Produire l’idée d’une France asséchée de transcendance, de spiritualité et de sacré, c’est présenter une sous-France
Comment vivre ensemble entre personnes de culture ou de religion différentes ? Comment appréhender l’acculturation des populations issues de l’immigration ? La laïcité constitue-t-elle une réponse ? Maire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) depuis 2002, Xavier Lemoine a accepté, pour Permanences, de se livrer à un dialogue en profondeur et sans langue de bois avec Camel Bechikh, français musulman, président de Fils de France, mouvement patriotique qui s’adresse principalement aux musulmans.
Permanences - Xavier Lemoine, comment la population, notamment musulmane, de Montfermeil et vos élus ont-ils perçu les événements du 7 janvier puis du 11 janvier 2015 ?
Xavier Lemoine : Vous faites bien de relier les événements du 7 et du 11 janvier parce qu’il y a une continuité entre eux, qui a consacré une forme de fracture.
La tuerie de Charlie Hebdo, a été vécue de manière très différente par la communauté musulmane. Il y avait une réprobation envers les journalistes de Charlie Hebdo. Le sentiment était, qu’en gros, « ils l’ont un peu cherché ». Il fallait une discussion de personne à personne pour faire évoluer les choses, mais on sentait une réserve, une blessure.
Ensuite, il y a eu cette montée en puissance - dramatique et dangereuse - du slogan ”Je suis Charlie”. Il y a eu une impossibilité - je l’ai vécue au sein de mon conseil municipal - de pouvoir communier avec les 4 millions de personnes qui ont marché le 11 janvier.
Nous en avons parlé et mes élus de culture ou de confession musulmane ont été soulagés et m’ont dit : « Merci de nous comprendre et de nous donner la possibilité de pouvoir vous rejoindre dans cette indignation, sans être sur le front ”Je suis Charlie”, car nous ne pouvons pas être Charlie ». Dès lors que l’on fait bien la distinction entre l’esprit du journal et les hommes qui ont perdu la vie, il est possible de revenir à une indignation partagée par le plus grand nombre.
C’est un travail à faire à l’échelle d’une commune, parce qu’il y a une relation de confiance avec des personnes. C’est à nous de reprendre tranquillement ces événements pour pouvoir rapprocher les points de vue.
P - Camel, vous sillonnez la France, vous parlez dans des mosquées. Qu’avez-vous observé à cet égard ?
Camel Bechikh - Évidemment, quand Charlie publie un dessin où l’on voit la Vierge Marie copuler avec le Christ, je ne peux pas y souscrire, pas davantage que je ne souscris aux caricatures liées à l’islam.
En revanche, face à la tuerie, à l’esprit de communion nationale et de deuil national, j’ai vu évidemment une solidarité, mais qui doit être, comme le disait très justement Xavier Lemoine, stratifiée. On ne peut pas adhérer à tout ”Je suis Charlie”, mais à une partie de ”Je suis Charlie”. C’est exactement ce que j’ai rencontré à la suite du 7 janvier.
Par ailleurs, il y a une chose que l’on ne perçoit pas forcément sans être à l’intérieur de la communauté musulmane, c’est la grande peur d’être assimilé ou soupçonné de sympathie à l’endroit des tueurs. Il y a une tension. Par ailleurs, j’ai reçu beaucoup de messages de sympathie d’amis catholiques me disant de ne pas faire d’amalgame, au sens où tous les Français ne sont pas dupes de l'agressivité de Charlie Hebdo dans ses caricatures. Le ”pas d’amalgame” fonctionne donc dans les deux sens.
X.L. - La question du ”pas d’amalgame” est très importante. Ce mot d’ordre est dangereux dans ce contexte de méfiance envers la communauté musulmane, notamment parce que l’on ne peut déconnecter l’épisode Charlie de ce qui se passe en Syrie, en Irak, ou encore au Nigéria.
Là-bas il y a des chrétiens qui sont directement victimes de mouvements politiques qui se réclament, qu’on le veuille ou non, de l’islam. Vouloir dire à tout prix ”surtout pas d’amalgame” peut produire l’effet inverse de celui recherché, car le sentiment que l’on nous ment peut mener certains à se dire que tous les musulmans sont comme cela.
Je pense donc qu’il est préférable, même si le débat n’est pas facile, de pouvoir dire que s’il s’agit de ne pas faire d’amalgame, il s’agit peut-être aussi de vouloir interroger l’islam sur son rapport avec la violence.
Que l’on puisse accepter que dans la lecture du Coran et des hadiths, qui sont prescriptifs en terme de droit, on puisse reconnaître qu’il y a des lectures bellicistes, même si beaucoup de musulmans en font une lecture plus pacifique.
C.B. - Au moment des persécutions des chrétiens d’Irak, 120 théologiens musulmans se sont réunis sur une déclaration commune pour affirmer, en s’appuyant sur les textes religieux, l’antinomie avec la violence. Mais on peut retrouver ce rapport aux textes dans l’ensemble des religions et des idéologies.
Lorsque, au cours de l’Histoire, l’Église catholique, pour des raisons souvent très politiques, cautionne une certaine violence, par exemple vis-à-vis des protestants, il y a une lecture des textes qui n’est pas pacifique. Je crois donc que l’on peut resituer les violences commises au nom de l’islam dans une anthropologie politique plus globale.
X.L. - À la différence que, pour la religion catholique, il y a un clergé, une doctrine et le cas échéant l’excommunication, qui n’est pas un vain mot. Il y a un rappel à l’ordre et une sortie de la communauté dès lors que les actes ne sont plus en conformité.
Je ne conteste en rien la parfaite honnêteté intellectuelle des 120 théologiens qui se sont réunis, mais ils ne peuvent pas interdire à un musulman de faire la lecture qu’il souhaite, parce qu’il n’y a pas d’ordination ni d’agrément.
C’est toute la difficulté : ces personnes n’engagent qu’elles et pas l’ensemble de la communauté.
Il y a un autre facteur important, qui est le poids de la communauté sur l’ensemble des fidèles. Nous voyons bien, dans nos quartiers, comment certaines personnes, qui souhaitaient avoir des comportements personnels vestimentaires ou alimentaires qui leur convenaient, en sont venues à adopter d’autres comportements sous le poids de la communauté, pour retrouver une tranquillité.
C.B. - Quand nous parlons de communauté, il faut peut-être cerner le mot. Souvent, cette communauté n’est pas déterminée uniquement par son appartenance à une spiritualité qui peut avoir plusieurs lectures.
Il y a aussi une communauté, une forme de solidarité, par strates sociales, par quartiers où l’on est dans la même pauvreté, à l’écart du monde qui fonctionne, qui tourne, qui consomme, etc.
La communauté musulmane est malheureusement souvent perçue à travers la strate sociale à laquelle appartiennent beaucoup de musulmans aujourd’hui en France.
Mais entre un émir du Qatar et le jeune désœuvré du quartier de Montfermeil, tous deux accèdent à une spiritualité qui s’appelle en effet l’islam, mais avec des parcours sociologiques et une compréhension des textes religieux sensiblement différentes.
Plus les zones sont paupérisées, plus l’islam devient un marqueur identitaire coupé d’une certaine spiritualité.
X.L. - C’était vrai il y a peut-être cinq ou dix ans, mais ça l’est beaucoup moins maintenant…
C.B. - J’observe que plus on se grime, plus on donne d’importance à l’aspect exotérique de la pratique religieuse par une grande barbe, une djellaba ou le fait de se voiler en noir pour les femmes, moins on a une construction, un capital de connaissance religieuse important.
Comment une jeune fille qui a été socialisée dans l’école républicaine - avec Dorothée, avec Patrick Sabatier à la télévision - en arrive quasiment à se déguiser dans l’espace public ?
L’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales a mené une étude sur les filles du salafisme qui montre, d’une part un refus catégorique de transiger sur la tenue vestimentaire, et d’autre part des actes de dévotion - par exemple les cinq prières par jour ou la lecture quotidienne du Coran – qui ne sont pas nécessairement accomplis.
Les actes de spiritualité dans l’intimité, dans le secret, dans la relation à la transcendance, dans la verticalité, sont extrêmement faibles. En revanche, tout ce qui permet d’être un marqueur dans l’espace public en tant qu’identité est extrêmement rigide et fort. Les habits ne font pas forcément les moines. Vous avez des dealers qui vendent de l’héroïne, qui n’ont pas de pratique religieuse orthodoxe, mais qui se montrent d’un dogmatisme absolu sur la viande halal. C’est une inversion des valeurs. Le fait de manger halal devient un marqueur identitaire structurant pour des personnalités qui sont souvent extrêmement déstructurées.
P - Xavier Lemoine, comment appréhendez-vous cette complexité en termes de politiques publiques ?
X.L. - Un maire fait quarante métiers différents, ce qui rend la chose passionnante. Nous avons des politiques sectorielles, par exemple le renouvellement urbain, qui consiste à redonner de la dignité et de la fierté aux habitants.
C’est une condition nécessaire et indispensable avant de pouvoir parler de politique sociale. Mais la clé de voûte de toutes ces politiques sectorielles, c’est la politique culturelle.
L’enjeu dans les banlieues n’est ni d’abord social, économique ou urbain, mais culturel. Il y a des dysfonctionnements sociaux, économiques et urbains, il faut des politiques de rattrapage sur ces domaines, mais si nous ne faisons que cela, en pensant que ces dysfonctionnements ne sont que des causes et non des conséquences, nous nous trompons.
Pour moi, la cause réelle, ultime, est culturelle. Ma première priorité est la maîtrise de la langue française. À ce jour, sur 27 000 habitants de Montfermeil, 90 mamans apprennent le français. Il s’agit de remettre une certaine exigence et de susciter une certaine curiosité. L’apprentissage de la langue, c’est aussi l’apprentissage des us, coutumes et codes de fonctionnements de notre société, qui permettent de se mouvoir dans la société française et de comprendre comment elle fonctionne. Il faut aussi aborder la dimension historique et culturelle.
Ces programmes recueillent un taux d’assiduité de quasiment 100 %. Et là, je vois des familles, des femmes qui s’éveillent, qui entrent dans un parcours de relation avec leur entourage, d’autonomie professionnelle, d’autonomie dans la culture.
L’aide à la parentalité constitue la seconde priorité. Des systèmes éducatifs qui ont toute leur pertinence dans les pays d’origine produisent de parfaites catastrophes lorsqu’ils sont transposés en l’état dans notre pays. Par exemple, en Afrique subsaharienne, tout adulte se sent dépositaire de l’autorité parentale. Imaginer qu’en France, au 8ème étage d’une tour, c’est le voisin d’à côté qui va prendre pour partie en charge l’éducation de votre gamin, relève de l’utopie. D’autant que c’est plus vraisemblablement le dealer du rez-de-chaussée qui va récupérer la mise… Il faut expliquer aux parents qu’ils ont une relation quasi-exclusive de responsabilité vis-à-vis de leurs enfants et que le voisin de palier ne va pas forcément se préoccuper de l’éducation de leur gamin. Il est très important de redonner aux pères et aux mères la conscience de leurs rôles respectifs.
Ma troisième priorité est culturelle. Profitant du fait que Montfermeil est à 15 kilomètres de Paris, nous avons pour objectif la connaissance et la fréquentation des grandes œuvres culturelles françaises, qui s’adressent à toutes les générations et subventionnons, des sorties culturelles comme Versailles, le Louvre, ou d’autres musées, monuments ou lieux de culture forts. C’est autre chose que du tourisme ou de la consommation. Il y a une préparation avec des personnes qui ont fait de l’histoire de l’art et qui apprennent aux autres à lire un vitrail, un tableau, une statue, etc. Pour aimer, il faut connaître, pour respecter il faut aimer. Tout est là : connaître - aimer - respecter. Cela vient tout simplement et ce n’est en rien agressif vis-à-vis de la culture d’origine.
P - Camel, vous êtes français, de confession musulmane, vous êtes berrichon, vous aimez la France, son histoire et sa culture. Pour vous, ce que vient de décrire Xavier Lemoine représente-t-il un processus d’acculturation ?
C.B. - Oui, tout à fait, Xavier Lemoine évoque des choses qui sont absolument centrales dans la démarche de Fils de France. Le thème de notre dernière université de Printemps était Connaître et aimer son pays, basé sur un livre de Bernard Peyrous [1]. On peut difficilement aimer la France sans la connaître.
Xavier Lemoine met la culture avant le social. Personnellement, je pense que la mixité sociale est la principale matrice du processus d’acculturation, qui fait que l’on passe de la culture des parents à la culture française.
Lorsque l’on a une commune relativement homogène, géographiquement très proche de Paris, mais sociologiquement extrêmement éloignée, où s’ajoutent chaque année des populations arrivées de l’étranger, le processus d’acculturation, d’appropriation des codes culturels, des us et coutumes est quasiment impossible.
La mixité sociale suppose que les primo-migrants minoritaires puissent se retrouver dans des ensembles où les anciens français sont majoritaires.
Une école où le Français devient quasiment une langue étrangère, où les enfants ne parlent que le Turc, l’Arabe ou le Berbère, dispense un capital linguistique extrêmement affaibli.
Faire sa scolarité dans une école aux capitaux culturels et linguistiques faibles débouche sur un diplôme faible, lequel aboutira à un travail faible et à un logement qui vous resituera dans une zone paupérisée, séparée des territoires de la grande France.
À mon sens l’amorce de l’acculturation, c’est l’intégration ou l’assimilation sociale car elle permet de sortir du cycle infernal de la ghettoïsation. Si vous êtes minoritaire parmi une majorité, vous êtes irrigué par les codes de la majorité et votre processus d’identification via l’islam – lié à l’appartenance à des quartiers, des cités - s’en retrouve complètement arrêté.
Vous passez dans un cycle vertueux, vos enfants iront dans une école où ils seront ethniquement ou religieusement minoritaires, mais dans un ensemble majoritaire partageant les us, les codes, les coutumes du pays.
Depuis trente ans, l’identité française, dont le socle est le catholicisme, est bafouée. Le catholicisme a façonné ce pays. Il y a 40 000 lieux de culte dans notre pays et les crucifix ornent nos villes et nos campagnes.
Le déni d’identité, qui fait naître la France en 1789, coupe les populations nouvellement venues - qui ont besoin de culture et de culture sacrée -, de la grande Histoire de France. Si vous produisez des éléments identitaires liés uniquement à la laïcisation, si vous parlez de réformes sociétales comme le mariage pour tous, si vous faites des traditions françaises la ringardise absolue, vous empêchez ces populations fraîchement françaises de s’approprier l’habitus historique né du baptême de Clovis. Je le dis dans les mosquées : ”Liberté, égalité, fraternité” n’est rien d’autre que la version sécularisé de la doctrine sociale de l’Église.
Les immigrés s’installent dans un pays qui s’est construit sur une identité religieuse forte, sur des identités régionales fortes. Malgré la mondialisation, nous devrions permettre à ces personnes fraîchement françaises d’envisager la France au-delà du Mac Donald, du kebab, de H&M et de Nike…
P - Xavier Lemoine, aimeriez-vous qu’un musulman vienne à Montfermeil dire de telles choses à ses coreligionnaires ?
X.L. - Moi, je suis preneur, mais je ne peux pas me substituer à l’accueil ou à l’invitation que pourrait faire telle ou telle association ou lieu de culte, mais sur le principe je souscris pleinement. Je voudrais revenir sur la mixité sociale. Ce que Camel Bechikh souhaite n’a pas été fait. Et je crains aujourd’hui, au regard des logiques démographiques qui sont en place, que ce ne soit trop tard. Quand bien même ces personnes primo-arrivantes pourraient vivre dans un endroit où elles seraient minoritaires, les structures associatives et communautaires sont suffisamment fortes pour les ”récupérer” de suite. Sans compter que les pays d’origine ne veulent pas perdre la main sur leurs ressortissants.
D’autant plus que ces primo-arrivants se trouvent en face d’un État qui défigure l’identité de la France au travers d’une laïcité qui est un laïcisme, un athéisme déguisé. Ce rejet de la transcendance arme la violence dont nous sommes collectivement victimes aujourd’hui.
Montfermeil fait aujourd’hui l’expérience d’une école hors contrat qui se définit comme non-confessionnelle. Elle considère cependant que l’enfant n’est pas obligé de laisser au portail de l’école sa transcendance et sa religion. Mais il lui est demandé, s’il peut venir avec, d’accepter que l’autre vienne avec la sienne, et de l’écouter, d’échanger avec lui. C’est une tout autre attitude que celle de l’école laïque, car l’enfant est respecté dans son identité profonde, dont le fait religieux et le rapport à la transcendance font partie. L’école a un grand respect de l’enfant et des familles. Nous nous adressons ainsi à des identités qui ne sont pas amputées dans le cadre scolaire. Alors que les enfants de l’école dite laïque ont beaucoup de mal à appréhender les matières qu’on leur enseigne puisqu’ils savent qu’une partie d’eux-mêmes est restée dehors.
- Vous parlez ici des cours Alexandre Dumas à Montfermeil. C’est une expérience qui dure depuis trois ans. Il y a là une piste intéressante, un prototype…
C.B. - Le cours Alexandre Dumas est l’idéal en termes d’accélération ou d’accompagnement du processus d’acculturation. Si l’école est le lieu de capitalisation de la langue, des savoirs, de l’identité du pays, on a d’un seul coup une machine qui propulse le fils ou petit-fils de migrant vers l’identité française sans renier une part de son identité, qui est son identité religieuse.
Parce que l’individu est composé de plusieurs identités. Il y a évidemment l’identité sexuelle, même si on tente de la nier aujourd’hui avec la théorie du genre ; une identité ethnique, qui fait que si je suis d’origine algérienne, il y a aussi des basques, des bretons… On doit pouvoir accepter cela. Il y a l’identité spirituelle et l’identité sociale. Le fait d’être notaire dans le centre de Chartres, ce n’est pas comme être agriculteur dans le sud de la France…
L’ensemble de ces caractéristiques produit des individus originaux. L’altérité dans l’ethnicité est envisageable sans la nier parce que la France s’est construite sur une hétérogénéité ethnique.
Au Ve siècle, des peuples se rencontrent sur le territoire français - Celtes, Latins, Germains, etc. - qui produisent une hétérogénéité ethnique, à l’échelle européenne. Dans la postmodernité, dans un monde qui devient village, il reste envisageable pour la France d’être fidèle à ses valeurs d’altérité ethnique, mais dans des proportions gardées.
C’est pour cela que je pense qu’il est extrêmement important de stopper l’immigration.
Elle pénalise l’ensemble des français, et doublement les français issus de l’immigration. La venue de nouveaux migrants dans les quartiers empêche le processus d’acculturation. Or il y a des limites si l’on veut éviter en France une déliquescence de l’identité qui produise un ressentiment globalisé.
Vous avez des rues qui ont complètement changé parce que les charcutiers ont déménagé et ont été remplacés par des boucheries hallal avec des écritures en Arabe ! Et les habitants de ces communes sont exaspérés. Mais ils n’ont pas le droit de dire leur exaspération ; et de ce fait deviennent potentiellement ceux qui demain, en cas de paupérisation avancée de notre pays, pourraient passer à autre chose que du discours. Il faut avoir le courage de dire que si l’on veut retrouver un peuple solidaire, un peuple français dans la liberté, dans l’égalité, la fraternité, l’arrivée de 250.000 personnes supplémentaire chaque année en France rend ce désir irréalisable.
P - Xavier Lemoine, faut-il revoir la politique migratoire au niveau français, européen ?
X.L. - Oui, cela fait des années que je le dis. D’autant qu’au regard des déséquilibres Nord/Sud, je ne suis pas sûr que les 250 000 personnes accueillies annuellement résolvent beaucoup la problématique en question. Elle se situe à un autre niveau bien évidemment, sur des bascules démographiques et donc culturelles sans précédent dans notre histoire, sauf si on revient au Ve siècle, période de grande instabilité et de violence.
P - En guise de conclusion, Camel, pouvez-vous nous dire ce qui, dans la culture française, dans l’Histoire de France, est le plus aimable pour quelqu’un qui vient d’une autre culture ?
C.B. - Je crois que c’est l’ambition naturelle de la France d’exportation de ses principes. La France, née du baptême de Clovis, a donné à l’Église son plus grand nombre de saints ; elle a participé à exporter l’idée d’une foi universelle qui est le catholicisme.
Si l’on arrive à faire émerger l’idée que la France s’est construite sur du sacré et que ce sacré n’a été que ré-habillé d’un champ lexical au moment de la République, si l’on parvient à faire ressentir que la France n’est pas un ensemble matériel ou une construction de la philosophie des Lumières, mais qu’elle est dans la transcendance qui s’imbrique parfaitement avec les valeurs fondamentales de la religion musulmane, nous avons un trait d’union extrêmement fort.
Produire l’idée d’une France asséchée de transcendance, de spiritualité et de sacré, c’est présenter une sous-France - une souffrance - en un mot et en deux mots.
X.L. - Dans ce qui vient d’être dit, le mot identité a été souvent prononcé. Et je commence à m’en méfier. L’expérience qui avait été menée sous la présidence de Nicolas Sarkozy m’a convaincu que c’était un mot dangereux. Le général de Gaulle disait : « Comment voulez-vous gouverner un pays avec 365 fromages différents ? ». J’ai peur que nous ayons aujourd’hui 65 millions d’identités différentes.
C’est pourquoi je préfère le mot ”vocation” pour la France. Et je pense que c’est dans la continuité de ce que vient de dire Camel : une vocation se reçoit et on se met au service de la vocation. On ne renonce à rien de ce que l’on est, de son originalité. Et au regard de nos talents, qui peuvent aider justement à la réalisation de cette vocation, cela rassemble tout le monde.
Et si, en reprenant la vigoureuse interpellation de Jean-Paul II – « France, fille aînée de l’Eglise, éducatrice des peuples » -, on se mettait, chacun avec ses talents, au service de cette vocation, de cette mission universelle de la France ? C’est dans les gènes et la nature de la France de faire converger les énergies plutôt que les faire se combattre comme elles se combattent aujourd’hui.
C.B. - Absolument !
Propos recueillis par Guillaume de Prémare (@g2premare)
Entretien initialement publié dans la revue Permanences 528-529 (Le défi de l'unité française) de janvier-février 2015 sous le titre 65 millions d’identités différentes
[1] Connaître et aimer son pays, Père Bernard Peyrous,
Ed. de L’Emmanuel, 22 €. En vente sur le site : www.ichtus.fr
Retrouvez cet entretien sur la page enrichie consacrée à Fils de France :
Une raison d'espérance