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dominique vener

  • L'impasse Dominique Venner

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                         On pouvait apprécier Dominique Venner, historien en marge de la vie intellectuelle française, pour son courage, son honnêteté, son travail, tout en éprouvant une distance vis-à-vis de sa philosophie. C'était mon cas. J'étais depuis un an devenu lecteur assidu de sa Nouvelle Revue d'Histoire, dans laquelle je trouvais certaines références et un angle de vue rafraîchissant par rapport au climat intellectuel français ; toutefois, je ne partageais pas ses idées, notamment politiques et spirituelles. Mais c'est la chance de l'esprit que de se retrouver, par-delà ces différences, dans une recherche de la vérité et du sens. La fin extraordinaire qu'il s'est lui-même choisie éclaire d'un nouveau jour ce fond idéologique et religieux qu'il faut interroger.

      

                La fascination mortifère du passé dans laquelle son milieu politique (la droite nationaliste des années 50 et 60) risquait de se glacer, l'homme l'a sublimée au mieux par son engagement intellectuel à partir des années 70. Ce n'est pourtant pas sans recréer une identité fictive qu'il a élaboré une pensée de la volonté et des origines au parfum un peu allemand : un passé païen mythique dans tous les sens du terme, Heidegger et Nietzsche, l'idée fondamentale que le vouloir et l'être ne font qu'un. L'un des problèmes majeurs de l'intelligence humaine est sa propension à rêver le réel au lieu de le considérer, puis de le penser. Il y avait une part de lumière en Dominique Venner, celle qui, précisément, faisait le deuil de ce lyrisme qu'il sacrifiait au travail d'éclaircissement. Son dernier geste comme ses écrits montrent que la part ténébreuse, qui n'est autre que la part idéologique, l'aura emporté dans cette vie.

     

                Nous vivons un moment à proprement parler apocalyptique, les illusions se défont, la réalité montre ses aspects. L’obscurcissement augmente aujourd'hui avec les chances de le dissiper, par cette montée de l'intensité du temps, comme si le chaos et le dévoilement allaient de pair. Mais Dominique Venner n'est pas mort de la laideur de notre époque, qui pourra bien faire d'autres victimes plus faibles, il s'est laissé gagner par ses propres obscurités. Dans ses derniers messages, il s'inquiétait de l'effondrement spirituel et moral à travers sa contestation de la loi Taubira, mais aussi de la perspective d'une islamisation qui pourrait devenir totale, ce qu'il jugeait d'ailleurs un plus grave danger. Il y a assurément une violence dans le métissage imposé, le système du remplacement, le déracinement obligatoire que nous impose le pouvoir mondial à travers nos élites serviles. La haine de soi, le rejet de la terre, la culpabilisation des origines me sont devenus, comme à d'autres, insupportables ; en cela je comprends l'extrémité de son geste. Mais en vue de quoi a-t-il agi ? Il parle d'un « sacrifice » qui serait une « fondation ». Le suicide pourrait-il être fécond ? Laisse-t-il de l'espace, de la liberté pour nous saisir d'un avenir ? Faut-il faire un culte de ce geste et donc de sa personne, de son œuvre, pour « fonder » un espoir ? Mais de quoi ? Je vois finalement autant de pulsion de mort dans la négation des racines que dans leur exaltation en tant qu'absolu, et, autant je salue l'intellectuel pour son travail d'historien, autant son retour à une « mémoire identitaire » me semble une façon impérieuse de nous placer devant un passé aussi imposé et arbitraire que n'importe quelle idéologie plus triomphante aujourd'hui.

     

                Que dire aux amis, ou simplement aux personnes qui ne sont pas issus directement de cette mémoire européenne, comment proposer un avenir à partir d'un passé d'ailleurs un peu fantasmé ? Venner dénonçait une « métaphysique de l'illimité », le christianisme, destructrice de nos peuples, mais que doit-on dire de sa philosophie ? Si l'immigration massive et la logique du remplacement nous indignent, cela signifie-t-il que nous devons rester « entre soi » et ne pas nous adresser à tous ceux qui, aujourd'hui, vivent, pensent, font la France ? Quelle impasse ! Il ne fallait pas le lire beaucoup pour se rendre compte qu'il avait un compte à régler avec le christianisme, pour ne pas dire une haine à peine feutrée, mais rentrée contre lui. Il lui en voulait de son universalité dissolvante mais quoi, existerait-il un tel dilemme que de choisir entre l'universel et le particulier, les deux ne doivent-ils pas s'articuler dans l'exercice de l'amour ? Il y a plus. On a vu une partie de la blogosphère de droite et des animateurs de Radio Courtoisie, que je salue au passage, perdre un peu la raison devant ce geste inouï, s'empresser de nous dire que ce n'était ni folie ni désespoir, jusqu'à déclarer qu'il s'agissait d'un sacrifice héroïque et prometteur. Je m'inscris en faux.

     

                Il y a des formes de folie froide. L'homme commence ainsi sa lettre : « Je suis sain de corps et d’esprit, et suis comblé d’amour par ma femme et mes enfants. J’aime la vie ». On ne formule que ce qui ne va pas de soi... Se suicider en pleine possession de ses moyens, sans problème affectif, uniquement pour un idéal dont on a vu qu'il n'avait pas de contour précis ni de véritable générosité, relève d'une pathologie grave. Le désespoir, ici, ou la désespérance, sont patents : « C’est en décidant soi-même, en voulant vraiment son destin que l’on est vainqueur du néant. Et il n’y a pas d’échappatoire à cette exigence puisque nous n’avons que cette vie dans laquelle il nous appartient d’être entièrement nous-mêmes ou de n’être rien. » Voilà comment la « volonté » prométhéenne fait une boucle, finit par se détruire, et même par se nier jusqu'à la dérision, parce qu'elle s'est crue tout. Cette conjonction des pulsions de puissance et de mort entre en contradiction, d'ailleurs, avec sa critique de l'individualisme destructeur. Pour être quelque chose plutôt que rien, il faut se suicider devant l'autel de Notre-Dame, tout sacrifier, la vie, l'espoir, l'amour même, à la grandeur du symbole, à ce néant pourtant tant dénoncé. L'acte de Dominique Venner n'a pas de vraie grandeur : il cherche la grandeur – ce n'est pas la même chose. L'homme ose nous dire : « Il faudra certainement des gestes nouveaux, spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences, secouer les consciences anesthésiées et réveiller la mémoire de nos origines. Nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes. » Mais quelle cohérence y a-t-il entre ce suicide infamant pour la vie, profanateur pour l’Église, enfin destructeur de toute symbolique par son extrémisme même – et les ressources de l'identité ou la « fondation » d'un avenir ?

     

                Mes amis, rien n'est bon dans ce geste qui me fait même personnellement relire ce que je sais, ce que j'ai reçu de cet historien honorable en le remettant plus sévèrement en cause que je ne l'aurais fait. Il est des moments de séparation intellectuelle. Certains catholiques de sensibilité traditionaliste, en cette occasion, m'ont paru plus amoureux du sacré que du Christ et de l’Église. Les Évangiles produisent pourtant, à l'avance, une décapante critique du religieux formel et de la fausse grandeur. Rien de bon ne sortira de ce geste. Le lendemain, une « femen » imitait le sacrifié dans une parodie qu'il n'avait que trop méritée. Il aura ouvert une brèche, mais des plus mauvaises : qui font du passage à l'acte un langage et une concurrence. Je n'y vois que de l'orgueil et de la mort. Je veux défendre la vie. Je suis contre le suicide assisté. Contre le suicide-spectacle. Contre le lyrisme ou l'imaginaire qui obnubilent. « Méfiez-vous des faux prophètes, vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » Amis qui aimez la France, qui désirez sa renaissance, oui, il existe un passé que nous devons connaître et chérir mais aussi un avenir à peupler, à conquérir, et c'est au présent, dans le réel, qu'il nous faut avancer avec tous nos frères, même ceux que nous croyons contre nous. « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous haïssent. » Tâchons de ne plus craindre, d'aimer et de convaincre. Et si nous avons besoin d'une boussole et d'un but, d'un horizon et d'un fondement, de racine et de ciel, enfin d'un ordre qui ouvre, ce n'est pas dans les fumées d'un paganisme de la force et de l'identité qu'on le trouvera, c'est dans le Christ et ce qu'il porte de fruits : la paix, l'humilité, la fermeté dans le combat, la charité, le désir de comprendre, la vocation de se donner – la volonté d'aller vers l'autre et le réel.

     

    Lucien Fornello
    pour
    La Vaillante

    le 24 mai 2013