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Désormais, c’est l’Assemblée Nationale qui pourra dire ce qu’est la dignité, la parenté, le vivant et l’humain

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L’archaïque République Française doit retrouver sa place dans le grand marathon du Progrès. Enthousiasmé par son avancée fulgurante dans la course à l’égalité des droits, l’État Socialiste ne compte pas s’arrêter en si bonne route, et entend doubler ses voisins européens dans l’épreuve décisive de la compétitivité scientifique. Vous l’aurez compris, un pays moderne ne peut plus tolérer qu’on prive ses chercheurs du droit à utiliser tous les matériaux disponibles pour faire évoluer la Science. Puisqu’il y a un droit à l’enfant, il y aura donc, a fortiori, un droit à l’embryon. Mon but ici n’est pas de discuter l’idée de progrès scientifique (pourtant discutable), ni même de souligner les enjeux moraux des débats qui se tiennent actuellement à l’Assemblée Nationale. Mon projet est d’étudier les implications logiques de la loi autorisant la recherche sur l’embryon.

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     Deux conceptions de la vie s’affrontent. La première est l’héritière d’une longue tradition scolastique, qui considère que la vie est une puissance en devenir. L’essence d’une chose est définie par ce à quoi elle tend, par ce qu’elle est en puissance, par ce qu’elle est capable d’être. Un gland est ainsi un chêne en puissance, parce qu’il tend à réaliser son essence de chêne. Un tilleul, au contraire, bien qu’il ressemble plus à un chêne que notre gland, ne sera jamais un chêne. La deuxième conception, au contraire, étudie, non pas à ce qu’une chose peut devenir, mais ce dont elle est composée, les propriétés qu’elle possède à l’instant T de l’expérience scientifique. Ces propriétés peuvent être matérielles ou non, elles doivent être immédiatement constatables. Ceux qui arguent en faveur de la recherche sur l’embryon partent du principe que l’embryon n’est pas un être humain parce qu’il ne possède pas encore les propriétés qui nous permettraient de le reconnaître comme tel. Tout le problème, alors, est de définir quelles propriétés doivent être constatées pour définir une chose comme un être humain. La sensation ? La capacité à s’exprimer ? L’intelligence ? Puisque l’on expérimente déjà sur des animaux, il semblerait que ni la sensation, ni la capacité d’expression, ne soient des critères suffisants. Après tout, le nouveau-né, par ses propriétés, ressemble davantage à un lapin qu’à une personne raisonnable. Il semble donc, en bonne logique, qu’il faille trancher. Soit on définit un être par ses propriétés immédiates, et alors un enfant de moins de 5 ans n’est pas davantage un humain que l’embryon, soit on admet que l’enfant est un être humain en puissance, et alors, il faut trouver un critère pour définir à partir de quand une chose reçoit le pouvoir de devenir un être humain. On voit ici que la logique est impuissante à poser ce choix : ce sera donc à l’Assemblée de le faire.

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     Mais allons plus loin. Admettons que l’embryon soit seulement un vivant, et aucunement un être humain en puissance. Cette loi nous oblige à reconsidérer notre attitude face à la vie. Quiconque a déjà travaillé avec des animaux sait que l’on ne peut définir a priori leur utilité : le vivant se présente à nous avec ses potentialités multiples, et il dépend seulement de nous de savoir les mettre à profit. Il se trouve que la poule pond des œufs, nous avons à nous adapter à elle. L’inerte au contraire n’a pas de fonction, ni d’essence, qui ne soit construite. Prenons un caillou. Il dépend de nous de transformer ce caillou en arme, en outil, en objet d’art. L’inerte est a priori susceptible de servir à tout et à n’importe quoi. En revanche, une fois son rôle défini, son essence est figée dans une spécialisation unique, dont il ne peut plus bouger. Ce caillou est une statuette, ou une pointe de lance, mais pas les deux à la fois. La tendance actuelle est de réduire le vivant à de l’inerte : la poule de batterie pond, ou bien elle se mange, mais pas les deux à la fois. Quel rapport avec l’embryon ? Dans la mesure où l’on n’accepte pas que l’embryon, comme la poule, ait des puissances qui lui soient propres (ce qui reviendrait, on l’a vu, à admettre qu’il est un humain potentiel), force est de reconnaître qu’il est aussi indéterminé qu’un caillou. Il reviendra donc à son propriétaire de lui donner sa fonction, de lui trouver une utilité spéciale. Il est ainsi remarquable que, dans les présents débats, on ne nous dit jamais à quelles expériences précises l’embryon est censé apporter une solution irremplaçable. Et c’est normal, puisqu’il est indéterminé. Il est, au contraire, une source infinie de découverte : tout dépendra du rôle que lui donnera le scientifique dans son expérience. Un jour support d’une greffe, l’autre élément d’un mélange chimique. La vie devient un outil. Il est bon, ici, de rappeler le fameux passage, cité à tort et à travers, où Descartes affirme que nous sommes « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Dans sa lettre à Reneri datée de mai 1638, il rectifie une mauvaise compréhension de cette expression : la technique ne nous rend maîtres de la nature que si nous reconnaissons que le monde n’a pas été créé pour nous. Il ne nous revient pas de définir, et au besoin de transformer, ce que les choses sont. Bien au contraire, pour nous rendre maîtres du monde, il faut comprendre qu’il n’est pas fait pour nous, mais que nous devons nous adapter à lui : « nous nous sommes insensiblement persuadés que le monde n’était fait que pour nous, et que toutes choses nous étaient dues ».

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     Ce qui se joue donc également ici, c’est une transformation radicale du sens de la science. Si les vivants n’existent que pour nous, si nous décidons de ce qui est humain et de ce qui ne l’est pas, alors la science ne peut plus être une connaissance. A quoi bon chercher à connaître ce qu’il nous revient de définir ? La science ne peut pas non plus être l’étude des fonctions naturelles de la matière, puisqu’il est en notre pouvoir de distribuer les rôles dans le laboratoire, de choisir la fonction de nos outils de travail. La recherche sur l’embryon ne permet pas de mieux savoir exactement ce qu’est un embryon, puisque, de toute façon, son utilisation comme matériau de recherche, implique sa destruction en tant qu’embryon. Notons par ailleurs que la science, dans ce débat, n’a pas son mot à dire. Car l’on sait déjà ce qu’est un embryon. N’importe quel élève de 1ère S vous dira qu’un embryon est un amas de cellule contenant déjà tous les gènes de l’adulte qu’il sera.

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     En réalité, ce débat recouvre les mêmes enjeux que celui de l’euthanasie ou du mariage pour tous, dans la mesure où il revient désormais à l’État de définir la réalité de manière autoritaire, d’imposer d’en haut les limites que l’on ne veut plus chercher dans la nature des choses, cette nature qu’il revenait autrefois à la science de connaître. Désormais, c’est l’Assemblée Nationale qui pourra dire ce qu’est la dignité, ce qu’est la parenté, ce que sont le vivant et l’humain. Cette décision relève désormais, non pas d’une attention au réel, mais d’un choix arbitraire. Rappelons ainsi, au passage, que la ministre a hier utilisé sa réserve de vote, privant ainsi les amendements de l’opposition de toute influence sur le texte de loi. C’est l’État qui dicte le réel au nom de la science. Tristes souvenirs. Triste paradoxe surtout : la vie ne se constate plus, elle se décide. Cette décision, paradoxalement, se fait au nom d’une conception de la vie qui la réduit à ses propriétés immédiatement remarquables. Or, comme nous le voyons, réduire la vie à ce qu’on peut en observer de manière neutre et scientifique, c’est en soi une décision qui n’est pas neutre du tout. Mieux, on réduit la vie à ses propriétés, tout en la transformant en un outil indéterminé, dont on choisit les fonctionnalités intéressantes. Inutile de rappeler que parmi les propriétés immédiatement constatables de l’embryon, il y a celle de devenir un fœtus.  Le chercheur de ne se préoccupe pas de définition. Au contraire, pour mener à bien son expérience, il lui est nécessaire de réduire tel vivant à une unique propriété, sur laquelle porte son étude. Spécialisation de la vie, qui devient un outil. Elle ne se réduit plus à l’ensemble de ses propriétés : au contraire, elle devient un amas de propriétés que l’on peut disséquer, séparer, entre lesquelles on peut faire son marché. Et, in fine, c’est toujours l’État qui choisit quelles propriétés méritent d’être retenues.

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     Le pouvoir produit le savoir, ce dernier devant, en retour, légitimer le pouvoir. C’est ainsi que la science s’échine à prouver depuis des décennies que l’embryon humain ne diffère en rien, au début, de n’importe quel autre embryon animal, que les chromosomes X Y ne définissent pas assurément une identité sexuée, que l’encéphalogramme plat n’est pas le seul critère pour distinguer le vivant du mort, etc. La science ne devient pas seulement une technique neutre : elle est un instrument de domination. Et l’ombre de Foucault, toujours, nous rappelle qu’il n’est pas de pire tyrannie que celle qui s’exerce au nom du progrès scientifique.

La Loutre (M.D.)
in L'Alouette
11 juillet 2013 

 

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