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En ce Jeudi de l’Ascension, 21 mai 2020, je fais mémoire de ce qui s’est passé il y a un an, lors d’une messe à l’Abbaye de Sablonceaux. L’événement spirituel expérimenté in situ dans le chœur de l’église abbatiale de Sablonceaux, le jeudi 23 mai 2019, a été rappelé le 26 avril 2020, en plein jeûne eucharistique dû au confinement #Covid19, lors de la retransmission de l’Eucharistie en ligne, à l’abbaye Notre-Dame des Dombes, dans l’Ain, décrite dans mon texte précédent : Du jeûne eucharistique comme communion au sacrifice du Christ - Révélation d'une vocation. Ces deux abbayes d’origine cistercienne sont aujourd’hui habitées et animées par la Communauté du Chemin Neuf.
Je dédie ce texte à sr Rita Kispal, ccn
Sandrine Treuillard
Cela fait un an que j’étais à l’Abbaye de Sablonceaux pour la première fois. Une semaine pour partager la vie de la Communauté du Chemin Neuf, à 20 km de Royan, en Charente-Maritime, Nouvelle-Aquitaine.
Le mercredi 22 mai 2019, avec sœur Rita, la maîtresse de maison, j’avais nettoyé l’église abbatiale pour y célébrer, le lendemain, les laudes et la première messe de la saison, après la période hivernale où l’église est glaciale. Ce fut aussi pour moi la découverte de l’église alors que j’étais là depuis le dimanche soir. Le mercredi, ç’avait été un bonheur de la préparer, passant l’aspirateur sur la moquette rouge au pied du tabernacle, rafraîchissant le bouquet, et échangeant avec Rita sur nos expériences respectives dans nos églises de village (elle en Hongrie), tout en balayant l’allée centrale de la nef. Pendant les laudes du jeudi dans cette petite chapelle sud, chapelle du Saint-Sacrement où la communauté s’est retrouvée, j’avais perçu pour la première fois nos voix réverbérer dans l’immense ventre de la nef, avec un pincement de joie au chœur (cœur !). Cette expérience de la psalmodie et du chant de louange dans l’église abbatiale me renvoya à l’église Saint-Martin de Sury-ès-Bois, dans ce village de mon enfance où j’avais eu mes premiers émois spirituels et la vocation à devenir l’épouse du Christ ̶ ce que je pensais être déjà lors de ma première communion et profession de foi, en 1986, à 12 ans.
Puis, ce jeudi matin du 23 mai 2019, ce fut le montage du chapiteau, la grande tente bleue pour la Pentecôte, amenée en camion par un autre frère du Chemin Neuf, Ladislas, de l’Abbaye Notre-Dame des Dombes (Ain). Près de 900 personnes se retrouveront sous ce chapiteau, autour de l’évêque, pour les confirmations du diocèse, alors qu’elle ne pouvait en contenir théoriquement que 600. ̶ On avait alors élargi l’espace de la Tente en décrochant les jupes. ̶ Durant le montage de la tente ce jeudi 23 mai 2019 ̶ un travail collectif que je vécus avec bonheur ̶ je m’étais retrouvée comme à tricoter à l’échelle de mon corps, passant les cordes dans les gros œillets, tirant, laçant, dans un mouvement des bras et des jambes, tractant, poussant du pied l’air s’accumulant entre les œillets tout en montant le long des deux pans de la toile imperméable du chapiteau ainsi reliés, que tous ensemble nous allions ensuite monter, dans l’après-midi. Á l’approche de midi, j’étais exténuée.
Ainsi vidée par un effort physique et collectif grisant, je me suis retrouvée assise dans l’église abbatiale pour la messe de midi. Le chœur et la nef sont baignés de la lumière zénithale. L’architecture cistercienne est un écrin au silence, à la paix. C’est lors de cette eucharistie, la première de la saison dans l’église abbatiale ̶ et la première tout court pour moi, ici ̶ qu’à l’élévation de l’hostie consacrée à l’Agnus Dei, la phrase de saint Jean Baptiste prononcée par le père Matthieu : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », l’hostie se superposa à la poitrine du Christ en Croix derrière le prêtre.
L’union du Sacré Cœur et de la Sainte Eucharistie se produisit sous mes yeux et ce fut la confirmation fulgurante de mon union au Christ, par mon nouveau nom en Lui, qu’Il me donna en novembre 2014 (‘Jehanne de la Sainte Eucharistie’) ; et le 3ème dimanche du Carême, en mars 2015, dans ma lettre à Mgr Michel Dubost où j’esquissais en signature mon blason spirituel complet, après avoir évoqué le Sang jaillit de son Cœur à la Croix qui m’éclaboussa et me baptisa… ‘Sandrine du Sacré Cœur’ avec les trois gouttes de Sang perlant au bas du Cœur, arrosant la terre, la Croix comme un germe, rameau de Jessé jaillissant de ce Cœur fécondant la terre ; ou encore, Croix plantée dans le Cœur de Jésus telle une épée(Parole de Dieu, à double tranchant) ; et encore : lancedu centurion qui révèle la pentecôte eucharistique à la mort du Christ. Dans cet instant de l’Agnus Dei, avec l’hostie présentée en hauteur au niveau du Cœur de Jésus en Croix par le célébrant, tout ceci y était présent, en condensé. Mes larmes jaillirent : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir » avec le geste de componction contre mon sternum, « mais dis seulement une parole et je serais guérie », les sanglots étranglant ma voix, aucun son ne put sortir. Á genoux, ne cessant de sentir les larmes sillonner mes joues de façon doucereuse, le visage baissé, Blanche entonna le chant de communion de la Communauté du Chemin Neuf : « Ô Jésus, que j’adore ». J’écoutais, ou plutôt j’étais traversée par l’écoute, ne cessant de pleurer, c’était mon adoration, et plus que cela : les paroles décrivaient ce qui se passait en moi, ou peut-être était-ce la Parole agissante, investissant toute l’acoustique de l’église cistercienne :
Ô Jésus que j’adore, Tu t’offres à contempler, Humble et douce présence, Tu t’es fait pain et vin. Ô ô Jésus, tu t’es fait pain et vin Pour nos cœurs en errance.
Ô Jésus que j’adore, Tu t’offres à nos désirs, Vers toi courent nos âmes En silence et en paix. Ô ô Jésus, en silence et en paix Pour l’humble face à face.
Ô Jésus que j’adore, Tu t’offres à notre amour, Dans l’invisible espace De ton cœur transpercé. Ô ô Jésus, de ton cœur transpercé Où nos peines s’effacent.
C’est à cette troisième strophe « Ô Jésus que j’adore, tu t’offres à notre amour dans l’invisible espace de ton cœur transpercé » que mes larmes redoublèrent du bonheur de la communion au Christ, en ce moment-même. Et en ce ‘moment-source’ de mon identité spirituelle donnée de toute éternité, déjà donnée sensiblement et traduite en mon blason en novembre 2014 et mars 2015. « Ô ô Jésus, de ton cœur transpercé où nos peines s’effacent », j’étais comblée de bénédiction dans ce flot de larmes. Je ne pus chanter, les larmes avaient investi ma voix depuis l’Agnus Dei, suivant le cours de la rivière issie du Cœur de Jésus et du Pain rompu qui me traversait corps, cœur et âme.
Ô Jésus que j’adore, Tu t’offres à notre temps, Au lieu de notre angoisse, Tu fermentes en nos vies. Ô ô Jésus, tu fermentes en nos vies, Préparant le partage.
Ô Jésus que j’adore, Tu t’offres à nos douleurs, Tu formes ton image Tout au fond de nos cœurs. Ô ô Jésus, tout au fond de nos cœurs, Tu es notre victoire.
Ce n’est qu’après, en juin et juillet, préparant la visite commentée de l’abbaye de Sablonceaux et la donnant effectivement en août 2019, à l’invitation expresse de Rita, la sœur maîtresse de maison, et de Cyrille, le frère responsable de la communauté, que je découvris et fis le lien entre le moment décrit du jeudi 23 mai 2019 à l’Eucharistie, et le saint Patron de la chapelle du Saint Sacrement : saint Jean Baptiste. Le médaillon de la clef de voûte de cette chapelle représente la parole de Jean le Baptiste désignant Jésus le Christ à ses disciples : ‘Ecce Agnus Dei’, ‘Voici l’Agneau de Dieu’, portant un agneau entre ses bras comme serti dans une mandorle.
Enfin, c’est un mois plus tard, le 24 juin 2019, jour de la nativité de saint Jean Baptiste, le ‘Noël d’été’, préparant cette visite commentée de l’abbaye de Sablonceaux, que j’obtins le jugement du Tribunal ecclésiastique de Paris reconnaissant la nullité du sacrement du mariage, contracté dix ans plus tôt avec mon ex-mari. Sous le signe de la naissance de saint Jean Baptiste, précurseur du Christ qui désigna une première fois Jésus depuis les entrailles de sa mère, lors de la Visitation de Marie à sa cousine Élisabeth ; sous le signe de Jean-Baptiste désignant toujours l’Agneau de Dieu, je fus ainsi rendue vierge au Christ, pour le Christ. Rendue au Christ. (10h29)
Sandrine Treuillard Jehanne Sandrine du Sacré Cœur & de la Sainte Eucharistie Jeudi de l’Ascension, 21 mai 2020 Les Bleineries 18260 Sury-ès-Bois
Illustrations : - Photographie du chapiteau devant le clocher de l'Abbaye Notre-Dame de Sablonceaux : Sandrine Treuillard - Chœur de l'église abbatiale Notre-Dame de Sablonceaux : arrêt sur image de la vidéo plus haut : Drône océan. - Dessin de la clef de voûte de la chapelle saint Jean Baptiste : tiré de l'ouvrage « L'Église abbatiale de Sablonceaux (Charente-Inferieure) », Congrès archéologique de France, LXXIXe session tenue à Angoulême en 1912, Paris / Caen, A. Picard / H. Delesques, (vol. 79-II, , p. 287-303) de Eugène Lefèvre-Pontalis, en ligne sur Bibliothèque Nationale de France, Gallica, p.296. - Dessin du blason spirituel : Sandrine Treuillard
Quand ilouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d'environ une demi-heure.
Livre de l’Apocalypse 8,1
Dimanche 26 avril 2020
En ce 26 avril 2020, en plein confinement #Covid19 et connectée à internet, lors de la messe du 3ème dimanche de Pâquescélébrée à l’Abbaye Notre-Dame des Dombes[i] par la Communauté du Chemin Neuf, à la consécration du Pain ̶ "Ceci est mon corps livré pour vous" ̶ et du Vin ̶ "Ceci est mon sang livré pour vous" ̶ , quand le prêtre a élevé l’hostie, puis la coupe, mes larmes ont jailli. Pendant l'épiclèse[ii], l'hostie du Pain consacré, puis la coupe du Vin consacré se sont trouvées superposées au Corps du Christ en Croix, à l’endroit même de son Cœur ̶ et par deux fois, mes larmes ont jailli.
Plus tard dans la célébration, au moment de la communion à la Table eucharistique, le prêtre a lu la prière de la communion spirituelle composée par la Communauté du Chemin Neuf. J’étais en pleine désolation d’être séparée de la Table eucharistique, de ne pouvoir communier à son Corps et à son Sang, suspendue devant la poitrine christique, le visage en larmes. L’hymne "Lumière enfouie", la 3ème strophe, exprime tout à fait mon sentiment, également dans le ton chanté :
« Victime offerte à mes bourreaux, Mon corps n'est plus rien que blessure ! Vous n'aurez plus besoin de lune ou de soleil, Agneau de Dieu, je suis votre flambeau ; Moi seul peux vous combler de joie, Ma Joie qui s'ouvre aux cieux nouveaux, Puisqu'au calvaire on me torture. »
Le Christ parle de la joie qui viendra nous combler, au futur.
En ce 3ème dimanche de Pâques, dans la communion spirituelle à son Eucharistie, je suis entrée dans la blessure du Côté du Christ en Croix, et ce dès les paroles de consécration des saintes Espèces par le prêtre. J'y demeure et y suis triste. Mon âme est triste, réfugiée en son Sacré Cœur comme en le jardin de Gethsémani, la nuit où Il entra en sa Passion : Il prit avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, et il commença à éprouver de la tristesse et des angoisses. Il leur dit alors : Mon âme est triste jusqu'à la mort ; restez ici, et veillez avec moi. Puis, ayant fait quelques pas en avant, il se jeta sur sa face, et pria ainsi : Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de moi ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux (Mat. 26, 37-39).
C'est aussi le moment sur la Croix du "J'ai soif" qui s'éternise. Á ce désir douloureux, m’est présentée la communion spirituelle, comme on présenta l’éponge gonflée de vinaigre aux lèvres de Jésus assoiffé.
Je pense que le Seigneur veut que je vive cela, à la mesure de mes forces, en union avec Lui, pour que j’éprouve le manque réel et manifeste de la communion eucharistique sacramentelle.
Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi.
Livre de l’Apocalypse 3, 20
Lundi 27 avril 2020
Je n'éprouve pas ce manque de Jésus Eucharistie seulement pour moi-même, mais, comme membre du Corps du Christ ; c'est comme si je devais souffrir cela au nom de tous ceux qui sont actuellement séparés de la Table eucharistique. Je prends donc cette privation de la communion eucharistique comme un sacrifice incarné dans ma chair, incarné dans mon désir blessé de la communion sacramentelle. Désir qui s’étend à toute la communauté chrétienne vivant cette même séparation de la Table eucharistique. Cette privation, ce jeûne eucharistique devient sacrifice eucharistique spirituel. C’est l’offrande de moi-même, de mon désir de communier au Verbe fait chair dans l’Eucharistie (Eucharistie à la fois comme Célébration – action de grâce – et Communion – mangeant le Pain, buvant le Vin – et en commune aspiration autour du Christ avec toute la communauté chrétienne) qui devient sacrifice eucharistique spirituel dans l’acquiescement à ce jeûne offert en communion avec tous les autres chrétiens qui en souffrent aussi. Et offert librement, en communion spirituelle avec le sacrifice du Christ en sa Passion.
Je pense le vivre de façon œcuménique, pour l’Unité de tous les chrétiens, même si je suis d’obédience catholique. La dimension communautaire de l’Eucharistie retrouve toute sa nécessité et tout son sens dans ce jeûne imposé. Il est bon que nous en souffrions. Il est sain que nous en souffrions pour contacter à nouveau et de façon plus aiguë, plus profonde, l’essence du Mystère de l’Eucharistie du Seigneur Jésus Christ. Je pressens que le fruit de ce jeûne eucharistique communautaire de tous les chrétiens, dû au confinement #Covid19, nous pousse à contempler le mystère de l’Unité à la Table du Christ. Par la séparation de nos communautés habituelles, nous sommes en quelque sorte rassemblés plus radicalement autour du Christ lui-même, au-delà et au-dessus de nos obédiences. L’essentiel, c’est le Christ lui-même, et que nous soyons autour de Lui, et pas la particularité de nos rites, dans nos églises respectives. Cela nous pousse à devenir une nouvelle Église primitive.
Je souhaite vous faire remonter à l’expérience de communion de ce que je viens d’écrire. Le samedi 18 avril, la veille du second Dimanche de Pâques, le pasteur Alain Joly – chargé de mission de la Fraternité eucharistique luthérienne d’Artisans de Paix – a transmis un message aux deux paroisses où s’exerce son ministère, que la présidente de l’association Artisans de Paix, Paula Kasparian, nous a transmis et que je lus. Ce message, je l’ai pris comme m’étant aussi adressé (les caractères gras sont de l’auteur) :
« Chers amis,
En cette veille du deuxième dimanche de Pâques, Quasimodo geniti, mes pensées vont particulièrement aux deux églises luthériennes, où nous aurions pu nous retrouver, comme prévu avant la crise, pour célébrer le Service divin et la sainte Communion.
Á vous, chers paroissiens de Saint-Luc de Vanves, et de La Rédemption, et chers fidèles qui aimez à vous y associer, que soit donnée d'accueillir la Paix qui vient de Dieu par Jésus-Christ !
En effet, le Prince de la Paix visite les disciples réunis le soir, une semaine après sa Résurrection, et c'est ce qui fait notre Joie, présente et à venir.
Si vous le voulez et le pouvez, soyons unis dans l'esprit, à 18 h 30, demain dimanche 19 avril, pour lire l’Évangile de saint Jean, chapitre 20, versets 19 à 31, penser les uns aux autres, en nous nommant dans l'intercession, et avoir confiance que Dieu exauce ce que nous lui demandons dans la Prière du Seigneur.
On pourra chanter l'un des choralsde Martin Luther pour la circonstance, Christ lag in Todesbanden, ou Nun freut euch, lieben Christen gemein, ou Christ ist erstanden, dont des versions françaises se trouvent dans nos recueils de cantiques.
Ce dimanche, je ne célébrerai pas la sainte communion, seul, chez moi, comme je l'ai fait les dimanches précédents, en vous demandant de vous y unir par l'esprit.
La grâce de mon ministère doit aussi demeurer une ouverture à ce que vous vivez : je veux vivre avec vous le jeûne eucharistique, en creusant le désir d'être à nouveau accueillis ensemble à l'Autel du Seigneur.
Fidèlement, pasteur Alain Joly
Paris, le 18 avril 2020 »
Je lus ce message du pasteur le dimanche 19 avril, 3ème de Pâques, jour-même du jeûne eucharistique qu’il décida pour lui-même afin d’être en communion avec ses paroissiens. Dimanche de la Divine Miséricorde pour les catholiques. Je lui répondis aussitôt ceci :
« Cher pasteur Alain,
Votre mot adressé aux luthériens que Paula nous a partagé me touche infiniment. C'est votre jeûne eucharistique qui me touche et rejoint le mien en pleine force. Abondance de grâce de communion spirituelle à vous lire. »
Je vis un autre ange qui tenait le sceau du Dieu vivant et il dit : Ne faites point de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, jusqu'à ce que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu.
Livre de l’Apocalypse 7, 2-3
En effet, pour les catholiques, le 2ème Dimanche de Pâques est devenu une fête instaurée par saint Jean-Paul II sous l’inspiration de sainte Faustine Kowalska (fête célébrée le 22 avril 2001 pour la première fois par les catholiques du monde entier) : la Divine Miséricorde. Avec les luthériens, nous partageons le même Évangile de Jean 20, 19-31. C’est le même Mystère célébré dans ce dimanche de la fête Quasimodo geniti[iii]. Les catholiques l’approfondissent dans la suite du mystère du Sacré Cœur (révélations de Jésus Christ à sainte Marguerite-Marie Alacoque, à Paray-le-Monial, dans la seconde moitié du XVIIème siècle), source de la Miséricorde divine (révélations de Jésus à sainte Faustine, en Pologne, dans les années 30 du XXème siècle, relatées dans son Petit Journal, § 699). C’est ainsi que pour les catholiques :
- quand le Christ institue l’Eucharistie le Jeudi saint, avec le disciple bien-aimé qui se penche sur sa poitrine ;
- quand le Christ expire sur la croix remettant son Esprit entre les mains du Père, et quand son flanc transpercé laisse jaillir le Sang et l’Eau de son Cœur ;
- enfin, quand il apparaît après sa Résurrection au Cénacle à ses disciples, leur donnant la Paix, soufflant l’Esprit sur eux, et leur montrant ses plaies de crucifié ;
ces trois moments sont reliés par le même Mystère de l’Amour de Dieu pour ses enfants : Mystère de l’Eucharistie, du don de Dieu en le sacrifice de Jésus Christ, de la Rédemption, de la Divine Miséricorde, du don de l’Esprit Saint. Le mystère du Sacré Cœur est intimement lié et inséparable de l’Eucharistie (je vous invite à lire à ce sujet, de Marguerite-Marie Alacoque, un extrait de son journal lors d’une Retraite de 1684).
Rien d’étonnant, alors, peut-être en conviendrez-vous avec moi, que quand l’une manque (l’Eucharistie) on se réfugie dans l’autre (le Cœur de Jésus). Que quand la communion sacramentelle (donc physique) au Corps et au Sang du Christ dans les saintes espèces consacrées manque, on se réfugie dans le Sacré Cœur de Jésus. Cœur de Jésus du Jeudi saint (le disciple bien-aimé qui penche sa tête sur la poitrine de Jésus), et du Vendredi saint (ayant expiré en Croix, son Côté transpercé laisse jaillir le sang et l’eau et donc l’Esprit Saint), avant sa Résurrection ̶ puisqu’au cours de la célébration de la messe nous faisons mémoire de la Passion du Christ depuis l’institution de l’Eucharistie (Jeudi saint) ; nous traversons sa Croix (Vendredi saint) et sommes emmenés au-delà, jusqu’à sa Résurrection et à l’inhabitation du Christ en nous lors de la communion sacramentelle (dimanche de Pâques). La privation de l’incorporation du Corps du Christ (communion sacramentelle) engendre une douleur dans l’âme qui se réfugie alors dans la plaie de son Cœur à la Croix. La douleur brute de la privation se mue alors, dans le temps, en blessure doucereuse (communion spirituelle) : la lumière du Christ nous visite.
Trois jours après le 2ème dimanche de Pâques Quasimodo / Miséricorde Divine, nous poursuivions la lecture des Actes des Apôtres où l’ange, après avoir délivré Pierre et Jean de la prison, se donne la peine de refermer les portes après les avoir laissé sortir. Avec les visites du Ressuscité aux disciples confinés au cénacle, dans la chambre haute (Évangile de Jean du 2ème dimanche de Pâques Quasimodo), qui Lui, se trouve au milieu d’eux sans avoir ouvert aucune porte, le père trappiste Armand Veilleux a écrit une homélie sur Les portes tournantes de la solitude et de la prière, le 22 avril. Ce jour-là, l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance (les trappistes) fêtaient la bienheureuse Maria Gabriella Sagheddu, apôtre de l’Unité, qui s’offrit pour l’unité des chrétiens au cœur de sa vie monastique, en Italie. Elle rendit son âme au Père en quinze mois, suite à la tuberculose qui commença le jour où elle fit son offrande d’elle-même pour l’œcuménisme (détails suite à l’homélie ici). Cette figure de Maria Gabriella, apôtre de l’Unité (béatifiée par Jean Paul II le 25 janvier 1983), me toucha personnellement dans son offrande d’elle-même par ses vœux monastiques en union avec le Christ-Roi ; et par sa prière pour l’Unité, en union avec l’Eucharistie du Christ les quinze derniers mois de sa vie. Elle rendit l’esprit le 23 avril 1939.
Dans la simplicité de mon cœur, je T'offre tout avec joie, ô Seigneur.
Tu as daigné m'appeler à Toi, et je viens à Tes pieds.
En ce jour de Ta fête royale, Tu veux faire de moi, créature misérable, la reine.
Je Te remercie avec toute l'effusion de l'âme, et en prononçant les saints vœux je m'abandonne entièrement à Toi.
Ô Jésus fais que je puisse demeurer toujours fidèle à mes promesses et que je ne reprenne jamais ce que je Te donne en ce jour Viens et règne dans mon âme, tel un Roi d'amour.
« Sa courte vie monastique (trois ans et demi) se consomma comme une eucharistie. Son abbesse, mère Maria-Pia Gullini, très sensible au mouvement œcuménique, désirait fortement le voir encore s’amplifier et elle avait su communiquer à la communauté ce qui avait été l’âme de sa vie. En face de la déchirure du corps du Christ, Maria-Gabriella perçut la nécessité de s’offrir elle-même. Son corps, retrouvé intact lors de la reconnaissance de 1957, repose actuellement dans une chapelle contiguë au monastère de Vitorchiano, où la communauté de Grottaferrata s’est transférée » (source : Croire).
Or, à mon retour de retraite de la Trappe de Scourmont (Belgique) fin septembre 2019, dans la nuit du 6 octobre (saint Bruno), j’écrivis une lettre de candidature à la vie monastique à l’abbaye des trappistines de Vitorchiano. La sœur hôtelière me répondit le vendredi suivant et me dirigea vers leur abbaye sœur de France, dans le Vaucluse, à Blauvac. J’y suis allée deux fois et je devais y retourner fin mai. Cette 3ème retraite/visite monastique comme candidate est compromise par le prolongement du confinement #covid19.
Le lendemain de la fête de la bienheureuse Maria Gabriella, apôtre de l’Unité, jeudi 23 avril 2020, dans sa pensée synthétique Paula Kasparian écrivit sa lettre de confinée aux Artisans de Paix confinés, y joignant ma réponse (précitée) au message du pasteur, qu’elle introduisit ainsi :
« Une nouvelle forme de communion des saints est en train de venir au monde parmi nous. Soyons attentifs à ce qui vient. "Nous vivons un renouvèlement de la réalité de la communion des saints" fut la première réflexion du pasteur Alain Joly, au début du confinement. Et à plusieurs reprises, il nous a donné des rendez-vous de prières, confinés. »
Son dernier rendez-vous de prière était alors pour partager le jeûne eucharistique du deuxième dimanche de Pâques.
Il n’y aura plus de temps… aux jours de la voix du septième ange, le mystère de Dieu s’accomplira.
Livre de l’Apocalypse 10, 6-7
La communion spirituelle étant déjà une transfiguration du temps séculier en le temps de Dieu, comme une faille, une fêlure dans le temps du siècle, la douleur de la privation de la communion sacramentelle dans la chair (comme l’écharde de saint Paul), deviendra, peut-être, dans la durée, doucereuse à l’âme dans la communion spirituelle. On serait alors confiné dans le Cœur de Jésus, enveloppé de la grâce rafraîchissante qui renouvelle notre esprit comme elle jaillit en même temps que le Sang et l’Eau. De la douleur aiguë dans le jeûne eucharistique, la grâce de l’Esprit de Jésus remis entre les mains du Père nous placerait peut-être dans la douceur du Cœur de Jésus comme dans « la main sûre et tranquille » du Père où « nous reposons comme un oiseau au creux du rocher » (chant de communion -sacramentelle- de la Communauté du Chemin Neuf).
Le passage suivant de l’Apocalypse, reçu en invoquant l’Esprit Saint le vendredi 24 avril, va dans le sens de ce que je viens d’avancer (en gras dans la citation). Il s’agit du septième ange qui fait la révélation suivante à Jean le visionnaire :
LIVRE DE L'APOCALYPSE(Trad. Bible Louis Segond) chapitre 10
1Je vis un autre ange puissant, qui descendait du ciel, enveloppé d'une nuée ; au-dessus de sa tête était l'arc-en-ciel, et son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu. 2Il tenait dans sa main un petit livre ouvert. Il posa son pied droit sur la mer, et son pied gauche sur la terre ; 3et il cria d'une voix forte, comme rugit un lion. Quand il cria, les sept tonnerres firent entendre leurs voix. 4Et quand les sept tonnerres eurent fait entendre leurs voix, j'allais écrire ; et j'entendis du ciel une voix qui disait : Scelle ce qu'ont dit les sept tonnerres, et ne l'écris pas. 5Et l'ange, que je voyais debout sur la mer et sur la terre, leva sa main droite vers le ciel, 6et jura par celui qui vit aux siècles des siècles, qui a créé le ciel et les choses qui y sont, la terre et les choses qui y sont, et la mer et les choses qui y sont, qu'il n'y aurait plus de temps, 7mais qu'aux jours de la voix du septième ange, quand il sonnerait de la trompette, le mystère de Dieu s'accomplirait, comme il l'a annoncé à ses serviteurs, les prophètes.
Le temps dont il est question ici est spirituel. C’est l’instant d’éternité de l’extase, la sortie de soi. L’instant d’éternité renouvelé à chaque mémorial eucharistique, durant chaque célébration de la messe. Le Mystère de Dieu s’accomplit en chaque célébration eucharistique, à la consécration ; à la communion. Ce Mystère eucharistique s’accomplit quand nous vivons nous-mêmes le don de nous-mêmes, dans la prière contemplative aussi bien que dans la vie active, dans nos relations avec autrui. Ce temps où "il n’y a plus de temps" est l’instant d’éternité, c’est le ‘toucher de l’éternel’ vécu dans l’oubli de soi, le don de soi-même ou l’accueil de l’autre ou du tout Autre. C’est tous les jours, par toute la terre, dans la vie des hommes, au cœur du monde, quand le cœur d’un homme s’ouvre à la grâce divine, à l’Amour. Dans la communion sacramentelle, ce « mystère de Dieu s’accomplit » : nous goûtons à la vie éternelle promise par le Christ.
Je te conseille d'acheter de moi de l'or éprouvé par le feu, et des vêtements blancs, et un collyre pour oindre tes yeux.
Livre de l’Apocalypse 3, 18
Ayant reçu ce passage de l’Apocalypse au chapitre 10 où il s’agit du 7ème et dernier ange se manifestant à la vision de Jean, j’avais repris le Livre de l’Apocalypse depuis le début, où l’Esprit parle aux sept Églises d’Asie. Comme c’était la vision du 7ème ange qui m’avait été donné de lire au chapitre 10, j’ai recherché ce que l’Esprit dit à la 7ème Église d’Asie qui est à Laodicée. Voici, au chapitre 3 :
14Écris à l'ange de l'Église de Laodicée : Voici ce que dit l'Amen, le témoin fidèle et véritable, le commencement de la création de Dieu :
15Je connais tes œuvres. Je sais que tu n'es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant ! 16Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche. 17Parce que tu dis : Je suis riche, je me suis enrichi, et je n'ai besoin de rien, et parce que tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu, 18je te conseille d'acheter de moi de l'or éprouvé par le feu, afin que tu deviennes riche, et des vêtements blancs, afin que tu sois vêtu et que la honte de ta nudité ne paraisse pas, et un collyre pour oindre tes yeux, afin que tu voies.19Moi, je reprends et je châtie tous ceux que j'aime. Aie donc du zèle, et repens-toi. 20Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi.21Celui qui vaincra, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi j'ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône. 22Que celui qui a des oreilles entende ce que l'Esprit dit aux Eglises !
Dans le contexte de la pandémie du Covid-19 qui pousse au confinement, dans la séparation physique d’avec nos frères en humanité, dans l’empêchement de nous rencontrer, nos vulnérabilités humaines, nos interdépendances de toutes sortes sont mises en relief et leur rupture nous font souffrir. J’ai pris ce passage de ce que l’Esprit dit à l’Eglise de Laodicée comme accusant les traits d’orgueil de notre époque : quand nous refusons de considérer la vulnérabilité humaine et notre besoin de lien spirituel aux autres et à Dieu. Une parole qui accuse l’autosuffisance humaine qui nie l’existence de Dieu. Une parole qui respecte la liberté humaine, don de Dieu à sa créature qui s’adresse en vérité à sa conscience, souvent aveuglée. Une parole divine qui dit à nouveau son amour pour sa créature. Dieu, par son Christ, le Nouvel Adam, nous veut restaurés à son image et à sa ressemblance (2ème chapitre de Le Nouvel Homme de Thomas Merton). Par la communion, il veut répandre sa Lumière sur nous, en nous, afin que nous le reconnaissions, goûtions à sa relation, le voyions, et l’aimions en retour.
Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras.
Le Cantique des Cantiques 8, 6a
Samedi 2 mai 2020
Depuis le dimanche 26 avril, le sentiment de déréliction, la tristesse et la torpeur ont été mon lot cette semaine. J’ai trouvé un autre lieu propice au recueillement, moitié moins loin que Saint-Pardoux, de verts pâturages et de petits bois épais où le chant du coucou résonne. J’ai baptisé cet autre lieu de solitude secrète le ‘Vert Sacré Cœur’. C’est là que j’ai lu l’homélie du jour du Père Veilleux, en la mémoire de saint Athanase. Puis, le soir, au moment de la toilette avant le coucher, j’ai dû prendre une feuille de papier A4 et un stylo, pour écrire ce qui perçait dans la boue de mon âme, depuis le dimanche dernier. La souffrance du jeûne eucharistique fut amplifiée par l’annonce du gouvernement du report jusqu’au 2 juin de tous rassemblements cultuels en France, et des célébrations religieuses dans les églises de France : indifférence à la religion (déni/négation/mépris…), à la foi de leurs frères en humanité de nos dirigeants, relevée par Mgr Mathieu Rougé, évêque du diocèse de Nanterre, le 28 avril. J’écrivis :
Confinée dans la chambre haute de la Croix, le Cœur de Jésus.
D’abord suspendue, à la consécration du Pain « Ceci est mon corps livré pour vous » comme si j’avais été élevéeavec ce Pain devant le Corps du Christ en Croix, et transportéejusqu’à son Cœur. Puis, comme transféréedans sa poitrine en même temps que l’hostie et le vin consacrés furent élevés. J’ai élu domicile dans le cénacle du Cœur de Jésus, depuis la messe du 3ème dimanche de Pâques (26 avril). J’ai été engouffrée dans sa blessure cordiale et j’y souffre avec Lui, de l’indifférence à la foi de nos frères en humanité qui gouvernent le pays et retardent inconsidérément le moment de retourner communier. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34). C’est aussi pour eux que nous souffrons d’être séparés de la Table eucharistique. C’est pour eux et tous nos contemporains indifférents à la vie spirituelle (ou hostiles, méfiants, indécis…) que nous devons offrir notre douleur en union avec le sacrifice du Christ. Aujourd’hui, j’ai lutté, je lutte contre le clivage en moi, la tentation de la colère et du ressentiment, le sentiment d’injustice, l’amertume dus à cet empêchement de la communion sacramentelle déclarée être prolongé après le déconfinement du 11 mai, jusqu’au 2 juin.
Dans la souffrance silencieuse que je partage avec des milliers de croyants, je suis unie au Crucifié qui crie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc 15, 34). Sentiment de déréliction, alors que je sais, par ma foi, que je suis dans la chambre haute du Sacré Cœur de Jésus, sur la Croix. C’est cela mon sacrifice, qui n’est pas doucereux. Simplement douloureux. Douloureux pour quelque chose. Pour intercéder en faveur de nos contemporains au cœur endurci. Pour ne pas céder au ressentiment, à l’amertume, à la colère, sentiments qui n’ont jamais été très évangéliques. Cette souffrance spirituelle est ce qui m’unit concrètement au sacrifice du Christ, à sa Sainte Eucharistie.
« Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mat. 26, 39b). Alors oui, Seigneur, garde-moi dans la petite prison du Sacré Cœur blessé de ton Fils. Que son Sacré Cœur et sa Sainte Eucharistie soient le sceau sur mon cœur, le sceau sur mon bras. Que la pentecôte eucharistique, qui commence depuis le Sacré Cœur transpercé sur le bois de la croix, donne naissance à une nouvelle Église primitive. En ces temps de confinement pandémie #covid19, que la pentecôte eucharistique à la Croix se répande sur le monde entier, comme un sceau sur la Terre.
Samedi 2 mai, 22h43
Il y a une heure, j’écrivis la page A4, à l’encre noire, dans la salle de bain, sur la sorte de vision qui a surgi parmi la boue de mon âme, à table, au dîner. C’était que le 26 avril, j’ai été transportée dans la chambre haute du Sacré Cœur de Jésus en Croix, quand le prêtre a élevé l’hostie consacrée : « Ceci est mon corps livré pour vous», puis le vin consacré : « Ceci est mon sang livré pour vous ».
Mon âme est si douloureuse, depuis dimanche dernier. J’ai dû lutter, aujourd’hui, contre le ressentiment dû au mépris, à l’indifférence de nos gouvernants à la foi de leurs contemporains : aux catholiques mais à tous les chrétiens et à toutes les religions, au fait religieux en général. Ils sont si loin de la spiritualité, de leur intériorité, de la vie plus intime à eux-mêmes qu’eux-mêmes, la vie de Dieu en eux. J’ai donc trouvé ma vocation en écrivant ce texte dans la salle de bain. Ce texte dévoile ma vocation d’intercéder pour nos contemporains indifférents à la foi au Christ. Je suis en union avec le Sacré Cœur de Jésus en Croix, suspendue dans le temps, et c’est ce qui est douloureux ; dans le silence qui dure une demi-heure ; dans le souffle rendu, livré, l’Esprit de Jésus ; dans le Sang et l’Eau qui s’écoulent de son Côté. Je suis confinée dans son Sacré Cœur pendant ce temps-là, je vis tous ces moments à la Croix, dans l’intimité de son Cœur blessé. Á la fois enveloppée dans la chambre haute de son Sacré Cœur, comme au Cénacle. J’offre ma souffrance spirituelle en union avec celle du Christ à la Croix. Avec ses paroles en Croix. Je souffre ses paroles. Je les vis avec Lui. Et ma vocation est d’offrir tout cela en union avec Lui, réfugiée en son Sacré Cœur, pour l’indifférence des hommes et pour que les chrétiens soient rassemblés en une nouvelle Église primitive autour de Lui, à la Sainte Cène, au-delà de nos obédiences humaines, dans la radicalité, la simplicité, la vérité du premier banquet eucharistique autour du Christ qui se donne vrai Pain de Vie pour nous, pour tout homme, et commande à ses disciples de répéter ses gestes en faisant mémoire de son don absolu dans l’Eucharistie.
Relisant cette page écrite dans la salle de bain (l’Esprit m’ayant saisie, c’est dans une position inconfortable, à moitié assise sur le rebord de la baignoire que j’écrivis sur la tablette étroite, sous le vasistas), j’ai vu la résolution de ma vocation dans les lignes qui décrivent l’élévation des espèces consacrées devant le Corps du Christ en Croix, jusqu’à son Sacré Cœur, me sentant moi-même, par la force de mon désir de la communion sacramentelle, transportée dans ce Pain et ce Vin, cette hostie et ce calice, et déposée dans la chambre haute du Sacré Cœur de Jésus. C’est la vision intérieure du 19 novembre 2016, des vigiles du Christ-Roi, qui s’est comme superposée à celle d’aujourd’hui.
Tout cet état intérieur qui n’a pas cessé de s’amplifier depuis dimanche dernier, comme absorbée dans un abîme intérieur, se révèle être l’écrin à ce qui est né et a été transcrit sur le papier, dans la salle de bain. Douloureux accouchement depuis dimanche. Avec les prémices heureux l’annonçant dès le 22 avril, par la fête de la bienheureuse Maria Gabriella, apôtre de l’Unité, qui mourut en quinze mois de la tuberculose s’offrant pour l’Unité des chrétiens. De laquelle je me sens proche, dans sa consécration monastique prononcée le jour du Christ-Roi, avec sa prière d’offrande si belle. Proche d’elle aussi, par le lieu, l’abbaye et l’abbesse qui était sa mère au moment de son offrande. Grottaferrata, transféré à Vitorchiano, près de Viterbo, région où j’ai moi-même réalisé en 1994, à mes vingt ans, une sculpture « L’offerta » (L’offrande) cristallisant le désir puissant de m’offrir à Dieu moi aussi. J’étais alors loin de l’Église, étudiante aux Beaux-Arts. Mais, lors de ma communion, huit ans plus tôt, je m’étais vécue comme épouse du Christ. Désir absolu de Dieu contrarié dans ma treizième année et quand je reçus le sacrement de la confirmation, le démon avait déjà commencé son maléfice de la séparation d’avec Dieu. Mais le désir de Dieu était en moi et cette sculpture, installée dans une exposition collective au Palais des Papes de Viterbo, en témoignait silencieusement.
Autres prémices, comme des contractions, fut le vendredi 24 avril : le rêve interreligieux de la remise du petit livre Coran qui m’est remonté à la mémoire après avoir reçu ‘au hasard’ le Livre de l’Apocalypse, chapitre 10 : L’Ange et le petit livre… dont le premier paragraphe annonce ceci : « Il n’y aura plus de temps ». C’est ce temps qui s’éternise sur la Croix, suspendu dans le désir douloureux de la communion sacramentelle, à la Table eucharistique, qui laisse jaillir des larmes, comme le Sang et l’Eau n’en finissent pas de s’écouler du Cœur de Jésus depuis sa mort, depuis qu’Il a livré son Esprit. Je suis dans ce moment-là qui s’éternise, aussi bien que dans certaines paroles qu’Il a prononcées sur la Croix. Quand il vient de remettre son Esprit entre les mains du Père, d’une part ; et d’avoir répandu son Esprit par son Cœur transpercé sur les hommes, sur l’Église, dans la pentecôte eucharistique qui commence à la Croix, d’autre part.
Dans l’épaisseur du brouillard intérieur qui était comme une boue, une glaise lourde dans mon esprit, mon âme, tout ceci est parvenu à s’exprimer, à se dévoiler, à s’extirper, à être mis en lumière. C’est la révélation de ma vocation. C’est comme si le Seigneur préparait tout, en moi, pour ma vocation monastique de trappistine à Blauvac. C’est en la fête de saint Athanase que la parturition a eu lieu, en dix jours, si on compte les contractions depuis le 22 avril ̶ mais aussi depuis le dimanche de la Divine Miséricorde, 19 avril, où le pasteur Alain Joly a partagé le jeûne eucharistique de ses paroissiens, où je reçus une abondance de grâce de communion spirituelle recevant son geste de privation de ne pas célébrer l’Eucharistie, en ce Dimanche pascal du Quasimodo.
Il y a aussi une autre trace indélébile de ma communion à la Table de la Sainte Cène : avec des pentecôtistes, lors de la session œcuménique de 2019, La vie dans l’Esprit : une expérience d’unité, organisée par la Communauté du Chemin Neuf à l’abbaye de Hautecombe. Le samedi, j’avais communié au Pain et au Vin et j’avais pleuré abondamment à cette communion, percevant la présence du Christ de façon aiguë. Touchée par la sobriété du geste liturgique de Jean-Daniel Plüss, si proche du réalisme de la Sainte Cène, en comparaison du rite de l’Eucharistie catholique si sophistiqué, liturgiquement parlant, où le célébrant décrit ce qui se passe en même temps que l’Esprit Saint consacre les saintes Espèces. Les pentecôtistes, et même les évangéliques, relisent les paroles ‘texto’ du Christ à la Cène, telles que le Nouveau Testament nous les ont léguées, sans rien retirer, ni rien ajouter. Cette sobriété, ce réalisme a été quelque chose de très fort pour moi en cette fin de mars 2019. J’y avais reçu une onction puissante qui m’a permis de vivre le psaume 132 :
Oui, il est bon, il est doux pour des frères * de vivre ensemble et d'être unis !
On dirait un baume précieux, un parfum sur la tête, + qui descend sur la barbe, la barbe d'Aaron, * qui descend sur le bord de son vêtement.
On dirait la rosée de l'Hermon * qui descend sur les collines de Sion. C'est là que le Seigneur envoie la bénédiction, * la vie pour toujours.
Les chrétiens devraient pouvoir partager le pain et le vin eucharistiques à toutes les tables des différents rites et se trouver à chaque fois dans la foi en la présence du Christ au milieu d’eux, quelque soit le rite adopté par les différentes obédiences. La Sainte Cène est au-dessus et au-delà de nos différents cultes. « Dieu est plus grand » que nos cultes. (23h32)
Sandrine Treuillard
Jehanne Sandrine du Sacré Cœur & de la Sainte Eucharistie
26 avril - 2 mai 2020
Les Bleineries, 18560 Sury-ès-Bois
Le beau pasteur au 'Vert Sacré Cœur' - Homélie du père Armand Veilleux - & du jeûne eucharistique
Photographies : Toutes de Sandrine Treuillard, sauf :
L'élévation de l'hostie et les 3 détails de la messe retransmise du 26 avril 2020 : d'après les arrêts sur images de la vidéo NetForGod filmée à l'Abbaye Notre-Dame des Dombes, Communauté du Chemin Neuf. La troisième photographie : Christ en Croix, église Saint-Martin de Suçy-en-Brie : Michel Hilger.
[i] C’est la trappe où le frère Christophe Lebreton était quand il a reçu l'appel à quitter la France pour l’Algérie, répondant à la vocation de vivre dans la communauté de Tibhirine. Il fait partie des sept moines martyrs de Tibhirine, et des dix-neuf religieux béatifiés à Oran, le 8 décembre 2018.
[ii] Enseignement de monseigneur Michel Aupetit : L'épiclèse :
[iii] L'expression quasimodo est formée à partir des premiers mots latins qui commencent l'introït de ce jour : Quasi modo geniti infantes, alleluia : rationabile, sine dolo lac concupiscite...(Comme des enfants nouveau-nés, alleluia : désirez ardemment le pur lait spirituel...), dans la Première épître de Pierre. C'est aussi le jour où on lit le récit de l'apôtre Thomas refusant de croire à la Résurrection. La fête est encore appelée in Albis (en blanc), car les néophytes (adultes baptisés durant la vigile pascale), entrent à la messe vêtus de leurs habits blancs qu'ils portaient depuis leur baptême et le quittent pendant la cérémonie. Cette fête a été instituée de façon officielle pour que les pèlerins venant de loin et arrivés à Rome en retard - pour raison valable - après les fêtes de Pâques, participent à cette messe de la même façon (en latin « quasi modo ») qu'à la messe de Pâques. Ces pèlerins ne recevaient toutefois pas l'indulgence plénière. La fête est parfois nommée « Pâques closes » puisque c'est ce jour-là que s'achève l'Octave de Pâques. L'expression octave de Pâques désigne en général la période de huit jours qui va du dimanche de Pâques au dimanche suivant inclus. Elle est parfois employée pour indiquer le dernier jour de cette période.
J'ai repris ce jour la lecture de votre blog Tibhirine 2019.
Merci pour le titre "Un peuple fabuleux", qui me touche beaucoup, car j'aime aussi l'Algérie, même si je n'y ai (encore) jamais mis les pieds.
J'ai un beau frère kabyle, Menad, et ma nièce, Esther, qui a 6 ans et 1/2, a du sang algérien pour moitié dans les veines ! En février dernier, elle y a fait son premier séjour.
Avant mon départ, je viens vous raconter ceci qui m'est arrivé il y a deux jours et noté dans mon journal spirituel, et que je mets un peu en forme ici, pour vous. J’intitule ce texte Les trois algériens de l’Annonciation.
Ce mardi 25 mars 2019, jour de l'Annonciation, il était midi quand je revenais d'une course dans les Hauts de Vanves. Arrivée au carrefour de la rue de la forge et à la naissance de l'allée aux arbres en fleurs, sur la place Kennedy, là, devant le Franprix, j’ai vu une voiture s’arrêter au niveau du passage-piétons alors que deux hommes en tenue de peintres en bâtiment s’y engageaient. Elle les laissa passer, tandis que le troisième homme était resté en arrière, sur le trottoir, une baguette de pain à la main. Il interpela les deux autres qui avaient ‘forcé’ l’arrêt de la voiture en s’engageant sur le passage-piétons. Lui choisit de laisser passer la voiture, puis rejoignit les deux autres en disant quelque chose que je perçus mal, ponctué d’un ‘kif-kif’. Ce faisant, j’avais moi-même traversé la rue de la forge, arrivant par la place de la République, étant passée devant l’église Saint-Rémy. Quand je m’engageai dans l’allée des arbres aux fleurs d’ivoire, je me suis retrouvée au même niveau que les trois travailleurs en bâtiment qui allaient prendre leur pause-déjeuner. Celui qui tenait la baguette et semblait doucement tancer les deux autres, m’adressa la parole. Il continuait ce qu’il leur adressait mais, soudain, il m’inclut comme témoin de sa pensée. La phrase qu’il disait en traversant la rue, tout en désignant de sa baguette ses deux compères, était : « Les algériens traînent toujours ! ». Il répéta cette phrase, cette fois à mon intention : « Les algériens, ça traîne toujours ! » avec son accent typique. C’est par mon visage que je lui ai répondu, par une moue, de surprise mêlée à ma tristesse, et à de la compassion, alors que je comprends très bien ce sentiment d’errance des immigrés et fils d’immigrés. Oui, ce sentiment d’errance m’est familier et je pensais en moi-même, tous ces gestes et ces pas se faisant, que moi aussi je suis encore en errance, pas fixée, française, oui, là, mais en attente de me fixer vraiment. Il a dit de très belles paroles, sans animosité. Des paroles teintées d’une sagesse populaire, d’une expérience que le temps a polie et rendue sage. Il put me dire qu’il était né en Espagne et que maintenant il vivait en France. Que les algériens sont comme des oiseaux*. Ils touchent la terre mais n’y restent pas. Il se confiait sans se lamenter, exprimait sa souffrance avec légèreté, et celle des siens. Je lui fis comprendre que je le comprenais. J’en avais moi-même gros sur le cœur, pour d’autres raison que les leurs, et, gardant tout à l’intérieur, sa peine toucha la mienne, la rencontra, la bonifia. Dans mon cœur, je lui répondais que moi non plus je ne suis pas fixée. Il disait que ‘nous les français’ nous sommes fixés et que ‘nous les algériens, on est comme des oiseaux’. Au bout de l’allée, comme j’allais traverser la rue pour continuer dans le Parc Pic, rentrant ‘chez moi’ (chez Philippe le jardinier, en fait, chez lequel je suis hébergée à titre gratuit, lui-même chrétien et miraculé de la guerre d'Algérie, porte-drapeau…), et lui bifurquant à droite avec ses deux compagnons de travail qui l’avaient devancé, je lui dis que, peut-être, un jour, j’allais aller moi aussi en Algérie… Et il me répondit : « Oui madame ! Inch ‘Allah ! » sans y croire lui-même, habitué à rêver la réalité pour la supporter, et moi y croyant tout de même un peu plus que lui. « Inch’ Allah ! » lui ai-je répondu à mon tour. Et il brandissait la baguette de pain, déjà un peu plus loin, en signe d’à-Dieu… Je n’ai pas eu le temps de lui dire que ma nièce était ‘kif-kif’ franco-algérienne, que j’avais eu un petit Augustin perdu en fausse couche ainsi nommé à cause du grand Augustin d’Hippone… Mais j’y ai pensé très fortement, et à toutes les strates de ma vie qui croisent des algériens ou des fils d’algériens connus de par mon passé, et d’autres au présent. Comme ceux de La Maison Soufie à Saint-Ouen.
Le lendemain matin, j’ai pensé à cette scène, et je l’ai écrite dans mon journal spirituel. C’était le jour de l’Annonciation. J’avais ‘le nez dans le guidon’, ce jour-là, pleine de tristesse. Ils étaient trois. Comme les trois hommes de passage par la tente d’Abraham, l’attendant sous l’arbre de Mambré, alors qu’il demanda à Sara d’aller préparer trois galettes…
Je ne pense pas que ces trois algériens soient spécialement religieux ; de culture et tradition musulmane, oui, mais sans doute pas pratiquants, dans notre société française laïcisée. Je ne pus m’empêcher de penser à Christian de Chergé, à Tibhirine, à mes lectures de Christian Salenson à son sujet et à ce désir qui m’habite de vivre le dialogue interreligieux tel que le Ribât es-Salâm, à Notre-Dame de l’Atlas, l’avait engagé, avec les leçons que nous pouvons en tirer pour continuer. Ici en France et en Algérie.
Ces trois algériens ont été trois oiseaux dont l’un m’effleura de son aile, de façon si proche, qu’il fit une mince entaille en mon cœur de petite perdrix française dont les traces des pattes s’effacèrent dans le Parc Pic, aussitôt passée…
Sandrine Treuillard 25-27 mars 2019, Vanves
* À l'écoute de cette émission du 21 avril 2019, Louis Pernot nous dévoile le sens de l'oiseau spirituel, à partir de la 21èmeminute et 20 secondes. Je retranscris ses mots :
Commentaire du Psaume 55, verset 7 par le Pasteur Louis Pernot - émissionHébreu biblique du 21 avril 2109, sur Fréquence protestante.
Voici les 8 premiers versets (trad. AELF) de ce psaume de David 54 (55) (David signifie ”amour” en hébreu, nous précise L. Pernot).
02Mon Dieu, écoute ma prière, n'écarte pas ma demande. *
03Exauce-moi, je t'en prie, réponds-moi ; inquiet, je me plains.
04 Je suis troublé par les cris de l'ennemi et les injures des méchants ; * ils me chargent de crimes, pleins de rage, ils m'accusent.
05 Mon cœur se tord en moi, la peur de la mort tombe sur moi ; *
06 crainte et tremblement me pénètrent, un frisson me saisit.
07 Alors, j'ai dit : « Qui me donnera des ailes de colombe ? + Je volerais en lieu sûr ; *
08 loin, très loin, je m'enfuirais pour chercher asile au désert. »
09 J'ai hâte d'avoir un abri contre ce grand vent de tempête ! *
Le verset 7 est ainsi traduit de l’hébreu par Louis Pernot :
« Qui me donnera un plumage de la colombe afin que je m’envole et que je demeure ?»
Et il le commente ainsi :
« La colombe est un animal important dans la Bible. Malheureusement, souvent mal compris dans notre société actuelle, puisqu’aujourd’hui la colombe est le symbole de la paix. Alors que dans la Bible, la colombe renvoie en fait à Noé sur son arche qui laisse s’envoler l’oiseau. Donc la colombe - qui est en plus un corbeau, au début -, s’envole et à un moment donné elle revient avec un rameau d’olivier dans le bec, pour signifier qu’il y a de la terre ferme quelque part. Et à un autre moment elle s’en va et ne revient pas, ce qui prouve qu’elle a dû trouver un endroit où se poser. La colombe est donc là le signe du fait que l’épreuve est terminée. Et donc ”qui me donnera un plumage de colombe ?” ne signifie pas forcément que je puisse m’envoler moi-même (encore que… c’est ce qu’il dit après), mais que moi-même j’ai cette capacité à pouvoir signaler la fin de l’épreuve.
Mais ce qui est intéressant c’est qu’il ne demande pas simplement une colombe pour lui indiquer que, en effet, le déluge ou l’épreuve s’arrête. Mais il veut lui-même être colombe et lui-même s’envoler et trouver une demeure loin de là où il est. C’est-à-dire qu’il veut lui-même être signe, peut-être, pour les autres, de la fin de l’épreuve. Parce que la colombe, elle sert pour les autres. La colombe n’est qu’un signe pour Noé. Et finalement peut-être que la solution est non seulement d’avoir pour soi un signe qu’il y a une terre ferme quelque part, qu’il y a une espérance, qu’”il y a un endroit où on pourra reposer ses pattes”, mais aussi de l’être pour les autres. Et c’est quand on l’est pour les autres qu’on l’obtient pour soi. C’est pourquoi le psalmiste dit là une chose absolument merveilleuse mais tout à fait originale. Il ne dit pas ”Envoie-moi, Seigneur, une colombe pour que je puisse savoir qu’il y a quelque part du repos”. Il dit : « Qui me donnera à moi d’être colombe ? », je dirais, sous entendu, pour les autres, c’est-à-dire que je puisse être effectivement signe de libération pour les autres. Et c’est quand on est signe d’espérance pour les autres que l’on peut, à fortiori, trouver de l’espérance pour soi.
« Avoir les ailes de la colombe » c’est encore autre chose puisque si la colombe est le signe de cette libération dans la Bible, elle est aussi l’image du Saint Esprit. En effet, lors de la Création, il est écrit : « L’esprit de Dieu planait à la surface des eaux ». Le Saint Esprit est l’image de l’oiseau qui plane au-dessus de sa Création. C’est pourquoi la colombe, en particulier, est le symbole du Saint Esprit, de cette présence de vie qui plane en descendant du ciel vers la terre, c’est-à-dire de Dieu vers les hommes. (C’est pourquoi les protestantes sur leur croix huguenote portent cette colombe à laquelle elles sont toutes très attachées et qui représente le Saint Esprit.) Le psalmiste demande donc d’avoir les ailes de la colombe, c’est-à-dire d’être revêtu du plumage du Saint Esprit. Ça, c’est vraiment une très belle chose. En effet, on ne peut pas être soi-même l’incarnation de l’Esprit. L’Esprit, nous en bénéficions. Mais ce qu’il demande, c’est d’avoir les ailes du Saint Esprit et que grâce à ce plumage du Saint Esprit que Dieu peut nous donner, nous puissions nous envoler, c’est-à-dire nous rapprocher de Dieu et remonter vers Dieu plutôt que de rester dans la fange, dans la boue et dans l’épreuve de cette terre. Et c’est l’Esprit lui-même, le Saint Esprit de Dieu, cette puissance de Dieu, qui peut nous permettre de nous envoler pour monter vers Lui. Et là, il y a une théologie très sûre, qui n’est justement pas une théologie ni du mérite, ni de l’action propre de l’homme - c’est-à-dire théologie des œuvres qui pourrait dire ”sois sages”, « fais des bonnes œuvres”, ”repends-toi et à ce moment-là tu pourras t’élever vers Dieu” - mais il dit qu’il ne pourra s’élever vers Dieu que si Dieu lui donne les ailes de la colombe, c’est-à-dire que si Dieu lui donne les ailes du Saint Esprit.
Nous ne pouvons donc nous élever vers Dieu que par l’aide de Dieu et non pas par nos propres mérites ou nos propres œuvres. Et, effectivement, « Qui donnera ? », bien entendu, c’est Dieu. On sait très bien qu’il n’y a que Dieu qui peut nous donner cette puissance de l’Esprit. Il dit donc « et enfin je m’envolerai », c’est-à-dire je vais pouvoir aller vers Dieu, m’élever vers Dieu, monter vers le ciel, « et je demeurerai ». Alors, où est-ce qu’il va demeurer ? Si l’oiseau s’envole où va-t-il demeurer ? Il va demeurer dans le ciel. Il ne va pas s’envoler pour aller demeurer par terre. Alors peut-être que ”demeurer dans le ciel” c’est justement faire sa demeure en Dieu. Et la meilleure chose qu’on puisse faire c’est demeurer dans la présence de Dieu et demeurer avec Dieu, comme Dieu également doit demeurer en nous. Cet aspect a été développé très longuement dans l’Évangile de Jean quand Jésus dit : « Afin que je demeure en toi et que tu demeures en moi, que mes disciples demeurent en moi, qu’ils demeurent en toi ». Ainsi, l’idée de demeurer en Dieu est la chose absolument essentielle.
Maintenant, l’idée de demeurer en elle-même peut-être aussi de demeurer, c’est-à-dire de trouver un endroit où habiter, tout simplement. Parce qu’il peut y avoir un sentiment, dans celui qui est éprouvé, qu’« il n’a plus aucun endroit où reposer sa tête » et qu’« il ne trouve de repos nulle part ». L’éprouvé a besoin de trouver un endroit de repos, un endroit de confort et de tranquillité et ce lieu peut-être justement la présence de Dieu qui lui permet de demeurer. À moins que, justement, il s’envole et qu’il demeure, sous entendu, nulle part, parce que le Talmud dit qu’en fait la colombe ne se repose jamais, qu’elle ne trouve aucun endroit pour se reposer. Il paraît que certains oiseaux ne se posent jamais nulle part, qu’ils volent toute leur vie. Le Talmud avait remarqué cela, sans doute, et il dit que la colombe – ce n’est peut-être pas vrai de la colombe… - mais il dit que quand la colombe est fatiguée, elle replie une aile pour la reposer pour voler avec l’autre. Ce n’est sans doute pas très ornithologiquement juste, mais l’idée est assez belle : la demeure que propose le psalmiste, ce n’est pas de dire : ”je vais être peinard dans mon coin, ne plus bouger, ne plus rien faire et rester tranquille”, dans une sorte d’ataraxie, mais c’est une demeure en vol. Il va voler, aller vers Dieu, être en mouvement, et être en marche, et là va être sa demeure. Une demeure dynamique qui consiste à demeurer en Dieu en restant toujours en l’air avec Dieu et c’est ainsi qu’il peut trouver le repos auquel il aspire.
Voilà donc la prière du psalmiste dans cette grande épreuve que nous avons évoqué dans le psaume 55, verset 7 et nous continuerons à partir du verset 8 la prochaine fois. »