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louis pernot

  • Les trois algériens de l’Annonciation et l'oiseau spirituel

    Bonjour Élisabeth, Guy & Muguette, 

    J'ai repris ce jour la lecture de votre blog Tibhirine 2019.

    Merci pour le titre "Un peuple fabuleux", qui me touche beaucoup, car j'aime aussi l'Algérie, même si je n'y ai (encore) jamais mis les pieds.

    J'ai un beau frère kabyle, Menad, et ma nièce, Esther, qui a 6 ans et 1/2, a du sang algérien pour moitié dans les veines ! En février dernier, elle y a fait son premier séjour.

    J’ai reconnu l’allusion au texte du Père Armand Veilleux, la rencontre de l’Autre au cœur de la violence, dans le premier jour de votre An 2 à Tibhirine.

    Demain, jeudi 28, je pars pour l'Abbaye de Hautecombe où a lieu, jusqu'à dimanche, une session œcuménique :

    La vie de l'Esprit : une expérience de l'Unité.

    Avant mon départ, je viens vous raconter ceci qui m'est arrivé il y a deux jours et noté dans mon journal spirituel, et que je mets un peu en forme ici, pour vous. J’intitule ce texte Les trois algériens de l’Annonciation.

     

    albatros.jpgCe mardi 25 mars 2019, jour de l'Annonciation, il était midi quand je revenais d'une course dans les Hauts de Vanves. Arrivée au carrefour de la rue de la forge et à la naissance de l'allée aux arbres en fleurs, sur la place Kennedy, là, devant le Franprix, j’ai vu une voiture s’arrêter au niveau du passage-piétons alors que deux hommes en tenue de peintres en bâtiment s’y engageaient. Elle les laissa passer, tandis que le troisième homme était resté en arrière, sur le trottoir, une baguette de pain à la main. Il interpela les deux autres qui avaient ‘forcé’ l’arrêt de la voiture en s’engageant sur le passage-piétons. Lui choisit de laisser passer la voiture, puis rejoignit les deux autres en disant quelque chose que je perçus mal, ponctué d’un ‘kif-kif’. Ce faisant, j’avais moi-même traversé la rue de la forge, arrivant par la place de la République, étant passée devant l’église Saint-Rémy. Quand je m’engageai dans l’allée des arbres aux fleurs d’ivoire, je me suis retrouvée au même niveau que les trois travailleurs en bâtiment qui allaient prendre leur pause-déjeuner. Celui qui tenait la baguette et semblait doucement tancer les deux autres, m’adressa la parole. Il continuait ce qu’il leur adressait mais, soudain, il m’inclut comme témoin de sa pensée. La phrase qu’il disait en traversant la rue, tout en désignant de sa baguette ses deux compères, était : « Les algériens traînent toujours ! ». Il répéta cette phrase, cette fois à mon intention : « Les algériens, ça traîne toujours ! » avec son accent typique. C’est par mon visage que je lui ai répondu, par une moue, de surprise mêlée à ma tristesse, et à de la compassion, alors que je comprends très bien ce sentiment d’errance des immigrés et fils d’immigrés. Oui, ce sentiment d’errance m’est familier et je pensais en moi-même, tous ces gestes et ces pas se faisant, que moi aussi je suis encore en errance, pas fixée, française, oui, là, mais en attente de me fixer vraiment. Il a dit de très belles paroles, sans animosité. Des paroles teintées d’une sagesse populaire, d’une expérience que le temps a polie et rendue sage. Il put me dire qu’il était né en Espagne et que maintenant il vivait en France. Que les algériens sont comme des oiseaux*. Ils touchent la terre mais n’y restent pas. Il se confiait sans se lamenter, exprimait sa souffrance avec légèreté, et celle des siens. Je lui fis comprendre que je le comprenais. J’en avais moi-même gros sur le cœur, pour d’autres raison que les leurs, et, gardant tout à l’intérieur, sa peine toucha la mienne, la rencontra, la bonifia. Dans mon cœur, je lui répondais que moi non plus je ne suis pas fixée. Il disait que ‘nous les français’ nous sommes fixés et que ‘nous les algériens, on est comme des oiseaux’. Au bout de l’allée, comme j’allais traverser la rue pour continuer dans le Parc Pic, rentrant ‘chez moi’ (chez Philippe le jardinier, en fait, chez lequel je suis hébergée à titre gratuit, lui-même chrétien et miraculé de la guerre d'Algérie, porte-drapeau…), et lui bifurquant à droite avec ses deux compagnons de travail qui l’avaient devancé, je lui dis que, peut-être, un jour, j’allais aller moi aussi en Algérie… Et il me répondit : « Oui madame ! Inch ‘Allah ! » sans y croire lui-même, habitué à rêver la réalité pour la supporter, et moi y croyant tout de même un peu plus que lui. « Inch’ Allah ! » lui ai-je répondu à mon tour. Et il brandissait la baguette de pain, déjà un peu plus loin, en signe d’à-Dieu… Je n’ai pas eu le temps de lui dire que ma nièce était ‘kif-kif’ franco-algérienne, que j’avais eu un petit Augustin perdu en fausse couche ainsi nommé à cause du grand Augustin d’Hippone… Mais j’y ai pensé très fortement, et à toutes les strates de ma vie qui croisent des algériens ou des fils d’algériens connus de par mon passé, et d’autres au présent. Comme ceux de La Maison Soufie à Saint-Ouen.

    Le lendemain matin, j’ai pensé à cette scène, et je l’ai écrite dans mon journal spirituel. C’était le jour de l’Annonciation. J’avais ‘le nez dans le guidon’, ce jour-là, pleine de tristesse. Ils étaient trois. Comme les trois hommes de passage par la tente d’Abraham, l’attendant sous l’arbre de Mambré, alors qu’il demanda à Sara d’aller préparer trois galettes…

    Je ne pense pas que ces trois algériens soient spécialement religieux ; de culture et tradition musulmane, oui, mais sans doute pas pratiquants, dans notre société française laïcisée. Je ne pus m’empêcher de penser à Christian de Chergé, à Tibhirine, à mes lectures de Christian Salenson à son sujet et à ce désir qui m’habite de vivre le dialogue interreligieux tel que le Ribât es-Salâm, à Notre-Dame de l’Atlas, l’avait engagé, avec les leçons que nous pouvons en tirer pour continuer. Ici en France et en Algérie.  

    perdrix.jpgCes trois algériens ont été trois oiseaux dont l’un m’effleura de son aile, de façon si proche, qu’il fit une mince entaille en mon cœur de petite perdrix française dont les traces des pattes s’effacèrent dans le Parc Pic, aussitôt passée…

    Sandrine Treuillard
    25-27 mars 2019, Vanves

     

    * À l'écoute de cette émission du 21 avril 2019, Louis Pernot nous dévoile le sens de l'oiseau spirituel, à partir de la 21ème minute et 20 secondes. Je retranscris ses mots :

    Commentaire du Psaume 55, verset 7 par le Pasteur Louis Pernot - émission Hébreu biblique du 21 avril 2109, sur Fréquence protestante.

    Voici les 8 premiers versets (trad. AELF) de ce psaume de David 54 (55) (David signifie ”amour” en hébreu, nous précise L. Pernot).

    02 Mon Dieu, écoute ma prière, n'écarte pas ma demande. *

    03 Exauce-moi, je t'en prie, réponds-moi ; inquiet, je me plains.

    04 Je suis troublé par les cris de l'ennemi et les injures des méchants ; * ils me chargent de crimes, pleins de rage, ils m'accusent.

    05 Mon cœur se tord en moi, la peur de la mort tombe sur moi ; *

    06 crainte et tremblement me pénètrent, un frisson me saisit.

    07 Alors, j'ai dit : « Qui me donnera des ailes de colombe ? + Je volerais en lieu sûr ; *

    08 loin, très loin, je m'enfuirais pour chercher asile au désert. »

    09 J'ai hâte d'avoir un abri contre ce grand vent de tempête ! *

    Le verset 7 est ainsi traduit de l’hébreu par Louis Pernot :

    « Qui me donnera un plumage de la colombe afin que je m’envole et que je demeure ? »

    Et il le commente ainsi :

                esprit saint,algérie,tibhirine,armand veilleux,artisans de paix,foi,sandrine treuillard,christianisme,islam,laïcité,communauté du chemin neuf« La colombe est un animal important dans la Bible. Malheureusement, souvent mal compris dans notre société actuelle, puisqu’aujourd’hui la colombe est le symbole de la paix. Alors que dans la Bible, la colombe renvoie en fait à Noé sur son arche qui laisse s’envoler l’oiseau. Donc la colombe - qui est en plus un corbeau, au début -, s’envole et à un moment donné elle revient avec un rameau d’olivier dans le bec, pour signifier qu’il y a de la terre ferme quelque part. Et à un autre moment elle s’en va et ne revient pas, ce qui prouve qu’elle a dû trouver un endroit où se poser. La colombe est donc là le signe du fait que l’épreuve est terminée. Et donc ”qui me donnera un plumage de colombe ?” ne signifie pas forcément que je puisse m’envoler moi-même (encore que… c’est ce qu’il dit après), mais que moi-même j’ai cette capacité à pouvoir signaler la fin de l’épreuve.

                Mais ce qui est intéressant c’est qu’il ne demande pas simplement une colombe pour lui indiquer que, en effet, le déluge ou l’épreuve s’arrête. Mais il veut lui-même être colombe et lui-même s’envoler et trouver une demeure loin de là où il est. C’est-à-dire qu’il veut lui-même être signe, peut-être, pour les autres, de la fin de l’épreuve. Parce que la colombe, elle sert pour les autres. La colombe n’est qu’un signe pour Noé. Et finalement peut-être que la solution est non seulement d’avoir pour soi un signe qu’il y a une terre ferme quelque part, qu’il y a une espérance, qu’”il y a un endroit où on pourra reposer ses pattes”, mais aussi de l’être pour les autres. Et c’est quand on l’est pour les autres qu’on l’obtient pour soi. C’est pourquoi le psalmiste dit là une chose absolument merveilleuse mais tout à fait originale. Il ne dit pas ”Envoie-moi, Seigneur, une colombe pour que je puisse savoir qu’il y a quelque part du repos”. Il dit : « Qui me donnera à moi d’être colombe ? », je dirais, sous entendu, pour les autres, c’est-à-dire que je puisse être effectivement signe de libération pour les autres. Et c’est quand on est signe d’espérance pour les autres que l’on peut, à fortiori, trouver de l’espérance pour soi.

    esprit saint,algérie,tibhirine,armand veilleux,artisans de paix,foi,sandrine treuillard,christianisme,islam,laïcité,communauté du chemin neuf« Avoir les ailes de la colombe » c’est encore autre chose puisque si la colombe est le signe de cette libération dans la Bible, elle est aussi l’image du Saint Esprit. En effet, lors de la Création, il est écrit : « L’esprit de Dieu planait à la surface des eaux ». Le Saint Esprit est l’image de l’oiseau qui plane au-dessus de sa Création. C’est pourquoi la colombe, en particulier, est le symbole du Saint Esprit, de cette présence de vie qui plane en descendant du ciel vers la terre, c’est-à-dire de Dieu vers les hommes. (C’est pourquoi les protestantes sur leur croix huguenote portent cette colombe à laquelle elles sont toutes très attachées et qui représente le Saint Esprit.) Le psalmiste demande donc d’avoir les ailes de la colombe, c’est-à-dire d’être revêtu du plumage du Saint Esprit. Ça, c’est vraiment une très belle chose. En effet, on ne peut pas être soi-même l’incarnation de l’Esprit. L’Esprit, nous en bénéficions. Mais ce qu’il demande, c’est d’avoir les ailes du Saint Esprit et que grâce à ce plumage du Saint Esprit que Dieu peut nous donner, nous puissions nous envoler, c’est-à-dire nous rapprocher de Dieu et remonter vers Dieu plutôt que de rester dans la fange, dans la boue et dans l’épreuve de cette terre. Et c’est l’Esprit lui-même, le Saint Esprit de Dieu, cette puissance de Dieu, qui peut nous permettre de nous envoler pour monter vers Lui. Et là, il y a une théologie très sûre, qui n’est justement pas une théologie ni du mérite, ni de l’action propre de l’homme - c’est-à-dire théologie des œuvres qui pourrait dire ”sois sages”, « fais des bonnes œuvres”, ”repends-toi et à ce moment-là tu pourras t’élever vers Dieu” - mais il dit qu’il ne pourra s’élever vers Dieu que si Dieu lui donne les ailes de la colombe, c’est-à-dire que si Dieu lui donne les ailes du Saint Esprit.

                Nous ne pouvons donc nous élever vers Dieu que par l’aide de Dieu et non pas par nos propres mérites ou nos propres œuvres. Et, effectivement, « Qui donnera ? », bien entendu, c’est Dieu. On sait très bien qu’il n’y a que Dieu qui peut nous donner cette puissance de l’Esprit. Il dit donc « et enfin je m’envolerai », c’est-à-dire je vais pouvoir aller vers Dieu, m’élever vers Dieu, monter vers le ciel, « et je demeurerai ». Alors, où est-ce qu’il va demeurer ? Si l’oiseau s’envole où va-t-il demeurer ? Il va demeurer dans le ciel. Il ne va pas s’envoler pour aller demeurer par terre. Alors peut-être que ”demeurer dans le ciel” c’est justement faire sa demeure en Dieu. Et la meilleure chose qu’on puisse faire c’est demeurer dans la présence de Dieu et demeurer avec Dieu, comme Dieu également doit demeurer en nous. Cet aspect a été développé très longuement dans l’Évangile de Jean quand Jésus dit : « Afin que je demeure en toi et que tu demeures en moi, que mes disciples demeurent en moi, qu’ils demeurent en toi ». Ainsi, l’idée de demeurer en Dieu est la chose absolument essentielle.

                Maintenant, l’idée de demeurer en elle-même peut-être aussi de demeurer, c’est-à-dire de trouver un endroit où habiter, tout simplement. Parce qu’il peut y avoir un sentiment, dans celui qui est éprouvé, qu’« il n’a plus aucun endroit où reposer sa tête » et qu’« il ne trouve de repos nulle part ». L’éprouvé a besoin de trouver un endroit de repos, un endroit de confort et de tranquillité et ce lieu peut-être justement la présence de Dieu qui lui permet de demeurer. À moins que, justement, il s’envole et qu’il demeure, sous entendu, nulle part, parce que le Talmud dit qu’en fait la colombe ne se repose jamais, qu’elle ne trouve aucun endroit pour se reposer. Il paraît que certains oiseaux ne se posent jamais nulle part, qu’ils volent toute leur vie. Le Talmud avait remarqué cela, sans doute, et il dit que la colombe – ce n’est peut-être pas vrai de la colombe… - mais il dit que quand la colombe est fatiguée, elle replie une aile pour la reposer pour voler avec l’autre. Ce n’est sans doute pas très ornithologiquement juste, mais l’idée est assez belle : la demeure que propose le psalmiste, ce n’est pas de dire : ”je vais être peinard dans mon coin, ne plus bouger, ne plus rien faire et rester tranquille”, dans une sorte d’ataraxie, mais c’est une demeure en vol. Il va voler, aller vers Dieu, être en mouvement, et être en marche, et là va être sa demeure. Une demeure dynamique qui consiste à demeurer en Dieu en restant toujours en l’air avec Dieu et c’est ainsi qu’il peut trouver le repos auquel il aspire.

                Voilà donc la prière du psalmiste dans cette grande épreuve que nous avons évoqué dans le psaume 55, verset 7 et nous continuerons à partir du verset 8 la prochaine fois. »                       

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