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foi - Page 3

  • Promesse d'engagement dans la Fraternité Eucharistique à la suite de St Pierre-Julien Eymard

    fraternité eucharistique,saint pierre-julien eymard,eucharistie,sacré cœur,sandrine treuillard,foi,christianisme,politiqueLe 3 juin 2016,
    en la fête du Sacré Cœur,

    chapelle Corpus Christi,
    23 avenue de Friedland, Paris 8.
    Durant la messe de 18h30.


    La nuit suivante sera d'adoration eucharistique.

      

     

    L'événement sur Facebook

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    fraternité eucharistique,saint pierre-julien eymard,eucharistie,sacré cœur,sandrine treuillard,foi,christianisme,politiqueLettre de St P-J. Eymard au Tiers Ordre de Marie Immaculée de Lyon, depuis La Seyne-sur-Mer :

    Maintenant, il faut vite se mettre à l'œuvre, sauver les âmes par la divine Eucharistie, et réveiller la France et l'Europe engourdie dans son sommeil d'indifférence, parce qu'elle ne connaît pas le don de Dieu, Jésus l'Emmanuel eucharistique. C'est la torche de l'amour qu'il faut porter dans les âmes tièdes et qui se croient pieuses et ne le sont pas, parce qu'elles n'ont pas établi leur centre et leur vie dans Jésus au saint Tabernacle ; et toute dévotion qui n'a pas une tente sur le Calvaire et une autour du Tabernacle n'est pas une piété solide et ne fera jamais rien de grand. Je trouve que l'on s'éloigne trop de la sainte Eucharistie, qu'on ne prêche pas assez souvent sur ce mystère d'amour par excellence ; alors les âmes souffrent, elles deviennent toutes sensuelles et matérielles dans leur piété, s'attachant aux créatures d'une manière déréglée, parce qu'elles ne savent pas trouver leur consolation et leur force en Notre Seigneur. (CO 325,1), 1852

     

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    Pierre-Julien Eymard, Apôtre de l'Eucharistie,
    un saint pour notre temps
     

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  • L’Eucharistie feu perpétuel et consumant de l’amour divin : la miséricorde chez st P-J. Eymard

    LA MISÉRICORDE

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    UNE LECTURE DU PARCOURS
    DE SAINT PIERRE-JULIEN EYMARD

     

            En cette année de la miséricorde, il est intéressant  de considérer Saint Pierre-Julien Eymard, en tant que témoin de la miséricorde. En fait, il y a dans la vie de cet homme une importante évolution dans sa façon d’expérimenter la miséricorde de Dieu, puisqu’il s’agit évidemment de la miséricorde de Dieu envers nous les humains. Je dirai de suite que P-J. Eymard en est un témoin admirable tout le long de son chemin de vie.


    Sa vie

            Tout d’abord un regard très rapide sur sa vie :

    Pierre-Julien Eymard naît le 4 février 1811, à la Mure d’Isère, petite ville située à une quarantaine de kilomètres au sud de Grenoble, sur la route qui mène à Gap. Il est baptisé dès le lendemain de sa naissance. Fait sa première communion à 12 ans. — À 18 ans, il entre au noviciat des Oblats de Marie Immaculée à Marseille, mais exténué et malade il doit revenir chez son père. — À 20 ans, il entre au grand séminaire de Grenoble. Ordonné prêtre pour le diocèse de Grenoble, après avoir été vicaire puis curé, il entre dans la Congrégation des Maristes. Il y demeure 17 ans. — Puis fonde la Congrégation des prêtres du Saint Sacrement, en 1856, et quelques années plus tard les Servantes du Saint Sacrement. —  Il meurt le 1er août  1868, à 57 ans, épuisé de travail.

    Ses origines

            Ses parents n’étaient pas originaires de La Mure, mais venaient de la vallée voisine, de Bourg d’Oisans. Région de montagnes au climat rude. Il semble que ce n’est pas été sans influence sur la pratique religieuse rigoriste de cette famille. Il est sûr que ses racines étaient profondément chrétiennes. La mère de Pierre-Julien ne manquait pas d’emmener dès son plus jeune âge son enfant à l’église. Par exemple, elle s’y rendait à chaque fois que la cloche de l’église sonnait pour un agonisant : en la circonstance avait lieu la bénédiction du Saint Sacrement. On peut penser que ce lien de l’Eucharistie avec la mort ne fut pas sans effet sur l’esprit du jeune enfant. Le père de Pierre-Julien, homme au caractère assez rude, semble-t-il, s’était inscrit dans la Confrérie des Pénitents du Saint Sacrement. Aussi bien dans ces régions grenobloises, selon les recherches du p. Saint Pierre, (L’heure du Cénacle) on était resté sous l’influence d’une spiritualité milanaise plutôt rigoriste, ce qui remontait loin, aux années 1600.

     

    I- LA MISÉRICORDE NÉGATIVE AVEC UN FORT SOUCI DE SOI

            On peut comprendre déjà quelle influence cet entourage familial et ecclésial exerça sur l’éducation religieuse de Pierre-Julien enfant. En fait, on était assez orienté vers la croix, la souffrance, le péché et la réparation. Le Dieu auquel on croyait était surtout le Dieu de la crainte et du jugement. La menace de l’enfer pesait sur les esprits.

    Enfance et adolescence

            Revenons plus en détail sur quelques épisodes de la vie de Pierre-Julien. Par exemple, une bonne dame le trouve à l’église en prière la corde au cou. Il installe aussi une sorte de Chemin de croix sur les poutres du grenier. Pour se préparer à sa première communion qu’il fait à l’âge de 12 ans, il ne manque pas de se rendre pieds nus au calvaire à trois croix qui surplombe le village de La Mure : ce calvaire existe encore aujourd’hui. Ce jour de sa première communion, il promet au Seigneur de devenir prêtre. Ce à quoi, plus tard, s’oppose formellement son père qui compte sur lui pour continuer sa petite entreprise d’huile de noix. Plus tard, un prêtre aumônier d’un hospice l’embauche en vue aussi de lui faire apprendre le latin. En fait, peu de latin, mais une expérience très éprouvante pour le jeune Pierre-Julien dans un milieu de vieux, alcooliques, prostituées… (Lettre à sa sœur Marianne)


    Noviciat chez les Oblats de Marie Immaculée

            À 18 ans, il parvient quand même à réaliser son rêve : il entre au noviciat chez les Oblats de Marie Immaculée à Marseille. En cette ville, on ne se différencie pas de l’ambiance pénitentielle de l’époque. Elle y est au contraire renforcée. Avec Mgr de Mazenod, archevêque de Marseille, l’Eucharistie est bien mise en valeur, mais l’esprit de réparation pour le péché et les profanations commises envers ce sacrement y est fort accentué. Pierre-Julien se sent vraiment en accord avec cette spiritualité. Plus tard, il rappellera quelle rude discipline il s’imposa alors pour se mettre à niveau dans les études : « Je travaillais comme quatre, non seulement je ne perdais pas un instant à l’étude, mais je copiais les passages les plus difficiles de mes auteurs… et les portant en récréation, je me cassais la tête à les déchiffrer. C’était imprudent, je le payai. Au bout de six mois je tombais gravement malade et les médecins décidèrent de me renvoyer dans ma famille. » Longue convalescence.


    Grand séminaire de Grenoble

            Au grand séminaire de Grenoble, où il entre à l’âge de 20 ans, il retrouve la même ambiance spirituelle de l’époque. La perspective de la mort le rend sombre : « Donnez-moi le bonheur de dire au moins une messe et je consens à mourir. » Et aussi une résolution : « Etre prêt à mourir après ma première messe. » (p. saint Pierre)

            « La perspective du sacerdoce (qu’il doit recevoir le 20 juillet 1834) est toujours dominée par une « religieuse terreur de la redoutable charge ». « Il y a un enfer : beaucoup de prêtres seront damnés. Serais-je du nombre ? Oui, si je ne me fais pas violence. Oui, si je ne me surmonte pas. Oui, si je suis toujours si lâche pour la prière, pour l’humilité et l’humiliation. (NR 7,5) « De deux choses l’une : ou je veux me sauver ou je veux me damner. » (NR 7,1)

    3° Pas assez de confiance en la miséricorde de Dieu, et regarder la perfection évangélique comme un monstre, une montagne très escarpée : de là, découragement. (NR 6,10), 1833, Grand séminaire de Grenoble.

    « La méditation fait une bien large place au « je ». L’hypertrophie du « moi » ne cache-t-elle pas le don de Dieu et le rôle instrumental du sacerdoce ? » (L. Saint Pierre, p. 59)


    Prêtre au diocèse de Grenoble

    [Jeudi 3 septembre 1835]  (Vicaire à Chatte puis curé à Monteynard)

    Méditation sur la mort

    Ce qui m'a ému, ce sont ces pensées : parmi les prêtres, peu de morts édifiantes – peu de morts saintes – beaucoup de morts subites. – Tout nous prêche la mort et nous sommes insensibles.

    Si un ange venait nous dire : Dieu a compté tous tes jours, tu les as remplis, ce jour est le dernier, je ne te dis ni le moment ni l'heure, dispone domui tuæ (Traduction : Mets de l’ordre dans ta maison)  [Is 38,1] – Que ferais-je ? – Au prêtre, point de miséricorde. (NR 8,3) (À comparer avec la réflexion notée plus loin). 

    Toujours la préoccupation dominante de son salut personnel.


    Mariste 1839 (il a 28 ans)

            Il faut dire que dès son entrée comme novice chez les Maristes, P-J. Eymard est mis en possession du fameux livre de Franchi : Traité de l’amour du mépris de soi-même : « Pour l’humilité, je tâcherai… de m’identifier avec le traité de l’amour du mépris de soi-même par Joseph-Ignace Franchi : j’en ferai un bouquet spirituel pour le détachement. »(NR 12,14) Et le p. Colin ne manque pas aussi de lui en faire la recommandation : « Lisez souvent Franchi, vous y trouverez la pierre philosophale. » (NR 18,8)

    Avec l’entrée chez les maristes, cependant évolution… mais toujours prédominance du rigorisme.

    Plan pour confession. Le prêtre : ministre d'autorité, ministre de justice, ministre de miséricorde. (NR9, 8)

    [Samedi] 25 septembre [1841]

    [1ère méditation] – Sur la miséricorde

    Superexaltavit misericordia judicium (Traduction : La pitié triomphe du jugement) [Jc 2,13].

    Miséricorde de Dieu : – pour nous attirer, – en nous recevant. Cette pensée : J'ai mérité l'enfer et je vis encore – Où en suis-je ? Ma conscience est-elle douteuse et si je venais à mourir n'y aurait-il pas quelque péché caché dans les replis de mon âme, et que j'ignore.

    Alors justement sur [?] la miséricorde de Dieu. (NR36,8), 1839

    On le voit P-J. Eymard est encore très préoccupé par son salut personnel. Le « je » revient souvent.

     

    II LA MISÉRICORDE POSITIVE

    1. Dépassement de la piété réparatrice

            Ici, je crois, nous arrivons cependant à un tournant de la vie du p. Eymard.   Nous sommes autour des années 1845-I850. Lui surviennent plusieurs expériences mystiques : une à Lyon (25 mai 1845) à l’église St Paul, où, dans une procession du Saint Sacrement il porte lui-même l’ostensoir : « Ces deux heures ne m’ont paru qu’un instant… » « Mon âme a été pénétrée de la foi vive et de l’amour de Jésus dans son divin sacrement… » « Ne prêcher que Jésus-Christ et Jésus-Christ eucharistique… » (NR 27,3). Expérience suivie d’une grâce spirituelle à Notre-Dame de Fourvière (21 janvier 1851) où prend germe sa vocation de fondateur : Pourquoi ne pas créer un Corps d’hommes pour l’Eucharistie ?... un Tiers-ordre rattaché à la société de Marie… ? (NR 278), 3 février 1851

    De là un combat. Il existe déjà bel et bien une dévotion au Saint Sacrement, mais très marquée par le côté réparateur. Et le p. Eymard y adhère, du moins un certain temps. Il va cependant être tiraillé quand il est en relation avec Marie-Thérèse Théodelinde DUBOUCHÉ qui va fonder les sœurs de l’adoration réparatrice. Lui, de plus en plus, aspire, comme il le dit dans Les 4 fins du sacrifice, à prendre toute l’Eucharistie.

    1. Libérer les consciences

            Se polariser sur la réparation lui semble insuffisant. Et là, en même temps, on constate comme un retournement. Il se libère, et il veut libérer les autres d’un regard tourné vers soi, avec la préoccupation prédominante de son salut personnel. Son regard sur la miséricorde va être beaucoup plus positif : une contemplation admirative sur la grandeur sans limite de la miséricorde de Dieu. Pour illustrer cette affirmation, je voudrais maintenant puiser surtout dans sa correspondance à partir des années où il travaille à la fondation des deux congrégations du Saint Sacrement.

    Tout d’abord, il veut être apaisant pour les âmes quelque peu inquiètes, sinon scrupuleuses, telles que Marguerite Guillot qui deviendra d’ailleurs, avec lui, cofondatrice des Servantes du Saint Sacrement. Voici par exemple ce passage d’une lettre :

    Laissez le passé où il est dans la miséricorde de Dieu, et retournez vers notre bon Père, en lui disant : Vous voyez ma faiblesse, aimez-moi encore comme votre petite fille, et il vous rendra ses bonnes grâces. (CO 88,1), 1847

    Il est même capable de plaisanter sur ce sujet, tout en restant bien sûr sérieux, à Mme Galle :

    Je n'aurai pas le plaisir de vous voir à votre arrivée ; après-demain [le 17], je pars pour le Midi. Je vais vers le choléra. Bien ! dit Madame, et peut-être que le choléra prendra le P. Eymard à son passage et l'enverra au Ciel ! À ce prix, quel beau voyage ! Je vous inviterais presque à venir m'y rejoindre. Mais non ! je ne suis pas digne du Ciel… Hélas ! hélas ! que Dieu dans sa divine miséricorde m'accorde le Purgatoire, ce sera une grande grâce pour un pauvre malheureux ! Là, au moins, j'aimerai le Bon Dieu en souffrant, en le désirant, en soupirant plus ardemment après sa possession. (C0 168,1), 1849

    Dans une autre lettre, il écrit encore à Marguerite Guillot :

    Ce n'est que par beaucoup de tribulations, dit saint Paul, qu'on entre dans le Royaume des Cieux [cf. 2Th 1,4-5], et elles ne vous manquent pas. Mais au Ciel, au jugement, à la mort, il sera si doux d'avoir souffert quelque chose pour l'amour du Seigneur Jésus ! Soyez forte dans la faiblesse, généreuse dans la fidélité aux petites choses, prompte dans l'obéissance positive, aimant l'abnégation de votre volonté de préférence à votre liberté, glorifiant Dieu comme il le veut, par ce qu'il veut, c'est-à-dire par votre misère, par votre pauvreté, par vos tentations, je dirais presque par vos péchés, en vous humiliant, en vous jetant avec plus de confiance dans les bras de la miséricorde paternelle de Notre Seigneur. (CO 212,1), 1850

    Remarquons bien : « Glorifiant Dieu comme il le veut… je dirais presque par vos péchés… en vous jetant avec plus de confiance dans les bras de la miséricorde paternelle de Notre Seigneur. » On est loin d’un Dieu menaçant, justicier. De plus, il ne s’agit plus de son propre salut, tourné vers soi, mais… « … glorifiant Dieu comme il le veut, par ce qu’il veut. »

    À Melle Guillot :

    Ayez bien toujours présents à votre foi, l'amour et la miséricorde de Notre Seigneur ; faites-en votre vie. (CO 266,1), 1851

    1. La miséricorde envers tous les pécheurs

            Que veut cet amour? Le salut des hommes et le pardon des plus grands pécheurs ; il voulait pardonner à Judas, il demande le pardon de ses bourreaux alors même qu'ils l'insultaient, et sur l'autel, n'est-il pas toujours la victime de propitiation pour les pécheurs ? Sa patience à les supporter, sa miséricorde à les pardonner, sa bonté à les recevoir sur son sein de Père : voilà, voilà, la vengeance de l'amour, le pardon, le triomphe de l'amour.
    Mais aussi, qu'elles seront solides, généreuses, parfaites, les conversions qui partent du Tabernacle ! C'est donc là surtout qu'il faut venir chercher la rédemption des âmes, la conversion des plus grands pécheurs, le salut du monde.
    (RA 23, 10), Règlement de l’Agrégation du St Sacrement (Branche laïque de la Congrégation).

    Il ne s’agit pas de garder pour soi ce trésor : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. » (Mt.5,7). Le père Eymard écrit à une Mme Perroud :

    Ayez, ma chère sœur, une âme tout imbibée de la charité de Jésus. Quand on doit beaucoup, on aime beaucoup. Et Jésus remet tout. Et cet amour c'est la miséricorde envers le prochain : miséricorde d'indulgence pour les étrangers, miséricorde de médecin pour les siens. (C0 100), 1848

    Il ne s’agit pas d’une simple philanthropie : Quand on doit beaucoup on aime beaucoup : on doit à Jésus le pardon de nos péchés. Et donc, le même amour nous conduit à cet amour qui est miséricorde d’indulgence envers le prochain (pour les étrangers (?).

    1. La souffrance, la mortification n’ont pas leur justification en elles-mêmes.

            Nous constatons donc que le père Eymard a évolué. Dans une première période de sa vie, il croyait à la miséricorde, une miséricorde qui se mérite presque, et une miséricorde pour soi. Cela est vécu dans une conception d’un Dieu de justice qui engendre la peur, en particulier la peur de l’enfer. Selon cet esprit, on est préoccupé avant tout de son salut personnel, on est tourné vers soi plus que vers les autres et, d’une certaine façon, plus que vers le Seigneur lui-même. De plus, on est axé vers la pénitence, la mortification. Il faut réparer les outrages faits à Dieu par la pénitence. Assez vite, cependant, et de plus en plus, il voit la miséricorde de Dieu comme l’expression de son amour. C’est un Dieu qui veut sauver ses enfants à tout prix. On dira : Dieu est juste, donc, il ne peut être toujours miséricordieux. Comme l’explique le pape François, pas de contradiction entre la justice et la miséricorde de Dieu.

    La souffrance n'est plus un but. Elle n’est pas une punition, elle n'a pas de valeur en elle-même.

    Paris, le mardi [15 février 1859]

    La Société a pour but les quatre fins du sacrifice : l'adoration, l'action de grâces, la réparation et la prière. Il y a plusieurs ordres religieux dont le but est la mortification et la pénitence, tels que les trappistes, les capucins, etc. Pour nous, la mortification n'est pas notre but, pas du tout, car ici c'est toujours fête, c'est toujours la Fête-Dieu. Cependant nous devons réparer et faire pénitence pour tous les péchés, puisque le saint Sacrement est la continuation du sacrifice de la croix, que Jésus-Christ y est en état de victime, et que son sang est répandu dans le calice, mais il ne peut plus souffrir et mourir, étant immortel ; toutefois comme une victime ne peut pas s'offrir sans souffrir et mourir, nous qui sommes ses membres, nous devons souffrir et mourir à sa place et, comme dit saint Paul, accomplir dans notre chair ce qui manque à la Passion de Jésus-Christ [cf. Col 1,24]… (PS 110,1), 1859

    Et le p. Eymard prend l’exemple de la Sainte Vierge :

    … On ne doit donc pas dire que la souffrance est une punition, une expiation, puisque la sainte Vierge était la plus pure des créatures. Plus on aime, plus on souffre. Il n'est pas nécessaire pour faire pénitence de porter un cilice ou des instruments de pénitence, cela est bon, mais cela n'est pas difficile, il y a la souffrance du cœur et de l'âme qui est bien autrement méritoire. (PS 110,1 2)

    On voit donc que la souffrance prend un autre sens : pas une punition, une expiation, mais une offrande d’amour à l’exemple de celle de Marie et de son Fils Jésus.

    Voici encore une citation où la miséricorde est évoquée comme réparatrice, certes, mais dans un sens positif et peu dans la préoccupation de soi, mais pour le profit de tous et des plus grands pécheurs.

    Jésus sera toujours le prix infini et l'âme fidèle complétera le Calvaire de douleurs… Elle ne se contente pas de l'amende honorable, elle veut la propitiation tout entière, le triomphe de la miséricorde, le pardon des pécheurs, la conversion des bourreaux de Jésus-Christ, de ses persécuteurs, et voir ainsi se renouveler le repentir et la miséricorde du Calvaire. La supplication adore le Dieu d'amour sur son trône de grâce ; l'âme adoratrice se fait médiatrice pour tous les besoins de ses frères ; elle expose avec l'éloquence de la confiance toutes les misères des pauvres enfants de la croix de Jésus ; elle les fait passer sous les yeux de cette miséricorde inépuisable, elle ouvre les plaies du Sauveur pour en faire sortir des trésors de grâces sur chacune d'elles ; elle réjouit ainsi le cœur des Agrégés. (RA 20,3)

    Remarquons ces paroles : Elle ne se contente pas de l'amende honorable, elle veut la propitiation tout entière, le triomphe de la miséricorde, le pardon des pécheurs, la conversion des bourreaux de Jésus-Christ, de ses persécuteurs, et voir ainsi se renouveler le repentir et la miséricorde du Calvaire.

    Enfin je voudrais encore vous donner un exemple très parlant de cette évolution dans le cœur du p. Eymard. Plus haut, nous l’avons entendu parler des prêtres : « Il y a un enfer : beaucoup de prêtres seront damnés. Serais-je du nombre ? Oui, si je ne me fais pas violence. Oui, si je ne me surmonte pas. Oui, si je suis toujours si lâche pour la prière, pour l’humilité et l’humiliation. De deux choses l’une : ou je veux me sauver ou je veux me damner. » (NR7)

    Et voici ce qu’il écrit plus tard au sujet des prêtres « tombés » : quelle désolation pour les bons prêtres de voir leurs frères du sacerdoce tomber sur le champ de bataille, et rester sans secours dans leurs blessures ; mettez que ce soit leur faute ; mais quoi, parce qu'on est prêtre, est-ce donc qu'il n'y a plus de charité, plus de miséricorde pour lui ?… On dit que ces tombés sacerdotaux sont sans ressources et sans retour sincère… Hélas ! n'est-ce pas parce qu'on les rejette, qu'on les méprise à l'égal des voleurs, des assassins ; c'est facile de mépriser, d'invoquer l'incorrigibilité ! Celui qui est sans miséricorde pour ses frères, ne mérite-t-il pas d'être traité de même ? [cf. Jc 2,13] Ah ! n'y en eût-il que quelques-uns de ramenés, de réhabilités ! ne serait-ce pas une immense victoire sur Satan, et un coup de grâce à ravir le ciel et la terre ? Je dis qu'il y en aurait un grand nombre, car Notre Seigneur doit avoir plus de miséricorde pour son prêtre que pour les fidèles. La sainte Église a plus de tendresse et de charité pour eux que pour ses enfants. Voyez ce qu'on a fait à Rome pour ces pauvres prêtres : une maison honorable, des soins paternels, une retraite mystérieuse en quelque sorte, leur est ouverte ; là, on les réhabilite par degrés ; là le Saint-Père y vit par les entrailles de sa paternelle charité. On y entre, on y reste, on en sort, et le monde ignore ceux qui l'habitent. C'est que l'honneur ne se sépare pas de la charité, et la charité de l'amour de Dieu. (CO 1865,1), 1866

    L’expérience du rocher de Saint Romans

            Je reviens en arrière maintenant dans la vie du père Eymard. En effet, il est un événement qu’il n’a jamais oublié et dont il est difficile de ne pas faire mention : pour lui ce fut une expérience exceptionnelle, comme une étoile qui a continué à briller tout au cours de sa vie. C’est un peu comme la source d’où a coulé toute son évolution que nous venons de voir. Il était alors jeune prêtre, vicaire à Chatte, donc à l’âge de 24-25 ans. Un après-midi lors d’une journée de rencontre entre prêtres dans le village d’à côté, à Saint-Romans, pendant que ses confrères discutent au presbytère, lui va faire une promenade jusqu’à une petite chapelle et un calvaire situé au sommet d’un rocher. Ce que relate le p. Eymard me paraît important pour notre sujet. En effet, quelle manifestation plus grande de la miséricorde que celle du calvaire ! En sept reprises le p. Eymard en fait mention dans ses lettres adressées à Natalie Jordan.

    N'oubliez pas mon rocher, sa chapelle, sa belle vue. Oh ! l'heure délicieuse que j'y ai passée il y a quelques années, sur le déclin d'une belle journée ! Je sentais mon âme jouir d'une paix et d'une méditation qu'on n'oublie jamais. (CO 263, 1), 1851

    Vous voilà seule, solitaire à Calet, là où est mon rocher contemplatif et où vous êtes aussi en Notre Seigneur. Soyez-y heureuse et joyeuse au milieu de ce calme et de cette belle nature. Voyez-y Dieu qui embellit toute chose et rend délicieux les déserts les plus tristes. (CO 832,1), 1859

    Le Bon Dieu ne voulait pas que j'eusse cette consolation ; qu'il en soit tout de même béni ! J'aurais revu avec plaisir ce beau rocher que César a remarqué et que j'ai aimé. L'âme aime les collines et les montagnes, il lui semble toucher de là aux cieux et être plus près de Dieu. Vous êtes heureuse de voir ces belles et silencieuses montagnes, l'âme va plus haut par elles. Vous êtes heureuse dans votre campagne, avec Dieu seul, avec la pureté de la nature et la beauté de la divine Providence. (CO 845,1), 1859

    Vous êtes donc à Calet dans cette charmante campagne où il y a mon rocher mystique d'où je contemplais le ciel si pur et si beau ! C'est une de ces nuits que je n'oublierai jamais.

    Profitez de ce doux silence de la solitude pour vous rapprocher de Dieu, goûter Dieu, vous perdre un peu dans l'harmonie de son cœur. (CO 1380,1), 1864

    Si en remontant j'ai un jour, je vous en donnerai la moitié ; j'ai envie de revoir Chatte, j'en languis ; puis votre béni rocher de César, ou mieux du Calvaire. (CO 1401,1), 1864

    Je suis tout heureux ici, je ne reçois personne, je suis un peu seul, je me retrouve aux pieds de Dieu. Je fais comme un essoufflé qui respire en paix : c'est trouver Dieu que d'être tranquille à ses pieds. Est-ce donc que vous n'éprouvez pas quelquefois ce bien-être de respiration spirituelle, douce, affectueuse aux pieds de Dieu, devant son beau ciel, sur mon rocher là-bas de César ? (CO 1463,1), 1864

    Quand l'âme a le bonheur de trouver ce bon côté, l'oraison est plutôt une contemplation délicieuse, où l'heure passe vite. Ah ! bonne fille, que je vous souhaite et désire souvent de goûter ainsi Dieu ! Il y en a pour longtemps ; c'est mon rocher de Saint-Romans. (CO 2011, 1), 1867

    On pourrait être étonné de cette association entre le calvaire, qui, quand même, nous rappelle les souffrances du Christ, et la douceur, le calme, le bien-être devant la belle nature dont P-J. Eymard a fait l’expérience en ce haut lieu. Cependant il y associe la respiration spirituelle, douce, affectueuse aux pieds de Dieu… et le bonheur de « goûter Dieu ». À la limite, une telle expérience se passe au-delà des mots. Toutefois, le p. Eymard nous en dit assez pour que nous comprenions qu’il s’agit pour lui d’un évènement qui l’aura marqué pour toute la suite de son existence. Et quand il nous parle de se « rapprocher de Dieu, goûter Dieu, vous perdre un peu dans l’harmonie de son cœur… », on est loin de ce Dieu punisseur qu’il redoutait surtout dans la première partie de sa vie. On comprend mieux ainsi son désir de faire partager à ses correspondants cette nouvelle découverte de Dieu qu’on peut appeler « Miséricorde ».

     

    III L’EUCHARISTIE SACREMENT DE LA MISÉRICORDE

            Dans cette dernière partie, je voudrais faire ressortir d’une manière plus directe le rapport entre l’Eucharistie et la miséricorde dans la pensée du p. Eymard.

    Le p. Eymard, peu à peu, découvre que l'Eucharistie est le don de Dieu en Jésus qui contient tous les autres dons, depuis la création jusqu’à la rédemption, mort et résurrection du Christ, et jusqu’à l’attente de son retour. Cette découverte amène le p. Eymard à se demander comment répondre à un tel don d’amour et de miséricorde.

    1. L’Eucharistie feu perpétuel et consumant de l’amour divin

    P-J. Eymard Portrait 1.jpg        Au Père Colin sur le Tiers ordre de l’Adoration Réparatrice. On est en 1851 : il est mariste.

    Son but. L'Eucharistie […] est toute la religion de l'amour ; l'Eucharistie […] c'est Jésus-Christ même, substantiellement présent au milieu de nous avec ses grâces, ses vertus, son amour.

    C'est le feu perpétuel et consumant de l'amour divin, la victime divine, toujours hostie réparatrice pour le salut du monde.

    Ranimer la foi, la dévotion, l'amour de Jésus au très saint Sacrement. Soutenir, alimenter, perfectionner la perfection chrétienne des fidèles par le culte adorable de l'Eucharistie. (CO 243,2), 1851.

    À Mme Tholin Bost :

    J'ai souvent réfléchi sur les remèdes à cette indifférence universelle qui s'empare d'une manière effrayante de tant de catholiques, et je n'en trouve qu'un : l'Eucharistie, l'amour à Jésus eucharistique. La perte de la foi vient d'abord de la perte de l'amour ; les ténèbres, de la perte de la lumière ; le froid glacial de la mort, de l'absence du feu. Ah ! Jésus n'a pas dit : “Je suis venu apporter la révélation des plus sublimes mystères”, mais bien : “Je suis venu apporter le feu sur la terre, et tout mon désir est de le voir embraser l'univers.” [Lc 12,49]. (CO 286,1), 1851

    « La perte de la foi vient d’abord de la perte de l’amour » : vérité qu’on aurait peut-être bien intérêt à méditer aujourd’hui.

    Lettre au Tiers ordre de Lyon depuis La Seyne :

    Maintenant, il faut vite se mettre à l'œuvre, sauver les âmes par la divine Eucharistie, et réveiller la France et l'Europe engourdie dans son sommeil d'indifférence, parce qu'elle ne connaît pas le don de Dieu, Jésus l'Emmanuel eucharistique. C'est la torche de l'amour qu'il faut porter dans les âmes tièdes et qui se croient pieuses et ne le sont pas, parce qu'elles n'ont pas établi leur centre et leur vie dans Jésus au saint Tabernacle ; et toute dévotion qui n'a pas une tente sur le Calvaire et une autour du Tabernacle n'est pas une piété solide et ne fera jamais rien de grand. Je trouve que l'on s'éloigne trop de la sainte Eucharistie, qu'on ne prêche pas assez souvent sur ce mystère d'amour par excellence ; alors les âmes souffrent, elles deviennent toutes sensuelles et matérielles dans leur piété, s'attachant aux créatures d'une manière déréglée, parce qu'elles ne savent pas trouver leur consolation et leur force en Notre Seigneur. (CO 325,1), 1852

    Depuis cinq ans je me sens attiré vers la divine Eucharistie, par un sentiment intérieur très fort. Pendant plus de deux ans je l'ai combattu et en ai gardé le silence ; ce sentiment devenant toujours plus pressant, et craignant de résister à une grâce, je m'en ouvris au Père Alphonse, Provincial des Capucins. (CO 567,1), mai 1856

    Le p. Eymard aime aussi souvent utiliser l’image du feu pour évoquer l’Eucharistie. Un feu qui ne brûle pas, un feu doux : Oh ! Oui, l'âme aimante connaît ces doux rapports avec son bien-aimé ! Elle sent son voisinage divin comme on sent celui du feu, comme l'enfant sent l'approche de sa mère. (PG 244,9), 1864

    1. « La miséricordieuse douceur de Jésus… »

            Le p. Eymard au cours de sa fameuse retraite de Rome (25 janvier-30 mars 1865) nous a laissé un témoignage exceptionnel en notant chaque jour l’évolution de son chemin spirituel. De quoi s’agit-il ? Il est venu à Rome en vue d’obtenir l’autorisation de fonder une communauté du Saint Sacrement au Cénacle de Jérusalem. Comme le feu vert tarde à venir, il se met en retraite et cela durera deux mois.

    Il est remarquable, entre autre, de constater comment, dans cette retraite de Rome, le p. Eymard nous décrit sa découverte de la douceur de Jésus, à rapprocher bien sûr de la miséricorde.

    J'ai médité sur la douceur de Notre Seigneur, comme formant son vrai caractère, son esprit et sa vie. Discite a me quia mitis sum (Traduction : Venez à moi qui suis doux) [Mt 11,29]. Il n'a pas dit : Discite a me quia pauper, mortificatus, devotus, pius, sapiens, silens. Rien de tout cela. Mais mitis, parce que l'homme déchu est naturellement colère, haineux, jaloux, susceptible, vindicatif, homicide dans son cœur, furieux dans ses yeux, venin sur sa langue, violent dans ses membres. La colère, c'est sa nature, parce qu'il est naturellement orgueilleux, ambitieux, sensuel.

    Parce qu'il est malheureux et humilié de son état, c'est un être aigri, comme on le dit d'un homme qui a souffert des autres.

    1° Notre Seigneur est doux dans son cœur. Il aime son prochain. Il veut son bien. Il lui veut du bien. Il [ne] pense qu'au bien qu'il peut lui faire. Il ne juge du prochain que dans sa miséricorde, et non dans sa justice, ce n'est pas l'heure. (NR 44,97)

    Jésus est doux dans son esprit. Il ne voit que Dieu son Père dans le prochain. Il ne veut [voir] dans les hommes que des créatures de Dieu. C'est le Père qui aime son fils, qui pleure ses égarements, qui le cherche pour le ramener, qui soigne ses plaies, n'importe leur origine, qui veut lui rendre la vie de Dieu. [1]

    J'ai médité sur la douceur de Notre Seigneur en son divin Sacrement ;
    – sa bonté à recevoir tout le monde, grands et petits, riches et pauvres, enfants et hommes,
    la bonté de sa communion, se donnant à chacun selon son état, et venant avec joie en tous, pourvu qu'il y trouve la vie de grâce et un petit sentiment de dévotion, de bons désirs, de respect au moins, et donnant à chacun la grâce qu'il peut porter, et lui laissant un don de paix et d'amour de passage.

    Oh ! quoniam tu, Domine, suavis et mitis et multæ misericordiæ [omnibus] invocantibus te [cf. Ps 85,5]. (Traduction : Oh ! Combien, Seigneur, tu es suave et doux et plein de miséricorde pour tous ceux qui t’invoquent.)

    2° Mais quelle patiente et miséricordieuse douceur de Jésus envers ceux qui l'oublient : il les attend, ceux qui ne le respectent même pas en son état sacramentel. Il ne réclame pas [contre] ceux qui l'offensent, il ne menace pas ceux qui l'outragent, le vendent, le crucifient par leurs sacrilèges, il ne les punit pas, et il répète : Pater, ignosce illis, non enim sciunt quid faciunt [Lc 23,34] (Traduction : Père, n’en tient pas compte, ils ne savent pas ce qu’ils font). (NR 44,101), Retraite de Rome

    1. c) Le don de la personnalité

    St Pierre-Julien Eymard malade.jpg        Le p. Eymard  est parvenu à un tel détachement de lui-même qu’il s’est senti appelé à faire ce qu’il a nommé le don de sa personnalité.

    Le  21 mars 1865, en la fête de saint Benoît, au cœur de ses épreuves, il reçoit, au cours de son action de grâce, la faveur insigne “du don de la personnalité” et il s'y engage par vœu. Il résume cet événement en ces simples mots : Rien pour moi, personne, et demandant la grâce essentielle : rien par moi. Modèle : Incarnation du Verbe. (NR 441), Retraite de Rome, 21 mars 1865

    Suit un texte de M. Olier, tiré du Catéchisme de la vie intérieure. Il s'agit d'une expérience mystique majeure, qui transforme radicalement le P. Eymard et le rend disponible à toute décision, fût-elle à l'encontre de son désir.

    La réponse à sa requête — d’obtenir l’autorisation de fonder une communauté du Saint Sacrement au Cénacle de Jérusalem — lui est communiquée à la fin du mois : elle est négative. Apparemment, c'est l'échec total. Le P. Eymard quitte Rome le 30 mars 1865 dans une attitude d'abandon avec, pour unique richesse, le “Cénacle intérieur”, cet amour pur, qui fut celui de l'Incarnation par le sacrifice du moi humain de Jésus.

    « Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi » Ga 2,20

    Le p. Eymard n’est plus préoccupé de son salut personnel, tant il est plongé dans la « miséricordieuse bonté » (expression qui revient souvent sous sa plume) de Dieu.

     

    CONCLUSION

            Je n’ai évidemment pas épuisé le sujet : le p. Eymard n’a pas seulement écrit sur la miséricorde de Dieu mais en a fait le moteur de son action. On pourrait, par exemple, rappeler avec quel amour il sut accueillir les jeunes ouvriers, pour les préparer à leur première communion.

    Mais je ne pouvais pas réécrire une biographie du p. Eymard. Comme je vous le disais au début, j’ose espérer simplement que je vous aurais aidé à connaître un peu le p. Eymard, et surtout, à l’aimer, et à travers lui, à aimer Notre Seigneur Jésus Christ dans sa miséricordieuse bonté.

    Mais je veux encore, pour terminer, citer le p. Eymard justement au sujet de ces jeunes ouvriers qu’il affectionnait particulièrement :

    Notre œuvre de la Première communion des adultes va grandissant. 150 à 160 ouvriers ont le bonheur d'être préparés à la première communion ; ce sont les pauvres chiffonniers, les pauvres enfants des fabriques abandonnés. Belle et aimable mission ; c'est la mission royale des noces eucharistiques. Les riches, les grands, et même les grands savants, laissent la sainte Eucharistie ; les pauvres ignorants du siècle les remplacent. (C0 1099,1), 2 février 1962

    Le p. Eymard avait le souci de la périphérie (cf. pape François) : dernière citation qui nous rappelle qu’il avait rêvé de devenir missionnaire (c’est-à-dire partir au loin à cette époque-là). Mais il le devint dans le sens d’aujourd’hui (France, pays de mission) :

    À Paris, il y a beaucoup de personnes non baptisées ; il ne se fait pas chez nous de première communion que nous n'ayons quelque enfant à baptiser ; c'est que Paris a de la Chine, de l'Océanie et de l'Afrique. (CO 1742,1), 18 février 1968, à Mme la Comtesse de Fraguier

     

    Nota : « Encore que l’histoire ne soit jamais oubliée au cours de l’exposé, elle n’a qu’un rôle subalterne et entend respecter la priorité ou la valeur absolue de la substance spirituelle qui ne se mesure pas au nombre des jours ou des années, une rencontre de quelques heures pouvant parfois dans la fixation d’une idée, s’avérer plus importante qu’une vie en commun de plusieurs décennies. » L. Saint Pierre, L’heure du Cénacle, page 16, en note

    logo sss.jpgPaul Mougin
    , sss

    Supérieur de la Communauté des Pères du Saint Sacrement,
    Chapelle Corpus Christi
    23, avenue de Friedland, Paris 8ème

     


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    un saint pour notre temps

     

     

    [1] L’enfant prodigue, la parabole de la brebis perdue, le bon samaritain : Luc, l’évangile de la miséricorde.

     

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  • "L'amour nous rend apôtres de Jésus" st P-J. Eymard

    P-J. Eymard Portrait 1.jpgSi la foi nous fait disciples de Jésus,
    l’amour nous rend apôtres.

    Saint Pierre-Julien Eymard

    Citation du 3 mai (Sts Philippe et Jacques)
    tirée de sa correspondance (CO 1273),
    extraite de Une pensée par jour,
    éditions Médiaspaul, 2010.

     

                     Le disciple écoute son maître, il est docile à sa parole qu’il laisse pénétrer et œuvrer en lui. Il écoute et se délecte de l’enseignement de son doux maître. Son cœur s’ouvre à la Parole bienfaisante du Fils de Dieu, la Parole du Dieu fait homme descend en lui et transfigure son être. Car cette parole est remplie de l’Esprit de Jésus. C’est une source venue du Père qui s’échappe du Cœur de Jésus et rejaillit dans celui du disciple.

                     L’Esprit de Jésus est amour du Père pour toute créature. Il a le pouvoir merveilleux de nous transfigurer à tel point à l’intérieur qu’il nous rend capables, à notre tour, d’amour. Cet amour nouveau qui coule en nous est à la fois si pénétrant et si intense qu’il nous donne une force particulière. C’est alors que, dans une nouvelle facilité, il nous est donné de diffuser, de transmettre à notre tour cet amour.

                     Nous reconnaissons l’amour que nous recevons de Jésus à ce qu’il nous stimule à le partager, à le redistribuer, comme une eau qui viendrait gonfler notre petite rivière qui, elle aussi, à son tour, vient gonfler d’autres petites rivières. On reconnaît que l’on devient apôtre de Jésus quand ce besoin de transmettre l’amour que nous recevons de Lui est fluide, qu’il ne force ni les êtres, ni les événements, mais reçoit, tel une grâce, en son heure, ce temps favorable pour le témoignage qui n’est autre qu’un abandon à la Volonté du Père.

                     L’apôtre appartient de façon doucereuse au Christ. Il obéit en toute joie à son Esprit qui demeure en lui et le fait être un feu sur la terre. Son action découle de ce que la Personne du Christ demeure en lui, le fortifie amoureusement. L’ayant simplifié dans tout son être, il lui permet d’agir fidèlement à la Volonté de Dieu Notre Père qui répand sa bonté depuis les cieux par le Cœur saint de son Fils bien-aimé, Jésus.


    Jehanne Sandrine du SC & de la SE.jpg

     

     

     

    Sandrine Treuillard

    (Jehanne Sandrine du Sacré Cœur & de la Sainte Eucharistie)

     


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  • Le songe de saint Martin : La Compassion de saint Martin de Tours pour la France (Miséricorde divine) Dessin pour un vitrail de l’église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18)

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    En mars dernier, j'ai pu photographier le dessin sur papier de mon projet de vitrail pour l'église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18) et remettre à l'évêque de Créteil, Mgr Michel Santier, la totalité du projet de l'Adoration Saint Martin tel qu'il est actuellement, sous la forme d'un dossier papier illustré. Dans l'espoir qu'il transmette à son tour ce dossier à son ami du diocèse du Berry, de Bourges, Mgr Armand Maillard. Car le projet de l'Adoration Saint Martin part bien de l'église de mon village… Vous pouvez voir ici les photos de ce dessin dont l'idée remonte à fin 2014. Et ci-après la prière-poème qui soutient théologiquement l'iconographie mise en œuvre pour ce vitrail.

     

     


    Le songe de saint Martin : La Compassion de saint Martin de Tours pour la France (Miséricorde divine)

    Dessin pour un vitrail de l’église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18)
    Crayon aquarelle sur papier, 50 cm x 130 cm par Sandrine Treuillard (Mars 2016).

    Détails

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    Saint Martin Vitrail Sury.jpg

    LA COMPASSION DE SAINT MARTIN DE TOURS *


    Adoration à Saint-Gervais - Veillée des Semeurs d’Espérance du 16-I-2015[i]

     

     

     

    Photographie ci-contre : unique vitrail de l'église Saint-Martin de Sury-ès-Bois, diocèse de Bourges (18), représentant l'Évêque de Tours et Apôtre de la Gaule.                   
    Je fus baptisée le 25 mai 1975 dans cette église.
    @Sandrine Treuillard, 2014

     
     

    St Pierre-Julien Eymard malade.jpgQuand l’ostensoir a été déposé sur l’autel, aussitôt je vis :

               - Le visage du père Eymard malade [ii], que j’aime tant (photo ci-contre).
    Je me mis à pleurer. Toujours agenouillée en adoration devant l’autel à Saint-Gervais, ce fut alors l’autel de Saint-Martin de Sury-ès-Bois que je vis, l’ostensoir exposé. En larmes je vis :

           - Saint Martin et Jésus Ecce Homo : présence si forte & si intime de saint Martin : la compassion de Martin pour les paysans qui ne croient pas en Jésus et ont pourtant une grande soif spirituelle.

            - Le vitrail que je vais dessiner a pris une nouvelle forme. Tout le temps de l’adoration fut une émulation de l’Esprit Saint, avec des affections corporelles où la joie s’amplifiait. Je pris mon carnet et écrivis :



                Le fourreau au côté droit de saint Martin couché et dormant, lové dans le cercle du vitrail, ce fourreau dépasse de sa hanche, est visible, alors que le pan gauche de la cape rouge recouvre une partie de son corps endormi

                Il songe

                Le fourreau est vide

                La main de Dieu brandit l’Épée dans la nuit bleue

                La justice de Dieu sépare les ténèbres du jour

                L’Épée à double tranchant désigne deux espaces différents

                Le songe de saint Martin

                Il dort : on voit sa sandale de romain lacée à son tibia

                Il voit en songe la partie supérieure droite du vitrail

    Capture d’écran 2015-02-07 à 17.56.48.png            Jésus outragé, le visage ensanglanté, la couronne d’épines ayant broyé la chair de son front, de son crâne

                Son épaule gauche et sa poitrine gauche sont recouvertes de la seconde moitié de la cape rouge de Martin

                Le sein droit du Seigneur est nu et visible

                Là où est sa Plaie, son flanc droit est visible

                L’Épée sépare le jour de la nuit

                L’Épée désigne le côté du Christ

                L’Épée adoube la souffrance du Christ

                L’Épée, la justice de Dieu, sanctifie la souffrance du Christ

                Son Épée est la Lumière

                L’épée de la justice de Dieu a la couleur du jour, de l’argent lunaire

                Elle contraste avec le bleu foncé de la nuit

                Elle est grâce

                L’épée de Dieu est la Grâce

                L’épée de Dieu couleur d’argent est la source de l’eau qui coule de la plaie du côté du Christ

                Ce fleuve est un ruban d’argent

                Le fourreau au côté droit de Martin est vide

                Martin s’abandonne au sommeil et voit Jésus Ecce Homo en songe

                Il reçoit la grâce de la compassion à la souffrance du Christ

                Il reçoit la grâce de devenir l’instrument de la Justice d’Amour de Dieu

                Saint Martin, le soldat romain, comprend le besoin spirituel des paysans gaulois

                Par la grâce de la compassion à la souffrance du Christ, devenu Évêque de Tours, saint Martin répandra le fleuve et la parole d’Amour du Dieu Sauveur

                Le ruban d’argent qu’est la Loire rejoint la lumière de la Justice divine

                La Loire est l’épée de Dieu, à double tranchant

                le fleuve d’Amour

                qui coule du Côté du Christ

                le Fleuve qui restaure la Gaule

                à la Bonne Nouvelle instaure

                la France.

                A M E N

                

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    Adoration Saint-Martin

    Le sens d'une église : Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18) – Adoration Saint Martin :
    Ré-évangéliser les campagnes

     

      


    [i] Note du samedi 17 février, au matin : Lors de la communion, tandis que le Seigneur fondait dans ma bouche, je demandai la faveur de ne plus éprouver la faim qui me taraudait, afin d’être toute concentrée en Jésus-eucharistie lors de l’Adoration qui allait suivre. Grâce accordée. À donc suivi cette prière qui est un poème d’Adoration, le fruit direct de cette prière d’abandon. Une grande grâce de recevoir saint Martin pour compagnon de cette année (de la vie consacrée) avec lequel approfondir ma foi, duquel découvrir la vie spirituelle et le prendre pour modèle. Saint Martin est une force, le premier saint que Dieu me donna lors de mon baptême, le 6 novembre 1974, en l’église éponyme de Sury-ès-Bois (diocèse de Bourges). À minuit, quand Romain Allain-Dupré reprit la parole pour clore la veillée, je traçais le AMEN sur le carnet, en fin de prière.

    [ii] L’Apôtre de l’Eucharistie Biographie de saint Pierre-Julien Eymard, André Guitton, Nouvelle Cité, 2012.

    Courrier des lecteurs envoyé à Famille chrétienne à propos de « Notre-Dame de Vierzon profanée » FC n°1934 :
    « En lisant cet article, j'ai reçu comme un choc non pas que les hosties aient été volées, mais qu'il y ait une église à Vierzon ! En effet, j'y ai passé mes trois années d'internat au lycée public Édouard Vaillant et ma conscience politique a grandi avec Lutte Ouvrière, par un camarade de classe actif dans ce parti d'extrême gauche révolutionnaire.
    Savez-vous que Mgr Maillard gouverne un diocèse où il n'y a aucun séminariste ? Le diocèse de Bourges comprend pourtant aussi la belle œuvre du père Jules Chevalier, fondateur des Missionnaires du Sacré-Cœur et bâtisseur de Notre-Dame du Sacré Cœur d'Issoudun. De ce cœur de France, en Berry & Sologne, Notre Seigneur demande que l'on se soucie, du haut de nos pénates parisiennes. L'Église pourrait-elle envoyer des prêtres dans ces régions désertées ?
    J'ai moi-même eu une vocation religieuse contrariée, par manque d'accompagnement. Aujourd'hui, j'ai pour mission de puiser à la source de l'Apôtre de la Gaule, saint Martin de Tours, afin de faire revivre les églises de nos campagnes, potentiels foyers d'amour eucharistique.
    Répartissons les prêtres sur le territoire pour faire revivre notre foi !
    Sandrine, future Jehanne de la Sainte Eucharistie »

     

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  • La Tunique sans couture désigne la foule, devenue un seul corps, le Corps du Christ, le peuple de Dieu

    Tunique photo originale.jpg


             « Une grande foule suivait Jésus parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait sur les malades ».

             Aujourd’hui Jésus ressuscité, à travers le signe de la Sainte Tunique d’Argenteuil, attire une grande foule.

             Or dans l’Évangile, par le signe de la multiplication des pains, nous voyons que Jésus va faire de cette foule anonyme un peuple, le peuple de Dieu.

             De même par la célébration de cette eucharistie, le sacrement de Sa mort et de Sa résurrection, Jésus va faire de nous son peuple.

             Jésus porte sur nous son regard d’amour comme il portait déjà ce même regard sur les foules de Galilée.

                      « Jésus leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. »

             Il discerne que cette foule a faim, non seulement de pain, mais d’entendre une parole qui fait vivre, qui donne sens à la vie au moment où le pays occupé par les romains n’a plus de liberté. La foule attend un libérateur et elle est prête, à la vue du signe de la multiplication des pains, à faire de Jésus son Roi. Mais le chemin de Jésus n’est pas celui-là ; la foule s’arrête au pain, mais ne reconnaît pas le mouvement d’amour du donateur. Elle n’a pas compris qu’à travers ce pain multiplié c’est Jésus lui-même qui se donne entièrement à chacun et à tous, ensemble.

             Jésus est vraiment le Maître du repas, il pose la question : « Où pourrions-nous aller acheter du pain ? » Cette question a pour but de former ses disciples Philippe et André, de les faire grandir dans la foi, il leur fait constater la pauvreté, le manque de moyens : 5 pains et 2 poissons, « qu’est-ce que cela pour tant de monde ? »

             Quelle disproportion avons-nous souvent entre ce que les hommes et les femmes, les jeunes d’aujourd’hui attendent de nous, et nos pauvres moyens ! Mais Jésus, en Maître du repas, en Bon Berger, Pasteur du Psaume 23, donne à la foule de s’asseoir sur l’herbe verte : « Il prend alors les pains, et après avoir rendu grâces, les distribue aux convives. »

             Le mot rendre grâces – eucharistein en grec – désigne l’Eucharistie. Après la mort et la résurrection de Jésus, les disciples ont vu dans le signe de la multiplication des pains l’annonce, la préfiguration de l’Eucharistie qui nous rassemble ce soir. Jésus continue de distribuer le pain aux convives. Jésus, dans l’Eucharistie, rend présent le don de sa vie qu’il a fait pour nous sur la Croix. Il se donne entièrement à nous.

    SainteTuniqueArgenteuil2016.jpg


             Un signe de ce don total de Jésus, qui nous a aimés jusqu’au bout, nous est donné à voir à travers l’ostension de la Sainte Tunique. Comme le tombeau vide n’est pas une preuve scientifique de la résurrection de Jésus mais un signe qui nous appelle à croire à l’amour de Jésus pour nous et pour tous les hommes.

             Dans l’Évangile de Jean, il nous est dit que la tunique de Jésus était sans couture, tissée tout d’une pièce, de haut en bas. Ce qui entraîne une réflexion entre les garde : « ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura. »

             L’Évangéliste voit dans cette tunique sans couture comme l’accomplissement de l’Écriture, le juste souffrant du Psaume 22 :

                      « Ils se sont partagé mes habits, ils ont tiré au sort mon vêtement. »

             La Tunique sans couture désigne la foule, devenue un seul corps, le Corps du Christ, le peuple de Dieu.

             Si Caïphe, le grand Prêtre, avait souhaité qu’un seul meure pour tout le peuple, il avait sans le savoir dévoilé que Jésus est mort afin de rassembler tous les enfants de Dieu dispersés.

             Jésus lui-même, avant sa mort, a prié pour l’unité de tous ses disciples : « que tous soient un, Père, comme toi, Père, et moi, nous sommes un. »

    CiergePascale&Tunique.jpg         Pourtant la Tunique a été déchirée, le Corps du Christ a été divisé à cause de nos péchés, le monde continue de se déchirer en opposition violente. Pourtant, à travers le signe faible et beau de cette tunique, nous est révélé le dessein d’amour de Dieu sur l’humanité, il désire l’unité entre les chrétiens et l’unité du genre humain.

             L’Eucharistie que nous célébrons ce soir est ce sacrement de l’unité, où Jésus en se donnant à nous par sa Parole, son Corps et son Sang, fait de nous un corps, son Corps, il nous apprend à faire Corps. L’Eucharistie est le sacrement de l’Amour, l’école de la Charité et de l’Unité.

             Mais vous vous dites : « Que puis-je faire pour construire l’unité ? Cette mission me dépasse… je suis faible, je n’ai que 5 pains et 2 poissons… » Or Jésus a besoin de nos 5 pains et 2 poissons pour construire l’unité dans nos familles qui se déchirent parfois, dans nos paroisses, pour que ceux qui voient la manière dont nous nous aimons reconnaissent la présence de Jésus entre chrétiens de toutes confessions, pour que nous marchions ensemble vers l’unité entre tous les hommes, tous les croyants d’autres religions, car la mission de l’Église à la suite de celle de Jésus vise l’unité du genre humain.

             Dans cette Eucharistie, Jésus nous attire dans son offrande, pour que partout où nous vivons, à l’image de la Sainte Tunique, nous soyons des artisans de Paix, d’Unité, de dialogue. Prendre un autre chemin c’est se tromper, regarder la Tunique c’est aller de l’avant !

    IMG_1651.JPG+ Mgr Michel Santier Évêque de Créteil

    Pèlerinage à Argenteuil Ostension de la Sainte Tunique du Christ Basilique Saint-Denys d’Argenteuil – 8 avril 2016

     

    Lectures : Ac 5, 34-42 ; Ps 26 (27), 1, 4, 13-1 ; Jn 6, 1-15

     

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  • L’héritage de la libre-pensée et de l’athéisme a profondément marqué l’évolution de la société vers la sécularisation, éloignant Dieu et la religion de l’espace socio-politique et socio-culturel

    Logo-ImageCollgBernardins.jpgLaïcité et sociabilité
    aux Bernardins

    Le retour du religieux invalide la thèse de la ”mort de Dieu” et bouscule l’héritage de la libre-pensée. Il appelle des dialogues à frais nouveaux, fondés sur la raison.  

             L’héritage de la libre-pensée et de l’athéisme a profondément marqué l’évolution de la société vers la sécularisation, éloignant Dieu et la religion de l’espace socio-politique et socio-culturel. C’est un fait marquant qui a changé en profondeur la société, laquelle était jadis structurée par une métaphysique politique et une forte imprégnation socioreligieuse. Lors de la précédente session de ce séminaire, Dominique Reynié a cependant dressé le constat de la « fin de la politique matérialiste ». C’est un fait que Dieu et la religion reviennent par la grande porte de l’Histoire, invalidant en quelque sorte le déterminisme historique qui voulait que Dieu et la religion ne soient définitivement plus des données pertinentes. La situation présente crée un choc inattendu : d’une part, elle est porteuse de convulsions dont la violence religieuse n’est pas absente ; d’autre part, elle plonge dans le désarroi les ”croyants” de la ”mort de Dieu” et de la ”sortie de la religion”. Chacun sent qu’une nouvelle ère est en gestation, nul ne sait ce qu’elle pourrait être. Au plan prospectif, l’idée que le système ancien soit prêt à reprendre ses droits, dans une forme de revanche de l’Histoire, semble exclu. Si les héritiers de la libre-pensée et de l’athéisme sont aujourd’hui en perte de vitesse vertigineuse, cela ne signifie pas pour autant que l’héritage soit perdu en tous points.

    Fragilités et limites de l’héritage de la libre-pensée


    Bernardins Libre-pensée Guillaume2Prémare.jpg
             Il semble que la libre-pensée et l’athéisme ne soient pas parvenu à être opératoires comme métaphysique de substitution, comme ciment de la société, même s’ils marquent les mentalités. La libre-pensée n’est pas une religion de substitution capable de structurer la société comme jadis la religion la structurait, probablement parce que la nature religieuse de l’homme ne peut être abolie.

             Que reste-t-il de l’héritage de la libre-pensée et de l’athéisme ?

             En premier lieu, je dirais qu’il demeure une culture politique et philosophique qui se divise principalement en deux branches : la culture politique anarchiste libertaire – revendiquée par exemple par Charlie Hebdo – et la culture politique laïciste, celle des hussards noirs de la 3ème République, attachés – au contraire des anarchistes – à la rigueur de la loi, à une morale portée par la loi et les institutions, adossée à une forme d’athéisme d’État.

             L’athéisme, comme croyance dans la non-existence de Dieu, demeure une réalité marginale, au contraire de l’irréligion. Le philosophe Augustin Del Noce explique ainsi ce qui est arrivé :

             « La révolution athée (…) a servi de médiation pour le passage du monde christiano-laïque au monde de l’irréligion naturelle, caractérisée par la perte de la faculté du sacré. (…) L’irréligion naturelle se caractérise par le refus même de poser le problème en termes de théisme et d’athéisme, car cela ne l’intéresse pas ; par un relativisme absolu qui fait que toutes les idées sont rapportées à la situation psychologique et sociale de qui les affirme » [1].

             La culture anarchiste libertaire athée a connu ses heures de gloire en menant le combat de la désacralisation, en effet. Et elle a été absorbée par la culture laïciste de « l’irréligion naturelle », qui est un relativisme, au contraire de l’athéisme. Cet athéisme libertaire est aujourd’hui marginal et ne porte pas de projet de société, de vision du monde partageable. Par ailleurs, « la perte de la faculté du sacré » atteint aujourd’hui ses propres limites, notamment parce que des sacralités de substitution sont nées de la perte des sacralités traditionnelles. Ce qui était sacré hier ne l’est certes plus aujourd’hui ; mais d’autres sacralités sont apparues, comme nous l’avons vu dans le phénomène « Je suis Charlie ». En touchant à la liberté d’expression, les terroristes ont touché une sacralité. D’une certaine manière, ils ont non seulement tué, mais encore blasphémé.

             Le journal Charlie Hebdo s’est retrouvé face à un paradoxe : héritier de la culture de la désacralisation, il s’est vu investi – à son corps défendant – d’une hyper-symbolisation sacrée. D’une certaine manière, Charlie devenait ce que nous avions de plus sacré en commun. Le dessinateur Luz a souligné ce paradoxe la veille des rassemblements monstres du 11 janvier 2015, dans une interview donnée aux Inrocks :

             « On fait porter sur nos épaules une charge symbolique qui n’existe pas dans nos dessins et qui nous dépasse un peu. Je fais partie des gens qui ont du mal avec ça. (…) La charge symbolique actuelle est tout ce contre quoi Charlie a toujours travaillé : détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes. C’est formidable que les gens nous soutiennent mais on est dans un contre-sens de ce que sont les dessins de Charlie. »

             Ceux qui ont opéré cette hyper-symbolisation de Charlie sont principalement les héritiers de la seconde branche de l’héritage de la libre-pensée, les ”hussards noirs”. Désorientés par la « fin de la politique matérialiste », ils ont été fortement bousculés par le succès de Houellebecq. L’écrivain prophétisait la mort de Voltaire, des Lumières, de l’athéisme, et même de la République. La ”prophétie Houellebecquienne” est simple : il n’y a pas de société sans religion ; une religion va donc s’imposer ; cette religion peut être l’islam.

             Certains ont vu dans ”l’esprit Charlie” une invalidation de cette prophétie : non, Voltaire et les Lumières ne sont pas morts ; au contraire nous venons de démontrer qu’ils constituent notre ciment commun. Las, cet ”esprit Charlie” s’est vite montré fragile et provisoire, notamment parce que la culture politique et philosophique qui le sous-tend n’a pas d’ancrage populaire.

             Par ailleurs, cet ”esprit Charlie” – qui essentialise le droit au blasphème et la liberté d’expression absolue comme symbole suprême de la France, au sommet de sa hiérarchie des valeurs – a fonctionné à contre-emploi. Alors même qu’il était supposé constituer un ”commun”, il n’était pas recevable pour le plus grand nombre des Français musulmans, ceux avec qui, précisément, il est urgent de dialoguer sur les ”communs”. D’une certaine manière, cet ”esprit Charlie” a contribué à accentuer la fracture culturelle, fournissant aux islamistes un moyen d’accélérer cette séparation des communautés qu’ils recherchent ardemment.

             Il faut également compter avec le fait que nous sommes, selon le mot de Pierre Manent, dans le contexte d’une « nation faible » face à un « islam fort » : « Comment imaginer une rencontre heureuse entre un islam fort et une nation faible ? », questionne-t-il [2]. Ce contexte met en difficulté le laïcisme traditionnel. Nous voyons que ses tenants se divisent aujourd’hui entre ceux qui veulent négocier avec les mœurs de l’islam et ceux qui s’y refusent. Nous voyons également la force d’une tentation : celle de tout régler par la loi, quand il s’agirait plus avantageusement de chercher des médiations par la culture.

             Le double héritage de la libre-pensée et de l’athéisme se trouve donc aujourd’hui dans une situation de crise majeure, sans que l’on puisse voir clairement la manière de la régler, sauf à consentir un renoncement cruel, voire un reniement.

    Les acquis de la libre-pensée

    11412345_659753040823299_3629092463104494234_n.jpg         Cependant, il ne faut pas croire que cette crise signifie que l’héritage de la libre-pensée et de l’athéisme puisse être compté pour rien. La crise des cultures politiques ne signifie pas que cet héritage n’ait pas ancré dans l’histoire des acquis solides. Il semble en effet que le retour à l’état antérieur de l’Histoire soit inenvisageable. Certains aspects fondamentaux de la libre pensée ne sont pas près de s’effondrer, particulièrement le postulat que la raison soit affranchie des dogmes religieux et des révélations divines. La libre-pensée a consacré la fin de l’argument d’autorité fondé sur le religieux : ne sera peut-être plus jamais considérée comme raisonnable et crédible une raison assujettie à des dogmes et/ou à une révélation. C’est l’hypothèse que je formule.

             Bien évidemment, cette donnée est une difficulté apparente pour les religions, qui avaient jadis pris l’habitude d’asseoir un ordre social sur une autorité elle-même fondée sur une mystique. Il y une occasion de choc entre la raison affranchie du religieux et le retour du religieux : la société moderne va devoir se faire à l’idée que les religions sont dans l’espace public, que le fait religieux produit un fait culturel ; les religions vont devoir accepter qu’étant dans l’espace public, elles sont dans l’espace critique, dans le cadre de sociétés pluralistes voire éclatées.

             Cet espace critique du religieux est aujourd’hui très centré sur la question de la violence religieuse et de la liberté de conscience. Il ne suffit pas aux religions de dire que toute violence religieuse n’a rien à voir avec la religion. C’est faux, hier et aujourd’hui. L’islamisme djihadiste est bien une violence religieuse, certes à forte connotation politico-religieuse. Aujourd’hui, le fait religieux produit dans certaines parties du monde une négation de la liberté de conscience, pénalisant par exemple le changement de religion. Nul ne peut sérieusement prétendre que cela n’ait rien de religieux.

             Il ne suffit pas non plus de dire que la religion est par nature facteur de progrès humain. Une fois encore, c’est faux. Par exemple, quand l’hindouisme structure une société sur la base de castes étanches, avec des basses castes intouchables qui se voient dénier une quelconque dignité, s’agit-il d’un progrès humain ?

             Toutes ces questions sont dans l’espace critique et nul religieux ne saurait, de manière crédible, les appréhender en prétendant s’affranchir de la raison, ou en subordonnant la raison à une révélation, un livre, des dogmes. Cela n’est plus possible. Dans les catégories de la raison, il y a aujourd’hui des dialogues à nouveaux frais à mener. C’est le moment favorable.

    Quels dialogues à nouveaux frais ? Premier exemple de dialogue : la question de la vérité

    12646709_10208920132826744_8187243206975859802_o.jpg         L’un des arguments de la philosophie relativiste est de dire que si une vérité est affirmée, les hommes se font la guerre en son nom. A contrario, s’il y a multitudes de vérités, relatives aux individus, aux conditions sociales et psychologiques, ou encore aux époques historiques, les hommes n’ont pas de raison de se battre au nom d’un absolu. Il est possible de rétorquer que les hommes se battent aussi pour bien autre chose qu’une vérité absolue et universelle : appétit de puissance, de pouvoir, de domination, captation des ressources, etc. Cependant, l’absence de vérité absolue constitue, à tout prendre, une occasion de moins de se faire la guerre. Au nom de cela, le relativisme tend à interdire l’affirmation d’une vérité objective et devient ainsi lui-même un impératif catégorique.

             Joseph Ratzinger dénonce cet impératif sous le nom de « dictature du relativisme :
             « L’on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs » [3].

             Nous voyons ici que l’impératif catégorique du relativisme sort lui-même du champ de la raison pour se réfugier dans celui du sentiment et du désir.

             Un autre aspect du relativisme doit être objet de dialogue : son lien avec le phénomène de « dissociété ». Pierre Manent explique, dans Situation de la France, que nous avons construit notre société sur « la souveraineté illimitée de l’individu particulier » [4], ce qui n’est pas sans conséquences sur la cohésion de la société. Il avait expliqué, vingt ans plus tôt dans La Cité de l’Homme, que la notion de libre-arbitre avait fait l’objet d’une doctrine qui induit une vision faussée de la liberté, la doctrine du libre-arbitre devenant alors un libre-arbitraire contre la nature de l’homme :
             « La doctrine du libre-arbitre affirme bien la liberté humaine, mais jusqu’à un certain point seulement. L’homme est libre dans le cadre et par le moyen de sa nature ; il n’a pas le choix de ses fins, qui sont inscrites dans cette nature. C’est dire, en sens inverse, que sa nature s’interpose entre lui et sa liberté. Le propos de libérer la liberté conduit à exténuer la nature, à démanteler la substance, à abolir l’essence. » [5]

             N’est-il pas vrai que cette vision faussée du libre-arbitre mène aujourd’hui à la nature humaine – y compris comme nature sociale – une guerre de déconstruction qui n’est pas sans conséquences sur les principes mêmes de vie en société ?

             La philosophie relativiste doit accepter le dialogue de raison sur ses propres conséquences. Parce que lorsque survient la dissociété, survient un jour ou l’autre la violence, sous la forme de la guerre de tous contre tous. Et dans ce dialogue, les religions et traditions spirituelles ont des éléments à faire valoir, des choses à apporter, sans pour autant s’affranchir de la raison. Il faut préciser ici que la vision de la raison à laquelle je me réfère n’est pas celle de la ”déesse raison”, mais une raison ouverte à la transcendance, tant il est vrai que la question de Dieu se situe dans le champ de la raison.

    Deuxième exemple de dialogue : la raison des religions

    12698587_10208920135906821_4120861061231378408_o.jpg         L’articulation entre foi et raison est aujourd’hui un élément de dialogue incontournable : entre les religions elles-mêmes ; entre les croyants et ceux qui ne croient pas. Cependant, pouvons-nous penser ce dialogue d’une manière indifférenciée comme réflexion sur l’articulation entre le fait religieux en général et la raison ? Cela semble difficilement tenable. L’analyse raisonnable du fait religieux conduit à distinguer les religions et à identifier leurs dynamiques propres, ce qui n’interdit pas d’identifier certaines tendances générales.

             Par exemple, où en est le catholicisme par rapport à la libre-pensée, laquelle fut jadis son ennemi mortel ? Comment le catholicisme envisage-t-il aujourd’hui le fait que la raison soit affranchie des dogmes et des révélations, que l’argument d’autorité ne soit plus recevable ?

             Il n’y a pas si longtemps, l’Église s’appuyait beaucoup sur l’argument d’autorité, comme maîtresse de vérité chargée d’enseigner les hommes. Cela pouvait se résumer ainsi : « C’est vrai parce que l’Église le dit ». Quand Pie IX publie le Syllabus, il publie un catalogue de propositions condamnées. Il fut un temps où l’Église pensait l’anathème et l’Index nécessaires voire suffisants pour préserver les âmes de l’erreur. Les choses ont bien changé. Que s’est-il passé ? L’Église a-t-elle épousé la philosophie de la Modernité, s’est-elle avouée vaincue par la libre-pensée ? Il semble que non puisqu’elle n’a pas relativisé – et encore moins jeté aux orties – ses dogmes, sa révélation, son Livre, sa tradition. Elle est entrée en dialogue sans céder aucune de ses bases. Elle a renversé la proposition « C’est vrai parce que l’Église le dit », qui est devenue « L’Église le dit parce que c’est vrai », proposant ainsi un dialogue entre la raison des lumières et la raison articulée avec la foi. Et l’Église montre ainsi sa capacité à proposer une référence commune de dialogue, qui est la nature et la raison.

             S’agit-il d’une révolution ? Non, il s’agit d’une réforme. Réformer, c’est former à nouveau en repartant de ses propres fondations. Ce n’est pas en adoptant les catégories des Lumières – qui comportent bien des insuffisances – que l’Église a fait cela, c’est en puisant dans sa propre tradition. C’est, à mon avis, le sens profond de la réforme de Vatican II, notamment de cette fameuse déclaration sur la liberté religieuse. Bien avant les Lumières, c’est Thomas d’Aquin lui-même qui affirmait que l’argument d’autorité était bien le dernier des arguments. Bien avant les Lumières, c’est l’enseignement le plus traditionnel de l’Église qui disait qu’il ne peut y avoir de contrainte en matière religieuse, même si l’Église n’a pas toujours respecté cela. L’Église n’a pas eu besoin de catégories exogènes pour accomplir sa réforme contemporaine, elle s’est référée à des catégories endogènes, présentes de longue date dans sa propre tradition et ses fondements.

             Et en faisant cela, l’Église s’est donnée les moyens de traverser les temps modernes et de leur proposer sa propre lumière. Et la « fin de la politique matérialiste » trouve aujourd’hui un catholicisme prêt à proposer un éclairage, y compris au plan de la mystique politique ou du théologico-politique, précisément parce qu’il possède les clés pour distinguer le temporel et le spirituel, précisément parce qu’il n’y a pas de « Charia catholique », mais la reconnaissance d’une loi pour les hommes fondée sur la nature et la raison.

             Qu’en est-il maintenant de l’islam ?

             Il y a deux ans, le quotidien algérien El Watan a publié plusieurs articles sur un mouvement de jeunes algériens, appelés les ”non-jeûneurs”, qui refusaient de respecter le Ramadan et revendiquaient le droit de manger en pleine rue pendant le Ramadan, au nom de la liberté de conscience. Ils se sont attirés des ennuis avec la police et la justice, au motif qu’ils mettaient en danger l’ordre social. Ce qui était frappant dans cette affaire, c’était que ces non-jeûneurs se justifiaient en se référant à des catégories et à un vocabulaire manifestement empruntés à la libre-pensée occidentale et non fondés sur la tradition même de l’islam.

             Par ailleurs, la lecture de Lettre ouverte au monde musulman [6] d’Abdennour Bidar m’a conduit également à m’interroger sur les velléités de réforme de l’islam. L’auteur propose en quelque sorte un islam réformé par nos Lumières, donc sur le fondement extérieur à l’islam. Et il appelle de ses vœux un islam principalement spirituel qui puisse opérer une « sortie de la religion », idée née dans le contexte intellectuel occidental. Une question se pose : un tel islam ainsi réformé n’entraînerait-il pas la ruine de l’islam ?

             Plusieurs questions cruciales se posent donc aujourd’hui à l’islam : contient-il dans sa propre tradition les fondements et catégories d’une réforme qui lui permette de traverser les temps modernes et de leur apporter sa propre lumière ? Est-il prêt à donner, dans une perspective de dialogue, ses raisons en se fondant sur la raison ? Est-il prêt à examiner le fond de la violence religieuse qui s’accomplit en son nom ?

             Ces questions rejoignent celles qu’avaient posé Benoît XVI à Ratisbonne en 2006, lui valant alors un flot de critiques et la rupture des relations de l’université Al-Azhar avec le Vatican. Peut-être son unique tort fut-il d’avoir osé les poser trop tôt ? Nous avons besoin, sur toutes ces questions, de beaucoup de liberté de penser pour entrer de plain-pied dans ces dialogues à frais nouveaux.

     

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    Guillaume de Prémare

    Délégué général d’Ichtus

     

    Conférence donnée au Collège des Bernardins le jeudi 10 mars 2016 dans le cadre du séminaire « Laïcités et fondamentalismes » organisé par le département Recherche (Société, liberté, paix) des Bernardins, en partenariat avec Ichtus, Les poissons roses, l’Institut catholique de Paris et Fondapol.
    Titre initial : La libre-pensée face au retour de Dieu

     

     

    [1] Augustin Del Noce, Le dialogue entre l’Église et la culture moderne, 1964

    [2] Pierre Manent, Situation de la France, Editions DDB, p. 123

    [3] Cardinal Joseph Ratzinger, homélie lors de la missa pro eligendo romano pontefice, 18 avril 2005

    [4] Page 128

    [5] Pierre Manent, La cité des hommes, 1994

    [6] Éditions Les liens qui libèrent, 2015

     

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  • Laïcité et laïcisme. Société atomisée et perte de sens : Les gisements du fondamentalisme ultra moderne

    Logo-ImageCollgBernardins.jpgLaïcité et sociabilité
    aux Bernardins

     
             Dans une société divisée de croyance l’appel à la laïcité peut-elle fonder la sociabilité ? La laïcité peut-elle permettre de vivre ensemble en paix et nous protéger de la violence des fondamentalismes ?

             Après avoir recensé les relations et les domaines convoqués par la laïcité, je vous propose d’identifier certaines des causes de l’incompréhension et des ruptures susceptibles d’entretenir ou provoquer les réactions fondamentalistes. Dans un troisième temps nous considérerons ensemble des chemins pour fonder la sociabilité dans un pays divisé de croyance pour vous soumettre quelques propositions.

     

     

    1. 12628351_10208920138906896_5885893510531653878_o.jpgLes dimensions de la laïcité

             Dans notre civilisation occidentale, la laïcité – comprise comme distinction du temporel et du spirituel – a été, au fil de l’histoire, une revendication constante, portée tantôt par les clercs et tantôt par les laïcs.

             Il est bon de se rappeler, comme l’a montré Jean-François Chemain, que la laïcité fût d’abord une revendication de l’Église vis à vis de l’Empereur au nom de la distinction des pouvoirs spirituels et temporels. Les chrétiens furent persécutés pour leur refus de rendre à César le culte qu’ils réservaient à Dieu. Plusieurs siècles furent le théâtre de cette rivalité du pouvoir du prince et de celui de l’Église et de ses clercs. L’Église en tant que peuple de Dieu a toujours eu une organisation hiérarchique réservant aux clercs le magistère spirituel et moral pour dire la Foi et la vérité sur le bien. L’histoire de France a été profondément marquée par cette difficulté continue du politique pour s’affranchir au nom du bien du peuple (laos) du pouvoir de ses clercs (ceux qui ont le pouvoir spirituel, celui de la science, celui de la formation et de l’information) et donc autrefois de l’Église. L’État, qu’il soit monarchique où républicain, a toujours revendiqué au nom même de l’enseignement de l’Église « l’autonomie des réalités terrestres » telle qu’elle a été formulée par le Concile Vatican II.

             Mais en même temps, l’autorité politique n’ayant pu abolir le pouvoir des clercs, a toujours eu aussi la tentation de l’instrumentaliser en le choyant ou en en faisant son interlocuteur privilégié.

             L’anticléricalisme est une constante de notre histoire, inséparable de la volonté concomitante de mettre le pouvoir spirituel au service du pouvoir temporel. « Évêque, je meure par vous ! » dira Jeanne au moment d’être condamnée pour avoir refusé de dire à l’inquisition des clercs partisans du roi anglais, sa mission temporelle de laïc au service de la France. « Le cléricalisme voilà l’ennemi[1] » dira Gambetta et le Pape François ne sera pas en reste sur la formule : « Il y a un mal complice, parce que la tentation de cléricaliser les laïcs plaît aux prêtres, mais tant de laïcs, à genoux, demandent d’être cléricalisés, parce que c’est plus commode, c’est plus commode !… Nous devons vaincre cette tentation… Pour moi, le cléricalisme empêche la croissance du laïc[2] ».

             Nous voyons donc que dans l’Église catholique la relation clercs et laïcs n’est pas un sujet facile, même si le Concile Vatican II a reconnu la vocation de Prêtre, de Prophète et de Roi de tous les enfants de Dieu. La structure hiérarchique de l’Église permet-elle aux clercs de représenter les laïcs auprès de l’État ? La République depuis Napoléon en fait l’hypothèse par ce que cela serait plus facile mais la tentation de collusion peut être grande et les chantages toujours possibles. Les clercs catholiques sont-ils toujours libres de leur position vis à vis de l’État ? La réaction récente du Ministre de la Santé contre la déclaration d’un évêque n’illustre-t-elle pas la prétention de régenter la parole des clercs ? Le silence des clercs n’est-il pas parfois le fait d’une certaine soumission au pouvoir politique ou la volonté au contraire de ne pas se laisser instrumentaliser ?

             L’acception républicaine de la laïcité porte cet héritage, même si elle s’est exprimée, historiquement, sous le visage d’une rupture.

             Soyons réaliste, aujourd’hui le pouvoir des clercs, le pouvoir de dire la vérité sur le bien, appartient beaucoup moins aux prêtres et aux religieux de l’Église catholique, qu’à ceux qui font l’opinion. Il est intéressant de noter par ailleurs la collusion des pouvoirs économiques et politiques pour contrôler les médias, nouveaux faiseurs de rois.

             Quoi qu’il en soit, certains diront que les relations avec l’Église catholiques sont apaisées et souhaiteraient reproduire le modèle de relation établie avec sa hiérarchie pour avoir une relation équivalente avec l’Islam au travers du Conseil Français du Culte Musulman. N’est-ce pas sur ce modèle que l’État avait réussi en son temps à normaliser les relations avec le Consistoire central israélite de France en 1808 ou la Fédération protestante de France constituée en 1905 ?

             La laïcité peut ainsi être perçue comme un objet substantiellement chrétien, difficile à harmoniser avec la tradition de l’Oumma, où la religion tend à structurer la culture, les mœurs et l’ensemble de la dimension sociopolitique. Dans ce contexte, l’appel à la laïcité pour régler les relations avec l’islam est complexe. La laïcité protège et réglemente la liberté de religion, mais elle ne couvre pas les mœurs et les modes de sociabilité qui fondent la vie en communauté. La laïcité ne peut être l’arbitre des « visions de l’homme », de l’anthropologie, des interdits, des obligations et des valeurs inspirées par chaque religion. Par le passé, il est arrivé que l’État devienne, par nécessité, l’arbitre de la sociabilité entre les citoyens. Mais ceux-ci partageaient alors très majoritairement une même vision de l’homme et la même incarnation française d’une culture pétrie par le christianisme.

    1. 12698587_10208920135906821_4120861061231378408_o.jpgL’incompréhension et les ruptures

             La situation de la France pour reprendre le diagnostic de Pierre Manent a donc changé. La pratique d’une religion qui n’existait pas en France en 1905, se développe aujourd’hui très rapidement avec les vagues d’immigrations successives. L’année 2015 aura marqué un tournant dans la prise de conscience de cette réalité complexe.

             Notre manière de vivre ensemble se heurte aujourd’hui à des confrontations anthropologiques marquées par notre héritage culturel et religieux, avec des différences qui semblent parfois irréductibles, par exemple dans notre vision de l’amour humain comme don libre et réciproque de l’homme et de la femme à égalité. C’est bien cette « marque chrétienne » qui nous fait refuser la polygamie, que nous voyons comme soumission et instrumentalisation. Nous sommes également héritiers d’une certaine vision du travail et de l’activité humaine, comme participation à la création en vue du bien commun. Dans notre culture, ce n’est pas Dieu qui fait « tout » et qui soumet l’homme à l’obéissance à ce « tout ».

             Bien sûr la société utilitariste ou matérialiste génèrent aussi des pratiques qui instrumentalisent la femme, le corps, la nature, le travail et la vie. En démocratie, la liberté existe au moins théoriquement de faire valoir un autre regard et de s’insurger contre les logiques d’exploitation qui vont à l’encontre des droits de l’homme. Mais les musulmans fondent leur vision sur une obéissance à une révélation et des livres saints qui ne peuvent être discutés. Comment se rencontrer ?

             Nous sommes également confrontés à de nouvelles ruptures fabriquées par la loi et par nos pratiques postmodernes, qui construisent les arguments d’une incompréhension irréductible : le droit au blasphème sans limite ; le mépris irréligieux du repos dominical ; l’avortement sacralisé comme droit fondamental ; la dénaturation du mariage etc. Le fossé anthropologique et culturel se creuse.

             Pour le combler, la tentation existe d’aller plus loin que des lois de protection de la liberté religieuse, en définissant par la loi, le permis et l’interdit dans les domaines des mœurs et de la culture. Le surgissement d’une sorte de « Charia laïque » n’est pas à exclure.

             Or en multipliant le catalogue des permissions et surtout des interdictions, on exaspère les tensions entre les acteurs de transgressions toujours plus fortes et les fidèles d’une religion qui se sentent offensés. Ce fondamentalisme législatif, au nom de la laïcité, encourage la révolte du fondamentalisme au nom de la religion.

             Or, nous devons trouver la manière juste de fonder la sociabilité dans notre société divisée de croyances.

    1. 11412345_659753040823299_3629092463104494234_n.jpgComment fonder la sociabilité dans une société divisée de croyances ?

             Devant l’ampleur de la présence des musulmans en France, Pierre Manent, peu suspect de relativisme, déclare que notre régime politique doit céder et se résoudre à une politique possible, une politique défensive[3].

             Pour certains musulmans, il y a une charia islamique qui codifie la loi, les mœurs, les coutumes et la vie en société à partir d’une révélation intangible écrite et immuable. Mais il n’y a jamais eu de charia catholique qui définirait la loi à partir d’une révélation ou d’un sentiment religieux. Comme le disait Benoît XVI au Bundestag en septembre 2012 : « Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, ni un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources du droit ».

             Concernant la loi, nous devons donc rester fidèles à notre héritage chrétien en la fondant sur la nature et la raison, sans opposer un arbitraire laïc à la loi islamique. Si le religieux vient à se montrer déraisonnable, l’État est fondé en effet à intervenir, mais la loi ne peut tout régenter. Nous devons définir, par la raison, un socle commun de sociabilité, compatible avec une laïcité protectrice de la liberté religieuse : « Sans ce socle commun, il ne pourrait s’établir dans une société pluraliste qu’une unité de façade prompte au désaccord », souligne Mgr Ravel[4].

             Tout doit être fait pour rendre possible une rencontre basée sur l’expérience et la raison critique. Ce n’est pas en sacralisant nos envies non régulées par la raison, et donc forcément diverses et concurrentes, que nous pourrons trouver les fondations d’une sociabilité française. Au contraire, il nous faut remonter à la source commune de la création, de la nature humaine et d’une culture centrée sur le bien de la communauté, elle-même au service de la personne. Pour Pierre Manent, le projet républicain a d’essentiel « la visée d’une chose commune, ou d’une amitié civique (…) à élaborer avec nos concitoyens musulmans, comme avec tous les autres, mais il nous faudra construire communauté et amitié sur d’autres bases que celles de la République laïque, ou au moins de l’interprétation dominante et pour ainsi dire scolaire de celle-ci[5] ».

    La démarche ne peut-être qu’humble et modeste. Il s’agit de faire se rencontrer des expériences vécues et des contributions rationnelles à la vie commune. Pour que l’adhésion à la Nation que propose Pierre Manent soit opérante face à l’attraction de l’Oumma, il faut en faire aimer le patrimoine et les fruits.

    Il y a un « socle commun » de la vie à la française à faire aimer. « De remède, disait Simone Weil[6], il n’y en a qu’un : donner aux français quelque chose à aimer. Et leur donner d’abord à aimer la France. Concevoir la réalité correspondant au nom de France de telle manière que, telle qu’elle est, dans sa vérité, elle puisse être aimée de toute son âme ». Vivre ensemble commence par le partage des objets aimés.

             Simone Weil incarne son propos en faisant une synthèse de notre histoire et de notre principe d’unité qui fait notre personnalité pour nous inspirer aujourd’hui.

             « Grâce à ce que Michelet appelle un « puissant travail de soi sur soi », dit-elle, se sont élaborés un certain accord sur de grands principes de l’existence, un compromis harmonieux et efficace entre l’autorité de l’État et la liberté du citoyen, entre l’affirmation des devoirs et l’expression des droits ; c’est à ce style de vie que participeront les nouveaux arrivants… ».

             C’est donc la France elle-même, son histoire et ce style de vie qu’il faut donner à aimer et faire aimer. Une heureuse sociabilité n’exige pas qu’on détruise ou qu’on taise ce qu’il y a de plus UN, ce qu’il y a de plus intimement vivant dans l’évocation, par exemple, de la catholique Jeanne d’Arc, du protestant Ambroise Paré, du juif Henri Bergson, de l’incroyant Jean Rostand.

             L’expérience des écoles Espérance banlieue aujourd’hui en témoigne. Connaître, aimer, respecter : de la connaissance vient la reconnaissance.

    12646709_10208920132826744_8187243206975859802_o.jpgConclusions et propositions

             La sociabilité, l’amitié civique est plus large que la seule question de la pratique religieuse et de la laïcité.

             Dans les faits aujourd’hui, il n’y a pas de problème entre la cathédrale et la mosquée… Mais entre les personnes qui vivent dans le même immeuble, le même quartier, la même entreprise.

             À ne vouloir agir que par en haut, il y aurait une tentation à vouloir que l’État définisse avec le clergé des différentes religions, les modalités pratiques et le socle commun de la sociabilité dans l’entreprise, à l’école ou dans les quartiers… Est-ce crédible ?

             Dans le cadre de ce colloque, il est demandé de soumettre des propositions à votre critique pour trouver un chemin. Je me risque aux propositions suivantes : plutôt que de vouloir légiférer dans le détail et instrumentaliser les clergés pour contrôler leurs fidèles :

                      pourquoi ne pas constitutionaliser par en haut des principes fondamentaux de la sociabilité à la française comme « le droit au visage », la « liberté personnelle du mariage » et « la monogamie ».

                      et renvoyer en bas, au niveau des communautés de destin, la promotion d’une culture de la rencontre fondée sur l’amitié politique capable de transcender volontairement les différences. Une culture de liberté et de responsabilité.

             S’il faut résister à la tentation du « cléricalisme », il nous semble en définitive qu’il faut faire de l’amitié politique, non seulement le but de l’action mais aussi son chemin privilégié en faisant aimer une vie incarnée à la française, une vie dans la « douce France ». On se sert d’une montre sans aimer l’horloger, mais on ne peut pas écouter avec attention un chant parfaitement beau sans aimer l’auteur du chant. On ne peut pas aimer la beauté de la France sans aimer les Français.

             Pour cela comme le disait Gustave Thibon après Platon : « Il ne faut pas chercher à faire l’UN trop vite ». Nous croyons en effet avec Saint-Exupéry que : « Si le respect de l’homme est fondé dans le cœur des hommes, les hommes finiront bien par fonder, en retour, le système social, politique, économique qui consacrera ce respect[7] ».

     

    Logo Ichtus.jpgBruno de Saint Chamas
    président d’Ichtus
    11 février 2016
    Collège des Bernardins

     

     

    [1] Gambetta, Chambre des députés, 4 mai 1877.

    [2] Pape François, Message aux membres de l’association Corallo, Rome, le 22 mars 2014.

    [3] Pierre Manent, Situation de la France, DDB 2015, pp. 68-71 : « Considérés en tant que groupe, ou partie de la société française, les musulmans tendent à se conduire comme des musulmans, à suivre la règle des mœurs de leur religion, en tout cas à prôner cette règle des mœurs ou à la considérer comme « devant être suivie »… Ce fait social est aussi le fait politique majeur que nous avons à prendre en compte… Je soutiens donc que notre régime doit céder, et accepter franchement leurs mœurs puisque les musulmans sont nos concitoyens. Nous n’avons pas posé de conditions à leur installation, ils ne les ont donc pas enfreintes. Étant acceptés dans l’égalité, ils avaient toute raison de penser qu’ils étaient acceptés comme ils étaient. Nous ne pouvons pas revenir sur cette acceptation sans rompre le contrat tacite qui a accompagné l’immigration durant les quarante années qui viennent de s’écouler… C’est pourquoi je soutiens que notre politique ne saurait être que défensive. Elle sera défensive parce que nous sommes forcés de faire des concessions que nous préférerions ne pas faire, ou d’accepter une transformation de notre pays que nous aurions préféré éviter, ou qui même parfois nous attriste profondément. Ce sera néanmoins une politique défensive parce que, avec toute notre faiblesse, nous avons encore de la force, que nous disposons encore de grandes ressources morales et spirituelles susceptibles d’être ranimées, activées et mobilisées pour que le changement inévitable soit contenu dans certaines limites, et que la physionomie de notre pays reste reconnaissable. C’est ici que nous entrons dans le domaine d’une politique possible également éloignée des rêveries de la « diversité heureuse » et des velléités mal refoulées d’un « retour » des immigrés chez eux. »

    [4] Mgr Ravel, Lettre pastorale sur les rapports entre les religions et l’État, 2011.

    [5] Pierre Manent, Situation de la France, DDB 2015, P58.

    [6] L’enracinement, 1949

    [7] Saint-Exupéry, Lettre à un otage, 1943.

     

    Images : ©Collège des Bernardins

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  • Le manteau de saint Martin ou le Cœur de Dieu donné en partage

    Adoration ihs SC Saint Martin.jpg         « Comment faire pour que les urbains se sentent concernés par la question de la campagne ?* ». Commencer l’Adoration Saint Martin en ville pour la faire rayonner dans les campagnes.

             En ville, j’ai été touchée par les sdf, par la dignité humaine mise au ban de la société.

    Les pauvres, ces étrangers, rendus étrangers par leur extrême misère sociale, se voient en rupture d’avec les autres, dangereusement isolés. Les sdf sont les premiers étrangers et pauvres à avoir besoin de la reconnaissance de leur dignité, de l’espace sacré qui est en eux et qui les garde profondément ancrés dans l’humanité.

             Quand saint Martin descend de son cheval et donne la moitié de son manteau au déshérité à la porte d’Amiens, Martin donne son amour à cette personne interdite de cité, déchue de la ville ou venant de la campagne pour y trouver de quoi subsister, y faire l’aumône. Chaque sdf est un étranger, un campagnard dans la ville, un déchu de civilité, un paysan, un païen urbain, un rejeté de la cité, un citoyen d’outre zone. Il n’a plus son mot à dire ni sur lui-même, ni sur la société qui l’a laissé se perdre, a encouragé, même par omission, la violation de sa personne jusqu’à une forme d’anéantissement. C’est la néantisation de l’homme, la négation de son humanité dont est coupable notre système anthropologique malade qui réduit l’homme à l’homo economicus, au matérialisme, à l’instrumentalisation des « couches hautes » de la personne humaine.  

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             La charité de saint Martin ne fait pas que préserver du froid un homme, en cet hiver de l’an 353-354. Elle lui fait revêtir son humanité, sa dignité de personne en créant un lien fort et symbolique : la moitié de la chape que porte Martin est sur les épaules du miséreux. C’est le sens même du symbole : deux moitiés d’un même objet, qui, se retrouvant s’assemblent et font se reconnaître comme les deux parties d’un seul et même objet. La chape de saint Martin devient le symbole de l’unité, de l’union par excellence. Cette chape rouge de la charité est la pièce de tissu unique de la communion. « Un cor unum et anima una ». « Un seul cœur et une seule âme », voilà ce que dit le geste de saint Martin, qui n’est pas encore baptisé ce jour-là, recouvrant les épaules du pauvre de la moitié de son manteau. Martin transmet l’amour du Christ au pauvre, il le partage.

             C’est bien le Cœur de Dieu qui est donné-là en partage. C’est bien un geste de communion d’amour. Un geste eucharistique. Il partage le Cœur du Christ quand il pose sa chape sur les épaules du malheureux. Il donne un aperçu de l’amour eucharistique de Jésus : ce manteau partagé, c’est comme le pain rompu puis distribué. Le Cœur du Christ étant compris dans la sainte Eucharistie, enceint en elle… ce Cœur rayonne dans la blancheur de l’hostie consacrée… le Cœur de Dieu est dans le Corps du Christ sur l’autel…


    saint martin, miséricorde divine, adoration saint martin, eucharistie, sacré cœur, sacré coeur, christianisme, foi, la france         Martin revêt le corps du pauvre du Corps du Christ quand il le vêt du manteau partagé. Le geste de Martin est eucharistique. La porte d’Amiens, au ban de la ville, et déjà seuil de la campagne, devient un lieu consacré comme un autel par le geste eucharistique de Martin descendant de son destrier et jetant la moitié de sa chape sur les épaules du démuni. C’est le sacre du misérable. Une onction d’amour sur un corps banni, et en son âme. Par ce geste, Martin devient prêtre. Le corps du malheureux est à la fois autel et sur l’autel. Son corps et son âme sont rendus sacrés par le geste rempli de l’Esprit de Jésus dont Martin est agi. À la porte d’Amiens, au ban de la cité, au seuil de la campagne, ce lieu où la rencontre de Martin et du misérable se déploie devient (con)sacré par ce geste rempli de l’onction divine, de la Miséricorde.
     

             Toute la personne du misérable est ainsi revêtue du Cœur et du Corps du Christ. « Un cor unum et anima una ». Un seul corps et une seule âme en Jésus, communion de deux êtres en l’amour du Christ. 

             Ainsi, le lieu de l’action où se donne en partage le Cœur et le Corps de Dieu fait homme en Jésus, par Martin, ni ville ni campagne, plus ville, pas encore campagne, no man’s land, cette banlieue est aussi consacrée par l’onction divine contenue dans l’acte eucharistique du partage et du don de le moitié de son manteau de Martin. 

             Le cheval, un genou à terre, incline sa tête devant la scène.

     

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    Jehanne Sandrine du Sacré Cœur & de la Sainte Eucharistie

    14-21 février 2016

     

     

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    Adoration Saint Martin

            

    * Question posée par Michel Corajoud, paysagiste à Paris, dans le documentaire de Dominique Marchais, Le temps des grâces.

     

    Images
    La Charité de saint Martin.
    Manuscrit France du Nord, 1280-1290 - Bibliothèque Nationale  
    Charité de saint Martin. Église Saint-Martin de Donzenac. Limousin. 

     

     

     

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  • Une forme de résistance certaine : le Congrès Eucharistique International, depuis 1881

    Retrouvez cet article sur la page enrichie consacrée à
    saint Pierre-Julien Eymard,
    Apôtre de l'Eucharistie, un saint pour notre temps

     

    Émilie-Marie Tamisier.jpg

     

    À LA MESSE DE CONSÉCRATION DE LA FRANCE
    AU SACRÉ CŒUR À PARAY-LE-MONIAL,

    EN 1873, ÉMILIE TAMISIER
    DÉCOUVRE SA MISSION :
    SE CONSACRER AU SALUT DE LA SOCIÉTÉ
    PAR LE BIAIS DE L’EUCHARISTIE

     

    LogoChapStSacrement CorpusChristi.jpg         Voici ce que le biographe de saint Pierre-Julien Eymard, le Père André Guitton, sss — qui, depuis plus de 40 ans, vit tout contre le gisant du saint, Chapelle Corpus Christi, au 23 avenue de Friedland, Paris 8ème, et qui fut le Provincial de la Congrégation du Saint Sacrement nous a communiqué lors de notre dernière rencontre à la Fraternité Eucharistique. Le 51ème Congrès Eucharistique International se tient à Cebu (Philippines), du 24 au 31 janvier 2016, sur le thème : « Le Christ parmi vous, l’espérance de la gloire » (Col 1,27). Voici l’histoire fort intéressante des Congrès Eucharistiques Internationaux, nés en plein anticléricalisme en 1881. Une forme de résistance certaine…

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    Par le Père Vittore Boccardi, sss, secrétaire du Comité pontifical des congrès eucharistiques.

     

             À l'occasion de ce Congrès Eucharistique International, nous organisons une heure d’adoration à la Chapelle Corpus Christi - 23 avenue de Friedland, Paris 8 (M° Charles de Gaulle Étoile / Georges V) - le jeudi 28 janvier, après la messe de 18h30, jusqu’à 20h. (Voir l’événement Facebook).
    Tout contre la châsse du Père Eymard…

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    HISTOIRE ET SPIRITUALITÉ DES CONGRÈS EUCHARISTIQUES MONDIAUX

             Le 51e Congrès eucharistique international aura lieu à Cebu, aux Philippines, du 24 au 31 janvier prochain. Le choix des Philippines avait été annoncé par le pape Benoît XVI dans son message transmis durant la messe de clôture du congrès de Dublin (17 juin 2012) : « Je voudrais vous inviter à vous joindre à moi pour invoquer la bénédiction de Dieu sur le prochain Congrès eucharistique international, qui se déroulera en 2016 dans la ville de Cebu ! J’adresse au peuple philippin mes vœux chaleureux, l’assurance de ma proximité dans la prière. »

    Les congrès eucharistiques internationaux

    St P-J Eymard Adoration Eucharistique.jpg         On pourrait croire que les Congrès Eucharistiques Internationaux sont des reliques du passé désormais difficiles à insérer dans le monde d’aujourd’hui. Comme de vieux parements de sacristie autrefois brillant d’or et aujourd’hui défraîchis, ils rappellent à beaucoup une époque : celle des manifestations populaires, fin XIXe début XXe siècle, organisées pour célébrer la royauté du Christ dans les plus grandes capitales du monde, les interminables processions auxquelles assistaient des centaines de milliers de fidèles, les gestes de culte rassemblant des masses d’adorateurs pour rendre des hommages de foi, d’amour et de réparation à Jésus Christ, Dieu caché sous les voiles du Sacrement, « profané par les impies, ignoré par les pouvoirs publics ».

             Que les congrès eucharistiques viennent du passé, cela est un fait. En effet, leur apparition date de la seconde moitié du XIXe siècle ; à l’époque des mouvements populaires, de la démocratie représentative et de la presse, les catholiques de France se servirent des congrès comme nouveau moyen pour rendre compte publiquement – dans une perspective internationale – de la vaste activité liée à la dévotion eucharistique. Malgré un environnement culturel où « le catholicisme intransigeant » de France connaissait sa forme la plus rigide, voyant la piété eucharistique comme un moyen pour reconstruire la société chrétienne démolie par la Révolution française, ces congrès devinrent immédiatement des laboratoires de réflexion et une caisse de résonnance pour proclamer, dans l’espace social, la vitalité de la foi et de l’Eglise.

    Émilie-Marie Tamisier.jpg         On doit le lancement de ces congrès eucharistiques au profil spirituel et singulier de mademoiselle Émilie Tamisier (1843-1910). Emilie avait une vie intérieure inquiète, tourmentée, et avait pour maîtres deux grands saints. Après Pierre-Julien Eymard (le fondateur des Religieux du Saint-Sacrement, 1811-1868) chez qui elle absorba cette exigence de recourir à l’Eucharistie pour favoriser la reconstruction de la société, Antoine Chevrier (1826-1879) l’entraînera dans la patiente recherche de sa vocation. Et en 1873, alors qu’elle assistait à la messe de consécration de la France au Sacré Cœur à Paray-le-Monial, elle découvre sa mission : « se consacrer au salut de la société par le biais de l’eucharistie ».

             Un vaste réseau de relations ecclésiastiques commence alors à se tisser lentement, donnant lieu au premier des congrès, célébré à Lille en 1881, dans le Pas-de-Calais, au nord de la France. Mais en quelques années, le petit grain semé s’est mis à pousser et a fini par se transformer en un mouvement mondial capable d’atteindre – en passant par les capitales européennes – les plus grandes villes de tous les continents : Montréal (1910), Chicago (1926), Sidney (1928), Buenos Aires (1934), Manille (1937), Rio de Janeiro (1955). Faisant résonner la voix de tous ceux qui ont fait l’histoire de l’Eglise au siècle dernier, et mettant sous les feux des projecteurs des aspirations religieuses, des nouveautés liturgiques et d’urgentes questions sociales.

             Ainsi, chemin faisant, le mouvement des congrès eucharistiques a façonné sa nouvelle identité, intégrant progressivement les acquisitions du mouvement liturgique, en se mettant au service de l’Eglise universelle, s’ouvrant aux horizons les plus vastes de la mission et mûrissant – grâce aux apports des mouvements biblique, patristique et théologique – une compréhension plus complète de l’eucharistie. A la veille du concile Vatican II, au 37e Congrès eucharistique international, qui a eu lieu à Munich, en Bavière, à l’été 1960, les vieilles raisons qui avaient motivé ces congrès furent surmontées. On commençait à voir ces grandes réunions internationales comme une statio orbis, un temps d’arrêt pendant lequel le peuple de Dieu pèlerin sur terre se réunissait pour célébrer l’eucharistie et construire une communion ecclésiale. Le mouvement eucharistique, ainsi déclenché au niveau mondial, a évolué au fil de l’histoire et, avec d’autres mouvements ayant marqué le XXe siècle, a aidé à donner à l’Église sortie de Vatican II un nouveau visage, en la ramenant à sa source eucharistique.

    Un congrès en Orient

             Le rendez-vous de Cebu est particulièrement important sous divers profils : tout d’abord sous un profil, disons, géographique, puis historique et missionnaire, et enfin lié à l’évangélisation moderne de l’Asie proprement dite.

             Le profil géographique est lié directement au choix de la ville appelée à accueillir le congrès. A près de 11 000 km de l’Italie, Cebu se trouve en quelque sorte en plein cœur de l’Asie orientale, à un peu plus de deux heures d’avion de Hong Kong, Taïwan, du Vietnam, et relativement près de la Corée du Sud, du Japon, de l’Inde et de l’Australie. A Cebu, pour le 51e Congrès eucharistique international, pourront venir tous ces chrétiens qui, à cause des distances et des coûts prohibitifs, sont souvent exclus des grands événements internationaux.

             C’est là, à Cebu, au centre de l’archipel philippin, que l’explorateur Fernand de Magellan a débarqué en 1521. Selon un récit de Pigafetta, Magellan fut accueilli chaleureusement par le roi indigène Humabon qui, un peu plus tard, se convertira au christianisme, avec la reine Juana et 400 de ses sujets. Pour commémorer l’événement Magellan fit don à Juana d’une statuette de l’Enfant Jésus (Santo Niño) et dressa une croix sur les lieux mêmes de la conversion. La fête du Santo Niño tombe le troisième dimanche de janvier. Elle est encore aujourd’hui, pour tous les catholiques philippins, une des fêtes religieuses les plus importantes.

             D’un point de vue historique et missionnaire, le choix des Philippines – seul pays d’Asie à majorité catholique – constitue un défi important pour l’Eglise de cet énorme continent.

             Naturellement, l’Évangile s’était déjà répandu sur le continent bien avant l’arrivée des Espagnols, il y a près de 500 ans. Disons même que tout a commencé au fin fond de l’ouest de l’Asie, à Jérusalem, où Jésus souffla l’Esprit Saint sur ses disciples et les envoya jusqu’aux extrémités de la terre. C’est d’ailleurs pourquoi, en 1998, l’assemblée spéciale pour l’Asie du synode des évêques avait dit que l’histoire de l’Église en Asie était aussi ancienne que l’Eglise primitive. En effet, c’est sur le sol de cet immense continent qu’est née la toute première communauté à avoir reçu et entendu l’annonce évangélique du salut. Les apôtres, obéissant aux ordres du Seigneur, y prêchèrent la Parole et implantèrent les premières Églises.

             Après les apôtres, l’évangélisation de l’Asie est passée aux mains des missionnaires syriens qui fondèrent des sièges épiscopaux au cœur du continent et en Mongolie. A partir du XIIIe siècle, ce sont les franciscains qui ont pris la relève, puis à partir du XVIe siècle, les jésuites. Au XIXe siècle, un grand nombre de congrégations religieuses se sont lancées à leur tour et, sans réserve, ont contribué à l’édification des Eglises locales, évangélisant et développant toute une série d’activités formatrices et caritatives.

             Mais tous ces efforts se sont révélés insuffisants pour acculturer la Bonne Nouvelle, si bien que pour les peuples du continent – mystère de l’histoire du salut ! – le Sauveur du monde, né en Asie, reste encore largement méconnu. À l’exception des Philippines, le christianisme forme aujourd’hui, en Asie, « un petit reste », une minorité néanmoins vive et généreuse.

             Selon les dernières statistiques de l’Annuaire du Vatican, l’Asie compte 134 millions de catholiques, soit 3 % des habitants du continent, mais 11 % des catholiques du monde. Le pape, à ses derniers voyages, est allé dans les pays où le nombre de catholiques est supérieur à la moyenne, mais le catholicisme croît aussi ailleurs, surtout en Chine, en Inde et au Vietnam. Au Vietnam, la croissance est exponentielle : de 1,9 million de catholiques en 1975 à 6,8 millions aujourd’hui.

             Par conséquent, le troisième profil du Congrès de Cebu est lié à l’évangélisation moderne de l’Asie. Au-delà des chiffres, relativement bas, l’Eglise en Asie incarne le défi à vivre et imaginer le christianisme sous des formes historiques autres que celles auxquelles nous sommes habitués en Occident. Car l’Asie n’a jamais vécu les dynamiques – également politiques – héritées de l’empire de Constantin ou de Charlemagne. En Asie, aucun pays n’a jamais vécu lui-même comme une societas cristiana.

             L’Église d’Asie s’inscrit dans un contexte social fait de périphéries et de frontières, de fortes tensions et de conflits de nature religieuse, politique et sociale. Ces quarante dernières années, le continent a cherché à forger sa propre identité en payant souvent le prix d’un esprit nationaliste agité de sentiments anti-occidentaux. La mondialisation a entraîné un processus de modernisation et de changements rapide. Et elle s’accompagne souvent de phénomènes de sécularisation tandis que des agglomérations urbaines entières, minées par la criminalité, l’exploitation des plus faibles, les luttes, ne cessent de créer des situations d’urgence.

             D’autre part, la diversité des nombreuses cultures et identités nationales du continent issues d’une multiplicité de grandes traditions religieuses sont aujourd’hui, plus qu’hier, à l’origine de tensions et conflits cyniquement instrumentalisés.

             Mais le fait que l’on continue à associer l’Église catholique à l’Occident, parce qu’elle dépend de règles, de financements et d’autorités occidentales, constitue encore aujourd’hui le plus sérieux des obstacles à la mission, créant des difficultés à la grande majorité des asiatiques. L’Église est souvent perçue comme un corps étranger, détaché de la structure religieuse et culturelle du continent.

             Les Philippines, dans ce panorama, représentent la seule vraie exception. Dans l’archipel, qui s’étend dans le Pacifique, la religion chrétienne apportée par les Espagnols s’est greffée sur les cultures et religions traditionnelles, obtenant un résultat qu’aucun autre pays d’Asie n’a connu. Dans ce contexte, on comprend pourquoi, sur une population qui dépasse les 100 millions, les catholiques dépassent les 80 %, et le nombre annuel des baptisés est plus élevé qu’en Italie, France, Espagne et Pologne mises ensemble.

             Le pape François s’est rendu compte de tout cela et, au cours de ses voyages, d’abord en Corée (13-18 août 2014), puis au Sri Lanka et aux Philippines (12-19 janvier 2015), il a pu le souligner, faisant valoir le défi que représentait l’évangélisation sur ce continent.

    Le 51e Congrès eucharistique

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             Cebu est appelée « berceau du christianisme » et « reine du Sud ». C’est aussi la première ville fondée aux Philippines par les Espagnols qui, le 1er janvier 1571, rebaptisèrent le village royal de Sugbu (= Cebu, en langue locale) en « Villa del Santo Niño », le plaçant sous la protection de l’Enfant Jésus. Cinq siècles d’interaction entre la culture locale et le message chrétien ont porté à cette harmonieuse fusion que l’on appelle aujourd’hui « culture chrétienne philippine ». Les chrétiens qui arrivent à Cebu de tous les coins du monde se trouvent chez eux, au milieu de personnes qui partagent les mêmes aspirations et la même espérance qu’eux !

             La petite communauté chrétienne de Sugbu, sous la protection du Santo Niño, est devenue la deuxième concentration métropolitaine de l’archipel et un archidiocèse florissant de presque 5 millions de personnes, pratiquement toutes catholiques, avec un clergé actif et vaillant, des religieux (hommes et femmes) très actifs, et un nombre encourageant de séminaristes. Foi grandissante et vie chrétienne florissante furent une constante dans l’Eglise locale, et ça l’est encore aujourd’hui. Il suffit de penser à toutes les institutions et organisations catholiques, à tous les mouvements laïques prospères – sous la conduite de l’archevêque Mgr Palma – entre la hiérarchie et le clergé tant diocésain que religieux ; au gros travail d’évangélisation des prêtres et des agents pastoraux ; à ce profond sens ecclésial et religieux qui habite les gens.

             D’autre part, l’architecture religieuse laissée par l’Espagne, les interminables plages de sable blanc, bordées de palmiers qui donnent à la ville une atmosphère paradisiaque, la croissance de l’industrie touristique et hôtelière, font de cet endroit une destination du tourisme international.

             Le Congrès de Cebu n’est pas le premier congrès eucharistique international célébré aux Philippins. En 1937, Manille accueillit le 33e Congrès, le premier célébré en Asie. Ce congrès, qui connut un succès émouvant, fut sans aucun doute l’événement international le plus important jamais célébré jusqu’ici dans ce pays. Le 51e Congrès, célébré en ce mois de janvier 2016, sera tout aussi important. Il entre dans la « neuvaine d’années » que les chrétiens des Philippines célèbrent en ce moment pour préparer le 500e anniversaire de l’arrivée de la foi chrétienne dans leur pays.

             Le thème du congrès – « Le Christ parmi vous, l’espérance de la gloire » – fait l’objet d’un texte de base qui se concentre sur les rapports entre l’eucharistie et la mission à l’intérieur d’une Eglise qui se perçoit comme un événement missionnaire.

             La foi chrétienne ne tient pas seulement une place extraordinaire dans l’histoire des Philippines, elle est un phare dans sa vocation providentielle à évangéliser l’Asie. Cette évangélisation, depuis désormais des décennies, selon les conférences épiscopales présentes en Asie, passe par un triple dialogue avec les cultures et les religions, avec la masse de pauvres du continent et les jeunes dont l’Asie abonde. Enfin, à Cebu on prend conscience que pour célébrer un événement international de cette portée, on n’a pas besoin d’une métropole de premier choix, riche en structures, en espaces publics, et en qualités solides pour tout organiser. Ce qu’il faut, c’est plutôt un espace humain, voire relativement pauvre, qui soit en marge du monde, en marge du bien-être, mais riche en foi, où le peuple soit accueillant et généreux. On a besoin d’un terrain où l’annonce missionnaire de l’eucharistie croît et porte des fruits.

    La célébration du Congrès

             Pour présider l’événement de Cebu, le pape François a nommé un représentant spécial, le cardinal Charles Maun Bo, Archevêque de Yangon (jadis Rangoon), capitale du Myanmar (ou Birmanie). Le cardinal présidera ce dimanche 24 janvier la messe d’ouverture du Congrès qui aura lieu en plein cœur de la ville, sur la Plaza Independencia, en face du fort San Pedro, l’endroit des premières installations espagnoles de la zone.

             Parmi les milliers de pèlerins provenant de tous les continents (les pays représentés seront plus de 60) mais surtout des communautés chrétiennes d’Asie, on prévoit aussi la présence d’au moins 20 cardinaux, environ 200 évêques et des milliers de prêtres. Durant la semaine du Congrès, les participants célèbreront l’Eucharistie, prieront ensemble, se rassembleront en procession, interviendront aux catéchèses générales tenus par une quinzaine d’orateurs internationaux de premier choix, écouteront des dizaines et des dizaines de témoignages, débattront sur des thèmes religieux et pourront vivre une vraie solidarité ecclésiale. Le tout avec l’aide de 50 000 bénévoles et des paroisses de la ville qui ne ménageront pas leurs efforts.

             Le Congrès s’achèvera le dimanche 31 janvier par une messe célébrée dans un vaste espace capable de recevoir plus d’un million de fidèles, situé dans la South Road Property, la partie de la ville en plein essor.

             Tous ceux qui arriveront à Cebu de tous les coins du monde pour assister à ces « journées mondiales de l’Eucharistie », pourront vivre l’expérience d’une mission qui aujourd’hui, et pas seulement en Asie, se réalise à travers un échange de dons entre celui qui annonce et celui qui reçoit l’annonce évangélique. Dans cet environnement, très loin du labyrinthe rationaliste de l’Occident, on peut encore faire appel à l’intelligence des affects, à l’expérience de la pauvreté et de la souffrance pour ouvrir les cœurs et bâtir des communautés qui ont envie de « manger du pain dans le Royaume de Dieu » (cf. Lc 14,15).

     

    P Vittorio Boccardi sss.jpgP. Vittore Boccardi, sss,
    secrétaire du Comité pontifical des congrès eucharistiques

     

     

    Traduction complète de la présentation du P. Boccardi établie par & sur Zenit.


    Le programme et les informations se trouvent sur le site du Comité pontifical : www.congressieucaristici.va et sur le site du Congrès de Cebu : www.iec2016.ph

    Crédit photo du Père Vittore Boccardi : WIKIMEDIA COMMONS - Judgefloro

    51ème Congrès Eucharistique International.pdf

     

     

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  • Centralité de la personne humaine en politique : principes non-négociables ?

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    Y a-t-il de la place pour la miséricorde en politique ?

             Un Jubilé de la Miséricorde… Cela s’applique-t-il aussi à la politique ? C’est la dernière question qui a été posée aux intervenants des Universités d’été de la Sainte Baume au mois d’août 2015. Une vraie question en réalité pour le chrétien dont l’engagement coïncide avec la diaconie de la politique ! En cela il répond aux nombreux appels de l’Église, comme ceux du Pape François, qui a fait de ce service non pas une option mais bien un impératif. Ce faisant, le chrétien prend rapidement conscience que les premiers à le critiquer seront précisément ceux-là même qui l’ont invité à donner de sa personne. Ils lui diront qu’il ne s’est pas engagé au bon endroit !  Ainsi, les premiers obstacles rencontrés par le chrétien novice en politique sont… les chrétiens eux-mêmes, pour qui ce monde est vraiment peuplé de gens aux convictions élastiques et à la sincérité douteuse. On a ainsi vite fait de lui démontrer l’intransigeance des uns et le laxisme des autres. Non, vraiment, impossible de les fréquenter, encore moins de travailler avec ces personnes-là !

             Et si le débat politique consiste seulement à discréditer son adversaire ou s’il se réduit à l’art de la petite phrase, on est évidemment rapidement déçu et tenté d’abandonner la place à d’autres, plus habiles à ce jeu-là.

    Dialoguer plus que dénoncer

    miséricorde, politique         Petit retour en arrière… Octobre 1962, ouverture du Concile Vatican II, saint Jean XXIII trace les grandes lignes de ses travaux : un concile plus pastoral que doctrinal, préoccupé de présenter la doctrine avec les mots capables de rejoindre l’homme contemporain et non de condamner les opinions erronées. L’Église « préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. » Cette fois-ci, pas d’anathèmes ni d’excommunications, il ne s’agit pas de dresser l’inventaire des hérésies modernes, mais bien de mettre en valeur les pierres d’attente de l’Évangile présentes dans les différents courants de la culture contemporaine.

             L’intention première du Concile aurait-elle été oubliée, qui continue pourtant de constituer pour l’Église une boussole ? On n’a jamais entendu en effet autant de voix en France ces derniers temps pour dénoncer et pourfendre les options politiques des catholiques. Alors que la phrase du Pape François ne cesse d’être reprise en boucle, « qui suis-je pour juger ? », il semblerait que le domaine politique échappe encore à cette invitation. Il est plus aisé de recourir aux bons vieux Anathema sit  anté-conciliaires que de dialoguer et de permettre des échanges raisonnables. Permettez à ceux qui ont mérité cette excommunication en tentant d’organiser ce dialogue de faire quelques remarques.

    Le chrétien, un divergent ?

    ImageMiséricordeCarréeBlanc.jpg         Il n’est un secret pour personne que le catholique en politique est difficile à classer. On trouve des catholiques dans tous les partis français et si d’aventures on se risquait à prêcher l’ « union sacrée », on a vite fait de se voir rappeler que nous ne sommes plus au temps des croisades. Il suffit d’ailleurs qu’un parti revendique le qualificatif de chrétien pour que le catholique, qui reste français, retrouve ses ardeurs contestataires et rebelles. Les essais gallicans de démocratie chrétienne ont-ils d’ailleurs été suffisamment probants pour le lui reprocher ?

             Si la Doctrine Sociale de l’Église donne un certain nombre de principes et de critères de jugement, elle ne constitue pas en elle-même un programme politique et permet même à des options bien différentes de se réclamer d’elle. Ces principes d’humanité sont bien connus et souvent mentionnés à la veille de chaque échéance électorale. Découlant de la centralité de la personne humaine, si vous les appelez principes non-négociables, vous risquez déjà d’être catalogué.

             Quel parti peut prétendre aujourd’hui les défendre ou les bafouer tous ? La politique étant l’art du possible, l’engagement de chacun se fera en fonction de ceux auxquels il est le plus sensible, acceptant alors de côtoyer au sein d’un même parti des personnes aux convictions notablement différentes. Le principe de réalité fait que l’on est conduit à reconnaître que la politique n’est pas un absolu : salutaire prise de conscience pour éviter le risque de divinisation de ce qui doit rester de l’ordre du moyen. Cela étant posé, est-il possible de faire un pas de plus et d’affirmer sereinement que l’on rencontre des hommes de bonne volonté dans tous les camps ?

    Dans le parti point de salut ?

    ImageMiséricordeCarréeBleue.jpg         J’invite tous ceux qui dégainent déjà l’argument de la fausse naïveté à rentrer leur glaive et à essayer de me faire l’aumône de leur bienveillance. Je ne ferai pas la liste de toutes les positions clairement incompatibles avec l’Évangile : c’est à la fois facile et désespérant. La vérité impose de reconnaître qu’aucun parti n’est fréquentable pour un « bon chrétien », pas seulement un seul… Mais tous les socialistes sont-ils forcément idéologues, sectaires et laïcards ? Tous les Républicains sont-ils inévitablement hyper-libéraux, idolâtres de l’argent et francs-maçons ? Tous les écologistes sont-ils libertaires et révolutionnaires? Tous les membres du FN sont-ils racistes et antisémites? À l’évidence, non. Quant aux non-inscrits, sont-ils tous à mettre dans le sac des idéalistes au cœur pur ?

    Il y a un curieux mélange actuellement chez les jeunes chrétiens, soucieux de cohérence entre leur foi et leur engagement politique, de défenseurs des racines chrétiennes de la France, d’écologistes intégraux anti-libéraux, de serviteurs passionnés des plus pauvres, de militants fervents pour La famille et la vie humaine, d’adversaires d’une laïcité agressive et de partisans d’une coexistence active, de missionnaires ardents et d’organisateurs de dialogues improbables… J’allais oublier ceux qui souhaitent réveiller la vieille fibre anarchiste et révolutionnaire ! On est loin des caricatures à l’emporte-pièce d’une certaine « radicalisation des catholiques ».

    Miséricorde pour les politiques !

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             Est-ce que cette génération « Jean-Paul II », « Benoît XVI » ou « François » est plus utopique que les précédentes (remarquez que le Pape n’hésite pas à demander aux jeunes de « mettre le bazar ») ? Elle a au moins le mérite de prendre au sérieux l’Évangile, qui restera toujours un signe de contradiction. Aurons-nous l’honnêteté de les encourager dans leur désir de servir le bien commun sans pointer immédiatement du doigt les limites de cet exercice ? Saurons-nous respecter le sérieux de leur démarche sans les infantiliser par des accusations trop rapides ? S’il n’existe pas de « parti catholique », alors laissons ouvert le champ des possibles. N’allons pas immédiatement traiter de naïfs ceux qui rêvent d’un courant catholique social chez les socialistes ou les écolos, de supplétifs ceux qui militent chez les Républicains, d’intégristes ceux qui reprennent courageusement l’étiquette chrétienne et de fachos ceux qui croient à la possibilité d’un courant catho au FN…

             Année de la Miséricorde vous avez dit ? Ne retombons pas tout de suite dans les slogans trop faciles : pas de miséricorde pour les ennemis de la miséricorde… Et si l’on prenait cette année le risque de la miséricorde à propos de l’engagement politique ! Année 2016 : La Miséricorde Pour Tous ?

     

    Logo ObservatoirSocioPolitiq.jpgLouis-Marie Guitton
    Initialement publié dans l’OSP
    sous le titre Miséricorde & politique
    le 06/01/2016

     

     

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  • L'offrande intégrale de soi - Édith Stein & Etty Hillesum

    L'encielement Édith & Etty 9.jpg« Nous avons vécu une journée étrange, écrit Etty Hillesum dans ses Lettres de Westerbork[1], lorsqu'un transport nous amena des catholiques juifs ou des juifs catholiques – comme on voudra – nonnes et moines portant l'étoile jaune sur leur habit conventuel. Je me rappelle deux garçons, jumeaux dont le beau visage brun évoquait le ghetto et qui, le regard plein d'une sérénité enfantine sous leur capuce, racontaient aimablement – tout au plus un peu étonnés – qu'on était venu à quatre heures et demie les arracher à l'office du matin et qu'à Amersfoort on leur avait donné du chou rouge […] Et, dominant le tout, le crépitement ininterrompu d'une batterie de machines à écrire : la mitraille de la bureaucratie […] Plus tard, quelqu'un m'a raconté que le soir même il avait vu un groupe de religieux s'avancer dans la pénombre entre deux baraques obscures en disant leur chapelet, aussi imperturbables que s'ils avaient défilé dans le cloître de leur abbaye. » [2]

    Elle ajoute, dans un passage non publié en français de son journal : « [Rencontré aussi] deux religieuses, appartenant à une famille juive très orthodoxe, riche et très cultivée de Breslau, avec l'étoile jaune cousue sur leur habit monastique. Les voilà qui retrouvent leurs souvenirs de jeunesse. »[3]

     

    C'est ainsi que, peut-être l'instant d'un enregistrement administratif ou d'une brève conversation, Etty Hillesum et Edith Stein se sont croisées. Ce mince événement a une portée symbolique. Il en va ici comme de ces morceaux brisés des tessères antiques dont la réunion, sumbolon, dessinait une figure déchiffrable et permettait une reconnaissance entre les hôtes d'un jour, ou les partenaires d'une alliance. La rencontre fugitive et anonyme de ces deux femmes, héritières chacune du mystère d'Israël, dans un des lieux du déni le plus radical qui ait jamais été opposé à ce mystère, dessine elle aussi, de manière discrète mais décisive, une figure significative. Car Etty et Edith, deux brillantes figures de la culture européenne, dont l'une partait comme infirmière dans un hôpital militaire, en 14, avec les Ideen de Husserl et l'Odyssée d'Homère en poche[4], et dont l'autre arrive à Westerbork avec Rilke et Tolstoï dans son sac à dos, vont, chacune à sa manière, se dresser contre la logique de mensonge et de mort du nazisme avant d'en être les victimes. Elles ne le font pas par l'argumentation, ni par la résistance armée. Car la défense des réalités que le nazisme attaquait de plein fouet, la vérité et la vie, ne relève en dernière instance ni de l'argumentation, ni de la force. Elle relève de l'attestation. Attestation qui est plutôt, pour Edith, celle d'un indéfectible amour de la vérité, et pour Etty celle d'un non moins indéfectible amour de la vie. Mais à Westerbork, les témoignages que nous avons sur l'une et sur l'autre manifestent la convergence de ces deux voies dans l'humble amour du prochain.

     

    La lumière de la Croix

    L'enciellement Édith & Etty.jpgLa psychologie fut un des premiers intérêts d'Edith. Mais, après quatre semestres à l'université de Breslau, elle déchanta : « C'était dès le début une erreur de songer à faire un travail en psychologie. Toutes mes études en psychologie m'avaient seulement convaincue que cette science en était encore à ses premiers balbutiements […] Et si ce que j'avais appris jusque là sur la phénoménologie me fascinait tellement, c'était parce qu'elle consistait spécifiquement en ce travail de clarification et qu'on y forgeait soi-même dès le début les outils intellectuels dont on avait besoin. »[5] Exigence de fondation, exigence d'autonomie dans le discernement intellectuel : Edith a vingt ans, mais déjà elle est intellectuellement équipée contre toute espèce de dérive idéologique de la pensée, si l'idéologie commence avec le déguisement des présupposés en raisons, et l'abdication du jugement personnel. Commence alors un itinéraire qui, d’étape en étape, transfigure pour elle et en elle les termes de science et de vérité. C'est d'abord la rencontre avec « la phénoménologie comme science rigoureuse », en un sens nouveau du terme de science, faisant droit à l’esprit comme esprit et à l'âme comme âme. Mais l'attention du phénoménologue à l'expérience religieuse, dont les cours de Max Scheler lui révèlent l'importance, n’est pas encore la foi. De manière significative, celle-ci commence pour Edith avec la découverte de la Croix lorsque Anna Reinach, une amie protestante, vit avec sérénité la mort de son mari au front.  « Ce fut ma première rencontre avec la Croix, avec cette force divine qu’elle confère à ceux qui la portent. Pour la première fois, l’Eglise, née de la Passion du Christ et victorieuse de la mort, m’apparut visiblement. »[6] Edith est alors prête à accueillir la vérité chrétienne, et le jour où elle ouvre, en 1921, la Vie par elle-même de Thérèse d’Avila, sa longue quête prend fin. « C'est la vérité », se dit-elle en refermant le livre.

    C’est cette exigence d'aller « jusqu'au fondement », un fondement qui a pris pour elle un jour et définitivement les traits du Crucifié, et ne se touche que dans la prière, qui commande son herméneutique des violences nazies, dès 1933, en termes d'actualisation du mystère de la Croix dans le présent de l'histoire. Six ans plus tard, le dimanche de la Passion 1939, elle adresse un billet à sa mère prieure, à Echt : « Chère Mère, permettez-moi de m'offrir au Cœur de Jésus en sacrifice d'expiation pour la vraie paix : que le règne de l'Antéchrist s'effondre, si possible sans une nouvelle guerre mondiale, et qu'un ordre nouveau soit établi. Je voudrais m'offrir aujourd'hui même, parce que l'on est à la douzième heure... »[7] L'unité indéchirable de cette interprétation christologique des événements et de l'offrande intégrale de soi constitue « la science de la Croix », titre du livre auquel elle travaillait encore le jour de son arrestation. L'expression fait écho au logos tou staurou paulinien, cette « folie pour les païens » qui vient directement contredire la logique de puissance qui régnait sur l'Europe d'alors. Dans l’introduction de ce livre, Edith s’explique sur la nouvelle signification du mot « science » qui le fait passer cette fois du registre phénoménologique au registre théologal : « Lorsque nous parlons de la science de la Croix, il ne faut pas entendre cette expression selon son sens habituel […]. Il s’agit d’une vérité vivante, réelle et active. Cette vérité est enfouie dans l’âme à la manière d’un grain de blé qui pousse ses racines et croît. Elle marque l’âme d’une manière spéciale […] à tel point que cette âme rayonne au dehors. »[8]

    C'est bien ce qui est advenu : à Westerbork ; la « science de la Croix » n'est plus seulement pour Edith une vérité contemplée et consentie à l'intime de l'âme, mais la réalité même dans laquelle elle est immergée, et qui rayonne de sa personne : « La grande différence entre Edith Stein et les autres sœurs était dans son silence… elle donnait l'impression d'avoir à traîner une telle masse de souffrances que, même quand parfois elle souriait, c'était encore plus attristant… elle pensait à la souffrance qu'elle prévoyait, pas à sa propre souffrance, elle était pour cela trop paisible, mais elle pensait à la souffrance qui attendait les autres. Tout son extérieur éveillait chez moi encore une pensée, quand je me la représente en esprit assise dans la baraque : une Pietà sans Christ. »[9] Mystère douloureux, qu'il ne faut toutefois pas séparer de sa face lumineuse, jusque dans l'enfer du camp de transit : « La seule religieuse qui m'ait aussitôt impressionné et que – malgré les abominables épisodes dont je fus le témoin – je n'ai jamais pu oublier, c'était cette femme avec son sourire, qui n'était pas un masque, mais qui se levait comme un rayon de soleil… cette femme assez âgée, qui donnait une telle impression de jeunesse, qui était si entière, si vraie, si authentique… »[10] Il est significatif que, sous la plume de ce témoin, ce soient les termes de jeunesse, de vérité et d'authenticité qui viennent : démenti existentiel au mystère d'iniquité, mystère de mort et de mensonge. Un autre témoignage souligne qu'elle consacrait son temps à s'occuper des enfants : « Beaucoup de mères paraissaient tombées dans une sorte de prostration, voisine de la folie ; elles restaient là à gémir comme hébétées, délaissant leurs enfants. Sœur Bénédicte s'occupa des petits enfants, elle les lava, les peigna, leur procura la nourriture et les soins indispensables. »[11] La « science de la croix » rayonnait en humble amour de service.

     

    Le pain et le baume

    L'encielement Édith & Etty 6.jpgQuand Etty Hillesum, en mars 41, s'adresse au psychologue Julius Spier, elle est tout simplement en quête d'elle-même. Le journal qu'elle tient à partir de cette rencontre témoigne d'une personnalité vibrante, sensuelle, généreuse et possessive à la fois, surtout étonnamment lucide sur elle-même et sur les autres. Elle est partagée entre un puissant appétit de vivre et de grands passages à vide : « J'ai reçu assez de dons intellectuels pour pouvoir tout sonder, tout aborder, tout saisir en formules claires ; on me croit supérieurement informée de bien des problèmes de la vie ; pourtant là, tout au fond de moi, il y a une pelote agglutinée, quelque chose me retient dans une poigne de fer, et toute ma clarté de pensée ne m'empêche pas d'être bien souvent une pauvre godiche peureuse », écrit-elle à la première page de son journal[12]. Elle évoque un peu plus loin une « occlusion de l'âme ». Dans les cent premières pages, la guerre est simplement l'arrière plan de l'aventure intérieure qui se déroule à travers sa relation avec Julius Spier jusqu'à la mort de ce dernier en septembre 42. Relation complexe, faite de part et d'autre d'un puissant attrait physique et de séduction intellectuelle, mais aussi éveillant chez Etty une quête spirituelle d'abord confuse, puis de plus en plus explicite.

    Le fil conducteur de cette quête pourrait être la lente transmutation de l'amour de la vie qui s'opère au fil des pages et des événements : d'abord spontanéité instinctive d'une personnalité qui se définit elle-même comme douée d'« un fort tempérament érotique », et ayant « un fort besoin de caresses et de tendresse »[13], cet amour de la vie, confronté à la violence dont on voit monter inexorablement la menace, prend peu à peu une tout autre profondeur. Peut-être n'est-il au commencement qu'un sentiment de sécurité au cœur de l'orage qui monte : « Comme c'est étrange ! c'est la guerre. Il y a des camps de concentration […]. Et pourtant, quand je cesse d'être sur mes gardes pour m'abandonner à moi-même, me voilà tout à coup reposant contre la poitrine nue de la vie, et ses bras qui m'enlacent sont si doux et si protecteurs […]. Tel est une fois pour toutes mon sentiment de la vie, et je crois qu'aucune guerre au monde, aucune cruauté humaine si absurde soit-elle n'y pourra rien changer. »[14] Mais plus la guerre rattrape Etty, la conduisant de sa situation somme toute confortable de jeune intellectuelle émancipée d'Amsterdam à celle de fonctionnaire à Westerbork, plus revient, comme un refrain de plus en plus intérieur à la situation dans laquelle elle est prise, l'affirmation de la bonté de la vie : « par essence la vie est bonne, et si elle prend parfois de si mauvais chemins, ce n'est pas la faute de Dieu, mais la nôtre. Cela reste mon dernier mot, même maintenant, même si on m'envoie en Pologne avec toute ma famille. »[15] Quelques lignes plus loin, le secret de cet amour purifié et pacifié de la vie est livré : « C'est curieux, depuis ce dernier transport de rafle, je n'ai plus faim, plus sommeil, plus rien, et pourtant je me sens très bien, on concentre à tel point son attention sur les autres que l'on s'oublie soi-même et c'est fort bien ainsi. »[16] Et encore : « Oui, la détresse est grande, et pourtant […] je sens monter de mon cœur – je n'y puis rien, c'est ainsi, cela vient d'une force élémentaire – la même incantation : la vie est une chose merveilleuse et grande, après la guerre nous aurons à construire un monde entièrement nouveau et, à chaque nouvelle exaction, à chaque nouvelle cruauté, nous devrons opposer un petit supplément d'amour et de bonté. »[17]

    Ce « petit supplément d'amour et de bonté », Etty ne pourra le livrer au monde après la guerre. Mais elle le prodigue à Westerbork. Dans une de ses dernières lettres, en date du 21 août 43, qui évoque de manière bouleversante le départ d'un convoi, et où elle affirme : « cette nuit, j'ai été en enfer », toute sa compassion va aux enfants et ce sont eux qui occupent l'essentiel de son regard, de son récit : « les gémissements des nouveau-nés s'enflent, ils remplissent les moindres recoins, les moindres fentes de cette baraque à l'éclairage fantomatique ; c'en est presque intenable. Un nom me monte aux lèvres : Hérode. »[18] Celle-là même qui, au début de son journal, se découvrant enceinte, n'avait pas hésité à supprimer la vie qu'elle portait en elle, a maintenant sur les enfants qui vont mourir le regard de l'Évangile. En octobre 42, dans la dernière page de son journal, elle écrit : « J'ai rompu mon corps comme le pain et l'ai partagé entre les hommes. Et pourquoi pas ? Car ils étaient affamés et sortaient de longues privations. » Et, aux dernières lignes du texte : « On voudrait être un baume versé sur tant de plaies. »[19] Le pain, le baume : deux signifiants fondamentaux de l'entretien de la vie, de la vie affamée et nourrie, de la vie blessée et guérie. Deux signes sacramentels du salut. Au terme du chemin, Etty est descendue assez profondément dans le mystère de la beauté et du don de la vie pour en entrevoir, du dedans, la portée sacramentelle ultime, inséparable de l'amour en actes.

    Ainsi se sont rejoints le combat d'Edith contre la dérive utilitariste et fonctionnaliste de la vérité dans l'idéologie nazie, et le combat d'Etty contre la caricature instinctuelle et violente de la vie, expression de la culture de mort dans laquelle cette idéologie enfermait l'Europe. Et c'est pourquoi leur rencontre fugitive porte un sens qui la dépasse : maintenir l'alliance de la vérité et de la vie, qui fait la vie de l'esprit, contre toutes les forces qui s'y opposent, c'est témoigner de la victoire de l'esprit là même où il paraît réduit à sa plus grande impuissance. C'est vaincre, de l'intérieur et à la source, la tentation nihiliste. À la déclaration d'Edith, rapportée par le P. Hirschmann : « Jamais dans le monde la haine ne doit avoir le dernier mot »[20], fait écho la formule d'Etty : « Soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu'il n'est déjà. »[21]

     

    L'urgence du témoignage

    L'encielement Édith & Etty 010.jpgMais il y a un second niveau de lecture. Edith et Etty étaient juives l'une et l'autre. Elles ont eu une jeunesse peu ou pas pratiquante. Edith, malgré la grande piété de sa mère, ne fréquente plus la synagogue après ses quatorze ans. Etty n'a quant à elle reçu aucune formation religieuse, et ne découvre réellement la Bible que sur le conseil de Julius Spier. Aucune des deux n'est donc à proprement parler une convertie du judaïsme. Mais l'une et l'autre font, à partir de ce fonds areligieux, un chemin spirituel qui conduit Edith au baptême et au carmel, et Etty à une intense vie de relation à Dieu, sans référence dogmatique ni appartenance synagogale ou ecclésiale. Dans l'enfer de Westerbork, c'est le Bréviaire pour Edith, la Bible pour Etty, qui sont leur source de paix et de force. Faut-il en conclure que l'une et l'autre, la première par sa conversion, la seconde par son absence de toute pratique, n'ont rien à voir avec le mystère d'Israël ? Leur rencontre nous conduit peut-être au contraire au cœur de ce mystère auquel elles ont été l'une et l'autre, de manière paradoxale au premier regard, profondément fidèles. Mais cette fidélité a pris deux chemins et deux visages en elles comme dans notre histoire, l'une ayant rencontré et confessant explicitement le Christ, l'autre non. Saint Paul nous donne à penser, dans sa Lettre aux Romains, que c'est seulement à la fin des temps, à l'heure de la miséricorde de Dieu, que ces deux fidélités se fondront en une seule et que ces deux chemins convergeront. C'est pourquoi la rencontre d'Edith et d'Etty, jusque dans son caractère à peine ébauché, est non seulement symbolique, mais prophétique : elle anticipe sur cette heure-là, à distance, sans qu'elles aient pu prononcer ensemble le nom du Christ, un nom qu'Etty ne cite pratiquement jamais, même si elle se nourrit de l'Évangile[22]. Leur rencontre anticipe cette heure au moment et dans les lieux mêmes où l'idéologie nazie entendait précisément « éradiquer » Israël, et par là priver l'Église, greffée sur l'olivier franc, des racines de sa propre existence, et priver l'histoire humaine de son enracinement surnaturel[23].

             En ce qui concerne Etty, si on relit les textes dans cette perspective, il me semble qu'on peut la considérer, quoique détachée de la pratique cultuelle du judaïsme, comme une authentique fille d'Israël, en qui s'exprime et s'accomplit quelque chose d'essentiel à la vocation spirituelle de son peuple : la mission du témoin. Dès son journal, et de manière intense dans ses lettres, revient cette urgence du témoignage. Au début, elle exprime simplement le besoin et le désir d'écrire, tout en sentant bien que cela exige de sa part un engagement qu'elle ne peut encore pleinement assumer : « En moi certaines choses prennent bel et bien une forme, une forme de plus en plus nette, concentrée et tangible – et pourtant il n'y a encore rien à saisir, comment est-ce possible ? J'ai l'impression d'abriter un grand atelier où on travaille dur, où l'on martèle, taille, etc. »[24] Puis, quand se resserre l'étau, elle comprend que l'écriture n'est pas seulement une manière de se donner forme à elle-même, mais bien de témoigner pour l'histoire : « Je devrais brandir ce frêle stylo comme un marteau, et les mots devraient être autant de coups de maillet pour parler de notre destinée et pour raconter un épisode de notre histoire comme il n'y en a encore jamais eu […] Il faudra bien tout de même quelques survivants pour se faire un jour les chroniqueurs de cette époque. J'aimerais être, modestement, un d'entre eux. »[25] Et plus profondément encore, au-delà de la chronique, au-delà du travail du style, il s'agit pour elle de se faire pur témoin réceptif et attentif de la vie contre la mort, de la bonté contre la brutalité des hommes : « Je n'ai qu'à attendre patiemment que lèvent en moi les mots qui porteront le témoignage que je crois devoir porter, mon Dieu : qu'il est beau et bon de vivre dans ton monde, en dépit de ce que nous autres humains nous infligeons mutuellement. » C'est au terme de ces lignes qu'elle se désigne comme « le cœur pensant de la baraque. »[26]

             Et, de fait, nous trouvons dans ce « cœur pensant » un bouleversant témoignage des expériences spirituelles que le peuple d'Israël a connues et qui constituent son identité la plus profonde : d'abord l'expérience de cette beauté et bonté du monde, qui nous reconduit aux premières pages de la Genèse, rédigées dans le contexte de l'Exil, et fait retentir, au plus noir de la défiguration de la création de Dieu, l'écho de la bénédiction originelle. Puis l'expérience de la progressive dépossession de toutes les assurances, de tous les biens, pour le départ, d'abord vers Westerbork, puis vers une destination inconnue : expérience d'exode et d'exil, au terme de laquelle, dans le dernier billet qu'elle jette du train qui la mène vers Auschwitz, « assise sur (son) sac à dos, au milieu d'un wagon de marchandises bondé », elle peut écrire : « Christine, j'ouvre la Bible au hasard et trouve ceci : « Le Seigneur est ma chambre haute. »[27] C'est aussi, et presque dès le début du Journal, l'expérience d'une proximité intérieure de Dieu, contraignant « la fille qui ne savait pas s'agenouiller » à se jeter à genoux et à rencontrer, au cœur d'elle-même, ce buisson ardent de l'Exode où s'atteste la Présence. Et c'est surtout, authentifiant tout le reste, l'exigence éthique du service du malheureux, l'enfant, le vieillard, le malade, dans ces pages où se laissent entendre, c'est à dire mettre en pratique, la grande voix du Décalogue et l'appel des prophètes.

             Or c'est précisément cette présence de Dieu et cette Loi d'Israël que le nazisme a voulu extirper de la terre[28]. Comment les invalider mieux qu'en « supprimant les témoins »: le peuple juif, témoin, par vocation, de la transcendance de Dieu et de la conscience humaine, témoin de l'image de Dieu jusque dans le plus défiguré des hommes, témoin d'une Promesse donnant sens à l'Histoire jusque dans ses nuits les plus obscures. Etty écrit qu'elle n'a pas l'âme d'une révolutionnaire. Face au déni nazi de la vocation d'Israël, elle a été plus et mieux qu'une révolutionnaire : un témoin, et elle a mis au service de ce témoignage non seulement sa lucidité et son talent littéraire, mais son choix de rester à Westerbork et d'épouser jusqu'au bout la destinée de son peuple.

     

    « Nous allons pour notre peuple »

    L'encielement Édith & Etty 3.jpgC'est le même choix qu'a fait Edith. Elle l'a fait à partir d'une autre situation spirituelle, celle d'une chrétienne qui a redécouvert, du dedans de son baptême, le sens de l'élection d'Israël et la grâce d'y être charnellement rattachée : « Vous ne pouvez imaginer, écrit-elle, ce que cela signifie pour moi d'être une fille du peuple élu. C'est appartenir au Christ non seulement par l'esprit mais par le sang. »[29] Appartenance à la fois heureuse et crucifiante, qui fait d'elle un témoin, dans sa propre chair, de la rencontre aimante et douloureuse du Christ et de son peuple. Elle l'est dans son identité propre de juive devenue chrétienne : elle a souffert de l'incompréhension de sa mère très aimée devant sa conversion, elle a souffert du silence de son Église devant la persécution. Elle l'est dans sa consécration au Carmel, vécue comme une offrande de communion, au pied de la croix, avec la souffrance de son peuple. Elle a su – de la scientia Crucis – que la seule victoire qu'elle pouvait remporter sur la haine déferlante était de s'asseoir à la table des victimes, en sacrifice d'expiation. On peut trouver que sa théologie de l'expiation porte la marque d'un temps ; mais il faut remarquer que, dans un contexte où beaucoup considéraient le peuple juif comme responsable de la mort du Christ, Edith, elle, devant le mystère de la croix, l'assimile à la victime : « cette persécution est une persécution de la nature humaine du Christ. »[30] Enfin, sa mort, en tant que juive et en tant que chrétienne, arrêtée parce que juive, mais en représailles d'un acte de courage chrétien de la part de l'Église, accomplit jusqu'à l'extrême cette double appartenance, ou plutôt cette unique identité scellée par la Croix. Lorsque, au moment où elle quitte le carmel d'Echt sous escorte policière, elle dit à sa sœur Rosa : « Viens, nous allons pour notre peuple », ce peuple – son peuple - est indissociablement le peuple allemand dont elle est membre, et qu'elle voit livré au paganisme nazi, le peuple d'Israël dont elle est issue et dont elle va partager, dans sa chair, le sort, et le peuple nouveau sur lequel l'a greffée son baptême : l'Église.

     

    Un buisson ardent au désert

    L'encielement Édith & Etty 4.jpgEt c'est peut-être ici, au cœur de leur plus grande différence apparente, que nous pouvons voir se rejoindre les deux itinéraires d'Etty et d'Edith, comme une sorte d'attestation concrète de cette unité qu'opère secrètement, sans l'imposer ni la forcer, la Croix du Christ au foyer de l'Histoire. Comme l'a relevé Philibert Secrétan[31], il y a une étonnante convergence entre un texte d'Edith, écrit à l'intention de ses sœurs le 14 septembre 1941, et un passage du journal d'Etty. De part et d'autre, c'est la même conviction : la profondeur intérieure de la personne, l'âme, est demeure de Dieu, gardée par Dieu, quelles que soient les circonstances extérieures. Edith écrit : « Nous nous sommes engagées à la clôture, et nous le faisons de nouveau à chaque renouvellement de nos vœux. Mais Dieu ne s’est pas engagé à nous laisser toujours entre les murs de la clôture. Il n’en a pas besoin, car il dispose d’autres murs pour nous protéger […] Serions-nous même jetées à la rue, le Seigneur enverrait alors ses anges camper autour de nous, et leur vol invisible entourerait nos âmes d'une clôture plus sûre que les murs les plus hauts et les plus solides. »[32] Le 18 mai 42, Etty écrit pour sa part : « J'élève la prière autour de moi comme un mur protecteur plein d'ombre propice, je me retire dans la prière comme dans la cellule d'un couvent et j'en ressors plus concentrée plus forte, plus « ramassée ». »[33] C'est ainsi que, de Cologne à Echt et de Westerbork à Auschwitz pour l'une, d'Amsterdam à Westerbork et à Auschwitz pour l'autre, Edith et Etty ont vécu, dans toute sa dramatique profondeur, l’expérience constitutive de l’Exil : la ruine et la disparition de toutes les médiations qui incarnent habituellement la fidélité à Dieu, jusqu'à n’avoir plus, pour « donner corps » à cette fidélité, que leur propre corps à donner. Mais aussi, dans cet extrême dénuement, l'expérience nue et intense de la Présence, comme un buisson ardent dans le désert. Nous ne pouvons les rejoindre en ce lieu intime, ce saint des saints où chacune poursuivait avec son Seigneur un dialogue qu'aucune circonstance extérieure n'a pu briser. Nous pouvons seulement suggérer que, dans ce dialogue secret, chacune a été fidèle à la mission d'Israël, le peuple où Dieu a choisi d'établir sa résidence.

    Pour Edith, qui écrit de Westerbork : « Jusqu'à présent j'ai pu prier magnifiquement »[34], c'était expérimenter jusqu’en sa propre chair l’alliance nouvelle et éternelle, promise à Israël depuis l’Exil et scellée sur la Croix : habiter, où que ce fut, le Temple indestructible, car non fait de main d’homme, qui est en chacun de nous la demeure du Dieu Vivant à l’intime de notre liberté. Quant à Etty, on peut peut-être déchiffrer dans cette expérience de l'agenouillement intérieur, hors toute médiation cultuelle, l'écho de ces situations extrêmes où, dans le dépouillement total, le cœur de l'Alliance – « Je serai avec vous », « Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » - se met à battre de manière plus sensible dans l'histoire. Etty écrit le 10 octobre 42 : « Si les turbulences sont trop fortes, si je ne sais plus comment m'en sortir, il me restera toujours deux mains à joindre et un genou à fléchir. C'est un geste que nous ne nous sommes pas transmis de génération en génération, nous autres juifs. J'ai eu du mal à l'apprendre. »[35] Ce qu'elle n'avait pas reçu de sa famille – cet agenouillement intérieur et extérieur devant le Saint, cette adoration « en esprit et en vérité », - Etty l'a retrouvé pour ne plus le perdre.

    Peut-être peut-on alors risquer, avec beaucoup de respect, un dernier pas vers la rencontre de ces deux femmes. L'une et l'autre auraient peut-être pu échapper au sort qui les attendait. Il eût fallu qu'Edith se désolidarisât de Rose, sa sœur, ce qui lui aurait sans doute permis de trouver refuge en Suisse. Il eût fallu qu'Etty se désolidarisât de sa famille, ce qui lui aurait sans doute permis de retourner à Amsterdam. Elles ne l'ont pas fait. Elles ont choisi d'aimer jusqu'à l'extrême, au prix de leur propre vie. Elles ont mis cet amour en actes, humblement, en s'occupant des enfants et de ceux dont la détresse criait vers elles. Elles ont témoigné que l'union à Dieu et le service du prochain sont une seule et même grâce. Le 27 février 42, Etty recopie dans son journal quelques versets de l'hymne à la charité de saint Paul, et ajoute : « Tandis que je lisais ce texte, que se passait-il en moi ? […] J'avais l'impression qu'une baguette de sourcier venait frapper la surface durcie de mon cœur et en faisait aussitôt jaillir des sources cachées. »[36] Des « sources cachées » : c'est exactement la même expression qui vient sous la plume d'Edith lorsqu'elle médite sur la mission des âmes contemplatives, qui est aussi la sienne, dans le bouleversement de l'histoire : « Notre temps se voit de plus en plus obligé, quand tout le reste a échoué, de placer son dernier espoir de salut en ces sources cachées. »[37]

    De ces « sources cachées » – ou plutôt, de la Source cachée dont elles émanent - Edith, à la suite de saint Jean de la Croix, a su l'origine.

    Bien que ce fût de nuit.

     

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    Marguerite Léna
    Communauté Saint-François-Xavier

     

     

    Titre initial :
    La trace d’une rencontre
    Edith Stein et Etty Hillesum

    Publié dans la revue Études, juillet 2004


    Photos :
    Vidéogrammes de 
    Enciellement Édith Etty

     

     

    [1] Cf. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork, traduites du néerlandais et annotées par Philippe Noble, Points / Seuil 1995. Etty était venue à Westerbork en tant que membre du Conseil juif, chargé par l’occupant de l’administration interne de ce camp de transit vers les camps d’extermination. Elle s'occupe entre autres de l'enregistrement des arrivants. Elle sera elle-même déportée et mourra à Auschwitz le 30 novembre 43.

    [2] Op. cit. p. 260.

    [3] Cité par le P. Lebeau, Etty Hillesum, un itinéraire spirituel, Editions Fidélité, Namur, et Editions Racine, Bruxelles, 1998, p. 177. Ces « deux religieuses » sont Edith Stein, Sœur Thérèse Bénédicte de la Croix, et sa sœur Rosa, arrêtées au carmel d’Echt le 3 août 1942, en représailles du courageux mandement des évêques hollandais contre les persécutions antisémites. Elles meurent à Auschwitz le 9 août 1942. Edith Stein a été canonisée par le pape Jean-Paul II le 11 octobre 98. Etty fait erreur sur Rosa Stein, qui n'était pas carmélite, mais avait été accueillie par la communauté du carmel d'Echt.

    [4] Cf. E. Stein, Vie d'une famille juive, p. 399.

    [5] Edith Stein, Vie d'une famille juive, Ad Solem/ Cerf, p. 261.

    [6] Elisabeth de Miribel, Comme l'or purifié par le feu, Edith Stein (1891-1942), Plon, 1984, p. 61.

    [7] Edith Stein, billet du 26 mars 1939 à mère Ottilia Thannisch, prieure du carmel d'Echt, cité in Edith Stein, Source cachée, Cerf 1999.

    [8] Edith Stein, La Science de la Croix, Nauwelaerts, Louvain, 1957, p. 3-4.

    [9] Cité par B. Dupuy, id. p. 286.

    [10] Id. p. 287.

    [11] Cité par Elisabeth de Miribel, op.cit. p. 213-214.

    [12] Op. cit. p. 9.

    [13] Id. p. 66.

    [14] Id. p. 119.

    [15] Id. p. 282.

    [16] Id. p. 283.

    [17] Id. p. 288.

    [18] Id. p. 328.

    [19] Id. p. 245-246.

    [20] Cité par B. Dupuy, op.cit. p. 262.

    [21] Id. p. 218.

    [22] C'est ainsi qu'elle répond au vieux communiste Klaas qui s'étonne de son refus de la haine et y voit « un retour au christianisme » : « - Mais oui, le christianisme : pourquoi pas ? » (p. 218).

    [23] Cf Jean Dujardin, L'Église catholique et le peuple juif, Calmann-Lévy, 2003.

    [24] Id. p. 125-126.

    [25] Id. p. 168.

    [26] Id. p. 201-202.

    [27] Id. p. 344.

    [28] Le P. Dujardin le met en lumière de manière décisive et cite à ce propos une parole d'Hitler rapportée par Rauschning : « Les tables du Sinaï ont perdu toute validité. La conscience est une invention des juifs. Elle est l'équivalent d'une circoncision, d'une amputation de l'être humain. » op. cit. p. 47.

    [29] Cf. Cécile Rastoin, Edith Stein et le mystère d'Israël, Ad Solem, 1998, p. 97, note 9.

    [30] Cf. Vie d'une famille juive, p. 589, note 12.

    [31] Philibert Secrétan, « Trois juives dominées par la croix, Edith Stein, Etty Hillesum, Simone Weil », Choisir, mars 99, p. 5-11.

    [32] « Exaltation de la Croix, 14 septembre 1941 », in Source Cachée, p. 277-278.

    [33] p. 116.

    [34] Lettre du 6 août 1942 à Mère Ambrosia Antonia Engelmann, prieure du Carmel d'Echt. Cité par E. de Miribel, op cit. p. 215.

    [35] p. 242.

    [36] Cité par P. Lebeau, id. p. 65 (passage non repris dans l'édition française du Journal).

    [37] Source cachée est le titre choisi pour l’édition française des Œuvres spirituelles d’Edith Stein, Cerf 1999. La citation retenue ici figure p. 69.

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  • Du nécessaire don de soi - de sa beauté

    1.jpg         À priori, le bon sens nous indique qu’une bonne politique économique devrait avoir pour objectif le développement harmonieux des familles. Pourquoi cette intention n’est elle pas audible ? Au contraire, les mêmes pertes de confiance, les mêmes peurs de « se faire avoir », semblent aujourd’hui brider l’engagement pour construire une famille et devenir entrepreneur ou acteur de la vie économique.

             La doctrine sociale de l’Église nous fait découvrir qu’il n’y a pas de famille sans vérité de l’amour et qu’il n’y a pas de vérité de l’amour sans don de soi. L’éros appelle l’agapè. De même, en matière de politique économique, l’exclusion du don et de la gratuité dans les échanges pour ne rechercher que le profit matériel et financier à tout prix aboutit à la crise annoncée que nous connaissons.

             Il y a une dynamique commune au développement de la famille et à celui d’une politique économique, c’est celle du don et du don de soi qui seule peut fonder la confiance. Mais cette dynamique elle-même a pour première cause la gratitude. Car non seulement il faut donner, mais il faut accepter de recevoir et donc accepter d’être conscient de ce que l’on doit. La famille est la première école du don car elle est l’école de la gratitude pour les dons reçus sans compter et sans aucun mérite.

    2.jpg         Au cœur de la famille se vit la première expérience de l’usage de toutes les richesses qui répondent aux besoins réels de l’homme et dont chacun est appelé à être le ministre de la communication universelle. C’est dans la famille que se vit d’abord la possibilité de transformation de « l’avoir » en « être davantage ». C’est donc dans la famille que s’apprend d’abord la création et l’échange des richesses qui sont l’enjeu d’une politique économique au service de tout l’homme et de tous les hommes et donc de la famille.

             Les missions, naturelles et surnaturelles, de la famille en tant que première société naturelle et Église domestique, révèlent à l’homme qui il est, quelle est sa vocation et donc le chemin du bonheur pour « être davantage », c’est-à-dire un mendiant et ministre du don, du pardon, de l’amour et de la miséricorde.

             Comment parler aujourd’hui de « Politique économique et famille » ?

             L’association de ces mots n’est-elle pas choquante ? D’un côté la loi du marché et les interrogations légitimes sur la manière d’en réguler la dureté, de l’autre la loi de l’amour et la tentation ou le devoir d’en reconnaître la réalité par la loi positive. Une politique, donc une hiérarchie de moyens ordonnés à un but et de l’autre le trésor d’une société et donc un bien commun capable de servir au bonheur de plusieurs personnes.

    3.jpg         Défenseur de la famille, vous vous dites peut-être qu’une politique relève du domaine public quand la famille est un espace de liberté privé et que si l’économie vit de l’échange des richesses mesurables qui ont un prix, la famille est le sanctuaire d’échanges qui n’ont eux, pas de prix.

             La signification même des mots employés, ne nous parle-t-elle pas d’une politique « Art de vivre ensemble », économique c’est-à-dire dont l’objet est « l’ordre ou la loi de la maison » et de famille ? Or comme les familles sont sources de prospérité pour reprendre la belle formule du Président de votre Académie, Jean-Didier Lecaillon, une politique économique raisonnée devrait faciliter la vie de chaque famille. Ce serait même son véritable « intérêt ». La logique de « l’utilité » est même imparable puisque le développement de la famille « fabrique » les agents économiques, producteurs et consommateurs sans lesquels la croissance n’est pas possible.

             Pourquoi donc si la conclusion s’impose au bon sens, est-il suspect et inconfortable pour un homme politique, pour un chef d’entreprise, pour un clerc voire pour un simple père de famille de revendiquer cette cohérence ? Il est vrai qu’au cours de l’année qui s’achève, le sentiment de frustration suscité par la crise qui frappe la société, le monde du travail et l’économie a augmenté. « Une crise dont les racines sont avant tout culturelles et anthropologiques », nous dit Benoît XVI, dans son message du 1er janvier 2012.

    4.jpg         Les réflexions de jeunes en classe préparatoire HEC m’ont invité à réfléchir sur ces sentiments de peur et de frustration qui brident aujourd’hui notre société. Je les avais interrogés sur les motivations qui les conduisent à investir deux à trois années de leur jeunesse dans une vie quasi recluse et sous haute tension. Vous pouvez imaginer les réponses : avoir de l’argent, avoir du pouvoir, pouvoir choisir son métier, pouvoir mieux servir la société, être heureux. Nous avons prolongé naturellement ce questionnement par une réflexion sur la vocation et le désir du bonheur. Je leur ai demandé ensuite ce dont ils avaient peur dans la vie. Chacun y allait de ses « j’aime pas » : manquer d’argent, la maladie, dépendre des autres, etc. jusqu’à ce qu’une jeune étudiante rallie l’adhésion de ses camarades en disant : « moi je n’aime pas me faire avoir ». J’ai demandé des exemples. Et tous les élèves de la classe ont voulu en donner en se référant à des expériences très personnelles associant déboires familiaux et professionnels survenus autour d’eux et très souvent dans leur famille pour justifier leur perte de confiance.

    5.jpg         Plutôt donc que de développer les interactions légitimes et fondamentales entre une politique économique et la famille, je soumets à l’expérience et à l’analyse de votre Académie deux perspectives anthropologiques susceptibles de nous aider à découvrir d’une part les fondations communes mais aussi les refus qui empêchent de mobiliser pour cette cohérence :

    1. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?
    2. Est-ce que cette dynamique pourrait fonder une politique économique au service du développement de toute la personne, à son « être davantage » ?
    3. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?

      1. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?

             Nous pouvons en être étonnés mais cette question a fait très précisément l’objet du premier livre Amour et Responsabilité de Mgr Karol Wojtyla futur Pape et bienheureux Jean-Paul II. Henri de Lubac[1] souhaitera dans la préface de l’édition française publiée en 1965 que l’« argumentation rationnelle » de Jean-Paul II puisse convaincre « bien des esprits sérieux, soucieux de fonder les relations du couple sur une anthropologie complète, cohérente et approfondie » et qu’elle rende « courage à beaucoup ». La logique de Jean-Paul II peut être décomposée en 4 points que je vous propose avant de les reprendre pour les développer :

    6.jpg         1.1. La vision utilitariste de l’amour instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme.

             1.2. Pour sortir de l’utilitarisme, pour ne pas « se faire avoir », l’amour appelle la réciprocité et la recherche du bien commun demandant le don de soi.

             1.3. L’institution politique et donc publique du mariage agit sur la conscience de ceux qui s’aiment et permet le « don de soi ».

             1.4. La famille est l’école de la gratitude, du don et du pardon au bénéfice de l’homme et de toute la société.

                      1.1. La vision utilitariste de l’amour instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme.

             Jean-Paul II a conduit une étude critique de la vision utilitariste de l’amour. Cette vision en effet met l’accent sur l’utilité de l’action. Alors la conséquence douloureuse et logiquement inévitable, quasi antithèse du commandement de l’amour est qu’il faut : « me considérer moi-même comme instrument et moyen puisque je considère ainsi autrui. »[2] Il sera possible d’harmoniser les égoïsmes de l’homme et de la femme dans le domaine sexuel en sorte qu’ils soient profitables l’un à l’autre mais cet amour partiel ne sera plus rien entre eux dès que finit le profit commun.

    7.jpg         Dés lors « Tout ce qui donne du plaisir et exclut la peine est utile, car le plaisir est le facteur essentiel du bonheur humain. Être heureux, selon les principes de l’utilitarisme, c’est mener une vie agréable […]. Dans sa formulation finale, le principe de l’utilité exige donc le maximum de plaisir et le minimum de peine pour le plus grand nombre d’hommes […]. Si j’admets les principes de l’utilitarisme, je me considère nécessairement moi-même comme un sujet qui veut éprouver sur le plan émotif et affectif le plus possible de sensations et d’expériences positives, et comme un objet dont on peut se servir pour les provoquer. Et je considère inévitablement de la même manière toute autre personne, qui devient ainsi pour moi un moyen servant à atteindre le maximum de plaisir […]. L’utilitarisme parait être le programme d’un égoïsme conséquent, d’où on ne peut passer à un altruisme authentique. »[3]

             La vision utilitariste de l’amour peut prendre la forme « rigoriste » (la seule finalité légitime du mariage est la procréation en vue de la continuité de l’espèce ; la recherche du plaisir et de la volupté est un mal nécessaire) où la forme « libidienne » (la seule finalité de l’impulsion sexuelle est la recherche de la volupté). Dans les deux cas, cela aboutit à une instrumentalisation de la personne qui n’est pas compatible avec sa dignité en la considérant seulement comme un « objet » utile, un « moyen » et en ignorant sa réalité de « sujet ». Cette instrumentalisation est à l’antithèse de l’amour.

    8.jpg                  1.2. Pour sortir de l’utilitarisme, pour ne pas « se faire avoir », l’amour appelle la réciprocité et la recherche du bien commun demandant le don de soi.

    Pour sortir de l’utilitarisme, « la seule issue de cet égoïsme inévitable est de reconnaître en dehors du plaisir, le bien objectif qui lui aussi, peut unir les personnes, en prenant alors le caractère de bien commun. C’est lui qui est le véritable fondement de l’amour, et les personnes qui le choisissent ensemble s’y soumettent en même temps… L’amour est communion de personne. »[4]

             Selon Aristote, « il existe diverses sortes de réciprocité et ce qui la détermine, c’est le caractère du bien sur lequel elle repose, et avec elle toute l’amitié. Si c’est un bien véritable (bien honnête) la réciprocité est profonde, mûre et presque inébranlable. Par contre, si c’est seulement le profit, l’utilité (bien utile), ou le plaisir qui sont à son origine, elle sera superficielle et instable… Si l’apport de chaque personne à l’amour réciproque est leur amour personnel, doté d’une valeur morale intégrale (amour-vertu), alors la réciprocité acquiert le caractère de stabilité, de certitude… Ceci explique la confiance qu’on a en l’autre personne et qui supprime les soupçons et la jalousie. Pouvoir croire en autrui, pouvoir penser à lui comme à un ami qui ne peut décevoir est pour celui qui aime une source de paix et de joie. La paix et la joie, fruit de l’amour, sont étroitement liées à son essence même. »[5]

    9.jpg         La seule manière d’avoir une relation avec une personne en respectant sa dignité de sujet sans l’instrumentaliser est de l’aimer c’est-à-dire de vouloir pour elle le plus grand bien. Il faut donc que l’impulsion sexuelle qui initie la relation amoureuse ne soit pas séparée du développement de la personne, des dimensions objectives de l’amour.

             Or « l’être humain est fait pour le don de sa personne. L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. »[6] La logique de l’amour trouve donc son achèvement et sa plénitude dans la réciprocité et le don de soi. L’attrait, l’impulsion sexuelle, l’affectivité, les sentiments amoureux, l’amour de concupiscence et l’amour de bienveillance, le plaisir et la tendresse sont transformés par le don de soi réciproque, définitif et total. Cette harmonie permet l’intégration d’un amour ordonné au bien de la personne libre, sans la réduire à un rôle subi « d’objet ». Dans le cadre du mariage la chasteté en « subordonnant le désir de jouir à la disposition à aimer dans toutes les circonstances »[7], protège la réciprocité fondée sur un bien commun « honnête » et donne la confiance, la paix et la joie.


    10.jpg                  1.3. L’institution politique et donc publique du mariage agit sur la conscience de ceux qui s’aiment et permet le « don de soi »

             Cette institution du don de soi réciproque, « amour sponsal », ce « bien commun », a besoin légitimement d’être reconnue en tant qu’union des personnes, par la société car l’amour a besoin de cette reconnaissance, sans laquelle il n’est pas complet. La reconnaissance par la société de cet engagement public définitif, est donc juste et nécessaire « de même que serait « conventionnel » de vouloir effacer la « différence de significations attribuées aux mots tels que « maîtresse », « concubine », « femme entretenue », etc. avec ceux d’ « épouse » ou de « fiancée » (du côté de l’homme les choses se présentent parallèlement). »[8]

             « Dans ce sens, l’institution du mariage est indispensable non seulement en considération des autres hommes qui constituent la société, mais aussi, et surtout, des personnes qu’elle lie. Même s’il n’y avait pas d’autres gens autour d’elles, l’institution du mariage leur serait nécessaire… Les rapports sexuels de l’homme de la femme exigent l’institution du mariage en premier lieu en tant que leur justification dans la conscience de ceux-ci… En effet : « les rapports sexuels en dehors du mariage mettent ipso facto la personne dans la situation d’objet de jouissance. Laquelle des deux est cet objet ? Il n’est pas exclu que ce soit l’homme, mais la femme l’est toujours. »[9]

    11.jpg         Cette logique de l’amour explique l’exigence de droit naturel en faveur du mariage monogamique et irrévocable (« on ne peut pas se donner à l’essai » dira Jean Paul II), seule institution d’intégration de l’amour en vue du bien commun pour fonder le don de soi et prévenir des drames humains de l’utilitarisme dans l’amour.

             Il est donc significatif et paradoxal, comme un besoin inscrit dans la conscience, que ceux qui se veulent les propagandistes de l’amour libre et considèrent en même temps le mariage comme une affaire privée, manifestent le désir militant de la célébration publique du mariage des divorcés ou celui des homosexuels. Ce combat nous révèle que l’institution du mariage agit en tant que justification des rapports sexuels dans la conscience des personnes. Preuve comme en négatif que dans sa conscience même blessée, toute personne a besoin d’une reconnaissance publique et en vue du bien commun de sa relation amoureuse pour savoir qu’il n’instrumentalise pas l’autre.

                      1.4. La famille est l’école de la gratitude, du don et du pardon au bénéfice de l’homme et de toute la société

    12.jpg         L’harmonie qui permet l’amour intégral, a pour moteur la recherche du bien de l’autre qui passe par une gratuité réciproque et le don de soi. Si bien que la famille, foyer du don réciproque des époux, devient pour la personne, le berceau de la vie humaine. Pour la vie en société la famille sera l’école du don et même du pardon, par l’exemple et l’expérience, en apprenant à être généreux, à recevoir et à donner sans compter.

             En effet, la gratitude pour le don reçu gratuitement, appelle naturellement la gratuité de la paternité, de la maternité et de la fraternité.

             Cette école du don est un droit de l’homme car il est le chemin du bonheur. Dans ce rôle d’Église domestique et de cellule de base de la société, la famille, selon Benoît XVI, est le lieu où : « les enfants et les adolescents, et ensuite les jeunes… apprennent le sens de la communauté fondée sur le don, non sur l’intérêt économique ou sur l’idéologie, mais sur l’amour, qui est « la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière. »[10] Cette logique de la gratuité, apprise dans l’enfance et dans l’adolescence, se vit ensuite dans tous les domaines, dans le jeu et dans le sport, dans les relations interpersonnelles, dans l’art, dans le service volontaire des pauvres et de ceux qui souffrent. Une fois assimilée, elle peut se décliner dans les domaines plus complexes de la politique et de l’économie, participant à la construction d’une cité (polis) qui soit accueillante et hospitalière, et en même temps qui ne soit pas vide, ni faussement neutre, mais riche de contenus humains, à la forte consistance éthique. »[11]

    13.jpg         En résumé de cette première partie, nous pouvons formaliser les points suivants :

    • le bien commun ne peut se réduire au bien utile et appelle le don de soi qui fonde la confiance réciproque et la paix,
    • la recherche du bien commun est nécessaire au développement de l’amour,
    • l’amour est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et peut seul transformer la relation entre les personnes pour prévenir toute instrumentalisation, pour ne pas « se faire avoir »,
    • l’institution publique du mariage monogamique et indissoluble est une nécessité pour prévenir les dangers de l’utilitarisme dans l’amour jusque dans la conscience,
    • la famille est l’école naturelle de la vie sociale et de l’apprentissage du don et de la gratuité.

    Ces conclusions, cette vision de la responsabilité de l’homme et de la famille nous permettent d’aborder la seconde question.

    1. Est-ce que cette dynamique, la dynamique du don, pourrait fonder une politique économique au service du développement de toute la personne, à son « être davantage » ?

    14.jpg         Dans Caritas in Veritate, Benoît XVI construit, comme en écho à la logique de Jean-Paul II du don de soi dans la famille, la logique de la nécessité du don et de la gratuité dans l’économie marchande. Logique que nous pouvons synthétiser en quatre points.

    1. La vision utilitariste de l’économie instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme. « Le profit est utile si, en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien quant à la façon de le créer que de l’utiliser. La visée exclusive du profit, s’il est produit de façon mauvaise ou s’il n’a pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté. »[12] [...] « Abandonné au seul principe de l’équivalence de valeur des biens échangés, le marché n’arrive pas à produire la cohésion sociale dont il a pourtant besoin pour bien fonctionner. Sans formes internes de solidarité et de confiance réciproque, le marché ne peut pleinement remplir sa fonction économique. Aujourd’hui, c’est cette confiance qui fait défaut, et la perte de confiance est une perte grave. »[13] 
    2. Pour sortir de l’utilitarisme réducteur, une politique économique doit favoriser la recherche du bien commun. « Il faut [… ] prendre en grande considération le bien commun. Aimer quelqu’un, c’est vouloir son bien et mettre tout en œuvre pour cela. À côté du bien individuel, il y a un bien lié à la vie en société : le bien commun. C’est le bien du ‘nous-tous’, constitué d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale. Ce n’est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien. C’est une exigence de la justice et de la charité que de vouloir le bien commun et de le rechercher. »[14]
    3. Dans les relations entre les personnes, pour ne pas « se faire avoir », pour être quelqu’un et ne pas être utilisé comme un objet, il faut pour cela le lien fraternel du bien commun. Les institutions et la politique économique doivent créer les conditions favorables de l’exercice de la justice et de la charité. « Œuvrer en vue du bien commun signifie d’une part, prendre soin et, d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement, et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la polis, de la cité. On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille davantage en faveur du bien commun qui répond également à ses besoins réels… »[15]
    4. Et donc : « Si le développement économique, social et politique veut être authentiquement humain, il doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression de fraternité. »[16] « [...] Le grand défi qui se présente à nous [...] est celui de montrer, au niveau de la pensée comme des comportements, que non seulement les principes traditionnels de l’éthique sociale, tels que la transparence, l’honnêteté et la responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale. »[17]

    1.jpg         Nous avons vu avec Jean-Paul II, comment le don de soi est nécessaire à l’amour humain dans la famille si chaque conjoint veut aimer en vérité et donc ne pas instrumentaliser l’autre. Ce don de soi est le fondement de la confiance qui dans la conscience des époux leur « prouve » que c’est bien la recherche d’un bien commun qui les réunit.

             Le don et la gratuité, comme expression de la fraternité, c’est-à-dire de l’amour fraternel, ne sont-ils pas la cause incontournable capable d’orienter une politique économique vers le bien commun ? Cette logique du don et de la gratuité, comme expression de l’amour fraternel, n’est-elle pas la fondation en vérité de la confiance dans l’échange même marchand ?

             Il semble que Benoît XVI, nous suggère la cohérence de cette logique mais sans doute au nom du principe de subsidiarité, nous laisse-t-il la responsabilité de la mettre en œuvre. À l’instar des chercheurs mobilisés par CapitalDon[i] et en particulier de ceux du GRACE (Groupe de Recherche sur l’Anthropologie Chrétienne en Entreprise), présidé par le professeur Pierre-Yves Gomez, il semble donc opportun pour comprendre la crise de se demander pourquoi le don et la gratuité semblent-ils exclus par l’économie contemporaine ?[18]

    2.jpg         Je vous propose de considérer en premier lieu quelles sont, dans l’économie marchande, les richesses à échanger pour répondre aux besoins réels des personnes et par quel système d’échange.

             Nous verrons ensuite que Benoît XVI nous assure qu’une économie ne peut être juste sans le don et la gratuité.

                      2.2 Quelles sont, dans l’économie marchande, les richesses à échanger pour répondre aux besoins réels des personnes et par quel système d’échange ?

             Si nous considérons l’économie et singulièrement l’économie de l’entreprise que je connais mieux comme un transfert de ressources (biens et services produits, informations et conseils, salaires, impôts, dividendes, etc.) entre les parties prenantes. La question économique classique est celle de l’évaluation de ces ressources transférées qui constitue un système économique. Sur la base de la recherche disponible, nous pouvons distinguer trois types d’évaluation :

    3.jpg

    1. l’échange évalué sur un « marché » (dont les définitions sont assez larges) et comptabilisable par un « paiement »,
    2. le don social, évalué par une série de dons et contre-dons qui créent du lien social tel que Marcel Mauss (et ses successeurs) l’a mis en évidence ;
    3. enfin le don libre (ou gratuit), sans contrepartie attendue et dont l’évaluation se fait à partir de la personnalité du donateur et selon des critères subjectifs et moraux (générosité, sacrifice, etc.).

             Le système économique permet des évaluations par le marché, les dons et contre-dons et les transferts gratuits. C’est cet ensemble qui permet de repérer la création de valeur dans une économie.

             Nous considérons que l’économie dominante réduit donc le système d’évaluation économique aux seuls transferts comptabilisables (ou qu’elle oblige à considérer tous les transferts comme « comptabilisables »). Or les organisations ne se résument pas à ces échanges marchands comptabilisés, mais elles intègrent aussi, d’une part des dons et des contre-dons destinés à « créer du lien social » et, d’autre part, des dons sans contreparties (le travail bien fait, l’encouragement et le soutien, le service rendu sans calcul et sans retour, etc.) qui contribuent à l’efficience concrète et à l’efficacité des entreprises. Une analyse réaliste doit donc tenir compte des modes d’évaluation propre à chaque type de transferts, l’ensemble formant la complexité d’une entreprise ou de l’économie dans son ensemble.

    4.jpg         Chaque transfert est, en effet, évalué selon des logiques et une efficacité qui lui est propre et c’est l’ensemble qui permet de définir la cohérence et la performance d’une organisation.

             L’échange marchand permet le transfert d’objets (produits ou services) dont la valeur est établie par un calcul explicite ou implicite. La réciprocité de l’échange est fixée et garantie par les normes sociales en cours.

             Par définition, ce que nous appellerons le don « social » a pour objectif principal de créer du lien social sur la base d’une évaluation bilatérale dans le cadre de normes sociales. Il est de bon ton de rendre une invitation etc. Mais la réciprocité est risquée (pas de retour) mais fait partie des normes sociales.

             Le don libre ou le don gratuit a pour objectif l’affirmation de son être et de son identité sur la base de critères personnels ou moraux. La réciprocité est incertaine, le donateur n’attend pas de retour direct du donataire. Il agit pour le bien de l’autre sans demander un retour.

    5.jpg                  2.3 Alors, une économie peut-elle être juste sans le don et la gratuité ?

             À l’article 1937, le Catéchisme de l’Église Catholique cite les Dialogues dans lesquels le Christ dit à Sainte Catherine de Sienne : « Je ne donne pas toutes les vertus également à chacun... Il en est plusieurs que je distribue de telle manière, tantôt à l’un, tantôt à l’autre... A l’un, c’est la charité ; à l’autre, la justice ; à celui-ci l’humilité ; à celui-là, une foi vive... Quant aux biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres... J’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi. »[19]

             Il ne peut y avoir une politique économique juste ni de système d’échange juste sans la charité puisque l’égalité de l’avoir que Dieu n’a pas voulu, a pour intention de rendre la charité nécessaire.

    6.jpg         Il faut donc que le don et la gratuité fassent partie des échanges de l’économie marchande si l’on veut que cette économie soit juste. Sans la gratuité, on ne parvient même pas à réaliser la justice.

             « Si hier on pouvait penser qu’il fallait d’abord rechercher la justice et que la gratuité devait intervenir ensuite comme un complément, aujourd’hui, il faut dire que sans la gratuité on ne parvient même pas à réaliser la justice. [...] La charité dans la vérité, dans ce cas, signifie qu’il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier le profit, entendent aller au-delà de la logique de l’échange des équivalents et du profit comme but en soi. »[20]

             Benoît XVI va expliciter l’urgence de cette nécessité dans son message pour la paix du 1er Janvier 2012 :

    « Dans notre monde où la valeur de la personne, de sa dignité et de ses droits – au-delà des déclarations d’intentions – est sérieusement menacée par la tendance généralisée à recourir exclusivement aux critères de l’utilité, du profit et de l’avoir, il est important de ne pas couper le concept de justice de ses racines transcendantes. La justice, en effet, n’est pas une simple convention humaine, car ce qui est juste n’est pas déterminé originairement par la loi positive, mais par l’identité profonde de l’être humain. C’est la vision intégrale de l’homme qui permet de ne pas tomber dans une conception contractuelle de la justice et d’ouvrir aussi, grâce à elle, l’horizon de la solidarité et de l’amour.

    7.jpg         Nous ne pouvons pas ignorer que certains courants de la culture moderne, soutenus par des principes économiques rationalistes et individualistes, ont aliéné le concept de justice jusque dans ses racines transcendantes, le séparant de la charité et de la solidarité : « la cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité manifeste toujours l’amour de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle donne une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour la justice dans le monde. »

             Conclusion

             Nous savons que c’est la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs qui est devenue la pierre d’angle.

             L’utilitarisme a conduit notre société à rejeter le don de soi comme fondement de l’amour qui choisit librement le bien commun de la famille. Jean-Paul II nous fait découvrir qu’il en est la pierre d’angle. Sans le don de soi, l’amour et la famille s’écroulent.

    8.jpg         L’avidité matérialiste des bâtisseurs de l’économie a réduit les échanges aux richesses qui ont une valeur financière. Ils ont rejeté le don et la gratuité de leur politique, de leur art de vivre ensemble. Benoît XVI nous invite à ramasser cette pierre pour en faire la « pierre d’angle ».

             Sans le don et la gratuité, la politique économique est dans une impasse. Elle a réduit son champ d’action à celui du profit financier, curieusement, il ne lui reste plus que les dettes financières des États.

             En ces temps de crise où l’avidité mauvaise conseillère semble avoir, par la mauvaise dette, mis en panne le moteur de l’économie, ne serait-il pas juste de refonder aussi la confiance dans l’économie sur le don ?

             Permettez–moi alors dans cette conclusion d’ouvrir une autre perspective qui associe plus encore le destin de la famille et celui d’une politique économique. Car si politique économique et famille ont le don pour vrai moteur, la famille a une mission particulière pour que l’échange soit possible : nous apprendre à recevoir gratuitement !

    9.jpg         Au fond de son cœur en effet, tout homme fait l’expérience de la joie du don.

             Mais il n’a pas confiance que cela soit possible, il n’y croit pas. Pourquoi ?

             Donner, peut-être et souvent oui, pourquoi pas !

             Mais recevoir ? Recevoir par nécessité ? Recevoir sans pouvoir rendre ? Sans jamais être quitte ? Devoir la vie, devoir ce que l’on sait, devoir ce que l’on aime sans aucun mérite de sa part, voilà l’inacceptable des indignés de notre temps.

             Toute l’énergie culturelle, politique et sociale est mobilisée pour que nul n’ait le sentiment de devoir quelque chose à quelqu’un, ni à ses parents qui m’ont fait par plaisir et pour eux, ni à ses frères et sœurs, ni à ses amis qui cotisent à la solidarité sociale, ni à son patron qui fait de l’argent sur notre dos, ni à ses professeurs qui sont au service du pouvoir politique, ni à sa patrie, etc.

             Nous sommes devenus des individus qui ne veulent rien devoir à personne, même pas à Dieu. Nous avons des droits pas des dettes ! Nous voulons être justes mais ne jamais demander pardon. Bénéficier de la solidarité sans visage, oui, si c’est d’un acteur impersonnel dont nous ne pouvons croiser les yeux, une abstraction, la caisse de sécurité sociale, de chômage, l’État, etc.

    10.jpg         Benoît XVI, à l’opposé de la culture ambiante, nous fait découvrir dans Deus Caritas Est que « Pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi mais moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne. »[21] La famille fondée sur le don réciproque des époux, devrait être la société naturelle qui peut nous faire expérimenter la joie de recevoir gratuitement sans nous humilier. La famille est la société « prototype » capable de transformer l’avoir en « plus d’être », qui donne la vie et conduit la personne au-delà du cercle étriqué de son moi, qui « l’éduque en vue du bien commun ».

             De cette certaine manière, la famille fondée sur le don de soi devient sacrement c’est-à-dire signe visible de l’amour de Dieu capable de transformer la nature blessée de l’homme. La famille chrétienne participe ainsi à la mission de l’Église qui s’adressant à tous les hommes, nous dit : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ?
    Écoutez-moi donc : mangez de bonnes choses, régalez-vous de viandes savoureuses ! Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez
    … »[22]

    11.jpg         C’est ainsi que la famille peut révéler à l’homme qui il est : « Ce qu’il a, il le doit », et fonder la confiance pour la vie, à commencer par la confiance en soi parce que l’on sait que l’on est aimé gratuitement. Même si la participation de chacun par son travail au regard de ses talents est nécessaire, chaque homme est un pauvre, riche de dettes.

             C’est la gratitude qui fait l’homme. C’est dans la famille que tout homme peut apprendre à recevoir gratuitement sans en être gêné. C’est donc la famille qui peut faire expérimenter aux hommes la confiance dans l’autre et le moteur nécessaire dans les échanges au service de l’homme : la gratitude et le don. « Ce que vous avez reçu gratuitement donnez le gratuitement ».

             Ce n’est pas la loi du marché qui peut seule créer la vraie richesse, elle a aussi besoin de la loi du don qui n’humilie pas.

             Il faudra ensuite à l’homme toute une vie pour accepter de se présenter les mains vides et devenir mendiant du don gratuit, mendiant du pur amour sans crainte de « se faire avoir ». La famille, Église domestique, participe naturellement à cette révélation de la miséricorde.


             Une politique économique raisonnable s’attachera donc en priorité à donner à la famille la liberté d’être pour tous les hommes le foyer naturel de l’amour, de la confiance et du « don ».

             Dans un monde ou chacun a peur d’être « utilisé », de « se faire avoir », la famille a le secret de la confiance pour nous « faire être » pour l’éternité.

     


    bruno de saint chamas,Écologie humaine,politique,économie,famille,transmission,éducation,foi,christianisme,conscience,sandrine treuillardBruno de Saint Chamas

    Délégué général de CapitalDon,
    Président d'Ichtus

     
    Initialement publié sous le titre 
    Politique économique et famille
    sur le site de l’A.E.S. 
    (Académie d’Éducation et d’Études Sociales)
    le 5 mars 2012.

    Sur ce lien La Vaillante vous invite à lire l’échange de vues à la suite de l’exposé de l’auteur.

     

    12.jpg[i] CapitalDon Un fonds au service du don dans l’économie, destiné à promouvoir la force vertueuse de la gratuité et du don dans les pratiques économiques, une initiative pleine d’une espérance prophétique ». Ce Fonds de dotation est une initiative de Pierre Deschamps. 

    [1] Henry de Lubac sj – expert au concile Vatican II - 1896 -1991, théologien catholique et cardinal français.

    [2] Amour et Responsabilité, p. 31

    [3] Ib., pp. 27-29

    [4] Ib., p. 30

    [5] Ib., p. 79

    [6] Gaudium et spes

    [7] Amour et Responsabilité, p. 158

    [8] Ib., p. 207

    [9] Ib., p. 208

    [10] Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [11] Benoît XVI, Zagreb, 4 juin 2011

    [12] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 21

    [13] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 34

    [14]
    Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [15] Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [16] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 34

    [17] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 36

    13.jpg[18] Pourquoi le don et la gratuité semblent-ils exclus par l’économie contemporaine ?

    L’économie telle qu’elle est enseignée et étudiée aujourd’hui est supposée ne concerner que les échanges marchands comptabilisés entre les acteurs.

    Les notions de don et gratuité sont exclues de l’économie par définition et renvoyées dans le registre du social ou de la morale. Il n’y aurait donc d’économie que marchande. Or cette affirmation devenue pensée dominante pose un certain nombre de problèmes… à l’économie elle-même. Elle ne tient pas compte d’une partie importante de l’activité économique réelle comme la constitution de réseaux, la communication d’information, l’apprentissage ou la créativité entrepreneuriale etc..

    Au plan anthropologique, « l’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa nature de transcendance. L’homme moderne est souvent convaincu, à tort, d’être lui-même le seul auteur de lui-même, de sa vie, de la société. » L’enseignement social de l’Eglise souligne ici un constat universel et qui dépasse toute référence confessionnelle : donner et recevoir sont des caractéristiques anthropologiques fondamentales qui constituent aussi bien l’ordre social que la place de la personne dans la société. Inclus dans des relations sociales interpersonnelles, l’être humain participe mais aussi se réalise pleinement en transférant régulièrement des ressources sans contrepartie évaluées par un échange marchand : par exemple des connaissances, des informations, des expériences, des conseils, des services et des biens utiles aux autres sans qu’un prix soit attaché au transfert.

    De nombreux travaux en anthropologie, en psychologie et en sociologie ont ainsi mis en évidence que le don et le transfert gratuit structurent non seulement la société mais aussi la personnalité humaine.

    Peut-on dés lors considérer que l’entreprise, qui est une organisation sociale centrale dans nos société, échappe seule à cette logique ?

    [19] CEC, 1937 : S. Catherine de Sienne, dial. 1,6

    [20] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 38

    [21] Benoît XVI, Deus Caritas est - 34

    [22] Is., 55, 1-3

     

    J'ai donné ces images en lancette,

    extraites de la vidéographie La partiton (the score),

    que vous pouvez regarder & écouter sur YouTube, ci-dessus.

    Avec une musique à l'accordéon interprétée par le grand Stefan Hussong.

    Sandrine Treuillard, pour Bruno de Saint Chamas & La Vaillante.

     

     

     

     

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  • Porter le foulard en France est un choix - musulmane & patriote

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          L’acceptation ou, disons plutôt, le rapport apaisé au foulard islamique doit-il forcément résulter du passage de ce dernier sous le rouleau compresseur de la mode, de l’hyper-consommation et du divertissement à outrance ?

               Il semble qu’il faille tout lisser.

             Dévitaliser, tuer l’essence profonde des choses, l’énergie pure et vibrante qui habite les grandes actions pour que ces dernières trouvent finalement grâce aux yeux de la masse. 

              Tout est étrangement potentiellement appauvri ; rendu inoffensif, médiocre et tiède par la récupération silencieuse qu’en fait la société de marché. 

             Le Che ou Malcolm X sur un T-shirt floqué, du rap prolétaire au hiphop dansant populaire en discothèque, n’est-ce pas la même action mercantile qui vient ajouter son petit zest ? 

             Et maintenant… le foulard au pied des grandes marques, le foulard et le mannequinat, le foulard dans les concours de beauté, le foulard bientôt partout, à condition d’accepter que ce dernier soit relégué au même rang que toutes les autres différences. Nivellement par le bas, dont le slogan pourrait être : « si certains se travestissent, d’autres portent un foulard. »

              Piège subtile, difficile à déceler.

             Il ne faut pas confondre deux choses : d’un côté faire comprendre qu’une femme qui porte le foulard est avant tout une femme, reconnaître son humanité et ses droits légaux, constituent des points de lutte légitimes et importants.

             De l’autre côté, il y a une fausse lutte, une escroquerie qui voudrait habilement faire oublier que choisir, c’est renoncer. Et le foulard en France est un choix. 

             En effet animées par notre foi, il y a des choses auxquelles nous renonçons, auxquelles nous disons non, et ce au risque de ne plus être ”comme tout le monde.”
    Un « non » de principe et d’action. Un rejet, une tentative de résistance.

             Car la banalisation graduelle du foulard sur certains supports – les moins sérieux – ne correspond pas à ce à quoi nous aspirons. Le foulard comme nous le comprenons va bien au-delà d’un simple fichu sur la tête car il est quelque part la manifestation d’un lien direct avec la transcendance.

             Transcendance qui fait que nous rejetons la marchandisation potentielle d’absolument tout, et en première instance ici celle du corps des femmes.

             Rappelons que l’islam comme système de valeurs, au même titre que de nombreuses traditions religieuses, spirituelles et même culturelles, ne peut être dissout dans toutes les folies de notre époque. Il impose encore une fois la résistance. Résister à ce qui nuit à l’Homme dans son ensemble en défendant ce qu’il a de plus précieux. Sa valeur intrinsèque, que certains voudraient pouvoir monnayer.

             Ainsi notre posture n’est pas simplement celle qui réclamerait sa part du gâteau capitaliste. Qui voudrait que chaque chose soit halalisable, qu’il suffirait de flouter ce qui dépasse du cadre pour devenir « muslim friendly ». Non, ceci n’est ni notre approche, ni notre but. 

             Si certains se sont battus contre les discriminations à l’entrée des boîtes de nuit, c’est pour nous un honneur que de ne pas y avoir notre place.
             Quelle reconnaissance y a-t-il au juste à devenir la proie des grandes marques qui ne nous nieront certes jamais le droit inaliénable que nous avons d’être avant tout des consommatrices ?

    Si la foi est réelle, l’inspiration sera supérieure et les actions qui en découleront également. Il y aura donc des choses qui, dans leur essence, seront contre nos principes. 

             Nous ne nions pas la difficulté à définir la ligne et la limite entre les deux.

             Nous ne faisons que témoigner de notre petitesse d’âme après tout.

    Comment aimer ce système injuste et hideux qu’est l’hyper-matérialisme au point de vouloir en devenir la caricature déformée ?

             Remettons les choses dans l’ordre : les femmes qui portent le foulard étaient bénies d’être épargnées par la publicité et les stratégies de communication en tous genres ; en revanche ces femmes continuent de subir l’épreuve du rejet quand il s’agit d’étudier, de travailler, de se rendre dans des lieux culturels ou de s’engager en tant que citoyennes.

             N’orientons pas notre énergie vers la mauvaise lutte, ne nous réjouissons pas de l’entrée du foulard dans des industries qui prônent le contraire de ce dernier.

             En toute fin, il est vrai que : « c’est la femme qui fait le foulard et non le foulard qui fait la femme. »


    « Et j’aimerais mieux être, O fourmis des cités,
    Tourbe, foule, hommes faux, cœurs morts, races déchues,
    Un arbre dans les bois qu’une âme en vos cohues ! »

    Victor Hugo, ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent


    dfvs,islam,la france,foi,politique,transmission,éducation,femmeHynd DFVS

     

    Article initialement publié sous le titre :
    Le foulard de demain, un simple accessoire ?
    sur le site Des Française Voilées S'expriment

     

     



    Précédent article de Hynd DFVS sur La Vaillante :
    L’islam est une chance et une opportunité aujourd’hui en France,
    afin que la France puisse renouer avec ses valeurs traditionnelles
    qui ont fait d’elles cette grande nation

    Autres articles du même auteur sur BV :
    Et si l’extrémisme des Femen nuisait plus aux femmes qu’il ne les libère ?
    Voile musulman : radicalisation ou mondialisation ?

     

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  • Le Vœu National du Sacré Cœur de Montmartre, ste M-M. Alacoque

    Marguerite-Marie 2.jpgBasilique du Sacré-Cœur de Montmartre

    Inscription sur un pilier de la Basilique :

    Paray-le-Monial 1689

    Extrait de la lettre CIV de sainte Marguerite-Marie Alacoque :

     

     



    « Le Père Éternel voulant réparer les amertumes et angoisses que l'Adorable Cœur de son divin fils a ressenties parmi les humiliations et outrages de sa Passion veut un édifice où serait le tableau de ce divin Cœur pour y recevoir consécration et hommages. 
    »

     

     La construction de cet édifice demandé par Dieu à la France a été décidée par un vote de l'ASSEMBLÉE NATIONALE

    le 23 juillet 1873
    à la majorité de 244 voix.

     

    Vitrail Basilique du Sacré Cœur
    de Montmartre

     

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  • Désormais, la matrice chrétienne de notre pays ne fait plus autant l’objet d’un déni insolent

             Il y a deux ans et dix mois, La Vaillante relayait pour la première fois la parole de Tugdual Derville, analysant les grandes manifestations de 2013. Retrouvant ici ce même don de conscience positive des événements, voici ce texte qu’il publie dans son blog une semaine après les attentats du 13 novembre 2015.

     

    tugdual derville, la france, politique, foi, christianisme         Fluctuat nec mergitur : une maxime qu’on date du seizième siècle a émergé au lendemain des terribles attentats terroristes du 13 novembre 2015. Trois mots en forme de bouclier inscrits sur le blason d’une très vieille cité qui s’affirme insubmersible. Trois mots qui contrastent avec trois autres qui s’étaient imposés après les premiers massacres de janvier. Secoué, mais pas coulé ! La devise latine de Paris résonne aussi comme un pied de nez aux agresseurs. Mais nous sommes passés de la provocation à la vocation. De l’ironie à la vie. C’est elle qui continue, légère et grave. Les vivants le doivent aux victimes innocentes de ces tueries. Mort, où est ta victoire ?


    tugdual derville,la france,politique,foi,christianisme         Ce qui est vrai à l’échelon d’une personne éprouvée trouvant dans son passé les ressorts pour rebondir se vérifie pour les familles ou les communautés qui endurent une épreuve collective. Nous sommes en quête de sens. Voilà ce qu’expérimente aujourd’hui notre pays, par sa capitale où, du fait d’un système centralisateur, bat une bonne part du cœur de la France. Paris, qui n’en est pas à sa première blessure, se recueille pour se relever. A l’heure des cérémonies, l’on s’étonnerait à peine d’entendre une des têtes de l’exécutif évoquer la figure de sainte Geneviève, patronne de Paris et des gendarmes, qui sauva la ville d’autres barbares, en l’an 512 !

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             Embrasser la totalité de son Histoire, pour mesurer la valeur de son héritage, est bien plus consolateur et porteur de sens que l’appel incantatoire aux « valeurs de la République » qu’on exhibait jusqu’ici sans être en mesure de préciser leur contenu. Plus la blessure est profonde, plus il faut remonter loin, et haut. Et Dieu sait si, cette fois, la France est blessée ! Et le monde n’est pas indifférent comme l’atteste la diffusion mondiale d’un appel à la prière pour Paris, encore trois mots, cette fois d’Anglais, sous l’image stylisée de la vieille dame de fer qui veille sur la capitale…

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             Désormais, derrière le drapeau tricolore et l’hymne national, la référence à l’Histoire ne s’arrête donc pas à l’évocation d’un régime : ce sont toutes nos racines qui sont convoquées. Et parmi elles, la matrice chrétienne de notre pays ne fait plus autant l’objet d’un déni insolent. Qui prétend encore faire table rase de l’origine de notre nation en la faisant naître en 1789 ? L’Histoire est un tout. Et qui oserait refuser le recours à l’intériorité et à la prière dans les temps de grand deuil ? L’homme souffrant ne peut pas admettre qu’on le prive de son ressort spirituel.

             De ce point de vue, l’alarme sonne aussi comme un réveil. Dimanche 15 novembre 2015, une affluence inhabituelle a été observée dans les églises, tandis que de petites lumières brûlaient devant les lieux où des Français et des étrangers, de tous âges, de toutes conditions et de toutes religions, avaient rencontré la mort.

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             Milan Kundera s’étonnait : « La France est le seul pays au monde où l’on n’apprend pas à aimer la France… » Car, en maints endroits du monde, la France est encore attendue. Fallait-il une Marseillaise entonnée à Londres avec nos adversaires anglais, avant le coup d’envoi d’un match sportif à l’enjeu soudain dérisoire, pour nous en convaincre ?

             Quelque chose a donc changé. Depuis janvier, il n’est plus de bon ton d’afficher son mépris pour ceux de nos compatriotes qui s’engagent dans des métiers consacrés à notre sécurité…

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             Il est enfin possible d’éprouver, sans fausse pudeur, l’« amour sacré de la patrie », cette douce France, pays de cultures, où nous voulons vivre en paix.

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    Tugdual Derville

    publié le 20 novembre 2015
    in Le blog de Tugdual Derville

     

     

    Photographies :

    - Trois bougies aux couleurs françaises devant l'Ambassade de France à Lima, au Pérou, le 15 novembre 2015. AP

    - Recueillement devant Le Carillon près du Bataclan. Ian Landsom/EPA/LANDOV

    - Le Christ rédempteur de Rio de Janeiro illuminé au drapeau tricolore

    - Un militaire du plan Vigipirate devant la Tour Eiffel le 16 novembre 2015 à Paris - AFP JOEL SAGET

    - "Paix". Yann Levy

     

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  • Le Sacré Cœur à Manrèse : Du buisson ardent à Jésus Eucharistie

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             Voici mes notes du 27 avril 2015, soir de l’arrivée au Centre Manrèse, à Clamart, pour les 5 jours d’Initiation aux Exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola. Après la lecture priée de ce passage de l’Ancien Testament, dans ma chambre.[i]



    [i] Voici la photo du Bienheureux Charles de Foucauld
    dans la salle portant son nom où l’initiation avait lieu,
    au Centre Manrèse de Clamart :

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    Livre de l’EXODE 3, 1-12
    L’appel & l’envoi de Moïse

    3 Moïse faisait paître les brebis de son beau-père Jéthro, prêtre de Madian. Il mena son troupeau au-delà du désert et parvint jusqu’à Horeb, la montagne de Dieu. 2 L’ange de l’Éternel lui apparu dans une flamme au milieu d’un buisson : Moïse aperçut un buisson qui était tout embrasé et qui, pourtant, ne se consumait pas. 3 Il se dit alors :

             - Je vais faire un détour pour aller regarder ce phénomène extraordinaire et voir pourquoi le buisson ne se consume pas.

             4 L’Éternel vit que Moïse faisait un détour pour aller voir et il l’appela du milieu du buisson :

             - Moïse, Moïse !

             - Je suis là, répondit Moïse.

             5 Dieu lui dit :

             - N’approche pas d’ici, enlève tes sandales, car le lieu où tu te tiens est un lieu sacré. 6 Puis il ajouta : Je suis le Dieu de tes ancêtres, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob.

             Alors Moïse se couvrit le visage car il avait peur de regarder Dieu.

             7 L’Éternel reprit :

             - J’ai vu la détresse de mon peuple en Égypte et j’ai entendu les cris que lui font pousser ses oppresseurs. Oui, je sais ce qu’il souffre. 8 C’est pourquoi je suis venu pour le délivrer des Égyptiens, pour le faire sortir d’Égypte et le conduire vers un bon et vaste pays, un pays ruisselant de lait et de miel ; c’est celui qu’habitent les Cananéens, les Hittites, les Amoréens, les Phéréziens, les Héviens, et les Yebousiens. 9 À présent, les cris des Israélites sont parvenus jusqu’à moi et j’ai vu à quel point les Égyptiens les oppriment. 19 Va donc maintenant : je t’envoie vers le pharaon, pour que tu fasses sortir d’Égypte les Israélites, mon peuple.

             11 Moïse dit à Dieu :

             - Qui suis-je, moi, pour aller trouver le pharaon et pour faire sortir les Israélites d’Égypte ?

             12 - Je serai avec toi, lui répondit Dieu. Et voici le signe auquel on reconnaîtra que c’est moi qui t’ai envoyé : quand tu auras fait sortir le peuple hors d’Égypte, vous m’adorerez sur cette montagne-ci.

    (Bible du Semeur, 2000)

     

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                                             beauté des arbres

             Moi, je faisais une première promenade, découverte du parc du Centre Manrèse, dans le silence et la paix de ce printemps. Je fis le tour de la chapelle minuscule St Joseph avec tendresse. Puis, au détour d’un sentier, je vis plus haut, la statue de Jésus ouvrant les bras, son Sacré Cœur offert. [*]

             —>  O u i ,   j e   v i e n s   v e r s   t o i   J é s u s  !

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           Tu m’appelles comme le buisson ardent appela Moïse ! C’est ton Cœur ardent au milieu de ta poitrine qui m’accueille. Tu es plus qu’un ami, plus qu’un compagnon pour moi, tu es l’Époux.
     

    sacré cœur,adoration eucharistique,adoration,sandrine treuillard,foi,christianisme,eucharistie,centre manrèse         —> J’ai pris en photo cette statue, les détails : le calice, les 3 clous, le fouet, la couronne d’épines aux pieds de Jésus. Ses pieds transpercés. Ses mains ouvertes et transpercées. Sa poitrine ardente, le Cœur ouvert, une plaie tailladant la chair de ce Cœur offert, une flamme en sortant par le haut comme de la carotide. Un Cœur grenade ! Un Cœur si ardent qu’il est en similitude avec la charge, le potentiel que nous sentons à la vue d’une grenade prête à être dégoupillée ! Mais ce n’est pas une menace de mort que la grenade du Seigneur : son Cœur transpercé est une proposition ardente d’un amour infini, de la vie en abondance.

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             Je vis en cette figure de Jésus ressuscité ouvrant les bras offrant son ardent Sacré Cœur de Grenade, les instruments de la Passion à ses pieds, les plaies à ce Cœur et à ses quatre membres, mains et pieds, comme l’Adoration Eucharistique. Je vis cet ensemble de Jésus Sacré Cœur comme une immense hostie, le Saint Sacrement dans l’ostensoir. Au cœur du Saint Sacrement offert, exposé à notre adoration, est l’image spirituelle du Sacré Cœur de Jésus et de la Croix de sa Passion. Jésus au Sacré Cœur et portant les traces de sa Passion dans les 5 plaies et les instruments de son martyre à ses pieds de Ressuscité est la figure qui condense le sens de l’Eucharistie, du Saint Sacrement.

    IMG-20150427-00562.jpg         Alors j’ai pris les photos de cette statue et en détail. C’était comme un acte amoureux, une caresse et Jésus s’offrait à moi comme si je le dénudais du regard, du regard spirituel. Il me permit de faire cela, amoureusement, avec ce sentiment d’être favorisée d’une relation particulière avec Jésus au Sacré Cœur. C’était un moment comme un temps d’Adoration Eucharistique, au milieu des arbres. Et ce moment privilégié, comme Marie-Madeleine a dû en vivre avec son Christ, ce temps d’adoration eucharistique du Sacré Cœur de Jésus, du Christ Ressuscité après sa Passion, de son Cœur ardent de chair offert comme une grenade au monde que nous pourrions choisir de dégoupiller pour en faire jaillir le feu d’Amour divin, cette parfaite eucharistie du Seigneur me convoque et m’envoie en mission ! Qui est de dire, d’écrire ce que j’écris-là, ce soir, au coucher, pour le faire connaître aux autres, transmettre ces révélations du sens de l’Eucharistie de Jésus-Christ.

    IMG-20150427-00570.jpg         Ce mouvement de venir à Jésus, de s’élancer dans ses bras ouverts, de se blottir contre sa poitrine, de boire son Amour à son Sacré Cœur ardent, de voir les 5 plaies de son Cœur et de ses pieds et mains, de voir les instruments de sa Passion à ses pieds de Ressuscité qui avance vers nous les bras ouverts, Jésus, Porte du Ciel, Corps glorieux, Croix glorieuse vivante, Lumière de la Vie, ce mouvement comme une grande prière qui s’élève, qui s’élance dans ces bras, n’est-ce pas un mouvement d’adoration eucharistique ? Toute la Passion est contenue dans cette statue du Sacré Cœur de Jésus offert et Ressuscité. C’est une figure du sens profond du Saint Sacrement, de l’Eucharistie. Et cet élan est de l’ordre de la prière d’adoration eucharistique.

    sacré cœur,adoration eucharistique,adoration,sandrine treuillard,foi,christianisme,eucharistie,centre manrèse,la france         « Vas, dis-leur, toute ma tendresse pour eux » (Marthe Robin), me murmure ce Jésus-là. Dis-leur la grenade d’Amour à dégoupiller qu’est mon Cœur !

             C’est à cela que Dieu m’appelle et me convoque à aller en mission, révéler le sens de son Sacrifice saint d’Amour eucharistique. Avec les Pères du Saint-Sacrement à la suite de saint Pierre-Julien Eymard, la Chapelle Corpus Christi, la Fraternité eucharistique.[†] [‡]

                Et moi je signe Jehanne Sandrine du Sacré Cœur & de la Sainte Eucharistie 

    A M E N  

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    La France & le Sacré Cœur
    L'Adoration Saint Martin



    [*] Il m’attire à Lui dans sa posture d’accueil, Corps Ressuscité, en Croix glorieuse.

    [†] 23 avenue de Friedland, Paris 8ème, métro Charles de Gaulle Étoile, où gît le corps de saint Pierre-Julien Eymard dans la châsse de son « saint ami » le Curé d’Ars.

    [‡] En ce jour où je mets en ligne ces pages, le 28 mai 2015, voici la Pensée du jour de saint Pierre-Julien EYMARD : « Le cœur de Jésus est vivant au très saint Sacrement. Il n’est vivant que là. Donc l’Eucharistie doit être le centre de notre culte d’adoration du Sacré Cœur. » (PO 6,12)

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  • L’adoration de l’étranger : Adoration Saint Martin

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                En cette fête de la saint Martin de Tours, approfondissons la notion d‘adoration suscitée par la lecture de l’Évangile du jour.

     

    Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (17, 11-19)

    En ce temps-là,
        Jésus, marchant vers Jérusalem,
    traversait la région située entre la Samarie et la Galilée.
        Comme il entrait dans un village,
    dix lépreux vinrent à sa rencontre.
    Ils s’arrêtèrent à distance
        et lui crièrent :
    « Jésus, maître,
    prends pitié de nous. »
        À cette vue, Jésus leur dit :
    « Allez vous montrer aux prêtres. »

    En cours de route, ils furent purifiés.
        L’un d’eux, voyant qu’il était guéri,
    revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix.
        Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus
    en lui rendant grâce.
    Or, c’était un Samaritain.
        Alors Jésus prit la parole en disant :
    « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ?
    Les neuf autres, où sont-ils ?
        Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger
    pour revenir sur ses pas
    et rendre gloire à Dieu ! »
        Jésus lui dit :
    « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »

     

                Jésus : « Allez vous montrer aux prêtres. »
    Ils furent purifiés en cours de route : c’est l’intention qui les a sauvés. Ils étaient tout tendus du désir d’être guéris. Leur foi les a sauvés.

                Seul le samaritain, l’étranger, revient se prosterner devant Jésus pour rendre grâce du miracle qu’Il a opéré sur et en lui. Les neuf autres semblent bien ingrats et indifférents. Peut-être ne partagent-ils pas la joie de leur maître, Jésus, qu’ils ne semblent pas reconnaître comme ce samaritain. Par ce miracle, le samaritain a connu Jésus et reconnu en son maître l’œuvre du Très-Haut.  

                Les neuf autres ne vont pas jusqu’au bout de leur vocation (l’appel que Dieu leur tend) : certes, nous sommes sauvés, mais si nous ne laissons pas circuler la joie, l’amour, la reconnaissance entre le Père et notre cœur, le salut n’est permis qu’incomplètement, ce n’est qu’une amorce de rédemption, sans la contemplation. La liberté que Dieu nous laisse, de Lui rendre grâce, de L’adorer pour ses bienfaits et la gratuité de sa miséricorde, qui n’est pas donnée selon notre mérite, cette liberté Dieu la respecte. C’est le cœur de sa pédagogie : il nous donne sans mesure, il attend notre réponse, ses entrailles s’émeuvent du désir de recevoir la réponse de notre amour au Sien, mais Il ne nous force en rien. Il nous rejoint là où nous en sommes avec Lui et saura nous attendre. 

                Si nous parvenons à nous laisser aimer par Dieu complètement, la joie ne manquera pas de déborder et le besoin de l’exprimer se traduira dans notre prière d’action de grâce et d’adoration. Dieu nous guérit, mais pas seulement en surface, pour la seule apparence (la lèpre se voit beaucoup, elle mange le corps et le visage). Non. Il nous guérit en profondeur : la rédemption est un grand nettoyage de tout notre être, qui, si l’on s’y prête totalement, si l’on s’abandonne à cet amour divin, nous transfigurera de l’intérieur dans sa Joie. Et nous pourrons alors le contempler, le voir face à face. Exulter en Lui.

                Cette Joie se traduira par la louange, l’action de grâce, l’adoration, la joyeuse célébration de renaître en Dieu, par Dieu, d’ainsi se sentir corps et âme fils et fille de Dieu, aussi proche de Jésus. Toute l’attitude du samaritain lépreux guéri déborde de joie, de reconnaissance. Cette joie l’a conduit jusqu’à la source de la vie, Jésus. Jésus, source de la miséricorde de Dieu mise à l’endroit de son cœur d’homme pour que nous venions y puiser notre joie et participer de sa Joie. La plus grande joie de Dieu est de nous y faire participer.

        « L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. »

     

     

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    Jehanne Sandrine du Sacré Cœur & de la Sainte Eucharitie

     

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    Image : Couverture de la Revue Magnificat : La Charité de saint Martin, Gustave Moreau (1826-1898), collection particulière. © Artothek / La Collection.

     

     

     

     

     

     

     

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  • Édith Stein… merveilleuse éducatrice

    SPIRE 1923-1931

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            Cette période de vie laborieuse à l’ombre du monastère des Dominicaines enseignantes et tout illuminée de la pure joie de découvrir un peu du contenu de la vérité révélée, nous est connue surtout à travers les témoignages des élèves ou des disciples d’Édith Stein.

             La Mère Prieure du couvent de Sainte-Madeleine de Spire nous dit combien son arrivée sembla providentielle ; les religieuses venaient de fonder un établissement à Mannheim et la directrice des études fut transférée dans cette ville. Il avait été impossible de la remplacer et de désigner un professeur d’allemand pour les classes supérieures du collège de jeunes filles. Édith Stein repris ces cours, elle assuma la préparation des élèves aux examens d’État et bientôt celle des jeunes religieuses à l’enseignement.

             « Elle était pour nous toutes un exemple lumineux, écrit la supérieure ; nous sentons maintenant encore le bienfait de son rayonnement. » Éducatrice-née, sa manière d’enseigner était remarquable, allant de pair avec un véritable don de pédagogie. Elle trouvait le moyen d’ajouter des heures de leçons particulières à celles de ses cours et de poursuivre en privé l’étude de saint Thomas.

             Très simple, humblement dévouée à sa tâche quotidienne, elle aurait souhaité passer inaperçue. Mais son extraordinaire capacité intellectuelle et son don d’expliquer les choses les plus ardues lui valaient de nombreuses requêtes de la part des élèves et des maîtresses. Jamais elle ne refusait de rendre service, s’en tenant littéralement à ce conseil que nous trouvons dans sa correspondance : « … Pour ce qui est de nos relations avec autrui, le besoin des âmes transcende tout règlement de vie. Car nos activités personnelles ne sont que des moyens qui tendent vers une fin, tandis que l’amour du prochain est la fin même, puisque Dieu est Amour.[1] »

             Sa bonté était tout à fait remarquable, rapportent les sœurs dominicaines. Dieu seul sait combien de misères physiques et morales elle a soulagées. Sa correspondance très étendue en témoigne. Pas un détail ne lui échappait quand il s’agissait de faire le bien. Les dimanches et jours de fête, lorsque les religieuses étaient appelées au parloir, Édith les déchargeait du soin de la vaisselle. Elle passait des heures, les jours de congé, à distribuer la soupe populaire. Elle s’était procuré la liste des pauvres de la ville et on la voyait, au temps de Noël, disparaître mystérieusement, les bras chargés de colis préparés en secret.

             De sa vie intérieure, elle ne nous dit rien. Nous ne savons que ce qui ressort des témoignages portés par son entourage. Celles qui l’on connue n’ont jamais oublié la qualité et la profondeur du silence qui semblait l’envelopper. Elle restait des heures en prière près du tabernacle de la petite chapelle conventuelle, tout absorbée en Dieu. Sa manière de prier touchait les âmes bien davantage que les plus beaux discours : «  Sa seule présence, écrit un jeune professeur, était une invitation à monter… elle nous entraînait à sa suite sans beaucoup de paroles, par le seul rayonnement de son cœur pur, noble et donné. »

             Afin de consoler une de ses élèves, assez peu douée, Édith trouvait ces termes délicats :

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    Élisabeth de Miribel

    Extrait de Comme l’or purifié par le feu - Édith Stein 1891-1942
    Cerf, 2012

      



    [1] Mère Thérèse-Renée du Saint-Esprit, Edith Stein, Lebensbild einer Philosophin und Karmelitin, p. 73.

    [2] Idem, p. 74.

     

    Retrouvez cet article sur la page enrichie Édith Stein & la femme

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  • "En fait d’impressionnabilité l’enfant, l’artiste et le saint sont frères" Méditation de la citation de Édith Stein

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    La notion d’Écologie Humaine attire à elle celle, primordiale et fondatrice, de l’intériorité. La vie intérieure de l’être humain est l’espace-temps par lequel il va s’accroître et grandir. C’est l’expérience de soi en soi au sein du monde. Plus il y sera attentif, plus il s’affinera dans sa manière d’être librement au monde et plus il s’y réalisera en phase avec ce qu’il est profondément. Plus il saura visiter la petite cellule qui est en lui, plus il sera plein d’une force sereine qui rayonnera de lui et se propagera sans effort, naturellement. La petite cellule en soi est une chambre des délices[i].

    « En fait d’impressionnabilité l’enfant, l’artiste et le saint sont frères. » ÉDITH STEIN

     

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    TENDRE À UNE DÉFINITION DE L’IMPRESSIONNABILITÉ 

    IMPRESSIONNABILITÉ : vulnérabilité, faculté de se laisser traverser, de se laisser affecter par l’altérité du monde.

    L’être est ouvert à plus grand ou plus petit que lui. Forme de curiosité questionnant le monde, l’extérieur à soi, l’autre. Quête de l’Autre. L’impressionnabilité est une manière d’être en devenir. Une manière de se laisser advenir ; de naître à soi-même par ce qui est extérieur à soi ; de se laisser visiter par l’Autre.

    L’être comme un lieu en soi où, telle une pellicule sensible se laissant impressionner accueille ce que le monde imprime en lui, acquiesce à la coloration qu’il va tracer sur lui, s’en laisse modifier, altérer.

    L’impressionnabilité est un acquiescement à l’altération du monde sur soi, en soi.

    C’est par le jeu pour l’enfant qui rêve tout en jouant, babillant, se racontant des histoires, chantonnant, dansant… ;

    C’est par la création pour l’artiste qui reçoit, se nourrit autant qu’il donne à percevoir le résultat des énergies qui l’ont traversé ;

    C’est par l’oraison pour le saint, qui accompagne toutes ses activités, que ce soit dans le travail, ses relations à autrui, aussi bien que dans sa pratique de la lectio divina (oraison, méditation, contemplation) lecture sainte des religieux.

    Ce qui rend frères l’enfant, l’artiste et le saint est cette attitude de prière étendue à la matérialité du monde, à la relation à l’autre, dans les activités quotidiennes. L’incantation permanente et secrète au creux de soi, où que l’on soit, quoi que l’on fasse.

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    LE SYMBOLE FONDE L’HOMME

    Ce qui fonde l’homme, la nature humaine, c’est sa faculté à susciter du symbolique. Le repère dans la relation à l’autre est symbole. Parce que l’individu est individe, qu’on ne peut le diviser sans porter atteinte à son intégrité vitale, la dimension symbolique est présente à l’homme dès le commencement de sa vie et jusqu’à son terme. C’est d’abord une manière d’être avec sa propre solitude d’individu, être individe. 

    L’homme est l’être de la reconnaissance par excellence. Reconnaissance de soi par autrui, reconnaissance d’autrui, de ceux qui lui font du bien, qui lui ont donné la vie, reconnaissance mutuelle de ceux qui l’aiment et avec lesquels il entre en relation, reconnaissance qui s’exprime aussi, comme à son sommet, dans la possibilité de donner à son tour de soi, de laisser des traces constructives et épanouissantes de soi dans le monde. La quête de reconnaissance est inhérente à l’homme. Il est aussi un être de la louange, capable d’exprimer la gratitude profonde une fois qu’il a éprouvé pour lui-même la joie d’être accueilli pour ce qu’il est, reconnu, né à nouveau dans le regard de l’autre. 

    Le symbole est le vecteur, le véhicule du caractère exclusivement humain de l’homme. C’est la figure, l’objet, la forme, le dessin, l’image, le mot, la parole, la lettre, la métaphore, le geste… mis en circulation, mis en situation de partage, d’échanges entre les enfants, entre les adultes, entre les enfants et les adultes. Entre l’homme et le grand Autre. Ce peut être & devrait être d’abord un rapport à sa propre solitude. Le symbole est ce par quoi se reconnaît la faculté de l’homme à l’être. L’homme est un être de la relation, de la communication, du rapport à l’altérité. Le jeu, le rêve, la rêverie ; le rêve nocturne, le songe, la pensée, la création ; la prière ; toutes les disciplines du travail humain depuis l’artisanat jusqu’aux métiers ayant trait à l’économie, à la finance, au droit, en passant par les professions de santé et du social, ceux de la culture, de l’éducation et de l’enseignement ; et même au sein de la misère sociale, de l’indigence matérielle la plus dégradée, l’homme a encore et toujours ce besoin de relation a plus grand et plus petit que soi, et de matérialiser par des voies symboliques ce fait-là d’être là, un homme au monde dans toutes les situations concrètes qu’il présente de façon incessamment renouvelée. Depuis sa geôle ou sur un trône, seul ou accompagné, en activité ou privé d’activité, la première faculté de l’homme, parce qu’il a soif de relation, est de fabriquer malgré lui du symbolique, de rechercher le lien à l’altérité du monde. C’est par cela qu’il est homme et qu’il existe. Il cherche cette part de lui-même, il s’adresse à l’altérité qui est en lui ; il rêvera, écrira, pensera, parlera, jouera, même seul. Dans la petite cellule en soi, l’homme appelle sans relâche. 

    « Le cœur des petits enfants n’a-t-il pas été créé pour prier, pour aimer ? Pourquoi en est-il si peu qui prient ? Pourtant, la prière des enfants est toute puissante. Rien de plus beau n’est monté à Dieu que la prière des enfants. Plusieurs enfants réunis dans la prière font pour le Ciel des choses merveilleuses. Ô mères ! Faites aimer la prière à vos enfants et Dieu trouvera sa gloire en vous. Soyez certaines que les anges prient au milieu des enfants et demandent avec eux. » MARTHE ROBIN

                Notre société actuelle ruine le symbolique. Elle s’y attaque, mais s’y achoppe. On ne peut retirer à l’homme sa manière d’être qui est toute profondeur. L’impressionnabilité d’Édith Stein est fort mise à mal. Elle est malmenée, utilisée, manipulée, orchestrée, blessée, violée, bafouée ou tout simplement niée. Le nihilisme totalisant dénie le besoin qu’a l’homme du symbolique, le contraignant par cet acte à se plier à ses idéologies, à ses visées néfastes de domination mortifère, bref, à l’avilissement de la nature humaine pour continuer à dominer les masses, les individus ainsi dénaturés. Ce pouvoir utilise aussi, cependant, des armes pleines de symboles qui déracinent l’individu, le privent de la relation vitale à sa vie spirituelle, dénigre l’existence de ce besoin primordial. Bref, divise l’individu en son cœur même, s’introduit en lui pour le briser, le déraciner. Dès que l’enfant à accès aux écrans de toutes sortes (voir le nourrisson en situation devant un écran), son impressionnabilité est alors très vite mise en danger et pervertie.

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    PRENDRE SOIN DE L’IMPRESSIONNABILITÉ

    Considérer chaque individu comme un être porteur au fond de lui comme d’une sorte de chambre obscure, une camera oscura, la chambre photosensible, la cellule intérieure par une petite ouverture de laquelle le monde extérieur figuré par des rayons de lumière va impressionner la pellicule sensible, cette peau interne tapissant les parois de la chambre de l’être. Le lieu en soi, éminemment intime, est visité par les rais de lumière provenant de l’extérieur, qui impriment en lui des impressions de toutes natures. C’est dans cette cellule intérieure exposée à la lumière, ce lieu en soi tout monastique (monos : un seul), à la configuration si unique & particulière bien que présente en chacun universellement, que va se former la relation symbolique au monde, à l’altérité. Il faudrait pouvoir agir avec cette chambre intérieure comme se tenant aux abords d’un sanctuaire. Porter une attention toute spéciale à ce lieu présent dans chaque individu comme s’il s’agissait d’un sanctuaire. Avec discrétion, tact et délicatesse. Sans en forcer l’entrer. Rester en relation avec l’autre c’est respecter cette frontière, cet espace intime vital, ne pas franchir cette zone par la force, ne pas transgresser la limite, mais progresser dans la relation d’altérité, proposer son altérité, l’exposer doucement, et laisser l’autre s’y ouvrir en tout désir, en toute liberté, dans l’acquiescement libre au mouvement du partage. La lumière au seuil du cœur de l’autre, l’ouverture du diaphragme doit pouvoir se faire librement, le diamètre de l’opercule laissant les rais lumineux investir ce lieu interne, pouvoir être modulé sans contrainte extérieur. C’est cela se laisser impressionner. Comme le papier reçoit l’encre des lettres. Comme la pellicule photosensible est exposée à la lumière de façon dosée. 

    L’impressionnabilité chez l’enfant, l’artiste ou le saint est cette attitude toute priante dans sa relation avec l’extérieur, au monde extérieur à soi, à l’altérité du monde. Ce monde comprend les différentes perceptions sensibles que l’on en a, les mouvements, les lumières, les ombres, les procès (au sens de processus), toutes les choses physiques et matérielles qui sont aussi gouvernées par du symbolique, du fait même que le regard de l’être humain est pétri par la quête de l’altérité. Ce regard de l’être humain est à la fois ancré dans l’être et dans le devenir permanent. Le symbolique est en devenir permanent. C’est un langage animé, vivant. Le besoin de relation de l’homme est intégral, absolu. Un bébé laissé à lui-même meurt, même s’il est nourri par des automates. J’ai besoin de la cellule sanctuarisée de l’autre pour vivre. Que je sois enfant, artiste ou saint. Bref, homme tout simplement. C’est la quête de ma vie : me laisser impressionner par la bienveillance du monde extérieur à moi. Et, cette lumière ayant déposé des traces en moi, en restituer les fruits inouïs, inédits, spécifiques à ce que je suis, ce qui relancera ma relation, le dialogue que j’établis avec le monde, l’enrichira et le fera progresser en humanité. 

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    APPRENDRE À RECONNAÎTRE LE SANCTUAIRE DE L’ÊTRE

    La tâche de l’Écologie Humaine en art et culture est d’apprendre à reconnaître ce sanctuaire de l’être où tant de phénomènes exclusivement humains ont lieu, à le connaître, à le préserver. Permettre à chaque individu désireux de vivre en vérité ce qu’il est au fond de lui-même, cet être de relation bienveillante envers soi-même et le monde.

    Avant d’être une pratique, l’art est une manière d’être, comme être enfant en est une, comme être saint en est une autre, avec des pratiques spécifiques nourrissant ces manières d’êtres.

    La pratique de l’art est d’abord une manière d’être et d’agir avec son espace sacré intérieur dans la relation à l’autre, au monde et à soi. L’Écologie Humaine est ce lieu symbolique de partage d’expériences ou pourra s’apprendre à repérer cet espace en soi & à l’aimer ; à le laisser interagir avec autrui & son environnement. Cette cellule sanctuarisée de l’homme est le cœur où s’agitent les énergies créatrices, la chambre secrète dans laquelle s’inscrivent les représentations, les relations au monde, qui seront restituées, comme traduites, dans la manière d’être au monde de chaque individu : individe, unique, précieux et sacré.

     

    SANDRINE TREUILLARD


    16 juin 2013
    pour L’ECOLOGIE HUMAINE
    rubrique Art & culture

     


    i « La petite cellule qui se souvient est une petite chambre des délices. » Geoffroi de Vinsauf, en 1210 environ in « POETRIA NOVA », « en ces temps où la longue tradition de méditation touchait à sa fin » écrit Mary Carruthers dans son ouvrage « MACHINA MEMORIALIS - MÉDITATION, RHÉTORIQUE ET FABRICATION DES IMAGES AU MOYEN ÂGE »

     

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    Sandrine Treuillard

    Née en 1974 à Orléans. Diplômée des Beaux-Arts de Bourges (1995) puis de Lyon (1999). Formation typographique & pao à l’Imprimerie Nationale (2001). Porte 34 est son lieu de vie et de travail (écriture, photographie & vidéographie), rue Étienne Marey, Paris 20ème de 2002 à 2009.

    Correspondances : 1998-2005 avec l’éditeur & commissaire d’exposition bernois Johannes Gachnang. - 2006-2008 avec l’écrivain Pascal Quignard. - 2002-2004 Assistante de l’artiste vidéaste Joël Bartoloméo. - 2004 Voyage à Naples : Carnet de voyage photos mailé. - 2005 Performance à Marseille, exposition à La Friche La Belle de Mai, avec Les Instants Vidéo. - 2006 Commence ses productions en vidéographie. Les Instants vidéo, Côté Court, Traverse Vidéo et Imagespassages sont les festivals qui diffusent ses travaux. - 2008 : Naissance du blog MACHINA PERCEPTIONIS & nouveau voyage à Naples & en Sicile - 2010-2011, travaille le rapport de la vidéographie avec la musique contemporaine des accordéonistes Stefan Hussong & Teodoro Anzellotti. - Été 2012 : création de l’entreprise GRAPHISMISENPAGE - Création & animation du blog La Vaillante - Paroles de fond & de veille au service de la vie dans la société française_Post 13/01/2013  

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  • La vulnérabilité créatrice : Lettre ouverte d’une artiste

    Quand l’artiste cherche sa place dans la société

    Soigner n'est pas tuer Alliance Vita Écologie humaine         La première fois que j’ai vu Tugdual Derville, je me trouvais couchée sur le parvis des Droits de l’Homme au Trocadéro. J’étais en blanc parmi cette foule d’anonymes dans la même position que moi. Un homme, debout, surgit et marcha à grandes enjambées en comptant les corps. Je crois qu’il en dénombra 700. Un de mes voisins me dit qui c’était : le Délégué général d’Alliance Vita. J’étais là, comme nombre de ces autres personnes, pour ne pas laisser brader la mort & la fin de vie, pour défendre les plus fragiles et les aimer jusqu’au bout tant qu’il y a souffle et étincelle. Une fois debout et animés pour la chorégraphie, les visages de cette foule étaient ceux de clowns tristes. Un même clown triste brandissant un cœur place des droits de l’homme, la Tour Eiffel en fond de toile. C'était en mars 2012.

    La Vaillante         Ce jour béni du 13 janvier 2013, je me trouvais au pied de la Tour Eiffel, dans la nuit et le froid, à 19h30 : des flocons frétillaient autour d’elle. Le Champ de Mars était désert. Je n’avais pas eu accès au podium, aux discours de cette fin d’après-midi, coincé qu’était le cortège venu de la place Denfert Rochereau dans une rue attenante. La nuit flottait au-dessus de la pelouse désertée. Les dégageuses balayaient. Quelques employés verts de la Ville de Paris ramassaient d’ultimes papiers sur le rectangle de pelouse. C’était le grand vide. Et l’extrême présence. Au pied de cette Tour majestueuse j’eus une vocation. Pour la première fois je pris une photographie avec mon Blackberry. Une seule. En contre-plongée. Le rai de lumière, phare à son chef, et celle révélant la dentelle de sa robe d’acier. La Tour Eiffel devint le symbole immédiat de la France qui se réveille. Celui de La Vaillante, Paroles de fond & de veille au service de la vie dans la société française_Post 13 janvier 2013 : le blog que je mis en ligne dès le 16 janvier. 

    http://lavaillante.hautetfort.com/connaitre-et-aimer-son-pays.html         Dans ce blog, je commençai par relayer la parole de Tugdual Derville (avec Gérard Leclerc) : son analyse pertinente des événements travaillant la société & sa soif de propositions (Genèse de La Vaillante). Quand le Courant pour une Écologie Humaine prit naissance, j’étais là, à son lancement, le 22 juin 2013, à la Cité Universitaire. Je m’étais inscrite dans la section Art & culture : en tant qu’artiste vidéographe et au titre d’éditrice de La Vaillante, cela convenait parfaitement. Camel Bechikh témoigna de son amour et de sa reconnaissance pour/de la France. Je lui indiquai alors la page Connaître & aimer son pays. Quelques mois plus tard la page Une raison d’espérance commença à présenter la parole de Fils de France, assurant les retranscriptions des conférences & interventions publiques de son président. Par-là, j’en vins assez vite au dialogue islamo-chrétien, le pendant catholique étant la page La France & le Sacré Cœur.

    Quand l’artiste est présent au lieu & au temps


             
    Dans le processus de création qui m’anime, la contemplation du monde, de petits périmètres dans la nature, prend une grande place. Ou, plutôt qu’art de l’espace, la contemplation s’inscrit dans le temps, la durée. Je contemple : cum, avec, templum, le lieu : suis présente au lieu, attentive au temps qui passe dans et sur le lieu, à la métamorphose des éléments (lumière, vent, sons, paroles… : musique des lieux) qui le modèlent, l’altèrent (le rendent autre) et révèlent quelque chose de l’être du lieu, de l’invisible, au delà du hors-champ. Qui peint aussi, sur le motif, les liens qui se tissent entre mon intériorité et ces événements du lieu. Plus être au monde que faire. Plus recueillement, prière, accueil, qu’action. Mon outil est la caméra numérique dans la paume. Je suis moi-même l’instrument du lieu, du temps, avec cette prothèse organique qui opère, qui est vecteur de mon regard. Mon corps se laisse altérer, la fatigue faisant son œuvre dans l’incarnation même de l’acte du regard.

    MoissonneuseGrdPlan.png         C’est aussi ce que j’ai fait avec La Vaillante : observant et m’engageant intérieurement avec le monde extérieur, collectant des articles, des textes, ou retranscrivant des vidéos, des passages de film ayant trait à l'agriculture & au monde rural (Le temps des grâces), des témoignages, des enseignements, des émissions radio. De natures politique, religieuse, sociétale, artistique, éducative… Les disciplines se croisent, se répondent, comme dans la société réelle.

    Institut de beauté         À certains moments, l’artiste qui était en veilleuse pour laisser place à l’observatrice et analysante des évé-nements, a eu besoin de refaire surface, de reprendre la parole depuis sa position d’artiste. Ainsi, la vidéographie Institut de beauté se mit-elle en dialogue avec Kim-Olivier Trévisan de l’alvéole Habitat & Architecture de l’Écologie Humaine, dans un texte intitulé Portrait d’un homme dans son paysage. Ou encore, à la réception de l’article repris de Evangelii gaudium, Le temps est supérieur à l’espace, la vive réaction d’un artiste et directeur artistique d’un Festival vidéo subventionné me fit répondre par le témoignage de ma foi en tant qu’artiste catholique (Artiste, témoin d’intériorité & d’extériorité : quelle forme au témoignage ? Avec la lecture & l'encouragement de Gérard Leclerc).

    L'encielement Édith & Etty 4.jpg         Et plus récemment, la vidéographie intitulée Enciellement Édith Etty donna naissance à une nouvelle page enrichie de plusieurs articles : Faire œuvre de beauté, touchant à la mort, au don de soi, en résonance avec les vies de Édith Stein et de Etty Hillesum. Cette dernière page enrichie est issue d’une autre, La force impressionnée, antérieure et fondatrice de ma proposition de définition de l’Écologie Humaine par la méditation de cette citation de Édith Stein : « En fait d’impressionnabilité, l’enfant, l’artiste et le saint sont frères ». La notion spécifique d’impressionnabilité de Édith Stein y étant méditée et entendue comme une variation de la vulnérabilité créatrice.

             Et vinrent les Premières Assises du Courant de l’Écologie Humaine, les 6-7 décembre 2014, après dix-huit mois de travail.


    Les premières Assises du Courant de l’Écologie Humaine

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    Quatre petits ronds roses représentent les alvéoles ART ET COMMUNICATION sur le plan. Deux petits ronds roses représentent la ”sous” alvéole Art et culture. Deux ronds roses sur soixante-quinze représentent mon domaine de préoccupation. Soit 2,666%. Car il faut bien s’inscrire dans une réalité, telle qu’elle se propose. Seulement, dans le fond, l’art que je pratique ne se regarde pas seulement soi-même. Il a soif de rencontres avec les domaines médical, scientifique, technologique ; avec le monde rural & agricole, l’environnement, la nature, l’architecture ; avec ceux du travail, de l’éducation, de la transmission, de la famille ; ceux de la politique, de l’histoire. Celui de l'édition : aussi bien pour la publication des dvd des vidéographies, que de l'édition papier reprenant les écrits de l'artiste sur sa pratique (Journal de bord en ligne Machina perceptionis). 

    Écologie humaine,sandrine treuillard,tugdual derville,jean-guilhem xerri,gérard leclerc,françois-xavier de boissoudy,art & culture,artiste,politique,foi         « Prendre soin de tout l’homme » : l’art est ce qui circule, un souffle qui draine la société, humblement, discrètement, comme la prière vient nourrir en profondeur une journée. On voit qu’une société est malade quand elle ne prête plus attention à ses artistes, quand elle n’attend rien d’eux, quand elle ne voit pas ces quêteurs et créateurs de sens. Quand la société devient sourde à ses artistes, c’est son âme qui est en danger. Le domaine de l’art devrait être en dialogue avec les autres domaines. Les artistes du Courant devraient être reliés à d’autres membres d’autres disciplines. Par exemple, la peinture accrochée au rideau noir durant les Assises, La lucarne ou la naissance de la lumière de François-Xavier de Boissoudy résonne avec la science optique. C’est en clignant des yeux qu’il a constaté la décomposition colorée de la lumière tombant de la lucarne dans cette cage d’escalier en colimaçon (photographie ci-contre). Souvent, l’art pictural (et l’art vidéographique, de surcroît, qui est art de la lumière à la suite de la photographie) fait appel à la phénoménologie (de la perception), un autre domaine des sciences humaines.

    ArIm Instit 2.jpg         L’art (vidéographique) est un lien social et spirituel qui a des outils (technologiques) à son service pour s’incarner, se dire, se développer. La caméra est un média, un instrument qui enregistre ce qui se passe dans l’intervalle, dans l’interstice. Le filmage est la manifestation d’un lien qui se tisse. Un geste qui engage le corps et en dévoile la limite (fatigue). La caméra devient une sorte de prothèse organique. Le regard est humanisé : l’art numérique s’humanise dans la pratique subjective de l’artiste, dans les rapports qu'il décline dans le temps avec ce média. L’artiste se prêtant au filmage développe la conscience de son lien à l’instrument dont il use. Il responsabilise son regard. Sa posture intérieure de recevoir le réel implique de se laisser agir dans ses sens, sa perception. L’écoute du lieu et des éléments qui le colorent et lui donnent son caractère lui enseigne l’humilité. Autant il apprivoise la technique que le lieu. Il apprivoise son regard en le laissant naître (Des machines à méditer). 

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             Je propose donc de désenclaver l’art déjà au sein du Courant de l’Écologie Humaine, en faisant se rencontrer les artistes non pas seulement entre eux, mais avec des personnes qui s’engagent dans d’autres disciplines du Courant, selon leurs affinités. Je vois (idéalement) un artiste associé à chaque rond de couleur du plan repris ci-dessus. L’artiste a des choses à transmettre à ses contemporains. Il participe de l’âme de la société. Il a aussi à puiser dans les savoirs, expériences, pratiques de ses contemporains. Pour vivre, l’art a besoin de proximité avec autrui. Nous sommes interdépendants. Travaillons ensemble.

             Je propose donc qu’il y ait des sortes de parrainages entre des artistes du Courant de l’Écologie Humaine et des disciplines extérieures à l’alvéole ART ET COMMUNICATION. Le contenu de l’œuvre d’un artiste résonne avec d’autres domaines que le sien propre. C’est en cela que l’art est aussi affaire de société, de lien social. Dans Utopia de Thomas Moore, la société décrite jugée idéale et parfaite aux yeux de son inventeur ne produit plus d’artiste. Elle n’en a plus besoin.

    L’art vidéographique pour les personnes malades et le monde médical

    Capture d’écran 2014-12-13 à 15.11.31.png         Ainsi, pour ma part, je souhaite proposer aux hôpitaux, aux malades qui en auraient la force et le désir, de regarder en ligne mes travaux vidéo sur des tablettes avec des écouteurs, et de lire les articles du Journal de bord en ligne Machina perceptionis qui s’y rattachent. Ou, pour certaines vidéos qui le demandent, de lire sur lecteur portable le dvd (Quel éditeur s'engagerait à les publier, accompagnés de leur livret ?). Mes vidéographies étant toujours issues de filmages de l’environnement ”naturel” ou du jardin, du domaine cultivé et transformé par un homme, ce serait apporter dans la chambre d’hôpital un coin de ”nature”. Donner à vivre à la personne alitée une expérience de perception de la nature. Le temps de la maladie pourrait ainsi se conjuguer avec le fait de nourrir sa vie intérieure, de vivre une expérience intérieure en étant convalescent. D’établir un colloque intérieur avec l’expérience que la vidéographie transmet. Le temps de la maladie pouvant ainsi être une belle occasion de s’autoriser à vivre le temps de la contemplation, difficile d’accès dans le quotidien habituel. Par l’œuvre vidéographique accéder « la petite cellule qui est en soi », à son jardin intérieur.      

    ArrIm chardon blanc 7.jpg         Dans ce Journal de bord publié en ligne Machina perceptionis (ici, Konrad Fiedler « Sur l’origine de l’activité artistique » ) sont publiés d’assez nombreux articles ayant trait à ce qu’est la vidéographie, écriture du voir : une attention au processus de la perception qui, avec le temps, s’affirmera de plus en plus spirituellement. Je pense ici aux articles  La leçon du vidéographe et à l'Éloge de la main (Focillon). L’expérience perceptive s’altère en quête spirituelle. La perception et la spiritualité s’affectent mutuellement. Le corps y a sa place, centrale, incarnant, épousant des réactions aux phénomènes de la perception (”affections corporelles”). 

             Aussi, le dimanche 7 décembre matin, en ce second jour des Premières Assises du Courant de l’Écologie Humaine, Jean-Guilhem Xerri a exposé sa vision de la vulnérabilité, de la contemplation, de l’outil technologique au service de l’homme et non aliénant : 

             « Les technologies permettent aujourd’hui de changer la nature humaine elle-même. Cependant l’enjeu n’est pas de devenir post-humain ou sur-humain, mais plus humain. Pour qu’il y ait une authentique révolution de la bienveillance, il faut au préalable une révolution de l’intériorité ».



    AIm SixtineC..jpg         Quand Jean-Guilhem Xerri parle de « révolution de l’intériorité », entendons un tour complet, un retournement, une conversion de notre attitude devant notre vie intérieure. Une attention particulière et une confiance en notre intériorité. Pour effectuer cette révolution, encore faudrait-il avoir de la considération pour cette part de nous-même, pour aller la chercher et l’apprivoiser. Cette vision de l’homme rejoint mon désir de faire découvrir mes vidéographies aux personnes malades et au monde médical. Le personnel médical aussi, infirmières, médecins, personnes qui font le ménage dans les chambres (et le monde du travail en général, quel qu’il soit) a besoin de contemplation. Chacun a besoin de se retrouver « dans la petite cellule qui est en soi » pour l’habiter, la nourrir, en prendre soin et en retirer du plaisir. Apprendre à la connaître, la reconnaître comme source de vie, de bonheur, de consolation voire de délectation. Cette petite cellule en soi bien souvent méconnue, négligée, atrophiée voire méprisée. Souvent blessée. Ainsi, mon travail d’artiste vidéographe s’adresse-t-il à tout homme dont le désir est de restaurer ces liens, libres, avec la part précieuse blottie en soi. Chacun se verrait la possibilité d’aller puiser à la vidéographie qui l’attirerait, de dialoguer avec elle dans un colloque intérieur. La contemplation est aussi invention.

    Sandrine Treuillard
    13-XII-2014

    L'Écorchoir (I/III)

    3 plans (12 min; 23 min -muet; 21 min -muet) _ X 2009
    coul _ 16:9 _ mini-dv
    Installation vidéo triptyque, 3 écrans Lcd


    Mesure du temps d'un paysage de montagne. L'amoncellement des nuages blancs aux prises avec les modifications atmosphériques & avec la ligne sinueuse des rochers. Du "plan fixe à la main" qui mesure le temps par le corps & donne son bougé à l'image (équilibre), au zoom dans un détail du paysage : comment filmer du réel devient peinture. Une heure s'écoule entre le premier plan et la fin du dernier.

    Dispositif de visionnage : sur 3 écrans plats LCD accrochés aux 3 parois d'une pièce en U - 16:9 - 106 cm - dotés de bonnes enceintes pour l'écran de gauche - 3 canapés (banquettes) disposés en U

     

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  • La liberté, renforcée et purifiée par la grâce, rend possible de faire des blessures et des échardes de notre vie un chemin de joie

    Cath Ste-&-Indivisible-Trinité à Ely RU.jpg

             L’Année Paulinienne a donné à l’Église l’opportunité de méditer sur la vie et l’œuvre de l’un de ses plus grands saints. Les fruits de l’activité apostolique de saint Paul sont bien connus. Mais qu’est-ce qui a fait de cet homme un instrument si efficace entre les mains de Dieu ? Quelle était la raison de sa sainteté ? En guise de réponse, je propose un épisode rapporté par saint Paul lui-même, vers la fin de sa seconde lettre aux Corinthiens. Il dit qu’il était importuné par une "écharde", et qu’il a supplié le Seigneur par trois fois de la lui ôter. Nous ne savons pas de quelle écharde il pouvait s’agir, et en fait, cela n’a guère d’importance. Cependant, de l’ardeur de sa prière, nous pouvons présumer que cette matière affectait profondément Paul. Peut-être pensait-il qu’il pourrait être un apôtre plus efficace sans cette écharde. 

             « Vos chemins ne sont pas mes chemins », dit le Seigneur au prophète Isaïe (55,8). Dans le prolongement, Jésus précise ces paroles de l’ancienne alliance pour Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » (2 Co 12,9). Je crois que nous trouvons, dans ce passage, le secret de la sainteté de saint Paul. Dans l’expérience de sa souffrance, saint Paul comprend davantage la sagesse et la providence de Dieu. Assumant cet avertissement du Christ, saint Paul écrit alors des mots débordants de force et de consolation : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (2 Co 12,10). Il n’y avait pas d’autre voie de sanctification pour l’apôtre ; il en ira de même pour chacun de nous.

             Le Cardinal Newman disait que nous comprendrions toujours davantage la Croix du Christ en la portant à Sa suite, bien plutôt qu’en glosant à son sujet. L’épouse de Jésus, l’Église, le sait très bien dans son être propre et au travers de l’expérience vécue par ses membres. De même que la Croix a uni les cieux et la terre, Elle unit le cœur des hommes au Sacré Cœur transpercé et blessé. Dans un amour tout maternel, l’Église offre la grâce, la miséricorde et la paix de son Sauveur crucifié et ressuscité à un monde déchu et éprouvé, à travers ses sacrements, son enseignement, et ses œuvres apostoliques. Courage est l’une d’entre elles. 

    It takes great COURAGE.jpg         Courage a été fondée à New-York il y a environ trente ans pour aider les hommes et les femmes qui sont affligés par l’écharde de l’attirance vers le même sexe (SSA[1]). Encourage est l’œuvre au service de leurs familles. Aujourd’hui, ces services sont internationaux et sont soutenus par le Saint Siège. Les membres de Courage veulent parvenir non seulement à une chasteté extérieure conforme aux enseignements de l’Église Catholique, mais aussi à une chasteté intérieure, ou "chasteté du cœur", comme la désignait souvent son fondateur, le Père John Harvey, OSFS. La prière, la Messe et la Confession, une vie intégrée dans la communauté chrétienne, et le service des autres sont les moyens de parvenir à ce but. De plus, la paternité spirituelle d’un aumônier-prêtre d’un groupe local de Courage peut aider à panser une "blessure paternelle", particulièrement dans le cœur d’un homme. L’œuvre cherche à encourager une chaste amitié entre ses membres. Par-dessus tout, Courage désire aider les hommes et les femmes avec une SSA à devenir saints, en leur permettant de reconnaître la grâce de Dieu dans et au travers leur faiblesse humaine.

    IMG-20150428-00578.jpg         Bien sûr, toute une partie du monde ne considère pas la condition de l’homosexualité comme une faiblesse, et moins encore comme une croix ou une voie de sainteté. Les émotions et la confusion rendent difficile, voire pénible, toute conversation sur ce sujet. Nous devons aussi dire que les jugements raides et la sévérité ne sont pas dans le ton de l’Évangile. L’attitude de tous les disciples du Maître qui approchent cette question peut être trouvée dans l’exemple de saint Paul en 2 Corinthiens 12. Une humilité, un esprit docile, et une volonté joyeuse de se confier à la providence de Dieu disposent le cœur à trouver de la force dans la faiblesse, et de s’adresser avec charité à ceux qui sont affligés par la faiblesse. Désirant suivre l’exemple du Seigneur, Courage veut toujours se situer par rapport aux personnes individuelles et à leurs besoins, plutôt qu’à l’idée de l’homosexualité considérée comme un thème culturel. Saint Paul appellerait cela entrer « dans la pensée du Christ » (1 Co 2,16). 

    Clément Borioli & le Pape François.jpg         La question de l’attirance vers le même sexe est souvent irritante pour ceux qui l’éprouvent, et cela ne se surmonte pas facilement. La honte, la solitude, et un sentiment de désespoir sont les ennemis. Avec une abondante charité, le Catéchisme de l’Église Catholique reconnaît que ceux qui ont des tendances homosexuelles sont nombreux, et que cette inclination « constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. » (§2358) Bien souvent, les personnes avec une SSA éprouvent également des dépendances au sexe, à la drogue ou sont confrontées à l’abus d’alcool, à la dépression, l’anxiété ou d’autres maladies psychiques. Cela reste avéré même dans les lieux où la promiscuité sexuelle est largement tolérée. Les hommes et femmes avec une SSA – peut-être jusqu’à 40% d’entre eux – pourraient avoir été les victimes d’un abus sexuel dans leur enfance. (Il est bon de garder ceci présent à l’esprit quand un jeune s’affirme "gay"). Dans bien des cas, ils diront que, aussi loin que remontent leurs souvenirs, ils se sont "toujours sentis différents", ou qu’ils "n’ont pas choisi cela". Mais saint Paul propose un chemin pour traverser cela : « Nous savons que Dieu œuvre en tout pour le bien de ceux qui L’aiment » (Rm 8,28). En tout... en chaque écharde. 

             Continuons avec un peu d’histoire, pour définir les termes et les origines de la SSA avant d’en arriver aux questions spécifiquement morales. Le Professeur anglais R.V. Young, de l’état de Caroline du Nord, remarque qu’il faut attendre la fin du XIXème siècle pour que le mot "homosexualité" soit considéré comme un terme du langage permettant de désigner la condition permanente d’un groupe déterminé de personnes, appelées "homosexuelles". Dans le langage des Grecs et des Romains, et dans les Saintes Écritures, le vocabulaire utilisé désignait en revanche les actes ou le comportement. Young suggère que cette nouveauté permet aux partisans de la révolution sexuelle de contrôler les termes du discours en société. Alors qu’il est indéniable que nous soyons transformés par nos actes, nous devons également convenir que l’identité d’une personne ne peut pas être réduite à ses désirs sexuels. 

             Le mot "homosexuel" utilisé comme un nom est donc ambigu, et peu utile dans une discussion. Fait-il référence à un attrait involontaire, à un comportement choisi, ou à un ensemble de convictions ? Plus encore, les sciences de la psychologie indiquent qu’il y a un large spectre, parmi ceux qui sont attirés par des personnes du même sexe, en termes d’intensité de l’attrait sexuel. C’est pour cela que Courage, porté par la charité chrétienne et par une saine anthropologie, utilise la terminologie "d’hommes et de femmes ayant une attirance vers le même sexe". 

    Amitié David & Jonathan Courage.jpg         Quelle est l’origine de l’attirance vers le même sexe ? D’abord, aucun constat scientifique n’établit l’existence d’un "gène gay". S’il y avait une explication génétique, alors dans le cas de vrais jumeaux, l’un ayant une attirance vers le même sexe, l’autre devrait également l’avoir. Or il est établi que l’occurrence simultanée de la SSA en de tels jumeaux (qui ont des gènes identiques) est très faible, peut-être seulement de 10%. De plus, les nombreux cas bien établis de changement dans l’attrait sexuel tendraient également à infirmer, pour la SSA, une cause génétique (et donc déterminée). Enfin, comme le chercheur Dale O’Leary l’a remarqué, une sexualité active, orientée vers le même sexe, est toujours stérile et donc ne peut pas être considérée comme une variance neutre au sein de la population humaine.

             Le Catéchisme de l’Église Catholique déclare précisément que la SSA est "objectivement désordonnée". (§2358) Ces mots peuvent résonner de manière fausse et libératrice tout à la fois. Ils sonnent faux, en tant qu’ils peuvent être perçus comme un jugement moral de la personne (ce qu’ils ne sont pas), plutôt qu’un jugement sur l’inclination considérée comme contraire à la nature humaine. Le désir de mentir est objectivement désordonné, de même que le désir de voler, de tricher, et de forniquer. Une fois mises en œuvre, ces inclinations iront toujours contre le bien de la personne tel qu’il peut être connu par la prima gratia, la loi morale naturelle, qui est imprimée dans le cœur et l’esprit de chacun (cf. Rm 2,15). Les mots du Catéchisme sont libérateurs précisément pour cette raison. Dans la personne qui a une SSA, quelque chose dit que ce désir ne s’accorde pas avec la nature, et la voix de l’Église confirme cet instinct.

             Revenons alors à la question de l’origine ou de la source du problème. L’attirance vers le même sexe est un désordre développemental qui est à la fois soignable et évitable. Il indique le développement incomplet d’un caractère probablement basé sur la convergence de plusieurs facteurs : le tempérament, l’environnement, l’expérience, et le libre arbitre. En d’autres mots, nous sommes nés mâle ou femelle, mais nous apprenons et croissons dans notre masculinité ou féminité au travers de la famille et des amis, des relations, et d’autres aspects de notre histoire personnelle et sociale. Ce qui compte dans chaque cas, c’est la manière dont la personne réagit face à ces facteurs. 

    IMG-20150501-00621.jpg         Quelques circonstances sont récurrentes, lorsque l’on étudie les profils de nombreuses personnes avec une SSA : une famille éclatée ou troublée, une aliénation du parent du même sexe (par exemple, du père pour le garçon) ou même la perception d’un désintéressement, un échec de l’enfant à s’intégrer avec des pairs du même sexe (spécialement vrai pour les garçons), et un choc sexuel. Cela signifie que la SSA n’est pas d’abord un problème sexuel, mais un symptôme ou une composante d’un problème antécédent, c’est-à-dire un déficit dans l’identité au genre, et décelable en grande partie dans la manière dont quelqu’un réagit aux situations précédemment évoquées. Quelque chose qui aurait dû survenir dans le développement de l’enfant n’est pas survenu. En particulier, le désir naturel d’une relation saine avec des personnes du même sexe est frustré ou insatisfait. Quand cela s’ajoute à d’autres facteurs, particulièrement à un tempérament sensible, ce désir peut s’érotiser. 

             Ainsi, les sentiments de SSA ou d’"être différent", quelle que soit l’ancienneté avec laquelle ils sont perçus, ne constituent pas une preuve que quelqu’un est "né comme ça". 

             La conscience de ces choses nous aide à identifier les enfants qui pourraient être "à risques" et sensibles à une blessure émotionnelle. Parce que la fréquence des hommes avec une SSA est probablement au moins le double de celles des femmes avec une SSA, la relation entre pères et fils devra toujours mériter une considération spéciale. Le Dr Joseph Nicolosi, de l’Association Nationale de Recherche et de Thérapie de l’Homosexualité, parle d’une absence de "plaisirs partagés" dans l’enfance et l’adolescence d’hommes avec une SSA, du plaisir mutuel et régulier d’une activité ou d’une expérience partagée entre un garçon et son père, qui fait habituellement partie d’une enfance normale. Par exemple, beaucoup d’hommes avec une SSA ont un déficit de coordination main/œil et de ce fait ont été rejetés ou été sujets de dérision pour leurs pères ou pour les garçons du voisinage, parce qu’ils ne pouvaient pas jouer avec aisance à certains sports. Très simplement, si un garçon ne peut pas bien jouer au football, il y a beaucoup d’autres choses que lui et son père peuvent faire et apprécier ensemble... mais l’initiative doit venir du père. 

             Dans le même temps, une mère qui est trop engagée dans la vie de son fils, spécialement si elle rabaisse le père aux yeux du garçon ou essaie de faire de son fils un mari de substitution, nuira certainement au développement de la masculinité du garçon. 

             Le fait que l’Église Catholique enseigne que l’activité homosexuelle (distinguée de l’inclination) est gravement immorale est largement connu, mais peut-être pas aussi largement compris. Peut-être peut-il être expliqué de cette manière. Le philosophe moraliste J. Budziszewski écrit que, en tant qu’individus, nous sommes « bienheureusement incomplets », ce qui est une autre manière de dire que nous sommes faits pour les autres. Dans le cas de l’amour conjugal, l’union de l’homme et de la femme en « une seule chair » commence dans la complémentarité des sexes où, précisément, l’homme est fait pour la femme et la femme pour l’homme. Cette complémentarité est physique, bien sûr, mais aussi émotionnelle, psychologique, et spirituelle. Au travers de l’union totale des esprits, des cœurs, des âmes et des corps, les époux se transcendent d’abord eux-mêmes, et alors leur amour s’incarne – ou se transcende – dans un enfant. Tel est le dessein de la nature sur le mariage et l’amour sexué. 

             Il n’y a qu’un petit pas entre le fait de séparer la procréation du mariage et de séparer l’activité sexuelle du mariage, et qu’un petit pas supplémentaire pour séparer l’activité sexuelle du dessein de la nature. Le rejet très large de l’enseignement d’Humanae Vitae, qui exprime simplement l’ordre naturel pour l’amour sexué, explique l’ambivalence de nombreux catholiques envers l’enseignement de l’Église au sujet de l’activité homosexuelle ou des unions entre personnes du même sexe. 

    Courage Amitié spirituelle .jpg         Ni nos gènes ni notre environnement ne nous contraignent à faire quoi que ce soit, et ici se fonde une raison d’espérer. Une fréquente tentation de colère, par exemple, ne signifie pas que quelqu’un doive y céder ou se la permettre. Saint Paul nous assure que « où le péché avait abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20). La grâce, la persévérance, l’amour et l’aide d’un thérapeute guidé par une saine anthropologie chrétienne peuvent transformer les cœurs de ceux qui ont une SSA. Quand Jésus dit que « la vérité vous rendra libres » (Jn 8,31), Il n’exprime pas tant un principe théologique qu’un rappel de ce que signifie être humain. Nous avons besoin de reconnaître humblement la vérité, et nous avons besoin de la vertu de courage pour la vivre. La liberté, renforcée et purifiée par la grâce, rend possible, pour chacun d’entre nous, de faire des blessures et des échardes de notre vie un chemin de joie.

             De manière regrettable, bien des gens pensent que tout ce que l’Église Catholique offre aux hommes et aux femmes ayant une attirance vers le même sexe est le mot « non ». Ainsi qu’une bonne mère, comme une forme d’expression de son amour pour ses enfants, l’Église dit effectivement « non » à l’autodestruction et au plaisir menteur du péché. Mais ce « non » est inclus dans un « oui » plus large, un oui à Celui qui est Amour, et qui S’est donné Lui-même au Père et à nous sur la Croix. Le Seigneur a demandé à saint Paul de trouver la force dans sa faiblesse au travers du pouvoir de la Croix. La mission de Courage est d’exprimer ce même paradoxe de salut aux hommes et aux femmes ayant un attrait vers le même sexe, et de les encourager à croire en ce qu’ils voient dans la vie du Maître et de Ses apôtres.

     

    Courage p. Paul N. Check.jpgP. Paul N. Check, prêtre du diocèse de Bridgeport,
    directeur de 
    Courage International

    Source : Courage et la Croix : la question de l’attirance vers le même sexe sur couragefrance.blogspot.fr

    site internet de Courage : www.couragerc.org

     



    [1] Note du traducteur : l’expression "Same Sex Attraction" a été traduite par "attirance vers le même sexe" ; sa forme abrégée SSA a été conservée.

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  • LE CŒUR ADMIRABLE DE LA TRÈS SACRÉE MÈRE DE DIEU par Jean Eudes

    LE CŒUR ADMIRABLE DE LA TRÈS SACRÉE MÈRE DE DIEU

    LIVRE DIXIÈME

    CONTENANT LE SACRÉ CANTIQUE DU TRÈS SAINT CŒUR

    DE LA BIENHEUREUSE VIERGE, AVEC SON EXPLICATION.

    StJeanEudesVitrail.jpg

     

    CHAPITRE I

    --Excellence de ce Cantique.

     

             Les divines Écritures contiennent plusieurs saints Cantiques qui ont été faits par de saintes femmes, à savoir, par Marie, la sœur de Moïse et d'Aaron, par Débora, par Judith, et par Anne, mère du prophète Samuel, pour rendre grâces à Dieu de plusieurs faveurs extraordinaires de sa divine Bonté. Mais le plus saint et le plus digne de tous les Cantiques est le Magnificat de la très sacrée Mère de Dieu, tant à raison de la dignité et sainteté de celle qui l'a fait, que pour les grands et admirables mystères qui y sont compris; comme aussi pour les miracles que Dieu a opérés par ce Cantique. Nous ne lisons point qu'il en ait fait aucun par les autres ; mais saint Thomas de Villeneuve, Archevêque de Valence, remarque[1] que ç'a été à la prononciation de ce Cantique que le Saint-Esprit a opéré plusieurs merveilles dans le saint Précurseur du Fils de Dieu, comme aussi dans son père et dans sa mère; et que l'expérience a fait voir plusieurs fois que c'est un excellent moyen pour chasser les démons des corps des possédés. Plusieurs autres graves auteurs rapportent divers miracles qui ont été faits par la récitation de ce même Cantique.

    Saint Anselme écrit de soi-même[2], qu'étant travaillé de plusieurs maladies qui lui faisaient souffrir des douleurs très aiguës, il en fut guéri entièrement en récitant le Magnificat.

    Césarius raconte d'un saint religieux, qui avait une dévotion particulière à la bienheureuse Vierge et spécialement en la récitation de ce Cantique, qu'étant proche de sa fin, cette même Vierge lui apparut, et lui déclara que dans sept jours il sortirait de ce monde ; ensuite de quoi elle lui donna sa bénédiction. Et le septième jour suivant, ce bon religieux étant à l'extrémité, elle lui apparut derechef, en la présence du Prieur du Monastère, accompagnée d'un grand nombre d'Anges et de Saints, et demeura présente jusqu'à ce que ce saint homme eût rendu son esprit à Dieu avec une joie qui n'est pas concevable.

    Le Cardinal Jacques de Vitry écrit, dans la Vie de sainte Marie d'Ognies, qu'étant proche de la mort, et chantant ce Cantique de la Mère de Dieu, elle lui apparut, et l'avertit de recevoir le sacrement de l'Extrême-Onction. Après quoi elle se trouva présente à sa fin, avec plusieurs Saints, et même avec le Saint des saints, son Fils Jésus.

    Tout ceci nous fait voir que c'est une chose très agréable à notre Sauveur et à sa divine Mère de réciter ce divin Cantique avec dévotion.

    Nous ne trouvons point que la bienheureuse Vierge l'ait chanté ou prononcé publiquement plus d'une fois, pendant qu'elle était en ce monde ; mais on ne peut pas douter qu'elle ne l'ait récité et peut-être chanté plusieurs fois en son particulier.

    Quelques auteurs rapportent qu'on l'a vue beaucoup de fois, en quelques églises, durant la célébration des Vêpres, environnée d'un grand nombre d'Anges, et qu'on l'a entendue chanter ce merveilleux Cantique avec eux et avec les prêtres, mais d'une manière si mélodieuse et si charmante, qu'il n'y a point de paroles qui la puisse exprimer.

    Souvenez-vous aussi, quand vous chanterez ou réciterez ce Cantique virginal, de vous donner au Saint-Esprit, pour vous unir à la dévotion et à toutes les saintes dispositions avec lesquelles il a été chanté et récité par la bienheureuse Vierge, et par un nombre innombrable de Saints et de Saintes, qui l'ont chanté et récité si saintement.

     

    CHAPITRE II

    --Raisons pour lesquelles le Magnificat peut être appelé le Cantique du Cœur de la très sainte Vierge.

     Vitrail Jean Eudes Sacré Coeur Montmartre.jpg         J'appelle le Magnificat le Cantique sacré du très saint Cœur de la bienheureuse Vierge, pour plusieurs raisons.

    Premièrement, parce qu'il a pris son origine dans ce divin Cœur, et qu'il en est sorti avant que de paraître en sa bouche.

    Secondement, parce que sa bouche ne l'a prononcé que par le mouvement qu'elle en a reçu de son Cœur, et de son Cœur corporel, spirituel et divin. Car le Cœur corporel de cette divine Vierge étant rempli d'une joie sensible et extraordinaire, a porté sa très sainte bouche à chanter ce Magnificat avec une ferveur et une jubilation extraordinaire. Son Cœur spirituel étant tout ravi et transporté en Dieu, a fait sortir de sa bouche sacrée ces paroles extatiques : Et exultavit spiritus meus

    in Deo salutari meo[3] : « Mon esprit est transporté de joie en Dieu mon Sauveur. »

    Son Cœur divin, c'est-à-dire son divin Enfant, qui est résidant en ses bénites entrailles et demeurant dans son Cœur, et qui est l'âme de son âme, l'esprit de son esprit, le Cœur de son Cœur, est le premier auteur de ce Cantique. C'est lui qui met les pensées et les vérités qui y sont contenues dans l'esprit de sa divine Mère, et c'est lui qui prononce par sa bouche les oracles dont il est rempli.

    Troisièmement, le Magnificat est le Cantique du Cœur de la Mère d'amour, c'est-à-dire le Cantique du Saint-Esprit, qui est l'Esprit et le Cœur du Père et du Fils, et qui est aussi le Cœur et l'Esprit de cette Vierge Mère, dont elle est tellement remplie et possédée, que sa présence et sa voix remplissent saint Zacharie, sainte Élisabeth, et l'enfant qu'elle porte dans son ventre, de ce même Esprit.

    Enfin c'est le Cantique du Cœur et de l'amour de cette Vierge très aimable, parce que c'est le divin amour dont est tout embrasée qui lui fait prononcer toutes les paroles de ce merveilleux Cantique, qui, selon saint Bernardin, sont autant de flammes d'amour qui sont sorties de l'ardente fournaise du divin amour qui brûle dans le Cœur sacré de cette Vierge incomparable.

    O Cantique d'amour, ô Cantique virginal du Cœur de la Mère d'amour, qui avez votre première origine dans le Cœur même du Dieu d'amour, qui est Jésus, et dans le Cœur de l'amour personnel et incréé, qui est le Saint-Esprit ; il n'appartient qu'à la très digne bouche de la Mère de la belle dilection de vous chanter et de vous prononcer. Les Séraphins même s'en réputent indignes. Comment est-ce donc que les pécheurs misérables, tels que nous sommes, osent proférer les divines paroles dont vous êtes composé, et passer par leurs bouches immondes les mystères ineffables que vous contenez ? Oh ! Avec quel respect et quelle vénération ce très saint Cantique doit-il être prononcé et chanté ! Oh ! quelle doit être la pureté de la langue et la sainteté de la bouche qui le prononce ! Oh ! quels feux et quelles flammes d'amour il doit allumer dans les Cœurs des ecclésiastiques et des personnes religieuses qui le récitent et le chantent si souvent ! Certainement il faudrait être tout Cœur et tout amour pour chanter et pour prononcer ce Cantique d'amour.

    O Mère de la belle dilection, faites-nous participants, s'il vous plaît, de la sainteté, de la ferveur et de l'amour avec lequel vous avez chanté en la terre ce Cantique admirable, que vous chanterez à jamais dans le ciel, avec tous les Anges et tous les Saints, et nous obtenez de votre Fils la grâce d'être du nombre de ceux qui le chanteront éternellement avec vous, pour rendre grâces immortelles à la très adorable Trinité de toutes les choses grandes qu'elle a opérées en vous et par vous, et des grâces innombrables qu'elle a faites à tout le genre humain par votre moyen.

     

    CHAPITRE III.

    --Explication du premier verset :

    Magnificat anima mea Dominum.

     

    Vitrail 2 Coeus St Jean Eudes SC.jpg

             Ce premier verset ne contient que quatre paroles, mais qui sont pleines de plusieurs grands mystères. Pesons-les soigneusement au poids du sanctuaire, c'est-à-dire, considérons-les attentivement et avec un esprit d'humilité, de respect et de piété, pour nous animer à magnifier Dieu avec la bienheureuse Vierge pour les choses grandes et merveilleuses qu'il a opérées en elle, par elle, pour elle et pour nous aussi.

    Voici la première parole : Magnificat. Que veut dire cette parole ? Qu'est-ce que magnifier Dieu ? Peut-on magnifier celui dont la grandeur et la magnificence sont immenses, infinies et incompréhensibles ? Nullement cela est impossible, et impossible à Dieu même, qui ne peut pas se faire plus grand qu'il est. Nous ne pouvons pas magnifier, c'est-à-dire faire Dieu plus grand en lui-même, puisque ses divines perfections étant infinies ne peuvent recevoir aucun accroissement en elles-mêmes ; mais nous le pouvons magnifier en nous. Toute âme sainte, dit saint Augustin[4], peut concevoir le Verbe éternel en soi-même, par le moyen de la foi ; elle peut l'enfanter dans les autres âmes par la prédication de la divine parole ; et elle peut le magnifier en l'aimant véritablement, afin qu'elle puisse dire : Mon âme magnifie le Seigneur. Magnifier le Seigneur, dit le même saint Augustin, c'estadorer, louer, exalter sa grandeur immense, sa majesté suprême, ses excellences etperfections infinies.

    Nous pouvons magnifier Dieu en plusieurs manières. 1. Par nos pensées, ayant une très haute idée et une très grande estime de Dieu et de toutes les choses de Dieu. 2. Par nos affections, en aimant Dieu de tout notre Cœur et par-dessus toutes choses. 3. Par nos paroles, en parlant toujours de Dieu et de toutes les choses qui le regardent avec un très profond respect, et en adorant et exaltant sa puissance infinie, sa sagesse incompréhensible, sa bonté immense et ses autres perfections. 4. Par nos actions, en les faisant toujours pour la seule gloire de Dieu. 5. En pratiquant ce que le Saint-Esprit nous enseigne en ces paroles : Humilia te in omnibus, et coram Deo invenies gratiam, quoniam magna potentia Dei solius, et ab humilibus honoratur[5] : « Humiliez-vous en toutes choses, et vous trouverez grâce devant Dieu, d'autant que la grande et souveraine puissance n'appartient qu'à lui seul, et il est honoré par les humbles. » 6. En portant les croix que Dieu nous envoie, de grand Cœur pour l'amour de lui. Car il n'y a rien qui l'honore davantage que les souffrances, puisque notre Sauveur n'a pas trouvé de moyen plus excellent pour glorifier son Père, que les tourments et la mort de la croix. Enfin magnifier Dieu, c'est le préférer et l'exalter par-dessus toutes choses, par nos pensées, par nos affections, par nos actions, par nos humiliations et par nos mortifications.

    Mais, hélas ! nous faisons souvent tout le contraire ; car au lieu de l'exalter, nous l'abaissons ; au lieu de le préférer à toutes choses, nous préférons les créatures au Créateur ; au lieu de préférer ses volontés, ses intérêts, sa gloire et son contentement à nos volontés, à nos intérêts, à notre honneur et à nos satisfactions, nous faisons tout le contraire, nous postposons Jésus à Barrabas. N'est-ce pas ce que font tous les jours les pécheurs ? O chose épouvantable ! Dieu a élevé l'homme au plus haut trône de la gloire et de la grandeur par son Incarnation ; et l'homme ingrat et détestable abaisse et humilie son Dieu jusqu'au plus profond du néant. Oui, jusqu'au plus profond du néant, puisque celui qui pèche mortellement préfère un chétif intérêt temporel, un infâme plaisir d'un moment et un peu de fumée d'un honneur passager, à son Dieu et à son Créateur ; et que même il l'anéantit autant qu'il est en lui, selon ces paroles de saint Bernard : Deum, in quantum in se est, perimit ; ne voulant point d'autre Dieu que soi-même et ses passions déréglées.

    Ce n'est pas ainsi que vous en usez, Ô Vierge sainte ! Car vous avez toujours magnifié Dieu très hautement et très parfaitement, depuis le premier moment de votre vie jusqu'au dernier. Vous l'avez toujours magnifié très excellemment, par toutes vos pensées, par toutes vos affections, par toutes vos paroles, par toutes vos actions, par votre très profonde humilité, par toutes vos souffrances, par la pratique en souverain degré de toutes les vertus, et par le très saint usage que vous avez fait de toutes les puissances de votre âme et de tous vos sens intérieurs et extérieurs. Enfin vous seule l'avez glorifié plus dignement et magnifié plus hautement que toutes les créatures ensemble.

    Venons à la seconde parole de notre Cantique, qui est anima : « Mon âme magnifie le Seigneur ». Remarquez que la bienheureuse Vierge ne dit pas Je magnifie, mais Mon âme magnifie le Seigneur, pour montrer qu'elle le magnifie du plus intime de son Cœur et de toute l'étendue de ses puissances intérieures. Elle ne le magnifie pas aussi seulement de sa bouche et de sa langue, de ses mains et de ses pieds ; mais elle emploie toutes les facultés de son âme, son entendement, sa mémoire, sa volonté et toutes les puissances de la partie supérieure et inférieure de son âme, et elle épuise toutes les forces de son intérieur et de son extérieur pour louer, glorifier et magnifier son Dieu. Et elle ne le magnifie pas seulement en son nom particulier, ni pour satisfaire aux obligations infinies qu'elle a de le faire, à raison des faveurs inconcevables qu'elle a reçues de sa divine Bonté ; mais elle le magnifie au nom de toutes les créatures, et pour toutes les grâces qu'il a faites à tous les hommes, s'étant fait homme pour les faire dieux et pour les sauver tous, s'ils veulent correspondre aux desseins de l'amour inconcevable qu'il a pour eux.

    Voici la troisième parole : mea, « mon âme ». Quelle est cette âme que la bienheureuse Vierge appelle son âme ?

    Je réponds à cela premièrement, que je trouve un grand auteur[6] qui dit que cette âme de la bienheureuse Vierge, c'est son Fils Jésus, qui est l'âme de son âme.

    Secondement, je réponds que ces paroles, anima mea comprennent en premier lieu l'âme propre et naturelle qui anime le corps de la sacrée Vierge ; en second lieu, l'âme du divin Enfant qu'elle porte en ses entrailles, qui est unie si étroitement à la sienne, que ces deux âmes ne font en quelque manière qu'une seule âme, puisque l'enfant qui est dans les entrailles maternelles n'est qu'un avec sa mère. En troisième lieu, que ces paroles, anima mea, mon âme, marquent et renferment toutes les âmes créées à l'image et à la ressemblance de Dieu, qui ont été, sont et seront dans tout l'univers. Car si saint Paul nous assure que le Père éternel nous a donné toutes choses en nous donnant son Fils : Cum ipso omnia nobis donavit[7], il est sans doute qu'en le donnant à sa divine Mère, il lui a donné aussi toutes choses. À raison de quoi toutes les âmes sont à elle. Et comme elle n'ignore pas cela, et qu'elle connaît aussi très bien qu'elle est en obligation de faire usage de tout ce que Dieu lui a donné, pour son honneur et pour sa gloire, lorsqu'elle prononce ces paroles, Mon âme magnifie le Seigneur, regardant toutes les âmes qui ont été, sont et seront, comme des âmes qui lui appartiennent, elle les embrasse toutes pour les unir à l'âme de son Fils et à la sienne, et pour les employer à louer, exalter et magnifier celui qui est descendu du ciel et qui s'est incarné dans son sein virginal pour opérer le grand œuvre de leur Rédemption.

    Nous voici à la dernière parole du premier verset : Dominum : « Mon âme magnifie le Seigneur. »

    Quel est ce Seigneur que la bienheureuse Vierge magnifie ? C'est celui qui est le Seigneur des seigneurs, et le Seigneur souverain et universel du ciel et de la terre.

    Ce Seigneur est le Père éternel, ce Seigneur est le Fils, ce Seigneur est le Saint-Esprit, trois personnes divines qui ne sont qu'un Dieu et un Seigneur, et qui n'ont qu'une même essence, puissance, sagesse, bonté et majesté. La très sacrée Vierge loue et magnifie le Père éternel de l'avoir associée avec lui dans sa divine paternité, la rendant Mère du même Fils dont il est le Père. Elle magnifie le Fils de Dieu, de ce qu'il a bien voulu la choisir pour sa Mère et être son véritable Fils. Elle magnifie le Saint-Esprit, de ce qu'il a voulu accomplir en elle la plus grande de ses œuvres, c'est-à-dire le mystère adorable de l'Incarnation. Elle magnifie le Père, le Fils et le Saint-Esprit des grâces infinies qu'ils ont faites et qu'ils ont dessein de faire à tout le genre humain.

    Apprenons d'ici qu'un des principaux devoirs que Dieu demande de nous, et une de nos plus grandes obligations vers sa divine Majesté, est la reconnaissance de ses bienfaits, dont nous devons lui rendre grâces de tout notre Cœur et avec une affection très particulière. Ayons donc soin d'imiter en ceci la glorieuse Vierge, et de dire souvent avec elle : Magnificat anima mea Dominum, pour remercier la très sainte Trinité, non seulement de toutes les grâces que nous avons reçues, mais aussi de tous les biens qu'elle a jamais faits à toutes ses créatures. Et en disant ces paroles : anima mea, souvenons-nous que le Père éternel, en nous donnant son Fils, nous a donné toutes choses avec lui, et par conséquent que les âmes saintes de Jésus et de sa divine Mère, et toutes les autres âmes généralement sont à nous : À raison de quoi nous pouvons et devons en faire usage pour la gloire de celui qui nous les a données, par un grand désir de louer et glorifier Dieu de tout notre Cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces, comprenant en ces paroles tous les Cœurs et toutes les âmes de l'univers, qui sont nôtres et que nous voulons unir ensemble, n'en faisant qu'un Cœur et qu'une âme pour l'employer à louer notre Créateur et notre Sauveur.

     

    CHAPITRE IV

    --Explication du second verset :

    Et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo :

    « Mon esprit est transporté de joie en Dieu mon Sauveur. »

     

    Vitrail 2 Coeus St Jean Eudes SC.jpg         Ces divines paroles prononcées de la bouche sacrée de la Mère du Sauveur, nous déclarent la joie ineffable et incompréhensible dont son Cœur, son esprit et son âme, avec toutes ses facultés, ont été remplies et saintement enivrées au moment de l'Incarnation du Fils de Dieu en elle, et pendant qu'elle l'a porté dans ses bénites entrailles ; et même durant tout le reste de sa vie, selon Albert le Grand et quelques autres Docteurs. Joie qui a été si excessive, spécialement au moment de l'Incarnation, que, comme son âme sainte a été séparée de son corps au dernier instant de sa vie, par la force de son amour vers Dieu et par l'abondance de la joie qu'elle avait de se voir sur le point d'aller avec son Fils dans le ciel ; elle serait morte aussi de joie en la vue des bontés inénarrables de Dieu au regard d'elle et au regard de tout le genre humain, si elle n'avait été conservée en vie par miracle. Car, si l'histoire nous fait foi que la joie a fait mourir plusieurs personnes, en la vue de quelques avantages temporels qui leur étaient arrivés, il est très croyable que cette divine Vierge en serait morte aussi, si elle n'avait été soutenue par la vertu du divin Enfant qu'elle portait en ses entrailles virginales, vu qu'elle avait les plus grands sujets de joie qui aient jamais été et qui seront jamais.

    Car, 1. Elle se réjouissait en Dieu, in Deo, c'est-à-dire de ce que Dieu est infiniment puissant, sage, bon, juste et miséricordieux ; et de ce qu'il fait éclater d'une manière si admirable sa puissance, sa bonté et tous ses autres divins attributs au mystère de l'Incarnation et de la Rédemption du monde.

    2. Elle se réjouissait en Dieu son Sauveur, de ce qu'il est venu en ce monde pour la sauver et racheter premièrement et principalement, en la préservant du péché originel, et en la comblant de ses grâces et de ses faveurs, avec tant de plénitude, qu'il l'a rendue la Médiatrice et la Coopératrice avec lui du salut de tous les hommes.

    3. Son Cœur était comblé de joie de ce que Dieu l'a regardée des yeux de sa bénignité, c'est-à-dire a aimé et approuvé l'humilité de sa servante, dans laquelle il a pris un contentement et une complaisance très singulière. C'est ici, dit saint Augustin[8], la cause de la joie de Marie, parce qu'il a regardé l'humilité de sa servante ; comme si elle disait : Je me réjouis de la grâce que Dieu m'a faite, parce que c'est de lui que j'ai reçu le sujet de cette joie ; et je me réjouis en lui, parce que j'aime ses dons pour l'amour de lui.

    4. Elle se réjouissait des choses grandes que sa toute-puissante Bonté a opérées en elle, qui sont les plus grandes merveilles qu'il ait jamais faites en tous les siècles passés, et qu'il fera en tous les siècles à venir, ainsi que nous verrons ci-après, dans l'explication du quatrième verset.

    5. Elle se réjouissait non seulement des faveurs qu'elle a reçues de Dieu, mais aussi des grâces et des miséricordes qu'il a répandues sur tous les hommes qui veulent se disposer à les recevoir.

    6. Elle se réjouissait non seulement de la bonté de Dieu au regard de ceux qui n'y mettent point d'empêchement, mais aussi des effets de sa justice sur les superbes, qui méprisent ses libéralités.

    Outre cela la bienheureuse Vierge se réjouissait d'une autre chose fort particulière, et qui est digne de sa bonté incomparable. C'est saint Antonin qui la met en avant[9], et je la rapporte ici, afin que cela nous excite à aimer et servir celle qui a tant d'amour pour nous. Voici ce que c'est : Saint Antonin, expliquant ces paroles : Exultavit spiritus meus, dit qu'il les faut entendre comme celles que notre Sauveur a dites en la croix : Pater, in manus tuas commendo spiritum meum[10] : « Mon Père, je recommande mon esprit entre vos mains », c'est-à-dire je vous recommande, dit saint Antonin, tous ceux qui seront unis à moi par la foi et par la charité. Car celui qui adhère à Dieu n'est qu'un esprit avec lui : Qui enim adhaeret Deo, unus spiritus est cum eo[11]. Semblablement la Mère du Sauveur (c'est toujours saint Antonin qui parle), étant toute ravie et comme extasiée et transportée en Dieu, lorsqu'elle prononce ces paroles : Exultavit spiritus meus, etc., elle voit en esprit une multitude presque innombrable de ceux qui auront une dévotion et affection particulière pour elle, et qui seront du nombre des prédestinés, dont elle reçoit une joie inconcevable.

    Cela étant ainsi, qui est-ce qui ne se portera point à aimer cette Mère toute bonne et toute aimable, qui a tant d'amour pour ceux qui l'aiment, qu'elle les regarde et les aime comme son esprit, son âme et son Cœur ? Écoutons ce que le bienheureux Lansperge dit à chacun de nous, pour nous porter à cela[12] :

    « Je vous exhorte, mon cher fils, d'aimer notre très sainte Dame et notre divine Maîtresse. Car si vous désirez vous garantir d'une infinité de périls et de tentations dont cette vie est pleine, si vous désirez trouver de la consolation et n'être point accablé de tristesse dans vos adversités, si enfin vous souhaitez d'être uni inséparablement avec notre Sauveur, ayez une vénération et une affection singulière pour sa très pure, très aimable, très douce, très fidèle, très gracieuse et très puissante Mère. Car, si vous l'aimez véritablement et que vous tâchiez de l'imiter soigneusement, vous expérimenterez qu'elle vous sera aussi une Mère pleine de douceur et de tendresse, et qu'elle est si peine de bonté et de miséricorde, qu'elle ne méprise personne et qu'elle ne délaisse aucun de ceux qui l'invoquent : n'ayant point de plus grand désir que d'élargir les trésors des grâces que son Fils lui a mis entre les mains, à tous les pécheurs. Quiconque aime cette Vierge immaculée est chaste ; quiconque l'honore est dévot ; quiconque l'imite est saint.

    Personne ne l'aime sans ressentir les effets de son amour réciproque ; pas un de ceux qui lui ont dévotion ne peut périr ; pas un de ceux qui tâchent de l'imiter ne peut manquer d'acquérir le salut éternel. Combien a-t-elle reçu, dans le sein de sa miséricorde, de misérables pécheurs qui étaient comme dans le désespoir et dans l'abandon à toutes sortes de vices, et qui avaient déjà, s'il faut ainsi dire, un pied dans l'enfer, et qu'elle n'a pas néanmoins rejetés, lorsqu'ils ont eu recours à sa piété ; mais qu'elle a arrachés de la gueule du dragon infernal, les réconciliant avec son Fils, et les remettant dans le chemin du paradis ? Car c'est une grâce, un privilège et un pouvoir que son Fils lui a donné, qu'elle puisse amener à la pénitence ceux qui l'aiment, à la grâce ceux qui lui sont dévots, et à la gloire du ciel ceux qui s'efforcent de l'imiter.»

    Si vous désirez savoir maintenant ce qu'il faut faire pour aimer et louer le Fils et la Mère, et pour rendre grâce à Dieu avec elle de toutes les joies qu'il lui a données, écoutez ce qu'elle-même dit un jour à sainte Brigitte[13] :

    « Je suis, lui dit-elle, la Reine du ciel. Vous êtes en soin de quelle manière vous me devez louer. Sachez pour certain que toutes les louanges que l'on donne à mon Fils sont mes louanges, et quiconque le déshonore me déshonore ; parce que je l'ai aimé si tendrement, et il m'a aimée si ardemment, que lui et moi nous n'étions qu'un Cœur. Et il m'a tant honorée, moi qui n'étais qu'un chétif vaisseau de terre, qu'il m'a exaltée par-dessus tous les Anges. Voici donc comme vous devez me louer, en bénissant mon Fils. Béni soyez-vous, ô mon Dieu, Créateur de toutes choses, qui avez daigné descendre dans les sacrées entrailles de la Vierge Marie ! Béni soyez-vous, ô mon Dieu, qui avez daigné prendre une chair immaculée et sans péché de la Vierge Marie, et qui avez demeuré en elle l'espace de neuf mois, sans lui causer aucune incommodité. Béni soyez-vous, ô mon Dieu, qui étant venu en Marie par votre admirable Incarnation, et en étant sorti par votre Naissance ineffable, l'avez comblée intérieurement et extérieurement d'une joie incompréhensible. Béni soyez-vous, ô mon Dieu, qui, après votre Ascension, avez souvent rempli cette divine Marie, votre Mère, de vos célestes consolations ; et qui l'avez souvent visitée et consolée par vous-même ! Béni soyez-vous, ô mon Dieu, qui avez transporté dans le ciel le corps et l'âme de cette glorieuse Vierge, et qui l'avez établie par-dessus tous les Anges, dans un trône très sublime proche de votre divinité !

    Faites-moi miséricorde par ses prières et pour l'amour d'elle. »

    Voici encore une des joies de la Reine du ciel, qui sont marquées en ces paroles : Exultavit spiritus meus, etc., laquelle surpasse infiniment toutes les autres : C'est que plusieurs saints Pères et graves Docteurs écrivent que cette Vierge Mère étant comme extasiée et transportée en Dieu, au moment de l'Incarnation de son Fils en elle, fut remplie des joies inconcevables que les Bienheureux possèdent dans le ciel, et qu'elle fut ravie jusqu'au troisième ciel, là où elle eut le bonheur de voir Dieu face à face et très clairement. La preuve que ces saints Pères en apportent est parce que c'est une maxime indubitable parmi eux, que tous les privilèges dont le Fils de Dieu a honoré ses autres Saints, il les a communiqués à sa divine Mère. Or, saint Augustin, saint Chrysostome, saint Ambroise, saint Basile, saint Anselme, saint Thomas et plusieurs autres ne font point de difficulté de dire que saint Paul, étant encore ici-bas, vit l'essence de Dieu, lorsqu'il fut ravi au troisième ciel. Qui peut douter après cela que la Mère de Dieu, qui a toujours vécu dans une très parfaite innocence, et qui l'a plus aimé elle seule que tous les Saints ensemble, n'ait joui de cette même faveur, non pas une fois seulement, mais plusieurs, spécialement au moment heureux de la conception de son Fils ? C'est le sentiment de saint Bernard, d'Albert le Grand, de saint Antonin et de beaucoup d'autres. « O bienheureuse Marie, s'écrie le saint abbé Rupert[14], ç'a été pour lors qu'un déluge de joie, une fournaise d'amour et un torrent de délices célestes est venu fondre sur vous, et vous a toute absorbée et enivrée, et vous a fait ressentir ce que jamais œil n'a vu, ni oreille entendu, ni Cœur humain compris. »

    Apprenons de là que les enfants du siècle sont dans une erreur très pernicieuse et se trompent lourdement, de s'imaginer qu'il n'y a point de joie ni de contentement en ce monde, mais qu'il n'y a que tristesse, amertume et affliction pour ceux qui servent Dieu. Oh ! tromperie insupportable ! oh ! mensonge détestable, qui ne peut procéder que de celui qui est le père de toutes les erreurs et de toutes les faussetés.

    N'oyons-nous pas la voix de la Vérité éternelle qui crie : Tribulation et angoisse à toute âme de l'homme qui fait le mal ; mais gloire, honneur et paix à tous ceux qui font le bien[15] ; et que le Cœur de l'impie est semblable à une mer qui est toujours agitée, troublée et bouleversée : Cor impii quasi mare fervens[16] ; et que la crainte de Dieu change les Cœurs de ceux qui l'aiment, en un paradis de joie, d'allégresse, de paix, de contentement et de délices inexplicables : Timor Domini delectabit cor, et dabit laetitiam et gaudium[17] ; et que les vrais serviteurs de Dieu possèdent une félicité plus solide, plus véritable et plus grande, même au milieu des plus fortes tribulations, que tous les plaisirs de ceux qui suivent le parti de Satan.

    N'entendez-vous pas saint Paul qui assure : qu'il est rempli de consolation et qu'il nage dans la joie au milieu de toutes ses tribulations[18] ?

    Voulez-vous connaître ces vérités par l'expérience ? Gustate et videte quoniam suavis est Dominus[19] : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est plein de bonté, d'amour et de douceur pour ses véritables amis. » Mais si vous désirez faire cette expérience, il est nécessaire de renoncer aux faux plaisirs et aux trompeuses délices du monde, c'est-à-dire du moins aux plaisirs illicites qui déplaisent à Dieu et qui sont incompatibles avec le salut éternel ; car le Saint-Esprit nous déclare que nous ne pouvons pas boire de la coupe du Seigneur et de la coupe des démons : et qu'il est impossible de manger à la table de Dieu et à la table des diables : Non potestis calicem Domini bibere et calicem daemoniorum, non potestis mensa Domini participes esse, et mensa daemoniorum[20]. Si donc vous désirez manger à la table du Roi du ciel et boire dans sa coupe, renoncez tout à fait à la table de l'enfer et à la coupe des diables, et alors vous expérimenterez combien ces divines paroles sont véritables : Inebriabuntur ab ubertate domus tua, et torrente voluptatis tua potabis eos[21] « Oui, Seigneur, vous abreuverez, vous rassasierez et vous enivrerez vos enfants de l'abondance des biens de votre maison, et des torrents de vos délices. »

    O Vierge sainte, imprimez dans nos Cœurs une participation du mépris, de l'aversion et du détachement que votre Cœur virginal a toujours porté des faux plaisirs de la terre, et nous obtenez de votre Fils la grâce de mettre tout notre contentement, notre joie et nos délices à l'aimer et glorifier, et à vous servir et honorer de tout notre Cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces.

     

    CHAPITRE V.

    --Explication du troisième verset :

    Quia respexit humilitatem ancillae suae :

    ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes.

     

             Pour bien entendre ce verset, il le faut joindre avec le précédent dont il est la suite, en cette manière : Mon esprit est ravi et tout transporté de joie en Dieu mon Sauveur, parce qu'il a regardé l'humilité de sa servante ; car voilà que désormais toutes les générations me diront bienheureuse.

    Ce verset contient deux choses principales, dont la première est exprimée en ces paroles : Il a regardé l'humilité de sa servante. Quelle est cette humilité dont la bienheureuse Vierge parle ici ? Les sentiments des saints Docteurs sont partagés là-dessus. Quelques uns disent qu'entre toutes les vertus, l'humilité est la seule qui ne se regarde et ne se connaît point elle-même ; car celui qui se croit humble est superbe. À raison de quoi, quand la bienheureuse Vierge dit que Dieu a regardé son humilité, elle parle, non pas de la vertu d'humilité, mais de sa bassesse et de son abjection.

    Mais les autres disent que l'humilité d'une âme ne consiste pas à ignorer les grâces que Dieu lui a faites, et les vertus qu'il lui a données, mais à lui renvoyer ses dons et à ne garder pour elle que le néant et le péché ; et que le Saint-Esprit, parlant par la bouche de cette divine Vierge, nous veut donner à entendre qu'entre toutes ces vertus, il a regardé, aimé et approuvé principalement son humilité, parce que, s'étant abaissée au-dessous de toutes choses, cette humilité a porté sa divine Majesté à l'élever par-dessus toutes les créatures en la faisant Mère du Créateur. O vraie humilité, s'écrie saint  Augustin[22], qui a enfanté Dieu aux hommes, et qui a donné la vie aux mortels. L'humilité de Marie est l'échelle du ciel par laquelle Dieu est descendu en la terre. Car qu'est-ce que dire respexit, il a regardé, sinon approbavit, il a approuvé ? Il y en a plusieurs qui paraissent humbles devant les hommes, mais leur humilité n'est point regardée de Dieu. Car s'ils étaient véritablement humbles, ils ne se plairaient pas dans les louanges des hommes, et leur esprit ne se réjouirait point en l'applaudissement de ce monde, mais en Dieu.

    « Il y a deux sortes d'humilité, dit saint Bernard[23]. La première est la fille de la vérité, et celle-ci est froide et sans chaleur. La seconde est la fille de la charité, et celle-là nous enflamme. La première consiste en la connaissance, et la seconde en l'affection. Par la première, nous connaissons que nous ne sommes rien, et nous apprenons celle-ci de nous-mêmes et de notre propre misère et infirmité. Par la seconde, nous foulons aux pieds la gloire du monde, et nous apprenons celle-ci de celui qui s'est anéanti soi-même, et qui s'est enfui lorsqu'on l'a cherché pour l'élever à la gloire de la royauté ; et qui, au lieu de s'enfuir, s'est offert volontairement quand on l'a cherché pour le crucifier et pour le plonger dans un abîme d'opprobres et d'ignominies. »

    La bienheureuse Vierge a possédé en souverain degré ces deux sortes d'humilité, spécialement la seconde ; et saint Augustin, saint Bernard, Albert le Grand, saint Bonaventure, saint Thomas et plusieurs autres, tiennent que ces paroles que le Saint-Esprit a prononcées par la bouche de cette très humble Vierge : Respexit humilitatem, s'entendent de la vraie humilité.

    Si vous demandez pourquoi Dieu a plutôt regardé l'humilité de la très sacrée Vierge ; que sa pureté et ses autres vertus, vu qu'elles étaient toutes en elle en un très haut degré, Albert le Grand vous répondra, avec saint Augustin, qu'il a regardé plutôt son humilité, parce qu'elle lui était plus agréable que sa pureté[24]. « La virginité est bien louable, dit saint Bernard[25], mais l'humilité est nécessaire. Celle-là est de conseil celle-ci est de commandement. Vous pouvez être sauvé sans la virginité, mais il n'y a point de salut sans l'humilité. Sans l'humilité, j'ose dire que la virginité de Marie n'aurait point été agréable à Dieu. Si Marie n'était point humble, le Saint-Esprit ne serait point descendu en elle ; et s'il n'était point descendu en elle, elle ne serait point Mère de Dieu. Elle a plu à Dieu par sa virginité, mais elle a conçu le Fils de Dieu par son humilité. D'où il faut inférer que ç'a été son humilité qui a rendu sa virginité agréable à sa divine Majesté. »

    O sainte humilité, c'est toi qui nous as donné un Homme-Dieu et une Mère de Dieu, et par conséquent c'est toi qui nous as donné toutes les grâces, toutes les faveurs, toutes les bénédictions, tous les privilèges et tous les trésors que nous possédons en la terre, et que nous espérons posséder un jour dans le ciel. C'est toi qui détruis tous les maux, et qui es la source de tous les biens. Oh ! combien devons-nous estimer, aimer et désirer cette sainte vertu ! Oh ! avec quelle ferveur la devons-nous demander à Dieu ! Oh ! avec qu'elle ardeur devons-nous rechercher et embrasser tous les moyens nécessaires pour l'acquérir ! Quiconque n'a point d'humilité, n'a rien ; et quiconque a l'humilité, a toutes les autres vertus. De là vient qu'il semble, à entendre parler le Saint-Esprit par la bouche de l'Église, que le Père éternel n'a envoyé son Fils en ce monde pour s'incarner et pour y être crucifié, qu'afin de nous enseigner l'humilité par son exemple. C'est ce que la sainte Église dit à Dieu dans cette oraison du dimanche des Rameaux : Omnipotens sempiterne Deus, qui humano generi, ad imitandum humilitatis exemplum, Salvatorem nostrum carnem sumere et crucem subire fecisti, etc. Quod diabolus, dit un saint Père, per superbiam dejecit, Christus per humilitatem erexit[26] « Ce que le démon a détruit par la superbe, le Sauveur l'a rétabli par l'humilité. »

    Apprenons de là combien la superbe est formidable et détestable. Comme l'humilité est la source de tous les biens, l'orgueil est le principe de tous les maux Initium peccati[27], et selon le grec, Initium omnis peccati, ou selon la diction syriaque, Fons peccati superbia : « Le commencement et le principe du péché et de tout péché c'est la superbe », que le Saint-Esprit appelle une apostasie, Apostatare a Deo[28]. D'où il s'ensuit que le péché étant la source de tous les maux et de tous les malheurs de la terre et de l'enfer, il les faut tous attribuer à la superbe. De sorte que représentez-vous un nombre innombrable d'Anges, que Dieu avait créés au commencement du monde, plus beaux et plus brillants que le soleil, qui sont changés en autant de diables horribles, chassés du paradis, précipités dans l'enfer et condamnés à des supplices éternels. Quelle est la cause de ce malheur ? C'est la superbe de ces esprits apostats. Représentez-vous tous les blasphèmes que ces créatures rebelles à leur Créateur vomiront éternellement contre lui dans l'enfer, avec tant de millions et de milliasses de péchés qu'ils ont fait commettre et qu'ils feront commettre aux hommes en tout l'univers, jusqu'à la fin du monde, par leurs tentations. Quelle est la cause de tous ces maux ? C'est la superbe. Mettez-vous devant les yeux tant et tant de millions d'âmes qui se sont perdues par l'impiété de Mahomet ; par l'hérésie d'Arius, qui a duré trois cents ans ; par celles de Nestorius, de Pélagius, de Luther, de Calvin et de plusieurs autres hérésiarques. Qui est-ce qui a perdu toutes ces âmes ? C'est la superbe, qui est la mère de toutes les hérésies, dit saint Augustin : Mater haeresum superbia. Enfin imaginez-vous tant de milliasses d'âmes qui brûlent et qui brûleront éternellement dans les flammes dévorantes de l'enfer. Quelle est la cause d'un si effroyable désastre, sinon la superbe du premier ange et la superbe du premier homme, qui sont les deux sources de tous les crimes, et par conséquent de tous les malheurs qui en procèdent ? On n'a jamais pu, dit saint Prosper, on ne peut et on ne pourra jamais faire aucun péché sans superbe ; car tout péché n'est autre chose sinon un mépris de Dieu : Nullum peccatum fieri potest, potuit, aut poterit, sine superbia ; siquidem nihil aliud est omne peccatum, nisi contemptus Dei[29].

    Les autres vices, dit saint Grégoire le Grand, combattent seulement les vertus qui leur sont contraires ; mais la superbe, qui est la racine de tous les vices, ne se contente pas de détruire une vertu, c'est une peste générale qui les fait toutes mourir[30]. « Comme la superbe, dit saint Bernard, est l'origine de tous les crimes, elle est aussi la ruine de toutes les vertus ». « L'ambition, dit le même Saint[31], est un mal subtil, un poison secret, une peste cachée, une ouvrière de tromperie, la source de l'hypocrisie, la mère de l'envie, l'origine des vices, le foyer des crimes, la rouille des vertus, la teigne de la sainteté, l'aveuglement des Cœurs, qui change les remèdes en maux et la médecine en venin. Combien d'âmes ont été étouffées par cette peste ? Combien a-t-elle dépouillé de chrétiens de la robe nuptiale, pour les jeter dans les ténèbres extérieures ? »

    Quand la superbe, dit saint Grégoire le Grand[32], a pris possession d'un Cœur, elle le livre aussitôt à la fureur et au pillage des sept principaux vices, qui sont les capitaines de son armée. Mais elle l'asservit principalement à la tyrannie de l'impudicité ; car le Saint-Esprit nous déclare que la superbe a été la cause des abominations et de la perdition des Sodomites : Haec fuit iniquitas Sodomae superbia[33].

    Tout superbe, dit un saint Père, est rempli du démon : Quisquis superbus est, daemone plenus est[34]. L'on ne discerne point les enfants de Dieu d'avec les enfants du diable que par l'humilité et par la superbe : Non discernuntur filii Dei et filii diaboli, nisi humilitate atque superbia[35]. Quand vous verrez un superbe, ne doutez point que ce ne soit un enfant de Satan ; mais quand vous verrez un homme humble, croyez assurément que c'est un enfant de Dieu : Quemcumque superbum videris, diaboli esse filium non dubites ; quemcumque humilem conspexeris, Dei esse filium confidenter credere debes.

    Si donc nous redoutons d'être au rang des esclaves de Satan, et si nous désirons d'être du nombre des enfants de Dieu, ayons en horreur l'ambition, l'orgueil, la superbe, la présomption et la vanité ; déclarons une guerre mortelle à ces monstres d'enfer, et ne souffrons point qu'ils aient jamais aucune part en nos pensées, en nos sentiments, en nos paroles et en nos actions ; mais efforçons-nous autant que nous pourrons, avec la grâce de Dieu, d'y établir le règne de la très sainte humilité de Jésus et de Marie.

    O Jésus, le Roi des humbles, faites-nous la grâce, s'il vous plaît, de bien apprendre la divine leçon que vous nous avez faite par ces saintes paroles : Apprenez de moi que je suis doux et humble de Cœur[36].

    O Marie, la Reine des humbles, c'est à vous qu'il appartient de briser la tête du serpent, qui est l'orgueil et la superbe. Écrasez-la donc entièrement dans nos Cœurs, et nous rendez participants de votre sainte humilité, afin que nous puissions chanter éternellement avec vous : Respexit humilitatem ancillae suae, pour rendre grâce à la très sainte Trinité, de ce qu'elle a pris tant de complaisance en votre humilité, qu'elle vous a rendue digne par ce moyen d'être la Mère du Sauveur de l'univers, et de coopérer avec lui au salut de tous les hommes.

     

    StJeanEudesVitrail.jpgSaint Jean Eudes

    Œuvres complètes
    Le Cœur admirable de la Très Sainte Mère de Dieu
    Tome 8

    eudistes.org

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    Vitrail : Portrait
    de saint Jean Eudes

    par Paul Challan Belval
    Chartres

     

    D’après les ŒUVRES COMPLÈTES DU VÉNÉRABLE JEAN EUDES
    MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE
    Instituteur de la Congrégation de Jésus et Marie de l'Ordre de Notre-Dame de Charité
    et de la Société des Enfants du Cœur admirable de la Mère de Dieu
    AUTEUR DU CULTE LITURGIQUE DES SS. CŒURS DE JÉSUS ET DE MARIE
    ÉDITION ENTIÈREMENT CONFORME AU TEXTE ORIGINAL
    AVEC DES INTRODUCTIONS ET DES NOTES
    TOME VIII
    Le Cœur admirable de la Très Sainte Mère de Dieu
    Livre X-XII
    OPUSCULES SUR LES SACRÉS CŒURS
    VANNES
    IMPRIMERIE LAFOLYE FRÈRES
    1908
    Numérisé par cotejr8@videotron.ca



    [1] «Hoc est illud dulcissimum decachordum, quo citharista propheticus toties gloriatur: hoc daemon expellitur, Praecursor sanctificatur, puer exultat, mater prophetat. Hoc decachordo etiam nunc cum devote concinitur, iniquas cordis susgestiones propulsari, lubricas carnis tentationes emolliri, daemones pessimos effugari merito crediderim. » D. Thom. a Villanova, Concio de Visit. B. Virg.
    [2] 1. In lib. Miracul.
    [3] 1. Luc. I, 47.
    [4] « Quaecumque anima sancta Verbum concipere potest credendo, parere praedicando, magnificareamando, ut dicat: Magnificat anima mea Dominum » Serm. de Assumpt.
    [5] Eccli. III, 20. 21.
    [6] « Magnificat anima mea Dominum; Filius meus, qui non jam dimidium animae meae, sed est toa anima mea, magnificat nunc, per passionem suam, Dominum meum Deum, Patrem suum, Sponsum meum. Anima mea Filius meus, qui me corpore simul et anima vivam fecit...» vigerius, in suo Decachordo, chord. 7. Le Card. Marc vigier, de l'Ordre des Frères mineurs, mourut à Rome en 1516. Voici le titre complet de l'ouvrage de ce pieux serviteur de Marie: Decachordum christianum auctore Marco Vigerio Saonensi, S. M'ariae Transtiberim Cardin. Senogalliensi, opus Julio II Pont. Max. dicatum; Fani, Hieron. Soncinus, 1507, petit in-fol.
    [7] Rom. VIII, 3.
    [8] Sup. Magnificat.
    [9] Part. 4, tit.15,cap.2, §29.
    [10] Luc. XXIII, 46.
    [11] I Cor. VI, 17.
    [12] « Hortor etiam, fili mi, ut Dominam nostram magis ames. Nam si pericula multa evadere, si vis tentationibus non succumbere, si in adversitatibus consolari, si trisitita inordinata cupis non obrui, si denique Christo desideras conjungi, venerare, ama, imitare castissimam, amabilissimam ejus Matrem, dulcissimam, fidelissimam, gratiosissimam, potentissimam quoque, et tui ( si eam et ejus amorem optas) amantissimam, quae invocantem neminem derelinguit, et cui thesaurus divinae misericordiae, erogandi quoque facultas, atque peccatorum, praecipue autem, illam amantium, cura a Deo commissa est. Quam qui amaverit castus est, qui amplexatus fuerit, mundus est, qui imitatus fuerit, sanctus est. Memo illam amans, non est ab ea redamatus : nemo illi devotus periit : nemo qui illam fuit imitatus, non est salvatus. Quot desperantes, quot obstinatos, quot flagitiosos, qui tamen spem atque refugium ad suum misericordissimum patrocinium habuerunt, ipsa ad pietatis sinum recepit, et quasi sibi relictos (utpote quibus nulla spes alia, aut via ad conversionem veniendi persuaderi potuit,) fovit, Filio reconciliavit, et ex diaboli faucibus, atque adeo ipsa voragine inferni ereptos, paradiso caelesti restituit. Hanc illi Filius gratiam donavit, hanc praerogativam, hoc officium ei commisit, ut qui amarent illam, ad potentiam ; qui devoti essent, ad gratiam qui imitarentur, ad caelestem perducerentur gloriam. » Lansperg. Epist. 23.
    [13] « Ego sum Regina caeli. Tu sollicita es quomodo laudare me debes : Scias pro certo quod omnis laus Filii mei, laus mea est ; et qui inhonorat eum, inhonorat me : quia ego sic ferventer dilexi eum, et ipse me, quod quasi unum Cor ambo fuimus. Et ipse me, quae eram vas terrenum, sic honorifice honoravit, et supra omnes Angelos exaltaret. Sic ergo laudare debes me : Benedictus sis tu, Deus Creator omnium, qui in uterum Maria Virginie descendere dignatus es. Benedictus sis tu, Deus, qui cum Maria Virgine esse sine gravamine voluisti, et de ea immaculatam carnem sine peccato sumere dignatus es. Benedictus sis tu, Deus, qui ad Virginem, cum gaudio animae ejus et omnium membrorum, venisti, et cum gaudio omnium membrorum ejus sine peccato de ea processisti. Benedictus sis tu, Deus, qui Mariam Virginem Matrem post Ascensionem tuam crebris consolationibus laetificasti, et per teipsum eam consolando visitasti. Benedictus sis tu, Deus, qui corpus et animam Maria Virginis Matris tua in caelum assumpsisti, et super omnes Angelos juvta Deitatem tuam honorifice collocasti. Miserere mei propter preces ejus. » Revel. Lib. I, cap. 9.
    [14] « O beata Maria, inundatio gaudii, vis amoris torrens voluptatis totam te operuit, totamque obtinuit ; et sensisti quod oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit. » Rupert. in Cant.
    [15] « Tribulatio et angustia in omnem animam hominis operantis malum. Gloria autem, et honor, et pax omni operanti bonum. » Rom. II, 9.
    [16] Isa. LVII, 20.
    [17] Eccli. I, 12.
    [18] « Repletus sum consolatione, superabundo gaudio in omni tribulatione nostra.» II Cor. VII, 4.
    [19] Psal. XXXIII, 9.
    [20] I Cor. X, 20, 21.
    [21] Psal. XXXV, 9. 
    [22] « O vera humititas, quae Deum hominibus peperit, vitam mortalibus edidit, caelos innovavit, mundum purificavit, paradisum aperuit, et hominum animos liberavit; facta est Maria humilitas scala caelestis, per quam Deus descendit ad terras. Quid enim est dicere respexit nisi approbavit ? Multi enim videntur in conspectu hominum humiles esse, sed eorum humilitas a Deo non respicitur. Si enim veraciter humiles essent, deinde ab hominibus non se laudari vellent ; non in hoc mundo, sed in Deo spiritus eorum exultaret. » D. Aug. Serm. 2 de Assumpt.
    [23] « Est humilitas quam nobis veritas parit, et non habet calorem ; et est humilitas quam charitas format, et inflammat. Haec in affectu, illa in cognitione consistit. Priore cognoscimus quam nihil sumus, et hanc discimus a nobis ipsis et ab infirmitate propria ; posteriore calcamus gloriam mundi, et hanc ab illo discimus qui exinanivit semetipsum... quique quaesitus ad regnum, fugit ; quasitus ad opprobria... et ad crucem, non fugit, sed sponte se obtulit. » D. Bern. Serm. 42 super Cant.
    [24] « Maria non tantum pro eo quod erat mundissima, sed potius pro eo quod erat humillima, meruit concipere Filium Dei, sicut per semetipsam testatur: Rexpexit, inquit, humilitatem ancillae suae : non ait : castitatem, licet esset castissima, sed humilitatem. » Alb. Magn. Serm. 2 de Nat, Dom.
    [25] « Laudabilis virtus virginitas, sed magis necessaria humilitas. Illa consulitur, ista praecipitur. Ad illam invitaris, ad istam cogeris... Potes sine virginitate salvari: sine humilitate non potes... sine humilitate (audeo dicere) nec virginitas Mariae placuisset... si igitur Maria humilis non esset, super eam spiritus Sanctus non requievisset. Si super eam non requievisset, nec impraegnasset... Si placuit ex virginitate, tamen ex humilitate concepit. Unde constat quia etiam ut placeret virginitas, humilitas proculdubio fecit. » D. Bern. Homil. 1 super Missus est.
    [26] Caesarius Arelat. Homil.18.
    [27] Eccli. X,15.
    [28] Eccli. X,14.
    [29] D. Prosp. De Vita contempl.lib. 3, cap. 3 et 4.
    [30] « Alia vitia eas solummodo virtutes impetunt, quibus ipsa destruuntur. Superbia autem, quam vitiorum radicem dicimus, nequaquam unius virtutis extinctione contenta contra cuncta animae membra se erigit, et quasi generalis ac pestifer morbus, corpus omne corrumpit. » Moral. lib. 34, cap. 18.
    [31] « Plane cupiditas radix iniquitatis ; ambitio subtile malum, secretum virus, pestis occulta, doli artifex, mater hypocrisis, livoris parens, vitiorum origo, criminum fomes, virtutum aerugo, tinea sanctitatis, excaecatrix cordium, ex remediis morbos creans, generans ex medicina languorem... Quantos hoc negotium perambulans in tenebris trudi fecit in tenebras exteriores, veste spolians nuptiali !... Quantos pestis haec nequiter supplantatos turpiter quoque dejecit ! » D. Bern. Serm. 6, in Psal. Qui habitat.
    [32] « Ipsa namque vitiorum regina superbia, cum devictum plene cor ceperit, mox illud septem principalibus vitiis, quasi quibusdam suis ducibus devastandum tradit. » Moral. lib. 31, cap. 31. 
    [33] Ezech. XVI, 49.
    [34] Caesarius Arelat. Homil.23.
    [35]
    Idem, Homil. 18.
    [36] « Discite a me quia mitis sum et humilis corde. » Matth. XI, 29. 

     

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    Vitrail de la Basilique du
    Sacré Cœur de Montmartre
     
     
     
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  • Par l’imposition de mes mains (…) vous allez recevoir la puissance de l’Esprit Saint qui fera de votre vie une offrande dans l’offrande du sacrifice de notre Bon Pasteur, Jésus de Nazareth

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    2015-07-10 à 14.20.jpgMes chers amis,

             Notre Église de Paris est dans la joie au moment où vous allez être ordonnés prêtres du Seigneur pour l’annonce de l’Évangile et le service des communautés chrétiennes. Notre joie s’unit à celle de la famille de saint Jean Bosco qui fête le deuxième centenaire de son fondateur et à laquelle appartient Pierre Hoang. Nous célébrons cette ordination en communion avec la communauté chaldéenne de France pour laquelle le Patriarche Louis Sako ordonnera prêtre Narsay Soleil dimanche prochain à Sarcelles. Toute l’Église se réjouit de voir que l’appel du Christ retentit encore aujourd’hui et que l’amour de Dieu, répandu en nos cœurs par la foi, suscite la générosité pour répondre à cet appel. Elle rend grâce pour le chemin que vous avez parcouru depuis des années et pour tous ceux qui vous ont accompagnés au long de ce chemin : vos familles que je remercie aujourd’hui, vos éducateurs, compagnons d’étude ou collègues de travail, etc. Même si tous ne reconnaissent peut-être pas le rôle qu’ils ont joué dans votre accueil de l’appel du Christ et dans votre réponse, dans la foi, nous reconnaissons les signes de la présence active de Dieu, même à l’insu de ceux qui en sont les agents.

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    Un seul mot d'ordre : aller au devant

             Nous rendons grâce parce que, en ce troisième millénaire, l’évangélisation continue, mieux, elle se renouvelle pour répondre aux nouvelles conditions de vie des hommes et des femmes à qui la Bonne Nouvelle doit être annoncée. Nous le savons, il n’y a pas de recettes définitives pour la mission. Il n’y a qu’un seul mot d’ordre : aller au-devant de ceux avec lesquels nous voulons partager le trésor de la foi et leur ouvrir sans crainte le livre de la révélation de l’amour de Dieu pour l’humanité. Ce dévoilement du mystère de la miséricorde n’est pas une œuvre simplement humaine dont nous viendrions à bout à force d’imagination apostolique. L’année de la miséricorde décidée par le Pape François n’est pas un simple thème d’année. C’est un appel à entrer plus résolument dans le mystère de la miséricorde, œuvre de la puissance de Dieu.

    2015-07-10 à 14.25.jpg         Entrer dans cette mission où nous sommes livrés aux questions et à la curiosité des hommes suppose que nous soyons d’abord délivrés de nos prisons ; délivrés de l’isolement où nous enferme notre peur d’un environnement supposé hostile, où nous risquons d’être hantés par la ”christianophobie” et de trop prétendre au statut tellement envié aujourd’hui de victime. Nous risquons de vivre dans un petit Cénacle avant la visite de l’Esprit-Saint. Isolement aussi où l’on voudrait nous enfermer pour restreindre la mission de l’Église à l’organisation de la piété privée ou à la célébration des rites familiaux. De ces isolements, il faut que l’ange nous délivre en défaisant nos chaînes et nous ouvre la « porte de fer », comme il le fit pour Pierre, et qu’il nous envoie par les rues de la ville témoigner de notre liberté.

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    Tout l'ouvrage que vous espérez et même plus

             Ce que nous vivons aujourd’hui est vrai, ce n’est pas une vision. Peut-être que, comme Pierre, chacun de vous a du mal à y croire, même si vous avancez vers ce moment depuis des années. Non seulement vous avez vécu vos années de préparation directe à l’ordination, mais encore chacun d’entre vous est arrivé à ce temps de préparation après des années de cheminement personnel qui est le secret de Dieu. Les uns sont en marche depuis la petite enfance, d’autres ont vécu une conversion au Christ dans un âge plus avancé. Tous, un jour de votre vie, vous avez été confrontés à la question cruciale : es-tu prêt à tout lâcher pour me suivre ? Es-tu prêt à me faire confiance au point de t’en remettre complètement à moi pour l’avenir de ta vie ?

    2015-07-10 à 14.37.jpg         Le pas que vous avez franchi au moment de votre ordination diaconale a manifesté votre intention de répondre à cet appel. Votre ordination aujourd’hui vous consacre tout entiers pour le service de la mission de l’Église. Par l’imposition de mes mains, accompagnés de tout le presbyterium de Paris et de tous les prêtres présents, vous allez recevoir la puissance de l’Esprit Saint qui fera de votre vie une offrande dans l’offrande du sacrifice de notre Bon Pasteur, Jésus de Nazareth. Vous serez les collaborateurs privilégiés de vos évêques dans la mission « d’annoncer jusqu’au bout l’Évangile et le faire entendre à toutes les nations païennes » présentes en notre ville à la population si diverse. Soyez les bienvenus dans la vigne du Seigneur. Il y a pour vous tout l’ouvrage que vous pouvez espérer, et même plus.

     2015-07-10 à 14.51.jpg        Vous prenez votre service dans une Église parisienne qui a été revivifiée dans sa mission par plusieurs décennies de réflexion et d’initiatives missionnaires. Pour ne parler que de la période récente, comment oublier les Journées Mondiales de la Jeunesse de 1997 ? Comment oublier la grande aventure de Paris Toussaint 2004 ? Ce ne fut pas seulement un congrès sur l’évangélisation, avec la participation de quelques spécialistes. Ce fut une véritable mobilisation dans toutes les communautés parisiennes pour aller au-devant de nos concitoyens et témoigner auprès d’eux de l’espérance qui nous vient du Christ lui-même : le bonheur est offert à tous et il vient du Christ. Au cours des dix années écoulées, j’ai invité sans cesse les catholiques parisiens à prendre leur part de l’activité missionnaire de l’Église. Les trois années de « Paroisse en mission » ont été comme une longue mobilisation de nos forces pour vivre un nouvel élan de la mission. L’Avent 2014 a été une étape décisive dans cet envoi en mission. Il a permis à beaucoup de chrétiens de sauter le pas et de devenir des « disciples-missionnaires » comme nous y invite le Pape François.

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    Les jeunes que nous rencontrons aujourd'hui

             L’anniversaire de saint Jean Bosco remet en lumière la mission auprès des jeunes. Certes, les jeunes que nous rencontrons aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux auxquels s’adressait Don Bosco. Cependant, ils ont en commun une attente, parfois une inquiétude, qui concerne leur avenir. Et nous devons nous demander si les perspectives que leur ouvre notre société sont capables de répondre à cette attente et d’apaiser cette inquiétude. En France, beaucoup s’étonnent de la disponibilité de certains jeunes pour croire aux messages délirants d’un fanatisme virtuel. Mais combien vont jusqu’à se demander si notre modèle de société consumériste et libérale ne provoque pas leur indifférence ou leur dégoût ? La réduction d’un avenir idéal aux indices économiques n’est-elle pas le symbole du vide auquel nos jeunes sont confrontés ? Le rejet collectif des réfugiés de la misère humaine qui viennent sombrer sur les côtes de l’Europe ne vient-il pas contredire nos élans de générosité ? Nous voulons bien que le monde change pourvu que rien ne change pour nous. Les mesures coercitives pour combattre les influences sectaires sont nécessaires. Elles ne peuvent pas se substituer au véritable combat : celui des convictions et des projets. Il fait partie de notre mission de montrer, par notre exemple vécu, que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Et ce message, nous devons le porter dans une société traversée par une multiplicité de cultures et de religions.

    2015-07-10 à 14.55.jpg         Comme au temps de Jésus, cette multiplicité de cultures et de religions fait que chacun a son opinion sur lui et chaque opinion reflète à la fois les espoirs enfouis et les réticences méconnues ou cachées comme les nostalgies inavouées. Nous constatons aujourd’hui aussi cette pluralité des regards et des attentes. La question posée par Jésus à ses disciples ne vise pas à solliciter une parole supplémentaire à son sujet. Dans sa formulation même, elle est déjà une question missionnaire : « Et vous que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? ». La réponse ne juxtapose pas une nouvelle opinion particulière aux précédentes déjà énoncées. Elle témoigne d’une parole qui dépasse son auteur et qui ne vient pas de la sagesse humaine : c’est du « Père qui est aux cieux » que vient la confession de la foi.

    2015-07-10 à 15.00.jpgPas experts en religion, mais témoins d'espérance 

            À juste titre, la « Confession de Foi de Césarée » est considérée comme un passage charnière dans la constitution du collège apostolique et dans la mise en œuvre de sa mission. À travers le dialogue entre Jésus et Pierre se dessinent les arêtes de la préparation des apôtres à leur mission : connaître quel est le chemin dans lequel Jésus est engagé par sa fonction messianique et apprendre à reconnaître la figure du Serviteur souffrant. L’objection de Pierre nous montre l’écart qui le sépare encore de l’accomplissement du sacrifice. C’est l’itinéraire de toute formation au ministère apostolique qui nous est ainsi manifesté.

    2015-07-10 à 16.48.jpg         C’est pourquoi votre longue formation n’a pas visé à faire de vous des spécialistes en controverse mais des témoins qui se nourrissent de la parole même qu’ils ont la charge d’annoncer. Vous n’êtes pas d’abord des experts en religion, mais des témoins appelés à rendre compte de l’espérance qui est en vous en gageant votre parole sur le don total de votre vie dans le sacrifice du Seigneur.

    2015-07-10 à 16.53.jpg         Cette mission de témoins de l’espérance nous engage chaque jour davantage dans la rencontre avec la raison humaine et les sagesses qu’elle produit. Mais notre champ spécifique n’est pas la marge de l’irrationnel dans une société vouée à l’efficacité de la raison scientifique. La confrontation de la foi chrétienne et de la raison n’est pas un combat perdu d’avance. Elle suppose un véritable engagement des ressources de l’intelligence humaine au service de la compréhension de la Parole de Dieu qui éclaire et nourrit notre vie. Si les hommes de notre temps sont en quête, ou du moins s’ils ont besoin, de repères existentiels ou de sagesse, nous n’avons pas à rougir de la sagesse du Christ que nous proposent les évangiles. Elle supporte aisément la comparaison avec les sagesses qui l’ont concurrencée au XXème siècle qui fut d’abord un siècle de barbarie et d’horreur. Et malheureusement le XXIème siècle montre en ses débuts que la soif du pouvoir et de la domination ne cesse pas de faire ses ravages à travers le monde, au Moyen-Orient et même en Europe.

    2015-07-10 à 16.53 copie.jpg         Mais l’histoire personnelle de Jésus et l’histoire de la mission de l’Église à travers les siècles nous montrent comment cette sagesse qui vient de Dieu lui-même peut être perçue comme une folie aux yeux du monde : la folie de la croix, la folie de l’amour. Que la personne du Christ et la mission de l’Église soient controversées n’est pas une nouveauté particulière à notre temps. C’est une donnée permanente de la rencontre de la Révélation divine avec les attentes humaines ou les utopies sur l’avenir. Cette controverse n’est pas un simple débat intellectuel. Elle est le reflet de la lutte de la liberté humaine avec la Vérité qui l’éclaire et la questionne. Elle ne doit ni nous surprendre ni nous effrayer. Elle est le régime normal du combat de l’homme pour accéder à la plénitude de sa vocation de fils de Dieu.

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    La véritable joie de notre ministère

             Notre ministère, fondé sur la consécration de notre vie par le don de l’Esprit, fait de nous des compagnons de tout homme dans ce combat où nous devons nous-mêmes convertir sans cesse notre regard et notre engagement pour ne pas devenir un obstacle à l’accomplissement du Salut. Il ne nous constitue pas en juges, moins encore en accusateurs. Il fait de nous des témoins qui attestent que la vie des hommes n’est pas dominée par la fatalité des forces obscures. Nous annonçons que Dieu ouvre, même aux païens, « la porte de la foi. » Il ne leur promet pas la mort.

    2015-07-10 à 16.58.jpg         La joie de notre ministère ne vient pas des avantages sociaux ni du confort de notre existence ou de l’intérêt de nos activités. Notre véritable joie, la plénitude de la joie que Jésus promet aux siens, une joie que nul ne peut nous ravir, c’est l’espérance dont nous sommes porteurs au bénéfice de tous les hommes et de toutes les femmes de notre temps. Vous êtes consacrés comme témoins de cette espérance comme le furent jadis les prêtres qui vont vous imposer les mains. Parmi eux, les jubilaires dont nous partageons la joie et l’action de grâce attestent la fidélité de Dieu à ceux qu’Il choisit et qu’Il envoie. Ne doutez pas de cette fidélité de Dieu !

    2015-07-10 à 17.02.jpg         Ne doutez pas de la mission de notre Église ! C’est elle qui définit votre propre mission et qui vous porte maternellement dans sa prière comme nous allons le faire à l’instant en invoquant les saints qui nous entourent invisiblement. Elle vous porte quotidiennement par la prière et l’offrande secrètes de tant de vies cachées dans les cloîtres ou dans les monastères invisibles de notre mégapole. Elle vous porte par la prière communautaire faite avec vos frères dans le ministère et dans la communion avec eux. Elle vous porte dans cette magnifique assemblée. Elle vous porte dans la supplication quotidienne de votre archevêque. Comme le psaume nous le dit des anges : « ils te porteront pour que ton pied ne heurte les pierres ! »
    Soyons tous dans la joie et l’allégresse car le Christ nous a choisis pour être avec lui et devenir ses amis !

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    Soutenir nos prêtres

             Frères et Sœurs, vous qui êtes présents à cette célébration et vous qui vous joignez à notre prière par la télévision et la radio, je vous invite à prier avec ferveur pour ceux que le Seigneur a choisis. Je vous invite à les soutenir dans leur ministère. Ils sont envoyés pour présider à la charité entre les membres de l’Église et pour vous soutenir dans votre mission de témoins du Christ dans les différents domaines de votre existence. Ils sont une grâce pour notre Église de Paris et pour l’Église entière. Avec saint Paul, nous bénissons Dieu pour les « dons qu’Il fait aux hommes… Il a donné certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres encore comme évangélistes, d’autres enfin comme pasteurs et chargés de l’enseignement, afin de mettre les saints en état d’accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ… » (Eph. 4, 8…11)

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    Jeunes hommes : réfléchissez et décidez !

             Enfin, je m’adresse aux jeunes hommes qui sont ici et dont la vie n’est pas encore engagée. Chers amis, c’est parmi vous que le Seigneur choisit ceux qu’Il veut pour « être avec lui » et les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle. C’est à votre liberté qu’Il s’est adressé et qu’Il s’adresse aujourd’hui. C’est pour la mission de son Église qu’Il vous appelle. C’est pour le plus grand service que l’on puisse rendre aux hommes que je vous appelle aujourd’hui. Ne laissez pas la question se diluer et se perdre. Voyez l’immensité de la mission dans notre grande cité, dans la province d’Île-de-France et dans le monde entier. Voyez la multitude des hommes qui attendent une parole d’espérance et une promesse de vie. Réfléchissez et décidez !

     

    2015-07-10 à 17.22.jpg+ André VINGT-TROIS

    Cathédrale Notre-Dame de Paris, samedi 27 juin 2015

    Lectures : Ac 12, 1-11 ; Ps 33 ; 2 Tim 4, 6-8.17-18 ; Mt 16, 13-28

    Homélie du cardinal André Vingt-Trois à l’occasion des ordinations sacerdotales de Cédric, Louis, Jean, Rémy, Pierre, Cyrille, Stanislas, Arnaud, Jocelyn, Paul, Augustin, Yannick et Philippe.
    http://www.paris.catholique.fr/homelie-du-cardinal-andre-vingt-36872.html

     

    KTOTV

     

     

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  • Mon âme s'élance : Vidéo-prière au Sacré Cœur de Jésus en la Basilique Notre-Dame du Sacré Cœur d'Issoudun (36)

    Au rythme de ma respiration
    unie au Cœur de Jésus
    s'élance cette prière d'adoration…

             Traversée du désert, d’abord, le temps vous paraîtra long. Quête, déréliction. Les champs d’amour d’Issoudun sont d’un calme assourdissant. Le paysage est plat. Il ne se passe rien dans cette vidéo… D’une certaine manière je vous fais percevoir ce qu’est le sentiment d’abandon, si présent dans ces campagnes berrichonnes. Mais Dieu répond toujours à celui qui appelle… Patience… Quand Il donne, sachez recevoir… Pas un seul séminariste dans le diocèse de Bourges : pourtant, des trésors y veillent… Faire le lien entre la charité de saint Martin de Tours [église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18) & Adoration Saint Martin] et le Sacré Cœur de Jésus (ici à Issoudun, ailleurs, à Manrèse, mais de partout…).

    Jehanne Sandrine du SC & de la SE.jpg 

     

     

    Retrouvez cette vidéo sur la page enrichie La France & le Sacré Cœur

     

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  • Une adoration de la Sainte Eucharistie

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    UNE ADORATION DE LA SAINTE EUCHARISTIE

     Dieu qui simplifies tout

    simplifie-moi

    Eucharistie

    Offrande sainte de Dieu

    Par laquelle je touche à Ta Présence

    Rends-moi pure

    Simplifie-moi

    Hostie sainte sertie dans l’Ostensoir du Saint-Sacrement

    Tu es l’Essence de ma foi

    Sa fin et son commencement

    Ô disque pur

    Cœur de Dieu

    Plexus solaire d’où rayonne l’Amour divin

    Lumière-source de toute Miséricorde

    Durée éternellement présente fixée à la Blancheur

    Où le spectre entier des couleurs est résumé

    Touché de Dieu inaltérable

    Qu’aucune prière n’usera jamais

    Cercle chéri de l’abnégation

    Comblé de Toi qui demeure partout

    Et que rien ne peut contenir

    Ô Christ

    Ta Passion est donnée en ce disque parfait

    Le Sang et l’Eau de Ton Côté

    Nourrissent sans cesse

    Ton Corps saint

    Corps du Christ pure offrande

    Qui ne tarit jamais

    Abreuve-moi

    Laisse se répandre en moi l’eau éternelle du Baptême

    Que chacun de mes membres et toute cellule

    Vivent de Toi

    Que mes organes et toute âme

    Soient drainés de Toi

    Que ma peau et tout muscle

    Respirent en Toi

    Par Toi et pour Toi

    Que mon être entier exulte

    Et s’accomplisse en Toi

    Ô

    Lettre parfaite

    Imprononçable à mon cœur de femme

    Ô

    Toi que j’aime pourtant

    Et aspire à aimer de toute mon âme

    Ô Jésus

    Dieu qui te fis lumière et chair

    Verbe venu au secours de mon imperfection

    Hostie sainte sertie dans l’Ostensoir du Saint-Sacrement

    Sacré-Cœur de Jésus résumé en Cela

    Tu m’attires à Ta Résurrection

    Vers laquelle je tends tout mon être éploré

    Laisse-moi toucher la frange du Salut

    Laisse-moi goûter à la beauté de Ton Visage

    Jésus !

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    Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
    sa. 12 avril 2014, veille des Rameaux

    Prière-poème à retrouver sur la page
    La France & le Sacré Cœur

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  • Du saint Sacrement & de la dignité des prêtres par Catherine de Sienne

    CXI

    COMMENT LES SENS DU CORPS
    SONT PRIS EN DEFAUT PAR CE SACREMENT,
    MAIS NON LES SENS DE L’ÂME.
    COMMENT C’EST DONC AVEC CEUX-CI QU’IL CONVIENT DE VOIR,
    DE GOÛTER ET DE TOUCHER.
    D’UNE BELLE VISON QUE CETTE ÂME EUT UNE FOIS À CE SUJET.
     

    catherine de sienne,prêtre,foi,christianisme,eucharistie         O ma très chère enfant, ouvre bien l’œil de ton intelligence et contemple l’abîme de ma charité. Peut-il y avoir une seule créature dont le cœur pourrait ne point se briser d’amour en contemplant, parmi tant d’autres bienfaits que tu as reçus de moi, le bienfait de ce sacrement ? 

             Avec quel œil, ma chère enfant, dois-tu, toi et les autres, admirer ce mystère et le toucher ? Mais non pas seulement avec le toucher et la vue du corps : tous les sens y sont impuissants.

             L’œil ne voit que la blancheur de ce pain, la main ne sait que le toucher, le goût ne sait que le goûter. Ainsi les sens grossiers du corps sont-ils abusés mais non les sens de l’âme, si elle n’y consent, c’est-à-dire si elle ne veut pas elle-même se priver de la lumière de la très sainte foi par son infidélité.

             Qui goûte, qui voit, qui touche se sacrement ? Les sens de l’âme. Avec quel œil le voit-on ? Avec l’œil de l’intelligence, si dans cet œil il y a la pupille de la très sainte foi[i]. Cet œil voit dans cette blancheur tout-Dieu-et-tout-homme, la nature divine unie à la nature humaine. Le corps, l’âme et le sang du Christ : l’âme unie au corps. Le corps et l’âme unie avec ma nature divine et ne se séparant pas de moi. S’il t’en souvient bien, c’est presque dès le commencement de ta vie que je te l’ai montré. Non pas seulement à l’œil de ton intelligence mais aux yeux du corps, bien que ceux-ci, à cause de la trop grande lumière, eussent perdu l’usage de la vue, et alors il ne te resta plus que la vision de l’intelligence. C’était après un combat que tu avais eu à soutenir contre le démon à l’occasion de ce sacrement. Je voulais accroître ton amour et ta foi. Tu sais qu’un matin, à l’aurore, étant allée à l’église pour y entendre la messe, tu te plaçais debout devant l’autel du crucifié, car tu avais été auparavant tourmentée par le démon. Le prêtre était devant l’autel de Marie. Toi tu demeurais devant l’autre et tu considérais ta faute et tu craignais de m’avoir offensé durant cette attaque démoniaque. Tu considérais également ma volonté d’amour, qui t’avais rendue digne d’entendre la messe alors que tu te jugeais toi-même indigne d’entrer dans le saint temple. Au moment où le saint prêtre allait consacrer, au moment-même de la consécration, tu regardas mon ministre. Lorsqu’il prononça les paroles consécratoires, je me manifestai à toi. Alors tu vis jaillir de ma poitrine une lumière semblable à un rayon qui sort du soleil sans se séparer de lui.  Dans cette lumière, planait, unie à elle, une colombe et elle agitait ses ailes sur l’hostie par la vertu des paroles consécratoires prononcées par mon ministre. Les yeux de ton corps ne pouvant pas supporter davantage cette lumière, seul demeura ouvert en toi l’œil de l’intelligence et ce fut lui qui te fit voir et goûter l’abîme de la trinité, tout-Dieu-et-tout-homme, caché et voilé par cette blancheur. Ni la lumière ni la présence du verbe que tu vis intellectuellement dans cette blancheur n’enlevaient cependant la blancheur du pain : l’une n’empêchait pas l’autre : voir Dieu et homme dans ce pain et voir ce pain lui-même n’était pas empêché par moi, puisque je ne lui enlevais ni sa blancheur, ni son volume, ni sa saveur. 

             Voilà ce que ma bonté t’a montré. Qui continua de voir ? L’œil de l’intelligence avec la pupille de la sainte foi. C’est donc à l’œil de l’intelligence que doit revenir la primauté de la vue, car il ne peut être trompé. C’est avec lui que vous devez regarder ce sacrement. Qui le touche ? La main de l’amour. Avec cette main on touche ce que l’œil a vu et connu dans ce sacrement. On le touche avec la main de l’amour comme pour s’assurer de ce que la foi lui a fait voir et connaître intellectuellement[ii]. Qui le goûte ? Le goût du saint désir. Le goût corporel goûte la saveur du pain, mais le goût de l’âme, c’est-à-dire le saint désir, goûte Dieu et homme. Tu vois ainsi que les sens du corps sont abusés mais non ceux de l’âme. Celle-ci, même, e, est tout éclairée et persuadée, parce que l’œil de l’intelligence a vu avec la pupille de la sainte foi. Parce qu’il a vu et connu il touche avec la main de l’amour, car ce qu’il a vu il veut le toucher par amour, avec foi.

             Avec le goût de l’âme, avec son ardent désir, il goûte en lui ma charité ardente, mon amour ineffable. C’est avec cet amour que j’ai fait l’âme digne de recevoir tout le mystère de ce sacrement. Tu vois donc que ce n’est pas seulement avec les sens du corps que vous devez recevoir ce sacrement mais avec les sens spirituels, en disposant ses sens avec l’amour de voir, de recevoir et de goûter ce sacrement comme je te l’ai dit.

    CXII

    DE L’EXCELLENCE DE L’ÂME
    QUI REÇOIT CE SACREMENT
    DANS LA GRÂCE.

    catherine de sienne,prêtre,foi,christianisme,eucharistie         Admire, ma très chère enfant, l’excellence de l’âme qui reçoit comme il se doit, ce pain de vie, cette nourriture des anges. En recevant ce sacrement elle demeure en moi et moi en elle. Comme le poisson est dans la mer et la mer dans le poisson, moi je suis dans l’âme et l’âme est en moi, mer pacifique. Dans cette âme demeure la grâce parce que, ayant reçu ce pain de vie en état de grâce, la grâce y demeure après la consommation des espèces du pain. Je laisse en elle l’empreinte de ma grâce comme le sceau posé sur la cire chaude : enlève le sceau, son empreinte y demeure. De même la vertu de ce sacrement subsiste dans votre âme : la chaleur de la divine charité, la clémence du saint esprit.

             Il y subsiste aussi la lumière de la sagesse de mon fils unique qui, illuminant l’œil de votre intelligence, vous fait voir et connaître la doctrine de ma vérité et la sagesse même. L’âme alors demeure forte parce qu’elle participe à ma fermeté et à ma puissance. Forte et puissante contre sa propre passion, contre le démon et contre le monde. Tu vois donc que l’empreinte subsiste quand le sceau est enlevé : un fois les accidents du pain détruits, le vrai soleil revient à son disque. Non pas qu’il s’en soit jamais détaché, puisqu’il est toujours uni avec moi, mais l’abîme de ma charité vous l’a donné pour votre salut et pour votre nourriture en cette vie où vous êtes des pèlerins et des voyageurs, pour votre consolation et pour vous rappeler les bienfaits du sang, dispensé providentiellement afin de subvenir à vos besoins. 

             Juge maintenant combien vous êtes tenus et obligés de me rendre mon amour, puisque je vous aime tant et puisque je suis la suprême et éternelle bonté que vous devez aimer.        

     

    CXIII

    COMMENT TOUT CE QUI VIENT D’ÊTRE DIT
    AU SUJET DE L’EXCELLENCE DU SACREMENT,
    A ÉTÉ DIT POUR MIEUX FAIRE CONNAÎTRE
    LA DIGNITÉ DES PRÊTRES.
    COMMENT DIEU DÉSIRE VOIR EN EUX
    UNE PURETÉ PLUS GRANDE
    QU’EN TOUTE AUTRE CRÉATURE.

    catherine de sienne,prêtre,foi,christianisme,eucharistie         O ma très chère enfant, si je te parle ainsi c’est pour que tu connaisses mieux la dignité à laquelle j’ai élevé mes ministres et pour que tu t’affliges davantage de leur ignominie. S’ils considéraient eux-mêmes cette dignité, ils ne se plongeraient pas dans les ténèbres du péché mortel, ils ne souilleraient pas le visage de leur âme. Non seulement ils ne m’offenseraient pas et ne porteraient nulle atteinte à leur propre dignité, mais l’offrande même de leur corps sur le bûcher ne pourrait acquitter cette grâce et cet immense bienfait qu’ils ont reçu, car, en cette vie, il n’est pas de plus haute dignité.

             Ils sont mes oints, je les appelle mes « christs » parce que je les ai chargés de me dispenser. Je les ai placés comme des fleurs odoriférantes dans le corps mystique de la sainte église. Cette dignité, l’ange lui-même ne la possède pas, alors que je l’ai donnée à ces hommes que j’ai élus comme ministres et que j’ai placés sur terre comme des anges et qui doivent être des anges sur la terre, puisqu’ils doivent être purs comme les anges.

             Si je demande à toute âme la pureté et la charité, l’amour envers moi et le prochain qu’on doit secourir autant qu’on peut en lui offrant ses prières et en demeurant dans l’amour de ma charité, c’est d’une manière bien plus pressant que je demande à mes ministres la pureté et l’amour pour moi et pour le prochain puisqu’ils doivent lui donner, avec une grande charité et un grand désir du salut des âmes, le corps et le sang de mon fils unique, pour la plus grande gloire et louange de mon nom.

             De même qu’ils exigent la pureté du calice où le sacrifice est consommé, de même j’exige la pureté, la transparence de leur cœur, de leur âme, de leur esprit. 

             Je veux que leur corps, en tant qu’instrument de l’âme soit maintenu dans une pureté parfaite. Je ne veux pas qu’ils se vautrent dans le fumier de l’impureté et qu’ils en fassent leur nourriture, qu’ils soient enflés de superbe et qu’ils recherchent les grandes prélatures qu’ils soient cruels envers eux-mêmes et envers leur prochain, car ils ne peuvent être cruels pour eux-mêmes sans l’être également pour leur prochain. En effet, s’ils sont cruels envers eux-mêmes, par leurs péchés, ils le seront également envers leur prochain puisqu’ils ne lui donneront pas l’exemple d’une bonne vie, puisqu’ils ne se soucieront  ni d’arracher son âme des mains du démon, ni de lui donner le corps et le sang de mon fils unique et moi-même, vrai lumière, dans les autres sacrements de l’église. Tu vois donc qu’ils ne peuvent être cruels envers eux-mêmes sans l’être envers les autres.

     

    Catherine de Sienne

    in Le Livre des dialogues
    Éditions du Seuil, 1953
    trad. Louis-Paul Guigues

     

    Vitrail : Chapelle des Dominicaines, Carcassonne (11, France)

     



    [i] Pensée augustinienne : Aie la foi pour mieux comprendre (Crede ut intelligas) « Si tu crois c’est parce que tu ne comprends pas, mais en croyant tu deviens capable de comprendre ; si tu ne crois pas tu ne comprendras jamais. » Sur saint Jean, Traité, XXXVI.

    [ii] Ainsi la pierre de touche de la vérité est l’amour.

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  • GPA : la fine pointe de l'esclavage

     

      lucien fornello,Écologie humaine,économie,foi,christianisme,politique,théorie du genre,homophobie

     

      

    Pourquoi la religion des droits
    ne peut défendre la personne 

     

    I 

             Une marchandisation de la personne humaine s'accomplit aujourd'hui au nom de la lutte contre les discriminations, par l'accès des homosexuels, des couples stériles ou de toute autre personne à la « gestation pour autrui ». La personne est fabriquée pour être vendue au nom de l'égalité et de la liberté, puisqu'une technique est disponible, qui permet de pallier l'infécondité. Le droit de la personne devient droit à la personne – jusqu'à cette possibilité de se faire l'acquéreur d'un être humain. Une société fondée uniquement sur la liberté individuelle ne peut qu'aboutir à ce genre de paradoxe et de sauvagerie.

             Si les droits de l'homme, au départ, furent sans doute sincèrement constitués autour de la liberté, ils en sont venus à permettre la chosification de l'être humain. Sans contester leur importance, voire leur universalité, on peut s'interroger sur le fondement caché de notre société qui, au sacré, a substitué la religion du droit, de la science et du progrès. Or, sans justice qui le transcende, le droit devient pure technique et se dévore lui-même. Il peut même adouber l'infâme.

             Rappelons ce qu'est une « gestation pour autrui » : d'abord, conception en laboratoire d'un être humain à partir de deux gamètes, un spermatozoïde et un ovule, provenant souvent de deux pays différents ; puis, insémination artificielle dans une « mère porteuse » qui portera l'enfant avec lequel elle n'a généralement aucun lien génétique ; enfin, livraison du bébé aux parents commanditaires. En résumé, en parodiant à peine, on a un ovule venu d'Australie, un spermatozoïde venu d'Espagne, une conception dans un laboratoire américain et une gestation en mère porteuse en Inde, le tout pour être livré à des parents hollandais ! Voilà un vrai bébé mondialisé, dont l'origine éclatée est, de surcroît, en partie technique. La mère porteuse – qui n'est d'ailleurs pas la plus coûteuse dans cette transaction – puisqu'il faut payer des biologistes, des laboratoires, des médecins – perd donc aussitôt cet enfant qui, lui, en gardera d'inévitables troubles, puisque tout être humain désire savoir d'où il vient. Cependant, même si ces considérations sont essentielles, nous nous en tiendrons à contester le fondement d'une telle pratique : l'idée qu'on peut volontairement fabriquer un être humain en vue de le commercialiser – ou de le donner, selon une dernière hypocrisie qui sera balayée par notre argumentaire. 

             Et pourquoi pas le trafic d'organes ? Loin d'être combattu par les droits de l'homme, ce genre d'aberration en est parfois favorisé. Pour contester la « gestation pour autrui », on ne peut donc s'en tenir à une argumentation juridique. Un discours philosophique fondamental est nécessaire. Le droit peut empêcher l'esclavage, il peut aussi l'autoriser. Il y a une sorte d'envoûtement, aujourd'hui, autour du droit individuel, devenu si sacré qu'il permet de laisser passer l'énormité de la vente des êtres humains.

             Pour nous défaire des interdits contemporains, revenons à la question du sacré non pas en tant qu'objet que nous aurions perdu, mais en tant qu'énergie refoulée, méconnue, sourdement agissante chez ceux mêmes qui la nient. Notre société ne manque pas de sacré, mais de clarté. L'homme est comme obnubilé par un sentiment de toute-puissance où toute limite apparaît comme une violence. Pourtant, même si elle peut provenir de la contrainte, la violence vient plus sûrement encore du manque de structure. La question n'est donc pas de se débarrasser du sacré, des tabous, des interdits, mais de savoir les placer au bon endroit. 

             La religion de la liberté, s'étant fondée contre le christianisme mais aussi avec lui, est une sorte de contre-religion qui en a absorbé des éléments. Le libéralisme politique a quelque chose de chrétien et d'antichrétien. Ainsi de beaucoup de nos mouvements politiques, comme le socialisme. Cela, loin d'être paradoxal, est contenu dans les Évangiles. Leur fécondité particulière – certains diront subversive – recèle comme la semence de toute modernité. En effet, Jésus ne cesse de critiquer le faux sacré, l'hypocrisie des prêtres, et finalement la religion afin de la réduire à l'essentiel : la relation à Dieu et la conformation de nos agissements à sa sainteté. Le dépouillement christique n'est pas seulement matériel, il est une dénudation du sacré jusqu'à son point d'exactitude et de rayonnement libérateur : la contemplation du créateur en esprit et en vérité. Cette exigence d'adéquation intérieure et extérieure suscitant, à travers l'Histoire, les différentes crises du christianisme, reste comme le ferment réformateur de l’Église.

     lucien fornello,Écologie humaine,économie,foi,christianisme,politique,théorie du genre,homophobie

    II

             La victoire des philosophes au XVIIIème siècle est celle d'un certain matérialisme, mais l'élan qui porte la société vers la Révolution a quelque chose de religieux. Ce mouvement a gardé la force de libération de l’Évangile mais en en supprimant la source. Curieusement, en ce qu'il est religieux, il est antichrétien, et en ce qu'il est laïcisé, il est pétri de christianisme. N'interpréter la Révolution qu'en terme de triomphe de l'intérêt bourgeois ne pourrait rendre compte du mouvement plus large dans lequel elle s'inscrit et dont elle forme une sorte de concrétion ou de synthèse. Il y a ici un point aveugle qui est la contradiction même de son dogme : la négation de tout mystère au profit de la Raison ne peut se fonder que de manière mystique et ne peut déboucher que sur une religion certes refoulée, mais tout aussi obligatoire qu'une autre. 

             L'idée que la raison suffit à interpréter le monde et à gouverner nos vies accompagne le développement du capitalisme et se traduit par une conception de plus en plus gestionnaire de la vie sociale. La montée en puissance de l'argent comme agent organisateur n'a sans doute pas que des conséquences négatives. Le progrès matériel, l'égalisation juridique, la liberté individuelle viennent pour une part de cette rationalisation. Pourtant, nous voyons bien que si le « dieu Intérêt » devient le prince unique du monde, cela nous conduira vers l'enfer d'un matérialisme pur. Face à cette possibilité insupportable, le droit individuel joue sa partition mystique : la rationalisation trouve son contrepoint dans le culte de la liberté, synonyme de jouissance et de vie.

             Si deux conceptions de l'homme s'affrontaient, l'une matérialiste, l'autre sacrée, vous n'auriez pas tant d'adorateurs de la matière chez les religieux, ni tant d'idolâtres cachés chez les matérialistes. La question se pose donc autrement, en terme de mouvement. Le sacré est un principe organisateur que la modernité vient rationaliser et transférer en technique, en culture, en institution. Je ne parle pas spécialement de notre modernité, mais de toute modernité qu'il nous est donné, depuis le néolithique, d'observer à travers l'Histoire.

             Le sacré, c'est l'intouchable. L'homme, dépassant la nature, doit trouver de nouveaux moyens d'équilibre s'il ne veut basculer dans la violence. La culture sera ce nouvel ordre, lui-même en mouvement. Le sacré en est l'acte initial : il dresse des limites, oriente l'énergie, donne forme et sens aux pratiques. L'interdit et l'adoration en sont les deux versants – que ce soit d'un objet, d'un lieu, d'une personne, voire d'une idée ou d'un nom. Le sacré est la séparation qui instaure le règne de la culture, autrement dit de l'humanité. Est-ce à dire que notre monde est exclusivement culturel – certes pas : le premier sacré n'est pas un acte d'arrachement à la nature, mais le rétablissement d'un équilibre alors que notre sortie du règne naturel ouvrait une béance. Il élabore une seconde nature. Tout cela ne vient pas d'un instant, bien sûr, mais d'un long processus qui se poursuit toujours. 

             Deux qualités de sacré s'esquissent. L'une, disons, plus totémique, l'autre plus légale. Prenant de la distance envers les interdits ou les adorations, l'homme en décompose les nécessités, en pointe les aspects arbitraires, il en comprend le sens comme le poids mais il en relativise, du même coup, le caractère inamovible. À travers le temps, le sacré se transfert en savoir. L'interdit devient juridique, la notion devient scientifique, l'adoration devient artistique. Sans lui, la civilisation n'existerait pas, mais celle-ci, prise dans un mouvement irrésistible qui l'éloigne du sacré, le fera dès lors apparaître comme archaïque. Une question se pose : s'il est nécessaire à l'origine, notre croissance en humanité permettrait-elle de sortir définitivement du sacré, afin d'entrer dans l'âge de raison ? C'est ce que nous disent deux frères pourtant ennemis – le libéralisme et le marxisme – fils du matérialisme – qui du moins sur ce point seront d'accord. 

             En vérité, si vous éliminez le sacré, vous le verrez renaître sous diverses formes. Si vous détruisez l'idée de Dieu, vous divinisez d'autres choses, à commencer par la matière, et vous figerez en dogme cet acte de négation qui formera une croyance inversée. Il est ainsi d'irréductibles mécanismes que notre raison, capable de les discerner, s'obstine à ne pas voir car elle serait obligée de reconnaître ce qui la dépasse. Si votre Dieu est la Raison, alors, fatalement, votre raisonnement sera amputé de l'immense partie du réel qui vous échappe. Rien de plus irrationnel que la raison sans dehors, qui prétend surplomber le monde. Auguste Comte en est devenu fou. D'autres victimes courent les rues en ce moment. 

             Certes, il y a du mauvais sacré, du sacré figé, et figeant, il y a surtout du sacré violent. Soyons donc modernes, opérons notre critique du mauvais sacré ou plutôt œuvrons à préciser ce que cachent nos interdits – c'est-à-dire essentiellement des blessures – sans nous lasser de le faire, mais sans non plus croire que nous pourrons un jour arriver au bout d'un tel processus en éliminant le mystère lui-même. 

             Nous sommes à peu près tous pour cette modernité, celle qui éclaircit notre rapport au réel sans faire sauter le suprême interdit, de nous croire les auteurs de nos destins et les maîtres de la Création. Mais, pour ce moderne que nous sommes, qui a accepté le grand dépouillement du sacré au profit de la spiritualité et de la connaissance, que reste-t-il de sacré ? D'abord, une évidence : ce bon sacré se réduit presque à une admission du mystère de l'existence, un mystère de l'origine qui nous échappe... Ce mystère, il n'est pas obligatoire dans un premier temps d'en décider, simplement de l'admettre. De là, je crois, ce qui ne peut que réconcilier les bonnes volontés : le sacré, notre sacré le plus caché et le plus brandi, le plus intime et en même temps le plus universel, c'est le respect de la personne humaine, l'affirmation de son éminente et intangible dignité, de son caractère irremplaçable et singulier. Or, cela, auquel portent gravement atteinte les dernières avancées du libéralisme – mais pas seulement lui – à travers par exemple la commercialisation des utérus et des bébés – cela, que nous chérissons au plus près en son mystère lié à celui de l'origine, s'identifie à l'humanisme chrétien.

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    III 

             Pour répondre aux promoteurs de la vente des êtres humains, je ne vois pas de plus vigoureuse prise de parole que celle, énoncée au quatrième siècle par un Père de l’Église, Saint Grégoire de Nysse, dans sa quatrième homélie sur l'Ecclésiaste, qui est aussi l'un des premiers argumentaires contre l'esclavage.

             L'originalité de son approche est que, loin d'attaquer cette pratique, comme d'autres chrétiens de son époque, pour des raisons morales ou sentimentales, Grégoire s'en tient à l’Écriture et à l'orthodoxie. Son approche est théologique. Parmi les devoirs d'un chrétien, la précision est essentielle. Parler juste, sous l'autorité de l’Église, fait partie des dons de notre personne au monde. J'oserais même dire que c'est le premier devoir d'un prêtre, à fortiori d'un pape, un devoir de charité. Préférons un pape rude, pointilleux sur le dogme, à un prélat onctueux qui, allant ostensiblement embrasser les pauvres, en oublierait la précision de la doctrine ! Ainsi Grégoire, dans son argumentaire contre l'esclavage, ne cherche pas l'émotion mais la solidité. Il part de deux affirmations de la Genèse : la création de l'homme à l'image de Dieu, d'une part ; et d'autre part sa suprématie sur la nature, sa capacité à la gérer et à régner sur elle. De ces postulats, Grégoire tire une conséquence majeure : l'homme n'est pas monnayable. La nature elle-même pourrait-elle être achetée ? Et quand bien même ce serait possible, Dieu pourrait-il l'être ? Il attaque d'abord assez classiquement la transaction sur le plan de l'orgueil :

    St Grégoire de Nysse.jpgY a-t-il autant matière à fatuité (…) que lorsque un homme se considère le maître de ses congénères ? « J'ai acquis, dit-il, des esclaves et des servantes, et j'ai eu des serviteurs nés chez moi. » Vois-tu l'énormité de la forfanterie ? Une telle parole s'élève ouvertement contre Dieu.

             La force avec laquelle Grégoire place l'esclavage comme un défi à Dieu se trouve justifié, fondé par l’Écriture :

    St Grégoire de Nysse.jpg

    Car nous avons entendu dire par la prophétie que toutes choses sont les esclaves du pouvoir qui est au-dessus de tout. Or, l'homme qui fait de ce qui est à Dieu son propre bien et qui s'attribue domination sur son semblable, au point de se croire le maître d'hommes autant que de femmes, que fait-il d'autre que transgresser la nature par son orgueil, lui qui se voit différent de ceux qu'il commande ?

             On notera l'importance de cette différence faite entre les hommes, signe d'un péché essentiel – l'orgueil – qui en engendre d'autres – tous les saints, tous les pères de l’Église ont ainsi affirmé la fondamentale égalité de tous les hommes. Cependant, la critique de cette mauvaise différence ne saurait être la négation de nos singularités, voire de nos hiérarchies, puisque cette profonde égalité devant Dieu repose précisément en cet amour qu'il a pour chaque créature, et plus encore pour chaque personne. C'est l'un des génies du christianisme et la clef de l'humanisme chrétien : notre commune et singulière dignité se réalise dans la distinction. L'argumentaire se termine justement sur l'égalité fondamentale issue non pas d'un désir politique mais de la nécessaire humilité :

    St Grégoire de Nysse.jpg

    Car je ne vois rien que tu possèdes en plus que ton « sujet » – tu le nommes ainsi – à part le nom. En effet, qu'est-ce que ton pouvoir a ajouté à la nature ? Ni temps, ni beauté, ni bonne santé, ni les avantages que donne la vertu. Tu nais des mêmes êtres humains, ta vie se déroule de la même manière, les passions de l'âme et du corps vous dominent autant, toi, le maître, et celui soumis au joug de ta domination : douleurs et satisfactions, joies et inquiétudes, chagrins et plaisirs, colères et craintes, maladies et morts. Y a-t-il là une différence entre esclave et maître ? N'aspirent-ils pas le même air avec leurs poumons ? Ne voient-ils pas pareillement le soleil ? Ne se conservent-ils pas pareillement en se nourrissant ? Leurs organes ne sont-ils pas disposés de la même façon ? Ne sont-ils pas tous deux une même poussière après la mort ? N'y a-t-il pas un même jugement ? N'ont-ils pas un royaume commun, une commune géhenne ? Toi donc qui as en tout un sort égal, en quoi as-tu davantage, dis-moi, pour te croire, toi, un homme, souverain d'un autre homme et pour dire : « J'ai acquis des esclaves et des servantes », comme on acquiert quelques troupeaux de chèvres et de cochons ? En effet, après avoir dit : « J'ai acquis des esclaves et des servantes », il a ajouté l'abondance en troupeaux de brebis et de bœufs qui était devenue la sienne. « J'ai fait acquisition, dit-il, de brebis et de bœufs en quantité », comme si animaux et esclaves étaient à rang égal soumis à son pouvoir. 
     

             Grégoire de Nysse était médecin. On remarque, au-delà de l'éloquence du lettré grec, combien l'intériorité organique du corps, sa composition et ses nécessités, sont accompagnées des considérations morales pour montrer que rien, du dedans, du dehors, ne peut distinguer les hommes sinon la vertu. Or celle-ci, jamais acquise, n'aura pour juge que Dieu. 

             Le mystère chrétien est en un sens celui de la modernité. L'émancipation – au sens propre la sortie d'esclavage – est une conséquence essentielle de la Révélation et de la Rédemption. « La Vérité vous rendra libre ». En effet, toutes les sacralités, toutes les distinctions artificielles tomberont plus ou moins vite dans les sociétés chrétiennes, au profit du développement spirituel et humain – processus que notre modernité a affolé et détourné pour nous faire entrer dans un âge d'indistinction – vers une régression pire, en un sens, que l'ordre sacral dont nous sortions. Cette liberté originelle, corollaire de la création de l'homme à l'image de son créateur, essentielle pour qu'il y ait amour, est aussi une épreuve – puisque elle contient la possibilité de se détourner de Dieu, voire de se tourner résolument vers le mal. Ainsi dit la Genèse, la prise du fruit nous coupe de la grâce. Enfermé dans le gouvernement et la jouissance d'un soi qui usurpe la place de Dieu, on perd la capacité d'accueillir le réel, l'imaginaire conflictuel reprend violemment le dessus. C'est précisément, me semble-t-il, le geste sacral et sacrilège de la modernité occidentale.

             Notre liberté a une limite : si on en jouit pour soi, on la perd, car on se soumet à un esclavage qui est le pire de tous : de soi-même. On doit donc, si on veut qu'elle soit féconde, rendre au Créateur cette liberté qu'il nous offre et qu'il fera grandir. Certains – voyant là un sujet de révolte – refusent un tel échange d'amour entre le Créateur et sa créature. Le péché, c'est vouloir s'approprier la liberté et le jugement en supprimant la filiation divine. Ainsi l'acheteur ou le marchand d'esclave :

    St Grégoire de Nysse.jpg

    « J'ai acquis des esclaves et des servantes. » Que veux-tu dire ? Tu condamnes à l'esclavage un homme dont la nature est libre et autonome, et tu légifères en t'opposant à Dieu, en renversant la loi qu'il a établie pour la nature. En effet, celui qui est né pour être maître de la terre (l'homme, d'après Genèse, I, 26, nda), qui a été placé par le créateur pour commander, tu le soumets au joug de l'esclavage en combattant, en transgressant pour ainsi dire l'ordre divin. Tu as oublié les limites de ton pouvoir, tu as oublié que le commandement t'a été imparti dans les limites de l'autorité sur les êtres sans raison. « Qu'ils commandent, dit l’Écriture, aux volatiles, aux poissons, aux quadrupèdes et aux reptiles. » Comment, outrepassant ton droit à l'asservissement, t'élèves-tu contre la nature libre elle-même (c'est-à-dire l'homme, nda), en comptant au nombre des quadrupèdes et des animaux sans pattes celui qui est de la même race que toi ? « Tu as tout soumis à l'homme », proclame la prophétie à propos de Dieu (Psaume 8) et cette parole met dans le nombre des êtres qui sont en notre pouvoir « troupeaux, bœufs, et bétail ». Mais toi, tu as déchiré la nature par l'esclavage et la domination, tu l'as faite esclave d'elle-même et dominatrice d'elle-même. 
     

             Le désir d'égaler Dieu, de le singer ne peut se faire qu'en supprimant, d'une manière ou d'une autre, l'image divine. On perd la divine ressemblance à vouloir l'acquérir. « Vous serez comme des dieux », suggère le Serpent pour inciter à la prise du fruit, le seul interdit, qui pend à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, autrement dit du jugement. À cela, Jésus répond qu'au contraire nous devons devenir « petits enfants », non pas dans le sens d'une régression, mais d'une acceptation de la filiation divine. Qu'est-ce qu'un enfant ? Quelqu'un qui grandit. À mesure que nous recevons Dieu, nous nous dépouillons de l'orgueil vis-à-vis du prochain : il y a là un système vertueux qui produit la maturité collective et individuelle des sociétés chrétiennes.

             C'est la singularité même de la personne la signature de cette liberté et de cette ressemblance. En effet, si chaque personne est à aimer d'un même amour c'est qu'elle est singulière, singulièrement l'image de Dieu pourrait-on dire, et que nul ne peut l'égaler en ce qu'elle est elle-même. Ce qui revient à dire qu'aimer Dieu, c'est aimer aussi une personne, la personne objective et singulière par excellence. La limite à notre liberté est la fragilité de la personne, l'effroi que nous aurions à l'offenser, car ainsi nous offenserions Dieu. Le jour, alors, devient ce lieu de partage que Jésus appelle le Royaume « au milieu de vous ». Il est tout intériorité – caché en Dieu – certes – mais il affleure ici dès qu'il y a accueil et partage de charité. Quelle boucle plus parfaite pourrait être esquissée que cette vérité : l'homme, à l'image de Dieu, reçoit cette image en l'autre, met en acte cette ressemblance en aimant son prochain pour aimer Dieu, et aime Dieu pour mieux aimer son prochain, se conformant ainsi à cette divine ressemblance.

             Le péché, certes, a brisé cette relation vertueuse, produisant notre monde fragmenté et cupide. C'est là que le Christ, en donnant toute sa plénitude à cette ressemblance, restaure le Pont entre la créature et Dieu. Le manque d'amour, l'opacification de cette ressemblance par la préoccupation que nous avons de nous diriger et de juger est alors travaillée par la grâce, raclée, et l'âme, qu'on ne voyait plus, retrouve sa nature de miroir de Dieu. L'Incarnation, en effet – folie pour les Grecs, scandale pour les Juifs, blasphème pour les musulmans – oui, cette folie est nécessaire pour nous faire comprendre enfin – et jusqu'à la Croix – que ce n'est pas un jeu : nous sommes vraiment à l'image de Dieu, libres, précieux, chacun, mais ce don est d'un tout autre poids qu'une simple application des droits modernes. Et chaque être, ainsi, a un prix infini, qui n'est pas même celui du monde. Grégoire le dit déjà, dans un passage qui ne peut aujourd'hui encore que nous interpeller par sa précision :

    St Grégoire de Nysse.jpg

    « J'ai acquis des esclaves et des servantes. » A quel prix, dis-moi ? Qu'as-tu trouvé, parmi les êtres, de même prix que la nature ? À quelle somme as-tu évalué la raison ? Combien de pièces de monnaie as-tu payé en échange de l'image de Dieu ? Contre combien de statères as-tu échangé la nature façonnée par Dieu ? « Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et ressemblance. » Celui qui est à la ressemblance de Dieu, qui commande à toute la terre et qui a reçu de Dieu en héritage le pouvoir sur tout ce qui est sur la terre, qui peut le vendre, dis-moi, et qui peut l'acheter ? À Dieu seul ce pouvoir : et encore, pas même à Dieu ! Car « il ne se repent pas de ses dons », est-il dit. Dieu ne saurait asservir la nature, lui qui volontairement nous a appelés à la liberté, alors que nous nous étions asservis au péché. 

     

             On ne saurait insister sur la force avec laquelle le christianisme détruit toute sacralité de pouvoir et de superstition pour placer le seul sacré dans la personne – divine en premier lieu, humaine ensuite – mais pratiquement à égalité – non que l'homme soit son égal, mais parce que Dieu se porte vers lui pour le combler de grâce, lui qu'il a fait à sa ressemblance : Combien de pièces de monnaie as-tu payé pour acheter l'image de Dieu ? La question rhétorique va bien au-delà d'un argumentaire contre l'esclavage, elle exige une vigilance dans notre rapport quotidien à ces unités de Dieu que sont nos époux, nos enfants, nos collègues et n'importe quel passant ! Oui, fussent-ils pécheurs, ils sont l'image de Dieu – déformée, parfois brisée, toujours fragile, mais, au fond, intacte jusqu'au bout : qui peut le vendre, dis-moi, et qui peut l'acheter ? À Dieu seul ce pouvoir : et encore, pas même à Dieu ! Car il ne se repent pas de ses dons.

             Ainsi Malebranche, à la suite de Saint Augustin, rappelle qu'il faut haïr le crime, mais toujours aimer le pécheur. Cette distinction entre le crime et la personne va pour nous plus loin, elle est une distinction entre les idéologies, les religions, les pensées, et les personnes elles-mêmes. Ce discernement doit nous accompagner dans le combat. Je peux détester l'idéologie du genre, la promotion de la mort et du commerce humain, mais non pas les personnes qui véhiculent ces horreurs, et qui sont, qu'elles le sachent ou non, enfants de Dieu. De même, je peux contester la véracité d'autres religions, et, si je suis chrétien, je ne peux que le faire ; en revanche, je dois aimer leurs pratiquants comme tous ceux qui vont sans religion, et prier pour eux, rester humble devant eux – car tout à l'heure, à coup sûr, l'un d'eux me donnera une leçon de charité ou de courage. Ne l'oublions pas, l'offense à Dieu, nous l'avons aussi portée, en tant que société, en tant qu'individu, tous, sans exception.

             Nous devrions en finir avec nos sempiternelles argumentations autour des droits, il y a quelque chose d'à la fois plus ouvert et plus précis pour affirmer l'éminente dignité de chacun : la Vérité ! Celle-ci ne nous appartient pas, certes, et c'est bien ce que nous sommes en train de dire. Comment mieux contester la pratique barbare des mères porteuses, la fabrication et la vente des bébés, que par des arguments théologiques ? À moins de nous perdre en exemples, en suggestions sentimentales, en circonvolutions philosophiques plus ou moins vagues, nous devons en revenir au dogme. Oui, la Foi est nécessaire, mais une Foi qui s'énonce ainsi est entendue de tout homme, car elle est articulée à ses conséquences concrètes : la sacralité intangible de la personne humaine. Il s'ensuit une théologie de la fragilité et de la liberté qui a des conséquences politiques. Voilà ce qu'au IVème siècle un homme disait déjà dans sa prose d'une rare profondeur.

             Cette sacralité réduite à l'essentiel – la personne humaine – ne saurait nous conduire au mépris de la nature. C'est d'ailleurs un équilibre spécial que nous risquons de perdre dans nos villes, où tout, même le sol, a été remplacé. Oui, nous sommes tellement entourés de nos propres constructions que nous en oublions plus facilement le Créateur de l'univers. Il y a pourtant un sentiment qui n'est nullement profane, d'admiration, de contemplation de la nature, et j'oserais dire qu'il est même nécessaire au poids que nous donnons à cette notion d'image de Dieu. Voilà le dernier coup que porte Saint Grégoire de Nysse à la maudite transaction de l'esclavage :

    St Grégoire de Nysse.jpg

    Mais si Dieu n'asservit pas ce qui est libre, qui peut établir au-dessus de Dieu sa propre domination ? Comment sera vendu celui qui commande à la terre et à ce qui se trouve dessus ? Car obligatoirement on achète, avec l'homme qui est vendu, tout ce qui lui appartient. À combien estimerons-nous la terre ? Et à combien tout ce qui est sur la terre ? Et si c'est inestimable, à quel prix estimes-tu, dis-moi, celui qui est au-dessus de tout ? Dirais-tu « le monde entier » que tu ne trouverais même pas le prix qui convient. Car celui qui sait estimer la nature humaine à son juste prix a dit que le monde entier n'est pas digne d'être échangé contre l'âme d'un homme. Chaque fois qu'un homme est à acheter, ce n'est pas moins que le maître de la terre qui est conduit au marché. Donc ce qui sera vendu à la criée en même temps que cet homme, c'est évidemment aussi la création existante. Et la création, ce sont la terre, les îles, la mer, et tout ce qu'elles contiennent. Que paiera donc l'acheteur ? Que recevra le vendeur, si c'est une telle possession qui accompagne la transaction ? Mais le petit livret, l'engagement écrit et le paiement en espèces t'ont-ils convaincu avec leur tromperie que tu étais maître de l'image de Dieu ? Ô folie ! Et si le contrat se perdait, si les lettres étaient mangées par les vers, si une goutte d'eau en tombant les effaçait, où seraient les gages de ton droit à asservir ; et où, les moyens de ta domination ?

             Nous vivons dans une fiction que nous croyons réelle : le contrat. Et ce contrat, si nécessaire soit-il par ailleurs, nous en avons fait le dernier sacré. Les forces de négation et de cupidité se sont engouffrées dans la faille, et voilà le retour pervers de l'esclavage. Oh, je sais, lorsqu'on vend un enfant on ne vend pas un esclave, on destine un être à des parents d'intention. Mais comment peut-on nier qu'il y aura, à l'origine, la même transaction exactement que celle dénoncée par Grégoire de Nysse ? Et si l'enfant était donné comme le prétendent certains – ce qui est difficile à croire étant donné le processus de fabrication et les fatigues de la grossesse – cela voudrait dire qu'on en dispose comme d'une possession, puisqu'on ne peut donner que ce qui nous appartient. Or, un être humain n'appartient à personne, pas même à ses parents – à personne si ce n'est à Dieu – encore celui-ci nous laisse libre de nous détourner et ne reprend pas ses dons.

             La chosification de l'être humain ne peut donc être combattue avec les arguments du droit, nous devons ramener le débat aux fondements qui constituent ce en quoi nous croyons. Même un athée comprendra symboliquement cette sacralité de la personne humaine. La singularité est le seul contrepoint à l'infini. Or, aujourd'hui, certains voudraient tout simplement nier la personne humaine. Nous trouverons des alliés partout dans ce combat, mais n'ayons plus peur d'employer ces arguments théologiques, car ils sont en vérité les seuls solides. Sinon, nous serons incohérents et nous aurons craint davantage le regard des hommes que celui de Dieu.

             À la suite de la quatrième homélie sur L’ecclésiaste, Grégoire dans la cinquième engage une attaque contre l'or et le prêt à intérêt. En faisant un culte à la matière – ou au néant du métal jaune – ou, aujourd'hui, au chiffre apparemment efficace de nos comptes en banque – nous adorons une illusion au lieu de la sainte et invisible réalité du Créateur qui nous regarde à tout instant. Notre seul vrai bien est notre prochain, non pas que nous le possédions, mais parce que nous l'accueillons et que par lui nous pouvons accueillir Dieu. En substituant à la sacralité de la personne l'équivalent universel, nous nous éloignons considérablement de notre pauvreté essentielle, qui est la seule vraie richesse, puisqu'elle seule nous ouvre à la Grâce. Voilà l'ultime et merveilleux mystère chrétien : Dieu se fait pauvre. Dieu lui-même se fait fragile. Oui, pour te conformer à son image, cher lecteur, tu n'as que cela à faire : l'aimer, lui, pour ce qu'il est, dans son incompréhensible richesse et profusion, toute transcendance, mais l'aimer, lui, pour ce qu'il est, dans l'image de ton frère – même déformée, même brisée par le péché ou la folie – l'amour infini qui se dépouille jusqu'à nous. Tu marcheras, alors, avec la liberté des enfants de Dieu...
     

    Lucien Fornello
    pour La Vaillante

     

             Voici in-extenso cette partie de la quatrième homélie sur L'ecclésiaste, de Saint Grégoire de Nysse, traduite et annotée par Françoise Vinel aux éditions du Cerf en 1996, dans la très belle collection des Sources Chrétiennes (il m'est arrivé, dans le texte, de légèrement modifier la traduction).

     

    St Grégoire de Nysse.jpg            Homélie IV 

             C'est encore le sujet de la confession qui retient notre texte. En effet, l'ecclésiaste, en racontant ce qui chez lui fait reconnaître la vanité des choses de cette vie, passe pour ainsi dire tout en revue. Et maintenant, il aborde comme objet d'une accusation plus grave que celles de ses actions qui lui font dénoncer la passion de l'orgueil. Y a-t-il autant matière à fatuité dans les biens qu'il a dénombrés – maison somptueuse, abondance de vignes, l'agrément des potagers et, pour les eaux, leur collecte dans les bassins et leur répartition dans les jardins – que lorsque un homme se considère le maître de ses congénères ? « J'ai acquis, dit-il, des esclaves et des servantes, et j'ai eu des serviteurs nés chez moi. » Vois-tu l'énormité de la forfanterie ? Une telle parole s'élève ouvertement contre Dieu. Car nous avons entendu dire par la prophétie que toutes choses sont les esclaves du pouvoir qui est au-dessus de tout. Or, l'homme qui fait de la possession de Dieu sa propre possession et qui s'attribue domination sur sa race, au point de se croire le maître d'hommes aussi bien que de femmes, que fait-il d'autre que transgresser la nature par son orgueil, lui qui se regarde comme différent de ceux qu'il commande ?

             « J'ai acquis des esclaves et des servantes. » Que veux-tu dire ? Tu condamnes à l'esclavage l'homme dont la nature est libre et autonome, et tu légifères en t'opposant à Dieu, en renversant la loi qu'il a établie pour la nature. En effet, celui qui est né pour être maître de la terre (l'homme, d'après Genèse, I, 26), celui qui a été placé pour commander par le créateur, tu le soumets au joug de l'esclavage, en combattant et en transgressant pour ainsi dire l'ordre divin. Tu as oublié les limites de ton pouvoir, tu as oublié que le commandement t'a été imparti dans les limites de l'autorité sur les êtres sans raison. « Qu'ils commandent, dit l’Écriture, aux volatiles, aux poissons,  aux quadrupèdes et aux reptiles. » Comment, outrepassant ton droit à l'asservissement, t'élèves-tu contre la nature libre elle-même, en comptant au nombre des quadrupèdes et des animaux sans pattes celui qui est de la même race que toi ? « Tu as tout soumis à l'homme », proclame la prophétie à propos de Dieu (Psaume 8) et cette parole met dans le nombre des êtres qui sont en notre pouvoir « troupeaux, bœufs, et bétail ». Mais toi, tu as déchiré la nature par l'esclavage et la domination, tu l'as faite esclave d'elle-même et dominatrice d'elle-même. « J'ai acquis des esclaves et des servantes. » A quel prix, dis-moi ? Qu'as-tu trouvé, parmi les êtres, de même prix que la nature ? À quelle somme as-tu évalué la raison ? Combien de pièces de monnaie as-tu payé en échange de l'image de Dieu ? Contre combien de statères as-tu échangé la nature façonnée par Dieu ? « Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et ressemblance. » Celui qui est à la ressemblance de Dieu, qui commande à toute la terre et qui a reçu de Dieu en héritage le pouvoir sur tout ce qui est sur la terre, qui peut le vendre, dis-moi, qui peut l'acheter ? À Dieu seul appartient ce pouvoir : bien plus, pas même à Dieu lui-même ! Car « il ne se repent pas de ses dons », est-il dit. Dieu ne saurait asservir la nature, lui qui volontairement nous a appelés à la liberté, nous qui avions été asservis au péché.

             Mais si Dieu n'asservit pas ce qui est libre, qui peut établir au-dessus de Dieu sa propre domination ? Et comment sera aussi vendu celui qui commande toute la terre et tout ce qui est sur la terre ? Car il est de toute nécessité que le bien de celui qui est vendu soit cédé en même temps que lui. À combien estimerons-nous donc toute la terre ? Et à combien tout ce qui est sur la terre ? Et si c'est inestimable, à quel prix estimes-tu, dis-moi, celui qui est au-dessus ? Dirais-tu « le monde entier » que tu ne trouverais même pas le prix qui convient. Car celui qui sait estimer la nature humaine à son juste prix a dit que le monde entier n'est pas digne d'être échangé contre l'âme d'un homme. Chaque fois qu'un homme est à acheter, ce n'est pas moins que le maître de la terre qui est conduit au marché. Donc ce qui sera vendu à la criée en même temps que cet homme, c'est évidemment aussi la création existante. Et la création, ce sont la terre, les îles, la mer, et tout ce qu'elles contiennent. Que paiera donc l'acheteur ? Que recevra le vendeur, si c'est une telle possession qui accompagne la transaction ? Mais le petit livret, l'engagement écrit et le paiement en espèces t'ont-ils convaincu avec leur tromperie que tu étais maître de l'image de Dieu ? Ô folie ! Et si le contrat se perdait, si les lettres étaient mangées par les vers, si une goutte d'eau en tombant les effaçait, où seraient les gages de ton droit à asservir ; et où, les moyens de ta domination ?

             Car je ne vois rien que tu aies en plus par rapport à ton sujet – tu le nommes ainsi – que le nom. En effet, qu'est-ce que le pouvoir a ajouté à la nature ? Ni temps, ni beauté, ni bonne santé, ni les avantages que donne la vertu. Tu nais des mêmes êtres humains, ta vie se déroule de la même manière, les passions de l'âme et du corps vous dominent autant, toi, le maître, et celui qui est soumis au joug de ta domination : douleurs et satisfactions, joies et inquiétudes, chagrins et plaisirs, colères et craintes, maladies et morts. Y aurait-il en cela une différence entre l'esclave et le maître ? N'aspirent-ils pas le même air avec leurs poumons ? Ne voient-ils pas pareillement le soleil ? Ne conservent-ils pas semblablement leur nature à l'aide de la nourriture ? Leurs entrailles ne sont-elles pas disposées de la même façon ? Ne sont-ils pas tous deux une même poussière après la mort ? N'y a-t-il pas un même jugement ? N'ont-ils pas un royaume commun et une commune géhenne ? Toi donc qui as en tout un sort égal, en quoi as-tu davantage, dis-moi, pour te croire, toi, un homme, souverain sur un homme et pour dire : « J'ai acquis des esclaves et des servantes », comme on acquiert quelques troupeaux de chèvres et de cochons ? En effet, après avoir dit : « J'ai acquis des esclaves et des servantes », il a ajouté l'abondance en troupeaux de brebis et de bœufs qui était devenue la sienne. « J'ai fait acquisition, dit-il, de brebis et de bœufs en quantité », comme si animaux et esclaves étaient soumis à rang égal à son pouvoir.

    Grégoire de Nysse

    Icône mosaïque datant du XIIIème siècle

    Article repris par Ichtus : http://www.ichtus.fr/gpa-la-pointe-de-lesclavage/

     

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  • Ce qui donne une âme vivante et forme un corps concret à la réalité qu’est la France

    jeanne d'arc,la france,fête nationale,vidéographies,sandrine treuillard,art & cultureSainte Jeanne d’Arc
    (XVème s.)

    Patronne secondaire de la France
    le 30 mai : mémoire (en France)

    Ci-contre : Vitrail de l'église de
    Sainte Foy de Cervières (Loire)

     

    ALORS QUE LA FÊTE nationale de Jeanne d’Arc a été fixée à l’anniversaire de la délivrance d’Orléans (8 mai 1429), l’Église célèbre sa mémoire le 30 mai, au jour du bûcher de Rouen (1431), car c’est dans la mort que Jeanne a consommé sa configuration avec le Christ.

    Les étapes de la vie de Jeanne d’Arc (1412-1431) sont connues de tous : Domrémy, Vaucouleurs, Chinon, Beaugency, Orléans, Saint-Benoît-sur-Loire*, Reims, Paris, Compiègne, Rouen, autant de noms auxquels s’attache le souvenir de tel ou tel événement d’une épopée qui ne dura que deux années et s’acheva par la mort atroce d’une jeune fille de 19 ans. Jeanne séduit par sa simplicité, la justesse de ses répliques, l’absence du souci de jouer son personnage, une énergie dans la décision, un courage dans l’action, que tempère toujours la tendresse d’une fille de son âge pour ceux qui souffrent. Elle séduit par sa recherche obstinée de la paix et son respect de l’adversaire. Mais elle s’impose surtout par sa disponibilité absolue à la volonté de Dieu. C’est pourquoi elle domine le procès de Rouen de toute la limpidité de son âme, la fermeté de sa foi, la vigueur de son attachement à l’Église, « qui ne fait qu’un avec le Christ ». Sur le bûcher, dont la vue la fit gémir d’angoisse, Jeanne a jeté le cri qui livrait le secret de sa vie : Jésus ! Jésus !

     

    Tiré du MAGNIFICAT n°246
    30 mai 2013
     

     

    * c’est nous qui soulignons ce lieu.


    L'épée de Jehanne - 5 min - mai 2015 - ©Sandrine Treuillard

     
     
     
     

     

    DE SES VOIX 2’37’’ - filmé à Orléans, parvis de la cathédrale
    2cd 
    volet /5 de POUR EN FINIR AVEC JEANNE D’ARC
    Copyright © Sandrine Treuillard, 2006

    [Filmé sur le parvis de la Cathédrale Sainte-Croix d'Orléans]

     

    UNE COMMUNAUTÉ DE DESTIN

     

    « Une certitude habite le cœur du chrétien. Parmi les hommes rapprochés par les circonstances de la vie, ceux qui forment avec lui sa nation – pour nous la France –, ceux-là occupent dans son cœur une place privilégiée ; avec le magistère catholique, nous condamnons fortement les nationalismes et promouvons ardemment le patriotisme. « Il faut clarifier la différence essentielle qui existe entre une forme insensée de nationalisme qui prône le mépris des autres nations ou des autres cultures, et le patriotisme qui est, au contraire, un amour légitime du pays dont on est originaire. Un véritable patriotisme ne cherche jamais à promouvoir le bien de la nation aux dépens d’autres nations. » (Jean-Paul II, discours aux Nations unies, 1995). Or une nation n’est pas une idée, et pas plus un ensemble de valeurs, mais elle se dresse dans sa beauté et sa grandeur à travers la droiture de personnes imprégnées d’une culture, d’un pays et d’une histoire. Une nation existe d’abord d’une communauté de personnes tissée par une culture commune. Seule une fraternité éclose en solidarité, et une solidarité comprise comme une communauté de destin, donne une âme vivante et forme un corps concret à la réalité qu’est la France. »

    MGR LUC RAVEL
    Mgr Luc Ravel, ordonné prêtre en 1988, est évêque aux Armées depuis 2009.

    Tiré du MAGNIFICAT n°246
    30 mai 2013

     

     

     

    JEANNE 2006 – 10’ (/22’)filmé à La Sourdaie (18 - Cher)
    1
    er volet /5 de POUR EN FINIR AVEC JEANNE D’ARC
    Copyright 
    © Sandrine Treuillard, 2006

    [Paroles de Jeanne d'Arc tirées du procès de Rouen]

     

     

     

    5 Petits Blasons pour en finir avec Jeanne d'Arc – 9’23'' (/12’30'')
    3ème volet /5 de POUR EN FINIR AVEC JEANNE D’ARC
    Copyright © Sandrine Treuillard, 2006

    [Guerroyer _L'Étendard _Le Roy _L'attente _Consumer]

     

     

     

    Jehanne mise en abyme – 7’23'' (/15’)
    5ème volet /5 de POUR EN FINIR AVEC JEANNE D’ARC
    Copyright © Sandrine Treuillard, 2006

    [Vitraux filmés de la Cathédrale Sainte-Croix d'Orléans]

     

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  • L'épée de Jehanne

    L'épée de Jehanne1èreImage.jpg

     

     

    À l'approche du 30 mai, sainte Jeanne d'Arc, cette statue venue d'Italie filmée dans l'église de Continvoir, près de Tours : « Ce qui donne une âme vivante et forme un corps concret à la réalité qu’est la France ».

     

     

     

     

     

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  • Le prêtre, la fatigue & le repos

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                « Ma main sera pour toujours avec lui, mon bras fortifiera son courage » (Ps 88, 22). C’est ainsi que pense le Seigneur quand il dit en lui-même : « J’ai trouvé David mon serviteur, je l’ai sacré avec mon huile sainte » (v.21). C’est ainsi que pense notre Père chaque fois qu’il « trouve » un prêtre. Et il ajoute encore : « Mon amour et ma fidélité sont avec lui, il me dira : tu es mon Père mon Dieu, mon roc et mon salut »  (vv. 25.27).

                Il est très beau d’entrer, avec le psalmiste, dans ce monologue de notre Dieu. Il parle de nous, ses prêtres, ses curés ; mais en réalité ce n’est pas un monologue, il ne parle pas seul : c’est le Père qui dit à Jésus : « Tes amis, ceux qui t’aiment, pourront me dire de manière spéciale : tu es mon Père » (cf. Gn 14, 21). Et si le Seigneur pense et se préoccupe tant de la manière dont il pourra nous aider, c’est parce qu’il sait que la charge d’oindre le peuple fidèle n’est pas facile, elle est dure ; elle nous conduit à la fatigue et à la lassitude. Nous en faisons l’expérience de multiples manières : de la fatigue habituelle du travail apostolique quotidien, à celle de la maladie et de la mort, y compris dans le fait de se consumer dans le martyre.

                La fatigue des prêtres ! Savez-vous combien de fois je pense à cela : à la fatigue de vous tous ? J’y pense beaucoup et je prie souvent, surtout quand moi aussi je suis fatigué. Je prie pour vous qui travaillez au milieu du peuple fidèle de Dieu qui vous a été confié, et, pour beaucoup, en des lieux très abandonnés et dangereux. Notre fatigue, chers prêtres, est comme l’encens qui monte silencieusement vers le ciel (cf. Ps 140, 2; Ap 8, 3-4). Notre fatigue va droit au cœur du Père.

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                Soyez sûrs que la Vierge Marie se rend compte de cette fatigue, et la fait remarquer tout de suite au Seigneur. Comme Mère, elle sait comprendre quand ses fils sont fatigués et elle ne pense à rien d’autre. Elle nous dira toujours, lorsque nous venons à elle : « Bienvenue ! repose-toi, fils. Après nous parlerons… Ne suis-je pas là, moi qui suis ta Mère ? » (cf. Evangelii gaudium, n. 286). Et elle dira à son Fils, comme à Cana : « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2, 3).

                Il arrive aussi que, lorsque nous ressentons le poids du travail pastoral, nous ayons la tentation de nous reposer de n’importe quelle manière, comme si le repos n’était pas une chose de Dieu. Ne tombons pas dans cette tentation. Notre fatigue est précieuse aux yeux de Jésus, qui nous accueille et nous fait relever : «Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, moi je vous procurerai le repos » (cf. Mt 11, 28). Quand quelqu’un sait que, mort de fatigue, il peut se prosterner en adoration et dire : « Ça suffit pour aujourd’hui, Seigneur », et se rendre devant le Père, il sait aussi qu’il ne s’effondre pas, mais qu’il se renouvelle, parce que celui qui a oint le peuple fidèle de Dieu de l’huile d’allégresse, le Seigneur l’oint également : « Il met le diadème sur sa tête au lieu de la cendre, l’huile d’allégresse au lieu des larmes, le chant au lieu d’un esprit abattu » (cf. Is 61, 3).

                Ayons bien présent à l’esprit qu’une clé de la fécondité sacerdotale se trouve dans la manière dont nous nous reposons, dont nous sentons que le Seigneur s’occupe de notre fatigue. Comme il est difficile d’apprendre à se reposer ! Là se joue notre confiance, et aussi le souvenir que nous aussi nous sommes des brebis et nous avons besoin du pasteur, qui nous aide. Quelques questions à ce sujet peuvent nous aider.

    10675579_308744219312834_7326918446506052644_n.jpg            Est-ce que je sais me reposer en recevant l’amour, la gratuité et toute l’affection que me donne le peuple fidèle de Dieu ? Ou bien, après le travail pastoral est-ce que je cherche des repos plus raffinés, non pas ceux des pauvres, mais ceux qu’offrent la société de consommation ? L’Esprit Saint est-il vraiment pour moi « repos dans la fatigue », ou seulement celui qui me fait travailler ? Est-ce que je sais demander l’aide de quelque prêtre sage ? Est-ce que je sais me reposer de moi-même, de mon auto-exigence, de mon autosatisfaction, de mon autoréférence ? Est-ce que je sais converser avec Jésus, avec le Père, avec la Vierge et Saint Joseph, avec mes saints amis protecteurs pour me reposer dans leurs exigences – qui sont douces et légères –, dans la satisfaction d’être avec eux – eux, ils aiment rester en ma compagnie –, et dans leurs intérêts et leurs références – seule les intéresse la plus grande gloire de Dieu – … ? Est-ce que je sais me reposer de mes ennemis sous la protection du Seigneur ? Est-ce que j’argumente et conspire en moi-même, ressassant plusieurs fois ma défense, ou est-ce que je me confie à l’Esprit Saint qui m’enseigne ce que je dois dire en toute occasion ? Est-ce que je me préoccupe et me tourmente excessivement ou, comme Paul, est-ce que je trouve le repos en disant : « Je sais en qui j’ai mis ma foi » (2 Tm 1, 12) ?

                Revoyons un moment, brièvement, les engagements des prêtres, qu’aujourd’hui la liturgie nous proclame : porter aux pauvres la Bonne Nouvelle, annoncer la libération aux prisonniers et la guérison aux aveugles, donner la liberté aux opprimés et proclamer l’année de grâce du Seigneur. Isaïe dit aussi soigner ceux qui ont le cœur brisé et consoler les affligés.

    pape françois,foi,christianisme,transmission,prêtre,vulnérabilité,eucharistie            Ce ne sont pas des tâches faciles, ce ne sont pas des tâches extérieures, comme le sont par exemple les activités manuelles – construire une nouvelle salle paroissiale, ou tracer les lignes d’un terrain de football pour les jeunes du patronage… ; les tâches mentionnées par Jésus engagent notre capacité de compassion, ce sont des tâches dans lesquelles le cœur est « mû » et ému. Nous nous réjouissons avec les fiancés qui se marient, nous rions avec l’enfant qu’ils font baptiser ; nous accompagnons les jeunes qui se préparent au mariage et à la famille ; nous nous affligeons avec celui qui reçoit l’onction sur un lit d’hôpital ; nous pleurons avec ceux qui enterrent une personne chère… Tant d’émotions… Si nous avons le cœur ouvert, cette émotion et tant d’affection fatiguent le cœur du pasteur. Pour nous, prêtres, les histoires de nos gens ne sont pas un bulletin d’information : nous connaissons nos gens, nous pouvons deviner ce qui se passe dans leur cœur ; et le nôtre, en souffrant avec eux, s’effiloche, se défait en mille morceaux, il est bouleversé et semble même mangé par les gens : prenez et mangez. C’est la parole que le prêtre de Jésus chuchote constamment quand il prend soin de son peuple fidèle : prenez et mangez, prenez et buvez… Et ainsi notre vie sacerdotale se donne dans le service, dans la proximité du peuple de Dieu… qui toujours, toujours fatigue.

                Je voudrais maintenant partager avec vous quelques autres fatigues sur lesquelles j’ai médité.

    1538643_213275732193017_440857702_n.jpg            Il y a celle que nous pouvons appeler « la fatigue des gens, la fatigue des foules » : pour le Seigneur, comme pour nous, elle était épuisante – l’Évangile le dit –, mais c’est une bonne fatigue, une fatigue pleine de fruits et de joie. Les gens qui le suivaient, les familles qui lui portaient leurs enfants pour qu’il les bénisse, ceux qui avaient été guéris, qui venaient avec leurs amis, les jeunes qui s’enthousiasmaient pour le Rabbi…, ne lui laissaient même pas le temps de manger. Mais le Seigneur ne se fatiguait pas de rester avec les gens. Au contraire : il semble que cela le remontait. (cf. Evangellii gaudium, n. 11). Cette fatigue au milieu de notre activité est, en général, une grâce qui est à portée de main de nous tous, prêtres (cf. ibid., n. 279). C’est vraiment une belle chose : les gens aiment, désirent et ont besoin de leurs pasteurs ! Le peuple fidèle ne nous laisse pas sans occupation directe, sauf si on se cache dans un bureau ou si on part en ville avec des verres teintés. Et cette fatigue est bonne, c’est une fatigue saine. C’est la fatigue du prêtre avec l’odeur de ses brebis… mais avec le sourire de papa qui contemple ses enfants et ses petits enfants. Rien à voir avec ceux qui sentent des parfums chers et qui te regardent de loin et de haut (cf. ibid., n. 97). Nous sommes les amis de l’Époux, c’est là notre joie. Si Jésus fait paître le troupeau au milieu de nous, nous ne pouvons pas être des pasteurs au visage acide, qui se lamentent, ni, ce qui est pire, des pasteurs qui s’ennuient. Odeur des brebis et sourire de pères… Oui, très fatigués, mais avec la joie de celui qui écoute son Seigneur qui dit : « Venez les bénis de mon Père » (Mt 25, 34).

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                Il y a aussi la fatigue que nous pouvons appeler « la fatigue des ennemis ». Le démon et ses adeptes ne dorment pas ; et comme leurs oreilles ne supportent pas la Parole de Dieu, ils travaillent inlassablement pour la faire taire ou la troubler. Ici la fatigue de les affronter est plus dure. Non seulement il s’agit de faire le bien, avec toute la peine que cela comporte, mais il faut aussi défendre le troupeau et se défendre soi-même du mal (cf. Evangelii gaudium, n. 83). Le malin est plus astucieux que nous, et il est capable de démolir en un moment ce que nous avons construit avec patience durant beaucoup de temps. Il est nécessaire ici de demander la grâce d’apprendre à neutraliser – c’est une habitude importante : apprendre à neutraliser ‑ : neutraliser le mal, ne pas arracher l’ivraie, ne pas prétendre défendre comme des surhommes ce que seul le Seigneur doit défendre. Tout cela aide à ne pas baisser les bras devant l’épaisseur de l’iniquité, devant la dérision des méchants. La parole du Seigneur pour ces situations de fatigue est : «Ayez courage, j’ai vaincu le monde ! » (Jn 16, 33). Et cette parole nous donnera de la force.

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                Et une dernière – dernière pour que cette homélie ne vous fatigue pas trop – il y a aussi « la fatigue de soi-même » (cf. Evangelii gaudium, n. 277). C’est peut-être la plus dangereuse. Parce que les deux autres proviennent du fait d’être exposé, de sortir de nous même pour oindre et nous donner quelque chose à faire (nous sommes ceux qui prenons soin). En revanche, cette fatigue est plus autoréférentielle : c’est la déception de soi-même, mais pas regardée en face, avec la sérénité joyeuse de celui qui se découvre pécheur et qui a besoin de pardon, d’aide : celui-là demande de l’aide et va de l’avant. Il s’agit de la fatigue qui porte à « vouloir et ne pas vouloir », le fait de tout risquer et ensuite de regretter l’ail et les oignons d’Égypte, de jouer avec l’illusion d’être autre chose. J’aime appeler cette fatigue « minauder avec la mondanité spirituelle ». Et quand on reste seul, on s’aperçoit que beaucoup de secteurs de la vie ont été imprégnés de cette mondanité, et on a même l’impression qu’aucun bain ne peut la nettoyer. Il peut y avoir là pour nous une mauvaise fatigue. La parole de l’Apocalypse nous indique la cause de cette fatigue : «Tu ne manques pas de persévérance, et tu as tant supporté pour mon nom, sans ménager ta peine. Mais j’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné » (2, 3-4). Seul l’amour donne du repos. Celui qui ne s’aime pas se fatigue mal, et à la longue, se fatigue plus mal.

                L’image la plus profonde et mystérieuse de la manière dont le Seigneur s’occupe de notre fatigue pastorale est celle de celui qui « ayant aimé les siens…, les aima jusqu’à la fin » (Jn 13, 1) : la scène du lavement des pieds. J’aime la contempler comme lavement de la sequela. Le Seigneur purifie la sequela elle-même, il s’implique avec nous (Evanglii gaudium, n. 24), il se charge le premier de nettoyer toute tache, ce smog mondain et onctueux qui s’est collé durant le chemin que nous avons fait en son Nom.

    pape françois,foi,christianisme,transmission,prêtre,vulnérabilité,eucharistie            Nous savons que l’on peut voir dans les pieds comment va tout notre corps. Dans la manière de suivre le Seigneur se manifeste comment va notre cœur. Les plaies des pieds, les déboitements et la fatigue sont des signes de la manière dont nous l’avons suivi, de ces routes que nous avons faites pour chercher ses brebis perdues, en essayant de conduire le troupeau vers les verts pâturages et les eaux tranquilles (cf. ibid., n. 270). Le Seigneur nous lave et nous purifie de tout ce qui s’est accumulé sous nos pieds pour le suivre. Et c’est sacré. Il ne permet pas qu’ils restent sales. Il les embrasse comme des blessures de guerre, de sorte que la saleté du travail, c’est lui qui la nettoie.

             La sequela de Jésus est lavée par le Seigneur lui-même pour que nous nous sentions en droit d’être « joyeux », « remplis », « sans peur ni faute » et pour que nous ayons ainsi le courage de sortir et d’aller « jusqu’aux extrémités du monde, vers toutes les périphéries », porter cette bonne nouvelle aux plus abandonnés, sachant qu’ « il est avec nous, tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Et s’il vous plaît, demandons la grâce d’apprendre à être fatigués, mais bien fatigués !

     

    581664_109965129190745_49240641_n.pngHomélie du pape François
    Messe chrismale, 2 avril 2015

     

     

    © Librairie éditrice du Vatican
    (2 avril 2015) © Innovative Media Inc.

     

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