un vase de gloire, d’honneur et de sainteté !… »

     

    BÉNÉDICTION

    Psaume 132

    1 Oui, il est bon, il est doux pour des frères *
    de vivre ensemble et d'être unis !

    2 On dirait un baume précieux, un parfum sur la tête, +
    qui descend sur la barbe, la barbe d'Aaron, *
    qui descend sur le bord de son vêtement.

    3 On dirait la rosée de l'Hermon *
    qui descend sur les collines de Sion.
    C'est là que le Seigneur envoie la bénédiction, *
    la vie pour toujours.

     

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    Sandrine Treuillard
    Chargée de mission de la Fraternité eucharistique (catholique) d'Artisans de Paix

     

     


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    Artisans de Paix – ou le désir de rencontrer l'A(a)utre

     

    [1] La Décapole a été créée par le découpage administratif romain. À l’origine, antérieurement à la Pax Romana, ces dix villes occupées par des colons grecs avaient sans doute été regroupées en une ligue, pour des raisons commerciales. Cependant, les dix villes d’origine coloniale grecque ne sont plus celles du découpage administratif romain où se rend Jésus.

    [2] Rm 6,19

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  • LA VISITATION : Mystère de l’hospitalité réciproque & figure de toute vraie rencontre

    artisans de paix,la visitation,fraternités artisans de paix,fraternité eucharistique (catholique),éducation,dialogue interreligieux,sandrine treuillard,collège saint-germain de charonne10 minutes de présentation aux élèves d’une classe de 3ème
    au collège Saint-Germain de Charonne - Paris 20ème
    sur le thème de la fraternité
    & de l'hospitalité interreligieuse.

    Le vendredi 22 octobre 2021

     

                Bonjour, je m’appelle Sandrine. Je suis donc la chrétienne de cette équipe d’Artisans de Paix.

                Après la présentation du point de vue juif de Serge, de l’hospitalité d’Abraham, je vais vous présenter un épisode du tout début de l’Évangile écrite par Luc. Le Livre de la Genèse, où est décrit l’hospitalité d’Abraham, est aussi lu et médité par les chrétiens dans la Bible, puisque Jésus Christ étant juif, tout le Premier/Ancien Testament est son héritage et l’héritage de tous les chrétiens.

                Les chrétiens ont donc comme recueil de la Parole de Dieu, la Bible. La Bible comprend le Premier ou Ancien Testament des juifs. Un Testament, dans le sens des Écritures saintes, c’est ce qui témoigne de la foi, de l’Alliance de Dieu avec les hommes. C’est la conversation de Dieu avec les hommes, écrite par l’intermédiaire de prophètes. Il y a donc d’abord l’ensemble des Livres du Premier Testament, la parole de Dieu avec le peuple juif. Puis, à partir de l’année zéro de l’ère chrétienne, à partir de la naissance de Jésus Christ, la Bible s’est enrichie du Second ou Nouveau Testament.

    LA BIBLE.jpg

                C’est la personne de Jésus Christ qui fait de nous des chrétiens. Le nom de chrétien vient de Christ, qui veut dire celui qui est oint avec de l’huile sainte, qui est l’élu de Dieu, choisi par Dieu, consacré à Dieu. Le Second Testament, tout comme le premier, est un ensemble de livres qui caractérise le témoignage chrétien. Ces livres témoignent de la vie de Jésus durant son passage sur la terre, d’avant sa conception jusqu’à ses 33 ans, puisqu’Il a été crucifié à l’âge de 33 ans. 4 personnes ont écrit la vie de Jésus que l’on appelle la Bonne Nouvelle de Jésus Christ ou Évangile. Ces 4 personnes, les évangélistes, qui ont écrit la vie de Jésus se nomment : Matthieu, Marc, Luc et Jean. À ces 4 évangiles s’ajoutent d’autres livres : d’abord Les Actes des Apôtres. Les Actes des Apôtres témoignent de la vie de l’Esprit Saint pour les premiers chrétiens, une fois que Jésus Christ est mort sur la croix et ressuscité. Car la foi du Chrétien réside dans l’expérience vécue dans notre vie de la présence vivante de Dieu qui est l’Esprit de Jésus mort et ressuscité, et donc bien vivant en nous et dans le monde, sous la forme de son Esprit.

                Dans le Nouveau Testament, il y a aussi de nombreuses lettres : de Pierre qui a connu Jésus de très près et est devenu le chef de l’Église chrétienne. Il y a aussi de nombreuses lettres de Paul qui a répandu la Bonne Nouvelle dans tout le pourtour de la Méditerranée et jusqu’à Rome. Et d’autres lettres d’autres témoins de la vie de Jésus. Il y a enfin un dernier livre qui conclut toute la Bible et le Second/Nouveau Testament : Le Livre de l’Apocalypse, qui est la Révélation finale de la vie de Jésus Christ ressuscité.

                L’épisode lié à l’hospitalité, dont je vais vous parler maintenant, est dans le 3ème livre des Évangiles, la Bonne Nouvelle de Jésus Christ écrite par l’évangéliste Luc. Luc était un médecin. Il commence son récit par l’annonce d’un miracle à un vieux prêtre qui offre de l’encens au Temple. Un ange apparaît à ce prêtre âgé qui s’appelle Zacharie. Ce messager de Dieu, l’ange Gabriel, est debout près de l’autel et révèle à Zacharie que sa femme, Élisabeth, va tomber enceinte alors qu’elle est, elle aussi, âgée. Tous les deux n’avaient pas pu avoir d’enfant durant leur vie de couple. Le miracle qu’annonce l’ange Gabriel est donc celui de la venue d’un enfant pour ce vieux couple stérile : un garçon qui s’appellera Jean.

                Ce même messager de Dieu, l’ange Gabriel, va apparaître 6 mois plus tard à une jeune femme, vierge, qui n’a pas connu d’homme charnellement. L’ange rentre chez elle et lui annonce que là, elle va tomber enceinte miraculeusement, de Dieu. Vous imaginez comme Marie, c’est son nom, est bouleversée quand l’ange débarque chez elle et lui dit que Dieu va la couvrir de son ombre, que son fils s’appellera Jésus – ce qui veut dire le Sauveur –, et que cet enfant sera le fils de Dieu lui-même ! Marie interroge l’ange : « Comment cela va-t-il se faire, puisque je n’ai aucune relation charnelle, ni sexuelle avec un homme ? » L’ange lui répond que tout est possible à Dieu et que, la preuve, sa cousine Élisabeth qui était stérile avec son mari Zacharie, eh bien Élisabeth en est déjà à son 6ème mois de grossesse ! Et l’ange la quitte sur cette annonce ! Cet épisode de l’Évangile de Luc s’appelle l’Annonciation.

                Marie est donc enceinte. En tous cas, c’est ce que l’ange Gabriel lui a dit. Et elle le croit. Elle est remplie de l’Esprit de Jésus en elle-même. Cet Esprit de Jésus qui n’est encore qu’un tout petit haricot dans ses entrailles de jeune fille, la pousse à aller voir sa cousine Élisabeth qui vit, elle, une grossesse miraculeuse depuis 6 mois ! Le ventre de Marie est encore tout plat. Celui d’Élisabeth déjà bien rond… Alors, Marie se jette sur les chemins, elle traverse les montagnes pour aller rendre visite à sa cousine Élisabeth, qui, à son âge, doit bien peiner à porter un enfant. Il reste encore 3 mois de grossesse pour Élisabeth. On peut imaginer tout ce qui se passe dans la tête de Marie, pendant qu’elle est en chemin vers la maison de Zacharie et Élisabeth. Son excitation, son émerveillement, sa joie… !

                Et Marie arrive à la maison du vieux couple. Elle frappe à la porte, elle entre, elle dit : « La paix soit sur cette maison ! ». C’est la salutation habituelle quand on entre chez quelqu’un. Et quand sa voix retentit dans la maison et va jusqu’aux oreilles d’Élisabeth, il se passe quelque chose de très beau et d’extraordinaire dans le ventre d’Élisabeth qui porte le petit Jean : l’enfant bondit de joie dans le ventre de sa mère à la voix de Marie ! Et Élisabeth lui dit ce qu’elle ressent dans son corps, de la vie joyeuse du petit Jean à l’arrivée de Marie dans la maison. En fait, Jean est joyeux parce qu’il rencontre pour la première fois le petit Jésus dans le ventre de Marie. Bien que Jésus ne soit que ”même pas” un petit haricot dans le ventre de Marie, le bébé de 6 mois, Jean, sent l’Esprit, la vie de Jésus, sa présence en Marie.

                Cette rencontre de Marie et Élisabeth, toutes les deux enceintes, est bien sûr une rencontre entre les deux femmes elles-mêmes. Mais c’est surtout la rencontre des enfants qui grandissent en elles : à l’ombre des entrailles de Marie, encore dans le secret, pour Marie ; et très visiblement en Élisabeth. Jean bondit d’allégresse à la venue de Jésus. La mission de Jean est et sera toujours joyeuse de montrer Jésus, de l’indiquer, de le faire connaître.

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                Cet épisode de la Visitation est donc pour nous, ici et maintenant, la figure de toute vraie rencontre. Une rencontre vraie, c’est quand ce qui est précieux en nous est révélé à l’autre que nous rencontrons et quand, réciproquement, nous est révélé ce qui est précieux en lui.

                La Visitation nous présente un mystère : quelque chose qui nous dépasse et nous révèle la présence de quelque chose de plus grand que nous, en nous, en l’autre et entre nous. Cette rencontre vraie et profonde nous pousse à la joie du partage, à la confiance et à l’affection fraternelle. En fait, la Visitation c’est l’Esprit Saint en visitation : c’est l’Esprit qui fait jaillir la joie dans la rencontre.

     

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    Sandrine Treuillard
    Chargée de mission de la Fraternité eucharistique catholique d'Artisans de Paix

     

     

    Après les quatre interventions du juif, de la chrétienne, du musulman et du bouddhiste et le petit échange entre eux, a été proposé l'exercice suivant :

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    La Visitation : Mystère de l'hospitalité réciproque
    & figure de toute vraie rencontre - avec Christian de Chergé

     

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  • Exploration de la voie unitive – 5 - 6 et 7ème Demeures spirituelles d'Artisans de Paix

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    Le logo d'Artisans de Paix résume en lui-même la contemporanéité
    des 7 Demeures spirituelles.
    Quand nous pénétrons dans le labyrinthe
    (de la cathédrale de Chartre),
    cheminant, nous nous rapprochons et nous éloignons du centre,
    alternativement, chacun à son rythme.
    Le centre
    (aux six lobes) représente le lieu de l'accomplissement.
    De ce centre jaillit la paix
    (et tous fruits spirituels), ici symbolisée par le rameau.

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    Paula Kasparian présente la menorah juive,
    symbole des 7 Demeures spirituelles d'Artisans de Paix.

    1 à 3 : Les Demeures PURIFICATIVES :
    -1- Un immense désir -2- Le combat spirituel -3- L'illumination spirituelle 

    La quatrième, pilier de la ménorah, voie ILLUMINATIVE :
    -4- Les trois qualités du Souffle primordial :
    La création, la rédemption et la participation à l'offrande

    5 à 6 : Les Demeures UNITIVES :
    -5- L'élection  -6- Les fiançailles spirituelles  -7- Les noces spirituelles

     

                Pour vous parler de la 6ème Demeure spirituelle d’Artisans de Paix, qui correspond aux fiançailles spirituelles, je ferai appel à deux grands épisodes de la vie de Jésus-Christ : au moment de son Incarnation, d’une part ; et au moment de son eucharistie sur la croix, d’autre part. La Vierge Marie est une présence active et cruciale lors de ces deux événements : elle est à la fois participante et vecteur de l’Esprit de Dieu en Jésus pour les hommes, à l’Annonciation (5e Demeure de l’Élection) et à la Visitation ; et au pied de la croix. Marie représente l’humanité qui acquiesce au dessein du salut de Dieu lors de ces deux extrémités de la vie terrestre de Jésus-Christ.

                Dans la Lettre aux Hébreux, après avoir expliqué l’efficacité du sacrifice du Christ Jésus qui fut donné en offrande sur la croix par Dieu lui-même pour le pardon des péchés et le salut de tous les hommes (He, 10, 12-18), l’auteur de la lettre aux hébreux écrit ceci : 

    Lettre aux Hébreux 10, 19-20

    19 Ainsi donc, mes frères, nous avons une pleine liberté pour entrer dans le lieu très-saint, grâce au sang du sacrifice de Jésus. 20 Il nous en a ouvert le chemin, un chemin nouveau et vivant à travers le rideau du sanctuaire[3], c'est-à-dire à travers son propre corps.

    Par le rideau ou le voile du sanctuaire nous pénétrons dans le lieu très-saint, dans la présence même de Dieu : à travers le corps-même de Jésus-Christ.

                C’est par-là que je vous convie à entrer dans la 6ème Demeure spirituelle d’Artisans de Paix : par le rideau ou le voile du sanctuaire qui est le corps de Jésus-Christ lui-même, qui nous fait pénétrer dans la présence-même de Dieu. Ce rideau, ce voile du corps du Christ à travers lequel nous passons, ce lieu du passage est la Demeure des fiançailles spirituelles. Avec tout ce que les fiançailles impliquent de respect de l’autre : respect de sa liberté dans ce temps du discernement de l’amour, avant les noces. Respect qu’a Dieu de notre liberté, pour notre engagement dans son Alliance. Dieu se présente à nous, il désire plus que tout au monde notre oui à l’Alliance qu’il nous propose, mais ne le force pas. Il ouvre notre intelligence à ses mystères, avec beaucoup de délicatesse, mais ne viole jamais notre liberté. C’est ainsi qu’il se présente lors de l’Annonciation à la Vierge Marie de Nazareth, par l’ange Gabriel, plein de prévenance et de chasteté.

                Dans le passage de Luc, l’annonce faite à Marie de la naissance de Jésus (5ème Demeure : l’Élection), je souligne ce qui a trait à la prévenance de Dieu par son ange et en gras ce qui a trait à la liberté de Marie qui se traduit par des questions qui impliquent l’exercice de son intelligence. Enfin, en caractère romain (standard), je souligne le mouvement du haut vers le bas, la kénose, l’abaissement de Dieu vers l’homme (en l’occurrence, ici, la femme, la Vierge Marie), dans son dessein d’incarnation de son Esprit divin dans la chair humaine :

    — par son ange ;

    — par l’Esprit Saint (« la puissance du Dieu très-haut »). 

    la visitation,la pentecôte eucharistique,demeures spirituelles d'artisans de paix,artisans de paix,sandrine treuillard

    Le premier corps charnel où se révèle
    l’Esprit de Jésus-Christ, Fils de Dieu,
    est celui de Marie


                Ainsi, déjà, dans l’annonce faite à Marie de la naissance de Jésus, nous constatons que le tout premier lieu de passage dans le corps charnel humain où Dieu veut se révéler, se manifester, est celui de la Vierge Marie, la mère de Jésus. Marie est la première prévenance de Dieu envers nous, ses créatures, la première délicatesse, pour ne pas nous heurter dans sa venue divine en notre humanité.

     

                De la Visitation

                C’est dans ce corps humain d’une femme fécondée par l’Esprit de Dieu, que l’Esprit de Jésus-Christ va se manifester à travers une autre femme et un autre enfant, son aîné de 6 mois dans les entrailles de Élisabeth, la parente de Marie. À peine insensiblement couverte par l’ombre du Dieu très-haut (« c’est le secret de Dieu », comme l’écrit Christian de Chergé) à l’Annonciation, Marie se jette sur les chemins dans les montagnes pour rejoindre la maison de Zacharie. Elle médite en chemin ce grand bouleversement de la visite de l’ange, mais elle ne perçoit pas pleinement en son corps, en son intelligence, le mystère qui l’habite désormais : le Verbe qui prend chair en tout son être, et lui insuffle son dynamisme, cet enthousiasme à rejoindre son aînée âgée miraculeusement enceinte, elle aussi.

                Nous arrivons donc au seuil de la maison de Zacharie, à l’entrée de chez Élisabeth et frappe le mystère de la Visitation. Esprit Saint en Visitation, Marie passe la porte et invoque la paix sur cette maison et ses habitants, sans réaliser qu’elle porte elle-même en son sein le Prince-de-la-Paix. Toute son énergie est pourtant de Dieu, toute spirituelle, Esprit de Jésus en elle qui rayonne, se répand, se communique à Élisabeth, de Jésus, minuscules cellules embryonnaires et puissance d’Esprit et de Vie, à Jean-Baptiste dans les eaux fœtales de sa mère gravide. Le sein d’Élisabeth vibre alors comme la peau d’un tambour, ce ventre devient la caisse de résonnance de l’Esprit de Jésus, c’est-à-dire allégresse et joie de la Vie divine communiquée au petit Jean. Réminiscence de la danse de David devant l’arche d’alliance.

                La circulation de l’Esprit de Dieu d’une femme à l’autre, de l’enfant en leur sein, à l’autre ; des paroles qui s’exhalent d’une bouche, celle de Marie, puis de l’autre bouche, celle d’Élisabeth ; ces manifestations de la vie divine qui passe à travers elles et leur(s) enfant(s) à naître, nous enseignent déjà le mystère de l’Eucharistie : don de soi-même se laissant traverser corps, âme et esprit par l’énergie de Dieu pour avancer, bientôt, son grand OUI au nom de toute l’humanité, que sera le chant d’action de grâce de Marie, le Magnificat, qui est entrée dans la septième Demeure spirituelle : les noces, l’union avec Dieu, participant à son Eucharistie, communiant à la vie divine dans le don mutuel de l’Amour : Alliance accomplie. Réminiscence du cantique de Moïse qui a fait périr chevaux et cavaliers dans les eaux de la Mer rouge, que lance devant Dieu la voix de Maryam, la prophétesse, sœur aînée de Moïse et Aaron, ancêtre de notre Marie de Nazareth (cf. Pierre Claverie, Marie la vivante), dans le nouveau cantique de Marie, le Magnificat qu’elle exulte après la salutation d’Élisabeth en réponse à la sienne : ce sera la récapitulation de l’Amour de Dieu dans l’ancienne Alliance hébraïque, accomplie dans la Nouvelle, en Jésus Christ. Ainsi s’incarne, se manifeste et s’esquisse la victoire de Dieu en son Fils Jésus-Christ, au moment de la Visitation.

                La Visitation est inscrite comme fiançailles spirituelles, promesse de l’Union à venir. Mystère de l’hospitalité réciproque, de l’apprivoisement de l’autre dans l’ouverture et la joie de s’entre-(re)-connaître.

     

               La pentecôte eucharistique – Effusion de l’Esprit saint à la croix

                La 6ème Demeure spirituelle est aussi ce lieu du passage dans le corps du Christ au moment de son eucharistie sur la croix, la pâque ultime qui nous baptise dans le Sang, l’Eau et l’Esprit, ce que j’appelle avec saint Pierre-Julien Eymard la pentecôte eucharistique. La pentecôte eucharistique commence effectivement déjà à la croix. Ce moment, cet événement est une autre économie du don eucharistique dans et de l’Esprit Saint. C’est aussi l’économie de la participation de l’humanité aux grâces divines, aux dons de l’Esprit Saint. Le commerce de la grâce divine n’attend pas cinquante jours après Pâques dans le régime chrétien, événement qui correspond à la Pentecôte hébraïque (Chavouat). Dès le moment où le centurion romain [Longin (ainsi surnommé parce que le terme en grec ancien signifie lance)] plonge le fer de sa lance dans le côté droit du Christ atteignant jusqu’à son cœur, nous bénéficions, nous qui sommes au pied de la croix, du baptême dans l’Esprit, l’Eau et le Sang du Christ. La pentecôte eucharistique est cette aspersion charismatique de l’Eau et du Sang jaillissant du Corps du Christ mort sur la croix, qui vient de remettre son âme entre les mains du Père. Mort, le Christ nous apporte tout le dynamisme de la Vie, sur la Croix. Nous sommes pécheurs, c’est en cela que nous transperçons tous son côté avec le centurion. Et nous confessons notre foi en recevant l’Esprit présent dans les Espèces de l’Eau et du Sang du Corps du Christ en croix. L’eucharistie à la messe n’est pas autre chose.

                Et Marie est au pied de la croix à ce moment-là. Avant que le fer de la lance de Longin n’atteigne le cœur de son Fils bien-aimé en croix, ce fer a traversé son âme à elle, longuement, et tout le temps de la marche au Calvaire, de la Passion de son fils, jusque-là. Elle a eu le temps d’être reçue par Jean comme sa mère, chez lui. Jésus en a fait notre mère spirituelle à tous, il nous l’a donnée avant de s’en remettre au Père. Jean la prend alors chez lui et nous la prenons chez nous, avec lui. Ce moment-là aussi représente des fiançailles. Voici ta mèreVoici ton fils. Hospitalité réciproque. C’est Jésus qui fait le lien, encore, Lui, véritable prêtre et victime véridique : qui s’offre librement pour le salut de tous. Cette hospitalité réciproque de Marie et de Jean est le don ultime de Jésus : par-là, il promet pérennité de vie à son Église qui vient. C’est dorénavant par son Esprit, l’Esprit de Jésus qui circulera de la Mère l’Église – Marie – à ses fils, tous nouveaux baptisés chrétiens – représentés ici par Jean – que le don eucharistique du Christ se perpétuera. C’est ce qui se passe au moment de l’épiclèse : l’invocation de l’Esprit Saint sur les Espèces du Pain et du Vin, par le prêtre célébrant la messe, au nom du Christ Jésus.

                Le commerce de l’amour, la circulation de la charité, c’est le dynamisme de la croix célébré à chaque Eucharistie. Tous les baptisés se retrouvent au pied de la croix dans la pentecôte eucharistique, pendant la messe.

     

    Libre, tu t’éveilles, premier-né d’entre les morts !                 R É S U R R E C T I O N

    De ton cœur naît l’Église à l’image de Dieu,                               S A C R É   CŒ U R

    car toi seul tu baptises dans l’Esprit et le feu.        EFFUSION  DE  L’ESPRIT SAINT

    --------------------------------------------------------

    Antienne du Cantique de Zacharie, laudes du samedi,
    deuxième semaine du temps liturgique ordinaire

     

    Pour finir, une application visuelle de ce que je viens d'avancer pour l'exploration de la 6ème Demeure spirituelle d'Artisans de Paix, par mon blason spirituel.

    Jehanne Sandrine du SC & de la SE.jpg


    Sandrine Treuillard

    Chargée de mission
    de la
    Fraternité eucharistique catholique
    d'Artisans de Paix

    16 mars 2021

     

    [1] Ps 110.1.

    [2] Jr 31.33-34.

    [3] C'est-à-dire dans le lieu très-saint, dans la présence même de Dieu.

     

    Retrouvez cette intervention sur la page enrichie :
    Artisans de Paix — ou le désir de rencontrer l'(A)autre

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  • La danse cosmique de la prière - L'expérience de prière mystique de Christian de Chergé — Artisans de Paix - 30e Réunion de prières interreligieuse

    artisans de paix,christian de chergé,foi,christianisme,islam,paula kasparian,sandrine treuillard30e Réunion de prières interreligieuse
    d’Artisans de Paix
    dans le cadre de la SERIC

    16 novembre 2020 – en visioconférence

    LA FRATERNITÉ DES CHEMINANTS

    Cette rencontre manifestera

    L’INTERCONNECTIVITÉ ENTRE L’ESPRIT

    ET LE CORPS,

    L’HOMME ET LA SOCIÉTE,

    LA NATURE ET L’HOMME,

    LA NATURE ET LA SURNATURE.

     

    Déroulé et participants de la Réunion de prières interreligieuse pour la paix sur ce pdf.


    1 - Un texte du NT
    qui illustre le thème de la Fraternité entre ceux qui suivent le Christ, les "cheminants", entre eux et avec l'univers.

    J’étais tout à fait en phase avec Paula Kasparian, la présidente de l'association, pour lire l’évangile de Jean au premier chapitre, à partir du verset 35 où Jean Baptiste désigne Jésus à ses propres disciples qui, mystérieusement attirés par l’Agneau de Dieu, vont le suivre.

    Les premiers disciples Retable de Montbéliard.jpg

    Retable de Montbéliard, 1538 - Musée d'Histoire de l'Art, Vienne

    Paula m’indiqua aussi de trouver un texte biblique montrant que l’univers est en nous.

    D’abord perplexe, je cherchais dans les psaumes et le Premier Testament sans résultat convainquant.

    Le lendemain, j’entendis la rediffusion de l’audience du pape François du mercredi 16 septembre, sur Radio Notre-Dame, à propos de la contemplation dont il disait « qu’elle se fait à partir de l’intérieur en nous reconnaissant comme une partie de la Création. » François ajoutait :

    « Chaque créature possède cette capacité iconique ou mystique de nous conduire au Créateur et à la communion avec la Création.

    Celui qui contemple éprouve de l’émerveillement non seulement pour ce qu’il voit, mais également parce qu’il se sent faire partie intégrante de cette beauté.

    Qui ne sait pas contempler la nature et la Création ne sait pas non plus contempler les personnes. »

    J’ai alors relu le passage le l’évangile de Jean, jusqu’au bout. Et j’ai compris que la réponse à la question de l’univers qui est en nous était dans le texte, tout au long du texte de cet évangile et dans la promesse que le Christ fait à ses disciples au dernier verset.

    — > Pendant la lecture de l’appel des premiers disciples, qui se déroule sur trois jours, je vous propose de visualiser les différentes rencontres de Jésus et des disciples en contemplant leur visage, les relations qui se tissent de visage à visage. Et d’être attentifs au final de ce chapitre, au dernier verset, qui est la promesse du Christ nous donnant une réponse à la question initiale de "l’univers qui est en nous".

    Sandrine Treuillard
    Chargée de mission de la Fraternité eucharistique catholique
    d'Artisans de Paix

     

    ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN 1, 35-5

    Bande 1Les premiers disciples Retable de Montbéliard.jpg

    Le lendemain, Jean Baptiste se trouvait de nouveau (là au bord du Jourdain) avec deux de ses disciples. Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu. » Les deux disciples entendirent cette parole, et ils suivirent Jésus. Celui-ci se retourna, vit qu’ils le suivaient, et leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Rabbi – ce qui veut dire : Maître –, où demeures-tu ? » Il leur dit : « Venez, et vous verrez. » Ils l’accompagnèrent, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C’était vers la dixième heure (environ quatre heures de l’après-midi).

    André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient entendu Jean Baptiste et qui avaient suivi Jésus. Il trouve d’abord son frère Simon et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie » – ce qui veut dire : le Christ. André amena son frère à Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Képha » – ce qui veut dire : Pierre.

    Bande 3 Les mains - premiers disciples Retable de Montbéliard.jpg

    Le lendemain, Jésus décida de partir pour la Galilée. Il rencontre Philippe, et lui dit : « Suis-moi. » Philippe était de Bethsaïde, le village d’André et de Pierre.

    Philippe rencontre Nathanaël et lui dit : « Celui dont parle la loi de Moïse et les Prophètes, nous l’avons trouvé : c’est Jésus fils de Joseph, de Nazareth. » Nathanaël répliqua : « De Nazareth ! Peut-il sortir de là quelque chose de bon ? » Philippe répond : « Viens, et tu verras. »

    Bande 2 Les pieds - premiers disciples Retable de Montbéliard.jpg

    Lorsque Jésus voit Nathanaël venir à lui, il déclare : « Voici un véritable fils d’Israël, un homme qui ne sait pas mentir. » Nathanaël lui demande : « Comment me connais-tu ? » Jésus lui répond : « Avant que Philippe te parle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu. » Nathanaël lui dit : « Rabbi, c’est toi le Fils de Dieu ! C’est toi le roi d’Israël ! » Jésus reprend : « Je te dis que je t’ai vu sous le figuier, et c’est pour cela que tu crois ! Tu verras des choses plus grandes encore. »

    Et il ajoute [et c’est la promesse finale, nda] : « Amen, amen, je vous le dis : vous verrez les cieux ouverts, avec les anges de Dieu qui montent et descendent au-dessus du Fils de l’homme. »

    L'échelle de Jacob.jpg

    Nicolas d'Ypres, Échelle de Jacob (vers 1500), Musée du Petit Palais (Avignon).

     

    2 - Le texte d'un saint illustrant le thème

    La danse cosmique de la prière

    En réponse à la promesse de Jésus dans l’évangile de Jean 1,51 « Amen, amen, je vous le dis : vous verrez les cieux ouverts, avec les anges de Dieu qui montent et descendent au-dessus du Fils de l’homme », je vous propose un texte que j’ai intitulé la danse cosmique de la prière. En voici l’environnement :

    « Une ancienne cave vinicole de la ferme où le monastère s’est implanté était devenue la chapelle des frères. Les carreaux de faïence des grandes cuves avaient été conservées. On priait dans un lieu qui était celui des lentes fermentations. » [i]

    C’est ainsi que le Père Blanc Claude Rault, aujourd’hui évêque émérite du Sahara algérien, décrit la chapelle du monastère de Tibhirine, dans les montagnes de l’Atlas, où je vous emmène pour cette danse cosmique de la prière

    Chapelle Tibhirine.jpg

    Photo : OCSO, Décembre 2018.

    La scène décrite par Christian de Chergé, alors frère hôtelier à Tibhirine, eut lieu le dimanche 21 septembre 1975, en plein ramadan, et 11 ans avant l’initiative du pape Jean-Paul II de rassembler les représentants des grandes religions du monde, à Assise, le 25 janvier 1986.

    Frère Christian jeta sur le papier ce qui suit, trois jours après cette expérience.

    La séquence que je m’apprête à vous lire nous montre d’abord Christian, seul.
    Puis, il est rejoint par un ami musulman.
    Enfin, ce duo sera complété par un troisième priant, lui aussi musulman.

    La danse cosmique de la prière Un texte de Christian de Chergé [ii]

     

    Un quart d’heure après Complies, retour à la chapelle… Silence du soir, cette plage au rivage de la Parole où viennent se briser comme vagues tous les mots et les bruits du jour.

    Pénombre de la nuit, à l’ombre d’une Présence confiée à la vigilance de la lampe vacillant au sanctuaire.

    Prière d’abandon, prosternée, entre l’autel et le tabernacle : « Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le tant qu’Il est proche », disait le prophète Isaïe (liturgie de ce jour…).

    Et puis cette autre présence qui s’approche doucement, insolite.
    Tu étais donc là toi aussi, tout contre le même autel, frère à genoux, prosterné.
    Le silence continue, un long moment.
    Un murmure s’élève, venu des profondeurs, puis s’amplifie, s’arrachant à quelque abîme, telle une source paisible, et tout à la fois irrésistible : ‘ALLAH ! « Dieu ! » ‘ALLAH ‘AKBAR ! « Le Tout-Grand ! » Soupir. « Dieu ! » À nouveau et encore ce soupir, comme de l’enfant qui se nourrit et qui ne s’arrête un instant que pour reprendre souffle avant d’en redemander ; soupir de celui-là qui sait la prière insatiable, et qui ne se rassasie pas d’être là, tourné, si petit, vers le Tout-Autre.

    Silence. Alors tu t’es tourné vers moi : « Priez pour moi. » Un autre silence, ton attente. Nous avions à peine échangé quelques mots depuis ton arrivée, lundi, avec lui, notre ami commun. Tu restes là. Il me faut risquer des mots que j’entendrai à peine :
    Seigneur Unique et Tout-Puissant, Seigneur qui nous vois, Toi qui unis tout sous ton regard, Seigneur de tendresse et de miséricorde, Dieu qui es nôtre, pleinement.
    Apprends-nous à prier ensemble, Toi, le seul Maître de la prière, Toi qui attires le Premier ceux qui se tournent vers Toi, Toi, Toi, Toi…

    Dès lors, notre prière à deux voix. L’arabe et le français se mélangent, se rejoignent mystérieusement, se répondent, se fondent et se confondent, se complètent et se conjuguent. Le musulman invoque le Christ. Le chrétien se soumet au plan de Dieu sur tous les croyants, et sur l’un d’entre eux qui fut le prophète Muhammad.
    Puis l’un et l’autre cherchent à pénétrer ensemble dans l’Amour qui dit Dieu. Les voilà tous deux dans la tempête…
    « Les vagues m’assaillent, ordonne la paix ! » dis-tu.
    « Seigneur, sauve-nous, nous périssons ! »
    « Mets ta lumière en mon cœur, illumine ma route », dis-tu.
    « Mets une lumière en mes yeux, une lumière sur mes lèvres, une lumière dans mes oreilles, une lumière dans mon cœur… Je suis la lumière du monde. Vous êtes la lumière du monde, qu’il ne faut pas cacher car elle doit briller pour moi… » 

    Le chemin se fait plus étroit, tandis que le silence plus dense encore se fraie la route commune vers l’amour de ce Dieu partagé.

    Et c’est toi qui t’élances. J’accueille.
    « Je ne te demande pas la richesse ; je ne te demande pas la puissance ni les honneurs… je ne te demande que l’Amour qui vient de Toi, car rien n’est aimable en dehors de Toi, et nul ne peut aimer sans Toi.
    Je veux t’aimer en tout. L’amour est la source, l’œil de la religion. L’amour est la joyeuse consolation de la foi. »

    La LOUANGE alors déborde le lieu et le moment. Il nous faut remonter le temps pour déceler toutes les étapes de la longue aventure de Dieu en quête d’humanité, depuis Abraham, l’Ami.

    C’est alors qu’il arrive, lui aussi. Il t’attendait, te cherchait, s’étonnait de ne pas te voir arriver au rendez-vous du soir, pour la prière avant la deuxième collation du ramadan qu’il prendrait avec toi. Il venait de s’entretenir longuement avec quelques hôtes, répondant à leurs questions sur la prière « dans l’Esprit ».
    Dans l’obscurité de la chapelle, il n’a d’abord perçu que le murmure. Intrigué, n’osant trop y croire, il s’est avancé, et nous a trouvés à l’œuvre, ici, ensemble. Sans plus, il s’est joint à nous. D’ailleurs, la Parole nous vient aussitôt : « Là où deux ou trois se rassemblent en mon Nom, JE SUIS au milieu d’eux ! » Que demander de plus ?

    La prière se fait plus ample, moins haletante. Une complicité à trois, plus exigeante pour l’oreille intérieure qui se veut disponible au cheminement de chacun, étrange, déconcertant parfois ; l’impression de zigzaguer dans les sables ! Laisser la prière de l’un vous interpeller au tréfonds d’un silence sans autre voix, vous reprendre au vol, puis rebondir vers l’autre chargée d’un écho nouveau. Note après note, la symphonie se construit dans la fusion de ces trois expressions différentes d’une seule et même fidélité, celle de l’esprit qui est en Dieu, qui dit Dieu ! Prière contre les tentations de Satan, « le lapidé » ; puis, ensemble, la « fatihâ », le « Magnificat » (tu le répètes, mot après mot), le PATER (tu le sais par cœur), et, toujours et encore, la louange, l’action de grâces.

    Faut-il dire qu’on s’est arrêté ? Il était 23 heures passées ! Depuis 20 heures, nous étions là côte à côte… tout ce temps, un instant, à ne pas y croire !
    Joie exubérante, chacun de son côté, chacun à sa façon. Demain, tu diras avoir eu envie de danser, puis avoir fait le tour des bâtiments, quatre fois, en chantant.
    Et si Dieu lui-même riait du bon tour qu’il vient de jouer à des siècles d’imprécations entre frères appelés à Le prier ?
    Et lui, il voulait tout de même savoir comment on s’y était pris ! Tu lui as dit : « Quand je l’ai vu là, tout seul, j’ai senti qu’il fallait faire quelque chose. J’avais peur, et puis j’y suis allé… il y avait comme une force en moi qui m’as poussé… »

    Avant de nous quitter, ce lundi, nous avons parlé d’autre chose.
    Un peu comme si cela nous brûlait encore, ne pouvait se dire alors sans se perdre. « Peinture fraîche », on n’y touche pas, sous peine de tout barbouiller.
    Tu m’as dit : « Tout est simple quand Dieu conduit. » C’est tout.

     

    Notes jetées sur le papier le 24 septembre 1975. À ce jour anniversaire (21 septembre 1976), je n’ai pas revu ce frère d’une seule nuit. Il existe. Il me dit tous les autres. 

    ND de l'Atlas Tibhirine.jpg

    Notre-Dame de l'Atlas au cœur du paysage.
    Photo de Meisa Msd, 2018 - Myatlas : Carnet de voyage

     

    3 - Le chant — Le Cantique des créatures (extraits)

    Interprètes : Chœur Saint-Ambroise / Chœur Amos
    Album : Oratorio Jacquaire : Le Pèlerin


    Ref.
    Très Haut, puissant, et bon Seigneur
    à toi louange, gloire, honneur,
    et toute bénédiction.

    Loué sois-tu, mon Seigneur, en toutes tes créatures,
    spécialement messire frère Soleil,
    qui nous chauffe et par qui tu nous illumines ;
    il est beau, et rayonne en toute sa splendeur,
    et de toi, Ô Très Haut, il montre la grandeur.

    Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur la Lune
    et les étoiles dans le ciel : tu les as formées,
    claires, précieuses et si belles.

    Ref.        

    Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent,
    pour l’air et les nuages,
    et le ciel pur et tous les temps
    à qui tu gardes en vie toutes tes créatures.

    Loué sois-tu, mon Seigneur, pour l’Eau notre sœur,
    laquelle est si utile,
    humble, précieuse et chaste.

    Ref.

    Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur la Terre mère,
    laquelle nous gouverne et nous donne nourriture,
    et produit tant de fruits,
    de fleurs multicolores et d’herbes.    

    Ref.

     

    4 - La prière de bénédiction finale

    de st François d’Assise à frère Léon

    François écrivit des Louanges de Dieu et la bénédiction à fr. Léon pour chasser une tentation qui assaillait frère Léon. On peut dater cet écrit de septembre 1224.  

    Bénédiction 

    1 Que le Seigneur te bénisse et te garde ; que le Seigneur te découvre sa Face et te prenne en pitié ! 2 Qu’il tourne vers toi son Visage et te donne la paix ! 3 Que le Seigneur, frère T Léon, te bénisse !

     

    Signature de François, le signe Tau, en forme de T majuscule,
    traverse le prénom de Léon en témoignage de bénédiction.

    Septembre 1224 – Traduction : Damien Vorreux (1996)

    (Sources : http://ecole-franciscaine-de-paris.fr/louanges-de-dieu-et...)

    Prière Bénédiction St François d'Assise.jpg

    [i] In Tibhirine, Les veilleurs de l’Atlas, Robert Masson, Éd. Cerf/Saint-Augustin, 1997, p. 217.

    [ii] In L’invincible espérance, Christian de Chergé, Bayard Éditions 2010, pp. 33-38, extrait titré Nuit de feu par Bruno Chenu.

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  • Par Ismaël, l'Islam vient nous rapporter le Signe de l'alliance, l'Arc perdu dans nos sociétés occidentales

    « Ismaël : le maître du signe de l’alliance »

    Agar dans le désert & Ismaël Couchant.jpg

    Personnellement, lors de ma rencontre fondatrice avec l’islam de Camel Bechikh, en 2013-2014, je me suis très vite posé la question de la place d’Ismaël dans la Révélation divine à l’échelle de toute l’humanité, et pas seulement judéo-chrétienne. Donc, pour l’Islam, que représente Ismaël, le fils d’Abraham et de sa servante Agar, dont Sarah demande le renvoi de sous sa tente quand elle-même a reçu la vie miraculeuse d’Isaac en son sein, séparant ainsi les deux fils d’Abraham ?

    « Par Ismaël, l'Islam vient nous rapporter le Signe de l'alliance, l'Arc perdu dans nos sociétés occidentales. » Grâce à son expérience de méditation des Écritures, Annick de Souzenelle répond ici à une interrogation sur le père de l'Islam qui fait beaucoup sens, pour nous, aujourd'hui.

    On pourra (re)lire du LIVRE DE LA GENÈSE 17, 15-27 (Annonciation d'Isaac) ; Ge 18, 1-16 (L'hospitalité d'Abraham / Tu auras un fils) ; Ge 21, 1-21 (La naissance d'Isaac et le Bannissement d'Ismaël) pour bien s’imprégner du contexte.

    Sandrine Treuillard

     

    Premier contact avec l’Islam

    « Le tout premier contact que j’ai eu avec l’Islam était quand j’habitais le Maroc. Je raconte souvent cette histoire extrêmement puissante qui s’est jouée lorsque j’ai retrouvé la prière, grâce à la prière d’une femme marocaine, dont la fille était mourante. J’étais infirmière, et je ne pouvais rien faire, je ne pouvais pas prendre de décision médicale, et tout d’un coup, je me suis vue prier avec elle. Cette communion de prière, fonde, je crois, non pas ma vie spirituelle, parce qu’elle était très forte étant enfant, mais je l’avais totalement envoyée promener en envoyant promener l’Église romaine, autour de mes vingt ans. C’est ce qui m’a fait revenir à l’essence même, non plus de l’Église, mais de la prière et de la vie spirituelle. C’est au Maroc que cela s’est passé. Donc, j’ai une affection très particulière, très profonde, fine, essentielle, avec ce qui fondait la puissance de foi et d’amour de cette femme. Voilà, c’est un souvenir psycho-spirituel. La suite, évidemment, c’est tout à fait autre chose.

     

    Découverte d’Ismaël, le père fondateur de l’Islam

    Sarah bore Ismaël.jpg

    Maintenant, je vais reprendre la découverte que j’ai faite d’Ismaël, le père fondateur de l’Islam, dans sa qualité de gardien du signe de l’alliance. Lorsque je me suis consacrée à l’étude de la Bible, j’ai été très frappée par la fratrie qui unissait Ismaël — le fils d’Abraham et de sa servante, Agar — ; et de son frère, Isaac — qui va naître de la femme d’Abraham, Sarah.

    Il est bien certain que Isaac, ”Is’hac” en hébreu, est le mot qui veut dire « le rire ». Pourquoi ? Parce qu’il est né d’un couple qui avait respectivement quatre vingt dix et cent ans, c’est à dire l’impossible. L’impossible qui se fait possible. ”L’impossible qui se fait possible” est un signe, lointain encore historiquement, de ce qui va se jouer pour les chrétiens, avec cette femme, Marie, qui va mettre au monde un fils sans qu’il y ait l’intervention d’un homme. ”L’impossible qui se fait possible” : on pourrait dire que le Christ est un ”is’hac”, un rire, un rire au delà de tous les rires. Je crois qu’Isaac est le prélude à ce grand rire cosmique de l’impossible qui se fait possible.

    Alors qu’Ismaël est un enfant comme vous et moi, qui rit d’une plaisanterie… Un jour, Sarah va exiger d’Abraham que les deux rires soient séparés. Elle ne demande pas que les deux enfants soient séparés, elle demande que les deux rires soient séparés. Ce ne sont pas les mêmes rires. L’un est vraiment le rire du mystère le plus puissant qui dépasse nos intelligences. L’autre est le rire banal que nous connaissons tous. Il semble que Sarah incarne quelqu’un qui sait que ça ne peut pas être confondu. Ça ne peut peut-être pas non plus être séparé, mais essentiellement distingué. Elle demande donc qu’Ismaël soit écarté. C’est ainsi que Ismaël et sa mère vont être abandonnés dans le désert.

     

    Au désert, Agar s'éloigne d'une portée d'arc d'Ismaël

    Agar&Ismaël ds le désert Rob Leinweber.jpg

    C’est très important, le désert. Il n’y a plus de sécurisation aucune. Il nous est dit que, devant cet abandon total, Agar quitte son fils et se met à une portée d’arc de lui pour ne pas l’entendre mourir. Et puis, ils sont secourus, tous les deux, par les mondes angéliques. Là interviennent les mondes angéliques. Les mondes angéliques, ce sont les mondes de l’Islam. L’Islam est intimement lié aux mondes angéliques. Je crois que c’est beaucoup cela qui m’émeut tant dans cette expression de la foi. Cette femme dont j’ai parlé tout à l’heure, qui était auprès de sa fille mourante, était comme un ange pour moi. Elle a été vraiment un ange qui m’a ramenée à la prière, à l’amour. Il vont donc être sauvé par les mondes angéliques, tous les deux, Agar et Ismaël. ”Ishma’él” qui tient son nom du fait qu’il a été entendu de Dieu. « Shma’ » c’est l’écoute, l’écoute divine, il a été entendu de Dieu, c’est magnifique, ça ! Et la Bible passe très vite sur la vie d’Agar et d’Ismaël, si ce n’est pour nous dire tout à fait à la fin des quelques versets, que Ismaël est tireur d’arc. Le mot ”arc” fait tilt avec cette portée d’arc qui avait séparé Agar de son fils. Qu’est-ce que l’arc vient faire ? Il est évident qu’il vient nous dire quelque chose.

     

    Ismaël, le maître de l'arc

    ArcEnCielChagall.jpgAu lieu de lire ”tireur d’arc”… en hébreu, j’ai déplacé la dernière lettre du mot ‘rove’ sur le mot ‘keshet’. Étant donné que les mots dans la Bible ont été coupé de façon arbitraire, on peut les découper autrement, si l’on veut. Ainsi, au lieu de lire ”rov’e keshet” je lis ”rov’a keshet”. Et tout d’un coup j’ai : il est le maître de l’arc. Et qu’est-ce que c’est que l’arc ”keshet” ? C’est l’arc-en-ciel qui est le signe de l’alliance dressé entre Dieu et Noé à la sortie de l’arche, dans le mythe de Noé.

    Voici que je me trouve avec, d'une part, Isaac qui est maître de l'alliance qui a été dressée directement, sans signe intermédiaire, entre Dieu et l'humanité, dans la personne d'Abraham et dont Isaac et tous ses descendants vont être les porteurs. Et d'autre part, Ismaël, qui lui est chargé du SIGNE de l'alliance. Voilà quelque chose qui me touche énormément et qui fait que lorsque j’ai vu arriver l'Islam en Occident, à un moment où les judéo-chrétiens ont perdu l'alliance, l'Islam vient nous rapporter le SIGNE de l'alliance. Il nous l’apporte d’une façon très dure, tragique, parfois, parce que eux-mêmes ne comprennent pas ce dont ils sont chargés. Tout le monde a tout oublié, mais il vient nous rappeler le signe de l'alliance.

    ArcheNoéArcEnCiel.pngC'est en cela qu’aujourd'hui nous avons une union profonde à jouer dans le retour de la fratrie de Ismaël et de Israël, finalement, puisqu'il est devenu le fils d'Isaac. Voilà pourquoi je suis très touchée par l'expérience que nous faisons ensemble d'un touché divin qui nous conduit dans une sorte d'ivresse… Que ce soit Éric Geoffroy, que ce soit moi ou que ce soit d'autres, nous sommes dans une ivresse commune parce que nous sommes dans une fratrie intime qui touche à l'alliance directe entre Dieu et l'homme. Nous sommes dans cet axe du milieu. Comme si toutes les autres traditions venaient en oblique, nous avons la grâce incroyable d'être là tous les deux, dans ce milieu même de l'axe de l'alliance. Que ce soit la Bible ou que ce soit le Coran, nous avons là une information directe. 

    L'islam et le monde des anges

    Détail Ange & Ismaël cruche.jpgLe monde de l'Islam étant et restant intimement lié au monde des anges, ce monde de l'Islam, en soi, fait en direct l'expérience de la sortie de tout esclavage à la terre et aux valeurs de la terre, pour être sécurisé par le monde divin. Le monde de l'Islam (en soi, les hommes sont comme nous tous) est un monde qui monte l'échelle directement. Le monde de l'Islam ne perd pas son temps à vivre l'exil, il monte directement à l'échelle. Comme si, pour nous, il n'y avait pas eu l'esclavage en Égypte et que nous vivions directement la Pâque et que nous entrions dans le désert. C'est là où nous nous rejoignons : dans le désert. Où nous rejoignons le monde des anges qui apportent une toute autre sécurité. Qui apporte la grâce divine, qui apporte l'amour divin, l'amour, l'infini. Et tout cela se manifeste d’une façon extrêmement concrète. Ça n’est pas de l’imaginaire, c’est de l’imaginal, pour reprendre le mot de Henri Corbin.

     

    L'art et le monde angélique

    Djibril & Muhammad.pngC’est vrai que le judéo-christianisme s’est beaucoup éloigné du monde angélique. On retrouve des petits hommes joufflus, infantiles, dans le monde catholique, ce qui est absolument navrant. Il faut vraiment les basiliques romanes pour retrouver des statuaires d’anges qui sont à la dimension de ce dont nous sommes en train de parler. Ces mondes angéliques qui ont présidé à l’ascension de Mahomet qui est entré dans les plus hautes sphères de la Révélation. C’est l’archange Gabriel, qui, pour nous chrétiens, est un peu confondu avec l’Esprit Saint, mais c’est le même esprit qui préside à toute l’œuvre de l’archange Gabriel dans le monde de l’Islam. Ce monde-là nous unit d’une façon extrêmement profonde. Il s’exprime dans le monde chrétien par l’art.

    Djibril.jpgLes artistes sont ceux qui, qu’ils le sachent ou qu’ils ne le sachent pas, sont en communion avec un monde angélique. La plupart du temps ils ne le savent pas. Mais ils sont en communion avec le monde angélique. Parce que l’art, c’est véritablement ce don du ciel qui nous place d’emblée sur l’échelle. L’échelle qu’a vu Jacob (Israël). Il y a là une sensibilité de l’au-delà du réel. Qui est un autre réel, beaucoup plus fin, beaucoup plus profond, de ce réel qui correspond à ce que nos physiciens découvrent aujourd’hui dans le troisième terme, au delà de toute dualité.

     

    Le royaume des Cieux subit la violence, et des violents cherchent à s’en emparer

    Tout ce monde de l’art est vécu en Islam, dans le Coran, d’une façon extrêmement précise. Je vais donner un exemple. Dans les Évangiles, le Christ nous dit « le Royaume des cieux appartient aux violents »[1]. C’est envoyé, c’est comme un coup de fusil. Il appartient aux violents. Oui, on sait combien la violence peut détruire : on est étonné de cela. En ce sens l’Évangile est très bref et demande à ce qu’on entre dans quelque chose de beaucoup plus fin. Le Coran l’apporte. Je crois que c’est dans la 33e sourate où nous voyons exactement la même chose, mais dit autrement. Voilà qu’Allah parle et dit : « J’ai voulu confié mon secret aux étoiles, au soleil, aux montagnes, personne n’en a voulu ! Seul l’homme a accepté. C’est un inconscient et un violent. » Voilà, la violence arrive, mais c’est dit dans une poésie étonnante. C’est un inconscient et un violent. Qu’y a-t-il derrière cela ?

     

    Nommer les animaux sauvages qui nous habitent

    BestaireArtRoman.jpgUne réalité commune ! À savoir que nous sommes tous, l’homme, l’humanité, homme et femme, habités dans l’inconscient par un monde animal d’une violence incroyable. Une violence qui nous amène, lorsque nous en sommes esclaves, à tuer, ou à faire tant de choses regrettables. Ou des choses tellement inconscientes qu’elles détruisent tout, alors que l’on croit bien faire, même. Notre inconscient joue à notre place, c’est ce qui est dit dans la Bible de façon très nette. Si nous travaillons ces éléments, et c’est ce que nous dit le Livre de la Genèse, si nous nommons ces animaux sauvages qui nous habitent. Et que nos ancêtres connaissaient encore lorsqu’ils les représentaient dans le haut des chapiteaux des basiliques romanes : ce sont les animaux de la colère, de l’orgueil, de ces volontés de puissance, de ces jalousies, médisance… Tous ces animaux-là, tout ce bestiaire qui est tellement riche.

    Lorsque nous nommons l’animal, que nous le prenons en main, et qu’il ne joue plus à notre place, parce que nous l’avons nommé, parce que nous le voyons vivre et que nous traitons les évènements qui sont adjacents avec amour, au lieu de tout détruire dans la violence, si nous mettons toute cette violence dans une puissance d’amour nouvelle, nous faisons l’expérience que l’énergie, nous n’avons même plus à la tenir en main, elle est saisie. Je peux dire alors ce qui se passe : elle est travaillée par « le divin cuiseur », comme disent les chinois, c’est-à-dire dans cette matrice de feu qu’est le cœur, et là l’énergie donne son information. Il y a toute une alchimie secrète qui se joue en nous, exactement comme lorsque nous manduquons de la nourriture. La nourriture va passer par toute cette alchimie secrète qui va faire qu’elle va donner aussi son information pour venir nourrir nos cellules.

     

    Le Coran peut venir éclairer l’Évangile

    Arbre L'âme est un arbre fait pour l'amour.jpgC’est exactement ce qui se passe avec l’énergie de ces animaux sauvages à l’intérieur de nous, qui donnent à ce moment-là leur information. Nous construisons alors l’arbre de la connaissance que nous sommes pour en devenir le fruit. C’est nous qui allons devenir le fruit de l’arbre de la connaissance. C’est cette dimension seigneuriale qui demande à naître à l’intérieur de nous, au fur et à mesure que nous faisons ce travail. C’est pour montrer que ce problème de la violence qui est dit d’une façon lapidaire dans les évangiles est saisie dans le Coran, dans une poésie, dans une musique - je ne sais pas comment dire… - qui fait que la chose va être comprise, travaillée et va pouvoir éclairer l’Évangile. Je dirai que le Coran peut venir éclairer l’Évangile : au lieu de se vivre en rapport de force, nous vivons en communion dans une verticalisation de l’être. »

    Annick de Souzenelle.jpg

     

     

     

    Annick de Souzenelle 
    Entretien réalisé en ligne le 17 septembre 2020
    par l'association Conscience Soufie

     

     

    Retranscription pour La Vaillante
    de Sandrine Treuillard 
    d'après la vidéo :

     

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    Artisans de Paix ou le désir de rencontrer l'(A)autre

     

    [1] Dans Matthieu 11, verset 12, le Christ dit : « Depuis les jours de Iohanân, l’Immergeur, jusqu’à maintenant, le royaume des ciels se force, et les forts s’en emparent. » (Trad. Chouraqui). « Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’à présent, le royaume des Cieux subit la violence, et des violents cherchent à s’en emparer. » (Trad. AELF) « Depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu'à présent, le royaume des cieux est forcé, et ce sont les violents qui s'en emparent. » (Trad. Louis Segond)

     

     

    Légendes

    - Rob Leinweber, Agar et Ismaël dans le désert, Allemagne, premier quart du 20ième siècle, carte postale au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, Paris

    - Marc Chagall, 1887-1985, Noé et l’arc en ciel, 1961-1966  Musée national Marc Chagall

    - Noé dans l’arche (P Comestor Bible historiale) - Jean Bondol  Petrus Comestor, Bible historiale, Meermanno Koninklijke Bibliotheek, La Haye (pièce ou n° 20 / 106)

    - Manuscrit arabe, L'archange Gabriel (Djibril) et Muhammad : "Iqra !" "Récite !"

    - L'archange Djibril

    - Sandrine Treuillard, Dessin de l'arbre, Vanves, 2019

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  • La rencontre de Jésus et de la syro-phénicienne - ou de l'union des volontés

    Logo Fraternités AdP.jpgÀ Paula Kasparian, présidente d’Artisans de Paix
    & Béatrice Mauger vierge-ermite au sud-Liban
     

    Lors de ma retraite estivale chez les trappistes de l’abbaye Notre-Dame de Scourmont (Chimay – Belgique), le lendemain de la fête de leur Ordre Cistercien de la Stricte Observance, 15 août – Assomption, l’évangile de ce dimanche nous décrivait la rencontre de la syro-phénicienne avec Jésus. Le père Gérard fit une homélie intitulée Accès des païens et des juifs au salut où il développe de très près le cheminement spirituel intime de cette femme étrangère à la révélation des fils d’Israël, jusqu’à l’union des volontés entre elle et le Christ.

    Comme cet évangile est le paradigme de la 5ème Demeure spirituelle d’Artisans de Paix et chaque année au cœur de la célébration de l’Unité plurale des Artisans de Paix en janvier, j’ai souhaité partager ici cette homélie très complète et éclairante.  

    Sandrine Treuillard

    Chargée de mission de la Fraternité eucharistique catholique
    d’Artisans de Paix

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    Homélie du 20e dimanche du Temps ordinaire – année A – 16 août 2020

    Is 56, 1.6-7 - Ps 66
    Rm 11, 13-15.29-32
    Mt 15, 21-28

    Accès des païens et des juifs au salut

                « Tous ceux-là, seront-ils sauvés ? Finiront-ils par connaître Dieu pour parvenir à la vie avec lui ? » Deux textes de la liturgie de ce dimanche parlent du salut des païens, de ceux qui ne sont pas juifs, dans le cadre de l’Ancienne Alliance ; et le troisième texte évoque le salut des juifs dans la Nouvelle Alliance.

    La première lecture : le prophète Isaïe

                Selon le prophète Isaïe, dans la partie de son livre la plus récente, « les étrangers [non juifs] qui se sont attachés au Seigneur pour l’honorer, pour aimer son nom, pour devenir ses serviteurs [...], je les conduirai à ma montagne sainte. » Après l’Exil, des étrangers s’étaient joints au peuple d’Israël en Palestine ; pouvait-on les intégrer et comment ? Personne n’est exclu a priori du salut, dit le prophète, même ceux qui ne sont pas juifs ; la maison de Dieu est pour tous : « Ma maison s’appellera “Maison de prière pour tous les peuples”. » Toutes les nations sont invitées à chanter le Seigneur ; comme le dit le psaume (66), la bénédiction du Seigneur s’étend à tous sans distinction. 

    L’évangile

    Évangile de la syro-phénicienne.jpgLa rencontre de Jésus avec la Cananéenne, dans l’évangile, s’inscrit dans ce contexte : les non-juifs peuvent-ils avoir accès à la table du Royaume ? La femme a commencé à crier de loin : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. » Très belle prière, entendue par tous ceux qui sont auprès de Jésus ! « Fils de David » est un titre populaire utilisé alors par les Juifs pour désigner leur Messie. Comment cette femme, non juive, a-t-elle fait pour trouver cette prière ? Des amis juifs la lui ont peut-être suggérée : « Si tu veux demander quelque chose à ce Jésus, tu dois le prier ainsi. En effet, peu de temps auparavant, deux aveugles l’ont appelé “Fils de David” et ils ont été guéris (Mt 9, 27-31). » Pourtant, dans la bouche de cette femme, cette prière semble trop formelle : ce n’est pas sa prière. Jésus se tait, car il sent que la femme n’est pas encore prête à accueillir sa parole.

                Mais elle, tout en le suivant, continue à crier, sans paroles, et les disciples veulent que Jésus la renvoie. La réponse de Jésus semble presque leur donner raison : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël ». Ces paroles, il les a déjà dites à ses apôtres lorsqu’il les a envoyés en mission : « Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez pas dans une ville de Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël (10, 6). » Jésus est venu d’abord pour le peuple de Dieu, le peuple juif. Ces premières paroles de Jésus, tant en paraissant dures, rendent pourtant possible le début d’un dialogue ; elles ouvrent une porte.

                La femme alors s’approche et vient « se prosterner devant lui, en disant : “Seigneur, viens à mon secours”. » Devant tous ces hommes juifs, elle, femme païenne, se prosterne en priant simplement : « Seigneur, viens à mon secours ». Sa prière, accompagnée de son geste, sonne juste maintenant, et Jésus ne peut plus l’ignorer. Pourtant, il ne lui accorde pas tout de suite ce qu’elle demande : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ». On doit se rappeler que les Juifs appelaient les païens des chiens, et eux se voyaient comme les fils. Et par ailleurs, le pain représente ici tous les biens spirituels. La réponse de Jésus peut donc se comprendre ainsi : les biens spirituels que je suis venu apporter sur la terre sont pour les Juifs ; il ne m’est pas possible de les donner aussi aux païens.

    Petit chien.jpgLa femme reconnaît alors sa situation par rapport aux Juifs : elle est une païenne, sans avoir le droit d’être à la table comme les fils ; mais elle demande pourtant à recevoir, elle aussi, quelque chose de Dieu ; elle fait partie de ces petits chiens qui prétendent bénéficier, eux aussi, de quelques miettes de la table de leur maître. Elle se trouve ainsi dans une position juste par rapport à celui qu’elle prie.

    Jésus & la cananéenne.jpgLa réponse de Jésus est à lire avec attention : « Ta foi est grande. » Nous savons qu’un miracle est toujours lié à la foi. « Que tout se passe pour toi comme tu le veux. » Jésus ne se plie pas à la volonté de la femme ; Jésus ne capitule pas. Non, il reconnaît que maintenant la volonté de la femme, portée par sa foi, rejoint la sienne propre. Il exauce la femme car elle en est venue à vouloir ce que lui-même veut, ce qui est le meilleur pour elle en ce moment, c’est-à-dire la santé de sa fille. La volonté de la femme et celle de Jésus coïncident en quelque sorte.
     

                Nous savons, par les auteurs spirituels, que cette union des volontés peut advenir dans notre vie spirituelle. Voici un texte de saint Bernard de Clairvaux dans un sermon sur le Cantique :

    « Nous croyons que Dieu et l’homme demeurent l’un dans l’autre, [mais] d’une manière bien différente de [l’union du Père et du Fils], parce qu’ils ont des substances et des volontés propres, et qu’ils subsistent séparément l’un de l’autre ; en d’autres termes, nous croyons qu’il n’y a point en eux confusion de substances, mais consentement de volontés ; leur union est une ressemblance de vouloir et une conformité d’amour. Heureuse union lorsqu’on l’éprouve. »
    (S. Cant., 71, 10)

                Puisque la volonté de la femme de l’évangile est unie à la volonté de Jésus, sa prière peut être exaucée. 

    L’épître de saint Paul 

                Cet évangile montre donc que Jésus est venu aussi pour les païens. Mais qu’en est-il aujourd’hui pour les Juifs qui n’ont pas voulu reconnaître Jésus comme le Messie, comme le Sauveur de tous les hommes ? Saint Paul en traite longuement dans sa lettre aux Romains. En résumé, nous pourrions dire ceci : c’est par les Juifs que les chrétiens ont obtenu miséricorde, car sans eux, Jésus ne se serait pas incarné. Maintenant, c’est par les chrétiens que les Juifs obtiendront à leur tour miséricorde, puisque le salut apporté par le Christ passe désormais par son Église, et donc par les chrétiens.

    Conclusion

    « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4), écrivait saint Paul à Timothée. Comment se réalisera cette volonté de Dieu ? Comment se réalisera le salut de tous les hommes ? C’est un mystère : les voies de Dieu sont impénétrables (cf. Rm 12, 33). Mais nous savons, depuis l’épisode de la Cananéenne, que les petits chiens – les païens au temps de Jésus ; tous ceux qui sont loin de la foi chrétienne aujourd’hui – peuvent, eux aussi, prétendre au pain destiné aux fils, celui qui donne la vie éternelle.

    Pain miettes.jpgVenez au festin de Dieu ! Rassasions-nous du pain de sa Parole ! Nourrissons-nous du pain des anges, ce pain qui est son corps donné en nourriture pour la vie éternelle.

     

     

    Gérard Joyau
    Frère hôtelier
    Abbaye Notre-Dame de Scourmont (Chimay – Belgique)
    16 août 2020

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  • Et si nous parlions de la croix (glorieuse) ? — Homélie de Christian de Chergé

    christian de chergé,théophile de wallensbourg,sandrine treuillard,la croix,foi,christianisme,islam,dialogue interreligieux,artisans de paixLe 1er juillet 2020, j’eus une rencontre avec Théophile de Wallensbourg, musulman soufi chiite, dans son lieu de retraite. Nous avons été amenés à évoquer la résurrection du Christ, à laquelle les musulmans de croient pas.

    Le soir même, ma lecture au coucher de Sept vies pour Dieu et l’Algérie me fit découvrir, dans son intégralité, l’homélie de Christian de Chergé pour la fête de la Croix glorieuse, en 1993. Relisant le dialogue entre l’ami soufi et frère Christian, mais contextualisé au cœur de l’homélie, je reçus un flot de larmes qui semblait jaillir en moi de la toute petite croix de San Damiano accrochée en hauteur dans ma chambre, devant moi.

    C’est dans le troisième paragraphe intitulé En venir aux versets coraniques qui parlent de la mort de Jésus, ci-dessous (comme j’ai intercalé des sous-titres extraits du corps du texte de l’homélie), que frère Christian donne son interprétation des versets du Coran à ce sujet. C’est ce que je partage aujourd’hui et plus particulièrement à l’attention de Théophile, que je quittai, hier, en lui remettant l’autre livre de textes de Christian de Chergé rassemblés par Bruno Chenu : L’invincible espérance[1].

    Sandrine Treuillard

     

    La dignité de l’homme est d’être une croix

                [Car,] si la croix nous ordonne à la contemplation, c’est bien parce qu’elle est d’abord pour nous, comme pour Jésus, un mystère de vie intérieure ; avant d’être ce signe sur nos poitrines et nos autels, ce symbole dont la gloire dépendrait de notre hardiesse à le brandir en toute circonstance. Ils étaient aussi nos frères, ces moines qui arrivaient en Algérie il y a tout juste 150 ans, et qui pensaient qu’il leur suffirait pour se faire comprendre, et peut-être convertir, d’ajouter la croix à la devise à la devise du colonisateur : ‘Ense et aratro’ (‘par l’épée et la charrue’). Cela devint, sur le blason de Staoueli, ‘Ense, cruce et aratro’ (‘par l’épée, la croix et la charrue’). Non ! La gloire de la croix n’a rien à voir avec celle de l’épée, ni même avec celle de la charrue. L’homme, en effet, n’a pas été créé en forme d’épée, pas davantage en forme de charrue… ni même en forme de poteau comme le serpent qu’on a pu pendre au désert mais pas crucifier. La dignité de l’homme est d’être une croix, comme le constate saint Bernard, car il a bien la forme d’une croix il est cruciforme : « Qu’il étende les mains, dit Bernard, et cela devient plus évident. » Là commence sa gloire. Là commence la croix glorieuse. Dès la création de l’homme à l’image de Dieu.

     

    Et si nous parlions de la croix ?

    Christ de l'église St Martin Sury.jpg« Et si nous parlions de la croix ? me demandait récemment l’un de nos amis soufis (dans la voiture qui nous ramenait tous deux du Maroc où il avait voulu faire retraite auprès de nos frères de Fès). Si nous parlions de la croix ?

    - Laquelle, lui demandai-je ?

    - La croix de Jésus, évidemment.

    - Oui, mais laquelle ? Quand tu regardes une image de Jésus en croix, combien vois-tu de croix ?

    Il hésitait.

    - Peut-être trois... sûrement deux. Il y a celle de devant et celle de derrière.

    - Et quelle est celle qui vient de Dieu ?

    - Celle de devant... disait-il.

    - Et quelle est celle qui vient des hommes ?

    - Celle de derrière...  

    - Et quelle est la plus ancienne ?

    - Celle de devant... C’est que les hommes n’ont pu inventer l’autre que parce que Dieu d’abord avait inventé la première.

    - Et quel est le sens de cette croix de devant, de cet homme aux mains étendues ?

    - Quand j’étends les bras, disait-il, c’est pour embrasser, c’est pour aimer.

    - Et l’autre ? C’est l’instrument de l’amour travesti, défiguré, de la haine figeant dans la mort le geste de la vie.

    L’ami soufi avait dit : « Peut-être trois ? » Cette troisième croix, n’était-ce pas moi, n’était-ce pas lui, dans cet effort qui nous portait, l’un et l’autre, à nous démarquer de la croix de « derrière », celle du mal et du péché, pour adhérer à celle de « devant », celle de l’amour vainqueur. »

     

    En venir aux versets coraniques qui parlent de la mort de Jésus

                Nous pouvions en venir aux versets coraniques (Coran 4,156-159) qui parlent de la mort de Jésus. Ces versets, c’est la croix des exégètes musulmans. « Ils (les juifs) ne l’ont pas tué en certitude… » Cela, c’est clair : par la mort, même la plus infamante, la vie n’est pas ôtée, elle est transformée. « Ils ne l’ont pas crucifié en vérité… » Oui, car c’est librement qu’il étendit les bras à l’heure de sa passion ; c’est l’amour et non les clous, qui le tenait fixé à ce gibet que nous lui avions taillé. Et c’est l’amour encore qui nous attirait vers lui lorsqu’il pardonnait à ses bourreaux.

     

    Cette troisième croix, n’était-ce pas moi, n’était-ce pas lui

                L’ami soufi avait dit : « Peut-être trois ? » Cette troisième croix, n’était-ce pas moi, n’était-ce pas lui, dans cet effort qui nous portait, l’un et l’autre, à nous démarquer de la croix de « derrière », celle du mal et du péché, pour adhérer à celle de « devant », celle de l’amour vainqueur. N’est-ce pas aussi bien le juif Yitzhak Rabin et le musulman Yasser Arafat dans cette poignée de main bouleversante qu’ils se sont donnée, hier, avec le désir de renoncer enfin à l’épée et de s’essayer au travail pacifique de la charrue sur un même sol ?

                Frères et sœurs, nous savons bien que ce passage de l’une à l’autre croix, c’est bien là notre chemin de croix et aussi notre chemin de gloire, car c’est par là que Jésus nous élève, avec lui, vers le Père qui nous attend tous, bras ouverts.

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    Christian de Chergé
    Homélie (extrait) pour la fête de la Croix glorieuse
    14 septembre 1993
    in Sept vies pour Dieu et l’Algérie [1]

     

    Première image : reproduction de la Croix de San Damiano (celle par laquelle saint François d’Assise avait reçu la vocation de restaurer l’É(é)glise).
    Seconde : Photographie de Sandrine Treuillard d’un Christ en croix restauré par Sylvain Treuillard, église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (Cher-18).

     

    [1] - Sept vies pour Dieu et l’Algérie, textes recueillis et présentés par Bruno Chenu, Bayard Éditions / Centurion, 1996.
    - L’invincible espérance, textes recueillis et présentés par Bruno Chenu, Bayard Éditions, 2010.

     

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    Artisans de Paix — ou le désir de rencontrer l'A(a)autre

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  • L'offrande – ou la vocation à s'altérer soi-même

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    Le 16 mai dernier, jour de mon anniversaire de naissance, j’ai publié ce post (ci-dessous) faisant mémoire de la providence divine dans ma vie, de ma conception à ma naissance. Je m’arrêtai à l’allusion suivante : « Le 25 mai 1975, à un an et 9 jours, je fus baptisée. Cette année-là, ce dimanche était celui de la solennité de la Sainte Trinité. Mais, c’est là une autre histoire que je vous conterai à une autre occasion… »


    Des baptêmes… Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit

    Lettres à un ami fraternel.JPGC’est durant l’été 2019, à la lecture des lettres que Christian de Chergé adressait à celui qui fut son professeur d’islamologie au PISAI, à Rome, le Père Blanc Maurice Boormans, dans sa lettre du dimanche 25 mai 1975, que je découvris que ce dimanche-là, de mon baptême, était la solennité de la Sainte Trinité. Je lisais ces lettres au père Maurice Boormans suite à mes lectures concernant le prieur de Tibhirine et son expérience vécue du dialogue spirituel avec l’Islam. Dans ces différents ouvrages du père Christian Salenson (directeur de l’ISTR de Marseille), j’appris à connaître et à aimer la spiritualité de Christian de Chergé dans son ouverture au dialogue avec les musulmans. Je fus alors conduite tout naturellement à reconnaître la source de cet enjeu existentiel pour frère Christian. D’abord, dans son enfance algérienne, quand sa mère lui apprit le respect des musulmans qui priaient Dieu en se prosternant. Et plus tard, quand il fut tout jeune officier durant la guerre d’Algérie, il noua amitié avec Mohammed, un arabe musulman, père de dix enfants qui lui sauva la vie en le défendant devant l’agressivité de certains de ses frères musulmans. Mohammed, le lendemain de cette altercation, fut retrouvé égorgé près de son puits. Ce n’est que bien des années plus tard que Christian de Chergé commença à s’ouvrir de cet événement-source de son amour pour l’islam et de sa vocation à donner sa vie pour l’Algérie. Dans le sacrifice de sa vie de Mohammed, frère Christian y vit l’offrande du Christ lui-même, mort pour lui (frère Christian). Le meurtre de son ami musulman est en correspondance intime et profonde avec son propre travail au long cours d’offrande de lui-même réalisé au jour le jour, au sein de sa communauté monastique à Notre-Dame de l’Atlas, et en fraternité avec les habitants de Médéa et tous les algériens, qu’il manifeste de façon condensée dans le Testament spirituel qu’il rédigea entre le 1er décembre (fête du bx Charles de Foucauld) 1993 et le 1er janvier 1994 (je souligne ici en caractère gras), un peu plus de deux ans avant sa mort :

    Christian de Chergé.JPG« S'il m'arrivait un jour - et ça pourrait être aujourd'hui - d'être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j'aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays. Qu'ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu'ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d'une telle offrande ? Qu'ils sachent associer cette mort à tant d'autres aussi violentes, laissées dans l'indifférence de l'anonymat.

    Ma vie n'a pas plus de prix qu'une autre. Elle n'en a pas moins non plus. En tout cas, elle n'a pas l'innocence de l'enfance. J'ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J'aimerais, le moment venu avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m'aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j'aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C'est trop cher payer ce qu'on appellera, peut-être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu'il soit, surtout s'il dit agir en fidélité à ce qu'il croit être l'Islam.

    Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l'Islam qu'encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L'Algérie et l'Islam, pour moi, c'est autre chose, c'est un corps et une âme. Je l'ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j'en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l'Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église. Précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m'ont rapidement traité de naïf, ou d'idéaliste : « Qu'il dise maintenant ce qu'il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s'il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l'Islam tels qu'Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion investis par le Don de l'Esprit dont la joie secrète sera toujours d'établir la communion et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences. (…) »

    Dans la dernière phrase citée, frère Christian en appelle à la Sainte Trinité pour décrire la façon qu’a Dieu de regarder tous ses enfants les hommes, avec le même amour. Deux événements déclencheurs durant ces années noires en Algérie, correspondant aux deux dates mentionnées en fin du Testament, lui firent écrire ce texte d’une grande beauté spirituelle. En voici l’explication par le père trappiste Armand Veilleux (je souligne par les italiques) :

    «  La première date (1er décembre 1993) correspond au moment où, après les attentats dans le métro de Paris et la prise d’otage des passagers d’un Airbus français qui s’était terminée dans le sang à l’aéroport de Marseille, le GIA (Groupe islamiste armé) demandait à tous les étrangers de quitter l’Algérie, les menaçant de mort. C’est le jour où Christian rédigea la première mouture de son Testament. Le texte reçut sa forme finale un mois plus tard (1er janvier 1994). Entre-temps, divers événements tragiques étaient survenus. D’abord douze ouvriers Croates chrétiens avaient été égorgés à Tamezguida, à quelques kilomètres du monastère et, durant la soirée du 24 décembre, six islamistes armés s’étaient présentés au monastère en présentant des requêtes et des exigences. Durant les jours suivants les moines avaient longuement réfléchi en communauté sur l’opportunité de rester ou de partir. Ils avaient finalement opté unanimement pour rester. (…)[i] »

    Dans certains contextes, l’offrande de soi-même implique l’acceptation d’être confronté à la mort violente. C’est Dieu qui dispose du don que nous faisons de nous-même. Le choix des modalités ne nous appartient pas. Comme frère Christian avait ‘vu’ mourir ce père de famille musulman à sa place, en représailles pour l’avoir défendu la veille, le prieur de Tibhirine et ses frères ont acquiescé par avance à la probabilité de la mort violente.   « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître », avait prévenu Jésus avant sa Passion (Jn 13,16).

    Mais pourquoi vous parlé-je de tout cela ? Le point de départ en était le jour de mon baptême, en la solennité de la Sainte Trinité, le 5 mai 1975, date dont la signification me fut révélée par une lettre de Christian de Chergé. J’ai été amenée à vous faire entrer dans l’acte d’offrande du bienheureux prieur de Tibhirine, d’abord manifesté dans son Testament spirituel « Quand un A-DIEU s’envisage », et qui se réalisa dans les faits par l’enlèvement des 7 moines de l’Atlas (25-26 mars 1996) puis leur assassinat, fin mai 1996. Martyre, baptême de sang, comme le Christ leur Maître. Offrande libre d’eux-mêmes dont ils avaient discernés ensemble la possibilité. Et c’est bien de l’offrande de soi dont je souhaite m’entretenir avec vous. De cette vocation-là. Bien sûr, il ne s’agit pas de comparaison, ici. Mais de communion des saints.

     

    Dans la communion des saints

    Logo Fraternités AdP.jpgCar, cette année 1994 fut pour moi marqué par le sceau de l’offrande. Ce sceau de l’offrande, manifesté dans une sculpture, marque ma vie actuelle et explique ma vocation à devenir moniale trappistine, d’une part ; et à poursuivre ma découverte et ma pratique du dialogue spirituel avec les soufis Naqshabandi, initié en région parisienne avec l’association Artisans de Paix, d’autre part. Christian de Chergé m’apparaît être la figure de sainteté que Dieu m’envoie pour ouvrir mon propre chemin, à sa suite. C’est dans un esprit de filiation spirituelle que j’évoque son expérience de vie et d’offrande.

    Dans son livre intitulé Présences d’Évangile I – Lire les Évangiles et l’Apocalypse en Algérie et ailleurs, au premier chapitre L’Église « sacrement de la rencontre »… le théologien jésuite Christoph Theobald explique que

    « tout homme est appelé à la sainteté, peu importe sa condition sociale, sa religion, etc. (…) En chaque être humain que nous rencontrons sommeille cette possibilité d’une démesure proprement divine, la capacité d’aimer, de se donner concrètement dans telle ou telle situation (comme le Samaritain) et de devenir absolument unique, « sacrement-personne en relation » pour celui qui est en face »[ii]. « L’invitation à « devenir saint comme lui… (le Christ Nda) » (Mt 5,48) n’est nullement un appel à l’héroïsme : paradoxalement, la « démesure de Dieu » est « à la mesure de chacun » ; elle rend chacun unique. (…) L’Esprit Saint conseille chacun le moment venu, sur ce qui est à sa mesure, mais sans jamais passer aussi par le conseil fraternel. Ce point est important à souligner parce qu’il est difficile de sortir du régime de la comparaison et d’accueillir, face à autrui, l’unicité de son propre chemin – l’unicité de l’itinéraire des moines de l’Atlas est à recevoir par chacun de nous dans cet Esprit qui dépasse toute comparaison. »[iii]

    Armand Veilleux Béatificat° Oran 8-XII-2018.jpgC’est d’abord par les homélies du père Armand Veilleux que je fus amenée à acquérir (sans le lire encore) le Prier 15 jours avec Christian de Chergé, de Christian Salenson, en février 2018. Puis, lors de la rencontre de ce père trappiste – le moine Armand Veilleux est abbé émérite de l’abbaye Notre-Dame de Scourmont (Chimay), en Belgique -, présent toute l’année 2018 au siège de l’Alliance InterMonastère - au Conseil duquel il travaille comme représentant l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance -, au Prieuré Sainte-Bathilde de Vanves - que je fréquente quotidiennement pour les vêpres et la messe -, juste à son retour d’Oran, de la béatification de ses frères de Tibhirine (dont il était l’ami, en plus du visiteur canonique), nous prîmes rendez-vous pour nous rencontrer le lendemain, le 10 décembre 2018. Ce soir-là, je commençai le Prier 15 jours avec Christian de Chergé dont le 3ème jour me bouleversa, chapitre intitulé par Christian Salenson Chemin de croix :


    Croix ND Dombes recadrée copie.jpg« Et si nous parlions de la croix ? me demandait récemment l’un de nos amis soufis (dans la voiture qui nous ramenait tous deux du Maroc où il avait voulu faire retraite auprès de nos frères de Fès). Si nous parlions de la croix ?

    - Laquelle, lui demandai-je ?

    - La croix de Jésus, évidemment.

    - Oui, mais laquelle ? Quand tu regardes une image de Jésus en croix, combien vois-tu de croix ?

    Il hésitait.

    - Peut-être trois... sûrement deux. Il y a celle de devant et celle de derrière.

    - Et quelle est celle qui vient de Dieu ?

    - Celle de devant... disait-il.

    - Et quelle est celle qui vient des hommes ?

    - Celle de derrière...  

    - Et quelle est la plus ancienne ?

    - Celle de devant... C’est que les hommes n’ont pu inventer l’autre que parce que Dieu d’abord avait inventé la première.

    - Et quel est le sens de cette croix de devant, de cet homme aux mains étendues ?

    - Quand j’étends les bras, disait-il, c’est pour embrasser, c’est pour aimer.

    - Et l’autre ? C’est l’instrument de l’amour travesti, défiguré, de la haine figeant dans la mort le geste de la vie.

    L’ami soufi avait dit : « Peut-être trois ? » Cette troisième croix, n’était-ce pas moi, n’était-ce pas lui, dans cet effort qui nous portait, l’un et l’autre, à nous démarquer de la croix de « derrière », celle du mal et du péché, pour adhérer à celle de « devant », celle de l’amour vainqueur. »[iv] 

    Saint Bernard, le réformateur cistercien et fondateur  de l'abbaye de Clairvaux, était aussi présent ce soir de la veille de ma première rencontre du père Armand Veilleux : par une image qui court de la fin du deuxième Sermon sur l’Avent et tout au long du troisième, où Bernard évoque la fleur qu’est Jésus, au bout de la tige qu’est Marie. Au fond, c’est le Christ Jésus qui est présent à toutes ces rencontres. Nous sommes compris dans un réseau qui n’est autre que la communion des saints, et nous sommes appelés à être « « sacrement-personne en relation » pour autrui », comme le dit Christoph Theobald.

    la visitation,christian de chergé,christian salenson,foi,christianisme,islam,esprit saint,magnificat,sandrine treuillardAprès ma lecture du Prier 15 jours qui m’introduisit à la spiritualité du bienheureux prieur de Tibhirine, dont le dernier chapitre (15ème jour) développe le mystère de l’hospitalité réciproque et la figure de toute vraie rencontre qu’est la Visitation pour Christian de Chergé, j’ai reçu l’effusion de l’Esprit Saint, appelé aussi baptême dans l’Esprit. C’était le 16 février 2019, lors d’une retraite de guérison (anamnèse) organisée par la Communauté du Chemin Neuf, dans l’ancien couvent des dominicaines de Béthanie (le bienheureux Jean-Joseph Lataste en est le fondateur – et, dans la communion des saints, il participa à ma guérison lors de cette session), à Saint-Sulpice de Favières (Essonne). En recevant l’effusion de l’Esprit, un frère et deux sœurs (de la Communauté du Chemin Neuf) qui priaient sur nous (nous étions deux femmes à recevoir le baptême dans l’Esprit) eurent pour moi deux images, d’une part ; et d’autre part, de la Parole de Dieu, le début d’un psaume et un extrait d’Évangile. C’est cet Évangile en saint Luc, chapitre 1, versets 39 à 45, qui décrit l’épisode de la Visitation. Alors même que cet Évangile m’était lu, à la fin, l’autre partie des retraitants qui était rassemblée devant l’autel de la chapelle se mit à entonner : Magnificat… qui est la prière d’action de grâce qui traverse Marie aux versets suivants de l’Évangile qui m’était lu (Lc 1,46-55). J’étais moi-même au comble de la joie avec Marie à la Visitation exultant son Magnificat.

    Avec l’effusion de l’Esprit reçu le 16 février 2019 et l’Évangile de Luc 1, 39-45, ma proximité avec le bienheureux Christian de Chergé fut scellée. Je ne cesse de m’identifier à la Vierge Marie qui reçoit grâce sur grâce de la part de Dieu. La grâce de Dieu qui forme en moi le Verbe, qui incarne en moi le Christ, par son Esprit saint qui nous visite en ces temps qui sont les derniers. La grâce de la Visitation c’est de vivre le Christ en soi, c’est de vivre du Christ et de le reconnaître en l’autre. Mais, au moment des rencontres vraies nous n’avons pas conscience de vivre cela. Nous sommes abandonnés dans la Visitation. Nous ne savons pas à cet instant t que c’est le Christ qui vit en nous. Si nous le savions, nous ne le vivrions pas. C’est cela qui est le secret de Dieu. C’est sa discrétion. C’est seulement ensuite, en relecture de notre vie, que nous pouvons authentifier la présence du Christ en telle ou telle rencontre. C’est par cette sorte d’innocence que la rencontre est vraie, authentique. Une forme d’humilité, de simplicité dans la rencontre, en même temps que ce don généreux de soi dans l’accueil de l’autre, mais à notre insu.[v]

    L’Offerta
    – de la vocation à s’altérer soi-même


    Revenons-en à l’année 1994. J’avais 20 ans. Ayant terminée ma seconde année aux Beaux-Arts de Bourges, la Providence voulue que je sois invitée par la Commission Européenne pour l’Art et la Culture à représenter la France parmi des étudiants en art venus de différents pays d’Europe, pour réaliser une œuvre (picturale ou sculpturale) avec l’Academia di Belle Arti de Viterbo, donnant lieu à une exposition collective au Palais des Papes de Viterbo à l’issue d’un mois de visites des sites et monuments de la région, le Latium, à 80 km au nord de Rome. Par goût de la découverte, j’acceptai le défi. Pendant deux mois, à l’aide d’une méthode des années 50, je m’initiai à l’italien. On me paya tous les frais en échange de quoi je pris des photographies tout au long de ce mois d’août et fis un diaporama compte-rendu au Rotary-Club de Bourges qui co-finançait le projet. Je consultai un volume sur l’art étrusque, riche en photographies d’urnes cinéraires et de peintures murales des tombes, pour appréhender ce qui soutenait cette civilisation pré-romaine.

    Cava Micci 1.JPGSur place, ce furent deux semaines intenses de visite s’étendant jusqu’au XXè siècle, en passant par l’amphi-théâtre étrusco-romain de Sutri, par le puits San Patrizio à double volutes d’escaliers, à Orvieto ; l’église baroque Santa Chiara de cette même ville ; les jardins baroques de Bomarzo ; le jardin renaissance virtuose en parcours d’eau et fontaines de Bagnaia ; la Villa Farnese à Caprarola dont l’architecture amorce le dessin des rues du village à ses pieds ; une nuit à la belle étoile au lac de Bolsena ; le bain thermal de Bagno Vignoni, de nuit aussi, dédié à sainte Catherine de Sienne (voir le film de Andreï Tarkovski Nostalghia, 1983) ; le lac de Vico ; Tarquinia, la ville étrusque ; Civita di Bagnoregio, une ville du moyen-âge dangereusement perchée sur un pic… jusqu’à la ‘cava di peperino grigio’, la carrière de la pierre ‘tendre’ volcanique locale que j’allais utiliser pour ma ‘sculpture’… à Soriano nel Cimino. Le Palais des Papes où nous allions faire l’exposition collective à la fin de ce mois d’août 1994 est en peperino grigio. Les fontaines indénombrables de Viterbo sont en peperino grigio. Les maisons. Les églises. Les bénitiers… Les énergies telluriques et volcaniques me traversèrent durant ce mois caniculaire. La langue italienne m’était familière. Je giflai un ‘garçon pur souche de Viterbo’ qui s’approcha trop près de moi dans une de ses rues. Et photographiai un groupe d’enfants qui acceptèrent de cesser leurs jeux le temps de la prise de vue.

    L'Offerta recadrée.jpgPour accompagner le projet dessiné de ma sculpture, - dans le catalogue d’exposition qu’il fallait donner au bout des 15 premiers jours pour l’imprimer avant le vernissage -, je donnai un poème qui résumait bien mon expérience des lieux, traduit en italien, et dont je me souviens des derniers mots : « trasuderebbe le fontane liberate dagli Elfi » ; « les fontaines suinteraient libérées par les Elfes » dans lequel poème j’évoquai le culte de Mithra, la végétation pesante… Une atmosphère spirituelle, les énergies naturelles traversant toute chose là-bas. Ce que je savais du Palais des Papes, c’était la pièce dans laquelle j’allais installer ma sculpture. Je la choisis pour son volume presque carré. Je fis désobstruer la fenêtre qui rendait la pièce obscure. La lumière du soleil et le bruit de l’eau s’y engouffrèrent.

    On installa la demi-vasque de pierre volcanique au sol, au pied de la fenêtre, au milieu de la pièce. Les lettres qu’on applique sur les pierres tombales sont bien lisibles sur le côté diamétral du demi-cercle de la vasque, comme sur un mur miniature, le titre de la sculpture : ‘L’offerta’ (L’offrande), MCMXCIV, 1994 en chiffres romains.  Sur le carton plume en demi-cercle au sol, complétant le cercle commencé par la demi-vasque, j’épinglai les longues feuilles de laurier rose ramassées au pied-même du Palazzo des Papi. Je mis de l’eau dans la demi-vasque. On monta sur un escabeau, au-dessus de ce petit plan d’eau pour fixer le fil de nylon, de manière à suspendre le citron desséché juste un peu au-dessus de la surface de l’eau. Le vent passant par la fenêtre pouvait légèrement le faire balancer…

    La Conversation sacrée Piero della Francesca.JPGC’est dans une peinture de Piero della Francesca, La Conversation sacrée (La Vierge et l'Enfant entourés de saints et d'anges, 1472), que l’on voit un œuf suspendu au niveau du ligament élastique de la coquille Saint-Jacques (ligament qui permet l’articulation des deux coquilles quand la conque est complète). « L’œuf d'oie qui pend au plafond (et qui pointe vers le nombril de Jésus), est le symbole de la perfection ou de la naissance dans la tradition alchimique, des quatre éléments du Monde ou de la Création. Il est accroché à la conque signifiant la fécondité. Toutes les têtes des personnages saints sont sur un même axe horizontal (principe d’isocéphalie), celui-là même de l'horizon perspectif contenant le point de fuite central, confondu avec le regard de la Vierge. L'axe vertical (œuf-nombril du Christ) rééquilibre l'axe horizontal précédent » formant ainsi une croix virtuelle (source wikipédia).

    Le lendemain matin de l’installation, quand je retournai auprès de la sculpture installée pour la photographier, quelle ne fut pas ma surprise horrifiée de constater ce que je pris d’abord pour du vandalisme… Me demandant bien qui pouvait m’en vouloir à ce point, ou en vouloir à ma sculpture… Quelle violence ! Les épingles que j’avais plantées à la verticale, dans le carton-plume traversant la fine chair des feuilles de laurier pour les mettre à plat, comme un tapis, ces épingles étaient toutes couchées, sens dessus-dessous… Je me demandais quel courage il fallait avoir eu pour marcher sur des épingles, car c’était dangereux… J’étais à genoux devant ce ‘spectacle’ observant ce chahut, penchée sur le phénomène… Et je compris. Relevant la tête, je compris. Une aile de papillon flottait sur l’eau de la demi-vasque. En une nuit, beaucoup d’eau s’était évaporée sous l’effet de la chaleur caniculaire de ce mois d’août. Pour les feuilles, c’est le même effet d’assèchement qui avait manifesté la force de rétractation du végétal : les feuilles elles-mêmes en se rétractant avaient couché, déplacé les épingles. Personnes n’avait marché dessus…

    L'Offerta 1.jpgC’est alors que je compris la véritable nature de cette sculpture-installation. La lumière solaire pénétrant dans la pièce projetait, si je puis dire ainsi, son ‘ombre lumineuse’ sur la sculpture, comme l’ombre d’un cadran solaire, marquant le temps. Le vent et le son, venus de l’extérieur, animaient les éléments naturels constitutifs de la sculpture. L’eau s’évaporait. Les feuilles de lauriers se rétractaient et manifestaient la violence de la nature en couchant la multitude des épingles (élément ‘culturel’, fabriqué industriellement par l’homme). Cette sculpture-installation était en mouvement. C’est la transformation de la matière par la lumière, le vent, la chaleur qui provoquait ce mouvement, qui finalement, ne parle que du temps. Le temps qui passe. « Le temps est supérieur à l’espace » du Pape François dans La Joie de l’Évangile résume bien la nature de cette sculpture installée. Le processus du temps qui modifie les éléments et parle de leur interactions. L’offerta, l’offrande, devenait alors une sorte d’autel du temps. Une offrande en action ; une offrande vivante se donnant. Une offrande s’altérant. Cette sculpture décrit le processus de l’offrande, qui est tout autre chose qu’un objet mort et inanimé qu’on dépose dans le vide. Ces manifestations physiques renvoient à une manifestation métaphysique et spirituelle. Et même religieuse : une offrande est un don à quelqu’un, la manifestation d’une action de grâce au sein d’une relation. Toute la sculpture - qui s’étend à la pièce entière, comme une chambre lumineuse (en regard de la camera oscura, la chambre obscure en photographie) -, son processus de vie est lié au temps, grâce à la lumière solaire et à la chaleur qui interagissent avec l’eau et les feuilles, avec les volumes de la pierre excavée, le courant d’air avec le citron desséché suspendu. Bref, une sorte de cadran solaire qui en fait une sculpture du temps. Une photographie (écriture de la lumière) en mouvement. Le temps est supérieur à l’espace. Et le métaphysique est supérieur au physique. Avec L’offerta les phénomènes physiques renvoient à une seule et même réalité unique. Cette installation devenait le signe d’une réalité invisible. Réalité invisible qui se manifeste dans le temps et les éléments altérés par le temps qui passe en transformant le vivant. Révélation du processus de la vie dans cette boîte fermée - qu’était à l’origine cette pièce d’exposition - par la lumière qui y pénétrait et agissait sur cette sculpture L’offerta.

    Lac de Vico.JPG
    Lac de Vico

    Dans cette période de ma vie (à 20 ans, je me croyais séparée de l’amour du Christ depuis 7 ans, et cela allait durer encore 14 ans, jusqu’en 2008), cette sculpture marque la découverte, ou plutôt la redécouverte autrement, en l’expérimentant à travers la création, d’un temps cultuel. L’évaporation de l’eau et la rétractation des feuilles étaient devenus comme une libation, un holocauste ; la fonction de l’encens qui s’élève des mains de l’homme vers Dieu « en offrande du sacrifice du soir » (office des vêpres, que je ne connaissais pas encore). Prémices de l’offrande de soi. Cette sculpture, à mon corps défendant, est devenue un rituel. Une prière vespérale (quand je l’installai  ̶  ce qui prit du temps tout en étant une occasion de silence et de solitude : le temps de planter les épingles dans la chair des feuilles oblongues pour les assembler comme un tapis). Ou des laudes (quand je vins la photographier). Cette sculpture, est, en fait, un autel. Cela se voit tout de suite. La fenêtre, avec sa tâche de lumière rectangulaire et trapézoïdale, a libéré tout le potentiel spirituel de la pièce quand je l’ai faite désobstruer. Par cette sculpture-installation, je recontactais le spirituel archaïque en acte. Le rituel des libations de l’Antiquité. Le sacrifice des holocaustes bibliques. Ce besoin de se donner à plus grand que soi par des voies symboliques, dans une liturgie. Cette sculpture était déjà une prière d’offrande de soi (eucharistie). Là, déposée-là. Offerte au temps. Au soleil, à la chaleur, au vent. S’évaporant. La pierre restant au sol comme un autel.

    AphiThé Sutri 2.JPGAprès la première contrariété de ma croyance au vandalisme, découvrant la merveille sous mes yeux de la force de vie des éléments naturels, j’acceptai que la sculpture soit altérée. Qu’elle soit transformée, devenue autre. Et c’est cette acceptation, cette adhérence à l’altération de ma volonté  ̶  comme je ne l’avais pas voulue, cette altération n’étant pas une chose que j’avais prévue comme dans un scénario ̶ , qu’elle devenait offrande vraie, véridique. Dans la perte de ma propre volonté, dans le don de moi-même, elle devînt authentique. Par la violence des phénomènes naturels je compris que cette offrande me dépassait, que cette sculpture excédait ce que j’avais fait, pensé… qu’elle allait au-delà de ce que j’avais réalisé. J’étais dépossédée par mon ‘œuvre d’art’. Cette dépossession est la marque de la main de Dieu sur elle, en moi. Ce n’était plus/pas une simple œuvre d’art de mains et de pensées humaines. Le doigt de Dieu la transportait dans la dimension spirituelle que je n’avais qu’entrevue en la baptisant « L’offerta ». Dieu en fit un signe, une théophanie, un ‘sacrement de la vie’. Un sacrement de la prière, sur l’autel qu’est cette sorte de bénitier baptisé L’offrande. Processus de ces métamorphoses, transformations de la nature ‘eau’, ‘végétal’, par le souffle du vent. Et le souffle de l’Esprit qui se glisse dans les symboles hissa sans peine la sculpture de simple ‘œuvre d’art’ à un signe quasiment sacramentel, renvoyant à une réalité spirituelle que j’avais perçue durant cette expérience des lieux, des cultures et des époques de la région visitée. L’offerta était devenue une synthèse phénoménologique du spirituel éprouvé, expérimenté dans ma rencontre des lieux et des temps de la région, dans les énergies naturelles, telluriques, volcaniques, végétales, minérales et humaines. Comme à l’amphithéâtre étrusco-romain de Sutri où je perçus la présence passée de la foule des humains, dans ce lieu vaste et vide. Je percevais la présence d’une multitude humaine alors même que ce lieu était vide. 

    Machina eucharistica

    L'Offerta recadrée.jpgEt c’est bien à une autre Présence que cette sculpture installée dans cette pièce particulière du Palais des Papes de Viterbo renvoyait. Manifestation d’un don de soi à plus grand que soi, à l’Altérité absolue et fondatrice, créatrice et à l’origine de soi. Perception du religieux. Avec le regard de l’âme.

    La grâce de l’altération, c’est de devenir un alter Christus. Machina eucharistica signifie ce devenir, ce processus (le temps est supérieur à l’espace du Pape François), cette transformation intérieure, diffusion en nous de l’Esprit du Christ qui nous eucharistie en Lui. Par la communion de toute notre vie à sa Personne, qui est trinitaire, nous devenons « sacrement-personne en relation », nous sommes un autre Christ. Nous prenons ses attitudes, ses gestes, ses pensées grâce à la vigilance intérieure qui nous garde en la présence christique. Nous adoptons alors, jour après jour, « une manière d’être avec autrui » qui est son mode d’être à Lui (« modus conversationis Christi » de saint Thomas d’Aquin)[vi].

    Il y a 26 ans, j’avais 20 ans et voilà ce que me dit ce que je produisis alors, dépassée par l’œuvre que je réalisai. Cette année 1994 est aussi l’année où commencèrent les attentats en Algérie et l’assassinat des religieux chrétiens en Algérie. Christian de Chergé avait rédigé son testament spirituel et l’avait comme scellé, mis au secret, demandant à ce qu’on ne le découvre et ne le lise qu’à sa mort. Dans son Testament, il fait l’offrande de lui-même. La décision de s’offrir librement soi-même était posée, déposée dans ce texte le 1er janvier 1994. Son martyre fut consommé deux en plus tard, fin mai 1996.

    Quand j’ai découvert, durant l’été 2019, que j’avais reçu le baptême le jour de la solennité de la Sainte Trinité, dans sa lettre du 25 mai 1975 à Maurice Boormans, j’ai su (de la science que donne l’Esprit Saint, le regard de connaissance de la foi), j’ai su que Christian de Chergé était dans ma vie comme un précurseur, comme s’il préparait le chemin que j’allais emprunter derrière lui, à sa suite, dans ma propre offrande de moi-même. C’était 25 ans après son testament spirituel, 25 ans après « L’offerta ». L’offerta était comme les prémices à mon désir, à ma vocation religieuse. Depuis que, par le père Armand Veilleux, j’ai découvert les écrits et la spiritualité de Christian de Chergé, je n’ai eu de cesse de percevoir sa présence providentielle, donnée par Dieu à moi, m’accompagnant sur mon chemin dans le dialogue avec les musulmans, mon désir de lire le Coran, d’une part, et dans l’appel à la vie trappistine, d’autre part.

    De la violence – ou des personnes en relation sacramentelle

    Christoph Theobald explique comment dans l’histoire de l’humanité et à travers les Écritures, nous rencontrons

    « des personnes rendues capables de rayonner par leur simple présence parce qu’en elles, pensées (l’intériorité), paroles et actes concordent dans une sorte de simplicité de conscience que les Évangiles désignent par « le oui qui est oui » et « le non qui est non » (cf. Mt 5, 37 ; 2 Co 1, 17-20 ; Jc 5, 12).

    On peut décrire cette même sainteté encore d’une autre manière en se référant à la célèbre règle d’or de Matthieu et Luc : « Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux ! Voilà la loi et les prophètes » (Mt 7,12). Cette règle n’est pas propre au Nouveau Testament ; elle existe dans le judaïsme, dans la culture grecque, chinoise, etc., et, actuellement, elle est utilisée fréquemment dans les grands débats sur la justice et les droits de l’homme, vérifiant ainsi l’orientation universelle de l’Évangile. On peut en effet comprendre cette maxime comme simple indicateur de la réciprocité fondamentale qui régule nos relations humaines les plus élémentaires (…).

    Mais discrètement la règle d’or fait appel à une attitude démesurée : la capacité de « se mettre à la place d’autrui » sans quitter sa propre place. La sainteté évangélique consiste précisément dans l’application démesurée de la règle d’or, toujours vécue dans telle ou telle situation concrète :

    - Quand il s’agit de « se mettre à la place d’autrui » par sympathie et compassion actives : « Qui est mon prochain ?... Un homme descendit de Jérusalem… qui est mon prochain ? Celui dont je me rends proche » (cf. Lc 10, 25-37). Inversion excessive, nullement exigible mais proposée concrètement dans telle ou telle situation inattendue : « Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux ».

    - Quand il s’agit de se mettre à la place d’autrui, au point de prendre sur soi sa violence: « Si tu vas à l’autel et tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi… va d’abord te réconcilier avec lui… » (Mt 5, 23-24). C’est la même inversion (ou capacité de se mettre dans la peau d’autrui) qui conduit ici au courage messianique, nullement exigible, de s’exposer à la violence d’autrui. »[vii]

    C’est par la violence de la nature  ̶  en réponse à ma volonté première de la contraindre : "crucifier" des feuilles fraîchement cueillies en les épinglant de force afin qu’elles s’aplatissent contre le carton-plume pour en faire un tapis !, avait été ma première violence… Égorger un chevreau en holocauste n’est cependant pas moins violent. Dans cette installation, je fis acte rituel renvoyant au culte biblique du Premier Testament. ̶  C’est par la violence de la nature que j’ai accepté de me déposséder, de me laisser déposséder moi-même par la sculpture-installation que j’avais réalisée.


    AphiThé Sutri 1.JPGAllons plus loin… J’évoquais plus haut la foule invisible comme présence humaine appartenant au passé dans l’amphithéâtre étrusco-romain (IIè siècle avant J-C. - Ier siècle) de Sutri. Je perçus véritablement cette foule, à l’aide d’un sens spirituel. Comme si ce sens spirituel me connectait à la mémoire du lieu, contenue dans la pierre de tuf. Cette foule humaine appartenant au passé, je l’ai comme retranscrite dans le tapis des feuilles de laurier fixées une à une, se chevauchant les unes les autres, épinglées ensemble à plat, comme autant de martyrs de premiers chrétiens. L’idée d’holocauste et même de crucifixion était présente, suggérée dans cette foule muette de feuilles épinglées qui se rebellèrent sous l’effet de la chaleur en désordonnant les épingles. Les pierres crieront… (Lc 19,40) :

    36 À mesure que Jésus avançait, les gens étendaient leurs manteaux sur le chemin. 37 Alors que déjà Jésus approchait de la descente du mont des Oliviers, toute la foule des disciples, remplie de joie, se mit à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus, 38 et ils disaient : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » 39 Quelques pharisiens, qui se trouvaient dans la foule, dirent à Jésus : « Maître, réprimande tes disciples ! » 40 Mais il prit la parole en disant : « Je vous le dis : si eux se taisent, les pierres crieront. »

    J’étais dépassée à plus d’un titre par cette sculpture bien vivante. Elle était devenue une sorte de sacrement, se référant à une réalité invisible plus grande qu’elle-même. Avec L’offerta, j’acceptai de m’offrir moi-même, manifestant mon plus grand désir, religieux. Et je ne le savais pas.

    Le testament spirituel de Christian de Chergé est cet acte libre, de la part d’un homme mûr. Acte de remise confiante de soi à la providence divine, par amour. Conscient d’être chrétien, prêtre et moine, frère « priant parmi d’autres priants » en Algérie. Aujourd’hui, je suis consciente et libre d’offrir ma vie en union avec le Christ pour mes contemporains, sachant que d’autres m’ont précédée et préparent la voie que j’emprunte avec ce grand désir d’être offrande, de libérer les fontaines de grâces en moi, de porter du fruit pour les autres, avec les dons que Dieu a déposé en moi.


    IMG-20200523-02257.jpgLe fruit actuel est la lecture du Qur’ân (le Coran), dans la version traduite en français de Maurice Gloton, conseil de lecture de Abd El Hafid Benchouk, le chargé de mission de la Fraternité islamique d’Artisans de Paix. Cette lecture spirituelle du Qur’ân, je l’entreprends à la suite de Christian de Chergé, dans un même esprit de communion spirituelle à une Parole divine révélée, mais dans un autre contexte fraternel : en France, avec des musulmans soufis français, et sans connaître la langue dans laquelle le Qur’ân a été révélé à Muhammad. Mon témoignage de cette expérience spirituelle aura sa propre valeur dans ce contexte et ne se compare pas à l’expérience jusqu’au témoignage du sang des 19 religieux béatifiés d’Algérie. Ce qui me conduit, c’est l’amour qui me fait désirer lire le Qur’ân et l’amour que je reçois faisant cette lecture. C’est sans doute ce même amour qui animait frère Christian pour l’Islam et l’Algérie, jusqu’au don de lui-même.

    Dans L’offerta, les forces de la nature en puissance manifestent une force invisible et spirituelle que j’avais éprouvée intensément durant ce mois à la découverte des sites et du patrimoine culturel, religieux et naturel de la région. Je retrouve dans la forme de cette sculpture-installation le cercle et donc mon blason spirituel (dessiné 20 ans plus tard) et le logo d’Artisans de Paix (dessiné en 2018, 24 ans plus tard). C’est le cercle de l’Eucharistie. Offrande de soi. Action de grâce.

    Blason spirituel.jpg

     

     

     

    Sandrine Treuillard
    Jehanne Sandrine du Sacré Cœur & de la Sainte Eucharistie
    En la fête de la Visitation et de la Pentecôte
    Dimanche 31 mai 2020
    Les Bleineries 18260 Sury-ès-Bois

     

     

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    [i] Retrouvez l’ensemble de la conférence du père Armand Veilleux, moine trappiste et frère des moines de Tibhrine : La rencontre de l’Autre au cœur de la violence : Le message des sept moines de Tibhirine.

    [ii] Christoph Theobald, Présences d’Évangile I – Lire les Évangiles et l’Apocalypse en Algérie et ailleurs, Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions Ouvrières, Paris, 2011, premier chapitre L’Église « sacrement de la rencontre »…, L’appel universel à la sainteté, p.46.

    [iii] Id. Santé et sainteté, pp.45-46.

    [iv] Prier 15 jours avec Christian de Chergé - Prieur des moines de Tibhirine de Christian Salenson, éditions Nouvelle Cité, 2017.

    [v] Note du 2 février 2020, 15h, en la fête de la Vie consacrée, Monastère de la Visitation, chambre Saint Jean, Paris 14ème, ajoutée au texte Esprit Saint en Visitation : Méditation sur la Visitation avec Christian de Chergé, du 30 avril-1er mai 2019. Ce texte est en correspondance avec le texte du Bx Christian de Chergé, extrait de la Retraite sur le Cantique des cantiques (présentée et commentée par Christian Salenson, éditions Nouvelle Cité, 2013) qu’il prêcha aux Petites sœurs de Jésus, à Mohammedia, au Maroc, en 1990. Je cite l’extrait de ce texte qui a été l’amorce du mien, avec « d’abord, c’est le secret de Dieu » :

                  « Profiter de la fête de la Vierge pour revenir sur le mystère de la Visitation. Il est évident que ce mystère de la Visitation, nous devons le privilégier dans l’Église qui est nôtre. 

              J’imagine assez bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Élisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Elle l’a reçue d’un ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à Élisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ? Et pourtant, tout en elle déborde, mais elle ne sait pas.

                    D’abord, c’est le secret de Dieu. (…) »

    Voir aussi à ce sujet le texte de sœur Bénédicte Avon La visitation ou le mystère de la rencontre in Le Verbe s'est fait frère - Christian de Chergé et le dialogue islamo-chrétien, éditions Bayard (Spiritualité), 2010.   

    [vi] Cf Christoph Theobald, Présences d’Évangile I –Lire les Évangiles et l’Apocalypse en Algérie et ailleurs, Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions Ouvrières, Paris, 2011, troisième chapitre Présence, témoignage, mission, accompagnementDes différences théologiques, Présence et témoignage p. 102.

    [vii] Id., premier chapitre L’Église « sacrement de la rencontre »…, Santé et sainteté, pp.44-45.


    Retrouvez cet article sur la page enrichie :
    Artisans de Paix - ou le désir de rencontrer l'(A)autre

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  • Les nombreuses demeures dans la maison de Dieu - Homélie Armand Veilleux - 8 mai 2020 - Martyrs d'Algérie

    Les nombreuses demeures dans la maison de Dieu
    - Homélie du père Armand Veilleux
    - 8 mai 2020 - Martyrs d'Algérie


    Homélie pour vendredi de la 4ème semaine de Pâques, 2020

    IMG-20200509-01868.jpg

    8 mai 2020, vendredi de la 4ème semaine de Pâques
    Actes 13:26-33 ; Jean 14:1-6

    IMG-20200509-01898.jpgThomas est un personnage vraiment intéressant. Il n'hésite jamais à intervenir même avec des questions qui n'ont rien de diplomatique. Lorsque Jésus dit aux Apôtres qu'il va leur préparer une place près de son Père et qu'il reviendra les prendre avec lui, Thomas objecte : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin ? » Et comme à chacune de ses interventions, Jésus le prend au sérieux et non seulement lui donne une réponse, mais lui fait une révélation importante : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père sinon par moi. »

    Logo Fraternités AdP.jpgCe qui est propre au christianisme ce n’est pas d’être une religion, ni même la seule vraie religion. Vatican II a reconnu dans les grandes religions de l'humanité des voies de salut pour les personnes cherchant sincèrement Dieu. Ce qui est propre au christianisme c'est d'être la foi en la personne de Jésus de Nazareth – une foi qui reconnaît explicitement en Lui le Chemin vers le Père. Notre foi chrétienne n'est pas simplement une foi générale en Dieu, créateur de l’Univers ; elle est une relation personnelle et aimante avec Jésus, reconnu explicitement comme la Voie qui mène au Père, comme la Vérité tout entière et comme la source et la plénitude de la Vie.


    IMG-20200508-01858.jpgJésus nous a appelés, chacun de nous par notre nom. Il a avec chacun de nous une relation particulière. Dieu nous a tous faits différents les uns des autres et il est le premier à respecter cette différence. C'est pourquoi il y a, nous révèle Jésus, de nombreuses demeures dans la maison de son Père. En réalité il y a autant de demeures que de personnes appelées au salut ; et tous les humains sont appelés.

    Le Fils de Dieu s'est fait l'un d'entre nous. Il est mort et il est ressuscité et il est allé nous préparer à chacun et chacune d'entre nous une place auprès de son Père. Comme le dit Paul aux Juifs dans la synagogue d'Antioche de Pisidie, « la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie en notre faveur à nous, leurs enfants : il a ressuscité Jésus » (première lecture). Paul affirme donc explicitement et clairement que c'est "en notre faveur" que le Père a ressuscité Jésus. Célébrons donc cette Eucharistie dans la joie pascale et l'action de grâce.

    Aux 7 bienheureux martyrs de Tibhirine moines cisterciens trappistes 8 mai 2020.jpgEt n’oublions pas que nous célébrons aujourd’hui la mémoire de nos frères de Tibhirine, déclarés bienheureux par le pape François, le 8 décembre 2018, en même temps que douze autres témoins de l’Évangile qui ont donné leur vie en Algérie et pour l’Algérie.

    Armand Veilleux
    Moine trappiste, Abbaye Notre-Dame
    de Scourmont, Chimay (Belgique)
    Ses homélies en ligne



    Aux 7 bienheureux martyrs de Tibhirine - 8 mai 2020
    - Premiers iris sauvages - Île Saint-Pardoux

     

    Photographies et vidéos de Sandrine Treuillard

     

     

     

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  • Du jeûne eucharistique comme communion au sacrifice du Christ - Révélation d'une vocation

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    Quand il ouvrit le septième sceau,
    il y eut dans le ciel un silence d'environ une demi-heure.

    Livre de l’Apocalypse 8,1

    Ceci est mon Corps 26 mars ND des Dombes recadrée.jpgDimanche 26 avril 2020

    En ce 26 avril 2020, en plein confinement #Covid19 et connectée à internet, lors de la messe du 3ème dimanche de Pâques célébrée à l’Abbaye Notre-Dame des Dombes[i] par la Communauté du Chemin Neuf, à la consécration du Pain  ̶  "Ceci est mon corps livré pour vous"  ̶  et du Vin  ̶  "Ceci est mon sang livré pour vous" ̶ , quand le prêtre a élevé l’hostie, puis la coupe, mes larmes ont jailli. Pendant l'épiclèse[ii], l'hostie du Pain consacré, puis la coupe du Vin consacré se sont trouvées superposées au Corps du Christ en Croix, à l’endroit même de son Cœur  ̶  et par deux fois, mes larmes ont jailli.

    Plus tard dans la célébration, au moment de la communion à la Table eucharistique, le prêtre a lu la prière de la communion spirituelle composée par la Communauté du Chemin Neuf. J’étais en pleine désolation d’être séparée de la Table eucharistique, de ne pouvoir communier à son Corps et à son Sang, suspendue devant la poitrine christique, le visage en larmes. L’hymne "Lumière enfouie", la 3ème strophe, exprime tout à fait mon sentiment, également dans le ton chanté :

    « Victime offerte à mes bourreaux,
    Mon corps n'est plus rien que blessure !
    Vous n'aurez plus besoin de lune ou de soleil,
    Agneau de Dieu, je suis votre flambeau ;
    Moi seul peux vous combler de joie,
    Ma Joie qui s'ouvre aux cieux nouveaux,
    Puisqu'au calvaire on me torture. »

    Le Christ parle de la joie qui viendra nous combler, au futur.

    Crucifix église lumière vitraux.jpegEn ce 3ème dimanche de Pâques, dans la communion spirituelle à son Eucharistie, je suis entrée dans la blessure du Côté du Christ en Croix, et ce dès les paroles de consécration des saintes Espèces par le prêtre. J'y demeure et y suis triste. Mon âme est triste, réfugiée en son Sacré Cœur comme en le jardin de Gethsémani, la nuit où Il entra en sa Passion : Il prit avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, et il commença à éprouver de la tristesse et des angoisses. Il leur dit alors : Mon âme est triste jusqu'à la mort ; restez ici, et veillez avec moi. Puis, ayant fait quelques pas en avant, il se jeta sur sa face, et pria ainsi : Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de moi ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux (Mat. 26, 37-39).

    C'est aussi le moment sur la Croix du "J'ai soif" qui s'éternise. Á ce désir douloureux, m’est présentée la communion spirituelle, comme on présenta l’éponge gonflée de vinaigre aux lèvres de Jésus assoiffé.

    Je pense que le Seigneur veut que je vive cela, à la mesure de mes forces, en union avec Lui, pour que j’éprouve le manque réel et manifeste de la communion eucharistique sacramentelle.


    Voici, je me tiens à la porte, et je frappe.
    Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte,
    j'entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi.

    Livre de l’Apocalypse 3, 20

    Prière de communion spirituelle ND des Dombes 26 mars recadrée.jpgLundi 27 avril 2020

    Je n'éprouve pas ce manque de Jésus Eucharistie seulement pour moi-même, mais, comme membre du Corps du Christ ; c'est comme si je devais souffrir cela au nom de tous ceux qui sont actuellement séparés de la Table eucharistique. Je prends donc cette privation de la communion eucharistique comme un sacrifice incarné dans ma chair, incarné dans mon désir blessé de la communion sacramentelle. Désir qui s’étend à toute la communauté chrétienne vivant cette même séparation de la Table eucharistique. Cette privation, ce jeûne eucharistique devient sacrifice eucharistique spirituel. C’est l’offrande de moi-même, de mon désir de communier au Verbe fait chair dans l’Eucharistie (Eucharistie à la fois comme Célébration – action de grâce – et Communion – mangeant le Pain, buvant le Vin – et en commune aspiration autour du Christ avec toute la communauté chrétienne) qui devient sacrifice eucharistique spirituel dans l’acquiescement à ce jeûne offert en communion avec tous les autres chrétiens qui en souffrent aussi. Et offert librement, en communion spirituelle avec le sacrifice du Christ en sa Passion.

    IMG-20200416-01501.jpgJe pense le vivre de façon œcuménique, pour l’Unité de tous les chrétiens, même si je suis d’obédience catholique. La dimension communautaire de l’Eucharistie retrouve toute sa nécessité et tout son sens dans ce jeûne imposé. Il est bon que nous en souffrions. Il est sain que nous en souffrions pour contacter à nouveau et de façon plus aiguë, plus profonde, l’essence du Mystère de l’Eucharistie du Seigneur Jésus Christ. Je pressens que le fruit de ce jeûne eucharistique communautaire de tous les chrétiens, dû au confinement #Covid19, nous pousse à contempler le mystère de l’Unité à la Table du Christ. Par la séparation de nos communautés habituelles, nous sommes en quelque sorte rassemblés plus radicalement autour du Christ lui-même, au-delà et au-dessus de nos obédiences. L’essentiel, c’est le Christ lui-même, et que nous soyons autour de Lui, et pas la particularité de nos rites, dans nos églises respectives. Cela nous pousse à devenir une nouvelle Église primitive.

    Bande verticale fleurs.jpgJe souhaite vous faire remonter à l’expérience de communion de ce que je viens d’écrire. Le samedi 18 avril, la veille du second Dimanche de Pâques, le pasteur Alain Joly – chargé de mission de la Fraternité eucharistique luthérienne d’Artisans de Paix – a transmis un message aux deux paroisses où s’exerce son ministère, que la présidente de l’association Artisans de Paix, Paula Kasparian, nous a transmis et que je lus. Ce message, je l’ai pris comme m’étant aussi adressé (les caractères gras sont de l’auteur) :

    « Chers amis,

    En cette veille du deuxième dimanche de Pâques, Quasimodo geniti,
    mes pensées vont particulièrement aux deux églises luthériennes,
    où nous aurions pu nous retrouver, comme prévu avant la crise,
    pour célébrer le Service divin et la sainte Communion.

    Á vous, chers paroissiens de Saint-Luc de Vanves, et de La Rédemption,
    et chers fidèles qui aimez à vous y associer,
    que soit donnée d'accueillir la Paix qui vient de Dieu par Jésus-Christ ! 

    En effet, le Prince de la Paix visite les disciples réunis le soir, une semaine après sa Résurrection, et c'est ce qui fait notre Joie, présente et à venir.

    Si vous le voulez et le pouvez, soyons unis dans l'esprit, à 18 h 30, demain dimanche 19 avril, 
    pour lire l’Évangile de saint Jean, chapitre 20, versets 19 à 31,
    penser les uns aux autres, en nous nommant dans l'intercession,
    et avoir confiance que Dieu exauce ce que nous lui demandons dans la Prière du Seigneur.

    Bande verticale fleurs.jpgOn pourra chanter l'un des chorals de Martin Luther pour la circonstance,
    Christ lag in Todesbanden, ou Nun freut euch, lieben Christen gemein, ou Christ ist
    erstanden, dont des versions françaises se trouvent dans nos recueils de cantiques.

    Ce dimanche,
    je ne célébrerai pas la sainte communion, seul, chez moi,
    comme je l'ai fait les dimanches précédents, en vous demandant de vous y unir par l'esprit.

    La grâce de mon ministère doit aussi demeurer une ouverture à ce que vous vivez :
    je veux vivre avec vous le jeûne eucharistique,
    en creusant le désir d'être à nouveau accueillis ensemble à l'Autel du Seigneur.

    Fidèlement,
    pasteur Alain Joly

    Paris, le 18 avril 2020 »

    Je lus ce message du pasteur le dimanche 19 avril, 3ème de Pâques, jour-même du jeûne eucharistique qu’il décida pour lui-même afin d’être en communion avec ses paroissiens. Dimanche de la Divine Miséricorde pour les catholiques. Je lui répondis aussitôt ceci :

    « Cher pasteur Alain,

    Votre mot adressé aux luthériens que Paula nous a partagé me touche infiniment. C'est votre jeûne eucharistique qui me touche et rejoint le mien en pleine force. Abondance de grâce de communion spirituelle à vous lire. »

     

    Je vis un autre ange qui tenait le sceau du Dieu vivant et il dit :
    Ne faites point de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres,
    jusqu'à ce que nous ayons marqué du sceau
    le front des serviteurs de notre Dieu.

    Livre de l’Apocalypse 7, 2-3

    IMG-20200416-01450.jpgEn effet, pour les catholiques, le 2ème Dimanche de Pâques est devenu une fête instaurée par saint Jean-Paul II sous l’inspiration de sainte Faustine Kowalska (fête célébrée le 22 avril 2001 pour la première fois par les catholiques du monde entier) : la Divine Miséricorde. Avec les luthériens, nous partageons le même Évangile de Jean 20, 19-31. C’est le même Mystère célébré dans ce dimanche de la fête Quasimodo geniti[iii]. Les catholiques l’approfondissent dans la suite du mystère du Sacré Cœur (révélations de Jésus Christ à sainte Marguerite-Marie Alacoque, à Paray-le-Monial, dans la seconde moitié du XVIIème siècle), source de la Miséricorde divine (révélations de Jésus à sainte Faustine, en Pologne, dans les années 30 du XXème siècle, relatées dans son Petit Journal, § 699). C’est ainsi que pour les catholiques :

    - quand le Christ institue l’Eucharistie le Jeudi saint, avec le disciple bien-aimé qui se penche sur sa poitrine ;

    - quand le Christ expire sur la croix remettant son Esprit entre les mains du Père, et quand son flanc transpercé laisse jaillir le Sang et l’Eau de son Cœur ;

    - enfin, quand il apparaît après sa Résurrection au Cénacle à ses disciples, leur donnant la Paix, soufflant l’Esprit sur eux, et leur montrant ses plaies de crucifié ;

    ces trois moments sont reliés par le même Mystère de l’Amour de Dieu pour ses enfants : Mystère de l’Eucharistie, du don de Dieu en le sacrifice de Jésus Christ, de la Rédemption, de la Divine Miséricorde, du don de l’Esprit Saint. Le mystère du Sacré Cœur est intimement lié et inséparable de l’Eucharistie (je vous invite à lire à ce sujet, de Marguerite-Marie Alacoque, un extrait de son journal lors d’une Retraite de 1684).

    IMG-20200422-01696.jpgRien d’étonnant, alors, peut-être en conviendrez-vous avec moi, que quand l’une manque (l’Eucharistie) on se réfugie dans l’autre (le Cœur de Jésus). Que quand la communion sacramentelle (donc physique) au Corps et au Sang du Christ dans les saintes espèces consacrées manque, on se réfugie dans le Sacré Cœur de Jésus. Cœur de Jésus du Jeudi saint (le disciple bien-aimé qui penche sa tête sur la poitrine de Jésus), et du Vendredi saint (ayant expiré en Croix, son Côté transpercé laisse jaillir le sang et l’eau et donc l’Esprit Saint), avant sa Résurrection  ̶  puisqu’au cours de la célébration de la messe nous faisons mémoire de la Passion du Christ depuis l’institution de l’Eucharistie (Jeudi saint) ; nous traversons sa Croix (Vendredi saint) et sommes emmenés au-delà, jusqu’à sa Résurrection et à l’inhabitation du Christ en nous lors de la communion sacramentelle (dimanche de Pâques). La privation de l’incorporation du Corps du Christ (communion sacramentelle) engendre une douleur dans l’âme qui se réfugie alors dans la plaie de son Cœur à la Croix. La douleur brute de la privation se mue alors, dans le temps, en blessure doucereuse (communion spirituelle) : la lumière du Christ nous visite.

    IMG-20200416-01431.jpgTrois jours après le 2ème dimanche de Pâques Quasimodo / Miséricorde Divine, nous poursuivions la lecture des Actes des Apôtres où l’ange, après avoir délivré Pierre et Jean de la prison, se donne la peine de refermer les portes après les avoir laissé sortir. Avec les visites du Ressuscité aux disciples confinés au cénacle, dans la chambre haute (Évangile de Jean du 2ème dimanche de Pâques Quasimodo), qui Lui, se trouve au milieu d’eux sans avoir ouvert aucune porte, le père trappiste Armand Veilleux a écrit une homélie sur Les portes tournantes de la solitude et de la prière, le 22 avril. Ce jour-là, l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance (les trappistes) fêtaient la bienheureuse Maria Gabriella Sagheddu, apôtre de l’Unité, qui s’offrit pour l’unité des chrétiens au cœur de sa vie monastique, en Italie. Elle rendit son âme au Père en quinze mois, suite à la tuberculose qui commença le jour où elle fit son offrande d’elle-même pour l’œcuménisme (détails suite à l’homélie ici). Cette figure de Maria Gabriella, apôtre de l’Unité (béatifiée par Jean Paul II le 25 janvier 1983), me toucha personnellement dans son offrande d’elle-même par ses vœux monastiques en union avec le Christ-Roi ; et par sa prière pour l’Unité, en union avec l’Eucharistie du Christ les quinze derniers mois de sa vie. Elle rendit l’esprit le 23 avril 1939.

    IMG-20200402-01389.jpg

    Dans la simplicité de mon cœur,
    je T'offre tout avec joie, ô Seigneur.

    Tu as daigné m'appeler à Toi,
    et je viens à Tes pieds.

    En ce jour de Ta fête royale,
    Tu veux faire de moi,
    créature misérable, la reine.

    Je Te remercie avec toute l'effusion de l'âme,
    et en prononçant les saints vœux
    je m'abandonne entièrement à Toi.

    Ô Jésus
    fais que je puisse demeurer toujours fidèle à mes promesses
    et que je ne reprenne jamais
    ce que je Te donne en ce jour
    Viens et règne dans mon âme,
    tel un Roi d'amour.

     



    « Sa courte vie monastique (trois ans et demi) se consomma comme une eucharistie. Son abbesse, mère Maria-Pia Gullini, très sensible au mouvement œcuménique, désirait fortement le voir encore s’amplifier et elle avait su communiquer à la communauté ce qui avait été l’âme de sa vie. En face de la déchirure du corps du Christ, Maria-Gabriella perçut la nécessité de s’offrir elle-même. Son corps, retrouvé intact lors de la reconnaissance de 1957, repose actuellement dans une chapelle contiguë au monastère de Vitorchiano, où la communauté de Grottaferrata s’est transférée »
    (source : Croire).

    Or, à mon retour de retraite de la Trappe de Scourmont (Belgique) fin septembre 2019, dans la nuit du 6 octobre (saint Bruno), j’écrivis une lettre de candidature à la vie monastique à l’abbaye des trappistines de Vitorchiano. La sœur hôtelière me répondit le vendredi suivant et me dirigea vers leur abbaye sœur de France, dans le Vaucluse, à Blauvac. J’y suis allée deux fois et je devais y retourner fin mai. Cette 3ème retraite/visite monastique comme candidate est compromise par le prolongement du confinement #covid19.

    Logo Fraternités AdP.jpgLe lendemain de la fête de la bienheureuse Maria Gabriella, apôtre de l’Unité, jeudi 23 avril 2020, dans sa pensée synthétique Paula Kasparian écrivit sa lettre de confinée aux Artisans de Paix confinés, y joignant ma réponse (précitée) au message du pasteur, qu’elle introduisit ainsi :

    « Une nouvelle forme de communion des saints est en train de venir au monde parmi nous. Soyons attentifs à ce qui vient. "Nous vivons un renouvèlement de la réalité de la communion des saints" fut la première réflexion du pasteur Alain Joly, au début du confinement. Et à plusieurs reprises, il nous a donné des rendez-vous de prières, confinés. »

    Son dernier rendez-vous de prière était alors pour partager le jeûne eucharistique du deuxième dimanche de Pâques.

     

    Il n’y aura plus de temps…
    aux jours de la voix du septième ange,
    le mystère de Dieu s’accomplira.

    Livre de l’Apocalypse 10, 6-7

    IMG-20200416-01486.jpgLa communion spirituelle étant déjà une transfiguration du temps séculier en le temps de Dieu, comme une faille, une fêlure dans le temps du siècle, la douleur de la privation de la communion sacramentelle dans la chair (comme l’écharde de saint Paul), deviendra, peut-être, dans la durée, doucereuse à l’âme dans la communion spirituelle. On serait alors confiné dans le Cœur de Jésus, enveloppé de la grâce rafraîchissante qui renouvelle notre esprit comme elle jaillit en même temps que le Sang et l’Eau. De la douleur aiguë dans le jeûne eucharistique, la grâce de l’Esprit de Jésus remis entre les mains du Père nous placerait peut-être dans la douceur du Cœur de Jésus comme dans « la main sûre et tranquille » du Père où « nous reposons comme un oiseau au creux du rocher » (chant de communion -sacramentelle- de la Communauté du Chemin Neuf).

    Le passage suivant de l’Apocalypse, reçu en invoquant l’Esprit Saint le vendredi 24 avril, va dans le sens de ce que je viens d’avancer (en gras dans la citation). Il s’agit du septième ange qui fait la révélation suivante à Jean le visionnaire :

    LIVRE DE L'APOCALYPSE  (Trad. Bible Louis Segond)
    chapitre 10

    1Je vis un autre ange puissant, qui descendait du ciel, enveloppé d'une nuée ; au-dessus de sa tête était l'arc-en-ciel, et son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu. 2Il tenait dans sa main un petit livre ouvert. Il posa son pied droit sur la mer, et son pied gauche sur la terre ; 3et il cria d'une voix forte, comme rugit un lion. Quand il cria, les sept tonnerres firent entendre leurs voix. 4Et quand les sept tonnerres eurent fait entendre leurs voix, j'allais écrire ; et j'entendis du ciel une voix qui disait : Scelle ce qu'ont dit les sept tonnerres, et ne l'écris pas. 5Et l'ange, que je voyais debout sur la mer et sur la terre, leva sa main droite vers le ciel, 6et jura par celui qui vit aux siècles des siècles, qui a créé le ciel et les choses qui y sont, la terre et les choses qui y sont, et la mer et les choses qui y sont, qu'il n'y aurait plus de temps7mais qu'aux jours de la voix du septième ange, quand il sonnerait de la trompette, le mystère de Dieu s'accomplirait, comme il l'a annoncé à ses serviteurs, les prophètes.

    Pissenlit vertical.jpgLe temps dont il est question ici est spirituel. C’est l’instant d’éternité de l’extase, la sortie de soi. L’instant d’éternité renouvelé à chaque mémorial eucharistique, durant chaque célébration de la messe. Le Mystère de Dieu s’accomplit en chaque célébration eucharistique, à la consécration ; à la communion. Ce Mystère eucharistique s’accomplit quand nous vivons nous-mêmes le don de nous-mêmes, dans la prière contemplative aussi bien que dans la vie active, dans nos relations avec autrui. Ce temps où "il n’y a plus de temps" est l’instant d’éternité, c’est le ‘toucher de l’éternel’ vécu dans l’oubli de soi, le don de soi-même ou l’accueil de l’autre ou du tout Autre. C’est tous les jours, par toute la terre, dans la vie des hommes, au cœur du monde, quand le cœur d’un homme s’ouvre à la grâce divine, à l’Amour. Dans la communion sacramentelle, ce « mystère de Dieu s’accomplit » : nous goûtons à la vie éternelle promise par le Christ.

     

    Je te conseille d'acheter de moi de l'or éprouvé par le feu,
    et des vêtements blancs,
    et un collyre pour oindre tes yeux.

    Livre de l’Apocalypse 3, 18

    IMG-20200416-01504.jpgAyant reçu ce passage de l’Apocalypse au chapitre 10 où il s’agit du 7ème et dernier ange se manifestant à la vision de Jean, j’avais repris le Livre de l’Apocalypse depuis le début, où l’Esprit parle aux sept Églises d’Asie. Comme c’était la vision du 7ème ange qui m’avait été donné de lire au chapitre 10, j’ai recherché ce que l’Esprit dit à la 7ème Église d’Asie qui est à Laodicée. Voici, au chapitre 3 :

    14Écris à l'ange de l'Église de Laodicée : Voici ce que dit l'Amen, le témoin fidèle et véritable, le commencement de la création de Dieu :

    15Je connais tes œuvres. Je sais que tu n'es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant ! 16Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche. 17Parce que tu dis : Je suis riche, je me suis enrichi, et je n'ai besoin de rien, et parce que tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu, 18je te conseille d'acheter de moi de l'or éprouvé par le feu, afin que tu deviennes riche, et des vêtements blancs, afin que tu sois vêtu et que la honte de ta nudité ne paraisse pas, et un collyre pour oindre tes yeux, afin que tu voies. 19Moi, je reprends et je châtie tous ceux que j'aime. Aie donc du zèle, et repens-toi. 20Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi. 21Celui qui vaincra, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi j'ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône. 22Que celui qui a des oreilles entende ce que l'Esprit dit aux Eglises !

    IMG-20200416-01481.jpgDans le contexte de la pandémie du Covid-19 qui pousse au confinement, dans la séparation physique d’avec nos frères en humanité, dans l’empêchement de nous rencontrer, nos vulnérabilités humaines, nos interdépendances de toutes sortes sont mises en relief et leur rupture nous font souffrir. J’ai pris ce passage de ce que l’Esprit dit à l’Eglise de Laodicée comme accusant les traits d’orgueil de notre époque : quand nous refusons de considérer la vulnérabilité humaine et notre besoin de lien spirituel aux autres et à Dieu. Une parole qui accuse l’autosuffisance humaine qui nie l’existence de Dieu. Une parole qui respecte la liberté humaine, don de Dieu à sa créature qui s’adresse en vérité à sa conscience, souvent aveuglée. Une parole divine qui dit à nouveau son amour pour sa créature. Dieu, par son Christ, le Nouvel Adam, nous veut restaurés à son image et à sa ressemblance (2ème chapitre de Le Nouvel Homme de Thomas Merton). Par la communion, il veut répandre sa Lumière sur nous, en nous, afin que nous le reconnaissions, goûtions à sa relation, le voyions, et l’aimions en retour.

     

    Mets-moi comme un sceau sur ton cœur,
    comme un sceau sur ton bras.

    Le Cantique des Cantiques 8, 6a

    IMG-20200503-01805.jpgSamedi 2 mai 2020

    Depuis le dimanche 26 avril, le sentiment de déréliction, la tristesse et la torpeur ont été mon lot cette semaine. J’ai trouvé un autre lieu propice au recueillement, moitié moins loin que Saint-Pardoux, de verts pâturages et de petits bois épais où le chant du coucou résonne. J’ai baptisé cet autre lieu de solitude secrète le ‘Vert Sacré Cœur’. C’est là que j’ai lu l’homélie du jour du Père Veilleux, en la mémoire de saint Athanase. Puis, le soir, au moment de la toilette avant le coucher, j’ai dû prendre une feuille de papier A4 et un stylo, pour écrire ce qui perçait dans la boue de mon âme, depuis le dimanche dernier. La souffrance du jeûne eucharistique fut amplifiée par l’annonce du gouvernement du report jusqu’au 2 juin de tous rassemblements cultuels en France, et des célébrations religieuses dans les églises de France : indifférence à la religion (déni/négation/mépris…), à la foi de leurs frères en humanité de nos dirigeants, relevée par Mgr Mathieu Rougé, évêque du diocèse de Nanterre, le 28 avril. J’écrivis :


    Ceci est mon Sang ND des Dombes 26 mars recadrée.jpgConfinée dans la chambre haute de la Croix, le Cœur de Jésus.

    D’abord suspendue, à la consécration du Pain « Ceci est mon corps livré pour vous » comme si j’avais été élevée avec ce Pain devant le Corps du Christ en Croix, et transportée jusqu’à son Cœur. Puis, comme transférée dans sa poitrine en même temps que l’hostie et le vin consacrés furent élevés. J’ai élu domicile dans le cénacle du Cœur de Jésus, depuis la messe du 3ème dimanche de Pâques (26 avril). J’ai été engouffrée dans sa blessure cordiale et j’y souffre avec Lui, de l’indifférence à la foi de nos frères en humanité qui gouvernent le pays et retardent inconsidérément le moment de retourner communier. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34). C’est aussi pour eux que nous souffrons d’être séparés de la Table eucharistique. C’est pour eux et tous nos contemporains indifférents à la vie spirituelle (ou hostiles, méfiants, indécis…) que nous devons offrir notre douleur en union avec le sacrifice du Christ. Aujourd’hui, j’ai lutté, je lutte contre le clivage en moi, la tentation de la colère et du ressentiment, le sentiment d’injustice, l’amertume dus à cet empêchement de la communion sacramentelle déclarée être prolongé après le déconfinement du 11 mai, jusqu’au 2 juin.

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    « Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mat. 26, 39b).  Alors oui, Seigneur,  garde-moi dans la petite prison du Sacré Cœur blessé de ton Fils. Que son Sacré Cœur et sa Sainte Eucharistie soient le sceau sur mon cœur, le sceau sur mon bras. Que la pentecôte eucharistique, qui commence depuis le Sacré Cœur transpercé sur le bois de la croix, donne naissance à une nouvelle Église primitive. En ces temps de confinement pandémie #covid19, que la pentecôte eucharistique à la Croix se répande sur le monde entier, comme un sceau sur la Terre.

    La Chambre haute du Sacré Coeur Texte.jpgSamedi 2 mai, 22h43

    Il y a une heure, j’écrivis la page A4, à l’encre noire, dans la salle de bain, sur la sorte de vision qui a surgi parmi la boue de mon âme, à table, au dîner. C’était que le 26 avril, j’ai été transportée dans la chambre haute du Sacré Cœur de Jésus en Croix, quand le prêtre a élevé l’hostie consacrée : « Ceci est mon corps livré pour vous », puis le vin consacré : « Ceci est mon sang livré pour vous ».

    Mon âme est si douloureuse, depuis dimanche dernier. J’ai dû lutter, aujourd’hui, contre le ressentiment dû au mépris, à l’indifférence de nos gouvernants à la foi de leurs contemporains : aux catholiques mais à tous les chrétiens et à toutes les religions, au fait religieux en général. Ils sont si loin de la spiritualité, de leur intériorité, de la vie plus intime à eux-mêmes qu’eux-mêmes, la vie de Dieu en eux. J’ai donc trouvé ma vocation en écrivant ce texte dans la salle de bain. Ce texte dévoile ma vocation d’intercéder pour nos contemporains indifférents à la foi au Christ. Je suis en union avec le Sacré Cœur de Jésus en Croix, suspendue dans le temps, et c’est ce qui est douloureux ; dans le silence qui dure une demi-heure ; dans le souffle rendu, livré, l’Esprit de Jésus ; dans le Sang et l’Eau qui s’écoulent de son Côté. Je suis confinée dans son Sacré Cœur pendant ce temps-là, je vis tous ces moments à la Croix, dans l’intimité de son Cœur blessé. Á la fois enveloppée dans la chambre haute de son Sacré Cœur, comme au Cénacle. J’offre ma souffrance spirituelle en union avec celle du Christ à la Croix. Avec ses paroles en Croix. Je souffre ses paroles. Je les vis avec Lui. Et ma vocation est d’offrir tout cela en union avec Lui, réfugiée en son Sacré Cœur, pour l’indifférence des hommes et pour que les chrétiens soient rassemblés en une nouvelle Église primitive autour de Lui, à la Sainte Cène, au-delà de nos obédiences humaines, dans la radicalité, la simplicité, la vérité du premier banquet eucharistique autour du Christ qui se donne vrai Pain de Vie pour nous, pour tout homme, et commande à ses disciples de répéter ses gestes en faisant mémoire de son don absolu dans l’Eucharistie.

    IMG-20200416-01461.jpgRelisant cette page écrite dans la salle de bain (l’Esprit m’ayant saisie, c’est dans une position inconfortable, à moitié assise sur le rebord de la baignoire que j’écrivis sur la tablette étroite, sous le vasistas), j’ai vu la résolution de ma vocation dans les lignes qui décrivent l’élévation des espèces consacrées devant le Corps du Christ en Croix, jusqu’à son Sacré Cœur, me sentant moi-même, par la force de mon désir de la communion sacramentelle, transportée dans ce Pain et ce Vin, cette hostie et ce calice, et déposée dans la chambre haute du Sacré Cœur de Jésus. C’est la vision intérieure du 19 novembre 2016, des vigiles du Christ-Roi, qui s’est comme superposée à celle d’aujourd’hui.

    L'Offerta 1-ptite.jpgTout cet état intérieur qui n’a pas cessé de s’amplifier depuis dimanche dernier, comme absorbée dans un abîme intérieur, se révèle être l’écrin à ce qui est né et a été transcrit sur le papier, dans la salle de bain. Douloureux accouchement depuis dimanche. Avec les prémices heureux l’annonçant dès le 22 avril, par la fête de la bienheureuse Maria Gabriella, apôtre de l’Unité, qui mourut en quinze mois de la tuberculose s’offrant pour l’Unité des chrétiens. De laquelle je me sens proche, dans sa consécration monastique prononcée le jour du Christ-Roi, avec sa prière d’offrande si belle. Proche d’elle aussi, par le lieu, l’abbaye et l’abbesse qui était sa mère au moment de son offrande. Grottaferrata, transféré à Vitorchiano, près de Viterbo, région où j’ai moi-même réalisé en 1994, à mes vingt ans, une sculpture « L’offerta » (L’offrande) cristallisant le désir puissant de m’offrir à Dieu moi aussi. J’étais alors loin de l’Église, étudiante aux Beaux-Arts. Mais, lors de ma communion, huit ans plus tôt, je m’étais vécue comme épouse du Christ. Désir absolu de Dieu contrarié dans ma treizième année et quand je reçus le sacrement de la confirmation, le démon avait déjà commencé son maléfice de la séparation d’avec Dieu. Mais le désir de Dieu était en moi et cette sculpture, installée dans une exposition collective au Palais des Papes de Viterbo, en témoignait silencieusement.

    Logo Fraternités AdP.jpgAutres prémices, comme des contractions, fut le vendredi 24 avril : le rêve interreligieux de la remise du petit livre Coran qui m’est remonté à la mémoire après avoir reçu ‘au hasard’ le Livre de l’Apocalypse, chapitre 10 : L’Ange et le petit livre… dont le premier paragraphe annonce ceci : « Il n’y aura plus de temps ». C’est ce temps qui s’éternise sur la Croix, suspendu dans le désir douloureux de la communion sacramentelle, à la Table eucharistique, qui laisse jaillir des larmes, comme le Sang et l’Eau n’en finissent pas de s’écouler du Cœur de Jésus depuis sa mort, depuis qu’Il a livré son Esprit. Je suis dans ce moment-là qui s’éternise, aussi bien que dans certaines paroles qu’Il a prononcées sur la Croix. Quand il vient de remettre son Esprit entre les mains du Père, d’une part ; et d’avoir répandu son Esprit par son Cœur transpercé sur les hommes, sur l’Église, dans la pentecôte eucharistique qui commence à la Croix, d’autre part.


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    IMG-20200415-01418.jpgIl y a aussi une autre trace indélébile de ma communion à la Table de la Sainte Cène : avec des pentecôtistes, lors de la session œcuménique de 2019, La vie dans l’Esprit : une expérience d’unité, organisée par la Communauté du Chemin Neuf à l’abbaye de Hautecombe. Le samedi, j’avais communié au Pain et au Vin et j’avais pleuré abondamment à cette communion, percevant la présence du Christ de façon aiguë. Touchée par la sobriété du geste liturgique de Jean-Daniel Plüss, si proche du réalisme de la Sainte Cène, en comparaison du rite de l’Eucharistie catholique si sophistiqué, liturgiquement parlant, où le célébrant décrit ce qui se passe en même temps que l’Esprit Saint consacre les saintes Espèces. Les pentecôtistes, et même les évangéliques, relisent les paroles ‘texto’ du Christ à la Cène, telles que le Nouveau Testament nous les ont léguées, sans rien retirer, ni rien ajouter. Cette sobriété, ce réalisme a été quelque chose de très fort pour moi en cette fin de mars 2019. J’y avais reçu une onction puissante qui m’a permis de vivre le psaume 132 :

    IMG-20200422-01693.jpg

     

     

    Oui, il est bon,
    il est doux pour des frères *
    de vivre ensemble et d'être unis !

    On dirait un baume précieux,
    un parfum sur la tête, +
    qui descend sur la barbe,
    la barbe d'Aaron, *
    qui descend sur le bord
    de son vêtement.

    On dirait la rosée de l'Hermon *
    qui descend sur les collines de Sion.
    C'est là que le Seigneur envoie
    la bénédiction, *
    la vie pour toujours.

     

     

     


    Les chrétiens devraient pouvoir partager le pain et le vin eucharistiques à toutes les tables des différents rites et se trouver à chaque fois dans la foi en la présence du Christ au milieu d’eux, quelque soit le rite adopté par les différentes obédiences. La Sainte Cène est au-dessus et au-delà de nos différents cultes. « Dieu est plus grand » que nos cultes.  (23h32)

    Blason spirituel.jpg

     

     

     

    Sandrine Treuillard

    Jehanne Sandrine du Sacré Cœur & de la Sainte Eucharistie

    26 avril - 2 mai 2020

    Les Bleineries, 18560 Sury-ès-Bois

     

     

     

     

    Le beau pasteur au 'Vert Sacré Cœur' -
    Homélie du père Armand Veilleux -
    & du jeûne eucharistique

    Photographies :
    Toutes de Sandrine Treuillard, sauf :

    L'élévation de l'hostie et les 3 détails de la messe retransmise du 26 avril 2020 : d'après les arrêts sur images de la vidéo NetForGod filmée à l'Abbaye Notre-Dame des Dombes, Communauté du Chemin Neuf.
    La troisième photographie : Christ en Croix, église Saint-Martin de Suçy-en-Brie : Michel Hilger.

    -----------------------------------------------------

    [i] C’est la trappe où le frère Christophe Lebreton était quand il a reçu l'appel à quitter la France pour l’Algérie, répondant à la vocation de vivre dans la communauté de Tibhirine. Il fait partie des sept moines martyrs de Tibhirine, et des dix-neuf religieux béatifiés à Oran, le 8 décembre 2018.

    [ii] Enseignement de monseigneur Michel Aupetit : L'épiclèse : sandrine treuillard,sacré cœur,eucharistie,christ-roi,christianisme,foi,paula kasparian,artisans de paix,pasteur alain joly,armand veilleux,communauté du chemin neuf,maria gabriella sagheddu,confinement,#covid19,pandémie coronavirus,laïcité,livre de l'apocalypse

    [iii] L'expression quasimodo est formée à partir des premiers mots latins qui commencent l'introït de ce jour : Quasi modo geniti infantes, alleluia : rationabile, sine dolo lac concupiscite...(Comme des enfants nouveau-nés, alleluia : désirez ardemment le pur lait spirituel...), dans la Première épître de Pierre.
    C'est aussi le jour où on lit le récit de l'apôtre Thomas refusant de croire à la Résurrection.
    La fête est encore appelée in Albis (en blanc), car les néophytes (adultes baptisés durant la vigile pascale), entrent à la messe vêtus de leurs habits blancs qu'ils portaient depuis leur baptême et le quittent pendant la cérémonie.
    Cette fête a été instituée de façon officielle pour que les pèlerins venant de loin et arrivés à Rome en retard - pour raison valable - après les fêtes de Pâques, participent à cette messe de la même façon (en latin « quasi modo ») qu'à la messe de Pâques. Ces pèlerins ne recevaient toutefois pas l'indulgence plénière.
    La fête est parfois nommée « Pâques closes » puisque c'est ce jour-là que s'achève l'Octave de Pâques.
    L'expression octave de Pâques désigne en général la période de huit jours qui va du dimanche de Pâques au dimanche suivant inclus. Elle est parfois employée pour indiquer le dernier jour de cette période.

     

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  • Le livre de l'Apocalypse et le petit livre Coran - Un rêve interreligieux

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    Vendredi 24 avril 2020
    ‘Les Bleineries’ 18260 Sury-ès-Bois
    (Cher – Centre-Val de Loire)


     

    Réveil vers 7h. Levée. Je prie l’Office des Lectures du vendredi 2, avec le psaume 37. Puis, pour recevoir la Parole, j’ouvre la Bible de Segond au hasard et tombe sur ce passage :

     

     

    LIVRE DE L'APOCALYPSE  (Trad. Bible Louis Segond)

    Chapitre 10

    1 Je vis un autre ange puissant, qui descendait du ciel, enveloppé d'une nuée ; au-dessus de sa tête était l'arc-en-ciel, et son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu. 2 Il tenait dans sa main un petit livre ouvert. Il posa son pied droit sur la mer, et son pied gauche sur la terre ; 3 et il cria d'une voix forte, comme rugit un lion. Quand il cria, les sept tonnerres firent entendre leurs voix. 4 Et quand les sept tonnerres eurent fait entendre leurs voix, j'allais écrire ; et j'entendis du ciel une voix qui disait : Scelle ce qu'ont dit les sept tonnerres, et ne l'écris pas. 5 Et l'ange, que je voyais debout sur la mer et sur la terre, leva sa main droite vers le ciel, 6 et jura par celui qui vit aux siècles des siècles, qui a créé le ciel et les choses qui y sont, la terre et les choses qui y sont, et la mer et les choses qui y sont, qu'il n'y aurait plus de temps, 7 mais qu'aux jours de la voix du septième ange, quand il sonnerait de la trompette, le mystère de Dieu s'accomplirait, comme il l'a annoncé à ses serviteurs, les prophètes.


    8 Et la voix, que j'avais entendue du ciel, me parla de nouveau, et dit : Va, prends le petit livre ouvert dans la main de l'ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre. 9 Et j'allai vers l'ange, en lui disant de me donner le petit livre. Et il me dit : Prends-le, et avale-le ; il sera amer à tes entrailles, mais dans ta bouche il sera doux comme du miel. 10 Je pris le petit livre de la main de l'ange, et je l'avalai ; il fut dans ma bouche doux comme du miel, mais quand je l'eus avalé, mes entrailles furent remplies d'amertume. 11 Puis on me dit : Il faut que tu prophétises de nouveau sur beaucoup de peuples, de nations, de langues, et de rois.

    Puis, je me mets à faire ma gymnastique devant la fenêtre ouverte, avec les oiseaux, la nature déjà bien éveillée dans la lumière solaire. C’est en fin de gym, tapotant ma tête que le rêve est remonté à mon souvenir. Je me suis arrêtée pour l’écrire à Camel puis à Paula. Je voulais l’écrire à Abd El Hafid, mais je n’ai pas retrouvé son numéro dans mon carnet d’adresse. Le voici :

    « Cette nuit j’ai rêvé que je devais lire le premier verset du Coran. J’étais dans un lieu musulman mais les gens n’étaient pas en tenue de religieux, en banlieue. Il y avait deux hommes, l’un qui écoutait, l’autre qui agissait. Celui qui agissait s’affaira pour me rapporter un petit Coran qu’il trouva dans un bureau. Ce Coran tenait dans ma paume. Je lus le premier verset, et cela suffisait[i]. J’ai rendu le petit livre Coran. Tout était plein de joie simple. »

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    Détail d'une calligraphie ottomane de la Basmala :
    Premier verset du Qur'ân qui le contient tout, et qui introduit les 114 sourates:
    "Par le Nom d'Allâh, le Tout-Rayonnant d'Amour, le Très-Rayonnant d'Amour"
    Cette calligraphie rend palpable ce qu'elle décrit :
    "le Tout-Rayonnant d'Amour" contient — "le Très-Rayonnant d'Amour" diffuse.
    Amour issu de la 'matrice', principe féminin de Dieu.
    (Théophile de Wallensbourg, lors de la Retraite interreligieuse d'Artisans de Paix,
    Centre spirituel des Carmes d'Avon, 1er décembre 2019.)


    Je pense que je suis appelée à lire le Coran[ii],
    à en faire une lectio divina, à la suite de Christian de Chergé qui le faisait.

    Il y a quelques soirs, j’ai terminé la lecture de la Petite Philocalie de la Prière du Coeur par Jean Gouillard (éd. du Seuil, 1953 et 1979), dont l’Appendice fut un très beau cadeau que je vous donne à lire sur ce lien pdf : UNE TECHNIQUE SOUFIE (NAQSHABANDI) DE LA PRIÈRE DU CŒUR. Abd El Hafid Benchouk, le chargé de mission de la Fraternité islamique d’Artisans de Paix, appartient à cette obédience soufie Naqshabandi.

    C’est ce soir l’entrée en Ramadan de nos frères musulmans[ii]. Qu’il leur soit doux et fructueux. Que nous en recevions les effluves.

    « Gloire à Dieu, Seigneur des Mondes. » (premier verset du Coran, de la sourate d'ouverture "la suffisante".)

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    Sandrine Treuillard
    Chargée de mission de la Fraternité eucharistique (catholique) Artisans de Paix

     

     

     


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    [i] Al-Fatiha (arabe : سُّورَةُ الفَاتِحَةSūrat al-Fātiḥah) est la sourate d'ouverture du Coran. Composée de sept versets, elle met l'accent sur la souveraineté et la miséricorde d'Allah. Elle peut être traduite par « l'entrée », « le prologue », « la liminaire » ou encore « l'ouverture ». Mahomet la nomme « la mère du Coran » (Oumm-ul-Kitab). Fakhr al-Dīn al-Rāzī relève douze noms différents donnés à la Fatiha : la "louange", la "Mère du Coran", les "sept répétés", "la complète", "la suffisante", "la Fondation", "la Guérison", "l'Adoration", "la Demande", "la Supplication", "l'Enchantement", "la protectrice", "le trésor", et "la lumière". Le nom de cette sourate ne dérive pas du contenu de la sourate mais de sa fonction de liminaire.
    Le premier verset (Basmala), dont la translittération est « bismillāh ar-rahmān ar-rahīm » (« Au nom de Dieu, le Tout miséricordieux, le Très Miséricordieux »), peut être familier à l'oreille d'un non arabophone ou d'un non musulman car il est omniprésent dans les sociétés musulmanes, notamment sous sa forme contractée « Bismillâh ». Cette formule apparaît au début de chaque sourate du Coran, exceptée la neuvième, At-Tawba (et elle est répétée deux fois dans la 27eAn-Naml). Elle est un verset uniquement dans la Fatiha. (source : wikipedia)

     

    Texte en arabe

    Translittération

    Traduction de
    Muhammad Hamidullah

    1

    بسم الله الرحمن الرحيم

    Bismillah ar-rahman ar-rahim

    Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux,
    le Très Miséricordieux.

    2

    الحمد لله رب العالمين

    Al Hamdulillahi rabbi-l-`alamin

    Louange à Allah, Seigneur de l'univers.

    3

    الرحمن الرحيم

    Ar-rahman ar-rahim

    Le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux,

    4

    ملك يوم الدين

    Maliki yawm ad-din

    Maître du Jour de la rétribution.

    5

    اياك نعبد واياك نستعين

    Iyaka na`budu wa iyaka nasta`in

    C'est Toi [Seul] que nous adorons, et c'est Toi [Seul] dont nous implorons secours.

    6

    اهدنا الصراط المستقيم

    Ihdina as-sirat al-mustaqim

    Guide-nous dans le droit chemin,

    7

    صراط الذين انعمت عليهم غير المغضوب عليهم ولا الضالين

    Sirat al-ladhina an`amta `alayhim ghayri al-maghđubi `alayhim wa la ad-dalin

    Le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés.

     

    [ii] Sourate 96 Al-Alaq (L’adhérence)

    96.1.اقْرَأْ بِاسْمِ رَبِّكَ الَّذِي خَلَقَ
           Iqra/ bi-ismi rabbika allathee khalaqa
           Lis au nom de ton Seigneur qui a tout créé,

    96.2.خَلَقَ الْإِنسَانَ مِنْ عَلَقٍ
           Khalaqa al-insana min AAalaqin
           qui a créé l'homme d'une adhérence !

    96.3.اقْرَأْ وَرَبُّكَ الْأَكْرَمُ
           Iqra/ warabbuka al-akramu
           Lis, car la bonté de ton Seigneur est infinie !

    96.4.الَّذِي عَلَّمَ بِالْقَلَمِ
           Allathee AAallama bialqalami
           C'est Lui qui a fait de la plume un moyen du savoir

    96.5.عَلَّمَ الْإِنسَانَ مَا لَمْ يَعْلَمْ
           AAallama al-insana ma lam yaAAlam
           et qui a enseigné à l'homme ce qu'il ignorait.

    « Le commandement Divin de proclamer l'islam commence par un ordre sublime : Iqra'. Généralement traduit par « lis », ce mot signifie aussi « répète à haute voix » ou « récite ». Il s'adresse à l'humanité, le Prophète représentant l'humanité dans son rapport à Dieu. Iqra' est donc une injonction universelle, une offre invitant chaque individu à s'éloigner de l'imperfection et à s'approcher de la vertu et du bonheur dans les deux mondes.

    Iqra' est l'ordre de lire les signes que le Créateur a placés dans la création de sorte que nous puissions comprendre quelque chose de Sa Miséricorde, de Sa Sagesse et de Sa Puissance. C'est l'ordre d'apprendre, par l'expérience et la compréhension, le sens de Sa création. C'est aussi la certitude que la création peut être lue et qu'elle est intelligible. Plus nous apprenons à mieux la lire, plus nous saisissons mieux que le monde créé est un seul univers dont la beauté et l'harmonie reflètent la Suprême Tablette Gardée (85 : 22) sur laquelle, par le Décret Divin, toutes choses sont inscrites. » Début de l'article de Fethullah Gülen Pourquoi le premier verset coranique révélé commence-t-il par l’injonction Iqra' (Lis ! )?.

    [ii] « Rappelons que le jeûne du Ramadan est le quatrième pilier de l’islam qui compte au total cinq pratiques obligatoires. Il vise à « atteindre la piété », est-il écrit dans le Coran, en réorientant son regard vers le divin par le jeûne. Ce jeûne rituel fut décrété deux ans après l'Hégire, c'est-à-dire deux ans après la fuite du prophète Muhammad de la Mecque vers Médine, qui marque le début du calendrier musulman. La 27e nuit du Ramadan est la plus importante. Elle commémore la Nuit du Destin, au cours de laquelle, selon la tradition musulmane, l’ange Gabriel transmet le Coran à Muhammad. Tous les musulmans qui ont dépassé l’âge de la puberté sont invités à jeûner du lever du soleil – dès que l’on peut « distinguer un fil blanc d’un fil noir », dit le Coran – à son coucher. Ils doivent s’abstenir de boire, de manger, de fumer et de relations sexuelles. Les repas qui marquent la rupture du jeûne, après le crépuscule et avant l’aube, se prennent ensemble,  de façon festive en temps normal.
    Nous présentons à nos amis musulmans nos vœux les meilleurs pour que ce mois de Ramadan soit pour eux un mois de retour au Tout-Puissant et Miséricordieux, de vie en Sa présence, d'attention aux plus démunis et de partage malgré l'impossibilité des rencontres et prières publiques. » Paula Kasparian, lettre du 23 avril 2020 aux Artisans de Paix.

     

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    Artisans de Paix - ou le désir de rencontrer l'(A)autre

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  • L'autre face de la Visitation - la note aigüe aux entrailles (Marie et Fatma)

    Une retraite & visite monastique sous le signe de Marie  

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                Le mardi 11 février 2020, en la fête de Notre-Dame de Lourdes, je suis partie pour une retraite et visite d’une semaine à l’abbaye des trappistines Notre-Dame de Bon Secours de Blauvac, dans le Vaucluse, au pied du Mont Ventoux, en Haute-Provence. Je suis repartie le 18 février, en la fête de la visionnaire de l’Immaculée Conception à Lourdes, sainte Bernadette Soubirous.

                Le matin de mon départ, je rencontrai l’abbesse des lieux, qui avait été absente une bonne partie de mon premier séjour là-bas, trois mois auparavant. Elle me dit que je devais être attentive à ce qui se passe en moi, également au niveau de ma tache au sein de l’association Artisans de Paix, dont je suis chargée de mission pour la Fraternité Eucharistique catholique.

                L’événement qui a suivi dans le tgv, ce 18 février 2020, est le premier signe trinitaire et marial qui m’interpelle, suite à cette retraite et visite monastique.

    À la gare tgv d’Avignon - nuée d'étourneaux

    artisans de paix,sandrine treuillard,bénédicte avon,trinité,marie,christian de chergé,la visitation,christianisme,foi,islamSr Bénédicte, la sœur hôtelière — un des auteurs du livre collectif « Le Verbe s’est fait frère » sur la spiritualité islamo-chrétienne de Christian de Chergé (un de ses deux articles dans ce livre s’intitule La visitation ou le mystère de la rencontre) — m’amena en voiture à la gare de Carpentras. Elle évoqua longuement la cambodgienne Claire Ly qui a vécu le dialogue interreligieux intérieurement. D'abord enracinée dans le bouddhisme, elle fit la rencontre du Christ dans l’horreur d’un camp khmer et était devenue chrétienne (expérience à la croisée des cultures et des religions relatée dans « La Mangrove »).



    artisans de paix,sandrine treuillard,bénédicte avon,trinité,marie,christian de chergé,la visitation,christianisme,foi,islamAprès le trajet en ter de Carpentras à Avignon, il y avait une correspondance de 40 minutes à la gare tgv. Les voyageurs se sont massés tout le long du quai au niveau du numéro de leur voiture en attendant l’arrivée du tgv, de Marseille, pour Paris. Arrêtant ma valise dans le coin salle d’attente au niveau du repère de la voiture 3 qui m’était attribuée, je m’assis. La gare tgv d’Avignon est d’une architecture fort intéressante. Mais je ne pouvais rien voir à l’extérieur : ni à droite, la voie par où le tgv allait arriver, ni à gauche. À gauche, derrière un double-panneau publicitaire, je devinais une lumière, celle du soleil déclinant.


     Je m’approchai, et découvris une baie vitrée. Cette trouée sur le dehors fit chanter mon cœur : le soleil rosissait le ciel. Une nuée d’étourneaux tournoyait puissamment, d’un pilonne électrique à l’autre : deux belles tours de métal dont les traverses étaient couvertes de centaines de ces oiseaux. Je choisis de me poster debout à cet endroit où j’avais à la fois un œil sur mes bagages, et pouvant contempler cette chorégraphie des oiseaux migrateurs avec ces élégantes dames de fer, dans le feu du couchant.

                À la porte coulissante derrière moi, donnant sur le quai, j’ai vu un homme portant barbe noire, de type arabe, qui cherchait manifestement sa direction. En anglais, je lui offris mon aide. Il me dit qu’il ne parlait qu’arabe. Je le conduisis au pied d’un écran pour trouver la lettre repère sur le quai, correspondant au numéro de sa voiture du tgv. Il devait se rendre au repère U. Sur son portable, il écrivit le U majuscule, en confirmation de sa bonne compréhension. Je lui indiquai la direction avec les panneaux noirs où sont inscrites les lettres repères blanches. Sa famille le suivit, avec tous les bagages.

     

    Dans la voiture 3 - sous le signe de la Trinité

                Une fois le tgv arrivé, et après embarcation et installation dans la voiture 3, place 333 (oui, c’était bien ces chiffres sous le signe insistant de la Trinité que la Providence m’avait placée pour ce voyage…[1]), je me levai pour aller aux toilettes. Celles du bas étant hors-service, je dus me rendre à l’étage. Devant monter par les escaliers, sur la plateforme je passai tout près d’une femme portant foulard, assise sur ses bagages, avec un bébé dans un couffin et un enfant de deux-trois ans dans une poussette. Elle et moi, nous nous saluâmes.

    artisans de paix,sandrine treuillard,bénédicte avon,trinité,marie,christian de chergé,la visitation,christianisme,foi,islamLa scène du ballet des étourneaux dans le couchant avait dilaté mon cœur, j’avais le sourire, ayant fait aussi le plein d’Esprit Saint à Blauvac, j’étais toute disposée à la rencontre. Quand je revins sur mes pas pour redescendre, le petit de trois ans en bas des escaliers, dans sa poussette, me dévorait le visage, et je descendis, m’approchant. Son petit visage était un appel à l’échange. Celui de sa mère aussi était souriant. Arrivée à leur niveau, la femme m’adressa la parole. Elle me dit : « Syrian »… Je compris qu’elle était syrienne. Elle demandait de l’argent, désignant ses enfants. Comme tous les migrants, elle quêtait pour sa famille. Je lui demandai son prénom. Fatma. Oui, musulmane. Elle me dit aussi le prénom du petit de trois ans qui continuait à appeler de toute sa petite face lumineuse.

    Clavicule_situation.pngAvec des gestes, je lui dis qu’elle était musulmane et moi, chrétienne, tout en prenant entre mes doigts la petite croix de bois foncé qui pend au ruban lie-de-vin que je porte en ras-de-cou, la croix lovée dans le creux au-dessus du manubrium, l’os triangulaire qui fait la jonction entre les deux clavicules. Plusieurs fois, je lui dis que je n’avais pas d’argent liquide sur moi, quand elle réclamait des euros. Plusieurs fois, je lui proposai des biscuits que j’avais, pour le petit de trois ans. Plusieurs fois elle prononça le mot : halal.

                Avec des gestes, je lui exposai ma différence, nos différences respectives et invitai au dialogue. Je désignai l’En-Haut de l’index et, avec mes doigts, je dis qu’il n’y avait qu’un seul Dieu. Quand elle eut compris que j’étais chrétienne, d’abord comme si elle ne put voir la croix à mon cou, comme si elle avait été invisible à ses yeux, quand elle put la voir et comprit que j’étais chrétienne, quand elle put l’entendre dans notre échange, son visage de souriant se transforma en regard noir et sourcilleux, ses gestes devinrent plus tranchants, comme si la croix était devenue une menace. Elle dit : « Chrétien pas bien. Musulman, bien. Toi, aussi musulman, bien ! » Je vis la virulence dans son regard, dans ses paroles qui voulaient forcer ma conversion et surtout, qui niait la foi chrétienne, se refusant à reconnaître paisiblement l’altérité.

                En une fraction de seconde, je reçus tout cela et un pincement dans mes entrailles se fit clairement sentir, une douleur soudaine et aigüe, comme une corde (de boyau) aurait été pincée. Le mur de ses paroles eut l’effet d’un rideau de fer soudain baissé. Cependant, la note intérieure qui suivit ma douleur abdominale fut un silence paisible.

                Fatma était toujours restée assise sur ses bagages, certainement habituée à attendre, à quêter activement en attendant, le temps, ici, que son mari trouve les places attitrées à sa famille dans la voiture 3, à l’étage. Je suis allée chercher le paquet de biscuits pour le petit. De retour sur la plateforme, je l’ouvris et en tendis un au petit, devant la mère. « Halal », redit la mère. Et le petit tendant la main : « Halal ! ». Je regardai leurs deux visages, un peu éberluée. Penaude, je replaçai le gâteau dans l’emballage individuel.

                Il est vrai que se sont des biscuits industriels. De toute façon, il n’aurait pas aimé : ce ne sont pas des biscuits sucrés pour les enfants. Du haut des escaliers, le père appela Fatma pour qu’ils le rejoignent à leurs places dans le tgv. Je restai en bas et retournai à ma place 333.

     

    L’éveil à une mission de prière pour les chrétiens persécutés

                Ce n’est qu’hier, dimanche 23 février, avant le mercredi des Cendres dans deux jours, que je compris la nouvelle mission de prière que Dieu me confie. C’est une mission mariale de prier pour les chrétiens persécutés de Syrie, du Moyen-Orient. Persécution ordinaire par les musulmans ordinaires qui sont éduqués, par la loi islamique, à ignorer, à nier la foi des chrétiens, à ne les voir que comme une menace et un potentiel de conversion à un islam politique.

                En une fraction de seconde, en ce pincement de mes entrailles, j’ai compris la souffrance des chrétiens persécutés ordinairement là-bas. C’est comme si j’avais, un instant, été Marie au pied de la Croix, transpercée dans mes entrailles par la douleur. J’ai vécu l’opposé de la Visitation de Marie à sa cousine Élisabeth.

    artisans de paix,sandrine treuillard,bénédicte avon,trinité,marie,christian de chergé,la visitation,christianisme,foi,islamÀ la Visitation, Élisabeth avait senti tressaillir de joie le petit Jean en ses entrailles, quand Marie entra dans sa maison, souhaitant la paix à sa cousine : « As salam alaikum ! ». Le petit Jean avait tressailli de joie en les entrailles de sa mère au toucher de l’Esprit de Jésus par ce salut de Marie. S’en était suivi l’émerveillement d’Élisabeth et le Magnificat de Marie. Marie avait reçu l’annonce de sa grossesse de Jésus par l’ange Gabriel, et s’était précipitée en toute hâte dans les montagnes pour rejoindre sa cousine âgée miraculeusement enceinte, elle, depuis 6 mois. (À ce sujet : Esprit Saint en visitation en correspondance avec Christian de Chergé ).

     

    Notre-Dame du Calvaire à Jérusalem

                La veille de mon départ de l’abbaye Notre-Dame de Bon Secours de Blauvac, le lundi 17 février, j’étais arrivée bien avant l’office de None à l’église abbatiale, pour prier. Sœur Annie, la sœur apostolique qui a choisi de vivre au service de la communauté des trappistines pendant sa retraite de religieuse, venait de s’assoir à sa place, dans la stalle. Elle ouvrit une enveloppe et ne put réprimer un petit cri de joie. Elle admira l’icône entre ses mains et se tourna vers moi, me disant qu’elle l’attendait. Elle se leva pour me la montrer.

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                C’était le Christ en Croix, un plan rapproché sur son visage, de son flanc droit jaillissent des filets de sang qu’un ange recueille dans un calice. Le regard du Christ est animé de sentiments complexes, tourné vers l’ange. Sr Annie me dit que cette icône avait été écrite par une bénédictine à Jérusalem, mais elle ne pouvait lire l’étiquette au verso. Je lui prêtai mes yeux et découvris le nom de la sœur de la congrégation Notre-Dame du Calvaire, au monastère du Mont des Oliviers, qui l’avait réalisée, Sr Marie Paul. Il se trouve que c’est elle qui a réalisé l’icône de la Croix de Tibhirine, dont voici le détail de la traverse, ci-dessus (voir la biographie de sr Marie Paul en note[2], en bas de cet article).

    artisans de paix,sandrine treuillard,bénédicte avon,trinité,marie,christian de chergé,la visitation,christianisme,foi,islamC’est à la tête de ce monastère que sœur Marie — qui a été vingt ans présidente de la congrégation Notre-Dame du Calvaire et que j’avais rencontrée en 2012 et 2013 dans son monastère de Prailles dont elle était la prieure, dans les Deux-Sèvres — a été envoyée comme nouvelle Prieure à Jérusalem (cf ici le PDF Interview dans Panorama, avril 2019 : Nous entrons dans une nouvelle ère.Il m’a été donné la grande surprise de la revoir avant son départ pour Jérusalem fin 2019, en octobre 2019, à Vanves, au Prieuré Sainte-Bathilde, lors de l’anniversaire des cinquante ans de l'Association des Amis des Monastères à Travers le Monde (AAMTM).

                Sœur Annie me proposa un petit livret de Carême pour prier 40 jours avec l’Aide à l’Église en Détresse (AED) pour les chrétiens persécutés.

                Le lendemain, la rencontre de Fatma dans le tgv, l’autre face de la visitation, a confirmé cette mission de prière que le Cœur de Jésus en Croix me donne. 

     

    Ô prends mon âme - un augmentum 

                Confirmation appuyée hier, dimanche, d’abord lors des 10 puissantes minutes d’oraison faites dans l’axe exact de la Croix, juste après les Vêpres avec les bénédictines de Vanves dans l’église Sainte-Bathilde, avant de me rendre à la messe à Saint-Étienne, à Issy-les-Moulineaux. Tout le temps de cette messe, l’Esprit Saint continua à me décrire intérieurement la teneur de cette mission, avec gravité, comme en un augmentum. Je communiai et tout le temps du recueillement de la communion je restais à l’écart, à genoux, jusqu’après les annonces du curé. Le chant de communion était en soi une parole très claire du Seigneur pour la mission qu’il me confie.

                Ce chant, je l’avais découvert suite à l’attentat de Daech contre Charlie Hebdo, à Paris, le mercredi 7 janvier 2015. Deux jours après, vendredi 9, j’étais montée à la basilique de Montmartre pour la messe du Sacré Cœur hebdomadaire, à 15h. Les bénédictines du Sanctuaire du Sacré-Cœur et de la Sainte-Eucharistie me firent découvrir ce chant d’entrée, choisi à dessein (Mère Marie-Cleophas me le confirma lors de notre entretien après cette messe) :

             Ô prends mon âme

    Ô prends mon âme, prends-là, Seigneur,
    Et que ta flamme brûle en mon cœur.
    Que tout mon être vibre pour toi,
    Sois seul mon maître, ô divin roi.

    R/ Source de vie, de paix, d’amour
    Vers toi je crie la nuit, le jour
    Guide mon âme, sois mon soutien
    Remplis ma vie, toi mon seul bien.

    Du mal perfide, ô garde-moi,
    Sois seul mon guide, chef de ma foi,
    Quand la nuit voile tout à mes yeux,
    Sois mon étoile, brille des cieux.

    Voici l’aurore d’un jour nouveau,
    Le ciel se dore de feux plus beaux,
    Jésus s’apprête, pourquoi gémir,
    Levons nos têtes, il va venir.

      

    La Visitation du cœur des mères musulmanes

                Dimanche 23 février, ce fut donc ce chant de communion. Le sens des paroles a été, pour moi, dès le 9 janvier 2015, une invitation à la consécration religieuse avec le Christ. Une confirmation de ma vocation religieuse reçue le 1er novembre 2014. Ce chant est un appel lancé au Christ, une espérance qui supplie. C’est aussi la réponse à l’appel du Christ lui-même, à sa Promesse. Ce chant scelle ma mission en communion avec Lui. Cette mission de prière, telle que je la discerne avec cet événement de la rencontre de Fatma, l’autre face de la Visitation (comme on dirait le revers de la médaille), je vais la décrire maintenant.

                J’ai encore reçu cette image dans la prière, ce matin (25 février) de la Vierge Marie qui se fait proche, dans l’intériorité de Fatma, la musulmane. La Vierge Marie qui est l’Aqueduc de la grâce divine (saint Bernard) pour les hommes, elle qui est la Mère du Christ, peut se faire proche du cœur de la femme musulmane. Elle seule est à-même de visiter le cœur d’une musulmane à la foi ferme, chevillée au corps. Il ne s’agit pas de la conversion de Saul de Tarse, qui fut terrassé par la lumière du Christ sur le chemin de Damas : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? ». Il s’agit de la Vierge Mère de Tendresse qui vient murmurer au cœur d’une mère musulmane que son Fils Jésus Christ existe bien, qu’il est vraiment le Fils de Dieu le Père, le Dieu unique, qu’il est vraiment mort crucifié, qu’il est vraiment ressuscité des morts, qu’il est vivant et vraiment présent par son Esprit en chaque chrétien, en chaque baptisé qui a reçu l’Esprit de Jésus. Marie peut murmurer au cœur de Fatma la souffrance qu’elle lui fait endurer, sans le savoir (Jésus en croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Luc 23,34), en niant la vie de son Fils. Dans l’intimité de la visite de Marie au cœur d’une mère musulmane, cette vérité de la foi chrétienne peut être dite, révélée et reçue. Seule Marie peut porter la Lumière qu’est le Christ, son Fils, au cœur d’une mère musulmane.

                Ce que j’ai à faire, c’est d’avoir la certitude (la foi) que Marie peut se manifester ainsi au cœur de ces femmes musulmanes (fatima : femme ; « Fatma » est le prénom de la fille du prophète Mahomet), qui d’autant plus sont mères, comme Marie. Que, par sa manifestation intime et cordiale, elle leur fasse sentir la persécution qu’elles font vivre aux chrétiens en étant soumises à l’interdit de voir, de reconnaître, de se laisser toucher par un chrétien.

                Combien de fois le Christ est-il mort au Cœur immaculé de Marie, à chaque négation de la vie du Christ en les chrétiens ? Combien de fois son Cœur de Mère du Christ est-il blessé, comme mes entrailles, dans une moindre mesure, ont été piquées dans ma rencontre avec Fatma ?

                "L'événement avec Fatma", ce n'est pas simplement se recueillir avec Marie au pied de la croix. Et ce n'est pourtant pas déjà Jésus qui visite les enfers des prisonniers de leur loi, loi ici représentée par le 'Halal' et l'interdit de voir, de reconnaître, de se laisser toucher par un chrétien. Ce que le Seigneur me donne dans cette rencontre avec Fatma, c'est une mission de prière à Marie, avec Marie : lui demander à elle, qui est le passage possible avec les musulmans, de se montrer à leur intériorité pour leur révéler de l'intérieur la lumière du Christ, non pas pour qu'eux-mêmes 'apostasient' leur foi musulmane, mais qu'ils reconnaissent l'existence de la révélation chrétienne, par la rencontre de Marie, christophore.

                Je demande à Marie de contribuer à ce que leur aveuglement cesse, qu'ils laissent le Christ se manifester dans chaque chrétien, sans que cela n’empêche pour autant leur pratique musulmane.

                Je demande une visite lumineuse de Marie au cœur de ces musulmanes. Marie, tu portes la lumière du Christ, tu es à-même de leur parler, d'apaiser leur peur, de changer leur ignorance. Toi seule peux doucement leur apporter la Lumière.

     

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    Sandrine Treuillard
    Jehanne Sandrine du Sacré Cœur & de la Sainte Eucharistie
    les 24-25 février 2020
    Vanves

     

     

     

     

    [1] J’ai été baptisée le 25 mai 1975, en la fête de la Sainte-Trinité. C’est dans une lettre de Christian de Chergé à Maurice Boormans, que je découvris que la date de mon saint baptême correspondait à cette fête : Lettres à un ami fraternel Christian de Chergé - Prieur de Tibhirine, Éditions Bayard, 2015.

    [2] LA DÉCOUVERTE D’UN DON ET D’UNE MISSION
    Biographie de Sœur Marie-Paul
    (10 nov. 1930 - 8 mai 2019) [Le 8 mai est aussi la fête des 19 Bienheureux Martyrs d'Algérie, dont les 7 moines de Tibhirine. Note de La Vaillante]
    Bénédictine de Notre-Dame du Calvaire,
    Monastère du Mont des Oliviers, Jérusalem

    Sœur Marie-Paul est née le 10 novembre 1930 au Caire, en Égypte, d’origine arabe d’une famille de souche italienne. Elle décide de consacrer sa vie au seigneur et à la suite d’un pèlerinage en Terre Sainte, en 1953, elle entre au monastère du Mont des Oliviers le 14 novembre 1955. Le 25 janvier 1961, elle fait son offrande pour l’Unité et fait profession solennelle en la fête de l’Assomption, le 15 août de la même année.

    En 1960, le frère Henry Corta, petit frère de Jésus et iconographe, demandant à faire un séjour prolongé au monastère propose, en échange, d’initier les sœurs à l’iconographie. Sœur Marie Paul fait partie des sœurs désignées pour suivre les cours. Frère Henry leur apprend non seulement la technique des icônes mais le sens de chaque étape en lien avec les Écritures, qu’il a découvert à partir des manuscrits grecs des archives de Paris.

    Un jour, elle a une ‘révélation’ : elle qui se demandait ce qu’est le silence en Dieu dont parlaient les Pères du désert, réalise ceci : « Écrire une icône me met en Dieu ; lorsque j’écris Dieu, je suis en Dieu au-delà de tout concept humain. J’ai enfin trouvé le silence en Dieu ». Elle en conclut que si le Seigneur s’est dérangé pour répondre à sa question du silence à travers l’icône, c’est qu’il voulait vraiment cela d’elle : c’était une vraie mission.

    Bientôt les commandes affluent, pour des foyers de charité, des familles, des églises, des universités. Des catholiques, des grecs melkites, des syriens catholiques, des protestants, des juifs et même des musulmans lui demandent de créer des icônes. Un véritable atelier est mis en place : les sœurs de la communauté font les premières étapes et sœur Marie Paul les dernières. Ses icônes se trouvent partout dans le monde : en France, bien sûr et en Terre Sainte, mais aussi en Europe, aux États Unis, au Canada, en Australie, en Algérie à Tibhirine et même en Chine et en Corée. Parmi les icônes les plus célèbres on trouve la Sainte Famille, le Christ et Saint Jean, les pèlerins d’Emmaüs. Sœur Marie-Paul participe ainsi à sa manière à la nouvelle évangélisation. Aux très nombreux groupes et pèlerins qui viennent la rencontrer, sœur Marie-Paul partage ses lumières sur l’Écriture à travers le message des icônes. « L’Icône, c’est toi », c’est le message qu’elle laisse à la fin du beau DVD sur son œuvre. « De silence et lumière » : Un livre d’entretiens avec Sr Marie-Paul doit paraître aux éditions Parole et Silence, en février 2020.

    Extrait de la Lettre de famille de la communauté des Bénédictines de Notre-Dame du Calvaire de Jérusalem, Avent 2019 :

    Le visage de la communauté, en cette année 2019, a sensiblement changé, deux sœurs, deux racines, s’en sont allées vers leur Seigneur : notre sœur d’origine juive, sœur Paula, le 12 janvier, et notre sœur d’origine arabe, sœur Marie-Paul, le 8 mai ! Si pour cette dernière, nous savions que ses jours étaient comptés puisqu’elle luttait contre un cancer depuis plus d’un an, rien ne pouvait laisser prévoir que la première s’en irait sans prévenir, sans bruit. (...)

    Après le décès de sœur Paula, sœur Marie-Paul très fatiguée, doit de nouveau être hospitalisée à Saint Louis. Elle peut encore revenir quelques jours au monastère, mais après Pâques, son état s’aggrave brusquement. Le samedi 4 mai, le Père Caldélari lui donne le sacrement des malades et le 5, notre sœur devient inconsciente. Nous nous relayons auprès d’elle nuit et jour avec des amis et sa nièce venue de Jordanie. Le matin du 8 mai, sœur Gabriele nous appelle pour nous annoncer son décès juste après Laudes. Avec le sentiment d’avoir accompli sa mission et transmis le flambeau, sœur Marie-Paul a remis son esprit au Père plein de tendresse et rejoint dans la lumière sans fin Celui qu’elle a aimé et rayonné pendant sa vie. Monseigneur Marcuzzo préside la messe des funérailles, entouré du Père Abbé de Latroun, du Père Jean Daniel, assomptionniste de Saint-Pierre in Galicante, ami de longue date de notre sœur, et de nombreux prêtres du diocèse. Monseigneur Pizzaballa, Monseigneur Sabbah et Monseigneur Battish sont présents. Les sœurs d’Abu-Gosh nous renforcent pour le chant ; les sœurs de l’Emmanuel et d’autres amis de Bethléem n’ont pu venir, le check-point et certaines routes étant fermées en ce premier vendredi de Ramadan. Le Père Jean Bernard Livio viendra en septembre pour trier les archives concernant les icônes, et nous aider à réaliser un fascicule sur les icônes de l’église avec les commentaires écrits par sr Marie Paul.

    Photo Gare Tgv Avignon : Jacques Mossot / Structurae

    Vidéo : Bird Ballet de Neels Catillon

    Photo : Nuée d'Oiseaux Sauvages d'Alain Delorme

    Vidéogramme : Icône du Christ en Croix de Tibhirine, traverse reconstituée d'après les vidéogrammes de "Le défi de l'Islam (1) Christian de Chergé et Mohamed", NetForGod 2009. Cette icône se trouve dorénavant à l'Abbaye Mère de Tibhirine, à Notre-Dame d'Aiguebelle.

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    Retrouvez ce texte & les autres sur la page enrichie :
    La Visitation : Mystère de l'hospitalité réciproque
    & figure de toute vraie rencontre - avec Christian de Chergé

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  • Célébration annuelle de “l’unité plurale des artisans de Paix” - dimanche 26 janvier 2020

    Logo Artisans de Paix.jpgCette célébration de l’unité plurale des Artisans de Paix est le fruit de l’histoire sainte des Artisans de Paix. Elle fait mémoire chaque année, depuis 2003, du retour à Dieu de Madeleine Frapier, la nuit du 25 au 26 janvier 2002, vingt ans jour pour jour après la nuit de feu de Paula Kasparian, du 25 au 26 janvier 1982. Se signifiant ainsi comme un Appel à vivre à la frontière des religions, des sciences et des nations, au lieu de surgissement de la Parole dans le corps de l’homme, de la femme et du cosmos, lieu-dit du « Toucher de l’Esprit » qui rallie aujourd’hui les Artisans de Paix.

    Cette célébration a pris cette forme d’expression symbolique de la Jérusalem céleste après le séminaire 2010-2011 sur La Cité de Paix – Entrer dans les sept demeures spirituelles des Artisans de Paix, lors de la première célébration du 25 janvier 2011, présidée par le Père François Marty sj, dans la communauté jésuite de Vanves.

    Elle s’est enrichie du très beau drame biblique de Jacques Cusset (Père Blanc), Jérusalem – Mère des peuples après le pèlerinage interreligieux des Artisans de Paix à Jérusalem, en 2012. La suite de ces célébrations n’a cessé de mûrir et de s’approfondir d’année en année : Artisans de Paix : Fête de l'Unité plurale

    Cette année, les lectures choisies sont les textes-clés du Livre des Grâces de Paula Kasparian.

    Il se trouve que la date de cette célébration l’inscrit dans l’histoire de l’Église avec la célébration de l’illumination de Saül de Tarse (saint Paul), sur le chemin de Damas, qui clôture tous les ans la semaine de prière des chrétiens pour l’unité ; avec la convocation de Vatican II par saint Jean XXIII, le 25 janvier 1959 ; et avec celle du rassemblement d’Assise par saint Jean-Paul II, le 25 janvier 1986.

    Paula Kasparian, présidente d'Artisans de Paix

    Logo Fraternités AdP.jpg

    Déroulé de la Célébration eucharistique catholique
    organisée par la Fraternité Eucharistique des Artisans de Paix
    En présence d’amis(es) de différentes religions

     Dimanche 26 JANVIER 2020
    15 h 30 – 18 h 30
    ORATOIRE DU COUVENT DOMINICAIN SAINT-JACQUES
    20  rue des Tanneries - 75013 Paris (M° Glacière)

    La célébration sera présidée par le Père Prof. Hon. Jean-Paul Durand op, frère Prêcheur. Tous les Artisans de Paix - Juifs, Chrétiens, Musulmans, Bouddhistes ou autres – sont invités à être présents à ce culte catholique romain, où chacun (e) pourra exprimer des gestes de fraternité et de respect mutuels. 

    Dans la suite de l’hospitalité divine qui s’invite elle-même chez Abraham sous des formes qui lui sont inconnues, cette hospitalité où des catholiques d’Artisans de Paix et le fondateur d’AIDOP accueillent des amis(ies) d’autres traditions religieuses, est un signe de la marche des Artisans de Paix vers la Jérusalem céleste où chacun(e) est appelé(e) à être bénédiction pour autrui. Nous poserons des gestes qui le signifient.

     

    LITURGIE DES ARTISANS DE PAIX DU 26 JANVIER 2020

    - Sont surlignés en jaune, les gestes posés par les invités d’autres religions.
    - En turquoise, ce qui est chanté par notre chantre, Sandrine Treuillard.
    - En vert, la lecture d’Isaïe 62, 6-7 par Richard Zeitoun.
    - En violine, la 2nde lecture proclamée par Geneviève Penchenat.
    - En gris, les prières, la proclamation de l’Évangile et l’homélie donnée par le célébrant, ainsi que différents gestes spécifiques du célébrant.

     

    1/ Chant d’entrée : « À l’Agneau de Dieu »

    Pendant le chant, sur invitation du célébrant, les personnes de différentes traditions qui liront le chapitre 21 de l’Apocalypse de Jean, se placent derrière l’autel. En cette chapelle catholique, le Peuple de Dieu en Jésus Christ accueille d’autres Peuples et des Individualités, qui sont autant de signes de l’amour divin.

    1 - Élevé à la droite de Dieu,
    Couronné de mille couronnes,
    Tu resplendis comme un soleil radieux,
    Les êtres crient autour de ton trône,

    R/ À l’Agneau de Dieu soit la gloire,
    À l’Agneau de Dieu, la victoire,
    À l’Agneau de Dieu soit le règne,
    Pour tous les siècles, Amen.

    2 - L’Esprit-Saint et l’épouse fidèle,
    Disent : “viens”, c’est leur cœur qui appelle ;
    Viens, ô Jésus, toi l’époux bien-aimé,
    Tous tes élus ne cessent de chanter : R/

    3 - Tous les peuples et toutes les nations,
    D’un seul cœur, avec les milliers d’anges,
    Entonneront en l’honneur de son nom,
    Ce chant de gloire avec force et louange : R/

    Prière d’ouverture

    Seigneur, ravive ton Eglise au Souffle de ton Esprit : qu’elle avance dans l’amour de la Vérité, et travaille d’un cœur généreux à l’unité de tous les chrétiens et au rassemblement du monde dans ta Paix/ Par Jésus-Christ notre Seigneur qui vit et règne avec Toi dans l’Unité du Saint Esprit, pour les siècles des siècles. Amen

    2/ Lecture du chapitre 21 de l’Apocalypse :

    Derrière l’autel, en signe de ce qui nous est donné de vivre en tant que rencontre de Peuples, rencontre par la béatitude notamment des Artisans de Paix ; béatitude respectant et transcendant les frontières des peuples et des religions ; béatitude et rencontres avec le soutien desquelles nous nous reconnaissons des frères et des sœurs en humanité :

    Frères et sœurs lecteurs ou lectrices, pour lire, se tiendront successivement face à l’assemblée : Mesdames et Messieurs Paula Kasparian, Richard Zeitoun, Jean-Luc Castel. Geneviève Penchenat, Jean-Claude Gaubert, Karim Ifrak, Sandrine Treuillard. Ils liront Apocalypse 21,1-11. Celui qui parle s’avance vers l’autel où se trouve le Livre, puis laisse la place à un autre.

    Lecture de l’Apocalypse 21, 1-11

    1/ Paula Kasparian : versets 1-2 : 1Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n’est plus. 2Et la Cité Sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, comme une épouse qui s’est parée pour son époux.

    2/ Richard Zeitoun (juif) : 3Et j’entendis, venant du trône, une voix forte qui disait : Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et Lui sera le Dieu qui est avec eux. 4Il essuiera toute larme de leurs yeux. La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu.

    3/ Jean-Luc Castel (bouddhiste) : 5Et celui qui siège sur le trône dit : Voici que je fais toutes choses nouvelles ! Puis il dit : Écris : Ces paroles sont certaines et véridiques.

    4/ Geneviève Penchenat (catholique) : 6Et il me dit : C’en est fait. Je suis l’Alpha et l’Oméga, le Commencement et la Fin… À celui qui a soif, je donnerai de la source d’eau vive gratuitement. 7Le vainqueur recevra l’héritage, et je serai son Dieu et lui, sera mon fils.

    5/ Jean-Claude Gaubert (bouddhiste) : 8Quant aux lâches, aux infidèles, aux dépravés, aux meurtriers, aux impudiques, aux magiciens, aux idolâtres et à tous les menteurs, leur part se trouve dans l’étang embrasé de feu et de soufre : c’est la seconde mort.

    6/ Karim Ifrak (musulman) : 9Alors, l’un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines des sept derniers fléaux vint m’adresser la parole et me dit : ‘Viens, je te montrerai la fiancée, l’épouse de l’agneau.

    7/ Sandrine Treuillard (catholique): 10Il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me montra la cité sainte qui descendait du ciel d’auprès de Dieu. 11Elle brillait de la gloire même de Dieu.

    3/ Accueil par le prêtre catholique Jean-Paul Durand op et par la Présidente (catholique) d’Artisans de Paix Madame Paula Kasparian qui nous rappellent que cette hospitalité n’est pas de notre propre initiative, mais de l’initiative de Dieu qui s’invite chez nous, en prenant des formes inédites pour nous.

    Notre initiative propre est seulement d’ASPIRER au don de Dieu. C’est cette ASPIRATION propre à la vie du SOUFFLE qui nous ouvre à Sa PRÉSENCE, celle du SOUFFLE qui n’est pas notre souffle mais le devient au jour le jour, au fur et à mesure que nous lui donnons corps avec les encouragements des FRATERNITÉS ARTISANS DE PAIX. Mystère de l’inaccompli en marche vers l’accomplissement (la sanctification), en s’appuyant les uns sur les autres avec la diversité des traditions religieuses représentées parmi nous.

    Cette année, la date de la célébration de « l’Unité Plurale des Artisans de Paix » coïncide avec la solennité du « Dimanche de la Parole de Dieu » instituée par le Pape François. Nous marquerons cette coïncidence en choisissant des Lectures de la Parole de Dieu qui annoncent, de fait, cette Unité Plurale attestée par le Chemin des Artisans de Paix tel qu’il prend corps parmi nous, aujourd’hui.

    4/ Prière pénitentielle Kyrie Eleison (Messe de Saint Boniface)

    5/ Gloria (Messe de saint Vincent de Paul, musique de Cambourian)

    6/ Lecture du Prophète Isaïe 55,10-11, proclamée par Elzbieta Amsler en hébreu et Richard Zeitoun en français.

    Isaïe 55,10-11

    La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission.

    7/ Psaume 84 (85) psalmodié

    Psaume fondateur pour les Artisans de Paix : il énonce la conjonction de l’amour et de la vérité, de la justice et de la paix, qui lorsqu’elle se présente dans un cœur humain, fait venir au monde des Artisans de Paix, quelle que soit leur religion - Rapport Moral 2016 :

    « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ;
    La vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice.
    Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit.
    La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin. »

    Psaume 84.jpg 

     

     

     

    R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour,
    Que nous soit donné ton salut




    Tu as aimé, Seigneur, cette terre,
    Tu as fait revenir les déportés de Jacob ;
    Tu as ôté le péché de ton peuple,
    Tu as couvert toute sa faute ;
    Tu as mis fin à toutes tes colères,
    Tu es revenu de ta grande fureur.   R
    /

                                 *

    Fais-nous revenir, Dieu, notre salut,
    Oublie ton ressentiment contre nous.
    Seras-tu toujours irrité contre nous,
    Maintiendras-tu ta colère d'âge en âge ?

    N'est-ce pas toi qui reviendras nous faire vivre
    Et qui seras la joie de ton peuple ?
    Fais-nous voir, Seigneur, ton amour,
    Et donne-nous ton salut.   R/

                                 *

    J'écoute : que dira le Seigneur Dieu ?
    Ce qu'il dit, c'est la paix pour son peuple.
    Son salut est proche de ceux qui le craignent,
    Et la gloire habitera notre terre.

    Amour et vérité se rencontrent,
    Justice et paix s'embrassent ;
    La vérité germera de la terre
    Et du ciel se penchera la justice.

    Le Seigneur donnera ses bienfaits,
    Et notre terre donnera son fruit.
    La justice marchera devant lui,
    Et ses pas traceront le chemin.   R/

                                 *

    8/ Actes des Apôtres 25,26-27 et 26,1-21, lecture proclamée par Geneviève Penchenat.

    Nous lisons chaque année un récit de l’illumination de Saül de Tarse (saint Paul) sur le chemin de Damas, choisi dans les Actes des Apôtres : Actes 9,1-22 ; 21,37-40 et 22,1-24 ; 25,26-27 et 26,1-21.

    Nous choisissons cette année le 3ème récit où Paul parle devant Agrippa : il fait paraître en même temps que l’élection irrévocable d’Israël, le chemin de fructification de cette élection pour l’humanité entière.

    Sur le chemin de Damas, Saül de Tarse est ébloui par une lumière venant du ciel et s’adressant à lui en langue hébraïque. C’est la pédagogie de Dieu (que l’on retrouve dans l’Evangile de la Cananéenne lorsque Jésus dit : « Je n’ai été envoyé (d’abord) qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ») : la manifestation du salut de Dieu commence par l’élection d’Israël à travers laquelle tous reconnaîtront la puissance salvatrice de Dieu. C’est le même principe que ce qui est dit dans le chapitre 12 de la Genèse : par Abraham se béniront toutes les nations de la terre.

    Sur le chemin de Damas, Saül de Tarse réalise que l’élection du peuple issu d’Israël se récapitule en l’homme Jésus, et en lui, chacun de nous issu des nations. Ce qu’il réalise, c’est l’unicité de Dieu qui se manifeste par un acte unique d’élection destiné à tous, chacun occupant la place unique qui est la sienne.

    La Parole de Dieu au peuple hébreu (l’élection) ne retournera pas au Lieu dont elle provient sans avoir porté ses fruits (cf. Is 55,10-11) ; les fruits passeront par le partage du don de Dieu avec les nations, dans l’unité plurale des Artisans de Paix ; il en est de même pour nous, Chrétiens, et pour chacun de nous, artisan de paix, quelle que soit notre confession.

    Actes des Apôtres 25,26-27 et 26,1-21

    « Je n’ai rien de précis à écrire sur son compte au seigneur l’empereur ; c’est pourquoi je l’ai fait comparaître devant vous, et surtout devant toi, roi Agrippa, afin qu’après cette audience j’aie quelque chose à écrire. En effet, il ne me semble pas raisonnable d’envoyer un prisonnier sans signifier les charges retenues contre lui. »

    Alors Agrippa s’adressa à Paul : « Tu es autorisé à plaider ta cause. » Après avoir levé la main, Paul présenta sa défense :

    « Sur tous les points dont je suis accusé par les Juifs, je m’estime heureux, roi Agrippa, d’avoir à présenter ma défense aujourd’hui devant toi, d’autant plus que tu es un connaisseur de toutes les coutumes des Juifs et de tous leurs débats. Voilà pourquoi je te prie de m’écouter avec patience.

    Ce qu’a été ma vie depuis ma jeunesse, comment dès le début j’ai vécu parmi mon peuple et à Jérusalem, cela, tous les Juifs le savent. Ils me connaissent depuis longtemps, et ils témoigneront, s’ils le veulent bien, que j’ai vécu en pharisien, c’est-à-dire dans le groupe le plus strict quant à notre pratique religieuse.

    Et maintenant, si je suis là en jugement, c’est parce que je mets mon espérance en la promesse faite par Dieu à nos pères, promesse dont nos douze tribus espèrent l’accomplissement, elles qui rendent un culte à Dieu jour et nuit avec persévérance. C’est pour cette espérance, ô roi, que je suis accusé par les Juifs.

    Pourquoi, chez vous, juge-t-on incroyable que Dieu ressuscite les morts ?

    Pour moi, j’ai pensé qu’il fallait combattre très activement le nom de Jésus le Nazaréen. C’est ce que j’ai fait à Jérusalem : j’ai moi-même emprisonné beaucoup de fidèles, en vertu des pouvoirs reçus des grands prêtres ; et quand on les mettait à mort, j’avais apporté mon suffrage. Souvent, je passais de synagogue en synagogue et je les forçais à blasphémer en leur faisant subir des sévices ; au comble de la fureur, je les persécutais jusque dans les villes hors de Judée.

    C’est ainsi que j’allais à Damas muni d’un pouvoir et d’une procuration des grands prêtres ; en plein midi, sur la route, ô roi, j’ai vu, venant du ciel, une lumière plus éclatante que le soleil, qui m’enveloppa, moi et ceux qui m’accompagnaient. Tous, nous sommes tombés à terre, et j’ai entendu une voix qui me disait en araméen : “Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? Il est dur pour toi de résister à l’aiguillon.” Et moi je dis : “Qui es-tu, Seigneur ?” Le Seigneur répondit : “Je suis Jésus, celui que tu persécutes. Mais relève-toi, et tiens-toi debout ; voici pourquoi je te suis apparu : c’est pour te destiner à être serviteur et témoin de ce moment où tu m’as vu, et des moments où je t’apparaîtrai encore, pour te délivrer de ton peuple et des non-Juifs. Moi, je t’envoie vers eux, pour leur ouvrir les yeux, pour les ramener des ténèbres vers la lumière et du pouvoir de Satan vers Dieu, afin qu’ils reçoivent, par la foi en moi, le pardon des péchés et une part d’héritage avec ceux qui ont été sanctifiés.”

    Dès lors, roi Agrippa, je n’ai pas désobéi à cette vision céleste, mais j’ai parlé d’abord aux gens de Damas et à ceux de Jérusalem, puis à tout le pays de Judée et aux nations païennes ; je les exhortais à se convertir et à se tourner vers Dieu, en adoptant un comportement accordé à leur conversion.

    Voilà pourquoi les Juifs se sont emparés de moi dans le Temple, pour essayer d’en finir avec moi.

    9/ Acclamation de l’Évangile Alleluia (Messe de saint Boniface)

    « Elle est vivante, la Parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. »

    Reprise de l’acclamation.

    10/ Proclamation de l’Évangile de la Syro-phénicienne : Marc 7, 24-30 ou Mt 15, 21-28

    L’enjeu sera de manifester la Parole de Dieu avec laquelle se révèle la vocation des Artisans de Paix de demeurer à la Racine du Souffle, comme le fait la syro-phénicienne, dans la ligne narrative de 1Rois17 du cycle d’Elie (la résurrection du fils de la veuve de Sarepta qui a tout donné à Elie). Dans l’Un et l’Autre Testament, il y a à Tyr et à Sidon (région de Sarepta) des pierres d’attente de la résurrection. Sans doute n’est-ce pas l’effet du hasard mais bien plutôt une fructification de la Parole de Dieu, le fait qu’un groupe Artisans de Paix soit né dans la région de Tyr au Sud-Liban.

    La syro-phénicienne connaît avec son cœur Celui qui est venu « faire miséricorde » et s’adresse à lui de tout son être : « Seigneur prends pitié » dit-elle. Et elle s’acharne dans la prière : elle veut bien être assimilée à un petit chien qui mange les miettes qui tombent de la table des enfants d’Israël pour qui Jésus annonce qu’il est venu, pourvu que sa fille soit sauvée. Jésus lui dit alors que sa foi est grande et que sa fille est sauvée.

    Elle est grande en effet la foi de cette femme qui accepte d’entrer avec humilité dans la pédagogie de Dieu : elle accepte qu’Israël soit le premier à qui Jésus manifeste la vérité sur la miséricorde de Dieu. Libre de tout attribut, la volonté de cette femme correspond à celle de Dieu pour elle, à la place qui est la sienne : elle veut ce que Dieu veut. Or Dieu attend l’heure de faire miséricorde à l’humanité entière (Isaïe 30,18), comme cela a été annoncé dans le cycle d’Elie en 1Rois17.

    C’est à l’occasion de la rencontre entre Jésus et la foi de la syro-phénicienne, que se révèle l’extension de l’élection d’Israël à celles et ceux qui réalisent cet acte de foi. Par cet acte d’immense confiance, d’acharnement dans la prière (comme Jacob qui ne lâche pas l’Ange du Seigneur tant qu’il ne l’a pas béni, Genèse 32,23-32) et d’humilité, la syro-phénicienne est dans la juste disposition de l’âme : celle de la foi devenue apte à accueillir la révélation de YHWH au Sinaï, le nom imprononçable de Dieu (« Je serai qui je serai »), à la Racine du Souffle. C’est dans cet acte de foi libre, que les Artisans de Paix sont appelés à demeurer à la Racine du Souffle.

    Marc 7, 24-30

    24 En partant de là, Jésus se rendit dans le territoire de Tyr. Il était entré dans une maison, et il ne voulait pas qu’on le sache. Mais il ne put rester inaperçu : 25 une femme entendit aussitôt parler de lui ; elle avait une petite fille possédée par un esprit impur ; elle vint se jeter à ses pieds. 26 Cette femme était païenne, syro-phénicienne de naissance, et elle lui demandait d’expulser le démon hors de sa fille. 27 Il lui disait : « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » 28 Mais elle lui répliqua : « Seigneur, les petits chiens, sous la table, mangent bien les miettes des petits enfants ! » Alors il lui dit : 29 « À cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille. »

    30 Elle rentra à la maison, et elle trouva l’enfant étendue sur le lit : le démon était sorti d’elle.

    11/ Acclamons la Parole de Dieu - Louange à Toi, Seigneur Jésus !

    12/ Homélie sur l’ensemble des textes du jour, par le célébrant, p. Jean-Paul Durand op.

    13/ Prières et expressions universelles scandées par le chant de Taizé : « Ubi Caritas et Amor, Deus ibi est » lancé par le célébrant, repris par Sandrine Treuillard et l’assemblée.

    Des temps de silence permettront de libres expressions brèves : d’une part aux catholiques et autres chrétiens d’adresser leurs prières à la Sainte Trinité ; d’autre part aux membres des diverses traditions religieuses d’exprimer une pensée ou remarque personnelle à vocation universelle.

    14/ Conclusion de ces prières et expressions universelles : chant « Seigneur écoute-nous, Seigneur exauce-nous. » J. S. Bach.

    15/ Procession des offrandes sur le chant de Taizé « Ubi caritas et amor » Entonné par le célébrant, repris par Sandrine Treuillard et par l’assemblée :

    Sandrine Treuillard et Paula Kasparian portent le pain et le vin vers l’autel, accompagnées d’une personne juive, Richard Zeitoun, qui porte une Menora avec 7 bougies et les pose devant l’autel, et de Karim Ifrak qui porte une calligraphie ou un autre objet symbolique de sa tradition, suivis par nos amis bouddhistes, Jean-Luc Castel et Jean-Claude Gaubert qui portent un objet représentatif de leur tradition.

    Ensemble, ils symbolisent l’alliance entre les peuples et l’alliance cosmique à laquelle participent nos amis bouddhistes, authentiques Fraternités Artisans de Paix transcendant les frontières des peuples et des religions, démarche plurielle qui rencontre la fraternité eucharistique catholique.

    Prière sur les offrandes : Par l’unique sacrifice de Jésus, ton Fils bien-aimé, tu t’es acquis, Père très bon, un peuple de fils ; à nous qui sommes ton Eglise en ce monde, accorde l’Unité et la Paix / Par Jésus…

    Préface : Vraiment, il est juste et bon de te rendre gloire, de t’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant, par le Christ, notre Seigneur……Par lui, tu nous conduis à la connaissance de ta Vérité, nous appelant à devenir son Corps, grâce à la même foi et par un seul baptême.   Par lui, tu répands ton Esprit Saint sur tous les peuples du monde, l’Esprit qui met en œuvre ses dons les plus divers et qui réalise l’Unité.     Il habite le cœur de tes fils, il remplit l’Eglise tout entière, il ne cesse de la guider….C’est pourquoi, avec les anges et tous les saints, nous proclamons ta gloire en chantant d’une seule voix :

    16/ Sanctus Sanctus (Messe de saint Boniface)

    17/ Anamnèse

    18/ Consécration eucharistique du Pain et du Vin en Corps et Sang du Christ.  

    19/ Pour introduire la prière chrétienne du « Notre Père », explication de « que ton Règne vienne… » par le célébrant Jean-Paul Durand op.

    20/ Geste de paix offert par le célébrant ; les autres traditions invitent, elles-aussi, par une parole, les participants à se donner la paix. Chacun partage la paix, en prenant le temps de rencontrer l’autre.

    21/ Agneau de Dieu Agnus Dei (Messe de saint Boniface)

    22/ / Communion eucharistique, aux catholiques qui le désirent ; avec bénédiction (imposition des mains) donnée par le célébrant aux baptisés(ées) non catholiques désireux de la recevoir ; Les non baptisés peuvent s’approcher la main sur le cœur pour une salutation réciproque (comme se saluent les bouddhistes et les musulmans).

    23/ « Dans ta main sûre et tranquille » chant de communion.

    Dans ta main sûre et tranquille 
    Nous reposons 
    Comme un oiseau au creux du rocher, 
    Car tes pensées 
    Sont au-delà de nos pensées, 
    Ta miséricorde nous conduit 
    Tant que dure pour nous 
    Ton aujourd’hui.

    Fin : Dans ta main sûre et tranquille 
    Nous reposons.

    Prière après la communion : Répands en nous, Seigneur, ton Esprit de Charité : par la grâce du sacrifice que nous avons offert, rassemble dans un même amour tous ceux qui croient en toi, Par Jésus...

    24/ Envoi, puis clôture par « Jérusalem, mère des peuples », texte composé par Jacques Cusset.

    • S’agissant de la lecture à 2 voix, le père J-P Durand interprétera le prophète et Paula la voix off
    • Richard Zeitoun aura prévu les 7 bougies qui iront sur la Ménorah et le père Durand aura apporté un briquet.
    • Les personnes qui auront lu un verset de l’Apocalypse à l’ouverture de la célébration (sauf Paula affectée à la lecture), ainsi qu’une autre personne allumeront successivement une bougie, au cours de la lecture de chaque strophe du texte final d’Isaïe, rythmant ainsi le texte par l’allumage d’une lumière.

    La lecture est accompagnée, en staccato, ponctuellement (si on a un instrument de musique).

    Jérusalem, Mère des Peuples !
    Drame musical biblique avec accompagnement musical si possible.

    Lecture faite par le célébrant (le prophète) et Paula (voix off)

    « Adonaï sera Roi sur toute la terre ; en ce Jour-là, Adonaï sera unique, et son Nom Unique. » (Zacharie 14,9)

    « Il parle de toi pour ta gloire, Cité de Dieu ! De Sion l’on dira :’Tout homme y est né’. » (Psaume 87)

    « Quand il fut proche, à la vue de la Ville, il pleura sur elle en disant :’Ah ! Si en ce Jour tu avais compris, toi aussi, le Message de Paix !’ » (Luc 19,41)

     « Puis je vis la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du Ciel, de chez Dieu, belle comme une mariée parée pour son Epoux » (Apocalypse 21,2) 

    (Fond musical exprimant, sur une note scandée, en staccato et crescendo…)

    Le prophète

    Jérusalem ! La Cité Sainte !
    Jérusalem ! La Qadisha !
    Jérusalem ! El Quds !
    Jérusalem de l’An 2020 !
    Festivités pour le temps qui passe !
    Festivités pour rappeler que la Naissance
    la Vie d’un certain Jésus de Nazareth !
    a marqué, de façon indélébile, le Temps de notre Histoire
    de son empreinte divine !
    Jésus n’appartient pas aux chrétiens seulement !
    Ce Jésus appartient à toute notre Famille humaine,
    Parce qu’il est… de Dieu.

    (Reprendre la note musicale en staccato, résonnante, avec cymbales…)

    Le prophète

    … À la vue de la Ville, Jésus pleura sur Elle en disant :
    « Ah ! Si en ce Jour tu avais compris, Toi aussi, le Message de Paix ! » (Luc 19,41)
    À la Fin des Temps, n’est-il pas dit dans l’Apocalypse :
    « Je vis la Cité Sainte, Jérusalem, qui descendait du Ciel, avec, en elle, la Gloire de Dieu ! » (Apocalypse 21,10-11)     

    (Reprise du fond musical bien scandé. Montée puissante ! puis brusque silence)

    (On peut projeter pendant les ‘Impropères’ qui vont suivre une ou deux belles images sur Jérusalem)

    Le prophète

    « Avec la Gloire de Dieu ! »
    Quel Appel !…
    Quel Rappel, aux trois grandes religions du Monothéisme biblique !
    Jérusalem, Cité du Roi David, Cité des Prophètes, Mère des Peuples !
    Jérusalem, Cité du Dieu Unique et de toute Miséricorde !
    Jérusalem, Cité des larmes, et pourtant Cité de l’Espérance !
    Jérusalem, Cité de la Paix, de la Joie,
    Cité du Dieu Vivant pour notre humanité appelée, perdue et retrouvée !

    (Reprise du même fond musical bien scandé, montée en puissance, puis, brusque silence)

    Voix off (soutenue par une musique douce et plaintive, Adadgio d’Albinoni ou Choral de Bach…)

    Jérusalem ! Cité des larmes !
    Jérusalem ! Cité pourtant éternellement promise à la Paix et à la Joie !
    Jérusalem ! Comme il me tarde que cesse en Toi le bruit des armes
    et le cri des enfants !
    Comme il me tarde que sèchent les larmes de tant de mères et de veuves aux cœurs transpercés par la violence des hommes !
    Comme il me tarde que s’accomplisse enfin ta Vocation unique parmi tous les peuples de la terre !
    Jérusalem ! Toi, la Mère des Peuples, la Lumière des Nations !
    Oui ! Comme il me tarde qu’en Toi, à l’abri de tes ailes, se rassemblent toutes les nations et toutes les générations « aussi nombreuses que les étoiles du ciel et que les grains de sable au bord de la mer » (Genèse 22,17), comme je l’ai promis à votre Père Abraham, votre Père dans la foi !
    Oui ! Jérusalem, comme il me tarde que fleurissent en Toi la Paix et la Joie !
    Et que tous, rassemblés des quatre points de l’horizon, vous célébriez ma Miséricorde sur ma Montagne Sainte !
    Et que vous chantiez, en reconnaissance, la Sainteté de mon Nom trois fois Saint !

    Le Prophète

    « Dieu très Saint, infiniment Saint, très-Haut,
    Tout-Puissant et Miséricordieux, nous invoquons ton Nom glorieux,
    Toi qui suscitas la Destinée unique de notre Ville Sainte entre toutes, la Shoah du Peuple Juif, unique entre tous les peuples.
    Et pourtant encore la Shoah de tant d’autres peuples de par le monde et de l’Histoire, dès qu’un homme, une femme, un enfant - sont atteints dans leur chair ou dans leur dignité.
    Toutes ces Shoah ont baigné de sang et de larmes notre Terre maternelle !
    Nous invoquons ton Nom, Dieu très-Haut, pour que de ce Baptême de souffrances naisse la Nouvelle Jérusalem, ‘Belle comme une Epouse parée pour son Epoux’ pour la Noce Éternelle !  (Apocalypse 21, 2) 

    (Pendant la Lecture suivante du Prophète Isaïe, un jeune va allumer, à chaque strophe du texte d’Isaïe, une bougie ou une torche qu’il va placer sur un chandelier à 7 branches, Ménora, disposé devant une image projetée de la Ville Sainte, tandis qu’est donné un accompagnement musical très doux et joyeux d’une mélodie juive)

    Voix off

    1 - « Je tressaille, je tressaille à cause du Seigneur !
    Mon âme exulte à cause de mon Dieu !
    Car il m’a vêtue des vêtements du Salut,
    Il m’a couverte du manteau de la Justice,
    Comme le fiancé orné du diadème,
    La fiancée que parent ses joyaux !

    2 - « Comme la terre fait éclore son germe,
    Et le jardin germer ses semences,
    Le Seigneur Dieu fera germer la Justice
    Et la Louange devant toutes les nations !

    3 - « Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas,
    Et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse
    Que son Juste ne monte comme l’aurore,
    Que son Sauveur ne brille comme la flamme !

    4 -  « Et les nations verront ta Justice :
    Tous les rois verront ta Gloire !
    On te nommera d’un Nom nouveau
    Que la bouche du Seigneur dictera !

    5 - « Tu seras une couronne brillante
    Dans la main du Seigneur,
    Un diadème royal entre les doigts de ton Dieu !
    On ne te dira plus ‘Délaissée’,
    À ton pays, nul ne dira ‘Désolation’ !

    6 - « Toi, tu seras appelée : ‘ma Préférence’ !
    Cette Terre se nommera : ‘l’Epousée’ !
    Car le Seigneur t’a préférée,
    Et cette Terre deviendra :’l’Epousée’ !

    7 - « Comme un jeune homme épouse une vierge,
    Tes fils t’épouseront.
    Comme la fiancée fait la joie de son fiancé,
    Tu seras la Joie de ton Dieu !
    Parole du Seigneur ! »

    Livre du Prophète Isaïe (chapitre 61-62)

    Le Prophète (reprenant les stances du début, accompagnées, à chaque phrase, par un coup de cymbale)

    - Jérusalem ! Cité du Roi David, Cité des Prophètes et Mère des Peuples !
    - Jérusalem ! Cité du Dieu Unique et de toute Miséricorde !
    - Jérusalem ! Cité des larmes et pourtant Cité de l’Espérance !
    - Jérusalem ! Cité du Dieu Vivant, de la Paix et de la Joie !
    - Pour notre Humanité, Appelée, Perdue et Retrouvée !

    Voix off 

    Le vieux monde est noyé dans les ténèbres (bis)
    Tous les Peuples s’avancent dans la Nuit ! (bis)
    Mais chez Toi, le Seigneur un jour viendra ! (bis)
    Et sa Gloire sur Toi rayonnera ! (bis)
    Jérusalem ! Réveille-Toi ! Jérusalem ! Réveille-Toi !
    Au Souffle de l’Esprit…
    En toi, tout homme est né…
    Quelle paradoxale Vérité, si laborieuse à mettre en œuvre !
    Seigneur, fais de nous tous des artisans de Paix,
    Seigneur, fais de nous tous des bâtisseurs d’Amour,
    Pour cette Humanité appelée, perdue et retrouvée !

     

    25/ « Céleste Jérusalem » Chant d’envoi

    R/ Notre cité se trouve dans les cieux,
    Nous verrons l'épouse de l'Agneau,
    Resplendissante de la gloire de Dieu,
    Céleste Jérusalem.

    1 - L'Agneau deviendra notre flambeau.
    Nous nous passerons du soleil.
    Il n'y aura plus jamais de nuit
    Dieu répandra sur nous sa lumière. R/

    2 - Dieu aura sa demeure avec nous,
    Il essuiera les larmes de nos yeux,
    Il n'y aura plus de pleurs ni de peines,
    Car l'ancien monde s'en est allé. R/

    3 - Et maintenant, voici le salut,
    Le règne et la puissance de Dieu,
    Soyez donc dans la joie vous les cieux,
    Il règnera sans fin dans les siècles. R/

     

     

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  • Toucher la paix, la partager, la rayonner : Le mystère de la Visitation

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    Réunion de prières interreligieuse 

    Artisans de Paix - Novembre 2019

     

    Toucher la paix,
    la partager, la rayonner :

    Le mystère de la Visitation

     

    Au cours de la semaine de l’amitié islamo-chrétienne (SERIC), le 25 novembre 2019 a eu lieu la 29ème Réunion interreligieuse de prières d’Artisans de Paix à la Zaouia Soufie Naqshbandi de Richarville (Essonne), dont voici le déroulé[1]. Cette rencontre avait pour thème Toucher la paix, la partager, la rayonner.

                      Comme chargée de mission de la Fraternité eucharistique catholique d’Artisans de Paix, j’ai choisi d’évoquer le mystère de la Visitation relaté dans l’Évangile de Luc. Le Mystère de la Visitation est la figure de toute vraie rencontre et mystère de l’hospitalité réciproque, pour Christian de Chergé (prieur des 7 moines trappistes de Tibhirine assassinés en Algérie en 1996, et l’un des 19 martyrs religieux des Années noires en ce pays. Béatifiés à Oran, le 8 décembre 2018). L’extrait d’un de ses textes à ce sujet est reproduit ci-après (III - Partager la paix).

                      Pour commencer, je vais à la source de la paix dans le Premier Testament, avant d’introduire à l’Évangile de Luc dans le Nouveau Testament. Survolons donc le texte biblique qui évoque la paix et se fait annonciateur du Prince de la Paix…

    Sandrine Treuillard

     

    I - La paix depuis la Genèse      Dans le Premier Testament

    « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or, la terre était informe et vide. Les ténèbres couvraient l’abîme, et l’Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. »[2] Ces mots sont les premiers de la Bible, dans le Livre de la Genèse. Dieu s’apprête à créer la lumière et toute sa Création. « Le souffle planait sur les eaux »[3] : la paix, l’harmonie primordiale de la Création régnait sur elle.


    1 - La paix : un fruit de l’Esprit


    Esprit de Dieu planant sur les eaux Enlum Bible Sens 14è.jpgRevoyons cette image, plus loin dans la Genèse : la colombe, après le Déluge, rapporte en son bec un rameau, signifiant par-là que la terre ferme et verdoyante a réapparu à sa surface, que le courroux de Dieu avait inondée. Dieu s’était en effet repenti d’avoir créé l’homme qui, bien qu’à son image mais libre, devînt très indisposé à le suivre dans la voie du Bien. Avec le Déluge, Dieu voulut reprendre sa Création, comme le peintre lors d’un repentir efface une partie du tableau et corrige le geste d’une main, par exemple. Dès la Genèse, la colombe représente l’Esprit. Comme lors du geste créateur de Dieu, elle apparaît à Noé, au-dessus des eaux dont l’arche est environnée.

                La colombe en vol, tenant en son bec le rameau, représente la paix comme fruit de l’Esprit. Quand l’Esprit survolait les eaux, aux commencements de la Création, ce souffle était la paix originelle elle-même. La paix a quelque chose de la Sagesse et de la pureté divine. Dieu l’a placée au cœur même de la Création, c’est-à-dire de toute créature, de la nature, y compris au cœur de l’homme créé à sa ressemblance, à son image. La paix est constitutive de la Création. Elle est consubstantielle au Créateur. C’est l’harmonie spirituelle de Dieu avec toute sa Création.

                La paix, c’est Dieu lui-même. C’est d’ailleurs un des noms de Dieu invoqué par les musulmans dans la prière du Dikhr…


    2 - Le Verbe fait chair : Prince de la Paix


    Le Verbe a planté sa tente parmi nous.jpgDès 740 avant notre ère, dans le premier Testament, le prophète Isaïe annonce la naissance du Christ. Il y est désigné comme Prince de la Paix :

    « Car pour nous un enfant est né, un fils nous est donné. Il exercera l’autorité royale ; il sera appelé Merveilleux Conseiller, Dieu Fort, Père à jamais et Prince de la Paix. Il étendra sa souveraineté et il instaurera la paix qui durera toujours au trône de David et à tout son royaume. Sa royauté sera solidement fondée sur le droit et sur la justice dès à présent et pour l’éternité. Voilà ce que fera le Seigneur des armées célestes dans son ardent amour. »[4] 

    « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous » (Jn 1, 14). Par Jésus-Christ, Dieu vient restaurer sa Création, sa créature humaine pervertie par le péché depuis Adam. Par Jésus-Christ, Dieu fait œuvre de recréation et de paix pour la terre et les hommes qu’il aime. Par Jésus-Christ, Dieu vient dans l’histoire de l’humanité recréer l’homme à son image. Le Christ est contemporain du geste créateur de Dieu, quand « le souffle de Dieu planait sur les eaux », comme l’indique l’évangéliste Jean dans son Prologue : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui est ne s’est fait sans lui » (Jn 1, 1-3). 

                Le Christ est le Prince de la Paix. Il est le Fils de Dieu. Par et avec Jésus Christ, Dieu nous rend l'harmonie spirituelle de l’origine en apportant la restauration de notre relation avec Lui.

     
    3 - La Paix du Christ

    La Paix du Christ.jpgÀ la dernière Cène, avant sa Passion, Jésus donne sa Paix à ses disciples.
    Jésus nous donne la Paix venue de Dieu son Père, comme la vie-même de Jésus est restauration de notre lien à Dieu le Père (c’est le sens de la Rédemption). Jésus la donne aussi sur la croix : « Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel » (Col 1, 19-20).
     

    Esprit St au Cénéacle Pentecôte Paix du Christ.jpgAprès sa Résurrection, le Christ se manifestera et se montrera aux disciples réunis dans le Cénacle, en commençant par leur donner la paix. Quand Jésus donne sa paix, c’est celle de Dieu le Père qu’il nous transmet. La paix de Jésus, celle du Père et leur Esprit, c’est tout Un. Nous sommes là au cœur du mystère de la Trinité. La paix est cette vie qui circule entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Cette harmonie entre les trois personnes de la Trinité produit la paix. Celui qui la véhicule, c’est l’Esprit Saint.

                Depuis l’Ascension, quand Jésus-Christ a rejoint le Père dans le Royaume céleste, nous recevons la paix de Jésus par l’Esprit Saint. La messe est un moment important ou recevoir cette paix en communauté ecclésiale. Mais elle peut être reçue a tout moment, au contacte de la nature, dans la prière, la vie quotidienne, les rencontres… C’est toujours une manifestation de l’Esprit Saint.

    II - Toucher la paix, la partager         Introduction à l’Évangile

                Pour évoquer cette paix dans l’Écriture Sainte, dans les trois états proposés (toucher, partager, rayonner la paix) par la présidente de notre association, Paula, j’ai choisi l’épisode de la Visitation, dans l’Évangile de saint Luc.

                Luc relate l’épisode que l’on nomme la Visitation dès le premier chapitre de son récit de la Bonne Nouvelle. La Visitation est la rencontre de Marie, qui vient de vivre l’Annonciation, avec sa cousine Élisabeth enceinte de 6 mois de Jean (le Baptiste). Pour aller à la Visitation, il faut cependant voir les circonstances de la conception de Jean (l’annonce à Zacharie) et celles de la conception de Jésus (l’Annonciation).  


    1 - Toucher la paix             
    L’annonce à Zacharie

    Annonce à Zacharie.jpgAprès le prologue de son évangile, Luc décrit les circonstances de l’annonce de la naissance de Jean le Baptiste « qui sera rempli d’Esprit Saint dès le sein maternel ». C’est l’ange du Seigneur qui parle ainsi quand il apparaît au futur père, Zacharie, alors qu’il offre l’encens dans le sanctuaire. Zacharie et Élisabeth étaient un couple stérile et avancé en âge. Ils ont touché la paix. Ou plutôt : c’est la paix qui est venue les toucher et qu’ils ont reçue, avec la joie inespérée d’engendrer un fils, Jean (Dieu exauce), le Précurseur du Christ. La conception de Jean est donc le miracle de Dieu pour Zacharie & Élisabeth, et pour toute l’humanité.


    2 - Toucher la paix             
    L’Annonciation

    Lumière Ventre Marie.jpgEn deuxième lieu, Luc l’évangéliste décrit l’annonce de la naissance de Jésus qu’on appelle l’Annonciation. Dans l’annonce faite à Marie, une vierge déjà promise à Joseph, l’ange Gabriel, lui dit qu’elle tombera enceinte du Fils du Dieu Très-Haut. Comme elle est d’abord bouleversée de voir entrer chez elle un ange, et lui adresser la Parole de Dieu, celui-ci lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Il la rassure, l’apaise par ces mots pour l’introduire au message qu’il lui porte de l’action de Dieu sur elle, en elle, et pour l’humanité : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » À la question de Marie « comment cela se fera-t-il puisque je suis vierge ? », l’ange lui révèle que « l’Esprit Saint descendra sur elle, et que la puissance du Dieu très-haut la couvrira de son ombre. »

    Embryon.jpgComme pour Zacharie & Élisabeth, Marie reçoit la paix de Dieu : pour elle-même et pour tous les hommes. Par le Verbe qui prendra chair en son corps, elle touche la paix, et portera le Prince de la Paix en elle avant de lui donner naissance. Aussitôt après avoir reçu les explications de l’ange, Marie se soumet à la volonté de Dieu par ce qu’on appelle son ‘Fiat’ : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. » C’est par l’Esprit Saint que Dieu engendre son Fils en Marie. L’ange lui a annoncé qu’elle portera Jésus Christ, le Verbe fait chair, en elle. Jésus, le fils de Marie, est la paix en personne, de la part de Dieu, pour tous les hommes.


    3 - Partager la paix        
    La Visitation (Évangile selon saint Luc 1, 39-45)

    Esprit Saint en Visitation.jpgL’ange la quitte et quelques jours plus tard, Marie se met en route pour rendre visite à sa cousine Élisabeth, dont elle a appris, lors de l’Annonciation, qu’elle était aussi enceinte depuis six mois. Et c’est l’épisode qui nous intéresse ici : la Visitation.

                C’est donc remplie de l’Esprit Saint, la vie de Jésus commencée en son sein, qu’elle part vers la montagne chez sa parente, Élisabeth. 



    « 
    39 En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée.

    40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.

    41 Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, 42 et s’écria d’une voix forte :

    « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.

    43 D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?

    44 Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.

    45 Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » »[5]

     

    III - Partager la paix         Le texte    Le mystère de la Visitation

                de Christian de Chergé, est extrait de sa Retraite sur le Cantique des cantiques qu’il prêcha en 1990, à des Petites sœurs de Jésus (filles du bx Charles de Foucauld), à Mohammedia, au Maroc, dans le contexte où quelques chrétiens vivent au sein de la société musulmane. C’était 6 ans avant sa mort et celle des 6 autres moines de Tibhirine, en Algérie, dont il était le prieur. Ce texte est intitulé Le mystère de la Visitation par Christian Salenson qui a retranscrit d’après les enregistrements audio, commenté et publié toute cette Retraite sur le Cantique des Cantiques (éditions Nouvelle Cité, 2013).

                « Profiter de la fête de la Vierge pour revenir sur le mystère de la Visitation. Il est évident que ce mystère de la Visitation, nous devons le privilégier dans l’Église qui est nôtre. 

                J’imagine assez bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Élisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Elle l’a reçue d’un ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à Élisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ? Et pourtant, tout en elle déborde, mais elle ne sait pas.

                D’abord, c’est le secret de Dieu. Et puis, il se passe quelque chose de semblable dans le sein d’Élisabeth. Elle aussi porte un enfant. Et ce que Marie ne sait pas trop, c’est le lien, le rapport, entre cet enfant qu’elle porte et l’enfant qu’Élisabeth porte. Et ça lui serait plus facile de s’exprimer si elle savait le lien. Mais sur ce point précis, elle n’a pas eu de révélation, sur la dépendance mutuelle entre les deux enfants. Elle sait simplement qu’il y a un lien puisque c’est le signe qui lui a été donné : sa cousine Élisabeth.

                Et il en est ainsi de notre Église qui porte en elle une Bonne Nouvelle – et notre Église c’est chacun de nous – et nous sommes venus un peu comme Marie, d’abord pour rendre service (finalement c’est sa première ambition)… Mais aussi, en portant cette Bonne Nouvelle, comment nous allons nous y prendre pour le dire… Et nous savons que ceux que nous sommes venus rencontrer, ils sont un peu comme Élisabeth, ils sont porteurs d’un message qui vient de Dieu. Et notre Église ne nous dit pas et ne sait pas quel est le lien exact entre la Bonne Nouvelle que nous portons et ce message qui fait vivre l’autre. Finalement, mon Église ne me dit pas quel est le lien entre le Christ et l’islam.

                Et voici que, quand Marie arrive, c’est Élisabeth qui parle la première. Pas tout à fait exact car Marie a dit : As salam alaikum ! Et ça c’est une chose que nous pouvons faire ! On dit la paix : La paix soit avec vous ! Et cette simple salutation a fait vibrer quelque chose, quelqu’un en Élisabeth. Et dans sa vibration, quelque chose s’est dit… Qui était la Bonne Nouvelle, pas toute la bonne Nouvelle, mais ce qu’on pouvait en percevoir dans le moment. D’où me vient-il que… l’enfant qui est en moi a tressailli ? Et vraisemblablement, l’enfant qui était en Marie a tressailli le premier. En fait, c’est entre les enfants que s’est passé cette affaire là…

                Et Élisabeth a libéré le Magnificat de Marie. Et finalement, si nous sommes attentifs et si nous situons à ce niveau-là notre rencontre avec l’autre, dans une attention et une volonté de le rejoindre, et aussi dans un besoin de ce qu’il est et de ce qu’il a à nous dire, vraisemblablement, il va nous dire quelque chose qui va rejoindre ce que nous portons, montrant qu’il est de connivence… Et nous permettant d’élargir notre Eucharistie, car finalement le Magnificat que nous pouvons, qu’il nous est donné, de chanter, c’est l’Eucharistie. La première Eucharistie de l’Église, c’était le Magnificat de Marie. Ce qui veut dire le besoin où nous sommes de l’autre pour faire Eucharistie : pour vous et pour la multitude… »

    Esprit Saint en Visitation.jpg

    IV - Rayonner la paix       Le chant 

    Luc 1, 46-56 (Le Magnificat)

    45 Marie dit alors :

    « Mon âme exalte le Seigneur,

    47 exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !

    48 Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse.

    49 Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom !

    50 Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

    51 Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.

    52 Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.

    53 Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.

    54 Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour,

    55 de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »

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    V - Toucher la paix, la partager, la rayonner      
    Bénédiction finale

    PSAUME 18 A

    02 Les cieux proclament la gloire de Dieu,
    le firmament raconte l'ouvrage de ses mains.
    03 Le jour au jour en livre le récit
    et la nuit à la nuit en donne connaissance.

    04 Pas de paroles dans ce récit,
    pas de voix qui s'entende ;
    05 mais sur toute la terre en paraît le message
    et la nouvelle, aux limites du monde.

    Là, se trouve la demeure du soleil : +
    06 tel un époux, il paraît hors de sa tente
    il s'élance en conquérant joyeux.

    07 Il paraît où commence le ciel, +
    il s'en va jusqu'où le ciel s'achève :
    rien n'échappe à son ardeur.

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                      Abdelkader Abdellaoui, Muqadam de la Zaouia de Richarville, nous a présenté la Sourate 18 pour évoquer la relation maître-disciple chez les soufis. J'y ai répondu par l'article de Roger Michel : Scandale du mal et patience de Dieu (Sourate 18) avec le texte de Christian de Chergé extrait de l'ouvrage : Le Verbe s'est fait frère - Christian de Chergé et le dialogue islamo-chrétien.[6]

                      Après les bénédictions mutuelles, pour conclure fraternellement cette réunion de prières interreligieuse, la Zaouia a offert au sept participants une soupe de lentilles parfumée à la coriandre. Enfin, les clémentines de culture biologique qu’avait apportées la bouddhiste de Nichiren, Claire Tardieu, nous désaltérèrent plaisamment. Le tout dans la chaleur du poêle et la présence des maîtres soufis Naqshbandis, dont nous croisions le regard dans les visages photographiés…

     

    --------------- 

    N O T E S

    [1] Déroulé de la Vingt neuvième Réunion de prières interreligieuse

    Mots d’accueil d’Abdel Kader ABDELLAOUI, Muqadam de la Zaouia de Richarville et de Paula KASPARIAN, Présidente d’Artisans de Paix.

    Psalmodie

    À l’écoute des signes annoncés par nos textes fondateurs respectifs :

    Bible : Sandrine TREUILLARD
    Coran : Abdel Kader ABDELLAOUI
    Sutras Bouddhique : Marc & Claire TARDIEU

    Invocation musulmane, Dikhr

    Contemplant le témoignage de ceux en lesquels ces textes ont pris corps :

    Tradition chrétienne : Sandrine TREUILLARD
    Tradition islamique : Abdel Kader ABDELLAOUI
    Tradition Bouddhique : Jean-Luc CASTEL                                                                      

    Chant chrétien

    Devenant chacun et ensemble, prière vivante accueillant la Paix parmi nous, la recevant les uns des autres et nous La donnant les uns aux autres : à l’écoute du Souffle ténu qui prend corps parmi nous, se risquer à parler à Celui que certains appellent Dieu et que d’autres ne nomment pas, se taire si l’on préfère ; en tous les cas, recevoir et transmettre la lumière.

    Offrande de prière bouddhique

    Bénédictions et envoi : Témoins des Fraternités Artisans de Paix dont l’espérance prend corps parmi nous, donner à goûter la paix dans le monde d’aujourd’hui :

    Fraternité eucharistique : Sandrine TREUILLARD
    Fraternité islamique : Abdel Kader ABDELLAOUI
    Fraternité bouddhique : Jean-Luc CASTEL, Marc & Claire TARDIEU

    [2] Traduction de la Bible du Semeur, 2000.

    [3] Traduction de l’AELF.

    [4] Traduction de la Bible du Semeur, 2000.

    [5] Traduction de l’AELF.

    [6] Article de Roger Michel : Scandale du mal et patience de Dieu (Sourate 18) avec le texte de Christian de Chergé extrait de Dieu pour tout jour, Chapitres à la communauté de Tibhirine (1989-1996) : collection "Cahiers de Tibhirine" n°1, 2004, Abbaye Notre-Dame d'Aiguebelle, p. 200 : Jeudi 20 juillet 1989 (Saint Élie), Élie et les pensées de Dieu… dans l'ouvrage : Le Verbe s'est fait frère - Christian de Chergé et le dialogue islamo-chrétienÉditions Bayard, 2010. Livre collectif avec des membres de l'ISTR de Marseille : Anne-Noëlle Clément, Christian Salenson, Sr Bénédicte Avon, Roger Michel.

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    Artisans de Paix ou le désir de rencontrer l'(A)autre

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    La Visitation :  Mystère de l'hospitalité réciproque
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    igure de toute vraie rencontre - avec Christian de Chergé

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  • Esprit Saint en Visitation : Méditation sur la Visitation avec Christian de Chergé

    Esprit Saint en Visitation
    en correspondance avec Christian de Chergé

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                      C’est Jésus qui est dans le secret de Dieu [1].

                 C’est Jésus qui est dans le sein de Marie, et c’est le secret de Dieu. Marie ne le sait même pas elle-même, même si elle en a reçu l’annonce. C’est Élisabeth qui le lui révèlera, alors qu’elle-même porte Jean depuis 6 mois et que Marie vient à peine d’être fécondée par l’Esprit. Elle porte le Verbe en elle qui n’est pas encore chair, puisque Jésus n’est humainement qu’une minuscule cellule. Déjà pleinement Dieu, étant le Verbe, pur Esprit de Dieu descendu en le sein de la Vierge. Marie en est là au moment de la Visitation.

                Jésus est en secret en Marie jusqu’à la Visitation. Poussée par l’Esprit reçu à l’Annonciation, Marie s’élance pour aller aider son aînée qui donnera naissance à un enfant dans trois mois. Elle pénètre le seuil de la maison de Zacharie et adresse le salut en ces termes : « La paix soit avec vous ! » C’est alors que dans la rencontre avec Élisabeth l’Esprit Saint révèle le mystère qui est en Marie par la bouche de sa cousine.


    la visitation,christian de chergé,christian salenson,foi,christianisme,islam,esprit saint,magnificat,sandrine treuillard            Oui, le petit Jean en le sein d’Élisabeth tressaille d’allégresse au contact de l’Esprit dont est comblée Marie, et c’est la bouche d’Élisabeth qui le formule après que son être entier en ait été informé. Marie ne sent rien encore en son sein virginal, elle est tout emplie d’abord de la foi et de l’Esprit. L’Esprit Saint la couvrit de son ombre, il est venu dans les plis virginaux de ses entrailles. Jésus fait homme n’est pas encore charnel. Il est pur Esprit de Dieu en elle. Comme l’Esprit de Jésus est premier lors de la Création, son incarnation vient ensuite dans l’histoire humaine.

                Le petit Jean a vent de Jésus alors qu’Il n’est encore qu’Esprit. Jésus est conçu du Père par l’Esprit en Marie. Il est parole vivante de l’Esprit en Marie pour le petit Jean qui le reçoit donc d’abord comme Verbe, pur Esprit de Dieu. Cette réception du petit Jean se manifeste en joie, en tressaillements dans la matrice d’Élisabeth. La joie se communique ainsi à Élisabeth, pleine de reconnaissance. Car, avec la joie, Élisabeth reçoit un autre don de l’Esprit : la connaissance. Elle sait que Marie, devant elle, est la Mère du Sauveur…

                Quand Marie adresse la paix au seuil de la maison de Zacharie, le petit Jean reçoit directement la paix de Jésus Christ. Lui même empli d’Esprit Saint dès sa conception, le petit Jean reconnaît son Sauveur qui n’est encore qu’un amas de cellules, mais déjà une personne divine. En les deux femmes, Dieu est plus intime à elles-mêmes qu’elles-mêmes.  


    la visitation,christian de chergé,christian salenson,foi,christianisme,islam,esprit saint,magnificat,sandrine treuillardJean, en Élisabeth, est dans le secret de Dieu. Le Verbe en Marie se communique à Jean. C’est l’Esprit de Jésus communiqué au petit Jean qui fait parler à Élisabeth la langue de l’Esprit. Comme la paix qu’adresse Marie, d’abord, est Paix du Christ. La langue de l’Esprit reconnaît la vie de l’Esprit. Il y a là une circulation de l’Esprit du Verbe en Marie, à Jean en les entrailles d’Élisabeth, et de son sein tressaillant à sa bouche, d’où le souffle divin s’exhale et s’articule.

                 Marie est traversée par cette circulation de l’Esprit qui va et vient en elle, depuis elle, et retourne vers elle faisant surgir à son tour ce souffle de vie divine : le Magnificat. Ce souffle de la Vie de Jésus, né du Père avant tous les siècles, repasse en elle par toutes les étapes depuis la création de l’homme, Adam, la naissance d’Israël. C’est la généalogie de Jésus en un formidable passage de l’Esprit. Elle clame et fait mémoire de la vie de l’Esprit de Jésus, premier-né avant toute créature, qui d’abord planait sur les eaux et planait sur toute l’existence humaine. L’Esprit du Christ a été insufflé dans l’histoire humaine du premier Testament.

                Marie dans son Magnificat fait l’anamnèse de la présence de l’Esprit de celui qui vient en elle. Elle devient témoin de tout le premier Testament et sa bouche, tout son être empli de l’Esprit rend grâce de l’action de Dieu dans l’humanité. C’est l’Esprit de Jésus qui parle en elle. Sa langue est celle de l’Esprit. Elle récapitule en le Magnificat l’histoire sainte de son peuple avec Dieu. Cette récapitulation c’est le Verbe de Dieu qui s’articule par elle, en tout l’être de Marie, corps et âme. L’histoire sainte récapitulée en Marie, le magnificat, c’est la prononciation du nom de Jésus, la prononciation du Verbe qui vient s’incarner en elle pour toute l’humanité.  

                Jésus, en Esprit, est présent à toute l’histoire que récapitule Marie. Il est en gestation dans le sein du Père dès avant tous les siècles et dans les siècles précédents l’Annonciation. Né du Père avant tous les siècles, l’Esprit de Jésus vient. Jésus vient.

     

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    Sandrine Treuillard
    30 avril-1er mai 2019

    Comment j’ai été amenée à écrire ce texte, voir en note [2]

     

    [1] En correspondance avec le texte du Bx Christian de Chergé, extrait de la Retraite sur le Cantique des cantiques (présentée et commentée par Christian Salenson, éditions Nouvelle Cité, 2013) qu’il prêcha aux Petites sœurs de Jésus, à Mohammedia, au Maroc, en 1990.

                  « Profiter de la fête de la Vierge pour revenir sur le mystère de la Visitation. Il est évident que ce mystère de la Visitation, nous devons le privilégier dans l’Église qui est nôtre. 

              J’imagine assez bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Élisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Elle l’a reçue d’un ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à Élisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ? Et pourtant, tout en elle déborde, mais elle ne sait pas.

                    D’abord, c’est le secret de Dieu. (…) »

    Voir aussi à ce sujet le texte de sœur Bénédicte Avon La visitation ou le mystère de la rencontre in Le Verbe s'est fait frère - Christian de Chergé et le dialogue islamo-chrétien, éditions Bayard (Spiritualité), 2010.  

    [2] C’est le 16 février 2019, durant une retraite anamnèse avec la Communauté du Chemin Neuf, que je reçus le baptême dans l’Esprit Saint ou effusion de l’Esprit. C’était à genoux, au pied du tabernacle, dans la chapelle de ce qui fut le couvent des Dominicaines de Béthanie, à Saint-Sulpice de Favières, congrégation fondée par le bienheureux Jean-Joseph Lataste au XIXème siècle. En recevant l’effusion de l’Esprit, un frère et deux sœurs (de la Communauté du Chemin Neuf) qui priaient sur nous (nous étions deux femmes à recevoir ce baptême dans l’Esprit) eurent pour moi deux images, d’une part ; et d’autre part, de la Parole de Dieu, le début d’un psaume et un extrait d’évangile. C’est cet Évangile en saint Luc, chapitre 1, verset 39 à 45, qui décrit l’épisode de la Visitation. Alors même que cet Évangile était lu, à la fin, l’autre partie des retraitants qui était rassemblée devant l’autel de la chapelle, se mit à entonner : Magnificat… J’étais moi-même au comble de la joie avec Marie à la Visitation exultant son Magnificat.

                      Or, depuis décembre 2018, j’avais rencontré la spiritualité de Christian de Chergé par le Prier 15 jours qui lui est consacré, de Christian Salenson (éd. Nouvelle Cité). Le dernier chapitre (15ème jour) développe le mystère de l’hospitalité réciproque et la figure de toute vraie rencontre qu’est la Visitation, pour Christian de Chergé. Avec l’effusion de l’Esprit reçu le 16 février 2019 et l’Évangile de Luc 1, 39-45, ma proximité avec le bienheureux fut scellée. Je ne cesse de m’identifier à la Vierge Marie qui reçoit grâce sur grâce de la part de Dieu. La grâce de Dieu qui forme en moi le Verbe, qui incarne en moi le Christ, par son Esprit saint qui nous visite en ces temps qui sont les derniers. La grâce de la Visitation c’est de vivre le Christ en soi, c’est de vivre du Christ et de le reconnaître en l’autre. Mais, au moment des rencontres vraies nous n’avons pas conscience de vivre cela. Nous sommes abandonnés dans la Visitation. Nous ne savons pas à cet instant t que c’est le Christ qui vit en nous. Si nous le savions, nous ne le vivrions pas. C’est cela qui est le secret de Dieu. C’est sa discrétion. C’est seulement ensuite, en relecture de notre vie, que nous pouvons authentifier la présence du Christ en telle ou telle rencontre. C’est par cette sorte d’innocence que la rencontre est vraie, authentique. Une forme d’humilité, de simplicité dans la rencontre, en même temps que ce don généreux de soi dans l’accueil de l’autre, mais à notre insu. (Ajout du 2 février 2020, 15h, en la fête de la Vie consacrée, Monastère de la Visitation, chambre Saint Jean, Paris 14ème.)    

     

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  • L’oasis du soufi & la graine d’Évangile - Un père spiritain témoigne : 50 ans de cohabitation en République islamique de Mauritanie

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixReligieux spiritain, le père Paul Grasser a d’abord exercé son ministère en Mauritanie, puis à Rome, à Paris, en Algérie. Il est aujourd’hui au siège d’Apprentis d’Auteuil.

    Je l’ai côtoyé en 2013-2014. C’est le 31 octobre 2014, dans une chapelle aux Apprentis d’Auteuil, que nous avons partagé sur notre relation aux musulmans en survolant la préface du tapuscrit Le livre des miroirs — ouvrage à quatre mains (encore inédit) rassemblant d’une part des textes de la tradition chrétienne le Miroir catholique (dont je m’occupais) ; et d’autre part des textes de la tradition musulmane, le Miroir musulman (par Slimane Reski)—. Lui laissant ce tapuscrit, il me remit Animés par l’Esprit de Dieu (Éditions de l’Emmanuel) de son frère spiritain, le père Alphonse Gilbert.

    Régulièrement, il m'envoie des photos de ses expéditions. Ce récit autobiographique, écrit le 2 février 2019, a été publié dans le n°235 de la revue Spiritus, en juin 2019.

    Sandrine Treuillard
    pour La Vaillante
                       

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    Le diocèse de Nouakchott est né à la suite d’un accident d’avion, en juin 1965 à Zouerate, ville minière au nord du pays, qui coûta la vie à Mgr Joseph Landreau, préfet apostolique de Saint-Louis du Sénégal, dont dépendait la chrétienté en Mauritanie. Après de longues années à Brazzaville, Mgr Michel Bernard accepta de lancer ce diocèse à la condition que la Congrégation du Saint-Esprit, à laquelle il appartenait, lui envoyât chaque année un des jeunes prêtres nouvellement ordonnés. Le premier envoyé ne tint pas longtemps. Les quatre suivants, à partir de 1967, s’enracinèrent parfaitement.

    Découverte

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixJ’ai eu l’honneur d’ouvrir la piste ; et ce à l’Université de Dakar : deux ans d’islamologie et surtout de langue arabe. Mai 68 ! L’onde de choc venue de Paris saccage une partie de l’université de Dakar. Grandes vacances pour moi. J’accepte avec enthousiasme et appréhension de remplacer le prêtre de Zouerate en juillet et août, par cinquante degrés, hors climatisation ! Pour le mois de septembre, je me dirige par train minéralier, puis par taxi-brousse, vers la capitale des oasis : Atar, prise dans un immense massif montagneux ayant déjà servi de décor à des westerns. Je découvre. Malgré la chaleur toujours inhumaine, ce jour-là je saute sur le véhicule du directeur de l’usine de commercialisation des dattes. Il va régler un litige avec les producteurs fournisseurs, à Aoujeft. Une vingtaine d’hommes palabrent pendant quatre heures, assis sur les nattes. Les voix se relayent. Par deux fois, un participant, assis dans l’angle de la pièce prend la parole. Simplement, en dialecte arabe local. Je suis percuté par ce qui émane de cet homme ! La séance levée je me précipite vers lui : « Vous ne le trouverez plus, me dit-on, il ne traîne pas dans la rue ». Vite j’écris son nom dans un bout de papier. 

    Cathédrale Nouakchott.jpgUn an plus tard je suis nommé à la cathédrale de Nouakchott. Arrive un lycéen voulant me vendre ses aquarelles pour gagner trois ouguiyats. « Et ton papa il fait quoi ? — Il est religieux à Aoujeft. » Vérification : c’est bien son nom qui est sur mon bout de papier : Mohamed Lemine ould Sidina. « Il faut que je le voie. » Il était de passage à la capitale. Facilement nous le trouvons, assis par terre, au milieu de quelques dizaines de fidèles, hommes et femmes, dans la maison d’un de ses disciples, les « Amis de Cheikh ». Thé, cordialités, visages détendus. Après vingt minutes, je repars ; un fidèle me suit, c’est Mohamed Naaman. Bien vite je l’appellerai « mon frère ».

    P1016829.JPGVoici donc les graines, les personnages qui ont couru avec moi pendant cinquante ans. Et alors ? Très vite Mohamed Naaman me fut utile comme locuteur dans le cours du soir, lancé à travers la paroisse de Nouakchott pour permettre aux étrangers d’apprendre le dialecte, le hassanya. Mohamed refusait toute rémunération. Des semaines avaient passé. « Mohamed tu es chômeur, je te demande un service et tu n’acceptes rien ? » Réponse : « Quand je t’ai vu chez mon marabout, j’ai compris que vous cherchez la même chose que nous. Alors, il faut vous aider. »

     

    Aller plus loin

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paix1983. Bien enracinée dans ma double mission — servir les chrétiens, tous immigrés, et rencontrer les Mauritaniens, tous musulmans —, j’éprouve le désir d’aller plus loin. Reprendre des risques, aller au fond du désert, seul, sans bagages, chez des gens qui ne me connaitraient pas. J’ai le tort d’en parler à Mohamed Naaman, qui me dit : « Tu viens chez nous à Maaden. » Je n’y suis jamais allé, mais j’y suis trop connu par réputation. « Tu auras une dose suffisante de dépaysement et d’ascèse » me convainc Mohamed.

    Les aînés des palmiers dattiers avaient alors treize ans ; leurs petites sœurs — ils ne plantaient que peu de palmiers mâles — sont nombreuses. Sous les palmiers, les légumes poussent avec parcimonie : carottes, tomates, menthe, luzerne, blé. Nous sommes dans un lit d’oued coincé entre un complexe de dunes vives et un flanc de montagne formant une immense plaque rocheuse. Pourquoi cette oasis ?

     

    Un homme épris de savoir, épris de Dieu

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixNé en 1918 à Aoujeft, Mohamed Lemine ould Sidina, fils d’un goumier de la force coloniale française, est épris de savoir, épris de Dieu. Pendant quatorze ans, il s’assied au pied de grands théologiens de son pays. Il ira jusqu’au Maroc, puis au Sénégal, à Kaolack, pour y chercher le savoir ; et ce, dans la voie confrérique Tijaniya qui prône tolérance, fraternité, entraide et ouverture. De retour, non point à Nazareth mais à Aoujeft, il est rejeté par les siens ; de fait, il dénonce l’esclavage, le tribalisme, la sorcellerie. Il rachètera et libérera les vieilles servantes que souvent l’on achevait par lapidation au motif qu’elles étaient « suceuses de sang. » Mohamed Lemine s’exilera à trente kilomètres sud, dans un endroit désert qu’il nommera Maaden El Ervane (i.e. « Mine de connaissances, source de la foi en Dieu et de la bonté humaine »). Avec les « Amis du Cheikh » qui l’ont suivi, il crée un barrage en terre battue pour obliger l’eau de l’oued à s’infiltrer dans le sable : on pourra ainsi le retrouver dans des puits de un à trois mètres de profondeur.


    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixLes premiers palmiers sont plantés en 1970. Les buissons de henné, quasi sauvages, étaient déjà d’un apport appréciable. L’habitat rectangulaire ou rond est fait de murs de pierres sèches couverts de feuilles de palmiers. Aujourd’hui, en janvier 2019, cette oasis s’étire en chapelet sur sept kilomètres de long grâce à des barrages filtrants (galets contenus dans du gros grillage métallique.) Le savant agro-écologiste Pierre Rabhi, séduit par ce développement endogène, propose le village de Maaden comme modèle de développement durable, intégrant à la fois l’humain, le divin, le terrien. Un film long métrage est en préparation : Maaden développement intégral.

     

    Immersion intégrale
    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixC’est donc là que, en janvier 1983, je vis quinze jours d’immersion intégrale. Je ne mange que quand ils mangent (ils m’invitent dans différentes familles) ; quand ils prient, je prie, soit à côté d’eux, à ma manière, soit dans ma case, ou sur un rocher ; et quand ils travaillent, je donne mon petit coup de main. Cheikh, avec douceur et autorité, coordonne toutes les activités de la collectivité. Chaque secteur a son responsable. Tout un chacun qui a le désir d’approfondir sa foi, sa connaissance du Coran et surtout la pratique de sa religion, est le bienvenu parmi les « Amis de Cheikh ».


    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixEffectivement, le mélange social est total. Parmi eux : un Égyptien, un Marocain, un Sénégalais. Celui-ci, simple petit immigré, bricoleur de motopompes, s’intègre à merveille. Avec lui, je navigue, par voie de sable, de puits en puits. Sa consécration sociale sera manifeste quand Cheikh lui accordera une de ses filles en mariage. Leur fils, sorti de l’école locale, sera brillant bachelier à seize ans. Il vient d’achever son mandat de Ministre de la Jeunesse et des sports. Oui, à Maaden, depuis des années, on fait le cycle primaire en trois ans au lieu de sept ; de même pour le secondaire ; et ce, sans aucun frais pour l’État. Leur secret : pas de vacances scolaires. Les adultes travaillent chaque jour… pourquoi les jeunes subitement débrayeraient-ils ?

    Les hommes font, chaque semaine, deux jours de travail pour la communauté : l’un collectif, l’autre individuel. Spécificité spirituelle, leur dhikr, récitation litanique de telle ou telle formule, généralement comptabilisé au moyen d’un chapelet, est constitué chez eux par un interpellatif : « Allah, Allah, Allah ! » à l’infini, sans compter, seul ou en groupe, ou par relais, à voix forte et ferme, dans les champs ou en toute circonstance, la formule classique, elle, est déclarative : « Il n’y a de Dieu que Dieu ».

     

    « Quelle grandeur ! »

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixDécembre 1984. Le frère Roger Schutz de Taizé, avec deux de ses frères, trouve chez nous, à Nouakchott-cathédrale : refuge pour écrire, selon son habitude, sa Lettre aux jeunes. Cette année-là, leur rassemblement aura lieu à Cologne. In extremis je réalise que Cheikh Mohamed Lemine est en visite pastorale à la capitale : « Frère Roger, il faut absolument que vous veniez rencontrer mon ”marabout”. — Trop tard, nous sommes sur nos bagages .» Nous finissons par passer vingt minutes, assis, très à l’aise, au cœur des « Amis de Cheikh. » Brève prière commune. Au sortir, le Frère Roger a quatre mots : « Quelle grandeur, quelle grandeur ! » « Et cette mélopée incessante qui montait de la cour ! » dit un autre frère. Il s’agissait effectivement de cette louange continue. Elle honore Dieu et irrite fort les voisins, tous musulmans. Nous aurons, à cette occasion, entendu une phrase revenant si souvent dans la bouche de Cheikh : « On ne voit bien Dieu qu’avec les yeux de Dieu. »[1]

     

    « Il nous donne le souffle »

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixJuin 1985. Je retourne, pour trois semaines, m’immerger dans ce monde, dynamique, pauvre, croyant. Dans ma case ronde, glaciale, à l’aube, je suis réveillé par leur bruyante et massive prière. Que faire ? Sûr de ne pas être dérangé, n’est-ce pas le moment de faire ma grande prière ? En soutane kaki, mon chèche blanc pour étole, je célèbre l’Eucharistie. Bizarre tout de même : Dieu est unique, notre désir de nous orienter vers Lui est le même, et pourtant nous devons l’exprimer séparément. Le lendemain, même heure, mêmes prières… j’en arrive au Per ipsum : « Par Lui, avec Lui… à toi Dieu le Père… dans l’unité du Saint Esprit… » Je suis saisi. La voilà, l’ultime pointe de la prière : par Jésus, dans l’Esprit, au Père. N’est- ce pas là la clé de voûte qui manque à ces tonnes de prière musulmane ? Peut-être ne suis-je ici que pour cela !

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixTous les soirs, de six à sept : heure sainte. Des nattes sur le sable. Au centre un grand drap blanc. Les « Amis » assis autour, femmes au deuxième rang, quelques gamins ; ambiance toujours un peu désordonnée, fraternelle, fervente. La théière n’est jamais très loin. Cheikh préside, son ami « Brahim, Paul »[2] à sa droite. On lit le Coran, Cheikh commente et à chaque fois me donne la parole. Tantôt j’approuve par un simple amîn, tantôt je cite le passage de l’évangile qui dit la même chose, parfois je marque un complément voire une différence, quelques hommes se lancent ensuite dans le « dhikr », cette même prière litanique permanente. Ils forment comme un début de mêlée d’équipe de rugby. Ils se dandinent, d’autres tournent, d’autres s’y agrippent, par moment le « Allah, allah » se réduit à un simple souffle. Je m’en étonne un peu auprès de Cheikh. Toujours avec sourire, douceur, parcimonie verbale il me fait : « Le souffle de Dieu. Il nous donne le souffle. Nos souffles veulent rejoindre le sien et fusionner entre nous. Oui, il arrive que intelligence, mémoire, savoir s’arrêtent un moment. Toute initiative est alors laissée à Dieu. »

     

    « Notre cadeau c’est toi
    Ton cadeau c’est nous »

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixOctobre 1993. Je quitte la Mauritanie, suite à une agression dans la cathédrale de Nouakchott. J’y retournerai pour deux fois. Bien des amis chrétiens et musulmans m’accueillent avec joie. Cheikh est à Maaden, mais ses fidèles présents à la capitale se regroupent pour « célébrer » ensemble, avec moi, tant de choses… !  


    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixLa Mauritanie, vingt-quatre ans de ma vie, sans regret ni nostalgie, c’est fini.

    Et voici… qu’en février 2018, la presse française annonce la réouverture de la Mauritanie au tourisme. Divers périples proposés Terres d’Aventure offre cinq jours de trek intégral dans les oasis de l’Adrar. Au troisième jour, le top : passage dans une oasis récente fondée en 1970 ; ses palmiers, son maraîchage, son école : Maaden el Ervane. Alerte dans ma tête… Mais ce n’est plus pour moi !…


    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixLe 6 janvier 2019, je suis dans le charter Mauritania avec quatorze autres aventuriers : Roissy-Atar direct ! Maaden n’a cessé de s’allonger, les carottes prospèrent en vue de la commercialisation ; elles l’emportent sur les autres légumes. Au milieu du village, le mausolée de Cheikh attire les pèlerins de partout. Je me précipite pour retrouver mon vieux frère Mohamed Naaman, assis dans sa maison, les genoux bloqués par l’arthrose, des centaines de mouches pour l’accabler ; sa deuxième femme, répudiée, est loin ; ses deux enfants, aussi ! Vive émotion, cachée par quelques traits d’humour, à l’ancienne, qui claquent en hassaniya (il fut mon maître et s’empresse de me corriger encore.) Le lendemain midi, en tête à tête, repas traditionnel et rare : bouillie de pépins de coloquintes écrasées. Je signe une décharge à notre guide, je me sédentarise pour vingt-quatre heures.

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixLe soir, plat de riz avec Djibrill et Brahim, sur la terrasse de « La grande maison » que Cheikh a léguée à la communauté. Repas terminé, deux autres hommes nous rejoignent. L’un tient dans sa main un téléphone qui émet la voix de Cheikh : lecture, commentaire et prière y sont enregistrés. Trois femmes, et d’autres encore, finissent par reproduire quelque chose du carré d’antan. Pendant trente minutes personne ne bouge, c’est le recueillement, la mémoire. Ils savaient que je comprendrais, apprécierais. Communion simple et forte. Convergence des consciences, dirait Pierre Rabhi. Je n’avais emporté de France aucun cadeau pour eux ; je n’en ai rapporté aucun : « Notre cadeau c’est toi, ton cadeau c’est nous, tous cadeaux de Dieu », aurait dit Cheikh avec sourire et douce action de grâce.

                Le lendemain matin on me fait visiter ce qu’il reste de la Bibliothèque de Cheikh. « Tiens ! Voici les albums dactylographiés des manuscrits de Cheikh. » Au hasard, quelques lignes écrites du Maroc. Je comprends difficilement son arabe classique. Je fais répéter une phrase. C’était celle dite aux frères de Taizé en 1984, que j’avais oubliée depuis, et que frère Charles-Eugène m’a rappelée en décembre 2018 : « On ne voit bien Dieu qu’avec les yeux de Dieu ! »

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixQue d’honneur pour moi ! Le responsable spirituelle de la Fraternité appelle de Nouakchott pour me saluer. Le nouveau maire, habitant une Oasis voisine, se déplace pour moi. Mais rien du style réception, cadeaux, etc.

    Après la visite de la Bibliothèque, je demande à rester seul dans le grand salon pour y faire ma « grande prière ». Un verre à thé me sert de calice, une boîte à pastilles de patène, Prions en Église de Missel, le vaste monde d’assemblée. Oui, joie indicible du Corps et du Sang élevés : « Par Lui, dans l’Esprit, au Père… » Comme il y a trente-six ans. Je venais d’en avoir quatre-vingts.

     

    Pour terminer : deux surprises…

    paul grasser,spiritain,mauritanie,islam,foi,soufisme,christianisme,eucharistie,transmission,prêtre,conscience,artisans de paixEn taxi-brousse j’ai facilement rejoint mon équipe. « Mais comment donc est-il possible que je ne sois même pas allé me recueillir sur la tombe de Cheikh ! ». Je pense qu’il aurait approuvé.

                — Sur le tarmac pour le retour, un beau monsieur me fait :

    « Alors mon Père comment ça s’est passé ?

    - Parfait…

    - Je suis le correspondant mauritanien de Terres d’Aventure. On a essayé de vous arranger les choses pour le mieux. Mais, dites-moi, le Père Guy Daniel est-il encore en vie ? »

    - Oui, plus que jamais, il a quatre-vingt-un ans… Il est à Marseille.

    - Voici ma carte de visite. Je l’invite, je lui paye le voyage, car sa mère et la mienne étaient de grandes amies[3]. »

                — En octobre 2018, Pierre, à sa totale surprise et contre son désir, à quatre-vingt-un ans lui aussi, est invité par ses anciens élèves. Pierre leur avait enseigné les mathématiques au Lycée d’État de 1972 à 1979. Aujourd’hui, ils sont tous niveau cadre en Chine, Canada, voire en Mauritanie. La presse locale, en langue arabe relatait l’événement.  

                Ils étaient quatre spiritains à être envoyés en Mauritanie à partir de 1967 : Paul, Bernard, Pierre et Guy. Dieu les a comblés en même temps que leurs frères mauritaniens.

    Paul Grasser.jpg

     

     

     

    Paul Grasser, cssp                                                          
    Auteuil, le 2 février 2019

     

     

     

    Photographies :
    Jean-Michel Pénard, entre les 7 et 11 janvier 2019,
    dans l'Adrar mauritanien, à Maaden et ses environs.
    ©Paul Grasser

    Sauf : La cathédrale Saint-Joseph de Nouakchott - La carte de Mauritanie. 

     

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    [1] On peut retrouver ces faits dans le récit de la vie du Frère Roger (année 1984) en cours d’édition.

    [2] Sur leur proposition, j’avais accepté que l’on associe à mon nom celui de Brahim, Abram ayant vécu des années sans être ni juif, ni chrétien, ni musulman !

    [3] Mme Daniel avait 78 ans quand son fils Guy, contre l’avis de ses confrères, amena sa maman à Zouerate. Elle y passa neuf ans, grande missionnaire sans le savoir.

     

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    Artisans de Paix - ou le désir de rencontrer l'(A)autre

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  • Christian de Chergé, Pentecôte 1994 : Le « martyre » de l’Esprit saint à Tibhirine : Artisans de Paix - 28ème Réunion interreligieuse de prières

    Voici le chant chrétien et les textes que j’ai choisis et lus/priés au milieu de mes frères et sœurs d’Artisans de Paix, le 2 juin 2019, au Monastère de l’Inspir des Sœurs Bouddhistes de Noisy-le-Grand (91). Le thème était l’Esprit Saint, préparant la Pentecôte du 9 juin. En note, le détail des participants et du déroulé de ces 2h15 de Réunion interreligieuse de prières.[i]

    Sandrine Treuillard
    Chargée de mission pour la Fraternité Eucharistique (catholique) d'Artisans de Paix

    Logo Artisans de Paix.jpg

    Viens Esprit Créateur

    1 - Viens Esprit créateur, nous visiter,
    Viens éclairer l'âme de tes fils ;
    Emplis nos cœurs de grâce et de lumière,
    Toi qui créas toute chose avec amour.

    2 - Toi le don, l'envoyé du Dieu très Haut
    Tu t'es fait pour nous le défenseur ;
    Tu es l'amour, le feu, la source vive,
    Force et douceur de la grâce du Seigneur.

    3 - Donne-nous les sept dons de ton amour,
    Toi le doigt qui œuvre au nom du Père ;
    Toi dont il nous promit le règne et la venue,
    Toi qui inspires nos langues pour chanter.

    4 - Mets en nous ta clarté, embrase-nous,
    En nos cœurs, répand l'amour du Père ;
    Viens fortifier nos corps dans leurs faiblesses,
    Et donne nous ta vigueur éternelle.

    5 - Chasse au loin l'ennemi qui nous menace,
    Hâte-toi de nous donner la paix ;
    Afin que nous marchions sous ta conduite,
    Et que nos vies soient lavées de tout péché.

    6 - Fais-nous voir le visage du très Haut,
    Et révèle-nous celui du Fils ;
    Et toi, l'esprit commun qui les rassemble,
    Viens en nos cœurs, qu'à jamais nous croyions en toi.

    7 - Gloire à Dieu notre Père dans les cieux,
    Gloire au Fils qui monte des enfers ;
    Gloire à l'Esprit de force et de sagesse,
    Dans tous les siècles des siècles.
    Amen.

     

    « Dès sa conception au IXè siècle, vraisemblablement par Raban Maur, cet hymne, le Veni Creator, n’a cessé de résonner dans la chrétienté, spécialement en la fête de la Pentecôte, comme une longue et solennelle invocation de l’Esprit Saint sur l’Église et sur toute l’humanité. Dans les églises chrétiennes d’Occident, l’avènement du XXIè siècle et du nouveau millénaire a été salué par ce chant solennel. Dès les premières décennies du second millénaire, il a inauguré chaque nouvelle année, chaque conclave et chaque concile œcuménique, chaque synode et chaque réunion importante de la vie de l’Église, chaque ordination sacerdotale et épiscopale et, par le passé, chaque sacre royal. » Raniero Cantalamessa, Introduction à Viens Esprit Créateur – Méditations sur le Veni Creator, Éditions des Béatitudes, 2008

     

    Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 14, 15-21

    Jésus vient de laver les pieds de ses disciples. Lors de ce dernier repas au Cénacle avant sa Passion, il leur donne ses dernières recommandations et annonce l'héritage de l'Esprit Saint.  

    Cœur Eucharistique de Jésus.jpg

    15 Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. 16 Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : 17 l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. 18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. 19 D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. 20 En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. 21 Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »

     

    Le texte d’un saint

    Christian de Chergé (portrait de face).jpgPour ce morceau choisi dans la tradition catholique, je vais vous emmener dans un autre monastère : Notre-Dame de l’Atlas à Tibhirine, en Algérie. Nous sommes en 1994. C’est le prieur du monastère, Christian de Chergé, qui donne son homélie de la Pentecôte. C’est le début des années noires en Algérie (1992-2006). Dom Christian a déjà rédigé son testament spirituel en deux fois : à Alger, le 1er décembre 1993, « au moment où, après les attentats dans le métro de Paris et la prise d’otage des passagers d’un Airbus français qui s’était terminée dans le sang à l’aéroport de Marseille, le GIA (Groupe islamiste armé) demandait à tous les étrangers de quitter l’Algérie, les menaçant de mort. » Il termina la rédaction de son testament spirituel à Tibhirine, le 1er janvier 1994, après que « douze ouvriers Croates chrétiens aient été égorgés à Tamezguida, à quelques kilomètres du monastère et, » après que « durant la soirée du 24 décembre, six islamistes armés » se soient « présentés au monastère en présentant des requêtes et des exigences. Durant les jours suivants les moines avaient longuement réfléchi en communauté sur l’opportunité de rester ou de partir. Ils avaient finalement opté unanimement pour rester. Parmi les raisons de rester étaient leur solidarité avec la population locale. » (Citations de Armand Veilleux, ocso. Voir sa conférence La rencontre de l’Autre au cœur de la violence : Le message des sept moines de Tibhirine). 

                À la date de la Pentecôte, le 22 mai 1994, deux religieux français installés en Algérie ont déjà payés de leur vie, et le prieur fera mention de ses amis à la fin de son texte. Le 8 décembre 2018, à Oran, Christian de Chergé a été béatifié avec les 6 autres moines de Tibhirine, et les 12 autres religieux martyrs d’Algérie, assassinés entre 1994 et 1996.

                Cette homélie de Pentecôte commence avec de fortes allusions à la foi musulmane puisque Dom Christian avec toute sa communauté vit en terre d’islam, par choix, comme les 18 autres martyrs. À Tibhirine, il a fondé avec les musulmans spirituels locaux un groupe de réunion interreligieuse : le « Ribât es-Salam », le lien de la paix, qu’il évoque aussi dans ce texte.

     

    Christian de Chergé,
    in L’invincible espérance

    Le « martyre » de l’Esprit saint
    Pentecôte
    22 mai 1994

         « C’est l’Esprit qui rend témoignage… »
                                                            1 Jn 5,6

     

                Pentecôte… au lendemain de l’’Aïd-el-Adhâ, de la « fête du sacrifice », de la « grande fête » (‘Aïd-el-Kebir). La Pentecôte aussi, une « grande fête » ! « Alors, qu’est-ce que tu sacrifies, qu’est-ce que tu égorges ? » me demandait un jeune du voisinage. On pourrait être tenté de répondre : j’offre la foule des TÉMOINS qui, depuis cet événement-là que nous célébrons, n’ont cessé de livrer leur vie pour l’annonce de l’Évangile, à l’exemple de leur Maître et Seigneur.

                En effet, la Pentecôte n’est-elle pas d’abord la grande fête du TÉMOIGNAGE, c’est-à-dire du « martyre » (en grec), ou encore de la « shahâda » (en arabe). Les apôtres étaient là, cloîtrés dans leur peur, mais fidèles à attendre en prière ce que Jésus avait promis. Et voici que les portes s’ouvrent. Un grand courant d’air dans tout leur être. Les langues se délient. Les cœurs s’élargissent aux dimensions du monde, réuni là et qu’ils ne voyaient pas. Bientôt Pierre prendrait la parole : « Ce Jésus… Dieu l’a ressuscité. Nous en sommes témoins » (Ac 2,32). Plus tard, il ajouterait la précision nécessaire qui avait échappé au premier moment tant ils ne faisaient qu’un avec la force neuve qui les portait à témoigner : « … nous sommes témoins de ces choses, nous et l’ESPRIT SAINT que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent » (Ac 5,32).

                Jésus leur avait annoncé : « Quand viendra le Défenseur que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra TÉMOIGNAGE en ma faveur. Et vous aussi – vous ensuite – vous rendrez témoignage » (Jn 15,26). C’est la Bonne Nouvelle, l’évangile de ce jour. Nous proclamons que l’Esprit saint nous a été donné, et nous témoignons qu’il témoigne en nous. C’est la « grande fête » du témoignage de l’Esprit, sans lequel le témoignage de l’Église, celui des apôtres, le nôtre, serait nul et vain. Nous célébrons le DON de ce Témoin qui n’en finit plus de se communiquer, de génération en génération, de langue en langue, de vie en vie, comme dans une course de relais, portant la flamme de l’Amour jusqu’aux extrémités des cœurs.

                Nous célébrons le « martyre » de l’Esprit saint. « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13). C’est là le témoignage de Jésus, son mystère pascal. C’est là, de toute éternité, le témoignage de Dieu. Si l’Esprit saint est le « martyr » par excellence, c’est parce qu’il est le don vivant que le Père et le Fils se font mutuellement de tout ce qu’ils sont. Il est la VIE en Dieu, éternellement donnée, et désormais communiquée à la terre pour une nouvelle création impliquant le sang et la souffrance d’un enfantement laborieux.

                Il semble bien en dehors du temps ce premier « témoignage » de l’Esprit présidant à la genèse, dans la sérénité d’une construction parfaite. Tout était bon… il planait sur les eaux de ce baptême primordial, dans l’amour du Père où le Verbe éveillait toutes choses. Ce « martyre »-là était celui d’un bonheur partagé. Il ignorait la souffrance et le sang répandu. Il se suffisait à lui-même. Il s’inscrivait profond, comme un sceau, une image, une ressemblance. Encore aujourd’hui, il émerge parfois, trace vierge d’une grâce initiale dans un cœur d’enfant que le mal a pu effleurer sans le déflorer… 

                En Jésus, ce témoignage est ressuscité. L’homme est restitué à lui-même. De toutes ses forces, l’Esprit vient témoigner que c’est cela que le Père a voulu pour nous. Que c’est cela qu’il vient accomplir en nous, dans la patience de nos chemins cahotants. Et ce témoin est là, qui veille et ne désespère pas. Il sait qu’en tout homme le Christ se cherche et s’accomplit. « L’Esprit saint en personne atteste que nous sommes enfants de Dieu » (Rom 8,16). Il est le témoin qui suscite les témoins, il est le « martyr » sans lequel il n’y a pas de martyre. Lui seul peut authentifier le témoignage. Elle est sûre, cette parole de Jésus : « Ne vous faites pas de souci ! L’Esprit saint vous donnera de dire et de faire… » Et ce témoin, ce « shahîd », nous dit de ne pas se satisfaire d’une « shahâda » purement verbale : « Ils disent et ne font pas ! » Ce« shahîd » nous dit que le témoin se reconnaît à ses fruits. D’après saint Paul (2e lecture), voilà ce que produit le témoin quand son témoignage lui vient de l’Esprit : « Amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité, maîtrise de soi. » (Ga 5,2 sq.). 

                Et l’Esprit lui-même nous invite aujourd’hui « à élargir notre regard pour contempler son action présente en tout lieu et en tout temps » (RM n°29)[1]. Nous pouvons tous en témoigner – et plus encore dans la situation douloureuse qui est la nôtre – nombreux sont autour de nous ceux qui triomphent des forces du mal et de désespérance parce qu’il y a en eux paix et patience, humilité, justice, maîtrise et oubli de soi… Ils sont cachés, comme l’Esprit en Dieu ; l’Esprit n’a pas de voix… Quand ils émergent, c’est parce que nous avons besoin de bornes témoins sur notre chemin. Ainsi, le cheikh Bouslimani : militant islamiste, et aussi cheville ouvrière d’une sorte de « Caritas » musulmane. Sollicité par des extrémistes de donner une fetwa (un jugement) autorisant la violence au nom de l’islam, il a préféré l’arrestation, la torture et finalement la mort. Pour nous tous, il est un témoin, parce qu’il n’a pas voulu pécher « contre l’Esprit saint ». Nous attestons que son « martyre » vient de l’Esprit, et nous proclamons que ce savant du droit musulman a partagé la grâce des simples et des tout-petits qui est de rendre témoignage à la vérité. 

                 Ainsi l’islam ne se trompe pas lorsqu’il inscrit le nom de « shahîd » parmi les 99 plus beaux noms de Dieu. Dieu est le témoin par excellence. La spécificité de ce Témoin-là, dit le Coran, c’est qu’il se suffit à lui-même (8 fois dans le Coran). Cela veut dire qu’il n’y a pas besoin « de deux ou trois témoins » quand c’est Dieu qui témoigne. En fait, ce témoin unique, c’est l’Esprit saint ; et voici qu’il témoigne qu’en Dieu les témoins sont deux, le Père et le Fils ! Il s’offre à nous comme le témoin de l’un et de l’autre, et c’est sa façon de nous introduire dans l’amour qui unit l’un à l’autre. « Celui-ci est mon Fils bien-aimé », atteste le Père, mais c’est l’Esprit qui nous le fait entendre. « Abba ! Père ! » atteste le Fils, mais c’est l’Esprit qui le murmure, en lui comme en nous. Sa Pâque à lui, c’est de passer de l’un à l’autre dans un total oubli de soi.

                Car le signe particulier de ce témoin, nous dit Jésus, c’est « qu’il n’a rien en propre, rien à lui » (Jn 16, 13 sq.). Tout, il le reçoit ; tout, il le donne, sans rien retenir. Le témoignage de l’Esprit, c’est l’esprit de pauvreté. Il faut avoir un cœur de pauvre pour être témoin selon l’Esprit saint. L’homme a été créé par Dieu, voulu par le Père, avec ce cœur-là, un cœur de fils. La Pentecôte c’est renaître à cette vocation. Ces apôtres apeurés que nous voyons confinés en prière, ils ont fait ce chemin-là qui est de se reconnaître démunis face à une mission trop grande pour eux, de tout attendre de Dieu jusqu’au premier mot de leur témoignage, d’attendre Dieu de Dieu, pour que ce soit Lui qui témoigne. Et le miracle va naître de la rencontre de deux pauvretés, celle des apôtres et celle de cette foule qui est là, dans l’attente. Dans cet événement tout le monde semble témoigner, chacun dans sa langue, et selon sa grâce propre.

                Si nous pensons à notre frère Henri et à notre sœur Paule-Hélène[2] – et comment ne pas y penser ? –, nous savons que leur témoignage ne peut se passer de ceux qu’en disent tous ceux qui ont longuement bénéficié de leur vie si vraiment donnée. Ils étaient venus, l’un et l’autre, avec un cœur de pauvre, prêts à accueillir, et ils ont confessé avoir beaucoup reçu de cette foule de gens pauvres qui les pleurent avec nous, témoignant qu’ils doivent beaucoup. L’Esprit faisait ainsi le « lien de la paix », et c’est lui qui nous aide à vivre leur sacrifice comme une Pentecôte en proclamant sur eux et avec eux « les merveilles de Dieu ».

                Je laisse la parole à Henri, lors d’une réunion de notre ribât, il y a un an : « Nous sommes tous habités par l’Esprit… Dieu chemine avec ce peuple, avec cette religion, mais je ne comprends pas (je suis comme Marie). Je suis en recherche de ce plan. Je me laisse questionner, et je questionne. Je déstabilise un peu l’autre, et l’autre me déstabilise. Il faut toujours essayer de découvrir ce qu’il y a de positif en chacun, et l’encourager. Être veilleurs, c’est être éveilleurs, c’est aider les gens à vivre selon l’Esprit. »

     

    Bénédiction finale

    Psaume 132 (133)

    Oui, il est bon, il est doux pour des frères
    de vivre ensemble et d’être unis. 

    On dirait un baume précieux,
    un parfum sur la tête,
    qui descend sur la barbe, la barbe d’Aaron,
    qui descend sur le bord de son vêtement. 

    On dirait la rosée de l’Hermon
    qui descend sur les collines de Sion.
    C’est là que le Seigneur envoie la bénédiction,
    la vie pour toujours.

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    Artisans de Paix - ou le désir de rencontrer l'(A)autre

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    [i] Constitution de l’assemblée :

    Mots d’accueil de Sœur GIAC NGHIEM, Prieure du Monastère de l’Inspir
    Et de Paula KASPARIAN, Présidente d’Artisans de Paix

    Chant chrétienSandrine TREUILLARD

    A l’écoute des signes annoncés par nos textes fondateurs respectifs :

    L’un et l’autre Testament : Sandrine TREUILLARD
    Coran : Théophile (Ahmad’Ali) de WALLENSBOURG
    Sutras Bouddhique : Sœur GIAC NGHIEM

    Invocation musulmane, Dikhr
    Théophile (Ahmad’Ali) de WALLENSBOURG

    Contemplant le témoignage de ceux en lesquels ces textes ont pris corps :

    Tradition chrétienne : Sandrine TREUILLARD
    Tradition islamique : Théophile (Ahmad’Ali) de WALLENSBOURG
    Tradition Bouddhique : Sœur GIAC NGHIEM

    Offrande de prière bouddhique
    Jean-Luc CASTEL et Vincent PILLEY

    Devenant chacun et ensemble,  prière vivante accueillant la Paix parmi nous,
    La recevant les uns des autres et  nous La donnant les uns aux autres :

    À l’écoute du Souffle ténu qui prend corps parmi nous,
    Se risquer à parler à Celui que certains appellent Dieu
    et que d’autres ne nomment pas,
    Se taire si l’on préfère ; en tous les cas, recevoir et transmettre la lumière.

    Offrande de prière bouddhique
    Moniales du MONASTÈRE DE L’INSPIR

    Témoins des Fraternités Artisans de Paix dont l’espérance prend corps parmi nous,
    Donner à goûter la paix dans le monde d’aujourd’hui, bénédictions et envoi :

    Fraternité eucharistique : Sandrine TREUILLARD
    Fraternité islamique : Théophile (Ahmad’Ali) de WALLENSBOURG
    Fraternité bouddhique : Sœur GIAC NGHIEM et ses Moniales

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    [1] Redemptoris Missio : Lettre encyclique du pape Jean-Paul II, du 7 décembre 1990.

    [2] 8 mai 1994 : Sur les hauteurs de la Casbah, à Alger, se tient un ancien palais oriental. C’est là qu’est aménagé la bibliothèque Ben Cheneb, fréquentée par des étudiants. L’établissement est confié à la direction du frère Henri Vergès, mariste, ex-professeur de mathématiques. Il est assisté de la sœur Paule-Hélène Saint-Raymond, Petite Sœur de l’Assomption, autrefois ingénieur à l’institut français du pétrole et ancienne de l’école Sainte-Marie de Neuilly. Trois agresseurs en tenue de policiers font irruption dans la bibliothèque et les abattent. L’imam de la mosquée locale dénonce ce crime et est assassiné à son tour. (source : Famille chrétienne n° 2134)

     

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  • Les sept Demeures spirituelles d'Artisans de Paix

    Logo Artisans de Paix.jpgLe 23 avril 2019, à La Maison Soufie de Saint-Ouen, a eu lieu la première exploration du Cycle 2019 des Sept Demeures spirituelles d’Artisans de Paix. Les participants étaient réunis en cercle. C’est Paula Kasparian, présidente de l’association, qui commençait par décrire chaque Demeure, à l’aide du discernement spirituel de sa propre expérience sur ce chemin dont elle témoigne - et dont elle est l’initiatrice (voir les 33 premières minutes filmées). Une fois la Demeure présentée, je lisais le passage évangélique correspondant que j’avais choisis, en l‘introduisant dans son contexte au préalable. Puis, les personnes présentes de confessions musulmane, bouddhiste, chrétienne… réagissaient, partageant une expérience, une lecture, un songe même… Enfin, le carme d’Avon, Philippe Hugelé, présentait la Demeure correspondante du Château de l’Âme de Thérèse d’Avila.
    Ce jour-là, nous avons pu pénétrer jusqu’en la 4ème Demeure. À une date ultérieure qui sera précisée, nous poursuivrons jusqu’en la septième.

    Voici le texte avec lequel je suis venue à La Maison Soufie. J’ai souhaité conserver les gras et les italiques dans cette publication pour vous montrer aussi une méthode de travail, celui de la diction, de la transmission orale du texte dans ce contexte du partage. C’est pour moi une manière de partition où je différencie dans le souffle, le timbre et le ton de ma voix ce qui est gras, italique ou régulier.

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    Je commence cette exploration en vous lisant un extrait de Quand tu étais sous le figuierd’Adrien Candiard. Il y est question de vocation, de l’écoute attentive du vrai désir que Dieu a mis en nous. ”Être sous le figuier” signifie ”lire l’Écriture sainte”, se laisser pénétrer par la parole de Dieu. Quand Paula a lu ce texte, elle m’a dit que c’était le ton exact de la première Demeure de son “Livre des grâces“.

    Aussi, c’est votre écoute attentive et particulière à chacun, tout intérieure, que je sollicite, à la lecture des passages que j’ai choisi, pour vous entraîner dans ces Demeures spirituelles. Par cette écoute, l’Esprit de Dieu nous parle.


    Adrien Candiard
    écrit : « On trouve de tout dans ses désirs : de la jalousie, de l'ambition, du désir sexuel Mais il s'agit de passer de ses multiples désirs au désir le plus profond, le vrai, celui qui nous permettra de hiérarchiser tout le reste. Il n'y a pas deux amours, comme il n'y a pas deux royaumes de Dieu. Et pardonnez-moi d'insister : il n'y a pas deux désirs. Bien sûr, des désirs, nous en avons des dizaines, qui s'opposent, qui se font la guerre, qui se concurrencent. Mais nous n'en avons qu'un véritable, et c'est celui-là que nous devons suivre. Accompagner une vocation, ce n'est pas se demander ce que Dieu veut pour la personne ; c'est l'aider à se demander ce qu'elle veut au fond d'elle-même, ce qu'elle veut réellement. Parce qu'en réalité, c'est la même chose. Nous n'avons pas de meilleurs indicateurs de la volonté que l'écoute attentive du vrai désir qu'il a mis en nous, et que personne ne connaît sinon nous-mêmes.

    Je sais bien que nous nous méfions de nous-mêmes, et nous avons souvent raison de le faire. Alors méfiez-vous de vous-mêmes tant que vous voudrez, mais faites confiance à Dieu. Il sait ce qu’il fait, lui. Il ne nous a pas créés distraitement, un peu trop vite, sans faire attention. Il faut faire confiance à l’acte créateur.

    Discerner notre vocation, réaliser notre vocation, vivre une vie chrétienne, c’est apprendre à nous libérer du poids de nos fantaisies, de nos envies du moment, de nos tocades, pour nous concentrer sur notre désir le plus vrai, celui qui nous constitue et nous fait avancer, celui qui nous appelle vers le bien. Celui auquel le Christ faisait allusion quand il nous a dit, à nous aussi : Quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu.

    Que ta volonté soit faite, Seigneur. Ta volonté, c’est-à-dire la mienne, c’est-à-dire celle que tu as placée en moi, et qui ne me laissera jamais tranquille, tant qu’elle ne m’aura pas conduit jusqu’à toi. »

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    1. Première Demeure : Un immense Désir : l’Amour fort comme la mort. C’est en suivant cette Aspiration que l’on va vers soi-même

    Je vais vous lire l’appel particulier, la vocation de Nathanaël dans l’Évangile de Jean. Quand Jésus appelle ses disciples à le suivre, il dévoile en chacun la ressemblance, cette image de Dieu originelle enfouie en tout homme. Jésus les regarde du regard d’amour inconditionnel de Dieu dont il est lui-même l’image parfaite et sans péché : Dieu fait homme. Quand Jésus dit : ”Je t’ai vu”, toute la miséricorde de Dieu son Père s’exprime. C’est le « je te connais », « je t’aime », « tu as du prix à mes yeux » du Premier Testament, dans la bouche de Jésus. Pas seulement dans son regard et sa bouche mais aussi dans ses gestes, ses attitudes, ses silences, ses retraits, ses réserves. Jésus, corps et esprit, manifeste l’amour de Dieu pour chacun. Écoutons : 

    La vocation de Nathanaël (Jn 1, 45-51) : « Philippe trouve Nathanaël et lui dit : « Celui dont il est écrit dans la loi de Moïse et chez les Prophètes, nous l’avons trouvé : c’est Jésus fils de Joseph, de Nazareth. »

    Nathanaël répliqua : « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » Philippe répond : « Viens, et vois. »

    Lorsque Jésus voit Nathanaël venir à lui, il déclare à son sujet : « Voici vraiment un Israélite : il n’y a pas de ruse en lui. »

    Nathanaël lui demande : « D’où me connais-tu ? » Jésus lui répond : « Avant que Philippe t’appelle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu. »

    Nathanaël lui dit : « Rabbi, c’est toi le Fils de Dieu ! C’est toi le roi d’Israël ! » 

    Jésus reprend : « Je te dis que je t’ai vu sous le figuier, et c’est pour cela que tu crois ! Tu verras des choses plus grandes encore. » Et il ajoute : « Amen, amen, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » »

    Quand Jésus dit qu’« il n’y a pas de ruse en Nathanaël », il signifie que Nathanaël cherche Dieu de tout son cœur quand il lit l’Écriture sainte. À la profession de foi de Nathanaël, Jésus nous fait la promesse d’une abondance de grâce spirituelle. Promesse d’un accomplissement en Dieu si nous marchons à sa suite.

    1. Deuxième Demeure : Le Combat spirituel

    Le regard d’amour que Dieu pose sur tout homme, et la grâce qu’il en reçoit, sont toujours contrés par le Diviseur, Satan, le Démon… Dès sa naissance, Jésus, le Sauveur des hommes, est menacé de mort. D’où la fuite en Égypte et le massacre des Innocents. Toute sa vie terrestre le Christ vivra des combats spirituels contre le Prince de ce monde. Ils sont le gage de notre Salut et le Christ en sort toujours victorieux parce qu’il s’abandonne sans cesse à Dieu son Père. Même et surtout sur la Croix. Tout chrétien à la suite de Jésus, n’étant pas plus grand que son Maître, est aussi éprouvé, à sa mesure, et selon le dessein que Dieu a sur lui, tout au long de sa progression spirituelle. C’est l’or au creuset purifié par le feu. La qualité de l’amour se reconnaît à l’obéissance, en la remise confiante à Dieu dans l’épreuve.

    Livre de l’Apocalypse (Ap. 12, 1-6) : « Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement.

    Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance.

    Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place, pour qu’elle y soit nourrie pendant mille deux cent soixante jours. »

    1. Troisième Demeure : L’Illumination spirituelle

    Jean le Précurseur, aîné de Jésus de 6 mois, n’a cessé de désigner Jésus comme étant plus grand que lui. Jésus, le Verbe, était à peine conçu dans le sein de Marie que Jean, dans les entrailles d’Elisabeth, a tressailli de joie lors de leur première rencontre (la Visitation). Jean désigne l’Agneau de Dieu à ses disciples qui iront, verront et demeureront avec lui. Mais au moment où Jésus demande le baptême de Jean, Jean ne comprend pas le dessein de Dieu sur le Christ. Jésus n’a certes pas besoin d’être baptisé. Mais Jean et nous avec lui avons besoin de percevoir ce signe surnaturel explicite de l’Esprit de Dieu sur le Christ. Le Baptême du Christ révèle l’entreprise qu’a Dieu pour nous, par Jésus. Sa chrismation nous illumine.[1]


    Jean baptise le Christ
    (Mat 3, 13-17) : « Alors paraît Jésus. Il était venu de Galilée jusqu’au Jourdain auprès de Jean, pour être baptisé par lui. Jean voulait l’en empêcher et disait : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! » Mais Jésus lui répondit : « Laisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. » Alors Jean le laisse faire.

    Dès que Jésus fut baptisé, il remonta de l’eau, et voici que les cieux s’ouvrirent : il (Jean le baptiste) vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. » »

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    1. Quatrième Demeure : Le Souffle de l’Offrande : le Souffle de l’Esprit Saint.

    Avec le don de l’Esprit à la Pentecôte, reçu au Cénacle 50 jours après la Résurrection de Jésus-Christ, l’Esprit Saint permet aux Apôtres qui le reçoivent de témoigner de la Bonne Nouvelle du Ressuscité. L’action de l’Esprit Saint fait de la première communauté chrétienne l’Église témoin de Jésus-Christ, par toute la terre. Recevoir l’Esprit, c’est recevoir la force du Ressuscité pour l’annoncer.

    Le don de l’Esprit (Actes 2, 1-8) : « Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours, ils se trouvaient réunis tous ensemble.

    Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux.

    Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.

    Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? »

    1. Cinquième Demeure : L’élection

    L’obéissance à l’Esprit Saint est la marque de cette union des volontés de Dieu et de l’homme. Toute élection est envoi en mission. Ainsi, Jean Baptiste, aussi appelé le Précurseur, est élu pour préparer la venue de Jésus, le désigner. L’action de Dieu sur toute sa vie se déploiera en ce sens. Dès sa conception, Dieu l’a choisi à dessein.

    L’annonce à Zacharie (Lc 1,13-17) : L’ange lui dit : « Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée : ta femme Élisabeth mettra au monde pour toi un fils, et tu lui donneras le nom de Jean.

    Tu seras dans la joie et l’allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance, car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira pas de vin ni de boisson forte, et il sera rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère ; il fera revenir de nombreux fils d’Israël au Seigneur leur Dieu ; il marchera devant, en présence du Seigneur, avec l’esprit et la puissance du prophète Élie, pour faire revenir le cœur des pères vers leurs enfants, ramener les rebelles à la sagesse des justes, et préparer au Seigneur un peuple bien disposé. »

    1. Sixième Demeure : Les fiançailles spirituelles

    L’onction amoureuse, la douce ivresse de l’Esprit Saint reçu à l’Annonciation, pousse Marie à visiter sa cousine Élisabeth. La grossesse d’Élisabeth est bien avancée, puisqu’elle en est à son sixième mois. Jean bouge dans le ventre d’Élisabeth. Jésus n’est encore qu’une petite cellule, pur Esprit, Parole de Dieu élisant demeure en Marie. Le Bx Christian de Chergé, Prieur des moines de Tibhirine assassinés en Algérie en 1996, a développé une lecture très sensible du mystère de la Visitation, éminemment pertinente pour nous. « Mystère de l’hospitalité réciproque », la Visitation vue comme « figure de toute vraie rencontre », devient le paradigme de la rencontre interreligieuse entre le chrétien et le musulman. En effet, chacun porte en soi l’Esprit de Dieu. C’est l’autre qui reconnaît la présence de Dieu en celui qu’il rencontre. C’est l’Esprit qui circule, plein d’accueil et de charité, d’une personne à l’autre, et témoigne de la Présence de Dieu en soi, en l’autre.

    La Visitation (Luc 1, 39-45) : En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée.

    Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.

    Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : 

    « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »

    Ainsi, Marie entre dans la maison et adresse son bonjour : « La paix soit avec vous ! » « As salam alaikum ». Et Élisabeth révèle à Marie le mystère qui l’habite, grâce à l’action de l’Esprit saint en Jean qu’elle porte, qui lui-même a reconnu la présence de Dieu en Marie, à peine enceinte de Jésus. L’Esprit circule entre les êtres (et c’est cela l’interreligieux), ainsi animés d’amour et de reconnaissance. Nous pouvons imaginer que dans une accolade, un embrassement, elles échangent un baiser, ce lien de la paix. Ribât es Salâm, lien de la paix, est le nom du groupe spirituel instauré au monastère de Tibhirine avec les musulmans.

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    1. Septième demeure : Le mariage spirituel 

    Restons dans la Visitation. L’Esprit circule entre les êtres ainsi animés d’amour et de reconnaissance. Dans la salutation de Marie, Élisabeth perçoit quelque chose de la merveille qui l’habite. Peut-être dans sa voix… L’Esprit circule dans les êtres, et des uns aux autres. Aussi et peut-être d’abord entre les deux enfants, en leur sein. Et, à la reconnaissance que formule Élisabeth de l’inhabitation de Dieu en Marie, de la bouche de Marie l’action de grâce jaillit. Un pur chant de l’Esprit où elle fait mémoire de l’alliance de Dieu avec son peuple, Israël, alliance qui se joue nouvellement en elle par l’Incarnation de Jésus. Ce cantique évangélique s’appelle Le Magnificat et est chanté aux vêpres, chaque jour. Toute âme chrétienne peut s’identifier à Marie portant en elle le Sauveur et l’exaltant. C’est la première eucharistie de l’Évangile : action de grâce, mémoire, acquiescement à la volonté de Dieu, communion, don de soi, louange. Marie a reçu Jésus, la Parole de Dieu qui advient en elle. Elle a couru par la montagne à la rencontre de sa cousine. Intérieurement, elle a eu tout le loisir de lui dire : « Viens ! ». Élisabeth le confirme dès son entrée dans la maison : Il est là. Dieu parmi nous, en nous. Il se manifeste par la bouche de Marie. Ce chant est la Joie incarnée. Douce et forte à la fois, une extase pleine d’harmonie. Une sortie de soi en communion avec Dieu et avec l’autre, dans le cercle de l’alliance.

     

    Le Magnificat (Lc 1, 46-55) :

    « Marie dit alors :

    « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !

    Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse.

    Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom !

    Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

    Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.

    Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.

    Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.

    Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour,

    de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. » »

     

    Comme l’écrit Christian Salenson [dans Catéchèses mystagogiques pour aujourd’hui – Habiter l’Eucharistie (ch. Une vie eucharistique avec Marie)], Marie « lisait les Écritures », était pétrie de judaïté. Et elle a été « visitée par la Parole. Plus encore, elle va concevoir le Verbe de Dieu. La Parole va prendre corps en elle. »

    De même, « l’Église, quand elle se met à l’écoute des Écritures prend le risque d’être enfantée par la Parole. Toi, quand tu lis les Écritures, tu es en situation d’annonciation ! Tu prends le risque que la Parole prenne corps en toi, « efficace et incisive plus qu’une épée à deux tranchants »[2]. La Parole peut pénétrer en toi jusqu’au plus profond de ton être, jusqu’aux « articulations »[3] de ton existence.
    La Parole éternelle de Dieu ne désire rien tant que de s’incarner, de trouver une chair, que de prendre corps dans une existence comme elle a pris corps dans la Vierge Marie. »

    artisans de paix,christianisme,islam,paula kasparian,sandrine treuillard,la maison soufie,esprit saint,adrien candiard,foi,consciencePar là, nous revenons à la première Demeure, à notre vocation de lire l’Écriture sainte pour y recevoir l’amour de Dieu. La boucle est bouclée. Ou plutôt, l’alliance se concrétise, le cercle s’anime du mouvement de la vie, du souffle de l’Esprit. Comme dans le labyrinthe de Chartres que reprend le logo de l’association, en le parcourant il nous semble par moment nous éloigner du centre. Mais c’est pour mieux y revenir, et s’en rapprocher. Car finalement, le centre demeure en nous. Dieu nous habite comme Marie est investie par l’Esprit à l’Annonciation. Mais nous en prenons conscience par vague, dans notre marche oscillante. Notre désir nous le rappelle. Et c’est lors de nos visitations, dans la vraie rencontre de l’(A)autre, que cette inhabitation nous est confirmée.

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    Sandrine Treuillard
    22 avril 2019, Lundi de Pâques

    Chargée de mission de la Fraternité Eucharistique (catholique) d'Artisans de Paix

     

     

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    [1] « Une fois remonté de la piscine des saintes eaux, ce fut la chrismation, l’image exacte de celle dont fut chrismé le Christ. Je veux dire l’Esprit Saint… Le Christ a été chrismé de l’huile spirituelle d’allégresse, c’est-à-dire de l’Esprit Saint appelé huile d’allégresse, car il est l’auteur de l’allégresse spirituelle. » Cyrille de Jérusalem, in 3ème catéchèse mystagogique.

    [2] He 4,12

    [3] He 4,12

     

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    La Visitation :  Mystère de l'hospitalité réciproque
    & f
    igure de toute vraie rencontre - avec Christian de Chergé

     

     

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  • Les trois algériens de l’Annonciation et l'oiseau spirituel

    Bonjour Élisabeth, Guy & Muguette, 

    J'ai repris ce jour la lecture de votre blog Tibhirine 2019.

    Merci pour le titre "Un peuple fabuleux", qui me touche beaucoup, car j'aime aussi l'Algérie, même si je n'y ai (encore) jamais mis les pieds.

    J'ai un beau frère kabyle, Menad, et ma nièce, Esther, qui a 6 ans et 1/2, a du sang algérien pour moitié dans les veines ! En février dernier, elle y a fait son premier séjour.

    J’ai reconnu l’allusion au texte du Père Armand Veilleux, la rencontre de l’Autre au cœur de la violence, dans le premier jour de votre An 2 à Tibhirine.

    Demain, jeudi 28, je pars pour l'Abbaye de Hautecombe où a lieu, jusqu'à dimanche, une session œcuménique :

    La vie de l'Esprit : une expérience de l'Unité.

    Avant mon départ, je viens vous raconter ceci qui m'est arrivé il y a deux jours et noté dans mon journal spirituel, et que je mets un peu en forme ici, pour vous. J’intitule ce texte Les trois algériens de l’Annonciation.

     

    albatros.jpgCe mardi 25 mars 2019, jour de l'Annonciation, il était midi quand je revenais d'une course dans les Hauts de Vanves. Arrivée au carrefour de la rue de la forge et à la naissance de l'allée aux arbres en fleurs, sur la place Kennedy, là, devant le Franprix, j’ai vu une voiture s’arrêter au niveau du passage-piétons alors que deux hommes en tenue de peintres en bâtiment s’y engageaient. Elle les laissa passer, tandis que le troisième homme était resté en arrière, sur le trottoir, une baguette de pain à la main. Il interpela les deux autres qui avaient ‘forcé’ l’arrêt de la voiture en s’engageant sur le passage-piétons. Lui choisit de laisser passer la voiture, puis rejoignit les deux autres en disant quelque chose que je perçus mal, ponctué d’un ‘kif-kif’. Ce faisant, j’avais moi-même traversé la rue de la forge, arrivant par la place de la République, étant passée devant l’église Saint-Rémy. Quand je m’engageai dans l’allée des arbres aux fleurs d’ivoire, je me suis retrouvée au même niveau que les trois travailleurs en bâtiment qui allaient prendre leur pause-déjeuner. Celui qui tenait la baguette et semblait doucement tancer les deux autres, m’adressa la parole. Il continuait ce qu’il leur adressait mais, soudain, il m’inclut comme témoin de sa pensée. La phrase qu’il disait en traversant la rue, tout en désignant de sa baguette ses deux compères, était : « Les algériens traînent toujours ! ». Il répéta cette phrase, cette fois à mon intention : « Les algériens, ça traîne toujours ! » avec son accent typique. C’est par mon visage que je lui ai répondu, par une moue, de surprise mêlée à ma tristesse, et à de la compassion, alors que je comprends très bien ce sentiment d’errance des immigrés et fils d’immigrés. Oui, ce sentiment d’errance m’est familier et je pensais en moi-même, tous ces gestes et ces pas se faisant, que moi aussi je suis encore en errance, pas fixée, française, oui, là, mais en attente de me fixer vraiment. Il a dit de très belles paroles, sans animosité. Des paroles teintées d’une sagesse populaire, d’une expérience que le temps a polie et rendue sage. Il put me dire qu’il était né en Espagne et que maintenant il vivait en France. Que les algériens sont comme des oiseaux*. Ils touchent la terre mais n’y restent pas. Il se confiait sans se lamenter, exprimait sa souffrance avec légèreté, et celle des siens. Je lui fis comprendre que je le comprenais. J’en avais moi-même gros sur le cœur, pour d’autres raison que les leurs, et, gardant tout à l’intérieur, sa peine toucha la mienne, la rencontra, la bonifia. Dans mon cœur, je lui répondais que moi non plus je ne suis pas fixée. Il disait que ‘nous les français’ nous sommes fixés et que ‘nous les algériens, on est comme des oiseaux’. Au bout de l’allée, comme j’allais traverser la rue pour continuer dans le Parc Pic, rentrant ‘chez moi’ (chez Philippe le jardinier, en fait, chez lequel je suis hébergée à titre gratuit, lui-même chrétien et miraculé de la guerre d'Algérie, porte-drapeau…), et lui bifurquant à droite avec ses deux compagnons de travail qui l’avaient devancé, je lui dis que, peut-être, un jour, j’allais aller moi aussi en Algérie… Et il me répondit : « Oui madame ! Inch ‘Allah ! » sans y croire lui-même, habitué à rêver la réalité pour la supporter, et moi y croyant tout de même un peu plus que lui. « Inch’ Allah ! » lui ai-je répondu à mon tour. Et il brandissait la baguette de pain, déjà un peu plus loin, en signe d’à-Dieu… Je n’ai pas eu le temps de lui dire que ma nièce était ‘kif-kif’ franco-algérienne, que j’avais eu un petit Augustin perdu en fausse couche ainsi nommé à cause du grand Augustin d’Hippone… Mais j’y ai pensé très fortement, et à toutes les strates de ma vie qui croisent des algériens ou des fils d’algériens connus de par mon passé, et d’autres au présent. Comme ceux de La Maison Soufie à Saint-Ouen.

    Le lendemain matin, j’ai pensé à cette scène, et je l’ai écrite dans mon journal spirituel. C’était le jour de l’Annonciation. J’avais ‘le nez dans le guidon’, ce jour-là, pleine de tristesse. Ils étaient trois. Comme les trois hommes de passage par la tente d’Abraham, l’attendant sous l’arbre de Mambré, alors qu’il demanda à Sara d’aller préparer trois galettes…

    Je ne pense pas que ces trois algériens soient spécialement religieux ; de culture et tradition musulmane, oui, mais sans doute pas pratiquants, dans notre société française laïcisée. Je ne pus m’empêcher de penser à Christian de Chergé, à Tibhirine, à mes lectures de Christian Salenson à son sujet et à ce désir qui m’habite de vivre le dialogue interreligieux tel que le Ribât es-Salâm, à Notre-Dame de l’Atlas, l’avait engagé, avec les leçons que nous pouvons en tirer pour continuer. Ici en France et en Algérie.  

    perdrix.jpgCes trois algériens ont été trois oiseaux dont l’un m’effleura de son aile, de façon si proche, qu’il fit une mince entaille en mon cœur de petite perdrix française dont les traces des pattes s’effacèrent dans le Parc Pic, aussitôt passée…

    Sandrine Treuillard
    25-27 mars 2019, Vanves

     

    * À l'écoute de cette émission du 21 avril 2019, Louis Pernot nous dévoile le sens de l'oiseau spirituel, à partir de la 21ème minute et 20 secondes. Je retranscris ses mots :

    Commentaire du Psaume 55, verset 7 par le Pasteur Louis Pernot - émission Hébreu biblique du 21 avril 2109, sur Fréquence protestante.

    Voici les 8 premiers versets (trad. AELF) de ce psaume de David 54 (55) (David signifie ”amour” en hébreu, nous précise L. Pernot).

    02 Mon Dieu, écoute ma prière, n'écarte pas ma demande. *

    03 Exauce-moi, je t'en prie, réponds-moi ; inquiet, je me plains.

    04 Je suis troublé par les cris de l'ennemi et les injures des méchants ; * ils me chargent de crimes, pleins de rage, ils m'accusent.

    05 Mon cœur se tord en moi, la peur de la mort tombe sur moi ; *

    06 crainte et tremblement me pénètrent, un frisson me saisit.

    07 Alors, j'ai dit : « Qui me donnera des ailes de colombe ? + Je volerais en lieu sûr ; *

    08 loin, très loin, je m'enfuirais pour chercher asile au désert. »

    09 J'ai hâte d'avoir un abri contre ce grand vent de tempête ! *

    Le verset 7 est ainsi traduit de l’hébreu par Louis Pernot :

    « Qui me donnera un plumage de la colombe afin que je m’envole et que je demeure ? »

    Et il le commente ainsi :

                esprit saint,algérie,tibhirine,armand veilleux,artisans de paix,foi,sandrine treuillard,christianisme,islam,laïcité,communauté du chemin neuf« La colombe est un animal important dans la Bible. Malheureusement, souvent mal compris dans notre société actuelle, puisqu’aujourd’hui la colombe est le symbole de la paix. Alors que dans la Bible, la colombe renvoie en fait à Noé sur son arche qui laisse s’envoler l’oiseau. Donc la colombe - qui est en plus un corbeau, au début -, s’envole et à un moment donné elle revient avec un rameau d’olivier dans le bec, pour signifier qu’il y a de la terre ferme quelque part. Et à un autre moment elle s’en va et ne revient pas, ce qui prouve qu’elle a dû trouver un endroit où se poser. La colombe est donc là le signe du fait que l’épreuve est terminée. Et donc ”qui me donnera un plumage de colombe ?” ne signifie pas forcément que je puisse m’envoler moi-même (encore que… c’est ce qu’il dit après), mais que moi-même j’ai cette capacité à pouvoir signaler la fin de l’épreuve.

                Mais ce qui est intéressant c’est qu’il ne demande pas simplement une colombe pour lui indiquer que, en effet, le déluge ou l’épreuve s’arrête. Mais il veut lui-même être colombe et lui-même s’envoler et trouver une demeure loin de là où il est. C’est-à-dire qu’il veut lui-même être signe, peut-être, pour les autres, de la fin de l’épreuve. Parce que la colombe, elle sert pour les autres. La colombe n’est qu’un signe pour Noé. Et finalement peut-être que la solution est non seulement d’avoir pour soi un signe qu’il y a une terre ferme quelque part, qu’il y a une espérance, qu’”il y a un endroit où on pourra reposer ses pattes”, mais aussi de l’être pour les autres. Et c’est quand on l’est pour les autres qu’on l’obtient pour soi. C’est pourquoi le psalmiste dit là une chose absolument merveilleuse mais tout à fait originale. Il ne dit pas ”Envoie-moi, Seigneur, une colombe pour que je puisse savoir qu’il y a quelque part du repos”. Il dit : « Qui me donnera à moi d’être colombe ? », je dirais, sous entendu, pour les autres, c’est-à-dire que je puisse être effectivement signe de libération pour les autres. Et c’est quand on est signe d’espérance pour les autres que l’on peut, à fortiori, trouver de l’espérance pour soi.

    esprit saint,algérie,tibhirine,armand veilleux,artisans de paix,foi,sandrine treuillard,christianisme,islam,laïcité,communauté du chemin neuf« Avoir les ailes de la colombe » c’est encore autre chose puisque si la colombe est le signe de cette libération dans la Bible, elle est aussi l’image du Saint Esprit. En effet, lors de la Création, il est écrit : « L’esprit de Dieu planait à la surface des eaux ». Le Saint Esprit est l’image de l’oiseau qui plane au-dessus de sa Création. C’est pourquoi la colombe, en particulier, est le symbole du Saint Esprit, de cette présence de vie qui plane en descendant du ciel vers la terre, c’est-à-dire de Dieu vers les hommes. (C’est pourquoi les protestantes sur leur croix huguenote portent cette colombe à laquelle elles sont toutes très attachées et qui représente le Saint Esprit.) Le psalmiste demande donc d’avoir les ailes de la colombe, c’est-à-dire d’être revêtu du plumage du Saint Esprit. Ça, c’est vraiment une très belle chose. En effet, on ne peut pas être soi-même l’incarnation de l’Esprit. L’Esprit, nous en bénéficions. Mais ce qu’il demande, c’est d’avoir les ailes du Saint Esprit et que grâce à ce plumage du Saint Esprit que Dieu peut nous donner, nous puissions nous envoler, c’est-à-dire nous rapprocher de Dieu et remonter vers Dieu plutôt que de rester dans la fange, dans la boue et dans l’épreuve de cette terre. Et c’est l’Esprit lui-même, le Saint Esprit de Dieu, cette puissance de Dieu, qui peut nous permettre de nous envoler pour monter vers Lui. Et là, il y a une théologie très sûre, qui n’est justement pas une théologie ni du mérite, ni de l’action propre de l’homme - c’est-à-dire théologie des œuvres qui pourrait dire ”sois sages”, « fais des bonnes œuvres”, ”repends-toi et à ce moment-là tu pourras t’élever vers Dieu” - mais il dit qu’il ne pourra s’élever vers Dieu que si Dieu lui donne les ailes de la colombe, c’est-à-dire que si Dieu lui donne les ailes du Saint Esprit.

                Nous ne pouvons donc nous élever vers Dieu que par l’aide de Dieu et non pas par nos propres mérites ou nos propres œuvres. Et, effectivement, « Qui donnera ? », bien entendu, c’est Dieu. On sait très bien qu’il n’y a que Dieu qui peut nous donner cette puissance de l’Esprit. Il dit donc « et enfin je m’envolerai », c’est-à-dire je vais pouvoir aller vers Dieu, m’élever vers Dieu, monter vers le ciel, « et je demeurerai ». Alors, où est-ce qu’il va demeurer ? Si l’oiseau s’envole où va-t-il demeurer ? Il va demeurer dans le ciel. Il ne va pas s’envoler pour aller demeurer par terre. Alors peut-être que ”demeurer dans le ciel” c’est justement faire sa demeure en Dieu. Et la meilleure chose qu’on puisse faire c’est demeurer dans la présence de Dieu et demeurer avec Dieu, comme Dieu également doit demeurer en nous. Cet aspect a été développé très longuement dans l’Évangile de Jean quand Jésus dit : « Afin que je demeure en toi et que tu demeures en moi, que mes disciples demeurent en moi, qu’ils demeurent en toi ». Ainsi, l’idée de demeurer en Dieu est la chose absolument essentielle.

                Maintenant, l’idée de demeurer en elle-même peut-être aussi de demeurer, c’est-à-dire de trouver un endroit où habiter, tout simplement. Parce qu’il peut y avoir un sentiment, dans celui qui est éprouvé, qu’« il n’a plus aucun endroit où reposer sa tête » et qu’« il ne trouve de repos nulle part ». L’éprouvé a besoin de trouver un endroit de repos, un endroit de confort et de tranquillité et ce lieu peut-être justement la présence de Dieu qui lui permet de demeurer. À moins que, justement, il s’envole et qu’il demeure, sous entendu, nulle part, parce que le Talmud dit qu’en fait la colombe ne se repose jamais, qu’elle ne trouve aucun endroit pour se reposer. Il paraît que certains oiseaux ne se posent jamais nulle part, qu’ils volent toute leur vie. Le Talmud avait remarqué cela, sans doute, et il dit que la colombe – ce n’est peut-être pas vrai de la colombe… - mais il dit que quand la colombe est fatiguée, elle replie une aile pour la reposer pour voler avec l’autre. Ce n’est sans doute pas très ornithologiquement juste, mais l’idée est assez belle : la demeure que propose le psalmiste, ce n’est pas de dire : ”je vais être peinard dans mon coin, ne plus bouger, ne plus rien faire et rester tranquille”, dans une sorte d’ataraxie, mais c’est une demeure en vol. Il va voler, aller vers Dieu, être en mouvement, et être en marche, et là va être sa demeure. Une demeure dynamique qui consiste à demeurer en Dieu en restant toujours en l’air avec Dieu et c’est ainsi qu’il peut trouver le repos auquel il aspire.

                Voilà donc la prière du psalmiste dans cette grande épreuve que nous avons évoqué dans le psaume 55, verset 7 et nous continuerons à partir du verset 8 la prochaine fois. »                       

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  • Genèse d'une rencontre d'Artisans de Paix

    Voici le texte de présentation de la nouvelle page enrichie de La Vaillante :

    Artisans de Paix - ou le désir de rencontrer l'(A)autre

    Logo Artisans de Paix.jpg

    Genèse d'une rencontre d' artisans de paix

     

                Le 19 janvier 2018, Paula Kasparian m’appela au téléphone pendant 1h47 où elle me présenta l’association Artisans de Paix (site : artisans-de-paix.org) dont elle est la présidente. Cette association de dialogue œcuménique et interreligieux, je ne la connaissais pas.

    Genèse Livre des Miroirs Artisans de Paix.jpgLe 13 mars suivant, à l’occasion d’une soirée de conférences intitulées La communion des saints, horizon et fondement des Fraternités Artisans de Paix, je fis une présentation d’un livre écrit à 4 mains en 2014 (non édité) pour le dialogue islamo-catholique à partir de textes de la tradition respective des deux fois, Miroir catholique et Miroir musulman. C'est Camel Bechikh de l'association Fils de France qui m'avait mise en contact avec le futur auteur du Miroir musulman, spécialiste du soufisme, Slimane Reski. Le livre des miroirs, c’est son titre, a alors trouvé un espace où vivre cette rencontre des spiritualités avec Artisans de Paix. Ce soir du 13 mars 2018, l’enseignant en hagiologie de l’Institut Saint-Serge, Anatole Negruta, attisa ma curiosité sur la vision orthodoxe du saint Sacrement. (Ci-dessous : Dessin pour présenter la Genèse du Livre des miroirs)

    Genèse Livre des Miroirs Artisans de Paix2.jpg

                Quelques temps plus tard, j’assistai pour la première fois aux vigiles du samedi à l’église orthodoxe Alexandre Nevsky de la rue Daru (Paris 8), où le geste des fidèles embrassant les icônes m’a beaucoup touchée, ainsi que les allers-venues du prêtre entre le Saint des saints et l’ensemble de l’église qu’il encensait abondamment dans les chants profonds des voix masculines russes.

              Le 2 juin 2018, j'assistais au concert en avant-première Les Voix de l'Unité dans la chapelle du séminaire Saint-Sulpice d'Issy-les-Moulineaux dont c'était les portes ouvertes et commandai l'album édité en septembre. Comme le dit la jaquette : "cet album est le fruit de l'amitié entre de futurs prêtres catholiques et orthodoxes : ceux du séminaire Saint-Sulpice d'Issy-les-Moulineaux et ceux du séminaire russe Sainte-Geneviève d'Épinay-sous-Sénart (Essonnes). Formant un même chœur, ils partagent leurs si riches traditions liturgiques et musicales." Ce très beau moment d'œcuménisme en action m'amène à souhaiter inviter le Père Alexandre Siniakov, recteur du séminaire orthodoxe russe, à venir nous parler de la vision orthodoxe de la Présence réelle au Saint Sacrement et celle de la présence sacramentelle dans les icônes. 
     

    Ste Jeanne de France (anonyme).jpgLe 20 novembre 2018, nous avons eu une réunion de prière interreligieuse à La Maison Soufie de Saint-Ouen, un de ces précieux espaces où vivre la rencontre de nos spiritualités, où j’ai donné en partage ceci : Faire silence pour écouter - Prière de la Fraternité Eucharistique (catholique) d'Artisans de Paix. Le président de cette association est le maître soufi (Hajj) Abd El Hafid Benchouk, chargé de mission de la Fraternité Islamique d'Artisans de Paix.

     

     

                Le week-end suivant, nous avions la retraite interreligieuse annuelle des Artisans de Paix au Centre Spirituel Carme d’Avon, où a été confirmé mon désir de pénétrer dans les profondeurs de la spiritualité des orthodoxes, grâce à l’enseignement du Pasteur Alain Joly (chargé de mission de la Fraternité Eucharistique (luthérienne) d'Artisans de Paix). Le thème général de cette retraite était : À la suite d’Elie, écouter la voix du silence fin : entrer dans le geste éternel de la création. Le pasteur Alain Joly nous a fait découvrir, dans le texte grec, au début de la lettre de saint Paul aux Colossiens, l’hymne « Le Christ, premier-né avant toute création » (Col 1, 12-20).

    Dans la joie, vous rendrez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière.

    Nous arrachant au pouvoir des ténèbres, il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé : en lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés.

    Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui.

    Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui.

    Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté.

    Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel.

                Au cours de sa méditation de l’hymne, le pasteur a évoqué le Christ image de Dieu, « icône » en grec, qui désigne la substance. Et au milieu de l’hymne, le 55ème mot « sunestèkèn » signifie "se tient". Le Christ est l’accès à Dieu, sa récapitulation, l’agir du Christ qui tient tout. "En lui tout se tient". Dans l’hymne en grec, ce mot « sunestèkèn » est précédé de 54 mots, et 54 mots le suivent jusqu’au point final. Ce terme est donc le pivot du texte grec (souligné en rouge dans l’image ci-dessous) en harmonie avec le sens profond de « sunestèkèn » indiquant le Christ comme l’accès même à Dieu, en qui Dieu récapitule toute sa création, dont il est la tête.

    Hymne Col 1,12-20.jpg

                Tandis que le pasteur nous révélait quelques-uns des mystères de cette hymne aux Colossiens, l’image d’une icône qui m’est familière (puisque je prie avec elle tous les matins) s’invita à mon esprit et prit toute la place. En fin d’enseignement le pasteur nous lut un extrait du livre de la Sagesse [au chapitre 7 où la sagesse est : "effluve" (de la puissance de Dieu), "émanation", "reflet", "miroir sans tache" (de Dieu), "image" (icône)], que je reproduits ici avec la petite image de cette icône orthodoxe russe du XVIIè intitulée, en italien, Sagesse et Rédemption. J’avais cette petite image sur moi. Je la montrai au pasteur qui me dit plus tard que l’icône est la vérité (« Vera icona » : véronique située en haut à gauche du portrait du Christ).

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                Entretemps, le 5 décembre 2018, lors du Conseil d’Administration, je suis devenue chargée de mission de la Fraternité eucharistique (catholique) des Artisans de Paix. Était confirmé par-là mon désir de poursuivre plus particulièrement la rencontre interreligieuse avec l’islam et de pénétrer la spiritualité orthodoxe.

    Le 15 décembre 2018, Paula Kasparian, Jean-Luc Castel (chargé de mission de la Fraternité Bouddhique d’Artisans de Paix) et moi-même étions invité par l'imam Tarik Abou Nour (chargé des Relations Publiques des Artisans de Paix avec les traditions musulmanes) à exposer les enjeux et méthodes du dialogue interreligieux à la Grande Mosquée d'Évry-Courcouronnes, où nous accueillit le recteur et fondateur de l'Association Culturelle des Musulmans d'Île-de-France, Khalil Merroun.

    Icône Christ Mont Athos.jpgLe 20 janvier 2019, en fin de la semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, je sortais d’une petite retraite au Centre Spirituel Carme d’Avon autour pour découvrir le Grand Carême orthodoxe avec l’église orthodoxe roumaine locale (représenté par le Père Emilian Marinescu). C’est le passionnant Père Marc-Antoine Costa de Beauregard (chargé des homélies sur l’émission hebdomadaire « Lumière de l’Orthodoxie » de Victor Loupan, sur Radio Notre-Dame…) qui nous dévoila la vision orthodoxe du Carême. Ce dimanche-là, Paula m’avait demandé d’animer les chants de la messe pour l’unité plurale des Artisans de Paix. Ce que je fis avec bonheur, et pour la première fois…

                Voici que vous est donc conté ma première année avec Artisans de Paix. Cette page enrichie vous communiquera des textes de fond ayant trait à la vie de l’association, mais pas seulement. D’autres propositions se font jour qui alimentent mon engagement dans la rencontre œcuménique et interreligieuse.

    Reliquaire, Icône, Autel.jpgAinsi de la théologie développée par le bienheureux Christian de Chergé, prieur du monastère Notre-Dame de l’Atlas à Tibhirine (Algérie), au contact des musulmans. J’ai eu la chance de bénéficier durant une année des homélies du moine cistercien Armand Veilleux, en résidence au monastère des bénédictines de Vanves (Prieuré Sainte-Bathilde, où j’ai moi-même résidé de l’été 2016 à l’été 2017. J’habite maintenant dans Vanves). Cet abbé émérite de Chimay (abbaye de Scourmont) fut très proche de la communauté des moines de Tibhirine, ayant été le numéro deux de l’ordre cistercien-trappiste. Deux mois avant leur enlèvement, il effectuait une retraite comme visiteur général là-bas. À son retour de la béatification des 19 martyrs d’Algérie à Oran, le 8 décembre 2018, je le rencontrai à Vanves à trois reprises, avant qu’il ne rentre en Belgique. Il accepta de me communiquer le texte d’une conférence qu’il donna à Bruxelles à l’occasion des 20 ans de leur assassinat, pour célébrer leur vie donnée : La rencontre de l’Autre au cœur de la violence : Le message des sept moines de Tibhirine

                Enfin, je prépare en ce moment un texte sur la spiritualité de la rencontre avec les musulmans, par Christian de Chergé, avec l’épisode évangélique de la Visitation… Vision prophétique du dialogue interreligieux ! À suivre…

    Jehanne Sandrine du SC & de la SE.jpgSandrine Treuillard

    Chargée de mission de la Fraternité Eucharistique (catholique)
    des Artisans de Paix
     

    La Visitation d'Arcabas.jpg

    La Visitation d'Arcabas
    voir le texte du Père Pascal Sevez, s.j. :

    https://psevezsj.com/2017/08/15/la-visitation-darcabas/

     

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  • La rencontre de l’Autre au cœur de la violence : Le message des sept moines de Tibhirine

    Le Père Armand Veilleux était procureur de l’ordre des moines Trappistes-Cisterciens en 1996. Deux mois avant l’enlèvement des sept moines de Tibhirine (nuit du 27-28 mars 1996), il faisait une visite canonique à Notre-Dame de l’Atlas. En 2003, il a porté plainte auprès de la justice française, au nom de l’Ordre (l'Ordre cistercien de la Stricte Observance), pour que la vérité soit faite sur les circonstances de leur assassinat. Il est actuellement abbé émérite de Scourmont (Chimay), en Belgique. Dans cette conférence qu’il donna à Bruxelles en 2016, il expose le message spirituel de la vie des moines de Tibhirine qui ont été béatifiés le 8 décembre 2018, à Oran.

    Reliquaire, Icône, Autel.jpg

    Reliquaire contenant : la Bible du Bhx Christian de Chergé ; l'anneau de la Bhse Esther Paniagua Alonso ; l'étole du Bhx Pierre Claverie ; Icône des 19 martyrs d'Algérie béatifiés ce 8 décembre 2018, en la solennité de l'Immaculée Conception à Notre-Dame de Santa-Cruz d'Oran. Devant l'autel du Monastère de Tibhirine. Arrêt sur image de la messe de béatification des 19 martyrs d'Algérie, le 8 décembre 2018 à Notre-Dame de Santa-Cruz, à Oran, vidéo produite par KTO.

    La rencontre de l’Autre au coeur de la violence

    Le message des sept moines de Tibhirine

    Les 7 moines martyrs de Tibhirine.jpg

                Il y a déjà 20 qu’un groupe de sept moines cisterciens-trappistes étaient enlevés, puis tués en Algérie. Leur mort suscita de vives émotions ainsi que de quasi-unanimes condamnations dans tout le monde occidental, aussi bien musulman que chrétien. C’est du sens de leur vie, encore plus que de leur mort, que je voudrais vous entretenir ce matin.

                Je rappelle tout d’abord très rapidement les faits, qui sont d’ailleurs assez bien connus : Au cours de la nuit du 25 au 26 mars 1996 un groupe d'hommes armés fit irruption dans le monastère de Notre-Dame de l'Atlas à Tibhirine en Algérie et séquestra les sept moines qu'ils y trouvèrent. Au bout d’une longue attente d'environ un mois, durant laquelle on ne sut rien ni d’eux ni de leurs ravisseurs, un premier message signé par un chef du GIA (Groupe Islamique Armé) du nom de Djamel Zitouni revendiquait l'enlèvement des moines et proposait au président de la République française leur libération en contrepartie de celle de prisonniers islamistes. Finalement, après un autre mois d’attente, au cours duquel il y eut diverses tractations sur lesquelles la lumière n’a pas encore été faite totalement, et qui échouèrent, un deuxième communiqué annonçait leur mort. Quelques jours plus tard on célébrait dans la cathédrale d’Alger leurs funérailles, en même temps que celles du Cardinal Duval, décédé quelques jours auparavant, et ils étaient enterrés dans le cimetière du monastère à Tibhirine même, en présence d’une population locale entièrement musulmane qui les aimait et qui pleurait leur mort.

                Ceci est évidemment un résumé très bref des faits. Pour les interpréter, je crois que nous pouvons prendre notre inspiration dans le Testament de Dom Christian de Chergé, prieur de la communauté de Tibhirine et l’un des sept moines assassinés. Ce testament spirituel écrit deux ans avant les événements et ouvert le dimanche de la Pentecôte 1996, quelques jours après l’enterrement des moines, restera sans doute l’une des plus belles pages de la littérature religieuse du 20ème siècle. Les premières lignes de ce Testament nous donnent tout de suite le cadre de notre analyse : 


    « S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui –

    d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant

    tous les étrangers vivant en Algérie,

    j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille,

    se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays.

    (…)

    Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat. »
               

    Christian de Chergé Séminaire Carme.jpg            Christian est un moine qui a choisi de vivre dans la solitude une communion avec Dieu. Il sait cependant qu’une communion authentique avec Dieu n’est pas possible sans une communion tout aussi authentique avec ses frères, comme avec l’Église et la société. Il conserve tous ses liens avec ceux qu’il appelle, non sans une touche d’intimité : ma communauté, mon Église, ma famille. Sa vie n’a pas été simplement « donnée à Dieu » ; mais ce don à Dieu a été incarné dans un don à « ce pays », l’Algérie, qu’il aimait tant. Et, finalement, il n’oublie pas que s’il était victime de la violence qui engloutissait alors l’Algérie, il ne serait qu’une des milliers de victimes de la même violence.  

    Les moines de Tibhirine -groupe.jpg

                Ce texte fut rédigé dans un contexte bien précis du drame algérien. Il porte deux dates : « Alger, 1er décembre 1993 et Tibhirine, 1er janvier 1994 ». La première date correspond au moment où, après les attentats dans le métro de Paris et la prise d’otage des passagers d’un Airbus français qui s’était terminée dans le sang à l’aéroport de Marseille, le GIA (Groupe islamiste armé) demandait à tous les étrangers de quitter l’Algérie, les menaçant de mort. C’est le jour où Christian rédigea la première mouture de son Testament. Le texte reçut sa forme finale un mois plus tard. Entre-temps, divers événements tragiques étaient survenus. D’abord douze ouvriers Croates chrétiens avaient été égorgés à Tamezguida, à quelques kilomètres du monastère et, durant la soirée du 24 décembre, six islamistes armés s’étaient présentés au monastère en présentant des requêtes et des exigences. Durant les jours suivants les moines avaient longuement réfléchi en communauté sur l’opportunité de rester ou de partir. Ils avaient finalement opté unanimement pour rester. Parmi les raisons de rester étaient leur solidarité avec la population locale. Or, pour comprendre la nature et l’importance de cette solidarité, il faut retourner encore un peu plus haut dans l’histoire et considérer le contexte de l’implantation de cette communauté monastique en terre algérienne.

     

    ... Un peu d’histoire de l’Algérie

                Il y avait eu une chrétienté florissante en Afrique du nord au temps de Tertullien et de Cyprien de Carthage et d'Augustin d'Hippone. Cette partie de l'Afrique était alors une colonie romaine. Lorsque Augustin mourut les barbares étaient aux portes de Carthage, et l'église latine d'Afrique du Nord ne survécut guère à l'écroulement de l'Empire romain d'Occident. Elle avait à peu près déjà disparu au moment des invasions musulmanes.

    Une première fondation trappiste fut faite en Afrique du Nord du temps de la colonisation française, à Staouëli, à 17 kilomètres à l'ouest d'Alger. Fondée par l'abbaye d'Aiguebelle en 1843, treize ans après la conquête de l'Algérie par les Français, cette fondation avait acquis une certaine notoriété par son développement rapide. Elle était toutefois très liée au système colonial, dans son esprit et son mode d'implantation. Elle fut fermée en 1904. Notre-Dame de l'Atlas, une nouvelle communauté, d'un style et d'un esprit très différent fut fondée à proximité de Médéa quelque 30 ans plus tard.

                Comme beaucoup de monastères nés au 19ème siècle, ou au début du 20ème, la communauté de Notre-Dame de l'Atlas commença comme un refuge. Un groupe de moines du monastère de Notre-Dame de la Délivrance en Slovénie, dans la crainte d'être chassés, ouvrirent un refuge à Ouled-Trift en 1934, transféré à Ben Chicao en 1935 et à Tibhirine, à 7 kilomètres de Médéa, en 1938. Le refuge fut alors assumé par l'abbaye française d'Aiguebelle et transformé en véritable fondation, qui devint bientôt une communauté monastique autonome. C’est sans doute partiellement à cause de ces humbles débuts que cette communauté établit des relations d'amitié et de collaboration avec la population locale qui, en quelque sorte, l'adopta. Ces liens établis avec la population locale, permirent à la communauté, même si elle était composée entièrement de Français, de passer sans grandes difficultés à travers la guerre d'indépendance d'Algérie. L'un des moines, le frère Luc, fut bien pris comme otage par le FLN, mais libéré au bout de quelques jours, dès qu’on sut qui il était.

                Ce frère, qui était médecin, eut un impact énorme sur le développement de la communauté et surtout sur son intégration dans la société locale, longtemps avant l'Indépendance de l’Algérie. Né en 1914, il avait connut encore enfant les terribles violences de la première Guerre Mondiale et les souffrances de l'après-guerre. Jeune médecin, il connut les violences de la seconde Guerre Mondiale, au cours de laquelle il se porta volontaire pour soigner les prisonniers dans les camps de concentration nazis. Entré ensuite à l’abbaye d’Aiguebelle, en France, il arrivait en Algérie en 1946. Aussitôt, il ouvrit dans l'enceinte du monastère un dispensaire où, depuis cette date jusqu'à sa mort en 1996 – donc, durant un demi-siècle – il soigna quiconque se présentait à lui, sans regard à la nationalité, à l'appartenance politique ou à la religion. Tous l'aimaient et le respectaient parce que tous se savaient aimés et respectés de lui. Au début, son dispensaire suppléait à l'absence de services publics de santé. Si l'on continua à venir à lui longtemps après l'installation d'autres dispensaires et d'hôpitaux publics dans la région, c'est qu'on trouvait chez lui non seulement un toubib au diagnostic presque toujours exact, mais aussi un homme de Dieu incarnant dans son mode d'être, à la fois très humain et très surnaturel, la sollicitude pastorale du Fils de Dieu. Homme d'une grande liberté intérieure, muni d'un sens de l'humour désarmant, il n'avait peur de rien ni de personne. Aucune menace, de quelque quartier qu'elle vienne, n'aurait pu l'empêcher de témoigner jusqu'au bout, même au risque de sa vie, l'amour universel à quiconque avait besoin d'être soigné.

                L’année 1946, durant laquelle frère Luc était arrivé à Tibhirine marquait l’arrivée en Algérie, comme évêque de Constantine, de Monseigneur Léon-Étienne Duval (qui deviendra le Cardinal Duval), un homme qui marqua profondément l'Église d'Algérie et aussi la communauté de Tibhirine. Nommé à la tête de l'archidiocèse d'Alger en 1954, vers la fin de la période coloniale, alors que rien ne semblait l'avoir préparé à une situation aussi complexe, il s'était révélé l'homme de l'heure. Au cours de la guerre d'indépendance, il se fit respecter de tous, sauf des extrémistes d'un côté comme de l'autre, en affirmant sa foi en la possibilité pour tous – Algériens et Français, musulmans et chrétiens – de vivre en frères et dans l’harmonie. Il ne cessa de condamner la violence – toutes les violences, de quelque côté qu'elles viennent. C'était une prise de position fort dangereuse, et c'est un miracle qu'il n'ait jamais été éliminé. Dieu a voulu qu'il demeure, jusque dans un âge avancé et longtemps après l'abandon de ses fonctions officielles, un témoin fidèle de ce type de témoignage chrétien. Les moines de Tibhirine incarnaient le témoignage qu'il avait lui-même vécu tout au long de son épiscopat ; et c’est sans doute la peine profonde causée par l'écroulement apparent de la cohabitation et de la forme de fraternité universelle qu'il avait désirée en Algérie, qui fut la cause immédiate de sa mort. 

                À la fin de la guerre d’indépendance, la situation des Chrétiens d’Algérie était radicalement changée. L'Église d'Algérie, composée en très grande partie de français ou de "pieds-noirs", fut réduite à un tout petit reste, à cause de l'exode massif de ces deux groupes vers la France. Les conversions au christianisme étaient devenues à peu près impossibles – au moins les conversions ouvertement reconnues. Un recrutement local devenant exclu, on pouvait se poser des questions sur l'opportunité de maintenir en Algérie une communauté monastique désormais très réduite en nombre et qui ne pourrait plus se recruter sur place. Les autorités de l'Ordre cistercien décidèrent donc la fermeture du monastère. Mais le Cardinal Duval, ayant depuis longtemps reconnu dans la communauté de Tibhirine une réalisation de son idéal de présence chrétienne, protesta vigoureusement, et le monastère ne fut pas fermé. Cette simple présence d'une communauté monastique chrétienne, quelle que soit la nationalité de ses membres, au milieu d'un peuple musulman, lui semblait d'une importance capitale. La communauté fut maintenue et son témoignage trouva son épanouissement dans la mort de sept de ses membres, en 1996.

                À un certain moment, tout de suite après l'Indépendance en 1960, la communauté fut réduite à seulement deux ou trois personnes. Elle fut ensuite reconstituée avec des moines venant de diverses communautés appartenant à des traditions monastiques différentes. Tous étaient des caractères forts, ayant choisi de venir en Algérie. Il n'était certainement pas facile de faire une communauté homogène à partir de tels éléments. Et pourtant, à travers le dialogue, la prière et une attention contemplative aux manifestations de Dieu, ils arrivèrent à une unité très profonde qui les maintint ensemble durant les trois dernières années de leur vie, qui furent des années exigeantes et très dangereuses.

                Il va sans dire que l'arrivée de Christian de Chergé fut un moment décisif pour la communauté. Trajectoire toute spéciale que celle de sa vocation. De famille de militaires, il avait passé son enfance en Algérie, où sa mère l'avait formé à un profond respect de l'Algérien et du Musulman. Il était ensuite revenu en Algérie durant la guerre, comme jeune officier et avait alors noué une amitié avec un Arabe musulman qui lui a d’ailleurs sauvé la vie au prix de la sienne. D'abord prêtre séculier du diocèse de Paris, il sentit l'appel à la vie contemplative et choisit le monastère de Notre-Dame de l'Atlas à Tibhirine. Avec l'accord de ses supérieurs, il fit d’abord à Rome, au PISAI, des études de langue et de culture arabe. Ayant développé une connaissance assez approfondie et un grand amour pour la religion de l'Islam, il s'impliqua et impliqua profondément sa communauté dans le dialogue interreligieux. Après son élection comme prieur de sa communauté, en 1984, il guida celle-ci dans une orientation plus explicite vers ce dialogue interreligieux, qui venait couronner les autres formes de communion déjà pratiquées dans la vie de tous les jours, dans la fraternité et l’amitié.

                Le monastère de Tibhirine devint, au fil des années, un lieu de dialogue chrétien-musulman. Ce fut le fruit d'une évolution naturelle et non de quelque chose de programmé. Des musulmans profondément religieux se mirent graduellement à fréquenter le monastère. Par la suite, un groupe de dialogue chrétien-musulman, le Ribat es-Salam se constitua, qui se réunissait régulièrement au monastère, pour prier et échanger. (Trois des onze missionnaires assassinés avant les frères de Tibhirine étaient membres de ce groupe).  

                Quelques années après l'élection de Christian comme prieur, la communauté accepta, à la demande insistante de l'évêque de Rabat, de fonder une maison annexe dans le diocèse de Fez au Maroc. Cette fondation eut plusieurs rôles. D'abord elle instaurait au Maroc, un pays entièrement musulman, une présence chrétienne contemplative semblable à celle de Tibhirine en Algérie. De plus elle permettait aux quelques membres anciens de N.-D. de l'Atlas, qui se sentaient moins à l'aise avec l'orientation nouvelle donnée à la communauté par Christian, de continuer au Maroc une présence chrétienne moins explicitement impliquée dans le dialogue interreligieux. Enfin, elle permit providentiellement à la communauté de N.-D. de l'Atlas de survivre à la tragédie de 1996.  

     

    La crise politique de 1990 et des années suivantes

                Considérons maintenant les années qui précédèrent cette tragédie. C’est en 1988 que commença à se manifester l’insatisfaction de la population à l’égard d’un pouvoir perçu comme corrompu. Cette insatisfaction grandit de plus en plus et favorisa la croissance d'un mouvement islamiste, le FIS (Front Islamiste du Salut). À la fin de 1991, lors d'élections nationales dont il apparut évident que le FIS sortirait vainqueur, les militaires arrêtèrent le processus électoral et prirent de nouveau le pouvoir. L'Algérie allait entrer dans une période de violence armée qui dure jusqu'à nos jours, et qui a fait à cette date entre 200.000 et 250.000 victimes, la plupart parmi la population civile – sans compter un million et demi de personnes déplacées à l’intérieur du pays, jusqu’à aujourd’hui. Aussi bien la violence de l'armée, que celle des groupes de résistance islamistes, se radicalisa de plus en plus. Les moines de Tibhirine se voulaient très solidaires de la population locale. Donc, lorsque nous pensons à leur mort, nous devons penser aussi non seulement aux autres religieux catholiques qui furent tués avant eux, mais aussi aux milliers d'Algériens qui furent victimes de la même violence. Parmi ces victimes on pouvait compter de nombreux imans qui furent victimes de leurs appels à la paix et de leur refus de toute violence, qu’elle vienne des islamistes ou de l’armée.

                J’ai mentionné plus haut la ”visite” d’un groupe d’islamistes armés au monastère de Tibhirine, dans la soirée du 24 décembre 1993. Il vaut la peine de s’y arrêter. Le chef du groupe, l'émir Sayah Attiya, était reconnu comme un terroriste d'une violence redoutable. Il était responsable de la mort des douze Croates et aurait, selon les forces de sécurité, égorgé 145 personnes. Son échange avec le Père Christian, supérieur de la communauté de Tibhirine, fut exceptionnel. Père Christian, en appelant au Coran, lui dit que le monastère était un lieu de prière où jamais aucune arme n'avait pénétré et exigea que la conversation ait lieu à l'extérieur du monastère. Ce à quoi Attiya se plia. Il présenta aux moines, en tant que "religieux" comme lui-même et son groupe d'Islamistes, trois exigences de coopération. À chacune Christian répondit que ce n'était pas possible ; chaque fois il dit : « vous n'avez pas le choix » ; et chaque fois Christian répondit : « oui, nous avons le choix ». Il partit en disant qu'il enverrait ses émissaires avec un mot de passe. Lorsqu'au moment de son départ Christian lui dit : « Vous êtes venus ici en armes au moment où nous nous préparions à célébrer Noël, la fête du Prince de la Paix », il répondit : « Excusez-moi, je ne savais pas. »

                Le miracle fut que non seulement Sayah Attiya repartit ce soir-là sans égorger les moines et sans les brutaliser, mais qu'il ne revint pas et n'envoya pas ses émissaires. Lorsque, environ deux mois plus tard il fut blessé gravement dans un affrontement avec les forces de sécurité, il agonisa durant neuf jours dans la montagne, tout près, mais n'envoya pas chercher le médecin du monastère, ce qui avait été l'une des exigences auquel Christian avait dit qu'il ne pouvait pas répondre. Jamais les moines n'achetèrent leur sécurité par quelque concession que ce soit, et ils ne cautionnèrent jamais quelque violence que ce soit ; mais pour eux, toute personne, même le terroriste, demeurait une personne humaine digne de compréhension. Dans l’esprit d’islamistes, comme Ali Benhadjar, qui était présent à ce dialogue entre Christian et l’émir Attiya, celui-ci décida alors que les moines, en tant que religieux, ne devaient pas être l’objet de violence de la part de ses hommes.

                Lorsque plus tard, l'administration algérienne voulut imposer au monastère une protection militaire armée, la communauté refusa nettement cette protection, utilisant le même argument : les armes n'ont pas de place dans un lieu de prière et de paix.                     

                On peut constater des constantes dans ces morts. Tous ces témoins étaient des personnes qui avaient établi des liens d'amitié avec le peuple algérien et qui vivaient en grande communion avec le petit peuple, dont ils partageaient la vie. Tous ont été tués dans le milieu où ils vivaient et travaillaient. Il est clair que le message donné par les assassins – ou leurs mandataires – était que cette proximité et cette fraternité étaient précisément ce qui dérangeait et qu'on voulait faire cesser. On ne leur reprochait pas d'être des prosélytes, ce qu'ils n'étaient pas. On leur reprochait d'être des personnes de communion, et de condamner par leur vie-même toute forme d'exclusion et toute forme de violence, de quelque côté qu'elle vienne, et au nom de quelque idéal – religieux ou politique – qu'elle soit exercée.

               

    La solidarité avec ceux qui ne pouvaient pas partir 

                Après chacune de ces tragédies, dont les victimes étaient dans plusieurs cas des amis intimes de la communauté de Tibhirine, celle-ci se posa la question : Fallait-il rester ou partir ? Chaque fois les moines décidèrent de rester. Pourquoi ?

                En Europe, certains disaient alors qu'on comprenait que des "missionnaires" demeurent pour continuer leur "apostolat", mais pas des moines qui, de toute façon, pouvaient mener leur vie de prière n'importe où ailleurs... C'était ne rien comprendre à leur vie. La vie contemplative ne se vit pas dans l'abstrait. Elle est toujours incarnée, enracinée dans un lieu et un contexte culturel bien concret.

                Le moine cistercien, qui vit selon la Règle de saint Benoît, fait vœu de stabilité. Cela implique non seulement la stabilité dans la vocation monastique, mais aussi la stabilité dans une communauté bien concrète et, à moins d'une mission spéciale, dans un lieu déterminé. Bien sûr, une communauté tout entière peut se déplacer, mais elle ne peut le faire sans tenir compte des liens qu'elle a établis avec la société et la culture locale. La communauté de Tibhirine ne se comprenait pas sans son enracinement dans les montagnes de l'Atlas, sans ses liens d'amitié avec toute la population de Tibhirine, de Draa Esnar, de Médéa. Dans une prédication de retraite donnée à Alger quelques semaines avant l'enlèvement, Christian disait, avec une jeu de mot périlleux : « ... j'affiche cette différence : je viens de la montagne... »

                Les frères étaient conscients que la population locale était elle-même prise dans un étau entre deux violences opposées – celle des islamistes radicaux et celle de l’armée – et qu'elle n'avait pas le choix de fuir. Pour les moines, fuir eut alors été un manque de solidarité avec ceux dont ils avaient partagé la vie dans les moments de paix. Après le martyre de Henri et Paule-Hélène, Christophe écrit dans son journal : « On ne peut pas oublier et partir sans trahir ce qui reste une grâce de proximité, d'amitié de vérité. » (29/05/1995). Mohammed, le gardien, avait dit à Christophe : « Vous, vous avez encore une petite porte par où partir. Pour nous : non, pas de chemin, pas de porte. » Et un autre voisin, Moussa, avait dit à Christian : « Si vous partez, vous nous privez de votre espoir et vous nous enlevez notre espoir. » Il n'eut pas été chrétien de partir. Ils restèrent. Les frères considéraient leur présence comme une affirmation du droit à la différence – droit qu'ils réclamaient pour le peuple des environs aussi bien que pour eux-mêmes.

                Ils n’étaient pas naïfs, loin de là. Sans cesse ils analysaient soigneusement la situation politique du pays et de la région, non pas pour réagir en politiciens mais pour donner à cette situation, dans leur vie de tous les jours, une réponse évangélique. Leur unanimité se fit dans la prière plus qu’à travers les discussions ou les échanges. « La violence me tue et je dois trouver quelque part un appui pour ne pas me laisser emporter par ce flux de mort », écrivait Christophe en son Journal (11/07/1995).

                Aucun d'entre eux ne désirait le martyre. Ils aimaient la vie et redoutaient la mort. Mais ils l'avaient consciemment et explicitement acceptée si c'était la volonté de Dieu. Dans une lettre circulaire du 21 novembre 1995, ils avaient écrit : « La mort brutale – de l'un de nous, ou de tous à la fois – ne serait qu'une conséquence de ce choix de vie à la suite du Christ.[1] »

                Lorsque, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 un groupe d'hommes armés se présentèrent au monastère et les amenèrent en direction de Médéa, aux yeux de ceux qui ont pu les voir traverser le village encadrés d'hommes armés, ils avaient l'air de suivre des terroristes. En réalité ils suivaient le Christ.

                S'il fallait mourir, ils voulaient le bien faire ! Le vieux frère Luc, qui avait depuis longtemps demandé qu'on chante à ses funérailles la chanson d'Edith Piaff "Non, je ne regrette rien", fit à la Prière universelle de l'Eucharistie, le 31 décembre 1994 – donc quelques jours après la visite dramatique de la nuit de Noël – la prière suivante : « Seigneur, fais-nous la grâce de mourir sans haine au cœur. » L'inspiration de cette belle prière a été reprise dans le Testament de Christian.

     

    Encore le Testament

                En effet, tout ce qui précède nous permet, je crois, de mieux comprendre plusieurs passages très denses du Testament de Christian de Chergé, et de percevoir à quel point la mystique et la politique s’y marient dans une solidarité d’inspiration et d’orientation profondément chrétienne.

                Dans ce texte qu’il adresse, comme nous l’avons vu, à sa communauté, son Église, et sa famille, à qui il demande de prier pour lui, il affirme sa conscience d’une responsabilité collective de la violence et du mal :


    « J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal

    qui semble, hélas, prévaloir dans le monde,

    et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. »

                Le vrai mystique n’est pas celui qui prie pour « les pécheurs », comme s’il s’agissait d’une catégorie d’hommes à part. Il prie pour eux, parce qu’il en est solidaire, se sachant lui-même pécheur.

                Du mal qui lui serait fait personnellement, il veut pardonner, mais il sait bien que seule la grâce peut rendre capable de pardonner. Bien plus, il est si conscient de sa co-responsabilité dans tout le mal qui existe sur la terre, qu’il sent le besoin d’être lui-même pardonné du mal qui pourrait le toucher :


    J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité

    qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu

    et celui de mes frères en humanité,

    en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m’aurait atteint. »

                Dans les lignes suivantes de son Testament, Christian affirme très clairement qu’il ne désire aucunement la mort, même pas celle du martyre. Et ce qui est le plus impressionnant est la raison qu’il donne pour ne pas désirer cette grâce :


    « Je ne saurais souhaiter une telle mort.

    Il me paraît important de le professer.

    Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir

    que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.

    C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut-être, la ”grâce du martyre”

    que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit,

    surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’Islam. »

                Il fait ensuite allusion aux caricatures de l’Islam qu’encourage un certain islamisme radical et regrette qu’on identifie l’Islam, qui est avant tout une voie religieuse, avec les intégrismes de ses extrémistes. Ces propos sont sans doute encore plus d’actualité aujourd’hui alors que, surtout depuis le 11 septembre 2001, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, on monte de toutes pièces une guerre des civilisations entre l’Occident que, pour les besoins de la cause, on considère chrétien et le monde arabe, qu’on identifie à l’Islam, et plus précisément à un Islam intégriste.


    « L’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme.

    Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu,

    y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile. »

                Vient ensuite la partie proprement mystique de ce Testament. Il fait allusion à ceux qui le trouvaient quelque peu naïf dans son dialogue avec l’Islam et il se réjouit déjà de pouvoir contempler ses frères musulmans avec les yeux mêmes de Dieu. Combinant dans un raccourci gigantesque l’enseignement de la Genèse sur la création de l’homme et de la femme à l’image et à la ressemblance de Dieu, et la doctrine patristique sur la perte de la ressemblance divine par le péché et son rétablissement par la grâce, de même que les réflexions de Lévinas sur le respect de la « différence », il se représente Dieu rétablissant la ressemblance chez tous ses enfants, en « jouant » avec leurs différences, un peu comme un enfant jouant avec le sable... ou la glaise (ce qui est une allusion au récit biblique de la création).


    « ... sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité.

    Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu,

    plonger mon regard dans celui du Père

    pour contempler avec lui Ses enfants de l’Islam

    tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ,

    fruit de sa Passion, investis par le Don de l’Esprit

    dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion

    et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences. »

                Cet admirable texte se termine par un « merci » adressé non seulement à Dieu, mais à sa famille, à tous les siens, à tous ses amis, étendant ce « merci » également à celui qui pourrait lui trancher la gorge :


    « Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais.

    Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « A-DIEU » en-visagé de toi.

    Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux,

    en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.

    AMEN

    Insh’ Allah. »

                Remarquons en passant le sens, probablement emprunté à Lévinas (qu’il lisait à ce moment-là), qu’il donne au mot « en-visagé » (qu’il écrit d’ailleurs en deux mots, avec un trait d’union. Il avait alors écrit, en dehors de son Testament les mots : « Quand un A-DIEU s’envisage », écrivant aussi le mot a-dieu avec un trait d’union ; le sens étant « quand le chemin vers Dieu prend un visage, ou reçoit un visage ». Il veut donc voir la manifestation de Dieu dans le visage de son bourreau.

                Quelle que soit l’impression très forte faite par leur mort aussi bien en Algérie qu’en France et ailleurs, et quels que soient les résultats de l’enquête judiciaire en cours, il reste que l’impact le plus important de ces quelques moines aura été celui, non pas de leur mort, mais de leur vie. En continuant de vivre tout simplement leur vie monastique de tous les jours dans des circonstances sociales et politiques qui devenaient de plus en plus compliquées et dangereuses, ils se sont manifestés de vrais mystiques répondant à leur vocation monastique d’une vie de communion avec Dieu incarnée dans une communion avec des frères, avec la Société et l’Église locales, aussi bien qu’avec la culture de leur temps.

                On ne peut qu’espérer que les effets en profondeur de cette communion aident l’Algérie à sortir complètement du cycle de violence qui continue de l’affliger et concourre à une compréhension et un dialogue toujours plus grands entre Musulmans et Chrétiens. Les mystiques vont souvent à contre-courant. Le témoignage des moines de Tibhirine va réellement à l’encontre de tout le courant actuel de conquête et d’imposition à l’échelle mondiale d’un type de société et de culture.

                La rencontre de l’Autre, qu’on peut considérer comme une définition de l’expérience mystique, ne peut jamais se réaliser sans la rencontre de l’autre – tout être humain quel qu’il soit – dans la pleine acceptation et le plein respect de sa « différence ». C’est quand on continue tout bonnement de vivre cette rencontre, même lorsqu’elle dérange, que l’on devient « martyr ». 


    Armand Veilleux Béatificat° Oran 8-XII-2018.jpg

     

     

     

    Armand Veilleux

    Conférence donnée à Bruxelles, en 2016.

    Photo ci-contre : arrêt sur image du Père Veilleux portant l'étole à l'inscription en arabe "Dieu est amour", lors de la procession d'entrée de la messe de béatification des 19 martyrs d'Algérie, à Notre-Dame de Santa-Cruz d'Oran, le 8 décembre 2018. Célébration filmée par KTO.

     


    [1]
    Sept Vies pour Dieu et l'Algérie, Bayard / Centurion, 1996, p. 180.

    Autre site : www.moines-tibhirine.org

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  • Faire silence pour écouter - Prière de la Fraternité Eucharistique (catholique) des Artisans de Paix

    Artisans de Paix

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    Réunion interreligieuse de prière

    Maison Soufie – Saint-Ouen                                                                   Mardi 20 novembre 2018

    Faire silence pour écouter


    Préalable à la lecture de l’Évangile (Jean 8, 1-12)

    Comme le préconise Ignace de Loyola pour la lecture priée d’un passage de l’Écriture sainte, je vous invite à vous représenter la scène que nous allons lire : figurez-vous la saynète, voyez mentalement les personnages dans l’espace décrit. Attachez-vous aux gestes de Jésus, à ses regards ou absence de regard… et à ceux qui l’entourent.

    Situation du passage de l’Évangile

    Les gardes, que les chefs des prêtres et les pharisiens, bien décidés à le faire mourir, avaient envoyés arrêter Jésus, reviennent bredouilles. Ayant entendu Jésus parler, les gardes, édifiés, n’ont pas osé l’arrêter : « Jamais un homme n’a parlé comme cet homme ! » disent-ils à ceux qui les interrogent à leur retour. — Ils se voient répondre par les pharisiens, vexés et en colère : « Alors, vous aussi, vous vous êtes laissé égarés ? » — Mais, parmi les pharisiens, Nicodème, qui était allé trouver Jésus de nuit pour lui parler, leur dit : « Est-ce que notre Loi permet de condamner un homme sans l’entendre d’abord pour savoir ce qu’il a fait ? » — Dépités, les chefs des prêtres et les pharisiens retournent chez eux. Chacun retourne chez soi en cette fin de journée. — Quant à Jésus, il s’en alla au mont des Oliviers où il passe la nuit, qui est le lieu de silence et de solitude, propice à la prière, au colloque intérieur avec Dieu le Père.


    ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN (8,1-12)

    01 Quant à Jésus, il s’en alla au mont des Oliviers.

    02 Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui,
    il s’assit et se mit à enseigner.

    03 Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu,

    04 et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère.

    05 Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? »

    06 Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre.

    07 Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. »

    08 Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre.

    09 Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu.

    10 Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? »

    11 Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »


    Faire silence pour écouter
    est une attitude de paix dont use Jésus dans ce passage de l’Évangile de Jean, déjà préconisé dans l’Ancien Testament :

    Isaïe 33

    15 Celui qui va selon la justice et parle avec droiture, qui méprise un gain frauduleux, détourne sa main d’un profit malhonnête, qui ferme son oreille aux propos sanguinaires et baisse les yeux pour ne pas voir le mal,

    16 celui-là habitera les hauteurs, hors d’atteinte, à l’abri des rochers. Le pain lui sera donné ; les eaux lui seront assurées. »

     

    « Faire silence pour écouter » & sainte Jeanne de France

    Sainte Jeanne de France (1464 -1505)

                Née en 1464, à Nogent-le-Roi (28 - Eure-et-Loir, à 80 km à l’ouest de Paris entre Dreux & Chartres), Jeanne est la fille du roi Louis XI et de la reine Charlotte de Savoie.

                De 5 ans à 19 ans, elle réside au château de Lignières-en-Berry, où elle vit retirée de la cour, en exil forcé à cause de son handicap dû à une maladie osseuse. En effet, elle est voutée et sera surnommée ‘Jeanne la boiteuse’.

                À 7 ans, dans l’oratoire de Lignières, elle reçoit en elle l’intuition spirituelle qu’un jour elle fondera un Ordre religieux dédié à la Vierge Marie. Les années vont passer.

                À 12 ans, elle est imposée en mariage par son père à Louis d’Orléans, de deux ans son aîné, qui jamais n’accepta ce mariage forcé. Vont suivre 22 ans de vie conjugale difficile.

                Elle a 34 ans en 1498, quand son frère le roi Charles VIII meurt accidentellement. Louis d’Orléans devient alors roi de France (Louis XII) et Jeanna devient de ce fait reine de France. Il fera alors reconnaître par Rome la nullité du sacrement du mariage avec Jeanne pour épouser Anne de Bretagne qu’il convoitait depuis longtemps, qui de veuve de Charles VIII, deviendra alors reine de France à la place de Jeanne. Jeanne, elle, devient duchesse du Berry.

                En 1502, elle concrétise alors l’intuition reçue en sa jeunesse : elle fonde à Bourges l’Ordre de la Vierge Marie, l’Annonciade, avec l’aide de son père spirituel et confesseur franciscain, le bienheureux Gabriel-Maria. 

                Elle meurt trois ans plus tard, le 4 février 1505.

                Béatifiée en 1742, Jeanne de France est canonisée par Pie XII en 1950.

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                L’Annonciade, cet Ordre de la Vierge Marie, tire son nom de l’Annonciation.
    L’Annonciation est ce moment où Marie a reçu l’Esprit Saint qui lui fit concevoir la vie de Jésus, Fils de Dieu, le Verbe fait chair, en elle. Annonciade est un néologisme qui résume l’attitude d’écoute et d’accueil de la Vierge Marie de faire la volonté de Dieu, au moment de l’Annonciation, quand l’archange Gabriel lui révèle le dessein de Dieu sur elle. Elle répond à l’ange : « Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole ». Dieu a choisi la Vierge Marie pour être la mère de Jésus pour ses qualités d’accueil, d’écoute, d’humilité, d’obéissance. Parce que Marie est avant tout une femme de prière attentive à la Parole de Dieu. Telle est la spiritualité de sainte Jeanne de France : vivre l’Évangile en se conformant aux attitudes intérieures de la Vierge Marie, décrites dans les Évangiles de Luc et de Jean.
     

    « Faire silence pour écouter » dans la vie de Jeanne de France

    stPJEymard portrait rosé.jpgPermettez-moi de citer un autre saint que j’affectionne tout particulièrement pour vous montrer comment Dieu s’adresse à une âme qu’il a choisie. Saint Pierre-Julien Eymard dans une prédication sur le recueillement écrit ceci : « Il (Dieu) commence par (l’)isoler (l’âme) du monde afin de l’avoir plus à lui – c’est l’époux qui veut avoir à lui seul son épouse ». Ailleurs, à propos de la vie intérieure : « La vie intérieure est le sanctuaire du Saint Esprit dans lequel il forme l’âme fidèle à l’esprit et à la vie de Jésus. Elle est le tabernacle où Dieu rend ses oracles, fait entendre à l’âme sa douce et aimable voix, lui révèle sa vérité, l’attire à sa charité, la remplit des dons de sa bonté. Elle est le règne de Dieu dans une âme. »

                Et enfin, dans un Traité (sur la prière) d’oraison : « On peut dire que le fruit le plus précieux et le plus parfait de l’oraison, c’est de mettre l’âme dans un plus grand recueillement. C’est la condition et la preuve divine et sensible de l’opération de la grâce d’union avec Dieu. Voilà pourquoi quand Dieu veut faire quelques grandes faveurs à une âme, il commence toujours par la recueillir. Heureux silence ! qui laisse Dieu parler, et l’écoute avec amour ! »

                Grâce à son handicap qui la conduira à être rejetée de la cour immédiate de son père le roi Louis XI, Jeanne va être isolée au château de Lignières et au cœur de ce château c’est dans l’oratoire que Dieu lui parlera par l’intermédiaire de la Vierge Marie. En effet, à l’âge de 7 ans Jeanne priait Marie de tout son cœur dans l’oratoire et eut alors le sentiment que la Vierge lui disait (toute les citations et textes sur Jeanne de France sont tirées du site de l'Annonciade https://www.annonciade.info) :

                           « Il y a trois choses qui me plaisent par dessus tout, c’est d’écouter mon Fils, ses paroles et ses enseignements  […], c’est de méditer sur ses blessures, sur sa croix et sa Passion et (enfin) c’est le très Saint Sacrement de l’autel ou la messe […]  Tu chercheras aussi à établir la paix là où tu habites… Fais ceci et tu vivras ». (Chronique de l’Annonciade dans Les Sources). Jeanne vivra donc de ces choses qui plaisent à Marie, pour plaire à Jésus son Fils et à Dieu.

                Jeanne est une femme de foi dont le seul désir est de plaire à Dieu, à l’exemple de la Vierge Marie, la première croyante. Marie est la première à avoir accueilli la parole de Dieu par la bouche de l’archange Gabriel. Marie est la femme qui a accueilli le Verbe fait chair en elle. Elle est la première à avoir obéi à Dieu par son fiat (« Qu’il me soit fait selon ta parole »). L’exemple de la Vierge a été déterminant chez Jeanne. En méditant l’Évangile, avec Marie et comme Marie, Jeanne a appris ces trois choses dont la mise en pratique a contribué à la construire, à la faire tenir bon dans la prière et la charité et, de ce fait, à vivre la charité en acte, notamment auprès des pauvres de Bourges, après l’incendie qui avait ravagé la ville.

                La première chose : lire la Parole de Dieu. Comme « Marie conservait toutes ces choses, les méditant dans son cœur » (Luc, 2, 19.51), Jeanne s’est attachée aux vérités de l’Évangile. Elle l’a médité, particulièrement les passages où il est question de la Vierge, y découvrant ce qui pouvait l’aider dans sa vie quotidienne à elle. Ainsi, elle a découvert dix attitudes du cœur de la Vierge qu’elle pouvait faire siennes. C’est l’héritage spirituel marial qu’elle lègue à ses filles de l’Annonciade : le dizain des dix ‘Ave Maria’. Le regard de son esprit s’est alors posé sur Marie pure, Marie prudente, Marie humble, Marie croyante, Marie priante, Marie obéissante, Marie pauvre, Marie patiente, Marie charitable et Marie compatissante. Ce regard prolongé sur la Vierge a nourri ses pensées, inspiré ses paroles et orienté ses actions, les pénétrant de bonté.

                La seconde chose : méditer la Passion du Christ. « Debout, Marie sa Mère se tenait au pied de la Croix » (Jn, 19,25). À l’exemple de la Vierge du Stabat, Jeanne a contemplé longuement le Crucifié, comprenant que, sur la Croix, Jésus a voulu nous « séduire par son amour » (Bx Duns Scot), par sa vie donnée, sa vie livrée. Cette méditation prolongée l’a conduite à faire de sa vie un service d’amour. Si chaque année, Jeanne lavait les pieds de treize pauvres afin de commémorer le geste du Christ lavant les pieds de ses apôtres, on peut dire que c’est toute l’année qu’elle les leur lavait par ses œuvres bonnes. La méditation de la Passion a contribué aussi à faire de Jeanne un être de bonté.

                La troisième chose : recourir souvent à l’Eucharistie. « Les apôtres, avec quelques femmes, dont Marie la mère de Jésus, étaient assidus à la prière et à la fraction du pain » (Ac, 2,42). À l’exemple de Marie, Jeanne est une femme de prière ; l’eucharistie est pour elle un moment d’intense union avec Celui qu’elle reçoit. Elle communiait souvent. De communion en communion, elle est entrée toujours plus profondément dans l’intelligence de ce mystère, non pas d’une manière intellectuelle, mais existentielle : comme la Vierge, elle a porté en elle la Présence et l’a donnée au monde, là encore, par sa bonté, ses œuvres bonnes.

                Ainsi, ces trois choses que Jeanne appris en regardant la Vierge de l’Évangile l’a fait sortir de chez elle, c’est-à-dire, d’elle-même ; cela l’a conduite à avancer toujours plus avant sur les chemins de la prière et du véritable amour.

                La prière et la charité ont éclairé toute sa vie, toute son existence. C’est à cette lumière qu’elle a pu découvrir le sens des événements qui ont jalonné sa vie. La lumière de la foi, une foi réfléchie et vécue, ainsi qu’une intense vie de prière et de charité, ont constitué cette écoute intérieure lui permettant de lire au cœur des événements de sa vie le sens dont ils étaient porteurs.

     

    Jeanne et la paix

                La paix est bien un des fruits de l’eucharistie (action de grâce). À chaque messe nous recevons la Paix du Christ. À ceux et celles qui étaient proches de l’Annonciade, l’ordre religieux qu’elle fonda à la fin de sa vie, elle demandait d’êtres des artisans de paix dans leur milieu de vie. Elle-même en a donné l’exemple. 

                Le souci de la paix, le souci de construire un climat de paix, habite le cœur de sainte Jeanne. Pour elle, le moindre petit geste de paix, de charité, sert la vie. Dans ce qui est infime, fragile, dans l’insignifiant elle reconnait le don de Dieu. De plus, elle désire que tous aient ce souci de la paix. Voilà pourquoi, elle « recommandait, dit la Chronique de l’Annonciade, d’être patients dans l’adversité et pacifiques envers le prochain, de n’être ni des mécontents, ni des détracteurs ».

    Ce souci de maintenir la paix là où elle vit, Jeanne l’a reçu de la Vierge elle-même. Nous le savons grâce à son confesseur, le père Gabriel-Maria (franciscain) qui rapporte, dans un de ses écrits, les paroles de la Vierge à Jeanne :

    Ste Jeanne de France & 10 vertus.jpg« Tu chercheras à établir la paix entre tous ceux au milieu desquels tu habites. Tu ne diras rien d’autre que des paroles de paix, soucieuse du salut des âmes. Tu n’écouteras pas les paroles médisantes, lui avait dit la Vierge, et dès que tu verras quelques pécheurs, tu diras dans ton cœur : il faut sauver ces pauvres gens. Car Dieu a permis qu’ils pèchent en ta présence pour voir, Lui, Dieu, comment tu voudrais prier pour eux et quel labeur tu entreprendrais pour les sauver. Excuse-les auprès de Dieu afin d’être comme je te l’ai dit l’avocat et le défenseur de tous. »  

    Voilà pourquoi elle recommande à ses filles de garder la paix entre elles :

    « Le Christ a établi son « Tabernacle dans la paix ». Que les sœurs fassent donc tous les jours le « sermon de la paix », c’est-à-dire, qu’elles établissent toujours la paix entre les sœurs, réconciliant celles qui seraient en contestation, les excusant toutes et se faisant toujours les avocates de la paix ».

    Pourquoi cela ?

    « Parce que, répond le père Gabriel-Maria, le Christ est l’auteur de la paix, c’est Lui qui l’a donnée et Lui qui l’a prêchée. » En effet : « c’est ma paix que je vous donne » dit plusieurs fois Jésus dans l’Évangile : au Cénacle, avant sa Passion ; et après sa Résurrection.

    Pour Jeanne comme pour le père Gabriel-Maria, nos paroles doivent construire un climat de paix, et non de division. Dans un sermon sur les vertus de la Vierge Marie, il écrit :

    « Se garder d’entendre mal parler ou de critiquer quoi que ce soit car ce serait contre la vertu de vérité. Bien souvent ces paroles de critique ne sont pas vraies. Il nous faut fuir de telles paroles… Que nos paroles soient nécessaires pour le prochain ! Si la parole est de nul profit, nous perdons notre temps… » Ainsi : « Que toutes paroles ne soient qu’amour et charité. Avoir toujours paix en son cœur : ce qui est le vrai repos de l’âme. »

    (Sources : Jeanne et la paix | L'Annonciade : https://www.annonciade.info/2018/01/jeanne-et-la-paix/)

     

    Humblement, dans le silence de mon cœur…

    T : Bhx Marie-Eugène de l’Enfant Jésus
    M : Fr. Jean-Baptiste de la Sainte Famille, ocd

    R : Humblement, dans le silence de mon cœur,
    je me donne à toi, mon Seigneur. 

    1. Par ton amour, fais-moi demeurer humble et petit devant toi. 
    2. Enseigne-moi ta sagesse, Ô Dieu, viens habiter mon silence.
    3. Entre tes mains, je remets ma vie, ma volonté, tout mon être. 
    4. Je porte en moi ce besoin d'amour, de me donner, de me livrer, sans retour.
    5. Vierge Marie, garde mon chemin dans l'abandon, la confiance de l'amour.

     

     

    La prière de bénédiction de saint François d’Assise

    François écrivit des Louanges de Dieu et la bénédiction à fr. Léon pour chasser une tentation qui assaillait frère Léon. On peut dater cet écrit de septembre 1224. 

    Prière Bénédiction St François d'Assise.jpg

    Bénédiction 

    1 Que le Seigneur te bénisse et te garde ; que le Seigneur te découvre sa Face et te prenne en pitié ! 2 Qu’il tourne vers toi son Visage et te donne la paix ! 3 Que le Seigneur, frère T Léon, te bénisse !

    Signature de François, le signe Tau, en forme de T majuscule, traverse le prénom de Léon en témoignage de bénédiction.

    Septembre 1224 – Traduction : Damien Vorreux (1996)

    (Sources : http://ecole-franciscaine-de-paris.fr/louanges-de-dieu-et-benediction-a-fr-leon/)

     

    Sandrine Treuillard
    Chargée de mission pour la Fraternité Eucharistique (catholique)
    de l'association œcuménique & interreligieuse Artisans de Paix : http://www.artisans-de-paix.org/

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