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lucien fornello

  • La science-fiction pour tous c'est (toujours & encore) maintenant !

    lucien fornello,la france,politique,théorie du genre,homophobie,conscience,pma,gpa,lmptLa Vaillante souhaite donner à lire à nouveau cet article du 5 juin 2013, de Lucien Fornello, qui annonce la logique de l'histoire des transformations sociétales brutales amorcées avec le mariage pour tous : PMA sans père et GPA, contre lesquelles nous Marcherons pour la Liberté l'Égalité & la Paternité Marchons Enfants ! - Mobilisation nationale, ce dimanche 6 octobre 2019, à partir de 13h place Edmond Rostand, entre le Sénat et le Panthéon.
    Départ du cortège 1h-1h30 après. Direction Montparnasse, place du 18 juin 40 !

     

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    Deux photographies de La Manif Pour Tous Île-de-France — #Marchons Enfants ! - Mobilisation nationale n°1
    Place Edmond Rostand, au départ, et Place du 18 juin 1940, à l'arrivée.

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           On ne comprend rien à la problématique de la loi Taubira si on n'en mesure pas la dimension ultra-libérale, mondialiste et totalitaire. Les grandes banques de la planète, à commencer par la Goldman Sachs ; l'écrasante majorité, si ce n'est la totalité des grands groupes économiques ; enfin l'ensemble des institutions supranationales, comme le Conseil de l'Europe, soutiennent activement, d'une manière ou d'une autre, l'introduction de la théorie du genre dans l'éducation et dans les structures politiques de tous les pays, ainsi que le mariage homosexuel qui en est un premier fruit, un symbole et un cheval de Troie. Loin d'être une émancipation, je tiens que ce projet vise un asservissement. Il nous faut mettre des mots là où le pouvoir a placé des leurres, et retourner, là où on l'identifie, le retournement lexical qu'il aura opéré. Retourner le retournement, voilà une tâche qu'il ne faut pas faire trop mécaniquement... Pour notre bonheur, l'ennemi désigné, mais innommable au sens propre, ne peut avancer constamment masqué ni informulé. Aussi, même s'il est difficile de définir la nature du pouvoir contre lequel nous luttons, il est temps d'en dessiner quelques contours et d'essayer d'en saisir l'essence.

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           Certaines contradictions sont à interroger dans leurs nuances. Vivien Hoch, journaliste prometteur, rendait sur une radio libre, entre deux diatribes contre la loi Taubira, un vibrant hommage à Margaret Thatcher à l'occasion de ses obsèques. La dame de fer et Ronald Reagan, dans les années 1980, formèrent le redoutable duo qui accéléra la dérégulation économique. On ne peut sans doute pas les réduire à cela. On ne peut non plus nier que la gauche plus hypocrite n'a cessé de faire la même chose en prétendant le contraire. Mais les faits sont là, et nous vivons aujourd'hui les conséquences de ces décisions. Si Vivien Hoch en tant que « libéral-conservateur » salue celle qui représente le capitalisme triomphant, je lui suggère un petit effort de clairvoyance envers un certain nombre de paradoxes, de contradictions, de conflits que porte ce quasi-oxymore de libéral et conservateur. Ces tensions, pour être exposées et même incarnées en clivage politique, à commencer par celui entre gauche et droite, n'en restent pas moins des questions intérieures pour le penseur, des problèmes insolubles pour la collectivité, voire des dilemmes générateurs de souffrance. Je pense qu'il y a un piège pour la pensée de la liberté à rester dans ce droitisme qui ne mène qu'à la moitié du réel. Il n'est qu'à observer combien les médias et les hommes politiques cherchent à tout prix à politiser le mouvement « manif pour tous » dans le sens de ce clivage pour se convaincre qu'il s'y cache plus que jamais l'un des nœuds par lesquels un système nous tient.

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           Une difficulté, quels que soient nos fondements intellectuels, est de penser la nature du pouvoir ; de reconnaître qu'il ne s'agit pas de camps, ni même de classes, mais de quelque chose de plus insaisissable, qui a rapport au système politique et à la structure de notre économie. Nous devons admettre que même les institutions démocratiques ne suffisent pas à la justice ni même à la considération du peuple et de la nation. La liberté réelle, c'est-à-dire en grande partie économique, n'est pas mieux garantie dans un monde libéral où règnent les multinationales que dans un système plus mixte. Le problème est que nous appelons libéral ce qui en est par endroits presque l'opposé, et que nous qualifierons facilement d'anti-libérale une lutte qui a pourtant tous les aspects d'une défense de la liberté, y compris économique. Quel est ce paradoxe ? Comment voir à l'endroit ce qui se propose à l'envers depuis si longtemps à notre esprit ?

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           La complexité de ce monde et de ce système ne peut nous empêcher une simplicité radicale du constat : aujourd'hui la finance, les banques, ainsi que les multinationales de l'agro-alimentaire, de l'industrie (notamment militaire) et des services – parfois des deux ou des trois ensemble – tiennent le pouvoir politique et médiatique d'une manière qui ne s'est jamais vue auparavant. Le politique apparaît dissous dans ce méta-pouvoir qui l'englobe et qui lui donne ses missions. Mais on n'a rien compris à notre époque si on n'a pas identifié la part idéologique nécessaire à ces puissances désincarnées : la mission de l’État, un peu partout, n'est plus seulement de faire le flic ou l'éducateur, mais de vertébrer idéologiquement l'énorme Mammon autrement trop mollusque ou trop brutal et qui, pour puissant qu'il soit, n'est jamais qu'une illusion. Illusion, certes, qui devient réelle – notamment lorsqu'elle s'appuie sur des armes ou qu'elle crée de la monnaie – mais illusion quand même. Ainsi devient-il quasiment proverbial que le dollar maintient sa valeur du fait qu'en dernière instance il ne trouve sa réalité, sa protection, sa vérité que dans les bombes atomiques américaines, alors même que l'armement exorbitant des États-Unis n'a été possible en large partie que par le leurre du dollar... Nous voilà apparemment loin de la France, de la souffrance du citoyen sincère de gauche, qui ne comprend pas pourquoi on devrait liquider un système social protecteur ou interdire une participation de l’État à l'économie en vue du bien commun ; et de celle du citoyen sincère de droite, qui reste pétrifié et souvent impuissant face au gâchis des énergies, à la haine de soi et au renversement des valeurs. Nous voilà loin apparemment du sujet lancé, la question du mariage homosexuel dont les opposants, après tout, aurait pu se recruter sur notre gauche en cas de référendum. Pourtant, on peut se demander si les angoisses de l'un et de l'autre ne sont pas non seulement toutes les deux légitimes, mais souvent les mêmes – et si, finalement, il ne faut pas aller voir d'un peu plus près comment s'organise entre droite et gauche une alternance-leurre qui nous dessaisit de notre destin. Ainsi pourrons-nous nous désenvoûter de ce système entré dans les psychismes, et mieux construire une alternative populaire affranchie de ce clivage. Comme le référendum de 2005, le mouvement contre le mariage homosexuel est une occasion de repenser la chose politique, d'identifier le pouvoir qui nous menace, mais aussi de prendre en considération l'existence d'un levain par-delà gauche et droite, qui est notre seul trésor en tant que peuple.

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           Jean-Claude Michéa dans ses derniers ouvrages, notamment Le Complexe d'Orphée (éditions Climats), rappelle quelques vérités oubliées : l'origine philosophique de la gauche est les Lumières, une pensée économiquement et politiquement libérale. Au XIXème siècle, la gauche est le parti bourgeois, libéral et anti-conservateur. Les mouvements socialistes et ouvriers en sont distincts. Ce n'est que tardivement, au début du XXème siècle, que ces mouvements, largement contaminés par le matérialisme marxiste, s'y coaliseront à l'occasion de l'affaire Dreyfus. La gauche devient alors un camp bourgeois et ouvrier. Le progrès, un temps, sera le terme incarnant la jonction. L'anticléricalisme pourra faire ciment – ce qui prouve d'ailleurs que la gauche, qui a certains aspects d'un christianisme sans Dieu, détruit ce qui s'oppose le mieux à la folie économique, à savoir la religion. Du coup, cette gauche libérale et marxiste incarne le sens de l'Histoire, la marche en avant, la table rase. Toute sorte de charmantes locutions rappellent ce tropisme du progrès plus ou moins révolutionnaire. Dès le début, cela chante les louanges du libéralisme autant que du marxisme et cela contrarie, inquiète l'homme en sa chair, c'est-à-dire l'ouvrier, le pauvre que nous sommes tous, qui risque de perdre son bien le plus précieux – ses racines et son horizon spirituel. D'où, dès le XIXème siècle, les soupirs dépités des élites contre le peuple réactionnaire... Écoutez comme ce mouvement résonne dans l'Assemblée Nationale ou dans les médias, comme il se chuchote dans les petits bureaux, pour définir et lancer de telles réformes que la loi Taubira.

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           Il y a certes une différence fondamentale entre l'enthousiasme des lendemains qui chantent décliné en fascisme (qui a, ne l'oublions pas, des racines dans le syndicalisme révolutionnaire) ou en stalinisme, c'est-à-dire en volontarisme et en constructivisme, et, d'autre part, la marche en avant du libéralisme qui compte sur le pluralisme économique et politique autant que sur le fameux laisser-faire. Mais si effectivement on nous laissait faire, si on laissait la société vivre un peu d'elle-même, il n'est pas du tout sûr qu'on aboutirait au sans-frontiérisme économique et symbolique d'aujourd'hui. L'un des meilleurs exemples de la torsion que font subir certaines élites à la société est la Révolution Française. Turgot est comme un symbole de sa double-face. Du « parti des philosophes », devenu ministre des finances, il lancera des réformes libérales notamment sur le contrôle des prix et des spéculations. Il s'en est suivi ce qu'on a appelé la « révolte des farines » dans les années 1770, dont on a dit qu'elle préfigurait 1789. Ainsi, cet homme des Lumières par sa main gauche annonce la République des droits de l'homme tandis que par sa main droite il pousse le peuple à la faim et à la sédition ! Ce n'est pas un simple paradoxe. On voit de même les lois d'Isaac Le Chapelier détruire dès le début de la Révolution tout ce que l'Ancien Régime avait construit d'équilibre économico-social, notamment certains droits des travailleurs de se rassembler en corporations. Il n'est pas sûr que le peuple y ait gagné. La dérive totalitaire de la Terreur, la répression génocidaire contre le peuple vendéen forment une autre face du phénomène. Les français ont vécu dans ces années à peu près toutes les problématiques de notre modernité. Mais la question est toujours la même : où est la vraie liberté des individus, des corps, de la société, comment trouver le vrai libéralisme et le mettre en mouvement ? 

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           À l'heure actuelle, il se dessine une forme de totalitarisme par les décisions d'un pouvoir mondial ni élu, ni représentatif, ni transparent. Or, ce pouvoir se forme d'un mélange entre un libéralisme financier et une idéologie libertaire, entre la fiction d'une planète mixée et une dureté économique de plus en plus palpable. La gauche, c'est toujours ce mouvement en avant, qu'il soit de construction ou de destruction, tandis que l'idée de droite est éminemment conservatrice. Aussi, les mouvements nationaux-socialistes, ou fascistes, sont des bêtes bizarres qu'on ne peut placer à droite ni à gauche, car la droite peut être autoritaire, non pas révolutionnaire ni totalitaire. Être de droite, c'est seulement ne pas être de gauche et, pour des raisons diverses, ne pas adhérer à une idéologie ou un projet. C'est ce qui aujourd'hui se retourne plusieurs fois pour faire du socialiste réel un conservateur et du libéral de droite un liquidateur. Si on refuse de penser ce retournement et cette « pensée double » du système, on risque de toujours se tromper de combat, qu'on soit de droite ou de gauche. Mais il y a plus : l'idée de gauche repose sur l'idée que l'homme peut lui-même non seulement faire son monde mais se refaire lui-même. Cela a peut-être une origine dans cette préférence hautement libérale et révolutionnaire pour la notion de droit par rapport à celle plus religieuse de personne – substitution qui mène au relativisme. Ainsi, les humanismes promothéens du communisme ou du fascisme, l'humanisme plus ouvert du libéralisme juridique, ou encore l'humanisme utopique-naturaliste de l'écologie, si différents paraissent-ils entre eux, s'opposent tous à l'humanisme chrétien, qui repose sur l'unicité de la personne et l'égale dignité des êtres, où il place quelque chose de sacré, c'est-à-dire qu'on ne peut toucher ni remplacer. La technologie et la science peuvent aujourd'hui réaliser partiellement le fantasme de dépassement de l'homme par l'homme et elles produisent une gauche d'un nouveau genre, « stade suprême du capitalisme » selon Jean-Claude Michéa, et que j'appelle, pour ma part, la gauche transformiste.

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           Aujourd'hui, la gauche fournit l'alibi du progrès à la liquidation permanente qu'opère le capitalisme total tandis que la droite l'établit comme le règne de la liberté. Nous pouvons observer cependant à quelle époque la gauche cesse d'être elle-même double (bourgeoise-ouvrière), c'est-à-dire, en somme, à quel moment elle abandonne la thématique sociale et au moins l'apparence d'un discours de défense des travailleurs. En France, c'est dans les années 80 que s'opère ce changement. Au sujet de l'immigration, c'est spectaculaire : alors que tous les mouvements ouvriers se déclaraient contre, non par xénophobie, mais parce que fondamentalement ce n'était pas l'intérêt du travailleur ni d'ailleurs une aspiration de l'intellectuel sincère, voilà que soudain les élans anti-racistes se multiplient ; que l'accueil de l'étranger, vertu essentielle, devient le socle dévoyé d'une propagande immigrationniste larmoyante et que, suprême détournement, on invoque la diversité, réalité humaine vitale, comme une valeur obligée, uniformisante. Il faut se souvenir des déclarations en 1980 du premier secrétaire du Parti Communiste Georges Marchais qui condamnait l'immigration comme une demande patronale contre les intérêts de l'ouvrier pour se convaincre du changement radical de logiciel. Il faut se souvenir aussi que c'est à partir de 1969 un gouvernement appuyé sur la majorité la plus droitière de notre Histoire qui a, d'une part, accéléré l'immigration, au prétexte, selon Pompidou, « qu'ils en voulaient toujours plus » – ce « ils » désignant les industriels – et, d'autre part, les premières lois contre la discrimination qui, sous de nobles aspects, commençaient à défaire la préférence nationale, autre nom de la citoyenneté, en distribution généreuse des droits « à tous », allant vers une dépossession progressive du travailleur français.

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           Ce même Pompidou, ex-employé de la banque Rotschild, fera voter la fameuse « loi 73 » qui ôte à l’État français sa capacité de battre monnaie, le mettant du coup dans la main des marchés, changement conçu avec le ministre des finances Giscard promis à un bel avenir. (Notons au passage qu'aujourd'hui le fait, pour un état, de mettre la main sur sa banque centrale n'est même plus critiqué pour des raisons techniques mais idéologiques : comble du retournement lexical, on considère ce geste comme une atteinte à la démocratie, par exemple au sujet de Victor Orban en Hongrie, alors que c'est le retour de l'argent au service du bien commun). C'est sous ce même Giscard devenu à son tour président que les premières lois du regroupement familial furent promulguées. En substituant l'étranger à l'ouvrier, la gauche n'a donc fait que se convertir à ce projet économico-politique de l'immigration massive en lui donnant, il est vrai, sa caution morale et en étouffant, que dis-je, en culpabilisant les protestations du petit travailleur qui aspirait à une légitime priorité. Jean-Marie Le Pen et les médias se chargeront de colorer de soufre une revendication pourtant si juste, si modérée. Entendons-nous bien : ce ne sont pas les immigrés, nos frères comme tout autre, souvent eux-mêmes le jouet de ces puissances, ce sont les pouvoirs cyniques de la grosse économie et de la fiction idéologique du métissage universel qu'il faut ici pointer. À partir du moment où ces personnes sont entrées sur le sol, les conséquences de leur accueil et de leur droit non seulement ne sont pas à remettre en cause, mais tout renouveau ne se fera qu'en incluant tous les citoyens dans un projet national. En revanche, on peut s'interroger sur la sincérité d'une gauche qui appelle à toujours plus d'immigration au nom des droits de l'homme ainsi que d'une vision multicolore de la société déracinée, accomplissant en cela l'un des vœux principaux du marché qu'elle prétend combattre – et sur la sincérité d'une droite qui en dénonce les méfaits alors qu'elle en est l'instigatrice, qui fait mine sans arrêt de la modérer ou d'en durcir les conditions sans rien faire qu'attiser des sentiments de plus en plus vains, malsains et impuissants. On peut se demander si l'intégration, concept qui ne va pas de soi, est aujourd'hui seulement possible et si ce n'est pas ça le but recherché : le fractionnement des nations et le déracinement surplace des populations européennes.

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           Quel rapport avec le mariage homosexuel, me direz-vous ? J'en vois plusieurs. D'abord, il s'agit d'une loi qui concilie le pire de la gauche et de la droite, en bref qui incarne la jonction entre le transformisme social et le libéralisme économique. L'autre enseignement, c'est que les forces politiques « tournent ». La gauche passe du libéralisme à l'étatisme, puis, comme la droite, elle fait le contraire, et l'une et l'autre oscillent entre des désirs de « marche en avant » d'un côté et de protection ou de reconstruction de l'autre – du moins dans leurs discours, afin d'amadouer le peuple. Aussi, la revendication du mariage homosexuel ne me semble pas être un combat « de gauche » ni, à fortiori, notre opposition être un combat spécifiquement « de droite » au sens où sont les clivages d'aujourd'hui. Cela, si différent parût-il au premier abord, se rapprocherait plutôt de la mobilisation populaire contre le projet européen de 2005. Et c'est un signe des temps. L'opinion change au gré de ses difficultés et de l'épreuve du réel, par exemple au sujet de l'euro et de l'Union Européenne, et c'est une vertu de la démocratie que d'avoir toujours ce thermomètre. Or, les élites ne prennent plus en compte les températures qu'il indique. Elles mettent en scène, au contraire, la disqualification de ce thermomètre en invoquant l'extrémisme ou le populisme.

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           Il est temps de l'admettre : nous ne sommes plus maîtres chez nous. Pas plus nous, petit peuple, que le sous-fifre François Hollande. Et s'il tient bon à tout prix, s'il ne reviendra probablement pas sur la loi Taubira et si aucun homme politique n'y touchera dans les années qui viennent, c'est parce qu'un certain pouvoir supranational l'exige : il y a des pressions dans ce sens et cette loi doit absolument passer en France comme dans d'autres pays. Comment expliquer autrement qu'elle soit votée en ce moment à Chypre, en Angleterre et ailleurs, sous diverses formes ? Nous devrions en tenir compte dans notre stratégie de communication et d'information : plutôt que de crier au pourvoir « cède ! » nous devrions lui dire « résiste en notre nom ! ». Aussi, entre le référendum sur l'Europe et les mouvements d'aujourd'hui, on observe d'étranges similitudes : même fracture entre les élites et le peuple, même désinformation et propagande, même activité militante et multiple, même désir de dignité, même diabolisation du peuple. Et, plus que tout, même fracture entre un pouvoir devenu insaisissable, international, et une conscience d'en bas qui, passant sans doute par quelques fantasmes, commence à entrevoir à qui elle a affaire. D'où l'enseignement essentiel à en tirer dans notre lutte : ce n'est pas en validant et en durcissant le clivage gauche-droite comme le veut ce pouvoir qui divise pour mieux régner que nous réussirons à le combattre, c'est au contraire en rassemblant le peuple autour de ses intérêts vitaux en attendant, en espérant qu'en émanent des forces politique nouvelles. D'ailleurs, il ne faut pas faire un effort si violent pour s'imaginer une situation exactement inverse : à savoir un pouvoir de droite libérale décontractée proposant le mariage homosexuel au nom du libéralisme et de la marche en avant, dans le but d'étendre à la procréation et à l'enfant le marché tout-puissant qui est son dieu avoué, et une partie de la gauche mobilisée sincèrement contre au nom du refus de la marchandisation de l'être humain, avec une partie plus centriste gênée aux entournures qui jouerait la carte de l'opposition politique en surface avec une connivence de fond. C'est plus que plausible et c'est un cas de figure dont on doit pouvoir trouver l'exemple, peut-être en Angleterre.

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           La stratégie de l'affrontement parfois bizarre, comme si nos gouvernants provoquaient volontairement le peuple, s'explique donc parce que le pouvoir ne doit pas céder, mais aussi pour une raison encore moins avouable : elle vise à cacher la misère dans laquelle il se trouve du fait de son obéissance au schéma économique global sans aucune alternative, misère qui pour l'instant se traduit par un dilemme plus ou moins à l'esprit des gens avertis, à savoir que notre gouvernement tarde à s'engager dans un cycle de réformes d'adaptation extrêmement impopulaires pour éviter d'être balayé par l'opinion, au risque de l'être par le défaut de paiement... Il temporise, attendant le moment de panique et de bousculade qui permettra de faire toutes les liquidations nécessaires, avec peut-être un resserrement de nos libertés politiques (internet, notamment, pourrait subir une restriction car, comme vous le constatez, c'est dangereux...) Le pouvoir jouera donc à fond la carte du « bouclier légitime » contre une révolution qu'ils s'empresseront de placer à l'extrême-droite, à mesure d'ailleurs que cette qualification finira par devenir réelle tout en étant, de fait, fabriquée. J'aimerais préciser quelque chose : l'adaptation économique au mondialisme qu'on nous propose est presque sans fin. On nous demandera toujours d'aller plus loin. Aussi, si on se laisse dépouiller, nous n'aurons bientôt plus aucun moyen de riposter et le pays fracturé sera littéralement à vendre. En clair, quand les français n'auront plus d'armée de haut niveau, il ne restera presque plus rien pour résister à leur intégration dans le meilleur des mondes, rien que nos corps, nos sueurs et notre vocation spirituelle.

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           Nous voilà entrés dans un moment que je propose d'appeler, en badinant un peu, la science-fiction pour tous. En effet, beaucoup d'ingrédients d'un film ou d'un livre, d'ailleurs assez mauvais, sont réunis dans les événements que nous vivons. D'abord, il y a une complète déconnexion entre un pouvoir de représentation dans tous les sens du terme – politique, linguistique et médiatique – et ce qu'il est censé représenter, à savoir les citoyens d'une part, le réel d'autre part. Cette disjonction devient si criante que même nos efforts pour ne pas basculer dans la fameuse « théorie du complot » finissent par être les sages modérateurs qui nous permettent seulement d'aller plus loin dans l'élucidation de ce cauchemar. Mais le plus grave, ce n'est pas cette déconnexion comme une sorte de dérive de l'élite en sa cage dorée, c'est la profondeur de la modification du réel par le langage. La dernière phase avant le vote du texte a vu le trucage des photos et des chiffres des manifestations ; un vote au Sénat pour le moins trouble ; et surtout la fabrication médiatique massive d'agressions hélas banales dans notre « France d'après » mais transformées en une montée nationale de l'homophobie astucieusement associée, voire carrément assimilée à notre mouvement qui n'avait rien à voir. Mais le chef-d’œuvre en terme de science-fiction est le projet lui-même : indistinction des sexes ; modification du vocabulaire ; éducation idéologique ; fabrication de bébés en vue de les vendre ; location de ventres... Une pondeuse humaine peut, en Inde, porter un embryon dont le sperme vient d'Australie, l'ovule d'Espagne, conçu dans un laboratoire américain, et elle devra rester dans une chambre collective neuf mois sous surveillance avant d'accoucher d'un enfant qui ne sera pas de sa couleur et qui sera, aussitôt, livré à des homosexuels aux Pays-Bas. Et si vous vous opposez à ce charmant tableau, vous serez un ennemi de la liberté et du progrès, tandis qu'un néo-puritanisme incriminera toute allusion à la différence des sexes. La science-fiction pour tous, c'est maintenant !

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           Nous voyons les habituelles dérives du pouvoir prendre ces formes d'autant plus effrayantes qu'elles paraissent durables : le peuple protestant contre son asservissement, pour sa dignité, est assimilé à une menace contre la liberté, voire à une racaille terroriste, alors qu'une autre partie du peuple apparaît lobotomisée en accréditant ce discours de haine. Le renversement du vocabulaire est permanent. Ainsi, le mariage homosexuel, victoire du nombrilisme pour ses rares défenseurs sincères, devient selon Mme Taubira une « victoire de l'altérité » avec Lévinas à l'appui, philosophe pourtant conservateur. Il devient « choquant » selon Monsieur Bergé de s'opposer à la gestation pour autrui alors que pour n'importe quelle conscience claire le terme « choquant » s'applique à la pratique elle-même. Enfin, nous avons entendu que la loi votée est une « victoire de l'amour contre la haine », là où, pendant des mois, les opposants ont essuyé les opprobres et parfois les matraques sans perdre leur sang froid parce qu'ils étaient mus justement par un certain amour, tandis qu'ils voyaient, de l'autre côté, se dessiner une forme de haine d'autant plus inquiétante qu'elle jouit de moyens étatiques, économiques et médiatiques presque écrasants. Oui, cela a quelque chose de la science-fiction. Mais gardons courage. Fourbissons nos armes intel-lectuelles. Convainquons les citoyens. Travaillons, mes amis. Notre révolution sera une contre-révolution par sa profondeur et sa paix – même si sur le plan symbolique une démonstration un peu musclée est sans doute nécessaire. Quant à la force, il faudra se mettre en position de l'employer au moment où elle sera devenue légitime.

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           Entendre tous les jours des mensonges finit par les rendre réels – en fausse monnaie, certes – mais tout de même efficacement. Nos lieux de travail ou de rencontre nous permettent de vérifier, hélas, que si nous sommes de plus en plus nombreux à démasquer au moins une partie de ce pouvoir mensonger, il reste puissant sur une grande partie de nos concitoyens. Ainsi une collègue, connaissant mes opinions, vint vers moi affolée, au moment de la « semaine sanglante », pour me dire : « Alors ? Tu as vu ? Les homos s'en prennent plein la gueule. Faut quand même faire attention à ce qu'on dit, hein ? » Le plus triste était la sincérité de sa colère, après même que je lui eus expliqué qu'il y avait au moins une part de manipulation. Démontons, sans nous lasser, ce mécanisme de sidération dès qu'il nous apparaît. Quand la droite alerte sur la dette et sur le système social trop coûteux, quand la gauche nous inquiète sur notre retard en termes de mœurs ou sur notre repli identitaire, elles font le même travail de culpabilisation des consciences par la sidération, au service du même pouvoir invisible, adémocratique et bancaire, dont le but de plus en plus transparent est de nous asservir pour se gorger de notre travail.

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           La loi Taubira s'inscrit dans un projet mondial totalitaire. On nous dit que le peuple a voté, que la gauche n'a pas caché son programme, qu'il y a donc une légitimité démocratique dans cette loi et que leurs opposants deviennent des menaces pour la République – on se moque de nous. Rappelons d'abord qu'au second tour des présidentielles, pour la première fois dans la Vème, François Hollande a été élu sans obtenir la majorité des votants, tant le nombre de bulletins blancs a été massif, autour de deux millions. Ensuite, posons-nous plus fondamentalement la question de savoir qui écrit ces programmes, par qui ils sont demandés, et à qui ils sont destinés. Non seulement les français pour la plupart n'en ont que faire, mais les homosexuels eux-mêmes n'ont jamais réclamé le mariage à part une minorité agissante qu'ils apprécient peu. Et il est évident que, passé l'effet comique du « ah, s'ils s'aiment, qu'ils se marient » et que les véritables conséquences du projet apparaissent, le peuple se réveille et refuse catégoriquement. Qui donc veut, qui donc voulait cette loi ? Si vous vous concentrez sur François Hollande ou le Parti Socialiste, vous vous fourrez le doigt dans l’œil. Ils furent convaincus par qui ? Je vous le donne en mille : Dominique Strauss-Kahn, car c'est un projet de l'oligarchie mondiale et c'est pour cette raison, cette unique raison, que le gouvernement ne reculera pas. S'il reste une gauche populaire authentique, on peut lui demander de nous affranchir de cette peste oligarchique qui nous impose la fabrication et la vente des bébés, dans un but final qu'il ne vaut mieux pas imaginer tant il nous glace les veines... Entre la gauche transformiste et la droite décontractée il n'y a pas l'épaisseur d'un papier à cigarette, même s'il existe des parlementaires qui ont pour l'occasion sincèrement défendu notre mouvement et lutté contre ce projet. Les autres, au service d'un pouvoir mondial bancaire, n'ont que faire des jérémiades – ils font leur boulot : liquider la France (bientôt son armée) ; asservir son peuple ; déraciner sa culture et sa langue ; car le peuple français est un ennemi viscéral, par sa conscience et son Histoire, de ce pouvoir à dominante anglo-saxonne, impersonnel comme le silence de l'or. Leur but sera bientôt de vous arracher à votre langue. La défense du Français fait intégralement partie de notre résistance par la dignité. On a le droit de refuser l'imposition de la langue unique de la mondialisation et son introduction à travers les médias, la publicité et bientôt l'éducation. Il existe un projet de passage à l'anglais de tout notre système éducatif. Cela passe par la « tête », d'abord, l'enseignement dans les facultés et les grandes écoles, comme cela vient d'être voté, puis cela redescendra jusqu'à faire jonction avec les projets d'écoles maternelles en anglais qui ne tarderont pas à fleurir. Pour en revenir au fond, et c'est la thèse essentielle de cet article, nous assistons depuis déjà quelque temps à la fusion du Marxisme et du Libéralisme qui étaient déjà des frères, dans un projet mondial de liquidation de toutes les structures au profit du seul élan capitaliste-progressiste. Un élan lui-même liquide... Si je suis favorable à une plus grande liberté économique des petits, étouffés qu'ils sont par une fiscalité délirante, je n'ai en revanche pas de fascination particulière pour le libéralisme global tel qu'il se dessine aujourd'hui en énorme absorption d'énergie, d'image et de matière... 

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           Le mariage homosexuel est une bonne affaire pour ce pouvoir idéologique. D'abord, il dissout la famille un peu plus, seule structure qui échappe à la domination politique ou économique. Il dégrade le mariage au statut de simple droit, accentuant la judiciarisation libérale. Il défait la vision séculaire du couple et de la famille. Il relativise les bases anthropologiques et crée un flottement des êtres. L'individu déconstruit est plus facile à modeler. Mais surtout, il fonde un nouvel ordre parental et dissocie la procréation de son acte naturel. Il ouvre un marché juteux (deux milliards de dollars en Inde) et fait considérablement reculer les tabous. Acheter un enfant, c'est aussi un enfant à jeter, si vous me permettez cette violence du jeu de mots. Aussi, non pas immédiatement, mais à long terme, c'est le moyen de jouir d'esclaves, éventuellement de victimes sacrificielles. Bien sûr, les conséquences ne seront pas immédiates, ce pouvoir a tout son temps, et il le prend, pour accomplir un projet qui nous est de plus en plus clair, mais qui n'aboutira jamais, du moins pas complètement. Entre le marxisme et ce libéralisme, il y a de nombreux points communs, le premier étant de considérer l'homme comme une matière – et ce n'est pas un accident : la pensée de Marx doit beaucoup aux Lumières anglaises et françaises, même si ses inspirateurs principaux sont les penseurs allemands comme Hegel et Feuerbach. C'est pourquoi j'interpelle amicalement Vivien Hoch et, à travers lui, ces blogueurs qui se définissent comme libéraux-conservateurs. Peut-être cela suscitera-t-il un débat difficile, mais fécond. Je ne résiste pas à vous resservir cette prophétie de Bernanos qui, dès 1948 – je le cite en substance – déclarait : libéralisme et marxisme apparaîtront bientôt pour ce qu'ils sont, les deux mâchoires d'une seule gueule – le matérialisme – qui ne tardera pas, s'il n'y prend garde, à broyer l'homme tout entier. Et la science-fiction revient : on fabriquera un homme volontairement déraciné. Certains livres comme les contes de fée seront interdits aux enfants parce qu'ils leur donneraient une image trop orientée des sexes. L'introduction de la théorie du genre dans l'éducation des plus petits fait partie d'un projet de contrôle : le fameux « diviser pour mieux régner », utilisé à l'échelle des nations, des peuples, des tribus, sera dorénavant introduit dans l'individu multipolaire. L'être flottant qui ne connaît même pas son sexe me semble un excellent candidat à une certaine forme d'asservissement par l'auto-éclatement et la consommation de ses existences. Hannah Arendt disait que l'un des critères du totalitarisme était l'abolition des différences. En s'attaquant à la distinction sexuelle, le nouvel ordre mondial s'en prend à la plus intime, la plus fondamentale, la plus féconde sur tous les plans de nos différences créatrices d'ordre. Est venu le temps où les puissances ne dominent plus par l'ordre, mais par le chaos et la liberté. Mais c'est cette liberté pourtant, que nous chérissons, qui vaincra – une liberté retrouvée dans son sens vrai, c'est-à-dire ayant retourné le retournement pour enfin voir clair – une liberté réelle, vivante, ouverte – qui déteste la fiction qu'on lui substitue.

     

    Lucien Fornello

    5 juin 2013
    pour La Vaillante

     

     

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  • GPA : la fine pointe de l'esclavage

     

      lucien fornello,Écologie humaine,économie,foi,christianisme,politique,théorie du genre,homophobie

     

      

    Pourquoi la religion des droits
    ne peut défendre la personne 

     

    I 

             Une marchandisation de la personne humaine s'accomplit aujourd'hui au nom de la lutte contre les discriminations, par l'accès des homosexuels, des couples stériles ou de toute autre personne à la « gestation pour autrui ». La personne est fabriquée pour être vendue au nom de l'égalité et de la liberté, puisqu'une technique est disponible, qui permet de pallier l'infécondité. Le droit de la personne devient droit à la personne – jusqu'à cette possibilité de se faire l'acquéreur d'un être humain. Une société fondée uniquement sur la liberté individuelle ne peut qu'aboutir à ce genre de paradoxe et de sauvagerie.

             Si les droits de l'homme, au départ, furent sans doute sincèrement constitués autour de la liberté, ils en sont venus à permettre la chosification de l'être humain. Sans contester leur importance, voire leur universalité, on peut s'interroger sur le fondement caché de notre société qui, au sacré, a substitué la religion du droit, de la science et du progrès. Or, sans justice qui le transcende, le droit devient pure technique et se dévore lui-même. Il peut même adouber l'infâme.

             Rappelons ce qu'est une « gestation pour autrui » : d'abord, conception en laboratoire d'un être humain à partir de deux gamètes, un spermatozoïde et un ovule, provenant souvent de deux pays différents ; puis, insémination artificielle dans une « mère porteuse » qui portera l'enfant avec lequel elle n'a généralement aucun lien génétique ; enfin, livraison du bébé aux parents commanditaires. En résumé, en parodiant à peine, on a un ovule venu d'Australie, un spermatozoïde venu d'Espagne, une conception dans un laboratoire américain et une gestation en mère porteuse en Inde, le tout pour être livré à des parents hollandais ! Voilà un vrai bébé mondialisé, dont l'origine éclatée est, de surcroît, en partie technique. La mère porteuse – qui n'est d'ailleurs pas la plus coûteuse dans cette transaction – puisqu'il faut payer des biologistes, des laboratoires, des médecins – perd donc aussitôt cet enfant qui, lui, en gardera d'inévitables troubles, puisque tout être humain désire savoir d'où il vient. Cependant, même si ces considérations sont essentielles, nous nous en tiendrons à contester le fondement d'une telle pratique : l'idée qu'on peut volontairement fabriquer un être humain en vue de le commercialiser – ou de le donner, selon une dernière hypocrisie qui sera balayée par notre argumentaire. 

             Et pourquoi pas le trafic d'organes ? Loin d'être combattu par les droits de l'homme, ce genre d'aberration en est parfois favorisé. Pour contester la « gestation pour autrui », on ne peut donc s'en tenir à une argumentation juridique. Un discours philosophique fondamental est nécessaire. Le droit peut empêcher l'esclavage, il peut aussi l'autoriser. Il y a une sorte d'envoûtement, aujourd'hui, autour du droit individuel, devenu si sacré qu'il permet de laisser passer l'énormité de la vente des êtres humains.

             Pour nous défaire des interdits contemporains, revenons à la question du sacré non pas en tant qu'objet que nous aurions perdu, mais en tant qu'énergie refoulée, méconnue, sourdement agissante chez ceux mêmes qui la nient. Notre société ne manque pas de sacré, mais de clarté. L'homme est comme obnubilé par un sentiment de toute-puissance où toute limite apparaît comme une violence. Pourtant, même si elle peut provenir de la contrainte, la violence vient plus sûrement encore du manque de structure. La question n'est donc pas de se débarrasser du sacré, des tabous, des interdits, mais de savoir les placer au bon endroit. 

             La religion de la liberté, s'étant fondée contre le christianisme mais aussi avec lui, est une sorte de contre-religion qui en a absorbé des éléments. Le libéralisme politique a quelque chose de chrétien et d'antichrétien. Ainsi de beaucoup de nos mouvements politiques, comme le socialisme. Cela, loin d'être paradoxal, est contenu dans les Évangiles. Leur fécondité particulière – certains diront subversive – recèle comme la semence de toute modernité. En effet, Jésus ne cesse de critiquer le faux sacré, l'hypocrisie des prêtres, et finalement la religion afin de la réduire à l'essentiel : la relation à Dieu et la conformation de nos agissements à sa sainteté. Le dépouillement christique n'est pas seulement matériel, il est une dénudation du sacré jusqu'à son point d'exactitude et de rayonnement libérateur : la contemplation du créateur en esprit et en vérité. Cette exigence d'adéquation intérieure et extérieure suscitant, à travers l'Histoire, les différentes crises du christianisme, reste comme le ferment réformateur de l’Église.

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    II

             La victoire des philosophes au XVIIIème siècle est celle d'un certain matérialisme, mais l'élan qui porte la société vers la Révolution a quelque chose de religieux. Ce mouvement a gardé la force de libération de l’Évangile mais en en supprimant la source. Curieusement, en ce qu'il est religieux, il est antichrétien, et en ce qu'il est laïcisé, il est pétri de christianisme. N'interpréter la Révolution qu'en terme de triomphe de l'intérêt bourgeois ne pourrait rendre compte du mouvement plus large dans lequel elle s'inscrit et dont elle forme une sorte de concrétion ou de synthèse. Il y a ici un point aveugle qui est la contradiction même de son dogme : la négation de tout mystère au profit de la Raison ne peut se fonder que de manière mystique et ne peut déboucher que sur une religion certes refoulée, mais tout aussi obligatoire qu'une autre. 

             L'idée que la raison suffit à interpréter le monde et à gouverner nos vies accompagne le développement du capitalisme et se traduit par une conception de plus en plus gestionnaire de la vie sociale. La montée en puissance de l'argent comme agent organisateur n'a sans doute pas que des conséquences négatives. Le progrès matériel, l'égalisation juridique, la liberté individuelle viennent pour une part de cette rationalisation. Pourtant, nous voyons bien que si le « dieu Intérêt » devient le prince unique du monde, cela nous conduira vers l'enfer d'un matérialisme pur. Face à cette possibilité insupportable, le droit individuel joue sa partition mystique : la rationalisation trouve son contrepoint dans le culte de la liberté, synonyme de jouissance et de vie.

             Si deux conceptions de l'homme s'affrontaient, l'une matérialiste, l'autre sacrée, vous n'auriez pas tant d'adorateurs de la matière chez les religieux, ni tant d'idolâtres cachés chez les matérialistes. La question se pose donc autrement, en terme de mouvement. Le sacré est un principe organisateur que la modernité vient rationaliser et transférer en technique, en culture, en institution. Je ne parle pas spécialement de notre modernité, mais de toute modernité qu'il nous est donné, depuis le néolithique, d'observer à travers l'Histoire.

             Le sacré, c'est l'intouchable. L'homme, dépassant la nature, doit trouver de nouveaux moyens d'équilibre s'il ne veut basculer dans la violence. La culture sera ce nouvel ordre, lui-même en mouvement. Le sacré en est l'acte initial : il dresse des limites, oriente l'énergie, donne forme et sens aux pratiques. L'interdit et l'adoration en sont les deux versants – que ce soit d'un objet, d'un lieu, d'une personne, voire d'une idée ou d'un nom. Le sacré est la séparation qui instaure le règne de la culture, autrement dit de l'humanité. Est-ce à dire que notre monde est exclusivement culturel – certes pas : le premier sacré n'est pas un acte d'arrachement à la nature, mais le rétablissement d'un équilibre alors que notre sortie du règne naturel ouvrait une béance. Il élabore une seconde nature. Tout cela ne vient pas d'un instant, bien sûr, mais d'un long processus qui se poursuit toujours. 

             Deux qualités de sacré s'esquissent. L'une, disons, plus totémique, l'autre plus légale. Prenant de la distance envers les interdits ou les adorations, l'homme en décompose les nécessités, en pointe les aspects arbitraires, il en comprend le sens comme le poids mais il en relativise, du même coup, le caractère inamovible. À travers le temps, le sacré se transfert en savoir. L'interdit devient juridique, la notion devient scientifique, l'adoration devient artistique. Sans lui, la civilisation n'existerait pas, mais celle-ci, prise dans un mouvement irrésistible qui l'éloigne du sacré, le fera dès lors apparaître comme archaïque. Une question se pose : s'il est nécessaire à l'origine, notre croissance en humanité permettrait-elle de sortir définitivement du sacré, afin d'entrer dans l'âge de raison ? C'est ce que nous disent deux frères pourtant ennemis – le libéralisme et le marxisme – fils du matérialisme – qui du moins sur ce point seront d'accord. 

             En vérité, si vous éliminez le sacré, vous le verrez renaître sous diverses formes. Si vous détruisez l'idée de Dieu, vous divinisez d'autres choses, à commencer par la matière, et vous figerez en dogme cet acte de négation qui formera une croyance inversée. Il est ainsi d'irréductibles mécanismes que notre raison, capable de les discerner, s'obstine à ne pas voir car elle serait obligée de reconnaître ce qui la dépasse. Si votre Dieu est la Raison, alors, fatalement, votre raisonnement sera amputé de l'immense partie du réel qui vous échappe. Rien de plus irrationnel que la raison sans dehors, qui prétend surplomber le monde. Auguste Comte en est devenu fou. D'autres victimes courent les rues en ce moment. 

             Certes, il y a du mauvais sacré, du sacré figé, et figeant, il y a surtout du sacré violent. Soyons donc modernes, opérons notre critique du mauvais sacré ou plutôt œuvrons à préciser ce que cachent nos interdits – c'est-à-dire essentiellement des blessures – sans nous lasser de le faire, mais sans non plus croire que nous pourrons un jour arriver au bout d'un tel processus en éliminant le mystère lui-même. 

             Nous sommes à peu près tous pour cette modernité, celle qui éclaircit notre rapport au réel sans faire sauter le suprême interdit, de nous croire les auteurs de nos destins et les maîtres de la Création. Mais, pour ce moderne que nous sommes, qui a accepté le grand dépouillement du sacré au profit de la spiritualité et de la connaissance, que reste-t-il de sacré ? D'abord, une évidence : ce bon sacré se réduit presque à une admission du mystère de l'existence, un mystère de l'origine qui nous échappe... Ce mystère, il n'est pas obligatoire dans un premier temps d'en décider, simplement de l'admettre. De là, je crois, ce qui ne peut que réconcilier les bonnes volontés : le sacré, notre sacré le plus caché et le plus brandi, le plus intime et en même temps le plus universel, c'est le respect de la personne humaine, l'affirmation de son éminente et intangible dignité, de son caractère irremplaçable et singulier. Or, cela, auquel portent gravement atteinte les dernières avancées du libéralisme – mais pas seulement lui – à travers par exemple la commercialisation des utérus et des bébés – cela, que nous chérissons au plus près en son mystère lié à celui de l'origine, s'identifie à l'humanisme chrétien.

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    III 

             Pour répondre aux promoteurs de la vente des êtres humains, je ne vois pas de plus vigoureuse prise de parole que celle, énoncée au quatrième siècle par un Père de l’Église, Saint Grégoire de Nysse, dans sa quatrième homélie sur l'Ecclésiaste, qui est aussi l'un des premiers argumentaires contre l'esclavage.

             L'originalité de son approche est que, loin d'attaquer cette pratique, comme d'autres chrétiens de son époque, pour des raisons morales ou sentimentales, Grégoire s'en tient à l’Écriture et à l'orthodoxie. Son approche est théologique. Parmi les devoirs d'un chrétien, la précision est essentielle. Parler juste, sous l'autorité de l’Église, fait partie des dons de notre personne au monde. J'oserais même dire que c'est le premier devoir d'un prêtre, à fortiori d'un pape, un devoir de charité. Préférons un pape rude, pointilleux sur le dogme, à un prélat onctueux qui, allant ostensiblement embrasser les pauvres, en oublierait la précision de la doctrine ! Ainsi Grégoire, dans son argumentaire contre l'esclavage, ne cherche pas l'émotion mais la solidité. Il part de deux affirmations de la Genèse : la création de l'homme à l'image de Dieu, d'une part ; et d'autre part sa suprématie sur la nature, sa capacité à la gérer et à régner sur elle. De ces postulats, Grégoire tire une conséquence majeure : l'homme n'est pas monnayable. La nature elle-même pourrait-elle être achetée ? Et quand bien même ce serait possible, Dieu pourrait-il l'être ? Il attaque d'abord assez classiquement la transaction sur le plan de l'orgueil :

    St Grégoire de Nysse.jpgY a-t-il autant matière à fatuité (…) que lorsque un homme se considère le maître de ses congénères ? « J'ai acquis, dit-il, des esclaves et des servantes, et j'ai eu des serviteurs nés chez moi. » Vois-tu l'énormité de la forfanterie ? Une telle parole s'élève ouvertement contre Dieu.

             La force avec laquelle Grégoire place l'esclavage comme un défi à Dieu se trouve justifié, fondé par l’Écriture :

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    Car nous avons entendu dire par la prophétie que toutes choses sont les esclaves du pouvoir qui est au-dessus de tout. Or, l'homme qui fait de ce qui est à Dieu son propre bien et qui s'attribue domination sur son semblable, au point de se croire le maître d'hommes autant que de femmes, que fait-il d'autre que transgresser la nature par son orgueil, lui qui se voit différent de ceux qu'il commande ?

             On notera l'importance de cette différence faite entre les hommes, signe d'un péché essentiel – l'orgueil – qui en engendre d'autres – tous les saints, tous les pères de l’Église ont ainsi affirmé la fondamentale égalité de tous les hommes. Cependant, la critique de cette mauvaise différence ne saurait être la négation de nos singularités, voire de nos hiérarchies, puisque cette profonde égalité devant Dieu repose précisément en cet amour qu'il a pour chaque créature, et plus encore pour chaque personne. C'est l'un des génies du christianisme et la clef de l'humanisme chrétien : notre commune et singulière dignité se réalise dans la distinction. L'argumentaire se termine justement sur l'égalité fondamentale issue non pas d'un désir politique mais de la nécessaire humilité :

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    Car je ne vois rien que tu possèdes en plus que ton « sujet » – tu le nommes ainsi – à part le nom. En effet, qu'est-ce que ton pouvoir a ajouté à la nature ? Ni temps, ni beauté, ni bonne santé, ni les avantages que donne la vertu. Tu nais des mêmes êtres humains, ta vie se déroule de la même manière, les passions de l'âme et du corps vous dominent autant, toi, le maître, et celui soumis au joug de ta domination : douleurs et satisfactions, joies et inquiétudes, chagrins et plaisirs, colères et craintes, maladies et morts. Y a-t-il là une différence entre esclave et maître ? N'aspirent-ils pas le même air avec leurs poumons ? Ne voient-ils pas pareillement le soleil ? Ne se conservent-ils pas pareillement en se nourrissant ? Leurs organes ne sont-ils pas disposés de la même façon ? Ne sont-ils pas tous deux une même poussière après la mort ? N'y a-t-il pas un même jugement ? N'ont-ils pas un royaume commun, une commune géhenne ? Toi donc qui as en tout un sort égal, en quoi as-tu davantage, dis-moi, pour te croire, toi, un homme, souverain d'un autre homme et pour dire : « J'ai acquis des esclaves et des servantes », comme on acquiert quelques troupeaux de chèvres et de cochons ? En effet, après avoir dit : « J'ai acquis des esclaves et des servantes », il a ajouté l'abondance en troupeaux de brebis et de bœufs qui était devenue la sienne. « J'ai fait acquisition, dit-il, de brebis et de bœufs en quantité », comme si animaux et esclaves étaient à rang égal soumis à son pouvoir. 
     

             Grégoire de Nysse était médecin. On remarque, au-delà de l'éloquence du lettré grec, combien l'intériorité organique du corps, sa composition et ses nécessités, sont accompagnées des considérations morales pour montrer que rien, du dedans, du dehors, ne peut distinguer les hommes sinon la vertu. Or celle-ci, jamais acquise, n'aura pour juge que Dieu. 

             Le mystère chrétien est en un sens celui de la modernité. L'émancipation – au sens propre la sortie d'esclavage – est une conséquence essentielle de la Révélation et de la Rédemption. « La Vérité vous rendra libre ». En effet, toutes les sacralités, toutes les distinctions artificielles tomberont plus ou moins vite dans les sociétés chrétiennes, au profit du développement spirituel et humain – processus que notre modernité a affolé et détourné pour nous faire entrer dans un âge d'indistinction – vers une régression pire, en un sens, que l'ordre sacral dont nous sortions. Cette liberté originelle, corollaire de la création de l'homme à l'image de son créateur, essentielle pour qu'il y ait amour, est aussi une épreuve – puisque elle contient la possibilité de se détourner de Dieu, voire de se tourner résolument vers le mal. Ainsi dit la Genèse, la prise du fruit nous coupe de la grâce. Enfermé dans le gouvernement et la jouissance d'un soi qui usurpe la place de Dieu, on perd la capacité d'accueillir le réel, l'imaginaire conflictuel reprend violemment le dessus. C'est précisément, me semble-t-il, le geste sacral et sacrilège de la modernité occidentale.

             Notre liberté a une limite : si on en jouit pour soi, on la perd, car on se soumet à un esclavage qui est le pire de tous : de soi-même. On doit donc, si on veut qu'elle soit féconde, rendre au Créateur cette liberté qu'il nous offre et qu'il fera grandir. Certains – voyant là un sujet de révolte – refusent un tel échange d'amour entre le Créateur et sa créature. Le péché, c'est vouloir s'approprier la liberté et le jugement en supprimant la filiation divine. Ainsi l'acheteur ou le marchand d'esclave :

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    « J'ai acquis des esclaves et des servantes. » Que veux-tu dire ? Tu condamnes à l'esclavage un homme dont la nature est libre et autonome, et tu légifères en t'opposant à Dieu, en renversant la loi qu'il a établie pour la nature. En effet, celui qui est né pour être maître de la terre (l'homme, d'après Genèse, I, 26, nda), qui a été placé par le créateur pour commander, tu le soumets au joug de l'esclavage en combattant, en transgressant pour ainsi dire l'ordre divin. Tu as oublié les limites de ton pouvoir, tu as oublié que le commandement t'a été imparti dans les limites de l'autorité sur les êtres sans raison. « Qu'ils commandent, dit l’Écriture, aux volatiles, aux poissons, aux quadrupèdes et aux reptiles. » Comment, outrepassant ton droit à l'asservissement, t'élèves-tu contre la nature libre elle-même (c'est-à-dire l'homme, nda), en comptant au nombre des quadrupèdes et des animaux sans pattes celui qui est de la même race que toi ? « Tu as tout soumis à l'homme », proclame la prophétie à propos de Dieu (Psaume 8) et cette parole met dans le nombre des êtres qui sont en notre pouvoir « troupeaux, bœufs, et bétail ». Mais toi, tu as déchiré la nature par l'esclavage et la domination, tu l'as faite esclave d'elle-même et dominatrice d'elle-même. 
     

             Le désir d'égaler Dieu, de le singer ne peut se faire qu'en supprimant, d'une manière ou d'une autre, l'image divine. On perd la divine ressemblance à vouloir l'acquérir. « Vous serez comme des dieux », suggère le Serpent pour inciter à la prise du fruit, le seul interdit, qui pend à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, autrement dit du jugement. À cela, Jésus répond qu'au contraire nous devons devenir « petits enfants », non pas dans le sens d'une régression, mais d'une acceptation de la filiation divine. Qu'est-ce qu'un enfant ? Quelqu'un qui grandit. À mesure que nous recevons Dieu, nous nous dépouillons de l'orgueil vis-à-vis du prochain : il y a là un système vertueux qui produit la maturité collective et individuelle des sociétés chrétiennes.

             C'est la singularité même de la personne la signature de cette liberté et de cette ressemblance. En effet, si chaque personne est à aimer d'un même amour c'est qu'elle est singulière, singulièrement l'image de Dieu pourrait-on dire, et que nul ne peut l'égaler en ce qu'elle est elle-même. Ce qui revient à dire qu'aimer Dieu, c'est aimer aussi une personne, la personne objective et singulière par excellence. La limite à notre liberté est la fragilité de la personne, l'effroi que nous aurions à l'offenser, car ainsi nous offenserions Dieu. Le jour, alors, devient ce lieu de partage que Jésus appelle le Royaume « au milieu de vous ». Il est tout intériorité – caché en Dieu – certes – mais il affleure ici dès qu'il y a accueil et partage de charité. Quelle boucle plus parfaite pourrait être esquissée que cette vérité : l'homme, à l'image de Dieu, reçoit cette image en l'autre, met en acte cette ressemblance en aimant son prochain pour aimer Dieu, et aime Dieu pour mieux aimer son prochain, se conformant ainsi à cette divine ressemblance.

             Le péché, certes, a brisé cette relation vertueuse, produisant notre monde fragmenté et cupide. C'est là que le Christ, en donnant toute sa plénitude à cette ressemblance, restaure le Pont entre la créature et Dieu. Le manque d'amour, l'opacification de cette ressemblance par la préoccupation que nous avons de nous diriger et de juger est alors travaillée par la grâce, raclée, et l'âme, qu'on ne voyait plus, retrouve sa nature de miroir de Dieu. L'Incarnation, en effet – folie pour les Grecs, scandale pour les Juifs, blasphème pour les musulmans – oui, cette folie est nécessaire pour nous faire comprendre enfin – et jusqu'à la Croix – que ce n'est pas un jeu : nous sommes vraiment à l'image de Dieu, libres, précieux, chacun, mais ce don est d'un tout autre poids qu'une simple application des droits modernes. Et chaque être, ainsi, a un prix infini, qui n'est pas même celui du monde. Grégoire le dit déjà, dans un passage qui ne peut aujourd'hui encore que nous interpeller par sa précision :

    St Grégoire de Nysse.jpg

    « J'ai acquis des esclaves et des servantes. » A quel prix, dis-moi ? Qu'as-tu trouvé, parmi les êtres, de même prix que la nature ? À quelle somme as-tu évalué la raison ? Combien de pièces de monnaie as-tu payé en échange de l'image de Dieu ? Contre combien de statères as-tu échangé la nature façonnée par Dieu ? « Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et ressemblance. » Celui qui est à la ressemblance de Dieu, qui commande à toute la terre et qui a reçu de Dieu en héritage le pouvoir sur tout ce qui est sur la terre, qui peut le vendre, dis-moi, et qui peut l'acheter ? À Dieu seul ce pouvoir : et encore, pas même à Dieu ! Car « il ne se repent pas de ses dons », est-il dit. Dieu ne saurait asservir la nature, lui qui volontairement nous a appelés à la liberté, alors que nous nous étions asservis au péché. 

     

             On ne saurait insister sur la force avec laquelle le christianisme détruit toute sacralité de pouvoir et de superstition pour placer le seul sacré dans la personne – divine en premier lieu, humaine ensuite – mais pratiquement à égalité – non que l'homme soit son égal, mais parce que Dieu se porte vers lui pour le combler de grâce, lui qu'il a fait à sa ressemblance : Combien de pièces de monnaie as-tu payé pour acheter l'image de Dieu ? La question rhétorique va bien au-delà d'un argumentaire contre l'esclavage, elle exige une vigilance dans notre rapport quotidien à ces unités de Dieu que sont nos époux, nos enfants, nos collègues et n'importe quel passant ! Oui, fussent-ils pécheurs, ils sont l'image de Dieu – déformée, parfois brisée, toujours fragile, mais, au fond, intacte jusqu'au bout : qui peut le vendre, dis-moi, et qui peut l'acheter ? À Dieu seul ce pouvoir : et encore, pas même à Dieu ! Car il ne se repent pas de ses dons.

             Ainsi Malebranche, à la suite de Saint Augustin, rappelle qu'il faut haïr le crime, mais toujours aimer le pécheur. Cette distinction entre le crime et la personne va pour nous plus loin, elle est une distinction entre les idéologies, les religions, les pensées, et les personnes elles-mêmes. Ce discernement doit nous accompagner dans le combat. Je peux détester l'idéologie du genre, la promotion de la mort et du commerce humain, mais non pas les personnes qui véhiculent ces horreurs, et qui sont, qu'elles le sachent ou non, enfants de Dieu. De même, je peux contester la véracité d'autres religions, et, si je suis chrétien, je ne peux que le faire ; en revanche, je dois aimer leurs pratiquants comme tous ceux qui vont sans religion, et prier pour eux, rester humble devant eux – car tout à l'heure, à coup sûr, l'un d'eux me donnera une leçon de charité ou de courage. Ne l'oublions pas, l'offense à Dieu, nous l'avons aussi portée, en tant que société, en tant qu'individu, tous, sans exception.

             Nous devrions en finir avec nos sempiternelles argumentations autour des droits, il y a quelque chose d'à la fois plus ouvert et plus précis pour affirmer l'éminente dignité de chacun : la Vérité ! Celle-ci ne nous appartient pas, certes, et c'est bien ce que nous sommes en train de dire. Comment mieux contester la pratique barbare des mères porteuses, la fabrication et la vente des bébés, que par des arguments théologiques ? À moins de nous perdre en exemples, en suggestions sentimentales, en circonvolutions philosophiques plus ou moins vagues, nous devons en revenir au dogme. Oui, la Foi est nécessaire, mais une Foi qui s'énonce ainsi est entendue de tout homme, car elle est articulée à ses conséquences concrètes : la sacralité intangible de la personne humaine. Il s'ensuit une théologie de la fragilité et de la liberté qui a des conséquences politiques. Voilà ce qu'au IVème siècle un homme disait déjà dans sa prose d'une rare profondeur.

             Cette sacralité réduite à l'essentiel – la personne humaine – ne saurait nous conduire au mépris de la nature. C'est d'ailleurs un équilibre spécial que nous risquons de perdre dans nos villes, où tout, même le sol, a été remplacé. Oui, nous sommes tellement entourés de nos propres constructions que nous en oublions plus facilement le Créateur de l'univers. Il y a pourtant un sentiment qui n'est nullement profane, d'admiration, de contemplation de la nature, et j'oserais dire qu'il est même nécessaire au poids que nous donnons à cette notion d'image de Dieu. Voilà le dernier coup que porte Saint Grégoire de Nysse à la maudite transaction de l'esclavage :

    St Grégoire de Nysse.jpg

    Mais si Dieu n'asservit pas ce qui est libre, qui peut établir au-dessus de Dieu sa propre domination ? Comment sera vendu celui qui commande à la terre et à ce qui se trouve dessus ? Car obligatoirement on achète, avec l'homme qui est vendu, tout ce qui lui appartient. À combien estimerons-nous la terre ? Et à combien tout ce qui est sur la terre ? Et si c'est inestimable, à quel prix estimes-tu, dis-moi, celui qui est au-dessus de tout ? Dirais-tu « le monde entier » que tu ne trouverais même pas le prix qui convient. Car celui qui sait estimer la nature humaine à son juste prix a dit que le monde entier n'est pas digne d'être échangé contre l'âme d'un homme. Chaque fois qu'un homme est à acheter, ce n'est pas moins que le maître de la terre qui est conduit au marché. Donc ce qui sera vendu à la criée en même temps que cet homme, c'est évidemment aussi la création existante. Et la création, ce sont la terre, les îles, la mer, et tout ce qu'elles contiennent. Que paiera donc l'acheteur ? Que recevra le vendeur, si c'est une telle possession qui accompagne la transaction ? Mais le petit livret, l'engagement écrit et le paiement en espèces t'ont-ils convaincu avec leur tromperie que tu étais maître de l'image de Dieu ? Ô folie ! Et si le contrat se perdait, si les lettres étaient mangées par les vers, si une goutte d'eau en tombant les effaçait, où seraient les gages de ton droit à asservir ; et où, les moyens de ta domination ?

             Nous vivons dans une fiction que nous croyons réelle : le contrat. Et ce contrat, si nécessaire soit-il par ailleurs, nous en avons fait le dernier sacré. Les forces de négation et de cupidité se sont engouffrées dans la faille, et voilà le retour pervers de l'esclavage. Oh, je sais, lorsqu'on vend un enfant on ne vend pas un esclave, on destine un être à des parents d'intention. Mais comment peut-on nier qu'il y aura, à l'origine, la même transaction exactement que celle dénoncée par Grégoire de Nysse ? Et si l'enfant était donné comme le prétendent certains – ce qui est difficile à croire étant donné le processus de fabrication et les fatigues de la grossesse – cela voudrait dire qu'on en dispose comme d'une possession, puisqu'on ne peut donner que ce qui nous appartient. Or, un être humain n'appartient à personne, pas même à ses parents – à personne si ce n'est à Dieu – encore celui-ci nous laisse libre de nous détourner et ne reprend pas ses dons.

             La chosification de l'être humain ne peut donc être combattue avec les arguments du droit, nous devons ramener le débat aux fondements qui constituent ce en quoi nous croyons. Même un athée comprendra symboliquement cette sacralité de la personne humaine. La singularité est le seul contrepoint à l'infini. Or, aujourd'hui, certains voudraient tout simplement nier la personne humaine. Nous trouverons des alliés partout dans ce combat, mais n'ayons plus peur d'employer ces arguments théologiques, car ils sont en vérité les seuls solides. Sinon, nous serons incohérents et nous aurons craint davantage le regard des hommes que celui de Dieu.

             À la suite de la quatrième homélie sur L’ecclésiaste, Grégoire dans la cinquième engage une attaque contre l'or et le prêt à intérêt. En faisant un culte à la matière – ou au néant du métal jaune – ou, aujourd'hui, au chiffre apparemment efficace de nos comptes en banque – nous adorons une illusion au lieu de la sainte et invisible réalité du Créateur qui nous regarde à tout instant. Notre seul vrai bien est notre prochain, non pas que nous le possédions, mais parce que nous l'accueillons et que par lui nous pouvons accueillir Dieu. En substituant à la sacralité de la personne l'équivalent universel, nous nous éloignons considérablement de notre pauvreté essentielle, qui est la seule vraie richesse, puisqu'elle seule nous ouvre à la Grâce. Voilà l'ultime et merveilleux mystère chrétien : Dieu se fait pauvre. Dieu lui-même se fait fragile. Oui, pour te conformer à son image, cher lecteur, tu n'as que cela à faire : l'aimer, lui, pour ce qu'il est, dans son incompréhensible richesse et profusion, toute transcendance, mais l'aimer, lui, pour ce qu'il est, dans l'image de ton frère – même déformée, même brisée par le péché ou la folie – l'amour infini qui se dépouille jusqu'à nous. Tu marcheras, alors, avec la liberté des enfants de Dieu...
     

    Lucien Fornello
    pour La Vaillante

     

             Voici in-extenso cette partie de la quatrième homélie sur L'ecclésiaste, de Saint Grégoire de Nysse, traduite et annotée par Françoise Vinel aux éditions du Cerf en 1996, dans la très belle collection des Sources Chrétiennes (il m'est arrivé, dans le texte, de légèrement modifier la traduction).

     

    St Grégoire de Nysse.jpg            Homélie IV 

             C'est encore le sujet de la confession qui retient notre texte. En effet, l'ecclésiaste, en racontant ce qui chez lui fait reconnaître la vanité des choses de cette vie, passe pour ainsi dire tout en revue. Et maintenant, il aborde comme objet d'une accusation plus grave que celles de ses actions qui lui font dénoncer la passion de l'orgueil. Y a-t-il autant matière à fatuité dans les biens qu'il a dénombrés – maison somptueuse, abondance de vignes, l'agrément des potagers et, pour les eaux, leur collecte dans les bassins et leur répartition dans les jardins – que lorsque un homme se considère le maître de ses congénères ? « J'ai acquis, dit-il, des esclaves et des servantes, et j'ai eu des serviteurs nés chez moi. » Vois-tu l'énormité de la forfanterie ? Une telle parole s'élève ouvertement contre Dieu. Car nous avons entendu dire par la prophétie que toutes choses sont les esclaves du pouvoir qui est au-dessus de tout. Or, l'homme qui fait de la possession de Dieu sa propre possession et qui s'attribue domination sur sa race, au point de se croire le maître d'hommes aussi bien que de femmes, que fait-il d'autre que transgresser la nature par son orgueil, lui qui se regarde comme différent de ceux qu'il commande ?

             « J'ai acquis des esclaves et des servantes. » Que veux-tu dire ? Tu condamnes à l'esclavage l'homme dont la nature est libre et autonome, et tu légifères en t'opposant à Dieu, en renversant la loi qu'il a établie pour la nature. En effet, celui qui est né pour être maître de la terre (l'homme, d'après Genèse, I, 26), celui qui a été placé pour commander par le créateur, tu le soumets au joug de l'esclavage, en combattant et en transgressant pour ainsi dire l'ordre divin. Tu as oublié les limites de ton pouvoir, tu as oublié que le commandement t'a été imparti dans les limites de l'autorité sur les êtres sans raison. « Qu'ils commandent, dit l’Écriture, aux volatiles, aux poissons,  aux quadrupèdes et aux reptiles. » Comment, outrepassant ton droit à l'asservissement, t'élèves-tu contre la nature libre elle-même, en comptant au nombre des quadrupèdes et des animaux sans pattes celui qui est de la même race que toi ? « Tu as tout soumis à l'homme », proclame la prophétie à propos de Dieu (Psaume 8) et cette parole met dans le nombre des êtres qui sont en notre pouvoir « troupeaux, bœufs, et bétail ». Mais toi, tu as déchiré la nature par l'esclavage et la domination, tu l'as faite esclave d'elle-même et dominatrice d'elle-même. « J'ai acquis des esclaves et des servantes. » A quel prix, dis-moi ? Qu'as-tu trouvé, parmi les êtres, de même prix que la nature ? À quelle somme as-tu évalué la raison ? Combien de pièces de monnaie as-tu payé en échange de l'image de Dieu ? Contre combien de statères as-tu échangé la nature façonnée par Dieu ? « Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et ressemblance. » Celui qui est à la ressemblance de Dieu, qui commande à toute la terre et qui a reçu de Dieu en héritage le pouvoir sur tout ce qui est sur la terre, qui peut le vendre, dis-moi, qui peut l'acheter ? À Dieu seul appartient ce pouvoir : bien plus, pas même à Dieu lui-même ! Car « il ne se repent pas de ses dons », est-il dit. Dieu ne saurait asservir la nature, lui qui volontairement nous a appelés à la liberté, nous qui avions été asservis au péché.

             Mais si Dieu n'asservit pas ce qui est libre, qui peut établir au-dessus de Dieu sa propre domination ? Et comment sera aussi vendu celui qui commande toute la terre et tout ce qui est sur la terre ? Car il est de toute nécessité que le bien de celui qui est vendu soit cédé en même temps que lui. À combien estimerons-nous donc toute la terre ? Et à combien tout ce qui est sur la terre ? Et si c'est inestimable, à quel prix estimes-tu, dis-moi, celui qui est au-dessus ? Dirais-tu « le monde entier » que tu ne trouverais même pas le prix qui convient. Car celui qui sait estimer la nature humaine à son juste prix a dit que le monde entier n'est pas digne d'être échangé contre l'âme d'un homme. Chaque fois qu'un homme est à acheter, ce n'est pas moins que le maître de la terre qui est conduit au marché. Donc ce qui sera vendu à la criée en même temps que cet homme, c'est évidemment aussi la création existante. Et la création, ce sont la terre, les îles, la mer, et tout ce qu'elles contiennent. Que paiera donc l'acheteur ? Que recevra le vendeur, si c'est une telle possession qui accompagne la transaction ? Mais le petit livret, l'engagement écrit et le paiement en espèces t'ont-ils convaincu avec leur tromperie que tu étais maître de l'image de Dieu ? Ô folie ! Et si le contrat se perdait, si les lettres étaient mangées par les vers, si une goutte d'eau en tombant les effaçait, où seraient les gages de ton droit à asservir ; et où, les moyens de ta domination ?

             Car je ne vois rien que tu aies en plus par rapport à ton sujet – tu le nommes ainsi – que le nom. En effet, qu'est-ce que le pouvoir a ajouté à la nature ? Ni temps, ni beauté, ni bonne santé, ni les avantages que donne la vertu. Tu nais des mêmes êtres humains, ta vie se déroule de la même manière, les passions de l'âme et du corps vous dominent autant, toi, le maître, et celui qui est soumis au joug de ta domination : douleurs et satisfactions, joies et inquiétudes, chagrins et plaisirs, colères et craintes, maladies et morts. Y aurait-il en cela une différence entre l'esclave et le maître ? N'aspirent-ils pas le même air avec leurs poumons ? Ne voient-ils pas pareillement le soleil ? Ne conservent-ils pas semblablement leur nature à l'aide de la nourriture ? Leurs entrailles ne sont-elles pas disposées de la même façon ? Ne sont-ils pas tous deux une même poussière après la mort ? N'y a-t-il pas un même jugement ? N'ont-ils pas un royaume commun et une commune géhenne ? Toi donc qui as en tout un sort égal, en quoi as-tu davantage, dis-moi, pour te croire, toi, un homme, souverain sur un homme et pour dire : « J'ai acquis des esclaves et des servantes », comme on acquiert quelques troupeaux de chèvres et de cochons ? En effet, après avoir dit : « J'ai acquis des esclaves et des servantes », il a ajouté l'abondance en troupeaux de brebis et de bœufs qui était devenue la sienne. « J'ai fait acquisition, dit-il, de brebis et de bœufs en quantité », comme si animaux et esclaves étaient soumis à rang égal à son pouvoir.

    Grégoire de Nysse

    Icône mosaïque datant du XIIIème siècle

    Article repris par Ichtus : http://www.ichtus.fr/gpa-la-pointe-de-lesclavage/

     

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    L'impasse Dominique Venner (2)

     

     

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  • L'impasse Dominique Venner (2)

     

    Le chevalier, la mort et le diable Dürer.jpg

     

                On pouvait apprécier Dominique Venner, historien en marge de la vie intellectuelle française, pour son courage, son honnêteté, son travail, tout en éprouvant une distance vis-à-vis de sa philosophie. Depuis un an devenu lecteur assidu de sa Nouvelle Revue d'Histoire, je ne partageais toutefois pas ses idées, notamment politiques et spirituelles. C'est la chance de l'esprit que de se retrouver, par-delà ces différences, dans une recherche de la vérité et du sens. La fin extraordinaire qu'il s'est lui-même choisie éclaire d'un nouveau jour ce fond idéologique et religieux qui nous séparait.

                La fascination mortifère pour le passé dans laquelle une certaine droite nationale, dans les les années 50 et 60, risquait de se glacer, l'homme l'a sublimée au mieux par son engagement intellectuel à partir des années 70. Ce n'est pourtant pas sans recréer une identité fictive qu'il a élaboré une pensée de la volonté et des origines au parfum un peu allemand : un passé païen mythique dans tous les sens du terme, Heidegger et Nietzsche, l'idée que le vouloir et l'être ne font qu'un. Les intelligences brillantes doivent toujours combattre leur propension à rêver le réel au lieu de le penser. Il y avait une part de lumière en Dominique Venner, celle qui, précisément, faisait le deuil de ce lyrisme qu'il sacrifiait au travail d'éclaircissement de l'historien. Son dernier geste comme ses écrits montrent que la part ténébreuse, qui n'est autre que l'idéologie, devait, dans sa vie, avoir le dernier mot.

                Nous vivons un moment à proprement parler apocalyptique, les illusions se défont, la réalité montre ses aspects. Le chaos augmente avec les chances de le dissiper, par cette montée de l'intensité du temps qui caractérise les basculements de l'Histoire, comme si l'opacité et le dévoilement alternaient de plus en plus vite. À mesure que le pouvoir abstrait qui nous domine se découvre à notre intelligence, nous sommes de plus en plus tentés par des formes d'abandon, de révolte ou de confusion. Dominique Venner n'est cependant pas mort de la violence de notre époque, qui pourra faire d'autres victimes plus faibles, il s'est laissé gagner par ses propres obscurités. Dans ses derniers messages, il s'inquiétait de l'effondrement spirituel de la France, mais aussi de la perspective d'une islamisation qui pourrait devenir totale, ce qu'il jugeait un plus grave danger. Il y a assurément un caractère brutal dans le joyeux mélange migratoire, le système du remplacement, le déracinement obligatoire que nous impose le pouvoir mondial à travers nos élites serviles. La haine de soi, le rejet de la terre, la culpabilisation des origines me sont devenus, comme à d'autres, insupportables, notamment à cause de cet humanisme mensonger qui cache des logiques féroces. Mais lui, en vue de quoi a-t-il agi ? Il parle d'un « sacrifice » qui serait une « fondation ». Le suicide pourrait-il être fécond ? Nous laisse-t-il un espace, une liberté pour nous saisir d'un avenir ? Faut-il en faire un culte pour « fonder » un espoir ? Mais de quoi ? Ce geste a tout d'une injonction contradictoire : « Je me suicide pour l'exemple. Résistez, mes frères ! » Par ailleurs, il y a finalement autant de pulsion de mort dans la négation des racines que dans leur exaltation en tant qu'absolu. Si je salue l'intellectuel pour son travail d'historien, son retour à une « mémoire identitaire » me semble une façon impérieuse de nous placer devant un passé aussi imposé et arbitraire que n'importe quelle idéologie plus triomphante aujourd'hui.

                Que dire aux amis, ou simplement aux français, qui ne sont pas issus directement de cette mémoire européenne, comment proposer un avenir à partir d'un passé d'ailleurs un peu fantasmé ? Dominique Venner dénonçait dans le christianisme une « métaphysique de l'illimité » destructrice de nos peuples ; mais que doit-on dire de sa philosophie ? Si l'immigration massive et la logique du remplacement nous indignent, cela signifie-t-il que nous devons rester entre nous, dans une famille ethnique et spirituelle fermée depuis l'antiquité, sans nous adresser à ceux qui, aujourd'hui, vivent, pensent, font la France ? Quelle impasse ! Il ne fallait pas le lire beaucoup pour comprendre qu'il avait un compte à régler avec le christianisme, il portait même une haine feutrée, rentrée, envers la religion de son enfance. Il lui en voulait de son universalité dissolvante. Mais quoi, existe-t-il un tel dilemme entre l'universel et le particulier ? Les deux ne doivent-ils pas s'articuler dans l'exercice de l'amour ? N'est-ce pas d'ailleurs l'un des enseignements essentiels du christianisme ? Tout cela serait dérisoire si une partie de la droite la plus authentique ne restait accrochée à ce mauvais sacré dont témoigne son suicide. On a vu une partie de sa blogosphère et des animateurs de Radio Courtoisie, média plutôt catholique sur lequel il s'exprimait, perdre un peu la raison devant ce geste inouï, s'empresser de nous dire que ce n'était ni folie ni désespoir, mais héroïsme, jusqu'à déclarer frénétiquement qu'il s'agissait d'un sacrifice prometteur. Je m'inscris en faux.

                Il y a des formes de folie froide. Ainsi débute sa lettre : « Je suis sain de corps et d’esprit, et suis comblé d’amour par ma femme et mes enfants. J’aime la vie ». On ne formule que ce qui ne va pas de soi... Se suicider en pleine possession de ses moyens, sans problème affectif, uniquement pour cet idéal sans contour ni substance, relève d'une pathologie grave. Je n'y vois que de l'orgueil, du désespoir et de la mort. Ainsi déclarait-il : « C’est en décidant soi-même, en voulant vraiment son destin que l’on est vainqueur du néant. Et il n’y a pas d’échappatoire à cette exigence puisque nous n’avons que cette vie dans laquelle il nous appartient d’être entièrement nous-mêmes ou de n’être rien. » Voilà comment la « volonté » fait une boucle, finit par se détruire, et même par se nier jusqu'à la dérision, parce qu'elle s'est crue tout. Cette conjonction du délire de puissance et de la pulsion de mort entre en contradiction, d'ailleurs, avec une autre partie de la lettre qui critique l'individualisme destructeur. Pour être quelque chose plutôt que rien, il faut se suicider devant l'autel de Notre-Dame, tout sacrifier, l'espoir, l'amour même, à la vanité d'une apparence, donc à ce néant pourtant tant dénoncé. L'acte de Dominique Venner n'a pas de vraie grandeur : il cherche la grandeur – ce n'est pas la même chose. L'homme ose nous dire : « Il faudra certainement des gestes nouveaux, spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences, secouer les consciences anesthésiées et réveiller la mémoire de nos origines. Nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes. » Mais le symbolique, M. Venner, est le contraire du suicide. Quelle cohérence y a-t-il entre ce geste infamant pour la vie, profanateur pour l’Église, enfin destructeur de tout sens par son extrémisme même – et les ressources de l'identité ou la « fondation » d'un avenir ? Rappelons que le Catéchisme de l'Église Catholique, qui condamne le suicide tout en reconnaissant les fragilités qui peuvent y conduire, affirme le caractère aggravant d'en faire un modèle, notamment pour la jeunesse.[i]

    Rien n'est bon dans cet acte qui me fait relire ce que je sais, ce que j'ai reçu de cet historien en le remettant plus sévèrement en cause que je ne l'aurais fait. Il est des moments de séparation intellectuelle. Certains catholiques de sensibilité traditionaliste, en cette occasion, m'ont paru plus amoureux du sacré – ou du passé – que du Christ et de l’Église. Les Évangiles produisent pourtant, à l'avance, une décapante critique du religieux formel et de la fausse grandeur. René Girard suggère même que c'est le sacré violent que détruit la Révélation Biblique, en exposant notre ressemblance avec le Créateur, qui ne peut se faire précisément que par l'abandon de tous les sacrés au profit du seul mystère saint, l'échange de la divinité avec l'humanité. L'éminente dignité de la personne s'affirme théoriquement, et surtout théologiquement, par cette proximité ontologique entre le Créateur et sa créature, ce qui, loin de nous inviter à singer Dieu, nous porte à une grande humilité... Et c'est ce feu qu'est venu répandre le Christ, ce qu'il accomplira, certes, par un don de sa personne, mais en tout point contraire à un suicide. 

                Un des sens de la modernité est le dépouillement du sacré jusqu'à son point vital – le partage de la Vérité – le mystère de notre incarnation – la Vie libre – mais cette bonne part du moderne est sans cesse menacée par une autre, une frénésie de la liquidation qui, de fait, invite à un retour proliférant des divinités et des asservissements... Le transfert du sacré en savoir et de la violence en technique, tel que le processus historique ne cesse de l'accélérer, est la définition de cette modernité ambivalente qui est un dévoilement, une démultiplication de nos pouvoirs matériels et symboliques, et qui engendre une expansion des possibilités de destruction et de fascination. Elle offre ainsi, de façon permanente, une tentation terrible de retour à un archaïsme armé. Aussi les transgressions, les liquidations et les déchets que le capitalisme-progressisme accumule avec ses marchandises m'apparaît comme une modernité affolée qui sans cesse corrige sa propension régressive par la chute en avant – jusqu'à envisager de modifier l'espèce pour obéir jusqu'au bout à sa logique. C'est un tel système que venait confirmer comme par l'absurde celui qui prétendait le contester. Il ressemblait ainsi, hélas, involontairement à notre après-modernité. 

                Rien de bon ne sortira d'un tel geste. Le lendemain, une « femen » imitait le sacrifié dans une parodie qu'il n'avait que trop méritée. Il aura ouvert une brèche, mais des plus mauvaises : qui font du passage à l'acte un langage et une concurrence. Défendons la vie, plutôt que le suicide lyrique et spectaculaire. Vous qui aimez la France, qui désirez sa renaissance, oui, il existe un passé que nous devons connaître et chérir, mais aussi un avenir à peupler, à conquérir, et c'est au présent, en travaillant, en dialoguant, qu'il nous faut avancer, avec tous nos frères, même ceux que nous croyons contre nous. « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous haïssent ». Cessons de craindre, tâchons plutôt d'aimer et de convaincre. Et si nous avons besoin d'une boussole et d'un but, d'un fondement et d'un horizon, d'un cœur et d'un ciel, enfin d'un ordre qui ouvre, ce n'est pas dans les fumées d'un paganisme de la force et de l'identité qu'on le trouvera, c'est dans le Christ et ce qu'il porte de fruits : la paix, l'humilité, la fermeté dans le combat, la charité, le désir de comprendre, la vocation de se donner – la volonté d'aller vers l'autre et le réel.

    Lucien Fornello
    mai 2013 - mai 2014
    pour La Vaillante 

    (Version remaniée
    voir la première version)

     


    [i] 2280 Chacun est responsable de sa vie devant Dieu qui la lui a donnée. C’est Lui qui en reste le souverain Maître. Nous sommes tenus de la recevoir avec reconnaissance et de la préserver pour son honneur et le salut de nos âmes Nous sommes les intendants et non les propriétaires de la vie que Dieu nous a confiée. Nous n’en disposons pas.

    2281 Le suicide contredit l’inclination naturelle de l’être humain à conserver et à perpétuer sa vie. Il est gravement contraire au juste amour de soi. Il offense également l’amour du prochain, parce qu’il brise injustement les liens de solidarité avec les sociétés familiale, nationale et humaine à l’égard desquelles nous demeurons obligés. Le suicide est contraire à l’amour du Dieu vivant.

    2282 S’il est commis dans l’intention de servir d’exemple, notamment pour les jeunes, le suicide prend encore la gravité d’un scandale. La coopération volontaire au suicide est contraire à la loi morale.

    Les troubles psychiques graves, l'angoisse ou la crainte grave de l’épreuve de la souffrance ou de la torture peuvent diminuer la responsabilité d suicidaire.

    2283 On ne doit pas désespérer du salut éternel des personnes qui se sont donné la mort. Dieu peut leur ménager par les voies que lui seul connaît, l’occasion d’une salutaire repentance. L’Église prie pour les personnes qui ont attenté à leur vie.

    Catéchisme de l'Eglise Catholique

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  • L'impasse Dominique Venner

                         On pouvait apprécier Dominique Venner, historien en marge de la vie intellectuelle française, pour son courage, son honnêteté, son travail, tout en éprouvant une distance vis-à-vis de sa philosophie. C'était mon cas. J'étais depuis un an devenu lecteur assidu de sa Nouvelle Revue d'Histoire, dans laquelle je trouvais certaines références et un angle de vue rafraîchissant par rapport au climat intellectuel français ; toutefois, je ne partageais pas ses idées, notamment politiques et spirituelles. Mais c'est la chance de l'esprit que de se retrouver, par-delà ces différences, dans une recherche de la vérité et du sens. La fin extraordinaire qu'il s'est lui-même choisie éclaire d'un nouveau jour ce fond idéologique et religieux qu'il faut interroger.

      

                La fascination mortifère du passé dans laquelle son milieu politique (la droite nationaliste des années 50 et 60) risquait de se glacer, l'homme l'a sublimée au mieux par son engagement intellectuel à partir des années 70. Ce n'est pourtant pas sans recréer une identité fictive qu'il a élaboré une pensée de la volonté et des origines au parfum un peu allemand : un passé païen mythique dans tous les sens du terme, Heidegger et Nietzsche, l'idée fondamentale que le vouloir et l'être ne font qu'un. L'un des problèmes majeurs de l'intelligence humaine est sa propension à rêver le réel au lieu de le considérer, puis de le penser. Il y avait une part de lumière en Dominique Venner, celle qui, précisément, faisait le deuil de ce lyrisme qu'il sacrifiait au travail d'éclaircissement. Son dernier geste comme ses écrits montrent que la part ténébreuse, qui n'est autre que la part idéologique, l'aura emporté dans cette vie.

     

                Nous vivons un moment à proprement parler apocalyptique, les illusions se défont, la réalité montre ses aspects. L’obscurcissement augmente aujourd'hui avec les chances de le dissiper, par cette montée de l'intensité du temps, comme si le chaos et le dévoilement allaient de pair. Mais Dominique Venner n'est pas mort de la laideur de notre époque, qui pourra bien faire d'autres victimes plus faibles, il s'est laissé gagner par ses propres obscurités. Dans ses derniers messages, il s'inquiétait de l'effondrement spirituel et moral à travers sa contestation de la loi Taubira, mais aussi de la perspective d'une islamisation qui pourrait devenir totale, ce qu'il jugeait d'ailleurs un plus grave danger. Il y a assurément une violence dans le métissage imposé, le système du remplacement, le déracinement obligatoire que nous impose le pouvoir mondial à travers nos élites serviles. La haine de soi, le rejet de la terre, la culpabilisation des origines me sont devenus, comme à d'autres, insupportables ; en cela je comprends l'extrémité de son geste. Mais en vue de quoi a-t-il agi ? Il parle d'un « sacrifice » qui serait une « fondation ». Le suicide pourrait-il être fécond ? Laisse-t-il de l'espace, de la liberté pour nous saisir d'un avenir ? Faut-il faire un culte de ce geste et donc de sa personne, de son œuvre, pour « fonder » un espoir ? Mais de quoi ? Je vois finalement autant de pulsion de mort dans la négation des racines que dans leur exaltation en tant qu'absolu, et, autant je salue l'intellectuel pour son travail d'historien, autant son retour à une « mémoire identitaire » me semble une façon impérieuse de nous placer devant un passé aussi imposé et arbitraire que n'importe quelle idéologie plus triomphante aujourd'hui.

     

                Que dire aux amis, ou simplement aux personnes qui ne sont pas issus directement de cette mémoire européenne, comment proposer un avenir à partir d'un passé d'ailleurs un peu fantasmé ? Venner dénonçait une « métaphysique de l'illimité », le christianisme, destructrice de nos peuples, mais que doit-on dire de sa philosophie ? Si l'immigration massive et la logique du remplacement nous indignent, cela signifie-t-il que nous devons rester « entre soi » et ne pas nous adresser à tous ceux qui, aujourd'hui, vivent, pensent, font la France ? Quelle impasse ! Il ne fallait pas le lire beaucoup pour se rendre compte qu'il avait un compte à régler avec le christianisme, pour ne pas dire une haine à peine feutrée, mais rentrée contre lui. Il lui en voulait de son universalité dissolvante mais quoi, existerait-il un tel dilemme que de choisir entre l'universel et le particulier, les deux ne doivent-ils pas s'articuler dans l'exercice de l'amour ? Il y a plus. On a vu une partie de la blogosphère de droite et des animateurs de Radio Courtoisie, que je salue au passage, perdre un peu la raison devant ce geste inouï, s'empresser de nous dire que ce n'était ni folie ni désespoir, jusqu'à déclarer qu'il s'agissait d'un sacrifice héroïque et prometteur. Je m'inscris en faux.

     

                Il y a des formes de folie froide. L'homme commence ainsi sa lettre : « Je suis sain de corps et d’esprit, et suis comblé d’amour par ma femme et mes enfants. J’aime la vie ». On ne formule que ce qui ne va pas de soi... Se suicider en pleine possession de ses moyens, sans problème affectif, uniquement pour un idéal dont on a vu qu'il n'avait pas de contour précis ni de véritable générosité, relève d'une pathologie grave. Le désespoir, ici, ou la désespérance, sont patents : « C’est en décidant soi-même, en voulant vraiment son destin que l’on est vainqueur du néant. Et il n’y a pas d’échappatoire à cette exigence puisque nous n’avons que cette vie dans laquelle il nous appartient d’être entièrement nous-mêmes ou de n’être rien. » Voilà comment la « volonté » prométhéenne fait une boucle, finit par se détruire, et même par se nier jusqu'à la dérision, parce qu'elle s'est crue tout. Cette conjonction des pulsions de puissance et de mort entre en contradiction, d'ailleurs, avec sa critique de l'individualisme destructeur. Pour être quelque chose plutôt que rien, il faut se suicider devant l'autel de Notre-Dame, tout sacrifier, la vie, l'espoir, l'amour même, à la grandeur du symbole, à ce néant pourtant tant dénoncé. L'acte de Dominique Venner n'a pas de vraie grandeur : il cherche la grandeur – ce n'est pas la même chose. L'homme ose nous dire : « Il faudra certainement des gestes nouveaux, spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences, secouer les consciences anesthésiées et réveiller la mémoire de nos origines. Nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes. » Mais quelle cohérence y a-t-il entre ce suicide infamant pour la vie, profanateur pour l’Église, enfin destructeur de toute symbolique par son extrémisme même – et les ressources de l'identité ou la « fondation » d'un avenir ?

     

                Mes amis, rien n'est bon dans ce geste qui me fait même personnellement relire ce que je sais, ce que j'ai reçu de cet historien honorable en le remettant plus sévèrement en cause que je ne l'aurais fait. Il est des moments de séparation intellectuelle. Certains catholiques de sensibilité traditionaliste, en cette occasion, m'ont paru plus amoureux du sacré que du Christ et de l’Église. Les Évangiles produisent pourtant, à l'avance, une décapante critique du religieux formel et de la fausse grandeur. Rien de bon ne sortira de ce geste. Le lendemain, une « femen » imitait le sacrifié dans une parodie qu'il n'avait que trop méritée. Il aura ouvert une brèche, mais des plus mauvaises : qui font du passage à l'acte un langage et une concurrence. Je n'y vois que de l'orgueil et de la mort. Je veux défendre la vie. Je suis contre le suicide assisté. Contre le suicide-spectacle. Contre le lyrisme ou l'imaginaire qui obnubilent. « Méfiez-vous des faux prophètes, vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » Amis qui aimez la France, qui désirez sa renaissance, oui, il existe un passé que nous devons connaître et chérir mais aussi un avenir à peupler, à conquérir, et c'est au présent, dans le réel, qu'il nous faut avancer avec tous nos frères, même ceux que nous croyons contre nous. « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous haïssent. » Tâchons de ne plus craindre, d'aimer et de convaincre. Et si nous avons besoin d'une boussole et d'un but, d'un horizon et d'un fondement, de racine et de ciel, enfin d'un ordre qui ouvre, ce n'est pas dans les fumées d'un paganisme de la force et de l'identité qu'on le trouvera, c'est dans le Christ et ce qu'il porte de fruits : la paix, l'humilité, la fermeté dans le combat, la charité, le désir de comprendre, la vocation de se donner – la volonté d'aller vers l'autre et le réel.

     

    Lucien Fornello
    pour
    La Vaillante

    le 24 mai 2013

     

     

     

     

     

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  • I – La logique du projet - Quelques réflexions sur le projet de loi « mariage pour tous »

    On pourrait croire que le projet de loi « mariage pour tous » n'a pas de conséquence pour la majorité. On entend dire : « Je ne suis ni pour ni contre, pour moi ça ne change rien. Alors, s'ils le veulent... » Outre que ce raisonnement d'indifférence est par lui-même dangereux, le « ils » ici pose un problème, car de nombreux homosexuels ne réclament nullement ce droit, voire s'y opposent farouchement. Seule une minorité le revendique vraiment, et la question divise autant que dans le reste de la société. Il y a donc d'autres raisons à ce projet que de répondre à une revendication de ces personnes, nous verrons plus précisément lesquelles. Par ailleurs, on peut comprendre que des individus éprouvent le désir d'accéder au symbole du mariage avec une personne du même sexe, mais cela reste impossible par le seul fait qu'il est défini autrement. À moins qu'on décide que le désir crée le droit, il faut examiner les conséquences d'un tel projet, la première étant précisément de changer la nature du mariage.

     

    Une étrange logique libérale semble dire : « Le mariage existe, donc j'y ai droit, quitte à en changer les règles. Les enfants existent, je veux donc en avoir, même si je ne peux pas en faire. Les femmes existent, je veux donc avoir le droit d'en louer une pour me fabriquer cet enfant. » Cette logique du droit de tous à tout est en elle-même pernicieuse, car elle n'a pas de fin. Elle conduit aux abus. Elle défait les protections des plus faibles. Elle fragmente la société. Au nom de quoi refuser la polygamie à ceux qui la réclament, si c'est leur désir ou leur tradition ? Au nom de quoi refuser des unions incestueuses, puisqu'elles existent ? Et si la science le permet, au nom de quoi refuser à certains hommes de se greffer un utérus pour porter un enfant ? Accepter ce projet, c'est d'abord consentir à cette logique de l'extension illimitée des droits qu'on qualifie d'ailleurs, dans un vocabulaire plutôt de gauche, d'ultra-libérale.

     

    Ce projet a d'abord pour effet d'institutionnaliser l'idée que l'homosexualité est une catégorie ou un statut qui donne accès à des droits. Cela peut conduire à d'autres revendications ; par exemple, réclamer des quotas dans la représentation nationale, certains l'ont proposé. Cela n'a aucun sens, mais quand une logique se met en place, elle a toujours tendance à se poursuivre. En s'en tenant à la définition la plus incontestable, l'homosexualité reste une tendance ou une pratique sexuelle, non pas une appartenance ou une catégorie. Une pratique sexuelle définit-elle les individus ? À part celui de vivre libre et en sécurité, y a-t-il une raison d'accorder quelque droit que ce soit à des individus ou à des groupes au nom de leur pratique sexuelle ? Cela signifierait que les homosexuels doivent être considérés en tant qu'homosexuels comme les autres en tant qu'homme et femme. Ce raisonnement fort dangereux pourrait se retourner contre eux, alors que la plupart n'ont rien demandé. Il y a mille façons d'être homosexuel. Il n'y a pas d'être-homosexuel bien défini, et heureusement. Il en existe au moins deux grandes catégories que personne n'oserait confondre, à savoir l'homosexualité des hommes, et celle des femmes. La différence sexuelle, on ne la déloge pas si facilement...

     

    Lucien Fornello pour La Vaillante

     

     

     

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  • II – Qu'est-ce que le mariage ? : Quelques réflexions sur le projet de loi « mariage pour tous »

    Le mariage, union d'un homme et d'une femme, a deux fondements, l'un naturel, l'autre social et symbolique. La part biologique plonge dans une profondeur et un mystère qu'il ne nous est pas donné d'élucider : c'est la différence sexuelle, c'est la sexualité elle-même. Qu'il existe dans le règne animal des formes marginales d'homosexualité n'élimine en rien la règle fondamentale de cette séparation et réunion procréative entre les sexes : elle est l'un des moyens de la vie de se renouveler, le moyen qu'a choisi précisément cette branche dont nous faisons partie, les mammifères, et longtemps avant nous les animaux les plus primitifs. Cette distinction est le signe d'une différence plus universelle qui est la condition même pour qu'il y ait monde. Dans les récits de création comme la Genèse, les Métamorphoses ou de traditions plus éloignées, le monde apparaît par la séparation des éléments. Sans différence, il n'y a pas de monde. Or, le mariage est une expression humaine, sociale et symbolique de cette différence essentielle.

     

    La part biologique reste irréductible et fondatrice du mariage, c'en est comme l'enracinement et la chair. C'est cependant la culture qui le constitue et le structure. De par le monde, il a existé et il existe plusieurs formes de mariage, mais celui instituant l'union entre personnes de même sexe, très récent, n'a pas de fondement culturel, pas plus qu'il n'en a de naturel. On parle de rites initiatiques masculins incluant une sexualité entre maître et disciple, mais cela n'a rien à voir. On dit que certains empereurs l'ont fait, que quelques rares tribus le pratiquaient pour leurs guerriers, mais jamais cela ne fut un fondement durable pour une grande civilisation, ni une nouvelle « parentalité ». Socialement, le mariage est d'abord un moyen d'éviter ou d'abolir des rivalités. Il institue ensuite la double filiation père-mère. Il est enfin le moyen de stabiliser une union devenue parentale, afin de donner à l'enfant une protection durable. L'héritage chrétien donne à cette union son caractère indissoluble, ce qui induit un principe de réalité parfois difficile à tenir, mais fondateur de la structure familiale que nous connaissons, le modèle père-mère-enfants.

     

    L'infidélité a toujours existé et aujourd'hui ce modèle se fissure ; est-ce un argument en faveur des unions homosexuelles ? Le modèle père-mère-enfants a ses propres complexes, ses difficultés ; est-ce un argument pour en créer un nouveau, qui d'ailleurs l'imite plus ou moins, mais en oblitérant la différence sexuelle et la procréation naturelle ? On nous parle de « l'évolution des mœurs », de « progrès social », mais ce nouveau « mariage » a pourtant des caractères fort archaïques. L'éclatement de la famille, les parents seuls, est-ce l'unique façon de concevoir la modernité ? La liberté, l'égalité, la modération de l'autorité, l'abandon de certaines croyances, le progrès technique et scientifique, une certaine clarification de l'esprit et la pacification des mœurs, voilà ce qu'on appelle idéalement modernité ou, peut-être, civilisation. Attention à ce modernisme qui ne favorise que les tendances de liberté et d'égalité au point de les diviniser et d'abolir toute distinction comme toute contrainte. Peut-être reste-t-il du sacré dans le fait de procréer et de porter la vie. Peut-être y a-t-il dans la différence sexuelle quelque chose aussi de sacré, c'est-à-dire au sens propre qu'on ne doit pas toucher. L'homme a-t-il changé de nature ? Le modèle père-mère-enfants est-il dépassé ? Notre société, ne se fondant plus que sur une unique valeur, la liberté individuelle, est en passe d'en faire un culte nihiliste. Cette religion paradoxale engendre un monde qui, loin de créer des personnes libres, les fragilise considérablement.

     

    La part biologique, la part symbolique, la part sociale anéanties au profit de l'individu tout-puissant, il ne reste du mariage, dans l'union entre personnes du même sexe, que le chiffre 2. Encore celui-ci semble incertain, on ne voit pas pourquoi il résisterait à la force de dissolution d'une idéologie qui se présente comme le sens inéluctable de l'Histoire. Le mariage, institution la moins discriminatoire qui soit, ne floue aucunement les homosexuels, à moins qu'on considère que la Nature – ou Dieu – les a discriminés en ne leur accordant pas de procréer. Ils en sont écartés parce que leur union ne répond pas à sa définition enracinée dans la biologie autant que dans le symbolique. C'est bien là l'un des enjeux : les défenseurs du mariage homosexuel veulent déconnecter la procréation de son acte naturel mais aussi détruire les bases d'une humanité fondée sur l'altérité sexuelle. Ils passent par la question homosexuelle pour faire voter des lois touchant à la bioéthique et à la filiation.

     

    On nous fait croire qu'il y a inégalité. En vérité, tout le monde a le droit de se marier. On oublie toujours de dire qu'il existe des degrés dans l'homosexualité, que quelqu'un a pu éprouver de telles tendances et les avoir dépassées, enfin que l'homosexuel est souvent un bisexuel, attiré par l'un et l'autre sexes. Un homme peut donc avoir connu l'homosexualité et se marier avec une femme, sans que cela constitue autre chose qu'une évolution personnelle. On nous fait croire qu'il y a des situations difficiles qui seraient arrangées par le mariage homosexuel. En vérité, les délégations d'autorité dans les familles dites « homoparentales » posent peu de problèmes, puisqu'elles sont selon la loi « implicites » pour les actes quotidiens. L'héritage, lui, ne nécessite qu'une déclaration écrite. Les mêmes qui disent que 50% des enfants naissent hors-mariage pour montrer que « les mœurs ont évolué » font mine de s'effrayer que les familles « homoparentales » se trouvent hors-mariage. Si un père de famille seul élève ses enfants en habitant avec sa mère, sa sœur ou son compagnon, cela change peu de choses au regard de la loi, et on ne voit pas comment de telles situations engendreraient soudain un droit au mariage. Il peut exister des contrats entre deux personnes concernant la cohabitation, la protection ou l'héritage, sans qu'il y ait à préciser la nature de leur relation.

     

    Historiquement, le mariage protège le plus faible, le couple mère-enfant, en instituant la présomption de paternité. Il oblige les personnes à certaines contraintes en vue de consolider le couple et la famille, ce qui a une influence stabilisatrice sur la société. Il ne s'agit donc pas de la reconnaissance publique d'un amour ou d'une union. Comme dit l'adage, s'embrasser n'est pas se marier... Proposer le mariage aux unions homosexuelles ne repose donc pas sur une telle reconnaissance, ni sur leur capacité procréative qui est inexistante, mais sur les droits qu'il implique, à commencer par l'adoption. C'est donc d'abord sur ce point qu'il faudra examiner un tel projet.

     

    Lucien Fornello pour La Vaillante

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  • III – La question de l'égalité - Quelques réflexions sur le projet de loi « mariage pour tous »

    Il y a discrimination quand à partir d'une situation objectivement identique on détermine un choix sur une différence qui n'est pas de l'ordre de la compétence ou du droit, mais de l'être. On ne fait aucune discrimination aux homosexuels au sujet du mariage : nul ne refuse à une personne, si elle le désire, de se marier avec une personne du sexe opposé. En revanche, on ne marie pas deux personnes du même sexe. Pourquoi ? Les personnes sont parfaitement égales devant la loi, mais pas les types de relation. Le mariage, par définition, inclut l'altérité sexuelle. Changer cette définition ne peut reposer sur la question de l'équité, puisque un couple homme-femme et une union homosexuelle ne sont pas à traiter sur le même plan, à moins qu'on considère ces deux situations comme identiques en niant la différence sexuelle et la procréation sexuée, ce qui relèverait d'un étrange puritanisme. Le mariage homosexuel n'ouvre donc pas le mariage à des personnes qui en étaient injustement exclues, il change la nature du mariage, ce qui est fort différent. Ce raisonnement est imparable sur le plan logique, mais entrons plus avant dans les réalités qu'un tel changement engage.

     

    La capacité d'élever les enfants est donnée largement à tout adulte. Une personne homosexuelle en elle-même doit posséder cette capacité technique, intellectuelle et affective. Pourtant, nous pressentons bien que, dans la réalité, élever un enfant ne repose pas uniquement sur une question de compétence. Il y a une part ontologique irréductible dans la notion de parentalité. Ce n'est pas seulement un savoir-faire mais ce qu'on est qui fait de nous des parents. Et encore, ce n'est même pas ce qu'on est en tant qu'individu, mais ce qu'on est en tant que père ou que mère, ce qu'on devient dans l'exercice d'une relation, à savoir pour un homme avec une femme, et pour une femme avec un homme. L'altérité sexuelle qui institue biologiquement la famille est aussi celle qui la constitue sur le plan symbolique. Le célibat ou l'union homosexuelle qui excluent une moitié de l'humanité biologique et symbolique ne sont pas généralement considérés comme un cadre favorable à l'enfant, non pas que des compétences manqueraient à ces adultes, ou qu'on les rejetterait pour ce qu'ils sont, mais plus fondamentalement parce que la différence sexuelle y est absente.

     

    Cette différence, on le sait, produit aussi des difficultés qui paraissent parfois insurmontables. L'homme a besoin de ses « copains », la femme de ses « copines », pour retrouver une logique qui les rassure. Mais s'ils reviennent l'un à l'autre, si le couple dénoue ses crises, c'est pour ouvrir au sein des personnes une dimension essentielle, faite d'humilité, de responsabilité, de compréhension de l'autre. Dans une union homosexuelle, ce mouvement d'ouverture, même s'il existe, sera voilé par la ressemblance masculine ou féminine. Si l'homme et la femme sont amenés à élever des enfants, c'est que leur relation elle-même est une école de la réalité humaine la plus complète.

     

    En cas d'adoption, le couple homme-femme reste donc le modèle, dans le but explicite de donner à l'enfant un équivalent de la situation biologique et symbolique incluant cette altérité, pour lui permettre de grandir sur la base de l'identification à une humanité complète. Le fait qu'on accorde le droit d'adoption aux célibataires n'est qu'une exception peu exercée, sur laquelle on pourrait d'ailleurs revenir, puisque ce dispositif visait à donner aux orphelins un parent à une époque où il en manquait, alors qu'aujourd'hui il ne manque pas de couples candidats à l'adoption. Le fait qu'il y ait des familles monoparentales n'est pas non plus un argument, puisque ces situations ne sont pas créées volontairement, en tout cas la loi ne les reconnaît pas comme telles, et peu d'entre nous contesteront qu'elles sont attachées à des difficultés tant matérielles que psychologiques. Le fait que toute famille ait ses problèmes n'est pas non plus un argument. La complexité du réel ne peut empêcher de voir qu'ici se posent des questions de structure pour l'avenir de la société.

     

    La situation, qui reste exceptionnelle, des familles dites « homoparentales », doit-elle donner lieu à un mariage et être instituée comme un modèle équivalent à la structure père-mère-enfants ? Doit-on ouvrir l'adoption et la procréation à ces unions ? N'est-il pas, aujourd'hui comme hier, toujours préférable d'accueillir un nouveau-né dans une famille stable, fondée sur la différence et la complémentarité homme-femme ? On nous présente le projet de loi « mariage pour tous » comme un progrès dans l'égalité entre les êtres, mais, en décidant que certains enfants, au nom du désir des adultes, n'auront pas de père ou de mère, il crée au contraire une formidable inégalité entre les êtres. Un enfant n'a-t-il pas le droit naturel de bénéficier d'une filiation symbolique fondée sur l'altérité père-mère ? N'a-t-il pas le droit de connaître sa filiation ? Loin de réparer une injustice, ce projet en produit d'insoutenables, comme nous allons le voir plus en détail.

     

    Lucien Fornello pour La Vaillante

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  • IV – Les conséquences sur la filiation et la procréation - Quelques réflexions sur le projet de loi « mariage pour tous »

    Rappelons le principe fondamental de l'adoption : il s'agit de donner une famille à un enfant, non pas un enfant à une famille. Il y a plusieurs types d'adoption : l'adoption simple ne rompt pas le lien avec le parent d'origine, tandis que par l'adoption plénière on devient intégralement et exclusivement parent. Dans les familles dites homoparentales qui existent, les enfants viennent pour la plupart d'un premier lit, d'une union homme-femme. On accorderait alors au nouvel époux une adoption simple. Or, il existe déjà des moyens de déléguer l'autorité légale sur un enfant et ces dispositifs peuvent être facilités ou étendus. Le mariage ne constituerait donc pas pour ces familles une avancée si importante. Il est faux de dire que ces personnes souffrent d'un vide juridique abyssal dans lequel leur existence même n'est pas reconnue, et que leur vie en est rendue affreusement compliquée. De nombreuses personnes jouent le rôle de parent de substitution dans une famille recomposée sans s'être marié avec leur conjoint. Ce n'est donc pas là que ce projet présente un changement majeur. Le mariage homosexuel, plutôt que de donner des droits à des familles, apporte en vérité essentiellement ceci : donner des enfants à des personnes qui n'en ont pas.

     

    Il y a environ 3000 enfants en instance d'adoption, 1000 enfants pupilles de l’État, 2000 à l'international, pour 24 000 couples éligibles à l'adoption. Attribuer à de nouvelles unions un tel droit ne permettrait donc pas, comme on l'entend souvent, de donner des parents à des enfants qui n'en ont pas, cela ajouterait simplement un peu de concurrence. L'effet serait d'ailleurs contraire, en empêchant nos familles d'accueillir de tels enfants, parce qu'un grand nombre de pays refuseraient d'envoyer leurs orphelins en France, précisément à cause de cette loi. Les gouvernements qui ont modifié la nature du mariage ont pu le vérifier. Il n'y a donc qu'une logique dans l'instauration du mariage homosexuel, ce n'est pas de régler des situations familiales, ni de confier des orphelins à des adultes, c'est la fabrication d'enfants pour ces unions, qu'on nous présente sous la locution technique et presque altruiste de « procréation assistée ».

     

    Pour les unions de femmes, une insémination artificielle d'une conjointe serait suivie par l'adoption plénière de l'autre conjointe, et l'enfant se retrouverait avec deux mères de plein droit. Cependant, il y a forcément ce qu'on appelle un donneur, qui devra rester anonyme et sera évacué de la filiation. On fabrique donc un être qu'on va priver volontairement, et non pas à cause des aléas de la vie, de sa filiation naturelle avec un père qui pourtant existe. On le prive doublement : sur le plan de la filiation biologique, ce qui n'est pas si indifférent que certains le prétendent, mais plus gravement encore sur le plan de la filiation symbolique, en supprimant tout bonnement la place du père. Un père, ça n'est donc rien ?

     

    Pour les hommes, il y a aussi nécessité d'un tiers, qu'on appellera cette fois mère porteuse. C'est-à-dire qu'en échange d'une compensation financière, une femme recevra un embryon conçu en laboratoire à partir d'un des deux hommes et d'une donneuse. On oublie souvent qu'il y a encore une autre mère : en effet, la donneuse de l'ovule étant souvent distincte de la mère porteuse, cela fait quatre personnes impliquées dans la filiation biologique ou symbolique de cet enfant. Deux mères fantomatiques, et deux pères symboliques dont l'un seul est biologique ! Voilà un enfant dont l'origine est scindée entre deux mères qu'il ne peut, dans la vie concrète, qu'imaginer. A-t-on mesurer le trouble que cela produit ? Quand la donneuse aura donné son ovule, la mère porteuse prêtera son ventre – et neuf mois de sa vie – pour accomplir la grossesse et l'accouchement d'un être qui deviendra pour elle un étranger. Outre le problème éthique évident que pose une telle transaction, là encore ce tiers est évincé de la filiation, en l'occurrence une mère qui pourtant existe et qui, elle, a eu le temps d'une première relation utérine avec l'enfant. Devant rester anonyme, ces deux mères seront également supprimées de la filiation, sur le double plan biologique et symbolique. L'enfant aura deux pères. La place de la mère : vide. Une mère, ça n'est donc rien ?

     

    La pratique de la mère porteuse n'est rien d'autre que la location du ventre maternel en vue de fabriquer un être humain. C'est donc la chosification de deux personnes, l'enfant et la mère, ainsi qu'un double drame humain. En effet, la mère vivrait les difficultés, les douleurs, les conséquences de la grossesse et de l'enfantement en même temps que le deuil de voir aussitôt sa progéniture partir sans trace. On oublie d'ailleurs toujours, dans notre tendance à l'individualisme, de se représenter cette personne avec son entourage : si elle est déjà mère, ses enfants comprendront-ils ce qu'elle fait ; son compagnon, ses proches, ne seront-ils pas eux aussi affectés par ce « travail » ? Quant à l'enfant ainsi conçu, il ne connaîtrait pas son origine et ne pourrait qu'imaginer cette mère qui, peut-être par pauvreté, peut-être pour d'autres raisons, a accompli ce « service » sans être, d'ailleurs, sa mère biologique. Quelle confusion ! Que ce soit pour des couples homme-femme ou pour des unions homosexuelles, cette pratique devrait révolter tout cœur humain.

     

    Et l'enfant conçu artificiellement, quand lui découvrira-t-on son origine ? Comprendra-t-il la logique de sa venue au monde ? Sera-t-il hanté par ce « donneur » ou cette « porteuse » qu'il lui sera selon la loi interdit de connaître ? Ces enfants seront donc uniquement conçus par la volonté et le désir d'adultes prêts à le priver d'un père, d'une mère, et de la nature même, puisqu'ils ne seront pas le fruit d'un accouplement, mais d'une manipulation de laboratoire ? Ces questions dépassent largement l'homosexualité. Elles touchent à la bioéthique dans sa partie la plus sensible : la conception de l'être humain. Voulons-nous vraiment déconnecter complètement notre venue au monde de la voie naturelle ? Voulons-nous condamner des enfants à être, dès leur conception, privés d'un père ou d'une mère ? N'y a-t-il pas ici l'utilisation de la question homosexuelle pour faire passer quelque chose qui en est fort éloigné, c'est-à-dire l'extension des exploitations de l'ingénierie biologique ? Et les personnes homosexuelles qui y sont légitimement opposées, pourront-elles supporter ce poids, que de telles lois furent faites en leur nom ?

     

    La filiation dans la loi française reconnaît deux branches qui, sans être toujours accolées à une réalité biologique, en reproduisent toutefois le schéma homme-femme. Jusqu'à présent, il y a deux branches distinctes, maternelle et paternelle, et si l'une manque, elle est simplement « vide ». On ne peut avoir deux branches « maternelles » ni deux « paternelles ». Avec la loi proposée, cette obligation disparaîtrait forcément, la filiation deviendrait indifférenciée. Deux branches toutefois, comme pour garder un dernier contact avec la réalité biologique, mais pourquoi ne pas étendre à trois, voire à quatre branches ? Le modèle juridique de filiation explose donc au profit de nouveaux critères flottants dans lesquels on ne voit plus de limite, puisque la nature en est proscrite, même en tant que référence.

     

    L'argument souvent exprimé pour soutenir une telle évolution est la mise en avant de la volonté. On deviendrait parent du fait de la volonté, ce qui a tendance à justifier toute forme de procréation assistée. On appelle « parent d'intention » celui qui ainsi exprime et réalise sa volonté d'être parent. Le donneur anonyme ou la mère porteuse ne sont donc pas parents mais techniquement géniteurs. L'enfant ainsi fabriqué, destiné à des personnes de même sexe, sera privé de sa filiation naturelle de façon volontaire. Qui peut croire que cela n'a aucune conséquence psychologique sur le sujet concerné et sur la société ? Et si on est parent par volonté, dès lors, peut-on cesser de l'être aussi par volonté ? En effet, si seule la volonté compte, un « droit à l'abandon » en est une conséquence assez logique.

     

    L'éducation, l'autorité, la responsabilité – sécurité, santé, moralité – appartiennent au père et à la mère. En cas de séparation, il existe une concurrence parfois malsaine mais bien compréhensible entre les deux parents pour obtenir la garde, et parfois avec les nouveaux conjoints en ce qui concerne certaines décisions. La loi est claire : à moins d'événements graves, le père et la mère de l'enfant gardent leur autorité et leur capacité de décision. Avec cette nouvelle loi, l'élimination du schéma père-mère biologique pourrait conduire à plus de concurrence et de complexité, d'autant que les homosexuels sont plus volages. Au risque de ballotter l'enfant entre les adultes, sans oublier que planeront les « fantômes vivants » des donneurs et des porteuses.

     

    Par ailleurs, avec les progrès de la médecine, il n'est pas exclu que le matériel génétique des deux hommes ou des deux femmes soient utilisés pour concevoir cet enfant en laboratoire et même, pourquoi pas, au train où vont les choses, que soit donnée la possibilité à un homme de porter l'enfant. L'humanité est à un tournant. S'il est possible, à très long terme, que nous allions vers une procréation plus assistée et extérieure, il est en revanche extrêmement dangereux de vouloir devancer ce processus en l'accélérant et en permettant l'accès à toutes les techniques dès qu'elles sont au point. Le risque d'eugénisme, de trafic, de commerce, de chosification de l'être humain est contenu d'une manière extrêmement dense dans la problématique du mariage homosexuel, même si on fait mine de séparer la question bioéthique de la question du mariage lui-même. En vérité, comme nous l'avons vu, l'un ne va pas sans l'autre. Par conséquent, pour en revenir à la procréation et à la science, ce n'est pas parce qu'une chose est possible, qu'il faut nécessairement l'intégrer dans le droit et il faut veiller, autant pour l'union homosexuelle que pour le couple homme-femme, à éviter la fabrication d'êtres humains.

     

    Lucien Fornello pour La Vaillante

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  • V – La différence éclate au grand jour - Quelques réflexions sur le projet de loi « mariage pour tous »

    On peut admettre que des hommes se sentent femmes ; des femmes, hommes ; ou encore ni l'un ni l'autre ; mais de là à imposer ce modèle en nous envoyant le signal que nous sommes tous des êtres flottants, comme certains veulent l'introduire dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge, il y a là une manipulation et un abus de pouvoir manifestes. La théorie du genre est actuellement introduite avec force non seulement en France, mais dans le monde entier, puisque cette idéologie est soutenue par les instances internationales. C'est une théorie désincarnée qui va, dans sa version la plus radicale (celle qu'on a retenue) jusqu'à nier la biologie dans la constitution des personnalités. Tout serait culturel, et l'homosexualité serait depuis les origines opprimée par le modèle dominant. Cette vision qui nie la réalité la plus évidente ne tient pas un instant à l'analyse. C'est pourtant elle qui nous amène au débat d'aujourd'hui.

     

    Le mot « hétérosexuel » forgé en opposition au terme « homosexuel », nous n'en avions auparavant nullement besoin pour désigner l'union homme-femme, qui n'est pas une sexualité parmi d'autres, mais qui reflète la réalité humaine en son altérité essentielle. On oppose l'un et l'autre comme s'il s'agissait de deux modèles concurrents, c'est faux. L'homosexualité ne peut être considérée sur le même plan. De plus, elle n'a pas de contour précis : homosexuel, on peut l'avoir été et ne plus l'être, l'être un peu ou beaucoup, exclusivement ou pas du tout. Ce n'est donc ni une essence, ni un comportement fixe, mais une réalité psychique, intime, qui a toujours existé, qui existera toujours et qui, probablement, gardera toujours sa part de mystère et de complexité. Peut-être certaines personnes sont-elles intrinsèquement disposées, dès leur naissance, à l'homosexualité, mais il est plus vraisemblable que cette tendance naisse de l'histoire de l'individu et de sa construction. La « théorie du genre » voudrait nous faire croire le contraire : être homme ou femme serait « une construction » tandis que l'homosexualité, elle, serait de l'ordre de l'essence. On renverse les choses ! C'est précisément de l'ordre de l'ontologie que d'être homme ou femme, tandis que l'homosexualité est plus « construite ». Cette idéologie inverse les données les plus fondamentales et les plus évidentes au nom de la toute-puissance de l'individu. Le mariage homosexuel est l'expression, la concrétisation d'une philosophie de l'indifférenciation et du constructivisme qui nie le réel en prétendant qu'il n'y a pas vraiment de sexe et qu'on choisit son « genre ». Le mariage homosexuel institutionnalise la négation de la différence homme-femme jusque dans leur fonction de père et mère. Du coup, l'union et la « parentalité » homosexuelles seraient reconnues comme un modèle équivalent à celui du mariage homme-femme. Qui peut croire à cette escroquerie ?

     

    Nul ne croit, ni les personnes concernées, ni celles qui les connaissent, que les tendances homosexuelles amènent au bonheur et soient à promouvoir. On nous parle du taux de suicide chez des jeunes homosexuels en attribuant cela à « l'homophobie », ce qui permet de culpabiliser, de méduser les personnes qui voudraient s'opposer au projet. On ne peut nier que des phénomènes de rejet existent, mais ces suicides sont peut-être aussi dus à la difficulté de vivre l'homosexualité elle-même, qui constitue pour le sujet une contradiction dans son propre corps. Par ailleurs, il est notoire et confirmé par des études que les unions homosexuelles sont beaucoup plus instables que les couples homme-femme. Beaucoup d'homosexuels le disent. Veut-on vraiment ériger ce type d'union et de parentalité artificielle au rang de modèle social ? N'imaginons pas que cette loi serait sans conséquence anthropologique : elle troublerait les plus faibles sur leur propre orientation, elle agirait sur les psychismes des enfants, elle augmenterait considérablement le relativisme et créerait des phénomènes de mimétisme. Le mariage homosexuel agirait donc comme un signal fort déplaçant les repères existants, et c'est bien ce que recherchent ses promoteurs, mais dans quel but ?

     

    Parlant de différence, on me dira que les homosexuels justement sont différents. C'est vrai, et il faut les accepter comme tels. Ils ont une place, qui n'est pas celle des parents. Ils sont féconds autrement. Ils l'ont toujours été, à la mesure de leurs talents particuliers. Il n'y a pas de haine contre l'homosexualité, encore moins contre les personnes homosexuelles, dans un refus argumenté de ce projet, car au contraire, je crois presque évident qu'une telle loi non seulement embrouille la notion de parent mais qu'elle détruit la singularité et pour tout dire la beauté d'une union homosexuelle, à savoir qu'elle est une « amitié particulière », non familiale, unique. Cette loi laide est pleine de ce furieux conformisme de la modernité qui nous veut « tous pareils ». Laissons-nous donc la liberté de dire une fois pour toutes, avant que ce ne soit frappé d'interdit par le nouveau puritanisme planétaire, qu'un couple homme-femme et une union homosexuelle, non, ce n'est pas la même chose ! Notre époque a des formes de négation du réel qui lui sont propres, cette idée du mariage homosexuel en est un exemple beaucoup plus puissant qu'il n'y paraît.

     

    Aimer, c'est autre chose qu'être amoureux. Cela commence précisément par le désenchantement. Comme la pensée, l'amour est la prise en compte du réel, il brise notre toute-puissance pour nous mettre au monde. « Diminuer pour grandir » est le principe qu'on apprend à l'enfant pour l'aider à quitter sa toute-puissance infantile, mais l'adulte doit conserver un tel principe s'il veut avancer dans la vie. En terme spirituel, on appelle cela l'humilité... Comme le clament les partis politiques et les courants philosophiques qui le défendent, ce projet de loi brandit une liberté « affranchie de Dieu comme de la Nature », c'est-à-dire, en fait, de toute métaphysique et de toute réalité pour laisser place à la toute-puissance de la volonté. Ce prométhéisme, loin de tenir ses promesses de liberté, tend à modifier la notion même d'humanité. Si, comme l'affirme Hannah Arendt, l'un des buts et des moyens de la société totalitaire est la négation de la différence, l'idéologie du genre et ses applications dans l'éducation, la procréation et la filiation portent de très graves dangers ; pour tout dire, elle contient des ferments totalitaires.

     

    On pourrait croire que le projet de loi « mariage pour tous » n'a pas de conséquence pour la majorité. En fait, il y va de notre humanité. Outre que toute la société en serait touchée dans ses fondements, les bouleversements bioéthiques que cette loi entraînerait sont incalculables. Nous changerions non seulement de modèle familial, mais de moyen même de procréation, car la disjonction entre l'acte sexuel et la procréation serait consommée. Nous ne le mesurerions pas aussitôt, car cela se passerait à long terme, mais il y a bien un projet anthropologique dissimulé dans ce « mariage ». La France a une tradition éthique qu'elle est en train d'abandonner sous la pression de groupes qui ne représentent absolument pas les personnes. Le mouvement qui se lève contre le projet « mariage pour tous » pourrait sonner l'heure du réveil.

     

     

    Conclusion

     

    L'homme et la femme constituent l'humanité. Même s'il y a des ressemblances, une part de construction culturelle, cette différence essentielle, qui n'est pas que physique, sensible ou psychologique, mais ontologique et mystérieuse, plonge dans nos origines et ne peut être relativisée au-delà d'une certaine limite. L'homme et la femme sont différents, complémentaires, appelés à l'union et à la fécondité. Le projet de mariage homosexuel contient des logiques et des conséquences d'une grave portée. Aucun avantage, aucun intérêt social majeurs n'y sont contenus. Tout y est au contraire contestable, de ses intentions à ses finalités, jusqu'en ses applications concrètes. À moins de croire l'homme et la femme, au-delà de leur égalité de droit, rigoureusement identiques sur tous les plans, et qu'un père et une mère sont exactement la même réalité pour un enfant, il n'y a aucune raison de soutenir un tel projet.

     

    Nous avons, au contraire, quelques raisons fondamentales de nous y opposer de toutes nos forces.

     

    Notes :

     

    I – La logique du projet

    Le projet « mariage pour tous » est d'essence libérale sur deux plans : sa façon de donner à l'individu l'extension maximum de droit, combat souvent attribué à la gauche ; mais aussi la libéralisation économique que cela entraîne, à savoir l'extension illimitée du marché jusqu'à faire des corps et des personnes un objet de commerce ou de négociation, tendance plutôt attribuée à une partie de la droite, dite justement « libérale ». On voit avec ce projet, voulu autant par la gauche gouvernementale que par l'extrême-gauche et une partie de la droite, que, loin de combattre le libéralisme, la gauche sociétale en est à la pointe en éliminant toutes les structures qui modèrent l'idéologie individualiste. « Tout est à nous » fut ainsi la devise d'un rassemblement d'extrême gauche. Parmi leurs revendications, on voit des avancées aussi intéressantes que l''avortement à 24 semaines (soit 6 mois) ; l'euthanasie ; dans un autre domaine, le droit des élèves à partir de la 5ème de choisir leur programme ; la majorité à 16 ans ; sans oublier, bien sûr, d'ouvrir les sols et tous les droits de façon illimitée ; en bref, d'éliminer toutes les frontières symboliques ou réelles. On imagine combien le « Grand Capital » tremble devant de telles revendications, qui sont justement les siennes. Marx lui-même avait prévu cette stratégie révolutionnaire du Capitalisme. Sur les liens historiques de la gauche avec le libéralisme et sur « l'extrême-gauche ultra-libérale », les livres de Jean-Claude Michéa, notamment L'impasse Adam Smith ou L'empire du moindre mal publiés en poche dans la collection Champs-Flammarion, sont renseignés et convaincants. Qui a voulu le projet de loi « mariage pour tous » ? Le groupe de pression LGBT composé d'environ 2000 personnes doit avoir un pouvoir considérable puisqu'il est le seul à avoir milité en sa faveur, en l'absence presque totale de soutien de la part des personnes prétendument concernées, à savoir les homosexuels. En vérité, il y a grande apparence, et elle ne s'en cache pas, que la loge maçonnique du Grand Orient de France, branche humaniste inspirée des « Lumières », de sensibilité de gauche, dont la philosophie peut se résumer à l'idée que l'homme doit déterminer et construire son destin sans aucune considération de la nature ou de la métaphysique, que cette loge, donc, a sinon inspiré, du moins fortement soutenu ce projet, qui est également voulu par des pouvoirs économiques et financiers, comme on le voit à travers l'unanimité des médias en sa faveur ou, plus concrètement, par la prise de position de certaines entreprises dans la publicité ou les dispositions sociales anticipant le projet (par exemple, SFR). Pour finir, on pourrait résumer le phénomène général de ces « évolutions de société » par une dualité étrange mais fort efficace : la toute-puissance de l'individu d'une part, et une force implacable et inéluctable qui serait le sens de l'Histoire d'autre part. Le refus de ce projet est donc aussi un sursaut de la conscience à la fois personnelle et collective contre l'image d'un monde indifférencié et atomisé où n'existent plus que l'individu et la masse aveugle, mais aucun « bien commun », et où il est interdit de contester des « évolutions » qui seraient en somme implacablement naturelles alors même qu'elles reposent sur une négation de toute définition naturelle. Si nous n'y prenons garde, on nous présentera un jour la possibilité d'éliminer les nouveaux-nés comme une avancée des droits et un progrès social.

    II – Qu'est-ce que le mariage ?

    Bien sûr, je ne fais que brosser à gros traits les contours du mariage que nous connaissons. Il existe différents types d'union et d'exercice de l'autorité des adultes envers les enfants ; des formes polygames, tribales, claniques, etc. Il faut lire les anthropologues et les historiens pour avoir une idée de ces divers modèles à travers l'espace et le temps. On dit que Néron, entre deux massacres, se mariait avec un « mignon ». On dit que des catégories de guerriers, dans une tribu insulaire, se mariaient entre eux, peut-être pour éviter des rivalités et contrôler les naissances. Je ne suis pas sûr que ces exemples favorisent la propagande pour le prétendu « mariage pour tous »...

    III – La question de l'égalité

    Il y a deux types d'égalité : celle du droit, à laquelle la plupart d'entre nous sont attachés, et celle de l'indifférenciation. Si tout est égal, il n'y a plus d'être et de distinction. Jusqu'à présent, notre vision repose sur une métaphysique typiquement chrétienne que la tradition républicaine a reprise pour une large part : l'égalité ontologique dans la distinction. Nous sommes à la fois égaux en dignité et uniques. On voit que ces deux principes d'égalité peuvent entrer en conflit. Dans les cas concrets, la plupart des familles qui nous sont présentées comme « homoparentales » viennent d'une séparation. Par exemple, on lit sur le site M6.fr, qu'un homme avait quitté sa femme en lui révélant son homosexualité juste après l'accouchement et s'était aussitôt installé avec son compagnon. Dans ce cas précis, il avait obtenu la garde de l'enfant les jours de semaine, tandis que sa mère le gardait les week-ends. Ces personnes, présentées comme un modèle de famille homoparentale « sans problème », n'obtiendraient pas grand-chose par le nouveau mariage, puisque des délégations parentales sont déjà prévues dans la loi et que pour un certain nombre de questions la mère, bien entendu, reste décisionnaire. Le nombre de ces familles est difficile à évaluer mais, contrairement à ce qu'on dit, le nombre total de personnes concernées, incluant enfants et adultes, ne doit pas dépasser quelques milliers. Il y a donc eu clairement une manipulation répétée dans les médias en nous faisant croire que l'existence de ces familles créait la nécessité d'une nouvelle loi. Cette législation en vérité n'a qu'une seule logique : l'accès pour les unions homosexuelles à la « procréation médicalement assistée » dont la très coûteuse technique (15 000 euros en moyenne) serait bien sûr prise en charge par la Sécurité Sociale. 

    IV – Les conséquences sur la filiation et la procréation 

    On me reprochera d'avoir mêlé la question du projet « mariage pour tous » avec les lois de bioéthique qui seront votées après. Mais c'est une stratégie mensongère que d'avoir dissocié les deux alors qu'elles étaient réunies au départ. La conséquence immédiate et logique du « mariage pour tous » est le projet anthropologique de libéralisation complète des questions de filiation et de procréation. Cela signifie que nous ne devons pas nous contenter de nous mobiliser contre ce projet qui rassemble facilement à cause du symbole du mariage, nous devons rester vigilants sur ces questions bioéthiques, que ce soit d'ailleurs au sujet des homosexuels, des célibataires, ou des couples homme-femme. Il est incontestable que le projet du gouvernement est de faire passer ces nouveautés. Il n'est qu'à entendre sa porte-parole, Mme Najat-Vallaud-Belkacem, qui milite pour la Gestation Pour Autrui (notez l'expression altruiste pour qualifier la pratique de la mère porteuse) et qui veut dissocier complètement filiation et procréation. Pierre Bergé, ex-compagnon de Christian Dior, milliardaire propriétaire du Monde et du magazine Têtu, emblème de la gauche libérale, a quant à lui déclaré : « Je suis pour la liberté complète sur cette question. Je ne vois pas de différence entre louer ses bras dans une usine et louer son ventre ». On dit que certains militent déjà pour une libéralisation complète des techniques de procréation à toute personne qui le désire, célibataire, femme qui refuse de porter elle-même son enfant même si elle est féconde et en couple, etc. Je rappelle que jusqu'à présent ne peut bénéficier d'une insémination artificielle qu'une femme en couple dont la stérilité est médicalement avérée. Il est à noter que, grâce aux progrès scientifiques, l'embryon qui a pour l'instant besoin d'une donneuse pourrait bientôt provenir génétiquement de deux hommes, et peut-être de deux femmes, ce qui ouvre encore une perspective inquiétante pour notre humanité. Parmi les souffrances attachées à l'homosexualité, la première est évidente, c'est l'absence de l'autre sexe ; la seconde, qui en découle, est l'absence de procréation. Or, le mariage homosexuel pourrait entraîner des familles unisexes, comme il en existe déjà, puisque beaucoup de femmes auront tendance à choisir des filles et les hommes des garçons, comme cela se voit déjà. Un reportage montrait une famille de quatre personnes formées de deux mères et de deux filles. L'une des mères, regardant la télévision avec une fille et se plaignant qu'il n'y avait que « des hétéros », se connecta sur une chaîne spécialisée où elles purent voir leurs « semblables »... Nul doute que les personnes homosexuelles ont des qualités, qu'elles seraient en elles-mêmes potentiellement de bons pères ou de bonnes mères, mais comment croire qu'elles pourraient l'être en restant dans le schéma d'une union homosexuelle, qui les prive de la relation fondamentale qui nous rend parent sur le plan biologique mais aussi symbolique ? Sous prétexte d'abolir une discrimination qui n'existe pas à l'égard des homosexuels, on en produit une très grave à l'égard de certains enfants, privés d'une moitié de l'humanité.

    V – La différence éclate au grand jour

    L'homosexualité, même s'il est important de rappeler qu'elle est pour l'essentiel involontaire, constitue une certaine forme de clôture par rapport à l'altérité. Ce n'est pas là un jugement, c'est un fait. La promotion de l'homosexualité au rang de modèle n'est pas secondaire dans ce débat. De peur de blesser les personnes, on refuse de penser l'homosexualité elle-même, devenue intouchable. Au nom de la lutte contre toutes les discriminations, on méduse les gens : ils sont racistes, homophobes, etc, dès qu'ils prononcent un avis contraire à la pensée unique. Or, penser, c'est toujours discriminer, c'est toujours faire une différence. On doit lutter contre les injustices, les inégalités, protéger les gens de l'intolérance et promouvoir une société pacifiée, mais attention à la guimauve qui cache des intentions féroces, attention à ne pas absolutiser le concept de « lutte contre toutes les discriminations » en arme de destruction massive de la pensée ! Si l'on cherche vraiment à comprendre pourquoi on prépare dans l'opinion et on met en œuvre un tel projet, je crois qu'il faut d'abord prendre conscience de sa dimension mondiale : il correspond exactement dans la sphère intime la plus essentielle à la volonté de déraciner, de désincarner toutes les formes d'identité et d'appartenance, nationale, religieuse, culturelle, pour les fondre dans le socle commun du mondialisme. En attaquant la différence sexuelle, on fait un pas de plus vers l'individualisme total. La mondialisation nous oblige à une certaine convergence et à l'effort de paix, mais le mondialisme, lui, est la négation de toutes les différences en vue d'établir un empire idéologique et matérialiste basé sur l'individu, l'argent et la masse. Il y a là un combat dont le « mariage homosexuel » n'est qu'une petite partie...

    Bon vent ! Belles rencontres ! Et vivent nos différences !

     

    Lucien Fornello pour La Vaillante

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  • Synthèse argumentative sur le projet de loi Taubira « mariage pour tous »

    « Le mariage homosexuel est un progrès, il montre que la société a évolué et reconnaît l'amour de tous ». Faux. La société n'a pas à reconnaître les tendances sexuelles ni les sentiments, où cela s'arrêterait-il ? Le mariage n'a pas pour but de reconnaître un amour ou une union, qui sont de l'ordre de la sphère privée, il institue la parentalité, ce qui est fort différent.

     

    « Ça ne change rien si les homosexuels veulent se marier ». Faux. Cela produit de nombreux bouleversements dans la filiation et la procréation artificielle en libéralisant ces domaines. Par ailleurs, il est également faux de dire que les homosexuels veulent se marier. Seuls quelques uns, et encore ultra-minoritaires, le désirent. Il n'est qu'à voir les statistiques du Pacs, presque exclusivement utilisés par des couples homme-femme. Il faut donc chercher les raisons d'un tel projet ailleurs, justement dans cette « bombe libérale » qu'il constitue dans le droit. Les branches paternelle et maternelle de la filiation seraient de fait éliminées et remplacées par deux branches indifférenciées. Seul subsisterait du modèle ancien le chiffre « 2 », mais on peut très bien imaginer qu'on n'en reste pas là et que la filiation soit encore plus libéralisée, vers la polygamie par exemple.

     

    « Le projet de loi ''mariage pour tous'' est une question d'égalité ». Faux. Dans la République française, les personnes sont considérées comme rigoureusement égales, non pas les types de relations, les groupes ou les situations. Un couple homme-femme ne représente pas la même situation qu'une union homosexuelle. Ils doivent donc être traités de manière différente, notamment du fait que l'un constitue une union procréative qui contient l'altérité sexuelle, alors que l'autre, non.

     

    « Le projet de loi donne le mariage à des personnes qui en étaient exclues ». Faux. Nul n'est exclu du mariage. Seulement, il prend en compte la procréation et la filiation sur le plan biologique, ainsi que la paternité et la maternité sur le plan symbolique. Il inclut l'altérité sexuelle par définition. Le projet n'élargit pas le mariage, il en change la nature.

     

    « On peut être pour le ''mariage pour tous'' sans être pour l'adoption et la procréation assistée ». Faux. Le mariage conduit automatiquement à l'adoption. De plus, la procréation assistée a été dissociée in-extremis du projet mais est contenue dans sa logique. Comme on le voit dans les dernières avancées de Mme Taubira, la pratique de la mère porteuse sera reconnue implicitement : quelle différence morale y a-t-il entre l'accepter en France et l'accepter pour les femmes étrangères à travers l'adoption ? De toute façon, la revendication est là et viendra tôt ou tard comme une nouvelle « avancée » au nom de l'égalité.

     

    « Les homosexuels peuvent très bien élever des enfants ». Certes. Nul ne dit qu'ils sont incapables d'élever des enfants, mais la constitution d'une famille ne répond pas qu'à des critères de compétence. Devenir parent, c'est d'abord entrer dans la relation d'altérité entre homme et femme. C'est ainsi qu'est établie la nature, mais c'est aussi le socle de notre construction symbolique en tant qu'humanité. Le mariage homosexuel instituerait le modèle unisexe comme équivalent et égal au modèle père-mère-enfant(s). Est-on bien sûr d'en mesurer la portée ?

     

    « Refuser ce projet, c'est être homophobe ». Faux. Beaucoup d'homosexuels sont contre. On peut le refuser pour des raisons éthiques, pour éviter une souffrance à des êtres dont l'origine serait artificielle (conçus en laboratoire) et éclatée (ils auraient jusqu'à deux mères naturelles qu'ils n'auraient pas le droit de connaître, deux pères dont l'un seulement serait biologique, c'est le cas pour un enfant de mère porteuse : quatre parents, dont deux mères interdites). On peut aussi craindre la marchandisation du corps des femmes et des enfants fabriqués.

     

    « Je suis pour ce projet parce que je suis de gauche ». Ah bon ? Donc nier la différence homme-femme, libéraliser la fabrication des enfants, faire des utérus un commerce, exploser la filiation et accréditer des catégories sexuelles comme des ayants-droit, ce sont des idées de gauche ? Ce projet est ultra-libéral. On a le droit de le défendre, encore faut-il savoir ce qu'on défend ainsi...

     

    Lucien Fornello pour La Vaillante

     

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