Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

guillaume de prémare

  • Produire l’idée d’une France asséchée de transcendance, de spiritualité et de sacré, c’est présenter une sous-France

    Lien permanent

             Comment vivre ensemble entre personnes de culture ou de religion différentes ? Comment appréhender l’acculturation des populations issues de l’immigration ? La laïcité constitue-t-elle une réponse ? Maire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) depuis 2002, Xavier Lemoine a accepté, pour Permanences, de se livrer à un dialogue en profondeur et sans langue de bois avec Camel Bechikh, français musulman, président de Fils de France, mouvement patriotique qui s’adresse principalement aux musulmans.

    la france,politique,foi,islam,christianisme,camel bechikh,xavier lemoine,ichtus,permanences,guillaume de prémare,éducation,transmission


    Permanences
    - Xavier Lemoine, comment la population, notamment musulmane, de Montfermeil et vos élus ont-ils perçu les événements du 7 janvier puis du 11 janvier 2015 ?
     

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.38.53.png         Xavier Lemoine : Vous faites bien de relier les événements du 7 et du 11 janvier parce qu’il y a une continuité entre eux, qui a consacré une forme de fracture.

             La tuerie de Charlie Hebdo, a été vécue de manière très différente par la communauté musulmane. Il y avait une réprobation envers les journalistes de Charlie Hebdo. Le sentiment était, qu’en gros, « ils l’ont un peu cherché ». Il fallait une discussion de personne à personne pour faire évoluer les choses, mais on sentait une réserve, une blessure.

             Ensuite, il y a eu cette montée en puissance - dramatique et dangereuse - du slogan ”Je suis Charlie”. Il y a eu une impossibilité - je l’ai vécue au sein de mon conseil municipal - de pouvoir communier avec les 4 millions de personnes qui ont marché le 11 janvier.

             Nous en avons parlé et mes élus de culture ou de confession musulmane ont été soulagés et m’ont dit : « Merci de nous comprendre et de nous donner la possibilité de pouvoir vous rejoindre dans cette indignation, sans être sur le front ”Je suis Charlie”, car nous ne pouvons pas être Charlie ». Dès lors que l’on fait bien la distinction entre l’esprit du journal et les hommes qui ont perdu la vie, il est possible de revenir à une indignation partagée par le plus grand nombre.

             C’est un travail à faire à l’échelle d’une commune, parce qu’il y a une relation de confiance avec des personnes. C’est à nous de reprendre tranquillement ces événements pour pouvoir rapprocher les points de vue.

     

    P - Camel, vous sillonnez la France, vous parlez dans des mosquées. Qu’avez-vous observé à cet égard ?

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.41.50.png         Camel Bechikh - Évidemment, quand Charlie publie un dessin où l’on voit la Vierge Marie copuler avec le Christ, je ne peux pas y souscrire, pas davantage que je ne souscris aux caricatures liées à l’islam.

             En revanche, face à la tuerie, à l’esprit de communion nationale et de deuil national, j’ai vu évidemment une solidarité, mais qui doit être, comme le disait très justement Xavier Lemoine, stratifiée. On ne peut pas adhérer à tout ”Je suis Charlie”, mais à une partie de ”Je suis Charlie”. C’est exactement ce que j’ai rencontré à la suite du 7 janvier.

             Par ailleurs, il y a une chose que l’on ne perçoit pas forcément sans être à l’intérieur de la communauté musulmane, c’est la grande peur d’être assimilé ou soupçonné de sympathie à l’endroit des tueurs. Il y a une tension. Par ailleurs, j’ai reçu beaucoup de messages de sympathie d’amis catholiques me disant de ne pas faire d’amalgame, au sens où tous les Français ne sont pas dupes de l'agressivité de Charlie Hebdo dans ses caricatures. Le ”pas d’amalgame” fonctionne donc dans les deux sens.

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.39.48.png         X.L. - La question du ”pas d’amalgame” est très importante. Ce mot d’ordre est dangereux dans ce contexte de méfiance envers la communauté musulmane, notamment parce que l’on ne peut déconnecter l’épisode Charlie de ce qui se passe en Syrie, en Irak, ou encore au Nigéria.

             Là-bas il y a des chrétiens qui sont directement victimes de mouvements politiques qui se réclament, qu’on le veuille ou non, de l’islam. Vouloir dire à tout prix ”surtout pas d’amalgame” peut produire l’effet inverse de celui recherché, car le sentiment que l’on nous ment peut mener certains à se dire que tous les musulmans sont comme cela.

             Je pense donc qu’il est préférable, même si le débat n’est pas facile, de pouvoir dire que s’il s’agit de ne pas faire d’amalgame, il s’agit peut-être aussi de vouloir interroger l’islam sur son rapport avec la violence.

             Que l’on puisse accepter que dans la lecture du Coran et des hadiths, qui sont prescriptifs en terme de droit, on puisse reconnaître qu’il y a des lectures bellicistes, même si beaucoup de musulmans en font une lecture plus pacifique.  


    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.45.png         C.B.
    - Au moment des persécutions des chrétiens d’Irak, 120 théologiens musulmans se sont réunis sur une déclaration commune pour affirmer, en s’appuyant sur les textes religieux, l’antinomie avec la violence. Mais on peut retrouver ce rapport aux textes dans l’ensemble des religions et des idéologies.

             Lorsque, au cours de l’Histoire, l’Église catholique, pour des raisons souvent très politiques, cautionne une certaine violence, par exemple vis-à-vis des protestants, il y a une lecture des textes qui n’est pas pacifique. Je crois donc que l’on peut resituer les violences commises au nom de l’islam dans une anthropologie politique plus globale.

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.39.57.png         X.L. - À la différence que, pour la religion catholique, il y a un clergé, une doctrine et le cas échéant l’excommunication, qui n’est pas un vain mot. Il y a un rappel à l’ordre et une sortie de la communauté dès lors que les actes ne sont plus en conformité.

             Je ne conteste en rien la parfaite honnêteté intellectuelle des 120 théologiens qui se sont réunis, mais ils ne peuvent pas interdire à un musulman de faire la lecture qu’il souhaite, parce qu’il n’y a pas d’ordination ni d’agrément.

             C’est toute la difficulté : ces personnes n’engagent qu’elles et pas l’ensemble de la communauté.

             Il y a un autre facteur important, qui est le poids de la communauté sur l’ensemble des fidèles. Nous voyons bien, dans nos quartiers, comment certaines personnes, qui souhaitaient avoir des comportements personnels vestimentaires ou alimentaires qui leur convenaient, en sont venues à adopter d’autres comportements sous le poids de la communauté, pour retrouver une tranquillité.

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.50.png         C.B. - Quand nous parlons de communauté, il faut peut-être cerner le mot. Souvent, cette communauté n’est pas déterminée uniquement par son appartenance à une spiritualité qui peut avoir plusieurs lectures.

             Il y a aussi une communauté, une forme de solidarité, par strates sociales, par quartiers où l’on est dans la même pauvreté, à l’écart du monde qui fonctionne, qui tourne, qui consomme, etc.

             La communauté musulmane est malheureusement souvent perçue à travers la strate sociale à laquelle appartiennent beaucoup de musulmans aujourd’hui en France.

             Mais entre un émir du Qatar et le jeune désœuvré du quartier de Montfermeil, tous deux accèdent à une spiritualité qui s’appelle en effet l’islam, mais avec des parcours sociologiques et une compréhension des textes religieux sensiblement différentes.

             Plus les zones sont paupérisées, plus l’islam devient un marqueur identitaire coupé d’une certaine spiritualité.

     

             X.L. - C’était vrai il y a peut-être cinq ou dix ans, mais ça l’est beaucoup moins maintenant…

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.55.png         C.B. - J’observe que plus on se grime, plus on donne d’importance à l’aspect exotérique de la pratique religieuse par une grande barbe, une djellaba ou le fait de se voiler en noir pour les femmes, moins on a une construction, un capital de connaissance religieuse important.

             Comment une jeune fille qui a été socialisée dans l’école républicaine - avec Dorothée, avec Patrick Sabatier à la télévision - en arrive quasiment à se déguiser dans l’espace public ?

             L’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales a mené une étude sur les filles du salafisme qui montre, d’une part un refus catégorique de transiger sur la tenue vestimentaire, et d’autre part des actes de dévotion - par exemple les cinq prières par jour ou la lecture quotidienne du Coran – qui ne sont pas nécessairement accomplis.

             Les actes de spiritualité dans l’intimité, dans le secret, dans la relation à la transcendance, dans la verticalité, sont extrêmement faibles. En revanche, tout ce qui permet d’être un marqueur dans l’espace public en tant qu’identité est extrêmement rigide et fort. Les habits ne font pas forcément les moines. Vous avez des dealers qui vendent de l’héroïne, qui n’ont pas de pratique religieuse orthodoxe, mais qui se montrent d’un dogmatisme absolu sur la viande halal. C’est une inversion des valeurs. Le fait de manger halal devient un marqueur identitaire structurant pour des personnalités qui sont souvent extrêmement déstructurées.

     

    P - Xavier Lemoine, comment appréhendez-vous cette complexité en termes de politiques publiques ?

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.39.58 1.png         X.L. - Un maire fait quarante métiers différents, ce qui rend la chose passionnante. Nous avons des politiques sectorielles, par exemple le renouvellement urbain, qui consiste à redonner de la dignité et de la fierté aux habitants.

             C’est une condition nécessaire et indispensable avant de pouvoir parler de politique sociale. Mais la clé de voûte de toutes ces politiques sectorielles, c’est la politique culturelle.

             L’enjeu dans les banlieues n’est ni d’abord social, économique ou urbain, mais culturel. Il y a des dysfonctionnements sociaux, économiques et urbains, il faut des politiques de rattrapage sur ces domaines, mais si nous ne faisons que cela, en pensant que ces dysfonctionnements ne sont que des causes et non des conséquences, nous nous trompons.

             Pour moi, la cause réelle, ultime, est culturelle. Ma première priorité est la maîtrise de la langue française. À ce jour, sur 27 000 habitants de Montfermeil, 90 mamans apprennent le français. Il s’agit de remettre une certaine exigence et de susciter une certaine curiosité. L’apprentissage de la langue, c’est aussi l’apprentissage des us, coutumes et codes de fonctionnements de notre société, qui permettent de se mouvoir dans la société française et de comprendre comment elle fonctionne. Il faut aussi aborder la dimension historique et culturelle.

             Ces programmes recueillent un taux d’assiduité de quasiment 100 %. Et là, je vois des familles, des femmes qui s’éveillent, qui entrent dans un parcours de relation avec leur entourage, d’autonomie professionnelle, d’autonomie dans la culture.

             L’aide à la parentalité constitue la seconde priorité. Des systèmes éducatifs qui ont toute leur pertinence dans les pays d’origine produisent de parfaites catastrophes lorsqu’ils sont transposés en l’état dans notre pays. Par exemple, en Afrique subsaharienne, tout adulte se sent dépositaire de l’autorité parentale. Imaginer qu’en France, au 8ème étage d’une tour, c’est le voisin d’à côté qui va prendre pour partie en charge l’éducation de votre gamin, relève de l’utopie. D’autant que c’est plus vraisemblablement le dealer du rez-de-chaussée qui va récupérer la mise… Il faut expliquer aux parents qu’ils ont une relation quasi-exclusive de responsabilité vis-à-vis de leurs enfants et que le voisin de palier ne va pas forcément se préoccuper de l’éducation de leur gamin. Il est très important de redonner aux pères et aux mères la conscience de leurs rôles respectifs.

             Ma troisième priorité est culturelle. Profitant du fait que Montfermeil est à 15 kilomètres de Paris, nous avons pour objectif la connaissance et la fréquentation des grandes œuvres culturelles françaises, qui s’adressent à toutes les générations et subventionnons, des sorties culturelles comme Versailles, le Louvre, ou d’autres musées, monuments ou lieux de culture forts. C’est autre chose que du tourisme ou de la consommation. Il y a une préparation avec des personnes qui ont fait de l’histoire de l’art et qui apprennent aux autres à lire un vitrail, un tableau, une statue, etc. Pour aimer, il faut connaître, pour respecter il faut aimer. Tout est là : connaître - aimer - respecter. Cela vient tout simplement et ce n’est en rien agressif vis-à-vis de la culture d’origine.

     

    P - Camel, vous êtes français, de confession musulmane, vous êtes berrichon, vous aimez la France, son histoire et sa culture. Pour vous, ce que vient de décrire Xavier Lemoine représente-t-il un processus d’acculturation ?

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.58.png         C.B. - Oui, tout à fait, Xavier Lemoine évoque des choses qui sont absolument centrales dans la démarche de Fils de France. Le thème de notre dernière université de Printemps était Connaître et aimer son pays, basé sur un livre de Bernard Peyrous [1]. On peut difficilement aimer la France sans la connaître.

             Xavier Lemoine met la culture avant le social. Personnellement, je pense que la mixité sociale est la principale matrice du processus d’acculturation, qui fait que l’on passe de la culture des parents à la culture française.

             Lorsque l’on a une commune relativement homogène, géographiquement très proche de Paris, mais sociologiquement extrêmement éloignée, où s’ajoutent chaque année des populations arrivées de l’étranger, le processus d’acculturation, d’appropriation des codes culturels, des us et coutumes est quasiment impossible.

             La mixité sociale suppose que les primo-migrants minoritaires puissent se retrouver dans des ensembles où les anciens français sont majoritaires.

             Une école où le Français devient quasiment une langue étrangère, où les enfants ne parlent que le Turc, l’Arabe ou le Berbère, dispense un capital linguistique extrêmement affaibli.

             Faire sa scolarité dans une école aux capitaux culturels et linguistiques faibles débouche sur un diplôme faible, lequel aboutira à un travail faible et à un logement qui vous resituera dans une zone paupérisée, séparée des territoires de la grande France.

             À mon sens l’amorce de l’acculturation, c’est l’intégration ou l’assimilation sociale car elle permet de sortir du cycle infernal de la ghettoïsation. Si vous êtes minoritaire parmi une majorité, vous êtes irrigué par les codes de la majorité et votre processus d’identification via l’islam – lié à l’appartenance à des quartiers, des cités - s’en retrouve complètement arrêté.

             Vous passez dans un cycle vertueux, vos enfants iront dans une école où ils seront ethniquement ou religieusement minoritaires, mais dans un ensemble majoritaire partageant les us, les codes, les coutumes du pays.

             Depuis trente ans, l’identité française, dont le socle est le catholicisme, est bafouée. Le catholicisme a façonné ce pays. Il y a 40 000 lieux de culte dans notre pays et les crucifix ornent nos villes et nos campagnes.

             Le déni d’identité, qui fait naître la France en 1789, coupe les populations nouvellement venues - qui ont besoin de culture et de culture sacrée -, de la grande Histoire de France. Si vous produisez des éléments identitaires liés uniquement à la laïcisation, si vous parlez de réformes sociétales comme le mariage pour tous, si vous faites des traditions françaises la ringardise absolue, vous empêchez ces populations fraîchement françaises de s’approprier l’habitus historique né du baptême de Clovis. Je le dis dans les mosquées : ”Liberté, égalité, fraternité” n’est rien d’autre que la version sécularisé de la doctrine sociale de l’Église.

             Les immigrés s’installent dans un pays qui s’est construit sur une identité religieuse forte, sur des identités régionales fortes. Malgré la mondialisation, nous devrions permettre à ces personnes fraîchement françaises d’envisager la France au-delà du Mac Donald, du kebab, de H&M et de Nike…

     

    P - Xavier Lemoine, aimeriez-vous qu’un musulman vienne à Montfermeil dire de telles choses à ses coreligionnaires ?

     

    Capture d’écran 2016-02-05 à 12.40.00.png         X.L. - Moi, je suis preneur, mais je ne peux pas me substituer à l’accueil ou à l’invitation que pourrait faire telle ou telle association ou lieu de culte, mais sur le principe je souscris pleinement. Je voudrais revenir sur la mixité sociale. Ce que Camel Bechikh souhaite n’a pas été fait. Et je crains aujourd’hui, au regard des logiques démographiques qui sont en place, que ce ne soit trop tard. Quand bien même ces personnes primo-arrivantes pourraient vivre dans un endroit où elles seraient minoritaires, les structures associatives et communautaires sont suffisamment fortes pour les ”récupérer” de suite. Sans compter que les pays d’origine ne veulent pas perdre la main sur leurs ressortissants.

             D’autant plus que ces primo-arrivants se trouvent en face d’un État qui défigure l’identité de la France au travers d’une laïcité qui est un laïcisme, un athéisme déguisé. Ce rejet de la transcendance arme la violence dont nous sommes collectivement victimes aujourd’hui.

             Montfermeil fait aujourd’hui l’expérience d’une école hors contrat qui se définit comme non-confessionnelle. Elle considère cependant que l’enfant n’est pas obligé de laisser au portail de l’école sa transcendance et sa religion. Mais il lui est demandé, s’il peut venir avec, d’accepter que l’autre vienne avec la sienne, et de l’écouter, d’échanger avec lui. C’est une tout autre attitude que celle de l’école laïque, car l’enfant est respecté dans son identité profonde, dont le fait religieux et le rapport à la transcendance font partie. L’école a un grand respect de l’enfant et des familles. Nous nous adressons ainsi à des identités qui ne sont pas amputées dans le cadre scolaire. Alors que les enfants de l’école dite laïque ont beaucoup de mal à appréhender les matières qu’on leur enseigne puisqu’ils savent qu’une partie d’eux-mêmes est restée dehors.

     

    - Vous parlez ici des cours Alexandre Dumas à Montfermeil. C’est une expérience qui dure depuis trois ans. Il y a là une piste intéressante, un prototype…

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.58.18.png         C.B. - Le cours Alexandre Dumas est l’idéal en termes d’accélération ou d’accompagnement du processus d’acculturation. Si l’école est le lieu de capitalisation de la langue, des savoirs, de l’identité du pays, on a d’un seul coup une machine qui propulse le fils ou petit-fils de migrant vers l’identité française sans renier une part de son identité, qui est son identité religieuse.

             Parce que l’individu est composé de plusieurs identités. Il y a évidemment l’identité sexuelle, même si on tente de la nier aujourd’hui avec la théorie du genre ; une identité ethnique, qui fait que si je suis d’origine algérienne, il y a aussi des basques, des bretons… On doit pouvoir accepter cela. Il y a l’identité spirituelle et l’identité sociale. Le fait d’être notaire dans le centre de Chartres, ce n’est pas comme être agriculteur dans le sud de la France…

             L’ensemble de ces caractéristiques produit des individus originaux. L’altérité dans l’ethnicité est envisageable sans la nier parce que la France s’est construite sur une hétérogénéité ethnique.

             Au Ve siècle, des peuples se rencontrent sur le territoire français - Celtes, Latins, Germains, etc. - qui produisent une hétérogénéité ethnique, à l’échelle européenne. Dans la postmodernité, dans un monde qui devient village, il reste envisageable pour la France d’être fidèle à ses valeurs d’altérité ethnique, mais dans des proportions gardées.

             C’est pour cela que je pense qu’il est extrêmement important de stopper l’immigration.

             Elle pénalise l’ensemble des français, et doublement les français issus de l’immigration. La venue de nouveaux migrants dans les quartiers empêche le processus d’acculturation. Or il y a des limites si l’on veut éviter en France une déliquescence de l’identité qui produise un ressentiment globalisé.

             Vous avez des rues qui ont complètement changé parce que les charcutiers ont déménagé et ont été remplacés par des boucheries hallal avec des écritures en Arabe ! Et les habitants de ces communes sont exaspérés. Mais ils n’ont pas le droit de dire leur exaspération ; et de ce fait deviennent potentiellement ceux qui demain, en cas de paupérisation avancée de notre pays, pourraient passer à autre chose que du discours. Il faut avoir le courage de dire que si l’on veut retrouver un peuple solidaire, un peuple français dans la liberté, dans l’égalité, la fraternité, l’arrivée de 250.000 personnes supplémentaire chaque année en France rend ce désir irréalisable.

     

    P - Xavier Lemoine, faut-il revoir la politique migratoire au niveau français, européen ?

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 14.35.24.png         X.L. - Oui, cela fait des années que je le dis. D’autant qu’au regard des déséquilibres Nord/Sud, je ne suis pas sûr que les 250 000 personnes accueillies annuellement résolvent beaucoup la problématique en question. Elle se situe à un autre niveau bien évidemment, sur des bascules démographiques et donc culturelles sans précédent dans notre histoire, sauf si on revient au Ve siècle, période de grande instabilité et de violence.

     

    P - En guise de conclusion, Camel, pouvez-vous nous dire ce qui, dans la culture française, dans l’Histoire de France, est le plus aimable pour quelqu’un qui vient d’une autre culture ?

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 13.57.47 1.png         C.B. - Je crois que c’est l’ambition naturelle de la France d’exportation de ses principes. La France, née du baptême de Clovis, a donné à l’Église son plus grand nombre de saints ; elle a participé à exporter l’idée d’une foi universelle qui est le catholicisme.

             Si l’on arrive à faire émerger l’idée que la France s’est construite sur du sacré et que ce sacré n’a été que ré-habillé d’un champ lexical au moment de la République, si l’on parvient à faire ressentir que la France n’est pas un ensemble matériel ou une construction de la philosophie des Lumières, mais qu’elle est dans la transcendance qui s’imbrique parfaitement avec les valeurs fondamentales de la religion musulmane, nous avons un trait d’union extrêmement fort.

             Produire l’idée d’une France asséchée de transcendance, de spiritualité et de sacré, c’est présenter une sous-France - une souffrance - en un mot et en deux mots.

     

    Capture d’écran 2016-02-06 à 14.35.25.png         X.L. - Dans ce qui vient d’être dit, le mot identité a été souvent prononcé. Et je commence à m’en méfier. L’expérience qui avait été menée sous la présidence de Nicolas Sarkozy m’a convaincu que c’était un mot dangereux. Le général de Gaulle disait : « Comment voulez-vous gouverner un pays avec 365 fromages différents ? ». J’ai peur que nous ayons aujourd’hui 65 millions d’identités différentes.

             C’est pourquoi je préfère le mot ”vocation” pour la France. Et je pense que c’est dans la continuité de ce que vient de dire Camel : une vocation se reçoit et on se met au service de la vocation. On ne renonce à rien de ce que l’on est, de son originalité. Et au regard de nos talents, qui peuvent aider justement à la réalisation de cette vocation, cela rassemble tout le monde.

             Et si, en reprenant la vigoureuse interpellation de Jean-Paul II – « France, fille aînée de l’Eglise, éducatrice des peuples » -, on se mettait, chacun avec ses talents, au service de cette vocation, de cette mission universelle de la France ? C’est dans les gènes et la nature de la France de faire converger les énergies plutôt que les faire se combattre comme elles se combattent aujourd’hui.

     

             C.B. - Absolument !

     

     
    Logo Ichtus.jpgPropos recueillis par Guillaume de Prémare (@g2premare)

    Entretien initialement publié dans la revue Permanences 528-529 (Le défi de l'unité française) de janvier-février 2015 sous le titre 65 millions d’identités différentes

     

    CouvertureGlobeNations.jpg

     

     

     

    [1] Connaître et aimer son pays, Père Bernard Peyrous,
    Ed. de L’Emmanuel, 22 €. En vente sur le site : www.ichtus.fr

     

     

    Retrouvez cet entretien sur la page enrichie consacrée à Fils de France :
    Une raison d'espérance

     


  • L’héritage de la libre-pensée et de l’athéisme a profondément marqué l’évolution de la société vers la sécularisation, éloignant Dieu et la religion de l’espace socio-politique et socio-culturel

    Lien permanent

    Logo-ImageCollgBernardins.jpgLaïcité et sociabilité
    aux Bernardins

    Le retour du religieux invalide la thèse de la ”mort de Dieu” et bouscule l’héritage de la libre-pensée. Il appelle des dialogues à frais nouveaux, fondés sur la raison.  

             L’héritage de la libre-pensée et de l’athéisme a profondément marqué l’évolution de la société vers la sécularisation, éloignant Dieu et la religion de l’espace socio-politique et socio-culturel. C’est un fait marquant qui a changé en profondeur la société, laquelle était jadis structurée par une métaphysique politique et une forte imprégnation socioreligieuse. Lors de la précédente session de ce séminaire, Dominique Reynié a cependant dressé le constat de la « fin de la politique matérialiste ». C’est un fait que Dieu et la religion reviennent par la grande porte de l’Histoire, invalidant en quelque sorte le déterminisme historique qui voulait que Dieu et la religion ne soient définitivement plus des données pertinentes. La situation présente crée un choc inattendu : d’une part, elle est porteuse de convulsions dont la violence religieuse n’est pas absente ; d’autre part, elle plonge dans le désarroi les ”croyants” de la ”mort de Dieu” et de la ”sortie de la religion”. Chacun sent qu’une nouvelle ère est en gestation, nul ne sait ce qu’elle pourrait être. Au plan prospectif, l’idée que le système ancien soit prêt à reprendre ses droits, dans une forme de revanche de l’Histoire, semble exclu. Si les héritiers de la libre-pensée et de l’athéisme sont aujourd’hui en perte de vitesse vertigineuse, cela ne signifie pas pour autant que l’héritage soit perdu en tous points.

    Fragilités et limites de l’héritage de la libre-pensée


    Bernardins Libre-pensée Guillaume2Prémare.jpg
             Il semble que la libre-pensée et l’athéisme ne soient pas parvenu à être opératoires comme métaphysique de substitution, comme ciment de la société, même s’ils marquent les mentalités. La libre-pensée n’est pas une religion de substitution capable de structurer la société comme jadis la religion la structurait, probablement parce que la nature religieuse de l’homme ne peut être abolie.

             Que reste-t-il de l’héritage de la libre-pensée et de l’athéisme ?

             En premier lieu, je dirais qu’il demeure une culture politique et philosophique qui se divise principalement en deux branches : la culture politique anarchiste libertaire – revendiquée par exemple par Charlie Hebdo – et la culture politique laïciste, celle des hussards noirs de la 3ème République, attachés – au contraire des anarchistes – à la rigueur de la loi, à une morale portée par la loi et les institutions, adossée à une forme d’athéisme d’État.

             L’athéisme, comme croyance dans la non-existence de Dieu, demeure une réalité marginale, au contraire de l’irréligion. Le philosophe Augustin Del Noce explique ainsi ce qui est arrivé :

             « La révolution athée (…) a servi de médiation pour le passage du monde christiano-laïque au monde de l’irréligion naturelle, caractérisée par la perte de la faculté du sacré. (…) L’irréligion naturelle se caractérise par le refus même de poser le problème en termes de théisme et d’athéisme, car cela ne l’intéresse pas ; par un relativisme absolu qui fait que toutes les idées sont rapportées à la situation psychologique et sociale de qui les affirme » [1].

             La culture anarchiste libertaire athée a connu ses heures de gloire en menant le combat de la désacralisation, en effet. Et elle a été absorbée par la culture laïciste de « l’irréligion naturelle », qui est un relativisme, au contraire de l’athéisme. Cet athéisme libertaire est aujourd’hui marginal et ne porte pas de projet de société, de vision du monde partageable. Par ailleurs, « la perte de la faculté du sacré » atteint aujourd’hui ses propres limites, notamment parce que des sacralités de substitution sont nées de la perte des sacralités traditionnelles. Ce qui était sacré hier ne l’est certes plus aujourd’hui ; mais d’autres sacralités sont apparues, comme nous l’avons vu dans le phénomène « Je suis Charlie ». En touchant à la liberté d’expression, les terroristes ont touché une sacralité. D’une certaine manière, ils ont non seulement tué, mais encore blasphémé.

             Le journal Charlie Hebdo s’est retrouvé face à un paradoxe : héritier de la culture de la désacralisation, il s’est vu investi – à son corps défendant – d’une hyper-symbolisation sacrée. D’une certaine manière, Charlie devenait ce que nous avions de plus sacré en commun. Le dessinateur Luz a souligné ce paradoxe la veille des rassemblements monstres du 11 janvier 2015, dans une interview donnée aux Inrocks :

             « On fait porter sur nos épaules une charge symbolique qui n’existe pas dans nos dessins et qui nous dépasse un peu. Je fais partie des gens qui ont du mal avec ça. (…) La charge symbolique actuelle est tout ce contre quoi Charlie a toujours travaillé : détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes. C’est formidable que les gens nous soutiennent mais on est dans un contre-sens de ce que sont les dessins de Charlie. »

             Ceux qui ont opéré cette hyper-symbolisation de Charlie sont principalement les héritiers de la seconde branche de l’héritage de la libre-pensée, les ”hussards noirs”. Désorientés par la « fin de la politique matérialiste », ils ont été fortement bousculés par le succès de Houellebecq. L’écrivain prophétisait la mort de Voltaire, des Lumières, de l’athéisme, et même de la République. La ”prophétie Houellebecquienne” est simple : il n’y a pas de société sans religion ; une religion va donc s’imposer ; cette religion peut être l’islam.

             Certains ont vu dans ”l’esprit Charlie” une invalidation de cette prophétie : non, Voltaire et les Lumières ne sont pas morts ; au contraire nous venons de démontrer qu’ils constituent notre ciment commun. Las, cet ”esprit Charlie” s’est vite montré fragile et provisoire, notamment parce que la culture politique et philosophique qui le sous-tend n’a pas d’ancrage populaire.

             Par ailleurs, cet ”esprit Charlie” – qui essentialise le droit au blasphème et la liberté d’expression absolue comme symbole suprême de la France, au sommet de sa hiérarchie des valeurs – a fonctionné à contre-emploi. Alors même qu’il était supposé constituer un ”commun”, il n’était pas recevable pour le plus grand nombre des Français musulmans, ceux avec qui, précisément, il est urgent de dialoguer sur les ”communs”. D’une certaine manière, cet ”esprit Charlie” a contribué à accentuer la fracture culturelle, fournissant aux islamistes un moyen d’accélérer cette séparation des communautés qu’ils recherchent ardemment.

             Il faut également compter avec le fait que nous sommes, selon le mot de Pierre Manent, dans le contexte d’une « nation faible » face à un « islam fort » : « Comment imaginer une rencontre heureuse entre un islam fort et une nation faible ? », questionne-t-il [2]. Ce contexte met en difficulté le laïcisme traditionnel. Nous voyons que ses tenants se divisent aujourd’hui entre ceux qui veulent négocier avec les mœurs de l’islam et ceux qui s’y refusent. Nous voyons également la force d’une tentation : celle de tout régler par la loi, quand il s’agirait plus avantageusement de chercher des médiations par la culture.

             Le double héritage de la libre-pensée et de l’athéisme se trouve donc aujourd’hui dans une situation de crise majeure, sans que l’on puisse voir clairement la manière de la régler, sauf à consentir un renoncement cruel, voire un reniement.

    Les acquis de la libre-pensée

    11412345_659753040823299_3629092463104494234_n.jpg         Cependant, il ne faut pas croire que cette crise signifie que l’héritage de la libre-pensée et de l’athéisme puisse être compté pour rien. La crise des cultures politiques ne signifie pas que cet héritage n’ait pas ancré dans l’histoire des acquis solides. Il semble en effet que le retour à l’état antérieur de l’Histoire soit inenvisageable. Certains aspects fondamentaux de la libre pensée ne sont pas près de s’effondrer, particulièrement le postulat que la raison soit affranchie des dogmes religieux et des révélations divines. La libre-pensée a consacré la fin de l’argument d’autorité fondé sur le religieux : ne sera peut-être plus jamais considérée comme raisonnable et crédible une raison assujettie à des dogmes et/ou à une révélation. C’est l’hypothèse que je formule.

             Bien évidemment, cette donnée est une difficulté apparente pour les religions, qui avaient jadis pris l’habitude d’asseoir un ordre social sur une autorité elle-même fondée sur une mystique. Il y une occasion de choc entre la raison affranchie du religieux et le retour du religieux : la société moderne va devoir se faire à l’idée que les religions sont dans l’espace public, que le fait religieux produit un fait culturel ; les religions vont devoir accepter qu’étant dans l’espace public, elles sont dans l’espace critique, dans le cadre de sociétés pluralistes voire éclatées.

             Cet espace critique du religieux est aujourd’hui très centré sur la question de la violence religieuse et de la liberté de conscience. Il ne suffit pas aux religions de dire que toute violence religieuse n’a rien à voir avec la religion. C’est faux, hier et aujourd’hui. L’islamisme djihadiste est bien une violence religieuse, certes à forte connotation politico-religieuse. Aujourd’hui, le fait religieux produit dans certaines parties du monde une négation de la liberté de conscience, pénalisant par exemple le changement de religion. Nul ne peut sérieusement prétendre que cela n’ait rien de religieux.

             Il ne suffit pas non plus de dire que la religion est par nature facteur de progrès humain. Une fois encore, c’est faux. Par exemple, quand l’hindouisme structure une société sur la base de castes étanches, avec des basses castes intouchables qui se voient dénier une quelconque dignité, s’agit-il d’un progrès humain ?

             Toutes ces questions sont dans l’espace critique et nul religieux ne saurait, de manière crédible, les appréhender en prétendant s’affranchir de la raison, ou en subordonnant la raison à une révélation, un livre, des dogmes. Cela n’est plus possible. Dans les catégories de la raison, il y a aujourd’hui des dialogues à nouveaux frais à mener. C’est le moment favorable.

    Quels dialogues à nouveaux frais ? Premier exemple de dialogue : la question de la vérité

    12646709_10208920132826744_8187243206975859802_o.jpg         L’un des arguments de la philosophie relativiste est de dire que si une vérité est affirmée, les hommes se font la guerre en son nom. A contrario, s’il y a multitudes de vérités, relatives aux individus, aux conditions sociales et psychologiques, ou encore aux époques historiques, les hommes n’ont pas de raison de se battre au nom d’un absolu. Il est possible de rétorquer que les hommes se battent aussi pour bien autre chose qu’une vérité absolue et universelle : appétit de puissance, de pouvoir, de domination, captation des ressources, etc. Cependant, l’absence de vérité absolue constitue, à tout prendre, une occasion de moins de se faire la guerre. Au nom de cela, le relativisme tend à interdire l’affirmation d’une vérité objective et devient ainsi lui-même un impératif catégorique.

             Joseph Ratzinger dénonce cet impératif sous le nom de « dictature du relativisme :
             « L’on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs » [3].

             Nous voyons ici que l’impératif catégorique du relativisme sort lui-même du champ de la raison pour se réfugier dans celui du sentiment et du désir.

             Un autre aspect du relativisme doit être objet de dialogue : son lien avec le phénomène de « dissociété ». Pierre Manent explique, dans Situation de la France, que nous avons construit notre société sur « la souveraineté illimitée de l’individu particulier » [4], ce qui n’est pas sans conséquences sur la cohésion de la société. Il avait expliqué, vingt ans plus tôt dans La Cité de l’Homme, que la notion de libre-arbitre avait fait l’objet d’une doctrine qui induit une vision faussée de la liberté, la doctrine du libre-arbitre devenant alors un libre-arbitraire contre la nature de l’homme :
             « La doctrine du libre-arbitre affirme bien la liberté humaine, mais jusqu’à un certain point seulement. L’homme est libre dans le cadre et par le moyen de sa nature ; il n’a pas le choix de ses fins, qui sont inscrites dans cette nature. C’est dire, en sens inverse, que sa nature s’interpose entre lui et sa liberté. Le propos de libérer la liberté conduit à exténuer la nature, à démanteler la substance, à abolir l’essence. » [5]

             N’est-il pas vrai que cette vision faussée du libre-arbitre mène aujourd’hui à la nature humaine – y compris comme nature sociale – une guerre de déconstruction qui n’est pas sans conséquences sur les principes mêmes de vie en société ?

             La philosophie relativiste doit accepter le dialogue de raison sur ses propres conséquences. Parce que lorsque survient la dissociété, survient un jour ou l’autre la violence, sous la forme de la guerre de tous contre tous. Et dans ce dialogue, les religions et traditions spirituelles ont des éléments à faire valoir, des choses à apporter, sans pour autant s’affranchir de la raison. Il faut préciser ici que la vision de la raison à laquelle je me réfère n’est pas celle de la ”déesse raison”, mais une raison ouverte à la transcendance, tant il est vrai que la question de Dieu se situe dans le champ de la raison.

    Deuxième exemple de dialogue : la raison des religions

    12698587_10208920135906821_4120861061231378408_o.jpg         L’articulation entre foi et raison est aujourd’hui un élément de dialogue incontournable : entre les religions elles-mêmes ; entre les croyants et ceux qui ne croient pas. Cependant, pouvons-nous penser ce dialogue d’une manière indifférenciée comme réflexion sur l’articulation entre le fait religieux en général et la raison ? Cela semble difficilement tenable. L’analyse raisonnable du fait religieux conduit à distinguer les religions et à identifier leurs dynamiques propres, ce qui n’interdit pas d’identifier certaines tendances générales.

             Par exemple, où en est le catholicisme par rapport à la libre-pensée, laquelle fut jadis son ennemi mortel ? Comment le catholicisme envisage-t-il aujourd’hui le fait que la raison soit affranchie des dogmes et des révélations, que l’argument d’autorité ne soit plus recevable ?

             Il n’y a pas si longtemps, l’Église s’appuyait beaucoup sur l’argument d’autorité, comme maîtresse de vérité chargée d’enseigner les hommes. Cela pouvait se résumer ainsi : « C’est vrai parce que l’Église le dit ». Quand Pie IX publie le Syllabus, il publie un catalogue de propositions condamnées. Il fut un temps où l’Église pensait l’anathème et l’Index nécessaires voire suffisants pour préserver les âmes de l’erreur. Les choses ont bien changé. Que s’est-il passé ? L’Église a-t-elle épousé la philosophie de la Modernité, s’est-elle avouée vaincue par la libre-pensée ? Il semble que non puisqu’elle n’a pas relativisé – et encore moins jeté aux orties – ses dogmes, sa révélation, son Livre, sa tradition. Elle est entrée en dialogue sans céder aucune de ses bases. Elle a renversé la proposition « C’est vrai parce que l’Église le dit », qui est devenue « L’Église le dit parce que c’est vrai », proposant ainsi un dialogue entre la raison des lumières et la raison articulée avec la foi. Et l’Église montre ainsi sa capacité à proposer une référence commune de dialogue, qui est la nature et la raison.

             S’agit-il d’une révolution ? Non, il s’agit d’une réforme. Réformer, c’est former à nouveau en repartant de ses propres fondations. Ce n’est pas en adoptant les catégories des Lumières – qui comportent bien des insuffisances – que l’Église a fait cela, c’est en puisant dans sa propre tradition. C’est, à mon avis, le sens profond de la réforme de Vatican II, notamment de cette fameuse déclaration sur la liberté religieuse. Bien avant les Lumières, c’est Thomas d’Aquin lui-même qui affirmait que l’argument d’autorité était bien le dernier des arguments. Bien avant les Lumières, c’est l’enseignement le plus traditionnel de l’Église qui disait qu’il ne peut y avoir de contrainte en matière religieuse, même si l’Église n’a pas toujours respecté cela. L’Église n’a pas eu besoin de catégories exogènes pour accomplir sa réforme contemporaine, elle s’est référée à des catégories endogènes, présentes de longue date dans sa propre tradition et ses fondements.

             Et en faisant cela, l’Église s’est donnée les moyens de traverser les temps modernes et de leur proposer sa propre lumière. Et la « fin de la politique matérialiste » trouve aujourd’hui un catholicisme prêt à proposer un éclairage, y compris au plan de la mystique politique ou du théologico-politique, précisément parce qu’il possède les clés pour distinguer le temporel et le spirituel, précisément parce qu’il n’y a pas de « Charia catholique », mais la reconnaissance d’une loi pour les hommes fondée sur la nature et la raison.

             Qu’en est-il maintenant de l’islam ?

             Il y a deux ans, le quotidien algérien El Watan a publié plusieurs articles sur un mouvement de jeunes algériens, appelés les ”non-jeûneurs”, qui refusaient de respecter le Ramadan et revendiquaient le droit de manger en pleine rue pendant le Ramadan, au nom de la liberté de conscience. Ils se sont attirés des ennuis avec la police et la justice, au motif qu’ils mettaient en danger l’ordre social. Ce qui était frappant dans cette affaire, c’était que ces non-jeûneurs se justifiaient en se référant à des catégories et à un vocabulaire manifestement empruntés à la libre-pensée occidentale et non fondés sur la tradition même de l’islam.

             Par ailleurs, la lecture de Lettre ouverte au monde musulman [6] d’Abdennour Bidar m’a conduit également à m’interroger sur les velléités de réforme de l’islam. L’auteur propose en quelque sorte un islam réformé par nos Lumières, donc sur le fondement extérieur à l’islam. Et il appelle de ses vœux un islam principalement spirituel qui puisse opérer une « sortie de la religion », idée née dans le contexte intellectuel occidental. Une question se pose : un tel islam ainsi réformé n’entraînerait-il pas la ruine de l’islam ?

             Plusieurs questions cruciales se posent donc aujourd’hui à l’islam : contient-il dans sa propre tradition les fondements et catégories d’une réforme qui lui permette de traverser les temps modernes et de leur apporter sa propre lumière ? Est-il prêt à donner, dans une perspective de dialogue, ses raisons en se fondant sur la raison ? Est-il prêt à examiner le fond de la violence religieuse qui s’accomplit en son nom ?

             Ces questions rejoignent celles qu’avaient posé Benoît XVI à Ratisbonne en 2006, lui valant alors un flot de critiques et la rupture des relations de l’université Al-Azhar avec le Vatican. Peut-être son unique tort fut-il d’avoir osé les poser trop tôt ? Nous avons besoin, sur toutes ces questions, de beaucoup de liberté de penser pour entrer de plain-pied dans ces dialogues à frais nouveaux.

     

    Logo Ichtus.jpg

    Guillaume de Prémare

    Délégué général d’Ichtus

     

    Conférence donnée au Collège des Bernardins le jeudi 10 mars 2016 dans le cadre du séminaire « Laïcités et fondamentalismes » organisé par le département Recherche (Société, liberté, paix) des Bernardins, en partenariat avec Ichtus, Les poissons roses, l’Institut catholique de Paris et Fondapol.
    Titre initial : La libre-pensée face au retour de Dieu

     

     

    [1] Augustin Del Noce, Le dialogue entre l’Église et la culture moderne, 1964

    [2] Pierre Manent, Situation de la France, Editions DDB, p. 123

    [3] Cardinal Joseph Ratzinger, homélie lors de la missa pro eligendo romano pontefice, 18 avril 2005

    [4] Page 128

    [5] Pierre Manent, La cité des hommes, 1994

    [6] Éditions Les liens qui libèrent, 2015

     

  • Nous devons stopper notre décomposition culturelle et redécouvrir ce que nous sommes vraiment : la France est d’abord un pays, pas une forme de gouvernement

    Lien permanent

    Nicole Buron, Rédactrice en Chef de la revue Permanences interroge Guillaume de Prémare, Délégué général d'Ichtus, qui analyse la situation après les 7, 8 et 11 janvier 2015.

    https://www.youtube.com/watch?v=iabrZfD2lTk

     

    Capture d’écran 2015-02-05 à 14.33.28.pngQue pensez-vous de ce que nous vivons autour du choc « Charlie Hebdo » ?

    G2 Prémare 3.jpgIl faut partir du fait générateur qui est le terrorisme. La France a déjà connu, dans un passé récent, des vagues de terrorisme. Mais elles n’étaient pas de la même nature. Je vois deux différences profondes.

    La première différence est que les vagues de terrorisme des années 1980 et 1990 étaient principalement destinées à faire pression sur la politique internationale de la France, qu’il s’agisse du conflit israélo-palestinien ou de l’Algérie. Aujourd’hui, les terroristes cherchent aussi à faire pression sur la France par rapport à ses engagements militaires à travers le monde, mais ils poursuivent plus largement un objectif de conquête politico-religieuse à l’échelle mondiale, ce qui est nouveau, appuyé sur une idéologie politico-religieuse qui est ancienne.

    La deuxième différence, c’est que les terroristes venaient jusqu’ici le plus souvent de l’extérieur. Aujourd’hui, l’islam radical s’appuie principalement sur des musulmans qui vivent en France, et sont même de nationalité française. Les jeunes sont radicalisés en France, font leurs armes à l’étranger puis reviennent en France pour combattre. C’est un élément-clé de la stratégie terroriste en France : mener une guerre de l’intérieur qui s’appuie sur des troupes déjà sur le sol français.

    guillaume de prémare,nicole buron,ichtus,politique,conscience,la france,islam,camel bechikhSelon vous, quelle est la stratégie de ces terroristes ?

    Leur stratégie est de semer le chaos, de provoquer un état de choc global de notre société, pour créer une fracture irrémédiable entre les musulmans français et le reste de la population. Ils commettent donc des attentats pour faire grimper à son paroxysme la peur de l’islam et l’hostilité envers l’islam, jusqu’à la psychose, à un point tel que les musulmans ressentent cette hostilité, y compris, si possible, en raison de représailles contre la communauté musulmane. Il nous faut donc impérativement éviter les délires identitaires agressifs.

    Ils misent sur l’aspect très communautaire de la religion musulmane pour gagner l’opinion musulmane. Celle-ci, se sentant en terrain hostile, se communautariserait toujours davantage et serait mûre pour d’abord éprouver de la sympathie pour le djihadisme, ensuite leur apporter un soutien. Cela ne signifie pas qu’une majorité des millions de musulmans qui vivent en France deviendrait terroriste – dans une guerre les combattants sont toujours minoritaires -, mais les islamistes pourraient recruter de jeunes musulmans sur un terreau de plus en plus favorable et évoluer, dans les quartiers musulmans, en terrain ami. Je ne dis pas qu’ils vont réussir, mais je pense que c’est leur projet.

    Pour accentuer ce processus de séparation des musulmans de la communauté nationale, il y a un autre aspect qui est la guerre culturelle. Il s’agit de séparer toujours davantage culturellement les musulmans de la culture française. Pour cela, ils s’appuient sur la décomposition de la culture française pour en faire un parfait repoussoir pour tout bon musulman. Plus la société française est athée, libertaire, permissive, consumériste, sans repères, vide de sens, et en faillite éducative, plus la fracture culturelle grandit avec les musulmans. Je crois que cet aspect des choses est majeur dans le défi auquel nous sommes confrontés. Ce n’est pas le « choc des cultures », mais le « choc des incultures » comme dit François-Xavier Bellamy.

    guillaume de prémare,nicole buron,ichtus,politique,conscience,la france,islam,camel bechikhAlors, pourquoi Charlie Hebdo ?

    C’est ce que l’on nomme la guerre psychologique. Il y deux choses : le choix de la cible et les moyens employés. Les moyens visent à provoquer l’état de choc : l’utilisation d’armes de guerre, l’exécution froide des journalistes de Charlie Hebdo, et celle bien sûr d’un policier achevé à terre. C’est le complément idéal de l’état de choc mondial volontairement créé par la diffusion de vidéos des horreurs commises au Proche-Orient par l’Etat islamique. Il faut que ça fasse barbare. Plus nous les voyons comme barbares, mieux ils se portent. La deuxième chose, c’est le choix de la cible, Charlie Hebdo. A mon avis, c’est un choix parfaitement pensé.

    Charlie Hebdo est honni par l’opinion musulmane, les musulmans n’ont pas besoin d’être islamistes pour détester Charlie Hebdo. En attaquant Charlie Hebdo, les terroristes veulent désensibiliser les musulmans à la compassion pour les victimes. Cette action psychologique vise notamment les jeunes musulmans qui, comme beaucoup de jeunes de leur génération, sont de plus en plus désensibilisés à la violence par les films, les jeux vidéo et tout ce qu’ils voient à la télévision. Nous avons vu cette semaine, par exemple dans les écoles de Seine-Saint-Denis, que cette action psychologique fonctionne à merveille. Dans certaines écoles, il a été très difficile d’organiser ou de faire respecter la minute de silence.

    Ensuite, en attaquant Charlie Hebdo, les islamistes provoquent une sympathie généralisée pour Charlie Hebdo dans l’opinion publique française. Charlie devient le symbole de la France et la décomposition culturelle s’accélère : la France c’est Charlie et Charlie c’est la France. Dimanche, la France de Saint Louis, de Napoléon, de de Gaulle, d’Aragon et Hugo est devenue « Charlie », ce qui est une régression culturelle. A partir de là, dans le meilleur des cas le jeune musulman est poussé à faire une quenelle à la France, geste de mépris et de défi très populaire dans la jeunesse des banlieues, dans le pire des cas on fabrique les futurs jeunes djihadistes.

    N.Buron 3.jpgD’une certaine manière, nous n’avons pas affirmé ce que nous sommes vraiment…

    G2 Prémare 2.jpgEn effet, nous avons affirmé l’inverse de ce que nous sommes. L’article 4 de la déclaration des droits de l’homme dit que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». C’est un principe fondamental puisqu’il est dans notre document de référence fondamental. Il y a deux ans, le plus grand nombre était d’accord pour critiquer la parution des caricatures parce qu’elles étaient jugées insultantes, blessantes. L’insulte est une violence et la violence nuit à autrui, la violence nuit à celui qui la subit. Bien évidemment, la liberté d’expression est un bien précieux, mais il n’y a pas de liberté absolue dans une société. Nous piétinons donc nos propres principes dits « fondateurs » en disant qu’il y a, en quelque sorte, un droit à l’insulte. La déclaration des droits de l’homme dit l’inverse ! Comment voulez-vous faire respecter des principes que nous piétinons ?

    Ensuite, devons-nous accepter, pour nous-mêmes, cette régression culturelle qui veut que « La France c’est Charlie », qui veut que le poids symbolique de nos valeurs, de notre identité et de notre unité repose sur Charlie ? Luz, un dessinateur de Charlie, a expliqué dans les Inrockuptibles que cette charge symbolique que l’on met sur Charlie Hebdo était à côté de la plaque.

    N.Buron 2.jpgVous êtes en train de nous expliquer que nous avons fait exactement ce qui convient aux terroristes islamistes ?

    G2 Prémare 3.jpgAbsolument. Au départ, il y a une excellente intention : dire sa compassion envers des victimes d’un assassinat terrible et inacceptable, dire son refus de la violence et du terrorisme. Mais le slogan « Je suis Charlie » est venu donner à ce bel élan un contenu hystérique à contre-emploi : la France c’est Charlie et Charlie c’est la France. Ensuite il y a eu la marche, ce bel élan populaire de citoyens qui ont besoin de se rassembler pour dire leur refus du terrorisme et rendre hommage à nos morts. Cet élan a été récupéré par une caste politico-médiatique décrédibilisée qui y a vu l’occasion de se refaire la cerise sur l’affaire Charlie Hebdo. En état de choc, on fait n’importe quoi, on est manipulable, le cerveau sur-sensibilisé jusqu’à l’hystérie est disponible à la manipulation. La broyeuse médiatique est passée par là et la France a défilé avec comme slogan « Je suis Charlie », comme image des caricatures insultantes et comme symbole suprême le crayon qui manie l’insulte. En gros, la caste politico-médiatique est parvenue à donner l’image d’un peuple réuni autour des valeurs, non pas de la France, mais des valeurs vides de sens de leur caste : ce que la propagande politique et télévisuelle a nommé « nos valeurs », « notre modèle », « notre mode de vie ». Le terme même de « marche républicaine » est insuffisant. La question n’est pas celle de la forme de gouvernement, acceptée par le plus grand nombre, mais celle de la France. La France est d’abord un pays, pas une forme de gouvernement.

    La marche était donc une mauvaise idée selon vous ?

    Non, c’était une bonne chose dans l’élan initial. Il aurait peut-être fallu faire une marche blanche, sans slogans ni pancartes, une marche citoyenne, de société civile. Une marche avec pour seul contenu le refus du terrorisme et l’hommage rendu aux victimes. Nous aurions alors gagné une bataille psychologique. Or, dimanche, nous avons perdu une bataille culturelle et psychologique. Ce qui s’est passé est grave et beaucoup de gens ne s’en rendent pas compte parce qu’une propagande sans précédent dans l’histoire de la France contemporaine a été diffusée par la télévision et démultipliée sur les réseaux sociaux comme un réflexe pavlovien. Nous sommes guidés et informés par des irresponsables, des aveugles qui guident des aveugles. Il est temps d’ouvrir les yeux.

    Capture d’écran 2015-02-05 à 14.33.05.pngQue pouvons-nous faire ?

    Tout d’abord mener la guerre sans faiblesse sur le sol même de France contre les terroristes, avec nos services spécialisés et nos moyens policiers. Ensuite, il faut contrer l’adversaire sur les points-clés de sa stratégie : éviter la psychose et garder calme et sang-froid, éviter autant que possible les attitudes agressives et hostiles envers les musulmans, les représailles. Il y en a eu, pour le moment légères. Nous devons ensuite entrer dans la lutte d’influence sur l’opinion musulmane, essayer de nous gagner l’opinion musulmane avant que les islamistes ne la gagnent. Nous devons stopper notre décomposition culturelle et redécouvrir ce que nous sommes vraiment, c’est-à-dire Hugo plutôt que Charlie. Et nous devons, sur cette base commune, nous battre sur le terrain éducatif et culturel. Nous avons tout investi dans le social dans les banlieues, à fonds perdus. Nous devons essayer de transmettre aux jeunes musulmans ce qu’est la France, faire aimer la France aux jeunes musulmans et à leurs parents. Demandez à Jean-François Chemain, Xavier Lemoine ou Camel Bechikh si c’est possible de réduire la fracture culturelle, ils vous diront que oui. C’est leur expérience concrète, pas une idée abstraite. A Montfermeil, ils ont proposé une offre éducative avec les cours Alexandre Dumas. C’est le prototype d’écoles qu’il faudrait étendre sur tout le territoire. Ce qui réussit aujourd’hui à petite échelle, il faut le faire à grande échelle.

    Logo Ichtus.jpgEst-il encore temps ?

    Je ne sais pas, mais partons du principe que oui, il est encore temps. Travaillons avec cœur, détermination et amour. Toute victoire commence par un premier pas, partons à la conquête des cœurs !

    Propos recueillis par Nicole Buron.