Français, musulman et patriote ? Camel Bechikh à Lyon
La Vaillante a adapté à l'écrit la retranscription faite par Fils de France de la conférence filmée que donna Camel Bechikh à Lyon, en janvier 2014. Vous retrouverez les interventions publiques de Camel Bechikh retranscrites sur la page Une raison d'espérance.
Bonsoir, merci pour votre présence, merci à l'ensemble de l’équipe de Fils de France de Lyon d'avoir organisé cette soirée. Depuis deux années d'existence de Fils de France, c'est la première fois que nous venons en province, très heureux de commencer par Lyon, sachant que pour nous, Lyon est un des terrains les plus difficiles en France pour tout un ensemble de raisons que j'évoquerai peut-être tout à l'heure. Si vous le voulez bien, je ne vais pas énormément parler mais plutôt laisser libre les questionnements de façon à ce que nous puissions tordre un peu la ligne Fils de France tout en étant, je l'espère, critique. Que je puisse être stimulé par vous, pour essayer de répondre à tout ce qui n'est pas forcément clair dans vos esprits. J'imagine qu'il doit y avoir pas mal de points d'interrogations sur ce qu'est cet objet un peu non identifié dans le champ métapolitique qu'est aujourd'hui Fils de France. Donc, je fais une présentation relativement succincte et je vous laisse la parole pour discuter sur les points obscurs de Fils de France.
Pour faire simple, Fils de France qu'est-ce que c'est ? Tout à l'heure, je suis allé faire la prière du vendredi dans une mosquée de banlieue. Quelques personnes m'ont reconnu, une conversation s'est engagée avec des personnes qui ne me connaissaient pas du tout et me disaient : « Qu'est-ce que Fils de France ? ». D'après les aspects vestimentaires, on ne peut pas dire qu'ils étaient "clients" potentiels de Fils de France : ils étaient assez lookés qamis, etc... J'ai donc commencé à expliquer… La ligne de Fils de France est relativement simple : c'est de dire que l'individu dans son identité est composé de plusieurs lignes : une ligne nationale, une ligne ethnique, une ligne religieuse, etc… Et que nous, à Fils de France, nous avions le désir ardent de distinguer ce qui relevait du culte de ce qui relevait de la culture. Pour quelles raisons ? Parce que dans un contexte d'immigration relativement important, comme a été celui de la France dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le fait qu'une population importante extra-européenne et extra-chrétienne se retrouve à l'intérieur de l'Hexagone, a questionné les identités des uns et des autres et donc produit aussi un certain nombre de tensions. Dans la volonté de faire baisser ces tensions, l’idée était simplement de dire que l'on pouvait être musulman dans son identité spirituelle, et totalement français dans son identité culturelle. Lorsque nous disons cela, nous répondons à un certain nombre d'acteurs du moment qui insistent dans les revendications sociales, notamment en convoquant l'islam, ou dans un certain rapport à la mémoire où l'on convoque encore la religion musulmane. L'islam se retrouve donc mêlé à des revendications tout à fait légitimes, par une partie des acteurs de quartiers qui, dans leur islamité, combattent les injustices sociales. Or, nous, nous disons que l’appartenance à une strate sociologique ne relève pas de la confession. On peut être riche et musulman et on peut être pauvre et catholique. Constamment amalgamer l'idée de l'islam et de sa condition sociale enferme l'image musulmane dans une stratification sociale, tandis que l'islam est une idée universelle.
Pareillement concernant la mémoire. Notamment concernant la guerre d'Algérie et la mémoire du colonialisme en général ─ d'ailleurs c'est pour cela que Lyon est un terrain peu aisé pour Fils de France, puisqu'une grande communauté algérienne est présente. L'Algérie et la guerre d'Algérie en particulier sont souvent amalgamées à l'identité religieuse. Or, tous les musulmans ne sont pas fils ou petits-fils de résistants algériens et tous les résistants algériens n'étaient pas musulmans. Il y a eu un nombre conséquent de communistes, notamment durant la guerre d'Algérie. Ainsi, des français de vieille souche se sont engagés corps et âmes pour l'indépendance de ce pays et qui sont d'ailleurs aujourd'hui considérés comme des résistants. Que l'on soit dans le social, que l'on soit dans l'historique ou dans tout un tas de revendications, il y a un amalgame malheureux entre une identité spirituelle et une condition, une trajectoire sociale. Á Fils de France, nous avions ce désir ardent de distinguer tout cela en disant que oui, nous pouvons être musulman et pas forcément lié à ces trajectoires de revendications sociales ou historiques. Pourquoi ? Parce que la France s'est créée sur des régions aux cultures fortes et qu'elle possède une culture, même si elle est très malmenée en ce moment par cette américanisation rampante qui déstructure des habitudes bien françaises. Cette identité française demeure forte. Maintenir une sorte de fantasme des origines maghrébines ou arabes au fur et à mesure des générations n'avait pas de sens avec la réalité. Vous allez avoir des gens qui revendiquent une appartenance, par exemple, et de manière très pompeuse, à l'Algérie ou au Maroc, mais qui finalement vivent en France de façon bien, ou relativement bien, mais n'émettent pas l'idée du retour dans les pays d'origine. Là encore, l'islam est convoqué comme un adjuvant ou un additif identitaire alors que ce n'est finalement pas son rôle. En terme de perception pour le français de vieille souche, de ce fait religieux à travers ces revendications sociales, à travers la (sur)revendication des origines, etc… cela pose d'énormes points d'interrogations. Si on y ajoute les tensions internationales dues aux différentes guerres du Golf, d'Afghanistan et éventuellement l'aspect belliqueux de certains groupes musulmans, on a un paysage islamique français extrêmement hétérogène mais composé uniquement de trains qui arrivent en retard, en négligeant et en ignorant par une sélection involontaire, tous les trains qui arrivent à l'heure.
Finalement, les trains qui arrivent à l'heure sont tous ces jeunes musulmans français socialisés, de manière tout à fait classique, par l'école républicaine, la télévision, les groupes d'amis, etc… qui ont une islamité soit héritée, soit culturelle, soit pratiquante, et parfois même littéraliste, mais qui n'éprouvent pas de contradictions entre leur identité culturelle et leur identité cultuelle, qui assument tout à fait le fait d'être culturellement français, même si ce culturellement français pose énormément de points d'interrogations dans un contexte de mondialisation destructrice pour les identités culturelles. Donc, ne voyant pas ces trains qui arrivent à l'heure, ne voient pas de contradictions notoires entre le fait de l'identité musulmane et de l'identité française.
Ensuite, on va dire : « Oui, mais il y a des incompatibilités fortes entre la dimension musulmane, qui lie la foi et la loi, et la dimension laïque et française. » Ce sont, je pense, de petites questions auxquelles on peut très simplement et très facilement répondre s’il y a une mise en perspective de ce qu'est l'islam dans son processus d'acculturation, de transmission, ou de passage dans des cultures diverses et variées et la tradition monarchique et républicaine française, qui a toujours fait sa place à l'altérité, qu'elle soit ethnique ou même religieuse.
Puisque l'islam est à la fois un système éthique et à la fois religieux et politique, comment peut-il s'adapter au contexte laïcisé, sécularisé, qu'est le contexte français républicain ?
La religion musulmane a produit une civilisation qu'on a appelée la civilisation musulmane, islamique. Il faut juste distinguer l'islam avec un i minuscule de l'Islam avec un I majuscule. L'islam avec un i minuscule est cet ensemble religieux, universel, qui est une spiritualité. L’Islam avec un I majuscule est l'islam de la civilisation musulmane qui commence avec les omeyades, pour faire simple, donc dynastique, etc… Pourquoi l'islam est-il devenu un système politique ? Parce qu'à l'époque, et les chrétiens avant les musulmans, on imbriquait le religieux dans le politique. La conversion de l'empereur Constantin au christianisme aboutit à ce que l'Empire byzantin, qui était païen, ait pour religion le christianisme. Les musulmans, dans ce contexte-là, ont créé un empire en calquant leur système de gouvernance sur l'Empire byzantin. C'est donc une occurrence historique qui produit un système. Le système califal, où le politique et le religieux s’imbriquent, n'est pas un système qui rencontre la profondeur des textes musulmans, pas du tout. C’est simplement une rencontre avec une donnée politique, historique de l'époque. Et les musulmans ont adopté cette manière de fonctionner qui avait été adoptée par les chrétiens eux-mêmes. Le processus de sécularisation, donc de distinction du religieux et du politique, existait malgré tout puisque les théologiens étaient consultés par le pouvoir politique, mais n'étaient pas le pouvoir politique. Le système califal, dynastique, consultait les théologiens mais les théologiens n'étaient pas les tenants du pouvoir. Je dirais que cette idée que l'islam ne distingue pas le système politique du système religieux est une extrapolation de ce qu'a été l'Islam avec un I majuscule dans un cadre historique particulier. C'est ce qui fait dire à un nombre de théologiens, aujourd'hui, que la possibilité de réinventer les systèmes de gouvernance dans les pays musulmans ou chez les musulmans en tant que minorité dans les pays non-musulmans est constamment en mouvement. Il n'y a donc pas de système arrêté.
Quelle est la position de Fils de France sur l'islam de France ?
L'islam est né dans un pays arabe qui s'appelle la péninsule arabique. Le Coran a été révélé en arabe à un Prophète arabe. Mais c'est un message universel : il y a une réalité anthropologique de ces primo musulmans qui se situe dans l'arabité. Mais le message étant universel, il va très vite dépasser cette arabité et va rencontrer un ensemble de cultures, de races, d'ethnies, de langues extrêmement différentes. Á tel point qu'aujourd'hui, les arabes ne sont qu'un cinquième de la population musulmane mondiale. Quoi de commun entre un malien et un indonésien ? Manifestement, du point de vue culturel, ils s'habillent différemment, ils mangent différemment, ils parlent différemment, ils pensent différemment. Mais si vous les mettez ensemble pour accomplir la prière de midi, de Dohr, ils feront quatre unités de prière tous les deux. Parce que la mécanique religieuse, qu'elle soit liée à l'orthodoxie ou à la pratique, sont identiques quel que soit le lieu où l'on se trouve.
Mais quand on parle d'un islam de France, à Fils de France, on parle même d'un islam français car nous percevons trois étapes. Nous parlons d'abord d'un islam en France qui est l'islam de nos parents : c'est-à-dire que ce sont des gens qui ont vécu vingt ans, trente ans dans le sud de la méditerranée et qui arrivent en France avec une identité religieuse, mais qui est cantonnée à leur culture façonnée par leur vie au Maroc, en Algérie ou en Afrique subsaharienne, en Tunisie, en Turquie, etc… Ensuite, il y a ce que nous appelons l'islam de France : c'est l'islam de leurs enfants, qui commencent à composer avec un environnement nouveau qui accueille une foi nouvelle (nouvelle avec beaucoup de guillemets parce qu'en vérité la France et l'islam connaissent une relation historique bien plus importante que cela). Pour la première fois, massivement, des musulmans vont commencer à réfléchir aux concepts de laïcité, de république, de citoyenneté en les liant, en les confrontant à leur identité religieuse. Nous appelons cela un islam de France. C'est le moment où l'on va tenter d'aménager la rencontre entre cette foi musulmane, cette pratique musulmane et les concepts forts qui font la République française. Et en troisième lieu, nous à Fils de France, nous parlons d'un islam français. L'islam français, c'est celui qui ne se pose plus la question. Je suis musulman, je prie cinq fois par jour. Comme je mange trois fois par jour pour nourrir mon corps, je prie cinq fois par jour pour nourrir mon âme. Ma dimension spirituelle, ma dimension verticale sont intrinsèquement musulmanes. Mais, mon horizontalité, ma socialisation, mes codes culturels, mes codes d'interactions sont inscrits, sans que je me pose la question, puisque c'est un fait j'ai grandi avec, dans la culture française. Il n'y a plus de question posée entre cette verticalité eschatologique, spirituelle ─ pour certains qui en ont la chance, mystique ─ et cette horizontalité culturelle, française. Avec, pour caricaturer à outrance, la baguette et le béret. Baguette et béret avec un mois de jeûne annuel et mes cinq prières par jour. Ça c'est l'islam français.
N’avez-vous pas peur que cet islam français dénature le message authentique de l'islam?
C'est un islam français qui est encadré, il n'est pas anarchique. Il est encadré par les théologiens qui ont la capacité de distinguer ce qui peut être acculturé de ce qui ne doit pas l'être. Si on est en France, on priera cinq fois par jour, que l'on soit à New-York, à Médine ou à Bamako, les prières canoniques sont inscrites cinq fois par jour. On peut les faire ou ne pas les faire, ce n'est pas la question. L'orthodoxie musulmane est valable pour l'ensemble des musulmans. Notre spécificité c'est d'être, de vivre et de respirer français et d'aimer notre pays la France avec une spiritualité qui est musulmane. Alors on me dira : « Mais cette spiritualité est étrangère à la culture française ». Je réponds : « Oui, mais le christianisme n'est pas né au Mont St Michel. Le christianisme lui-même est un produit proche-oriental ou sémite. » Il n'y a finalement pas d'opposition entre les deux.
Je vais vous donner un exemple très clair de la plasticité. C'est très important cette idée de plasticité. L'islam est quelque chose d'extrêmement plastique, il a une forte capacité d'adaptation aux cultures que la religion musulmane rencontre. Cette forte capacité d’adaptation se traduit notamment par quelque chose d'important qui est le mariage. Le mariage est une pratique sociale, universelle, à tel point même qu'on nous a fait le "Mariage pour Tous" maintenant. Ce mariage entre un homme et une femme en islam possède quelques conditions. La première condition est l'acceptation mutuelle : le fait que l'homme veuille se marier avec cette femme et que cette femme veuille se marier avec cet homme. Quand on parle de mariage forcé islamique, on est déjà dans l'antinomie de ce qu'est la religion musulmane qu'on amalgame souvent avec des traditions, de malheureuses traditions. Donc, d’abord, l'acceptation mutuelle. Ensuite, la dote : qui peut être presque symbolique. Et les témoins : en islam, contrairement au catholicisme, le mariage n'est pas un sacrement. Le mariage est un contrat entre deux personnes en vue de vivre ensemble et de procréer. Si nous sommes dans un cadre contractuel, il faut que le contrat puisse être respecté, que les deux parties puissent faire respecter leurs droits et devoirs : il faut donc un cadre légal. Au début des années quatre-vingt-dix, un ensemble de théologiens se sont réunis en disant : « Mais puisque la finalité de la jurisprudence musulmane dans le mariage est de faire respecter les droits et devoirs de l'époux et de l'épouse, seul un cadre légal peut assurer la finalité de la jurisprudence musulmane. » Ce n'est donc pas symboliquement le mariage devant un imam qui fera foi puisque la loi ne le reconnaît pas. C'est donc le mariage à la mairie qui devient le mariage musulman. Parce que seul le mariage à la mairie propose un cadre contractuel qui respecte la finalité de ce contrat de mariage, qui est de faire respecter les droits et devoirs de l'époux et de l'épouse. C'est un petit exemple de processus d'acculturation. Je pourrais vous en produire peut-être des dizaines qui exposent cette plasticité de la religion musulmane. Et souvent, nous sommes dans une position très identitaire aujourd'hui en France. Il faut aussi analyser ça à l'aune d'une psychologie sociale. Car être fils d'immigré c'est être quelque part déraciné et en voie d'enracinement. Cette période de fragilité identitaire, souvent, pousse à une forme de rigidité identitaire. D'où la convocation de l'islam, parfois, comme objet de protestation, notamment.
Fils de France semble proche d'une certaine mouvance de droite. Peut-on en déduire que Fils de France est de droite et en quoi seriez-vous de droite ? Et est-ce que vous avez rencontré des résistances de certains partis ?
La ligne de Fils de France a été fondée il y a deux ans par les membres fondateurs. L'idée principale étant le patriotisme français. Donc, nous nous plaçons à droite puisque historiquement la droite est héritière de ces valeurs catholiques, du point de vue de la morale. Mais la droite est aussi, si je schématise à outrance, le réceptacle du néolibéralisme, ou du libéralisme, ou du capitalisme, contre lequel nous nous plaçons en porte à faux puisque souhaitant une résistance de la culture française face à cette mondialisation. Nous savons très bien que c'est le néolibéralisme, la marchandisation à outrance qui détruit les cultures en les uniformisant. Donc nous serions plutôt de ce point de vue-là "social" ou dans un capitalisme social à la De Gaulle. C’est-à-dire un entreprenariat qui ne soit pas bridé mais qui ne devienne pas le centre de la vie du pays. Une économie au service des français et non pas des français au service de quelques patrons. Je ne vais pas reprendre le célèbre slogan "droite des valeurs, gauche du travail"… mais on n'est pas très loin.
Y a-t-il vraiment une possibilité d'ouverture avec le Front National ?
Lorsque je me déplace au Front National (Idée Nation est une composante du Front National) je me déplace chez des gens qui sont islamo-sceptiques, voire islamophobes. Et islamophobe, ça veut dire qu'ils craignent l'islam. Pour certains qu’ils détestent l'islam. Et lorsque les journalistes me disent : « Mais pourquoi allez-vous chez Idées Nation ? Ne pensez-vous pas créditer le Front National d'un musulman de service qui viendrait jouer le rôle de valider quelque part leur ligne ? ». Je réponds : « Pas du tout ». Je dis, si moi je dois dialoguer, si moi j'ai choisi de me battre dans ce pays pour apaiser les tensions… Parce que je pense que fondamentalement plus les français seront divisés plus la France sera faible ; et plus la France sera faible et plus elle risquera de se noyer dans la mondialisation ; et plus elle se noiera dans la mondialisation, plus nous perdrons l'héritage de ce que des générations et des générations d'hommes et de femmes en France nous ont légué. Et ça, on n'a pas le droit de le faire. Donc moi, quand je me déplace chez Idées Nation ou ailleurs, je le fais dans un esprit de dialogue. Je ne vais pas dialoguer avec celui qui est d'accord avec moi, ça n'a aucun sens. Je vais dialoguer avec celui qui me craint, qui me redoute, celui qui me déteste, celui qui me hait, celui avec qui j'ai absolument besoin de parler. Lorsque je me déplace chez des gens qui sont très hostiles à l'islam, aux musulmans, je le fais dans le cadre de l'apaisement, pas dans le cadre d'aller signer un bulletin d'adhésion. Je suis musulman, ça n'échappera à personne, mais Dieu a parlé avec tout le monde même avec le diable, c'est vrai ou c'est pas vrai ? Il y a bien un dialogue entre le diable et Dieu dans le Coran. De plus, je pense que c'est très utile, car souvent les rapports humains permettent de lever beaucoup d'amalgames, de fantasmes, etc…
Avez-vous rencontré des résistances dans ces milieux de droite, à part le FN ?
Non. Même à Idées Nation où la salle était aussi importante que celle-là. Vous savez qu'à la fin de mon intervention, des personnes ont rendu leur carte du FN. Et à côté de ça, j'ai été applaudi quelques fois quand même, et moi je n'ai pas vendu mon identité. Avant la conférence j'étais musulman et après je l'étais toujours. J'ai simplement exposé ce que nous à Fils de France nous avions à dire.
Et avec les monarchistes aussi ?
Oui, avec l'ensemble des courants de droite ou de droite nationale, je n'ai pas rencontré de résistance.
Le prosélytisme fait-il vraiment parti du code génétique de l'islam ? Quel avenir pour nous chrétiens quand on voit cet islam progressant et menaçant ?
Vous parlez de l'aspect "missionnaire" ? Qui existe d'ailleurs dans le christianisme et dans l'islam, et pas dans le judaïsme. Je ne suis pas le porte-parole des musulmans de France, loin s'en faut. Mais je crois qu'avant d'envisager l'aspect missionnaire vis-à-vis des autres confessions, ou en dehors des musulmans de France, il y aurait déjà beaucoup à faire au sein des musulmans de France eux-mêmes. En termes de réapprentissage de la foi profonde et du dépassement identitaire, dont je parlais tout à l'heure. Est-ce que les musulmans de France ont des velléités missionnaires ? Je pense qu'il y a des musulmans de France qui ont cette envie de partager leur foi et donc deviennent prosélytes. Mais je ne crois pas que six millions de musulmans en France soient des missionnaires patentés. Je crois que la plupart des musulmans de France vivent paisiblement leur foi, tentent très difficilement de la transmettre à leurs enfants, qui eux-mêmes tentent de la transmettre à leurs enfants, dans un environnement qui est quand même très hostile à la foi et à la morale, qu'elle soit catholique ou musulmane. Avant d'aller chercher en dehors de sa communauté respective, il y a tant à faire à l'intérieur. Déjà à l'intérieur de soi-même : demeurer fidèle à ses engagements, ce qui n'est pas simple, au sein de sa famille, puis au sein de la société ou de la communauté à laquelle on appartient. Mais, en effet vous avez raison, l'islam contient une partie qui est liée à la transmission. Maintenant, l'exposition de ces principes musulmans est d'avantage dans le fait du témoignage, de témoigner de sa foi. C'est comme si vous me posiez la question sur le djihadisme. Je vous dirais oui, la notion de djihad, notamment intérieur, fait partie de l'islam. Qu'il y ait une minorité de musulmans qui la comprenne pour aller en découdre au Proche-Orient, oui cela me semble inévitable. Mais cela reste extrêmement fragmentaire, minoritaire, et ne remet pas en cause l'équilibre global, je pense, de la relation entre la majorité chrétienne, catholique, en espérant qu'elle le reste, car la plus grande menace pour la majorité chrétienne et catholique, je ne crois pas que ce soit l'islam. C'est davantage le consumérisme et une certaine laïcité militante, agressive à l'endroit du catholicisme.
Je crois au contraire que l'islam peut renforcer l'identité chrétienne de la France comme les chrétiens peuvent renforcer l'identité musulmane, à condition qu'il y ait cette logique, cette compréhension fondamentale de valeurs qui unifient.
Que pensez-vous d'un certain aspect "belliqueux" de certaines sourates du Coran ?
Je ne suis pas théologien, mais je sais que dans le Coran, il y a des versets principiels qui sont des principes ; et des versets contextuels, donc uniquement liés au moment coranique. Les versets belliqueux sont des moments où il y a eu des tensions entre les tribus chrétiennes, juives et musulmanes. Quand on me dit ça, je réponds que d'une part les musulmans lisent très très peu le Coran. Le Coran n'est pas un livre central chez les musulmans, il ne faut pas rêver. Cela fait partie des fantasmes de penser que les musulmans lisent le Coran, le liraient tous les jours, intégralement et le comprendraient. C’est absolument faux. Je ne sais combien il y a de musulmans dans cette salle, je ne vais pas faire un sondage, mais si je demandais de lever la main à ceux qui ont lu le Coran une seule fois dans les six mois derniers, il n'y aurait pas beaucoup de mains qui se lèveraient. Ce n'est pas parce qu'un texte possède des mots que ce texte se traduit par des comportements. Si je dis " qu'UN SANG IMPUR ABREUVE nos SILLONS !", de fait le texte est violent "du sang" " impur" et qui abreuverait des sillons. L'image est hyper violente mais cela ne fait pas des français des zigouilleurs patentés. En effet, dans l'hymne nationale, il y a un couplet qui est assez fort du point de vue de la violence. Mais les français sont-ils nourris par ce couplet de la Marseillaise dans leur manière de vivre au quotidien et même au-delà ? Je ne le crois pas.
Il faut quand même distinguer ce qui relève de la réalité des comportements de ce qui est l'œuvre, d'ailleurs, des exégètes, de quelques versets du Coran, très contextuels à l'endroit de la violence.
Mais la Marseillaise a été écrite par des hommes et le Coran par Dieu. Pourquoi Dieu s'arrêterait-il à des événements contextuels ?
Il y a des versets qui sont abrogés dans le Coran car ils relèvent uniquement du contexte, du moment coranique. Mais je le redis : est-ce que le comportement aujourd'hui des musulmans que vous côtoyez au quotidien est imprégné de ces quelques versets dont on nous parle tout le temps, en ignorant d'ailleurs tous les autres versets qui parlent d'amour, de miséricorde, de partage, de générosité, de véracité, de magnanimité, etc... ? Il y a une focalisation qui me semble disproportionnée, hypertrophique, sur quelques versets qui ne se révèlent pas être une réalité dans le quotidien des six millions de musulmans en France, et même ailleurs. Et si l'on veut partir de là, je peux dire que l'histoire du christianisme aussi a été truffée d'épisodes d'une violence rare. Je ne vais pourtant pas stigmatiser ou mettre à l'index la spiritualité catholique qui a donné St Thomas d'Aquin, Jean Chrysostome, St Jean de la Croix, Charles de Foucault, Marthe Robin (que j'explore en ce moment). Il faut être honnête dans son approche : on ne peut pas envisager quelques lignes qui ne se reflètent pas dans le quotidien des musulmans et ignorer la majorité des textes scripturaires : Coran et hadiths, et les textes des théologiens ou des spiritualistes soufis qui ont mis l'amour au centre de tous les comportements. Pourquoi ne nous parle-t-on pas des versets liés à l'amour, à la miséricorde, à la générosité ? J'entends ce que vous dites Monsieur, mais de fait, il y a une sélection des textes musulmans qui vont souvent dans un sens plutôt que dans un autre.
Ce sont les théologiens qui ont abrogé les textes parlant d'amour.
Ce que vous dites n'existe pas. Les théologiens n'ont pas abrogé les versets parlant d'amour. Je ne sais pas où vous avez entendu ça. Je ne sais pas par quel canal vous êtes entré en connaissance avec l'islam. Souvent, les gens qui ont cette approche d'un islam violent, dénué d'amour, ont des sources bibliographiques très antimusulmanes. Elles existent, mais il y a aussi celles qui sont plus rationnelles que nous allons trouver chez Louis Massignon, Laoust, Sourdel, etc… qui ont été les grands islamologues français. Mais ceux-là, bizarrement, on ne les lit plus. On lit volontiers les quelques pamphlets antimusulmans et ça devient la seule porte d'entrée pour comprendre la religion musulmane. C'est comme si moi, pour m'intéresser au catholicisme, je passais par la porte d'entrée des libres penseurs, de l'anticléricalisme, des bouffeurs de curés et je me dirais : « Ben dis-donc, le catholicisme c'est ça ?! » Évidemment, si on s'intéresse à un fait religieux par ceux qui le combattent, ple dénigrent, le détestent, évidemment, on va aboutir à une vue de ce fait religieux très orienté.
Mais il n'en reste pas moins que cette littérature très antimusulmane demeure extrêmement minoritaire à l'intérieur de l’ensemble de ce qu'a fourni l'orientalisme depuis le XIXème siècle.
Peut-on admettre de la violence, car la violence fait aussi partie de la réalité humaine ?
On peut tout relativiser. Mais aujourd'hui, l'actualité internationale est très anxiogène pour ceux qui ne sont pas musulmans en France, parce qu'ils ne connaissent pas de l'intérieur ce que vous vous connaissez de l'intérieur. De l'extérieur, quand on voit ce qui se passe en Afghanistan, au Pakistan ou en Arabie Saoudite, pour envisager son voisin musulman, ça produit forcément de l'anxiété. C'est à ça qu'il faut répondre.
Quand je parle de violence, je parle de violence spirituelle...
Mais les gens ne parlent pas de violence spirituelle. Ils parlent d'égorgement, de lapidation, d'attentats, etc…
Certains médias vous accusent de faire de la taqiya, de la ruse. Que répondre à ces gens-là ?
Le mot taqiya n'est pas lié à la tradition sunnite. Il est lié à a tradition chiite. Les chiites ont été persécutés par les sunnites. Á un moment, pour dissimuler leur foi chiite, pour ne pas être embêté, inquiété, les chiites ont dissimulé leur chiisme. Ils se sont autorisés le mensonge par ruse dans ce qu'ils appellent la taqyia. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'en France, si les cathares avaient produit de la taqiya, il y aurait encore des cathares en France. Quand une majorité religieuse opprime, persécute une minorité religieuse, soit elle ruse pour survivre, soit elle se fait exterminer. Le mot taqiya n'est déjà pas approprié. Ces gens qui parlent de taqiya pour Fils de France ont l'impression qu'on est obligé de passer par eux pour aimer la France. Or, moi, très sincèrement, je me fiche complètement de ces gens-là ! Mon rapport charnel et amoureux à mon pays, il est dans mon enfance, dans mon Berry, il est dans mes souvenirs affectifs, amoureux, à la terre, à la forêt… Je ne passe pas par ces gens-là pour m'autoriser à avoir un rapport amoureux à mon pays. Après, on ne peut pas être d'accord avec tout le monde, c'est de bonne guerre en plus. Car du côté non musulman, on va nous dire qu’on fait de la taqiya ; et du côté musulman une minorité va nous dire que nous sommes en train de vendre nos principes. Le fait est qu’on ne peut pas plaire à tout le monde.
En revanche, je crois qu’il faut garder sa ligne, être le plus argumenté, le plus articulé possible, rationnel. Mais aussi sentimental. Fils de France est quand même une démarche très sentimentale et aimante. Bien faire et laisser dire. C’est la devise : « Bien faire et laisser dire ».
Je souhaiterais juste apporter un témoignage quant à la plasticité de l'islam. Sur l'Île de la Réunion, les imams demandent le certificat attestant le mariage à la mairie avant de prononcer le mariage au sein de la mosquée, et cela pour conforter ce que vous disiez quant à la plasticité de l'islam, qui est un fait.
Concernant la mosquée… La mosquée a son fond et sa forme. Dans son fond, elle est un lieu de moralisation. La mosquée comme l'église, le temple ou la synagogue est un lieu où l'on se nourrit de la présence du divin pour, sorti de cette mosquée, rayonner de cette bienfaisance que nous avons captée dans la prière. C'est valable pour les chrétiens et pour les juifs. Je connais beaucoup moins les religions orientales. La mosquée est un lieu de moralisation dans un moment où la surconsommation pousse à être amoral. Aujourd'hui, le fait de maîtriser son instinct est l'enjeu du bien commun. Parce que maîtriser son instinct c'est maîtriser l'équilibre dans l'espace public. Si chacun s'adonnait et laissait libre court à son instinct, nous serions dans une situation des plus inquiétantes. La morale est là pour cadrer les instincts humains, que l'on soit catholique, juif ou musulman. Quand je parle de mosquée, il y a donc sa forme et son fond. Dans son fond elle est un lieu de moralisation. Á condition que l'imam, le responsable de la mosquée, ait un certain éclairage sur le rapport qui situe la religion et la Nation. Le culte et la culture. La communauté musulmane et la communauté non musulmane. Il faudrait que les imams aient cette conscience dialectique qui fait que le musulman n'est pas que musulman dans la mosquée, mais va interagir avec une majorité qui n'est pas musulmane, dans un pays qui découvre avec fracas médiatique cette présence musulmane importante. Donc dans son fond, la mosquée est un lieu de moralisation dans une époque où la morale n'existe plus. Je pense que c'est extrêmement positif. On ne pourra pas en reprocher l’existence lorsque les couches sociales défavorisées sont de fait plus enclines à produire de la petite délinquance, de la délinquance, de la criminalité, quelque soit son origine ethnique ou religieuse, par ailleurs. Si on prend l'immigration mexicaine aux États-Unis, on a bien des hispaniques de religion catholique qui produisent cette petite délinquance, délinquance, criminalité, banditisme. Au-delà de l'aspect identitaire, dans les classes populaires on est plus sensibles et plus vulnérables au fait de franchir la limite du droit. Maintenant, dans ces classes populaires, s’il n'y a pas comme ciment une moralité qui permette de recadrer cette tentation, c'est le chaos. Le fond de la mosquée est donc moralisateur, et Dieu sait que dans les quartiers populaires on a besoin évidemment de morale. On ne peut pas être musulman pratiquant et délinquant, ça ne va pas ensemble, même si on a tenté de nous le faire croire.
Ainsi, il y a le fond de la mosquée, son enseignement, et il y la forme. La forme doit respecter l'architecture locale. La France, comme je le disais tout à l'heure, est construite sur des identités régionales extrêmement fortes. Je ne vois pas au nom de quoi l’on construirait en Normandie une mosquée à l'image d'une mosquée marocaine, ou algérienne, ou je ne sais quoi. La Normandie a une tradition architecturale, la Bretagne a une tradition architecturale, la Flandre française a une tradition architecturale. Il n'y a pas d'antinomie entre le fait de transmettre dans le fond cette morale, qui participe au bien commun, et l'identité extérieure, architecturale, qui doit s'adapter au cadre.
Le problème de la "progression" de l'islam est surtout le problème de l'immigration. Á partir du moment où vous ouvrez les vannes et que vous faites rentrer 250 000 étrangers par an sur le sol français, dont la majorité est souvent de confession musulmane, l'islamisation de la France passe par l'immigration. Pas par les primo-migrants des années soixante, soixante-dix et par leurs enfants. On confond souvent l'islamisation de la France et l'immigration. Très souvent la confusion entre les deux fait qu'on va désigner un musulman, qui peut être un musulman converti, en plus, tandis que le problème est lié au pouvoir public qui ne limite pas les flux migratoires. Nous à Fils de France, nous sommes très clairs sur la question. Nous distinguons le culte et la culture. Notre culte est musulman, notre culture est française. Et nous sommes farouchement opposés à l'ouverture anarchique des flux migratoires. Pourquoi ? Parce que c'est déjà une violence pour ceux qui émigrent. Le déracinement est déjà une violence pour celui qui émigre. Je vous invite à aller voir un ethnopsychiatre qui s'appelle Hamid Salmi, qui a travaillé sur les pathologies psychiatriques liées au déracinement. Comment certains pères de famille, après avoir émigrés, se retrouvent malades. Malades de ne plus posséder le rôle que l'anthropologie d'origine leur conférait en tant que chef de famille, etc… En France, ils arrivent dans une société qui ne reconnaît pas leur place en tant que telle. Et cela provoque des pathologies. Quand on dit être opposé à l'immigration, ce n'est pas le fils d'immigré qui est content d'avoir immigré, qui se sent bien dans un pays riche et qui refuse le droit à ceux du sud de pouvoir bénéficier de ce dont lui a bénéficié. Ce n'est pas ça. C'est dire qu’il y a aujourd'hui un système néolibéral qui exploite la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes et qui traite les hommes comme on traite les marchandises. On délocalise, finalement. C'est une forme de délocalisation. Sauf qu'on ne parle pas d'usines mais d'individus.
Nous nous opposons donc à l'immigration parce que c'est destructeur pour les cultures, c'est destructeur pour les individus. Et puis ça fait surtout le jeu d'une minorité riche et mondialisée.
Avez-vous des modèles d'homme dans l'Histoire de France ?
Oui, Vauban. C'est un modèle parce qu'il fait figure du génie français incarné, de l'amour véritable d'un homme pour son pays. Ce génie d'avoir posé les forteresses pour le défendre. Et totalement intègre dans son rôle d'homme, de serviteur de l'État éminent. Vauban est pour moi le modèle.
Nous sommes en pleine campagne électorale. Certains imams appellent à ne pas voter pour des raisons religieuses. Pensez-vous que le vote musulman soit indispensable à l'amélioration de la condition de la communauté en France ?
Premièrement sur le vote, il me semble aberrant que des imams se mêlent de ces questions-là. Les imams ont un rôle spirituel, c'est déjà extrêmement lourd à porter pour aller s'intéresser aux questions politiques. Ce n’est pas leur rôle. D'autre part, décourager les musulmans d'aller voter est une aberration, puisque cela les coupe d'un droit citoyen fondamental qui est un des symboles d'appartenance à la Nation. Puisque en votant, on se soucie du destin de son pays. Ne votant pas, cela veut dire que l’on a un certain retrait qui n'est pas acceptable lorsque l’on est français. On n'est pas français de papiers, on est français parce qu'on aime son pays et qu'on veut le défendre. On doit pour cela participer au vote. J'espère que le vote musulman ne se confessionalisera jamais. J'espère que nous aurons des musulmans de l'extrême gauche à l'extrême droite. Moi, j'ai mes convictions mais ce ne sont que les miennes. J'espère que la coloration spirituelle n'épousera pas une coloration politique, ce serait dramatique. Je ne crois pas qu'il faille penser l'amélioration de la condition des musulmans de France par une sorte de chantage au vote. Je pense que nous aurons les politiques que nous méritons, mais au-delà de notre appartenance uniquement spirituelle, puisque nous ne sommes pas que musulmans. Nous sommes aussi travailleurs, assurés sociaux, utilisateurs de la route, de l'école publique, des transports publics, etc... La question du vote est liée à un ensemble de questions. Essentialiser la question du vote au bien-être de la communauté musulmane me semble ridicule. On vit dans un système global où le vote n'est qu'une partie. On ne peut pas vivre de manière sélective en disant : « Le vote c'est un péché, par contre les allocations familiales ne sont pas un péché ». Si on veut être "anti" dans sa démarche et donc courageux, eh bien on fait le choix objectif de vivre dans un lieu qui soit en adéquation complète avec ses convictions. Sauf que ça s'appelle le pays de « oui-oui ». Ça n'existe pas.
Lorsque vous allez voter pour quelqu'un aujourd'hui, évidemment, il n'y a aucun français qui vote pour un politique qui répond à cent pour cent à ses aspirations. Vous allez voter pour le moins pire ou voter blanc.
Comment vous situez-vous par rapport à Sheikh Imran Hossein qui appelle justement à ne pas voter ?
Je vais vous faire une confidence. Je n'ai jamais vu une seule vidéo de cette personne. J'en entends parler, mais je ne le connais pas. J'ai juste entendu dire qu'il s'était autorisé à déclarer que les musulmans de France ne devaient pas voter. J'imagine qu'il a plein de bonnes idées et dis plein de choses intéressantes et très sensées. Mais là, il commettait une énormité. Ce n'est pas son rôle.
Vous parliez de patriotisme et d'amour pour la France par rapport à votre enfance, à vos souvenirs, etc… Il y a des jeunes qui ne grandissent pas dans la campagne ou dans le Berry, qui sont en ville, et qui ont moins de souvenirs positifs que vous. Si aujourd'hui vous deviez vous adresser à eux, quels mots utiliseriez-vous ?
Je vous remercie du fond du cœur, vraiment, vous me touchez beaucoup avec votre question. Parce que j'ai eu cet après-midi une personne qui m'a dit exactement la même chose que vous. Il m'a dit : « Camel, votre discours est trop lié à une partie des musulmans qui existe, mais à Fils de France vous oubliez ceux qui n'ont que le béton et les frustrations de ne pas avoir goûté à cette France charnelle. ». J'entends bien votre propos monsieur et il me touche. Pour vous répondre, je ne peux pas me mettre à votre place, ou à leur place. Mais je peux dire qu’à Fils de France beaucoup de jeunes issus de ces quartiers difficiles nous ont rejoints. Ils nous ont rejoints en signifiant parfaitement l'idée qu'ils ne nous rejoignaient pas par un amour charnel ou sentimental de la France, mais par une dimension intellectuelle. Le patriotisme est ce qui va permettre de recimenter l'ensemble des français qui ne sont pas black-blanc-beur, mais bleu-blanc-rouge pour un meilleur vivre ensemble à l'intérieur de nos frontières, et en terme de rayonnement international.
C'est vrai que nous avons les deux grands ensembles à Fils de France. On a des gens qui, plutôt dans mon profil, ont vécu des choses extrêmement belles dans leur parcours. Et d'autres personnes qui ont vécu des choses très frustrantes, comme vous le disiez tout à l'heure. C'est-à-dire ne pas goûter à la beauté des châteaux de la Loire, ne pas goûter à la forêt, etc… qui n’ont vécu que dans de l'urbanité froide. Il faut prendre de la hauteur, ce n'est jamais trop tard. Une fois que nous avons vingt ans, trente ans, nous pouvons aller redécouvrir ce patrimoine-là. Des jeunes à Fils de France avaient les mêmes propos que vous et n'étaient jamais sortis de la banlieue parisienne. Par leur expérience à Fils de France ils ont choisi d'aller voir ce qu'était la France. Ils ont pris leur voiture, ont passé un mois sur les routes, en passant par les Alpes, ont découvert le Sud-ouest, etc… Et pour la première fois de leur vie, ils touchaient du doigt la beauté de ce pays. Ce qui n'a pas été fait en trente ans s'est produit en l'espace d'un mois. Ils sont devenus des amoureux de la France. Car la France est belle à pleurer en vérité. Il ne faut pas grand-chose.
Merci de votre question monsieur.
Que pensez-vous de la médiatisation soudaine de celui que j'appellerai "l'imam illettré", Chalghoumi, qui contraste avec le silence autour de Fils de France ?
Il est utile à une minorité de militants pro-israéliens qui s'appuie sur cette personne... Lorsqu'il s'exprime, je pense que tous les musulmans ont envie de se cacher derrière leur fauteuil… Mais ça m'embête de dire du mal de cette personne-là, car humainement je n'ai pas de ressenti à son égard. J’éprouve plus de peine, de pitié pour le rôle qu'on lui fait jouer, que de ressenti à son égard.
Tout à l'heure, vous parliez des valeurs qui réunissent, qui vous tiennent à cœur et vous évoquiez comment l'islam traditionnel peut s'adapter à la laïcité...
La laïcité est un mot un peu fourre-tout. Mais on peut en distinguer trois grands types. La laïcité juridique est inscrite dans la loi. Elles est une chance pour les religions parce qu’elle permet, quand la loi est respectée, de pouvoir trouver un accommodement raisonnable entre les différentes spiritualités, une zone de neutralité. La laïcité anthropologique est celle que le peuple de France a assimilée dans sa manière d'être, qui fait qu'elle a une vue sécularisée de la foi. Le troisième type de laïcité est problématique : c’est la laïcité militante. Celle qui instrumentalise la laïcité contre la religion. Qui ne fait plus de la laïcité un objet de neutralité mais un objet d'attaque systématique de la religion.
Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain : il y a des choses extrêmement positives dans le processus de sécularisation qu'a vécu la France, pour les religieux et les religions elles-mêmes qui sont protégées du politique. Ce n'est pas uniquement le politique qui se protège du religieux, mais aussi les religions qui se protègent du politique. Dans le même temps, il y a cette instrumentalisation. Par exemple, une personne comme Caroline Fourest convoque la laïcité. Elle fait croire qu'elle attaque un communautarisme par le biais d'une laïcité. Or, elle-même parle depuis un communautarisme qui est celui de LGBT. Elle est farouchement en guerre contre tout ce qui pourrait menacer, de manière réelle ou fantasmée, son orientation sexuelle. Elle fait de cette orientation sexuelle un objet de guerre permanent en passant par la laïcité pour attaquer les religions. Là, on est dans un cas typique de laïcité militante qui, depuis un communautarisme, feint d'en dénoncer un autre.
J'ai été choqué quand vous avez comparé l'Homme à Dieu. On ne peut comparer l'Homme à Dieu...
Je vais vous dire pourquoi on peut. Je vais résumer ma réponse très rapidement. Quand on parle des 99 attributs de Dieu, ce sont 99 attributs qui nous servent de cheminement pour améliorer notre comportement et notre âme. Dieu est le Pardonneur. Nous nous devons, nous, d'être pardonneur. Nous n'atteindrons jamais la capacité de pardon que possède le divin, mais nous nous devons d'avoir comme exemple cet attribut. Quand on parle de "asma wa siffat", les noms et attributs de Dieu, ce sont des pistes qui permettent à l'homme de cheminer vers Dieu. Je ne compare pas Dieu à l’homme, mais… Lorsque, par exemple, on dit : « Dieu a créé l'homme à son image ». Pour un musulman, quelle est l'image absolue de Dieu ? Sa qualité fondamentale première, quelle est-elle ? L'unicité. Quand Dieu dit : « J'ai créé l'homme à mon image » c'est que l'Unicité divine se retrouve dans l’unicité de chacun des individus que nous sommes. Nous sommes tous uniques. Est-ce qu'il y a deux personnes comme vous ? Non, manifestement vous êtes seul. Vous êtes bien créé à l'image de Dieu. Votre unicité est à l'image de l'Unicité de Dieu. Je ne fais pas de comparaison en disant cela. Je dis simplement que le divin se dévoile en partie à l'homme de façon à ce que nous aspirions à le rejoindre dans Ses qualités absolues.
Il est important que nos amis catholiques connaissent mieux la religion musulmane, comme il est aussi très important que les musulmans connaissent mieux la religion catholique. Pour ma part, moi qui ai été davantage socialisé dans les milieux catholiques que dans les milieux musulmans, je viens d'avoir quarante ans, et je redécouvre la mystique catholique. C'est un bonheur absolu parce qu'elle me renvoie à ma spiritualité musulmane. Je prie mieux cinq fois par jour depuis que je lis Marthe Robin, Charles de Foucault, ces grands mystiques chrétiens. Comme certains chrétiens ont mieux pratiqué leur christianisme en s'intéressant à la mystique musulmane. Il y a un effet de miroir, un effet d'altérité qui est extrêmement touchant et qui n'est pas une altérité d'enfermement, mais une altérité d'enrichissement. Je vous dis cela avec mon cœur, mes tripes, mon cerveau.
Pour vous, n'y a-t-il pas d'incompatibilité entre islam et démocratie ?
Qu'est-ce que la démocratie ? Comment l'islam définit les systèmes de gouvernance ? Ce sont des questions extrêmement larges. Est-ce qu'aujourd'hui, en France, nous sommes dans une démocratie, fondamentalement ? Les derniers événements nous ont montré que... Ce sont des questions qui me dépassent, il faut les poser à des personnes légitimes pour y répondre. Je n'ai pas de légitimité. Mais pour moi, évidemment, il n'y a pas à couper les cheveux en quatre.
Quel est réellement l'objectif de Fils de France ? Est-ce uniquement un groupe de discussion ou est-ce qu'à terme il y a des projets, des actions sociales, politiques ou autres ?
La vocation de Fils de France est de permettre de faciliter le processus d'acculturation. C'est-à-dire le passage de la culture de nos parents à celle qui est la nôtre, et qui sera encore plus celle de nos enfants et petits-enfants. C’est désenclaver la communauté musulmane. Participer à "dépolluer" les musulmans de la propagande de SOS Racisme des années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, qui consistait à systématiquement opérer une détestation de la France. C’est rationaliser notre idée au pays, vis-à-vis des musulmans. Et vis-à-vis des non-musulmans, c’est aller présenter au-delà des fantasmes ce qu'est la réalité très hétérogène des musulmans de France.
Nous avons une double mission : celle de présenter, avec toute la modestie que cela impose, ce processus d'acculturation aux musulmans, en disant : « On nous a contaminé avec un certain nombre d'idées presque belliqueuses, depuis notre enfance, vis-à-vis du blanc catholique, etc… ». Et, dans le même temps, aller voir le blanc catholique et lui dire : « Attention, on est en train de polluer aussi votre cerveau avec des idées très arrêtées sur ce qu'est la réalité du fait hétérogène du musulman en France. » Notre mission fondamentale est de créer de l'apaisement, d'éviter la tension, d'essayer de réunir les français autour du bleu-blanc-rouge plutôt qu'autour du black-blanc-beur. C'est tenter de réunifier les français pour un vivre ensemble plus harmonieux et un pays plus fort. Parce que nous sommes patriotes. Nous n'avons pas du tout de projet politique.
Qu'est-ce que l'acculturation?
Le "a" n'est pas un "a" privatif quand nous parlons d'acculturation. C'est le passage d'une culture à une autre. L'acculturation est le fait qu'une minorité, après une vague migratoire, adopte les codes culturels de la majorité. Si nos parents ont vécu ─ et c’est le cas pour beaucoup d'entre nous à Fils de France ─ dans la campagne maghrébine, il est clair et évident que les notions culturelles, les notions de coutumes, de traditions, ne sont pas les mêmes dans la campagne maghrébine que dans la campagne berrichonne. Nos parents sont culturellement situés, et nous, nous le sommes différemment. Nos enfants et nos petits-enfants le seront encore différemment. Tout cela va dans un sens qui est le fait du passage de la culture de nos parents vers la culture qui sera celle de nos enfants et de nos petits-enfants et arrière-petits-enfants.
Acculturation n'est pas la privation de la culture. C'est le passage d'une culture vers une autre sans altérer la transmission de la religion. C'est en cela que nous distinguons parfaitement le culte de la culture. S'acculturer ce n'est pas se dé-islamiser. Se séculariser ce n'est pas se dé-islamiser. Se laïciser ce n'est pas se dé-islamiser. C'est simplement adopter les codes d'interaction coutumiers, traditionnels, culturels de cet ensemble riche qu'est la France. Le problème est que cette acculturation se vit d'une minorité vis-à-vis d’une majorité à l'intérieur de nos murs. Et la France elle-même vit un processus d'acculturation, par l'impérialisme culturel américain qui transforme les traditions culturelles françaises. Je le disais l'autre jour à l'Action Française : il faut savoir que dans le plan Marshall, lorsque les États-Unis aident l'Europe à se reconstruire, et notamment la France, les quatre cinquième de l'aide sont un don. Il n'y a pas de retour. Mais est compris dans cette aide le fait d'accepter, sans condition aucune, la production cinématographique hollywoodienne. En effet, il y a une difficulté, ou des résistances de la minorité vis-à-vis de la majorité, à l'intérieur d'un pays. Parce que ce même pays connaît lui-même une perturbation identitaire, culturelle d'acculturation à une mondialisation qui perturbe. Je ne suis pas très vieux mais la France de mon enfance ne ressemble pas à celle d'aujourd'hui. C'est allé extrêmement vite.
Et cela ne va pas dans le sens de l'identité française. Mais dans le sens de l'hégémonie américaine qui transforme notre environnement.
Je me sens profondément française, mais aussi profondément algérienne, puisque je suis née en Algérie. Peut-on se penser seulement "français" ?
Á Fils de France, nous ne sommes pas dans une logique binaire. Nous ne sommes pas en train de dire : « Transformez-vous maintenant, nous sommes purement français et totalement amnésiques de nos racines, etc… ». Pas du tout. Il est hyper important que les musulmans issus de l'immigration connaissent leurs origines, leurs racines, et qu’ils connaissent la possibilité de se rendre dans leur pays d'origine pour aller honorer la tombe de leurs aïeux. Il est important qu'ils transmettent à leurs enfants la mémoire de leur pays d'origine. Mais pas de manière fantasmée, pas de manière agressive et identitaire au sens de repli sur soi. Mais dans un apaisement généralisé.
Par exemple, à Paris vous avez une communauté aveyronnaise extrêmement importante qui au XIXème siècle a immigré et est devenue tenancière des cafés. Les cafés à Paris sont tenus par des Auvergnats, des Aveyronnais et des Kabyles, généralement. Maintenant cela a changé : les chinois ont racheté. Il est tout à fait souhaitable que ces aveyronnais retournent en Aveyron se revivifier et maintiennent, malgré la sur-urbanité parisienne, la filiation culturelle de l'Aveyron. C'est tout à fait souhaitable. Ce que je dis tout le temps, c'est de regarder dans le rétroviseur lorsqu'on conduit. C'est hyper utile. Vous avez besoin de regarder dans votre rétroviseur. Regarder derrière assure votre sécurité. Mais vous ne pouvez pas rester braqué sur votre rétroviseur, sinon vous allez faire un accident. Vous regardez devant vous, vous regardez loin devant vous. Á Fils de France nous regardons loin devant nous. Et c'est parce que nous regardons loin devant que nous arrivons à dépassionner les questions immédiates. Et parce que nous regardons dans le rétroviseur, nous avons un développement que nous trouvons sain. Nous regardons vers le futur, mais sans oublier d'où nous venons.
C'est extrêmement important sinon vous êtes schizophrène.
Mais c'est quand même quelque chose d'assez compliqué de gérer deux cultures ?
Oui, parce que nous sommes une génération charnière. Ce problème-là sera moins important pour vos enfants et vos petits-enfants. Nous sommes une génération très "entre-deux". Bien sûr, ce n'est pas facile.
Quelle devrait-être la position d'un français musulman vis-à-vis d'Alain Soral et de Dieudonné ?
La position d'un français musulman, pour moi, cela ne veut rien dire. Être français et musulman ne détermine pas son opinion dans le champ politique. On peut être musulman et être pour l'euro, être musulman et contre l'Euro ; on peut être musulman et apprécier les arts contemporains et être musulman et préférer le classicisme du XVIIIème siècle. Ce n’est pas déterminant.
Concernant Alain Soral et Dieudonné : ils ont en ce moment beaucoup de souffrance, puisqu'ils sont attaqués de toutes parts. Le système se révèle dans son agressivité la plus visible, la plus violente. Mais je crois aussi que cela a créé des solidarités qui ont renforcé leur manière d'être et a eu l'effet de les faire connaître à des gens qui ne les connaissaient pas. Il n'y a pas eu seulement de la perte pour eux, à ce niveau-là.
Quelle est la position de Fils de France par rapport aux JRE (Journée de Retrait de l'École) ?
Je suis un des porte-parole de la Manif Pour Tous. D'ailleurs, j'espère qu'après demain, tout le monde dans cette salle sera Place Bellecour pour soutenir un tas d'oppositions à des horreurs que le gouvernement nous prépare. Ne comptez pas en disant : « Il y a aura du monde, je n'ai pas besoin d'y aller ». Tout au contraire, non seulement il faut que vous y alliez, mais en plus que vous alliez chercher des gens qui n'étaient pas disposés à y aller, pour vous y accompagner. C'est extrêmement important. Il ne faut pas que le gouvernement sente un essoufflement dans ce mouvement de contestation à la Loi Taubira. Concernant les JRE, nous à la Manif Pour Tous, avons choisi une manière plus "soft" de travailler. Il se trouve que Farida Belghoul, en l’espace d’un mois, a fait avancer les choses plus que nous l'aurions fait, peut être, en dix ans. Elle a bossé impeccablement et on ne peut que la féliciter. D'ailleurs, j'ai eu l'occasion de lui envoyer un message de soutien et de félicitation. Après… C'est très difficile pour moi, parce que j'appartiens à un mouvement qui a choisi objectivement d'être dans des choses moins radicales, moins subversives. En même temps, je vois la démarche de Farida Belghoul comme étant un coup de génie.
Je suis donc pris entre ma fidélité et ma loyauté à Ludovine de Larochère, la présidente de la Manif Pour Tous, et mon lien sympathique et amical envers Farida Belghoul.
En ce moment le gouvernement veut interdire l'école à la maison. Qu'en pensez-vous ?
Je ne sais pas si vous connaissez Anne Coffinier, une ancienne ambassadrice française, un des soutiens de la Manif Pour Tous qui a créé un mouvement très important qu'il faut aller voir : "Créer son école". Elle est dans une logique justement de dire que, si le gouvernement attaque les valeurs fondamentales de cette France catholique, traditionnelle, etc… par les horribles choses qu'on nous prépare, il ne s'agit pas de déscolariser mais au moins de pouvoir créer des écoles qui réuniront des enfants et des parents ayant envie de transmettre une éducation, une instruction qui soit différente. Elle a créé son site : créer-son-ecole.com. Une personne d'une intelligence rare.
Tout à l'heure, vous parliez d'acculturation. Quelle est la différence entre assimilation et acculturation ?
Intégration, assimilation… Les contours sont flous, on ne sait pas de quoi on parle. Parce que certains vont vous dire : « Intégrez-vous ! Pourquoi ne mangez-vous pas de porc ? », etc... L'intégration ou l'assimilation, dans la tête de certains, est la perte de l'identité religieuse, aussi. C'est pour cela que nous avons mis à l'honneur le mot "acculturation". Parce qu'il permettait de distinguer ce qui fait la religiosité de ce qui fait la culture. Sachant que la religiosité ou la religion musulmane elle-même, parce qu'elle est plastique, a possibilité de s'acculturer.
Il y a une double acculturation. Celle de l'individu dans ce qui ne concerne pas son attachement au religieux. Et l'acculturation de la pratique religieuse qui, elle, englobe le fait de, plastiquement, composer avec un environnement nouveau. Nous ne sommes pas dans l'assimilation, nous ne sommes pas dans l'intégration. Ou alors si Fils de France parle d'assimilation ou d'intégration, il s’agit d'assimilation sociale. L'assimilation sociale ou l'intégration sociale étant le préalable pour le processus d'acculturation. Si vous êtes marginal dans l'école, dans le travail et dans le logement, il y a quasiment une impossibilité de pouvoir passer à la culture majoritaire. Parce que si vous vivez dans un ensemble où, constamment, des vagues migratoires supérieures s'ajoutent d'années en années ; où les codes d'interaction, de communication, le droit coutumier s'inscrivant dans ces zones sont presque refermés sur eux-mêmes… vous êtes coupé des codes de la majorité de la culture française. Évidemment, si on est mal logé, mal scolarisé et mal embauché, vous avez trois points majeurs qui bloquent l'assimilation ou l'intégration sociale.
Á partir du moment où vous êtes dans un quartier relativement ouvert, dans une école où les fils d'immigrés ne sont pas ultra majoritaires ; à partir du moment où vous êtes dans un travail où vous côtoyez la France et les vieux français de souche, vous avez trois points majeurs qui font que vous allez entrer en interaction normale et adopter les codes de la majorité par les frottements avec elle. Je suis très surpris, par exemple, quand je vais à Marseille, de voir de jeunes enfants de troisième ou quatrième génération parler quasiment le dialecte algérois. En fait, Marseille étant un port, vous avez sans cesse des vagues migratoires qui font que les codes, et même les codes de langage de certains ensembles urbains, sont davantage marqués par le sud de la méditerranée que par le provençal.
Ne pensez-vous pas que le voile serait une limite à cette acculturation ?
Le fait qu'une musulmane souhaite couvrir ses cheveux peut se faire avec un béret, un chapeau, un bonnet, une casquette… avec ce qu'on veut. Si vous limitez le fait qu'une musulmane doive couvrir ses cheveux avec un voile, vous avez un signe exogène, un signe d'habillement qui n'est pas dans la tradition française et qui va être remarqué dans l'espace public. Si la femme musulmane choisit dans son attitude (parce que ce qui est demandé finalement c'est davantage la pudeur…) de couvrir ses cheveux avec un couvre-chef qui fait partie de la culture locale, cela deviendra totalement invisible.
[L'Abbé de Tanoüarn est traditionnaliste et a des positions très islamo-sceptiques. J'utilise très volontairement un euphémisme. En une heure et demie de discussion, on ne pouvait pas être fécond. La capacité intellectuelle des deux intervenants a été bridée par la limite du temps.]1
Il y a un monastère, le monastère de Sainte Catherine, au pied du Mont Sinaï, au sein duquel est conservée une lettre du prophète, une lettre d'allégeance où le prophète dit clairement que les chrétiens sont sous notre protection, qu'on ne cherche pas à leur nuire, ni à les convertir, etc… C'est vraiment une lettre qui est intéressante à lire pour un chrétien pour comprendre l'engagement islamique envers le christianisme.
Tout à fait. C'est aux musulmans de France, je pense, de remettre au goût du jour l'ensemble des sagesses liées à l'interreligieux qui sont dans nos mains, et que l'on ne montre pas assez...
Je pense que nous avons fait le tour, merci chers amis.
1 Se réfère au débat islamo-chrétien entre Guillaume de Tanoüarn et Tareq Oubrou organisé par Fils de France le 9 décembre 2013 : « Catholiques et musulmans, partenaires ou adversaires ? ».