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transmission - Page 2

  • "Le genre en images" : Quelle société voulons-nous pour nos enfants ? Le livret VigiGender est arrivé !

    théorie du genre, VigiGender, éducation, transmission

     

    LIVRET

    "LE GENRE EN IMAGES"

    © VigiGender

    vigi-gender.fr

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  • L'offrande intégrale de soi - Édith Stein & Etty Hillesum

    L'encielement Édith & Etty 9.jpg« Nous avons vécu une journée étrange, écrit Etty Hillesum dans ses Lettres de Westerbork[1], lorsqu'un transport nous amena des catholiques juifs ou des juifs catholiques – comme on voudra – nonnes et moines portant l'étoile jaune sur leur habit conventuel. Je me rappelle deux garçons, jumeaux dont le beau visage brun évoquait le ghetto et qui, le regard plein d'une sérénité enfantine sous leur capuce, racontaient aimablement – tout au plus un peu étonnés – qu'on était venu à quatre heures et demie les arracher à l'office du matin et qu'à Amersfoort on leur avait donné du chou rouge […] Et, dominant le tout, le crépitement ininterrompu d'une batterie de machines à écrire : la mitraille de la bureaucratie […] Plus tard, quelqu'un m'a raconté que le soir même il avait vu un groupe de religieux s'avancer dans la pénombre entre deux baraques obscures en disant leur chapelet, aussi imperturbables que s'ils avaient défilé dans le cloître de leur abbaye. » [2]

    Elle ajoute, dans un passage non publié en français de son journal : « [Rencontré aussi] deux religieuses, appartenant à une famille juive très orthodoxe, riche et très cultivée de Breslau, avec l'étoile jaune cousue sur leur habit monastique. Les voilà qui retrouvent leurs souvenirs de jeunesse. »[3]

     

    C'est ainsi que, peut-être l'instant d'un enregistrement administratif ou d'une brève conversation, Etty Hillesum et Edith Stein se sont croisées. Ce mince événement a une portée symbolique. Il en va ici comme de ces morceaux brisés des tessères antiques dont la réunion, sumbolon, dessinait une figure déchiffrable et permettait une reconnaissance entre les hôtes d'un jour, ou les partenaires d'une alliance. La rencontre fugitive et anonyme de ces deux femmes, héritières chacune du mystère d'Israël, dans un des lieux du déni le plus radical qui ait jamais été opposé à ce mystère, dessine elle aussi, de manière discrète mais décisive, une figure significative. Car Etty et Edith, deux brillantes figures de la culture européenne, dont l'une partait comme infirmière dans un hôpital militaire, en 14, avec les Ideen de Husserl et l'Odyssée d'Homère en poche[4], et dont l'autre arrive à Westerbork avec Rilke et Tolstoï dans son sac à dos, vont, chacune à sa manière, se dresser contre la logique de mensonge et de mort du nazisme avant d'en être les victimes. Elles ne le font pas par l'argumentation, ni par la résistance armée. Car la défense des réalités que le nazisme attaquait de plein fouet, la vérité et la vie, ne relève en dernière instance ni de l'argumentation, ni de la force. Elle relève de l'attestation. Attestation qui est plutôt, pour Edith, celle d'un indéfectible amour de la vérité, et pour Etty celle d'un non moins indéfectible amour de la vie. Mais à Westerbork, les témoignages que nous avons sur l'une et sur l'autre manifestent la convergence de ces deux voies dans l'humble amour du prochain.

     

    La lumière de la Croix

    L'enciellement Édith & Etty.jpgLa psychologie fut un des premiers intérêts d'Edith. Mais, après quatre semestres à l'université de Breslau, elle déchanta : « C'était dès le début une erreur de songer à faire un travail en psychologie. Toutes mes études en psychologie m'avaient seulement convaincue que cette science en était encore à ses premiers balbutiements […] Et si ce que j'avais appris jusque là sur la phénoménologie me fascinait tellement, c'était parce qu'elle consistait spécifiquement en ce travail de clarification et qu'on y forgeait soi-même dès le début les outils intellectuels dont on avait besoin. »[5] Exigence de fondation, exigence d'autonomie dans le discernement intellectuel : Edith a vingt ans, mais déjà elle est intellectuellement équipée contre toute espèce de dérive idéologique de la pensée, si l'idéologie commence avec le déguisement des présupposés en raisons, et l'abdication du jugement personnel. Commence alors un itinéraire qui, d’étape en étape, transfigure pour elle et en elle les termes de science et de vérité. C'est d'abord la rencontre avec « la phénoménologie comme science rigoureuse », en un sens nouveau du terme de science, faisant droit à l’esprit comme esprit et à l'âme comme âme. Mais l'attention du phénoménologue à l'expérience religieuse, dont les cours de Max Scheler lui révèlent l'importance, n’est pas encore la foi. De manière significative, celle-ci commence pour Edith avec la découverte de la Croix lorsque Anna Reinach, une amie protestante, vit avec sérénité la mort de son mari au front.  « Ce fut ma première rencontre avec la Croix, avec cette force divine qu’elle confère à ceux qui la portent. Pour la première fois, l’Eglise, née de la Passion du Christ et victorieuse de la mort, m’apparut visiblement. »[6] Edith est alors prête à accueillir la vérité chrétienne, et le jour où elle ouvre, en 1921, la Vie par elle-même de Thérèse d’Avila, sa longue quête prend fin. « C'est la vérité », se dit-elle en refermant le livre.

    C’est cette exigence d'aller « jusqu'au fondement », un fondement qui a pris pour elle un jour et définitivement les traits du Crucifié, et ne se touche que dans la prière, qui commande son herméneutique des violences nazies, dès 1933, en termes d'actualisation du mystère de la Croix dans le présent de l'histoire. Six ans plus tard, le dimanche de la Passion 1939, elle adresse un billet à sa mère prieure, à Echt : « Chère Mère, permettez-moi de m'offrir au Cœur de Jésus en sacrifice d'expiation pour la vraie paix : que le règne de l'Antéchrist s'effondre, si possible sans une nouvelle guerre mondiale, et qu'un ordre nouveau soit établi. Je voudrais m'offrir aujourd'hui même, parce que l'on est à la douzième heure... »[7] L'unité indéchirable de cette interprétation christologique des événements et de l'offrande intégrale de soi constitue « la science de la Croix », titre du livre auquel elle travaillait encore le jour de son arrestation. L'expression fait écho au logos tou staurou paulinien, cette « folie pour les païens » qui vient directement contredire la logique de puissance qui régnait sur l'Europe d'alors. Dans l’introduction de ce livre, Edith s’explique sur la nouvelle signification du mot « science » qui le fait passer cette fois du registre phénoménologique au registre théologal : « Lorsque nous parlons de la science de la Croix, il ne faut pas entendre cette expression selon son sens habituel […]. Il s’agit d’une vérité vivante, réelle et active. Cette vérité est enfouie dans l’âme à la manière d’un grain de blé qui pousse ses racines et croît. Elle marque l’âme d’une manière spéciale […] à tel point que cette âme rayonne au dehors. »[8]

    C'est bien ce qui est advenu : à Westerbork ; la « science de la Croix » n'est plus seulement pour Edith une vérité contemplée et consentie à l'intime de l'âme, mais la réalité même dans laquelle elle est immergée, et qui rayonne de sa personne : « La grande différence entre Edith Stein et les autres sœurs était dans son silence… elle donnait l'impression d'avoir à traîner une telle masse de souffrances que, même quand parfois elle souriait, c'était encore plus attristant… elle pensait à la souffrance qu'elle prévoyait, pas à sa propre souffrance, elle était pour cela trop paisible, mais elle pensait à la souffrance qui attendait les autres. Tout son extérieur éveillait chez moi encore une pensée, quand je me la représente en esprit assise dans la baraque : une Pietà sans Christ. »[9] Mystère douloureux, qu'il ne faut toutefois pas séparer de sa face lumineuse, jusque dans l'enfer du camp de transit : « La seule religieuse qui m'ait aussitôt impressionné et que – malgré les abominables épisodes dont je fus le témoin – je n'ai jamais pu oublier, c'était cette femme avec son sourire, qui n'était pas un masque, mais qui se levait comme un rayon de soleil… cette femme assez âgée, qui donnait une telle impression de jeunesse, qui était si entière, si vraie, si authentique… »[10] Il est significatif que, sous la plume de ce témoin, ce soient les termes de jeunesse, de vérité et d'authenticité qui viennent : démenti existentiel au mystère d'iniquité, mystère de mort et de mensonge. Un autre témoignage souligne qu'elle consacrait son temps à s'occuper des enfants : « Beaucoup de mères paraissaient tombées dans une sorte de prostration, voisine de la folie ; elles restaient là à gémir comme hébétées, délaissant leurs enfants. Sœur Bénédicte s'occupa des petits enfants, elle les lava, les peigna, leur procura la nourriture et les soins indispensables. »[11] La « science de la croix » rayonnait en humble amour de service.

     

    Le pain et le baume

    L'encielement Édith & Etty 6.jpgQuand Etty Hillesum, en mars 41, s'adresse au psychologue Julius Spier, elle est tout simplement en quête d'elle-même. Le journal qu'elle tient à partir de cette rencontre témoigne d'une personnalité vibrante, sensuelle, généreuse et possessive à la fois, surtout étonnamment lucide sur elle-même et sur les autres. Elle est partagée entre un puissant appétit de vivre et de grands passages à vide : « J'ai reçu assez de dons intellectuels pour pouvoir tout sonder, tout aborder, tout saisir en formules claires ; on me croit supérieurement informée de bien des problèmes de la vie ; pourtant là, tout au fond de moi, il y a une pelote agglutinée, quelque chose me retient dans une poigne de fer, et toute ma clarté de pensée ne m'empêche pas d'être bien souvent une pauvre godiche peureuse », écrit-elle à la première page de son journal[12]. Elle évoque un peu plus loin une « occlusion de l'âme ». Dans les cent premières pages, la guerre est simplement l'arrière plan de l'aventure intérieure qui se déroule à travers sa relation avec Julius Spier jusqu'à la mort de ce dernier en septembre 42. Relation complexe, faite de part et d'autre d'un puissant attrait physique et de séduction intellectuelle, mais aussi éveillant chez Etty une quête spirituelle d'abord confuse, puis de plus en plus explicite.

    Le fil conducteur de cette quête pourrait être la lente transmutation de l'amour de la vie qui s'opère au fil des pages et des événements : d'abord spontanéité instinctive d'une personnalité qui se définit elle-même comme douée d'« un fort tempérament érotique », et ayant « un fort besoin de caresses et de tendresse »[13], cet amour de la vie, confronté à la violence dont on voit monter inexorablement la menace, prend peu à peu une tout autre profondeur. Peut-être n'est-il au commencement qu'un sentiment de sécurité au cœur de l'orage qui monte : « Comme c'est étrange ! c'est la guerre. Il y a des camps de concentration […]. Et pourtant, quand je cesse d'être sur mes gardes pour m'abandonner à moi-même, me voilà tout à coup reposant contre la poitrine nue de la vie, et ses bras qui m'enlacent sont si doux et si protecteurs […]. Tel est une fois pour toutes mon sentiment de la vie, et je crois qu'aucune guerre au monde, aucune cruauté humaine si absurde soit-elle n'y pourra rien changer. »[14] Mais plus la guerre rattrape Etty, la conduisant de sa situation somme toute confortable de jeune intellectuelle émancipée d'Amsterdam à celle de fonctionnaire à Westerbork, plus revient, comme un refrain de plus en plus intérieur à la situation dans laquelle elle est prise, l'affirmation de la bonté de la vie : « par essence la vie est bonne, et si elle prend parfois de si mauvais chemins, ce n'est pas la faute de Dieu, mais la nôtre. Cela reste mon dernier mot, même maintenant, même si on m'envoie en Pologne avec toute ma famille. »[15] Quelques lignes plus loin, le secret de cet amour purifié et pacifié de la vie est livré : « C'est curieux, depuis ce dernier transport de rafle, je n'ai plus faim, plus sommeil, plus rien, et pourtant je me sens très bien, on concentre à tel point son attention sur les autres que l'on s'oublie soi-même et c'est fort bien ainsi. »[16] Et encore : « Oui, la détresse est grande, et pourtant […] je sens monter de mon cœur – je n'y puis rien, c'est ainsi, cela vient d'une force élémentaire – la même incantation : la vie est une chose merveilleuse et grande, après la guerre nous aurons à construire un monde entièrement nouveau et, à chaque nouvelle exaction, à chaque nouvelle cruauté, nous devrons opposer un petit supplément d'amour et de bonté. »[17]

    Ce « petit supplément d'amour et de bonté », Etty ne pourra le livrer au monde après la guerre. Mais elle le prodigue à Westerbork. Dans une de ses dernières lettres, en date du 21 août 43, qui évoque de manière bouleversante le départ d'un convoi, et où elle affirme : « cette nuit, j'ai été en enfer », toute sa compassion va aux enfants et ce sont eux qui occupent l'essentiel de son regard, de son récit : « les gémissements des nouveau-nés s'enflent, ils remplissent les moindres recoins, les moindres fentes de cette baraque à l'éclairage fantomatique ; c'en est presque intenable. Un nom me monte aux lèvres : Hérode. »[18] Celle-là même qui, au début de son journal, se découvrant enceinte, n'avait pas hésité à supprimer la vie qu'elle portait en elle, a maintenant sur les enfants qui vont mourir le regard de l'Évangile. En octobre 42, dans la dernière page de son journal, elle écrit : « J'ai rompu mon corps comme le pain et l'ai partagé entre les hommes. Et pourquoi pas ? Car ils étaient affamés et sortaient de longues privations. » Et, aux dernières lignes du texte : « On voudrait être un baume versé sur tant de plaies. »[19] Le pain, le baume : deux signifiants fondamentaux de l'entretien de la vie, de la vie affamée et nourrie, de la vie blessée et guérie. Deux signes sacramentels du salut. Au terme du chemin, Etty est descendue assez profondément dans le mystère de la beauté et du don de la vie pour en entrevoir, du dedans, la portée sacramentelle ultime, inséparable de l'amour en actes.

    Ainsi se sont rejoints le combat d'Edith contre la dérive utilitariste et fonctionnaliste de la vérité dans l'idéologie nazie, et le combat d'Etty contre la caricature instinctuelle et violente de la vie, expression de la culture de mort dans laquelle cette idéologie enfermait l'Europe. Et c'est pourquoi leur rencontre fugitive porte un sens qui la dépasse : maintenir l'alliance de la vérité et de la vie, qui fait la vie de l'esprit, contre toutes les forces qui s'y opposent, c'est témoigner de la victoire de l'esprit là même où il paraît réduit à sa plus grande impuissance. C'est vaincre, de l'intérieur et à la source, la tentation nihiliste. À la déclaration d'Edith, rapportée par le P. Hirschmann : « Jamais dans le monde la haine ne doit avoir le dernier mot »[20], fait écho la formule d'Etty : « Soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu'il n'est déjà. »[21]

     

    L'urgence du témoignage

    L'encielement Édith & Etty 010.jpgMais il y a un second niveau de lecture. Edith et Etty étaient juives l'une et l'autre. Elles ont eu une jeunesse peu ou pas pratiquante. Edith, malgré la grande piété de sa mère, ne fréquente plus la synagogue après ses quatorze ans. Etty n'a quant à elle reçu aucune formation religieuse, et ne découvre réellement la Bible que sur le conseil de Julius Spier. Aucune des deux n'est donc à proprement parler une convertie du judaïsme. Mais l'une et l'autre font, à partir de ce fonds areligieux, un chemin spirituel qui conduit Edith au baptême et au carmel, et Etty à une intense vie de relation à Dieu, sans référence dogmatique ni appartenance synagogale ou ecclésiale. Dans l'enfer de Westerbork, c'est le Bréviaire pour Edith, la Bible pour Etty, qui sont leur source de paix et de force. Faut-il en conclure que l'une et l'autre, la première par sa conversion, la seconde par son absence de toute pratique, n'ont rien à voir avec le mystère d'Israël ? Leur rencontre nous conduit peut-être au contraire au cœur de ce mystère auquel elles ont été l'une et l'autre, de manière paradoxale au premier regard, profondément fidèles. Mais cette fidélité a pris deux chemins et deux visages en elles comme dans notre histoire, l'une ayant rencontré et confessant explicitement le Christ, l'autre non. Saint Paul nous donne à penser, dans sa Lettre aux Romains, que c'est seulement à la fin des temps, à l'heure de la miséricorde de Dieu, que ces deux fidélités se fondront en une seule et que ces deux chemins convergeront. C'est pourquoi la rencontre d'Edith et d'Etty, jusque dans son caractère à peine ébauché, est non seulement symbolique, mais prophétique : elle anticipe sur cette heure-là, à distance, sans qu'elles aient pu prononcer ensemble le nom du Christ, un nom qu'Etty ne cite pratiquement jamais, même si elle se nourrit de l'Évangile[22]. Leur rencontre anticipe cette heure au moment et dans les lieux mêmes où l'idéologie nazie entendait précisément « éradiquer » Israël, et par là priver l'Église, greffée sur l'olivier franc, des racines de sa propre existence, et priver l'histoire humaine de son enracinement surnaturel[23].

             En ce qui concerne Etty, si on relit les textes dans cette perspective, il me semble qu'on peut la considérer, quoique détachée de la pratique cultuelle du judaïsme, comme une authentique fille d'Israël, en qui s'exprime et s'accomplit quelque chose d'essentiel à la vocation spirituelle de son peuple : la mission du témoin. Dès son journal, et de manière intense dans ses lettres, revient cette urgence du témoignage. Au début, elle exprime simplement le besoin et le désir d'écrire, tout en sentant bien que cela exige de sa part un engagement qu'elle ne peut encore pleinement assumer : « En moi certaines choses prennent bel et bien une forme, une forme de plus en plus nette, concentrée et tangible – et pourtant il n'y a encore rien à saisir, comment est-ce possible ? J'ai l'impression d'abriter un grand atelier où on travaille dur, où l'on martèle, taille, etc. »[24] Puis, quand se resserre l'étau, elle comprend que l'écriture n'est pas seulement une manière de se donner forme à elle-même, mais bien de témoigner pour l'histoire : « Je devrais brandir ce frêle stylo comme un marteau, et les mots devraient être autant de coups de maillet pour parler de notre destinée et pour raconter un épisode de notre histoire comme il n'y en a encore jamais eu […] Il faudra bien tout de même quelques survivants pour se faire un jour les chroniqueurs de cette époque. J'aimerais être, modestement, un d'entre eux. »[25] Et plus profondément encore, au-delà de la chronique, au-delà du travail du style, il s'agit pour elle de se faire pur témoin réceptif et attentif de la vie contre la mort, de la bonté contre la brutalité des hommes : « Je n'ai qu'à attendre patiemment que lèvent en moi les mots qui porteront le témoignage que je crois devoir porter, mon Dieu : qu'il est beau et bon de vivre dans ton monde, en dépit de ce que nous autres humains nous infligeons mutuellement. » C'est au terme de ces lignes qu'elle se désigne comme « le cœur pensant de la baraque. »[26]

             Et, de fait, nous trouvons dans ce « cœur pensant » un bouleversant témoignage des expériences spirituelles que le peuple d'Israël a connues et qui constituent son identité la plus profonde : d'abord l'expérience de cette beauté et bonté du monde, qui nous reconduit aux premières pages de la Genèse, rédigées dans le contexte de l'Exil, et fait retentir, au plus noir de la défiguration de la création de Dieu, l'écho de la bénédiction originelle. Puis l'expérience de la progressive dépossession de toutes les assurances, de tous les biens, pour le départ, d'abord vers Westerbork, puis vers une destination inconnue : expérience d'exode et d'exil, au terme de laquelle, dans le dernier billet qu'elle jette du train qui la mène vers Auschwitz, « assise sur (son) sac à dos, au milieu d'un wagon de marchandises bondé », elle peut écrire : « Christine, j'ouvre la Bible au hasard et trouve ceci : « Le Seigneur est ma chambre haute. »[27] C'est aussi, et presque dès le début du Journal, l'expérience d'une proximité intérieure de Dieu, contraignant « la fille qui ne savait pas s'agenouiller » à se jeter à genoux et à rencontrer, au cœur d'elle-même, ce buisson ardent de l'Exode où s'atteste la Présence. Et c'est surtout, authentifiant tout le reste, l'exigence éthique du service du malheureux, l'enfant, le vieillard, le malade, dans ces pages où se laissent entendre, c'est à dire mettre en pratique, la grande voix du Décalogue et l'appel des prophètes.

             Or c'est précisément cette présence de Dieu et cette Loi d'Israël que le nazisme a voulu extirper de la terre[28]. Comment les invalider mieux qu'en « supprimant les témoins »: le peuple juif, témoin, par vocation, de la transcendance de Dieu et de la conscience humaine, témoin de l'image de Dieu jusque dans le plus défiguré des hommes, témoin d'une Promesse donnant sens à l'Histoire jusque dans ses nuits les plus obscures. Etty écrit qu'elle n'a pas l'âme d'une révolutionnaire. Face au déni nazi de la vocation d'Israël, elle a été plus et mieux qu'une révolutionnaire : un témoin, et elle a mis au service de ce témoignage non seulement sa lucidité et son talent littéraire, mais son choix de rester à Westerbork et d'épouser jusqu'au bout la destinée de son peuple.

     

    « Nous allons pour notre peuple »

    L'encielement Édith & Etty 3.jpgC'est le même choix qu'a fait Edith. Elle l'a fait à partir d'une autre situation spirituelle, celle d'une chrétienne qui a redécouvert, du dedans de son baptême, le sens de l'élection d'Israël et la grâce d'y être charnellement rattachée : « Vous ne pouvez imaginer, écrit-elle, ce que cela signifie pour moi d'être une fille du peuple élu. C'est appartenir au Christ non seulement par l'esprit mais par le sang. »[29] Appartenance à la fois heureuse et crucifiante, qui fait d'elle un témoin, dans sa propre chair, de la rencontre aimante et douloureuse du Christ et de son peuple. Elle l'est dans son identité propre de juive devenue chrétienne : elle a souffert de l'incompréhension de sa mère très aimée devant sa conversion, elle a souffert du silence de son Église devant la persécution. Elle l'est dans sa consécration au Carmel, vécue comme une offrande de communion, au pied de la croix, avec la souffrance de son peuple. Elle a su – de la scientia Crucis – que la seule victoire qu'elle pouvait remporter sur la haine déferlante était de s'asseoir à la table des victimes, en sacrifice d'expiation. On peut trouver que sa théologie de l'expiation porte la marque d'un temps ; mais il faut remarquer que, dans un contexte où beaucoup considéraient le peuple juif comme responsable de la mort du Christ, Edith, elle, devant le mystère de la croix, l'assimile à la victime : « cette persécution est une persécution de la nature humaine du Christ. »[30] Enfin, sa mort, en tant que juive et en tant que chrétienne, arrêtée parce que juive, mais en représailles d'un acte de courage chrétien de la part de l'Église, accomplit jusqu'à l'extrême cette double appartenance, ou plutôt cette unique identité scellée par la Croix. Lorsque, au moment où elle quitte le carmel d'Echt sous escorte policière, elle dit à sa sœur Rosa : « Viens, nous allons pour notre peuple », ce peuple – son peuple - est indissociablement le peuple allemand dont elle est membre, et qu'elle voit livré au paganisme nazi, le peuple d'Israël dont elle est issue et dont elle va partager, dans sa chair, le sort, et le peuple nouveau sur lequel l'a greffée son baptême : l'Église.

     

    Un buisson ardent au désert

    L'encielement Édith & Etty 4.jpgEt c'est peut-être ici, au cœur de leur plus grande différence apparente, que nous pouvons voir se rejoindre les deux itinéraires d'Etty et d'Edith, comme une sorte d'attestation concrète de cette unité qu'opère secrètement, sans l'imposer ni la forcer, la Croix du Christ au foyer de l'Histoire. Comme l'a relevé Philibert Secrétan[31], il y a une étonnante convergence entre un texte d'Edith, écrit à l'intention de ses sœurs le 14 septembre 1941, et un passage du journal d'Etty. De part et d'autre, c'est la même conviction : la profondeur intérieure de la personne, l'âme, est demeure de Dieu, gardée par Dieu, quelles que soient les circonstances extérieures. Edith écrit : « Nous nous sommes engagées à la clôture, et nous le faisons de nouveau à chaque renouvellement de nos vœux. Mais Dieu ne s’est pas engagé à nous laisser toujours entre les murs de la clôture. Il n’en a pas besoin, car il dispose d’autres murs pour nous protéger […] Serions-nous même jetées à la rue, le Seigneur enverrait alors ses anges camper autour de nous, et leur vol invisible entourerait nos âmes d'une clôture plus sûre que les murs les plus hauts et les plus solides. »[32] Le 18 mai 42, Etty écrit pour sa part : « J'élève la prière autour de moi comme un mur protecteur plein d'ombre propice, je me retire dans la prière comme dans la cellule d'un couvent et j'en ressors plus concentrée plus forte, plus « ramassée ». »[33] C'est ainsi que, de Cologne à Echt et de Westerbork à Auschwitz pour l'une, d'Amsterdam à Westerbork et à Auschwitz pour l'autre, Edith et Etty ont vécu, dans toute sa dramatique profondeur, l’expérience constitutive de l’Exil : la ruine et la disparition de toutes les médiations qui incarnent habituellement la fidélité à Dieu, jusqu'à n’avoir plus, pour « donner corps » à cette fidélité, que leur propre corps à donner. Mais aussi, dans cet extrême dénuement, l'expérience nue et intense de la Présence, comme un buisson ardent dans le désert. Nous ne pouvons les rejoindre en ce lieu intime, ce saint des saints où chacune poursuivait avec son Seigneur un dialogue qu'aucune circonstance extérieure n'a pu briser. Nous pouvons seulement suggérer que, dans ce dialogue secret, chacune a été fidèle à la mission d'Israël, le peuple où Dieu a choisi d'établir sa résidence.

    Pour Edith, qui écrit de Westerbork : « Jusqu'à présent j'ai pu prier magnifiquement »[34], c'était expérimenter jusqu’en sa propre chair l’alliance nouvelle et éternelle, promise à Israël depuis l’Exil et scellée sur la Croix : habiter, où que ce fut, le Temple indestructible, car non fait de main d’homme, qui est en chacun de nous la demeure du Dieu Vivant à l’intime de notre liberté. Quant à Etty, on peut peut-être déchiffrer dans cette expérience de l'agenouillement intérieur, hors toute médiation cultuelle, l'écho de ces situations extrêmes où, dans le dépouillement total, le cœur de l'Alliance – « Je serai avec vous », « Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » - se met à battre de manière plus sensible dans l'histoire. Etty écrit le 10 octobre 42 : « Si les turbulences sont trop fortes, si je ne sais plus comment m'en sortir, il me restera toujours deux mains à joindre et un genou à fléchir. C'est un geste que nous ne nous sommes pas transmis de génération en génération, nous autres juifs. J'ai eu du mal à l'apprendre. »[35] Ce qu'elle n'avait pas reçu de sa famille – cet agenouillement intérieur et extérieur devant le Saint, cette adoration « en esprit et en vérité », - Etty l'a retrouvé pour ne plus le perdre.

    Peut-être peut-on alors risquer, avec beaucoup de respect, un dernier pas vers la rencontre de ces deux femmes. L'une et l'autre auraient peut-être pu échapper au sort qui les attendait. Il eût fallu qu'Edith se désolidarisât de Rose, sa sœur, ce qui lui aurait sans doute permis de trouver refuge en Suisse. Il eût fallu qu'Etty se désolidarisât de sa famille, ce qui lui aurait sans doute permis de retourner à Amsterdam. Elles ne l'ont pas fait. Elles ont choisi d'aimer jusqu'à l'extrême, au prix de leur propre vie. Elles ont mis cet amour en actes, humblement, en s'occupant des enfants et de ceux dont la détresse criait vers elles. Elles ont témoigné que l'union à Dieu et le service du prochain sont une seule et même grâce. Le 27 février 42, Etty recopie dans son journal quelques versets de l'hymne à la charité de saint Paul, et ajoute : « Tandis que je lisais ce texte, que se passait-il en moi ? […] J'avais l'impression qu'une baguette de sourcier venait frapper la surface durcie de mon cœur et en faisait aussitôt jaillir des sources cachées. »[36] Des « sources cachées » : c'est exactement la même expression qui vient sous la plume d'Edith lorsqu'elle médite sur la mission des âmes contemplatives, qui est aussi la sienne, dans le bouleversement de l'histoire : « Notre temps se voit de plus en plus obligé, quand tout le reste a échoué, de placer son dernier espoir de salut en ces sources cachées. »[37]

    De ces « sources cachées » – ou plutôt, de la Source cachée dont elles émanent - Edith, à la suite de saint Jean de la Croix, a su l'origine.

    Bien que ce fût de nuit.

     

    Capture d’écran 2015-12-08 à 12.38.22.png

    Marguerite Léna
    Communauté Saint-François-Xavier

     

     

    Titre initial :
    La trace d’une rencontre
    Edith Stein et Etty Hillesum

    Publié dans la revue Études, juillet 2004


    Photos :
    Vidéogrammes de 
    Enciellement Édith Etty

     

     

    [1] Cf. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork, traduites du néerlandais et annotées par Philippe Noble, Points / Seuil 1995. Etty était venue à Westerbork en tant que membre du Conseil juif, chargé par l’occupant de l’administration interne de ce camp de transit vers les camps d’extermination. Elle s'occupe entre autres de l'enregistrement des arrivants. Elle sera elle-même déportée et mourra à Auschwitz le 30 novembre 43.

    [2] Op. cit. p. 260.

    [3] Cité par le P. Lebeau, Etty Hillesum, un itinéraire spirituel, Editions Fidélité, Namur, et Editions Racine, Bruxelles, 1998, p. 177. Ces « deux religieuses » sont Edith Stein, Sœur Thérèse Bénédicte de la Croix, et sa sœur Rosa, arrêtées au carmel d’Echt le 3 août 1942, en représailles du courageux mandement des évêques hollandais contre les persécutions antisémites. Elles meurent à Auschwitz le 9 août 1942. Edith Stein a été canonisée par le pape Jean-Paul II le 11 octobre 98. Etty fait erreur sur Rosa Stein, qui n'était pas carmélite, mais avait été accueillie par la communauté du carmel d'Echt.

    [4] Cf. E. Stein, Vie d'une famille juive, p. 399.

    [5] Edith Stein, Vie d'une famille juive, Ad Solem/ Cerf, p. 261.

    [6] Elisabeth de Miribel, Comme l'or purifié par le feu, Edith Stein (1891-1942), Plon, 1984, p. 61.

    [7] Edith Stein, billet du 26 mars 1939 à mère Ottilia Thannisch, prieure du carmel d'Echt, cité in Edith Stein, Source cachée, Cerf 1999.

    [8] Edith Stein, La Science de la Croix, Nauwelaerts, Louvain, 1957, p. 3-4.

    [9] Cité par B. Dupuy, id. p. 286.

    [10] Id. p. 287.

    [11] Cité par Elisabeth de Miribel, op.cit. p. 213-214.

    [12] Op. cit. p. 9.

    [13] Id. p. 66.

    [14] Id. p. 119.

    [15] Id. p. 282.

    [16] Id. p. 283.

    [17] Id. p. 288.

    [18] Id. p. 328.

    [19] Id. p. 245-246.

    [20] Cité par B. Dupuy, op.cit. p. 262.

    [21] Id. p. 218.

    [22] C'est ainsi qu'elle répond au vieux communiste Klaas qui s'étonne de son refus de la haine et y voit « un retour au christianisme » : « - Mais oui, le christianisme : pourquoi pas ? » (p. 218).

    [23] Cf Jean Dujardin, L'Église catholique et le peuple juif, Calmann-Lévy, 2003.

    [24] Id. p. 125-126.

    [25] Id. p. 168.

    [26] Id. p. 201-202.

    [27] Id. p. 344.

    [28] Le P. Dujardin le met en lumière de manière décisive et cite à ce propos une parole d'Hitler rapportée par Rauschning : « Les tables du Sinaï ont perdu toute validité. La conscience est une invention des juifs. Elle est l'équivalent d'une circoncision, d'une amputation de l'être humain. » op. cit. p. 47.

    [29] Cf. Cécile Rastoin, Edith Stein et le mystère d'Israël, Ad Solem, 1998, p. 97, note 9.

    [30] Cf. Vie d'une famille juive, p. 589, note 12.

    [31] Philibert Secrétan, « Trois juives dominées par la croix, Edith Stein, Etty Hillesum, Simone Weil », Choisir, mars 99, p. 5-11.

    [32] « Exaltation de la Croix, 14 septembre 1941 », in Source Cachée, p. 277-278.

    [33] p. 116.

    [34] Lettre du 6 août 1942 à Mère Ambrosia Antonia Engelmann, prieure du Carmel d'Echt. Cité par E. de Miribel, op cit. p. 215.

    [35] p. 242.

    [36] Cité par P. Lebeau, id. p. 65 (passage non repris dans l'édition française du Journal).

    [37] Source cachée est le titre choisi pour l’édition française des Œuvres spirituelles d’Edith Stein, Cerf 1999. La citation retenue ici figure p. 69.

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  • Du nécessaire don de soi - de sa beauté

    1.jpg         À priori, le bon sens nous indique qu’une bonne politique économique devrait avoir pour objectif le développement harmonieux des familles. Pourquoi cette intention n’est elle pas audible ? Au contraire, les mêmes pertes de confiance, les mêmes peurs de « se faire avoir », semblent aujourd’hui brider l’engagement pour construire une famille et devenir entrepreneur ou acteur de la vie économique.

             La doctrine sociale de l’Église nous fait découvrir qu’il n’y a pas de famille sans vérité de l’amour et qu’il n’y a pas de vérité de l’amour sans don de soi. L’éros appelle l’agapè. De même, en matière de politique économique, l’exclusion du don et de la gratuité dans les échanges pour ne rechercher que le profit matériel et financier à tout prix aboutit à la crise annoncée que nous connaissons.

             Il y a une dynamique commune au développement de la famille et à celui d’une politique économique, c’est celle du don et du don de soi qui seule peut fonder la confiance. Mais cette dynamique elle-même a pour première cause la gratitude. Car non seulement il faut donner, mais il faut accepter de recevoir et donc accepter d’être conscient de ce que l’on doit. La famille est la première école du don car elle est l’école de la gratitude pour les dons reçus sans compter et sans aucun mérite.

    2.jpg         Au cœur de la famille se vit la première expérience de l’usage de toutes les richesses qui répondent aux besoins réels de l’homme et dont chacun est appelé à être le ministre de la communication universelle. C’est dans la famille que se vit d’abord la possibilité de transformation de « l’avoir » en « être davantage ». C’est donc dans la famille que s’apprend d’abord la création et l’échange des richesses qui sont l’enjeu d’une politique économique au service de tout l’homme et de tous les hommes et donc de la famille.

             Les missions, naturelles et surnaturelles, de la famille en tant que première société naturelle et Église domestique, révèlent à l’homme qui il est, quelle est sa vocation et donc le chemin du bonheur pour « être davantage », c’est-à-dire un mendiant et ministre du don, du pardon, de l’amour et de la miséricorde.

             Comment parler aujourd’hui de « Politique économique et famille » ?

             L’association de ces mots n’est-elle pas choquante ? D’un côté la loi du marché et les interrogations légitimes sur la manière d’en réguler la dureté, de l’autre la loi de l’amour et la tentation ou le devoir d’en reconnaître la réalité par la loi positive. Une politique, donc une hiérarchie de moyens ordonnés à un but et de l’autre le trésor d’une société et donc un bien commun capable de servir au bonheur de plusieurs personnes.

    3.jpg         Défenseur de la famille, vous vous dites peut-être qu’une politique relève du domaine public quand la famille est un espace de liberté privé et que si l’économie vit de l’échange des richesses mesurables qui ont un prix, la famille est le sanctuaire d’échanges qui n’ont eux, pas de prix.

             La signification même des mots employés, ne nous parle-t-elle pas d’une politique « Art de vivre ensemble », économique c’est-à-dire dont l’objet est « l’ordre ou la loi de la maison » et de famille ? Or comme les familles sont sources de prospérité pour reprendre la belle formule du Président de votre Académie, Jean-Didier Lecaillon, une politique économique raisonnée devrait faciliter la vie de chaque famille. Ce serait même son véritable « intérêt ». La logique de « l’utilité » est même imparable puisque le développement de la famille « fabrique » les agents économiques, producteurs et consommateurs sans lesquels la croissance n’est pas possible.

             Pourquoi donc si la conclusion s’impose au bon sens, est-il suspect et inconfortable pour un homme politique, pour un chef d’entreprise, pour un clerc voire pour un simple père de famille de revendiquer cette cohérence ? Il est vrai qu’au cours de l’année qui s’achève, le sentiment de frustration suscité par la crise qui frappe la société, le monde du travail et l’économie a augmenté. « Une crise dont les racines sont avant tout culturelles et anthropologiques », nous dit Benoît XVI, dans son message du 1er janvier 2012.

    4.jpg         Les réflexions de jeunes en classe préparatoire HEC m’ont invité à réfléchir sur ces sentiments de peur et de frustration qui brident aujourd’hui notre société. Je les avais interrogés sur les motivations qui les conduisent à investir deux à trois années de leur jeunesse dans une vie quasi recluse et sous haute tension. Vous pouvez imaginer les réponses : avoir de l’argent, avoir du pouvoir, pouvoir choisir son métier, pouvoir mieux servir la société, être heureux. Nous avons prolongé naturellement ce questionnement par une réflexion sur la vocation et le désir du bonheur. Je leur ai demandé ensuite ce dont ils avaient peur dans la vie. Chacun y allait de ses « j’aime pas » : manquer d’argent, la maladie, dépendre des autres, etc. jusqu’à ce qu’une jeune étudiante rallie l’adhésion de ses camarades en disant : « moi je n’aime pas me faire avoir ». J’ai demandé des exemples. Et tous les élèves de la classe ont voulu en donner en se référant à des expériences très personnelles associant déboires familiaux et professionnels survenus autour d’eux et très souvent dans leur famille pour justifier leur perte de confiance.

    5.jpg         Plutôt donc que de développer les interactions légitimes et fondamentales entre une politique économique et la famille, je soumets à l’expérience et à l’analyse de votre Académie deux perspectives anthropologiques susceptibles de nous aider à découvrir d’une part les fondations communes mais aussi les refus qui empêchent de mobiliser pour cette cohérence :

    1. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?
    2. Est-ce que cette dynamique pourrait fonder une politique économique au service du développement de toute la personne, à son « être davantage » ?
    3. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?

      1. Quel est le fondement de la confiance entre les hommes et en particulier dans la famille ?

             Nous pouvons en être étonnés mais cette question a fait très précisément l’objet du premier livre Amour et Responsabilité de Mgr Karol Wojtyla futur Pape et bienheureux Jean-Paul II. Henri de Lubac[1] souhaitera dans la préface de l’édition française publiée en 1965 que l’« argumentation rationnelle » de Jean-Paul II puisse convaincre « bien des esprits sérieux, soucieux de fonder les relations du couple sur une anthropologie complète, cohérente et approfondie » et qu’elle rende « courage à beaucoup ». La logique de Jean-Paul II peut être décomposée en 4 points que je vous propose avant de les reprendre pour les développer :

    6.jpg         1.1. La vision utilitariste de l’amour instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme.

             1.2. Pour sortir de l’utilitarisme, pour ne pas « se faire avoir », l’amour appelle la réciprocité et la recherche du bien commun demandant le don de soi.

             1.3. L’institution politique et donc publique du mariage agit sur la conscience de ceux qui s’aiment et permet le « don de soi ».

             1.4. La famille est l’école de la gratitude, du don et du pardon au bénéfice de l’homme et de toute la société.

                      1.1. La vision utilitariste de l’amour instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme.

             Jean-Paul II a conduit une étude critique de la vision utilitariste de l’amour. Cette vision en effet met l’accent sur l’utilité de l’action. Alors la conséquence douloureuse et logiquement inévitable, quasi antithèse du commandement de l’amour est qu’il faut : « me considérer moi-même comme instrument et moyen puisque je considère ainsi autrui. »[2] Il sera possible d’harmoniser les égoïsmes de l’homme et de la femme dans le domaine sexuel en sorte qu’ils soient profitables l’un à l’autre mais cet amour partiel ne sera plus rien entre eux dès que finit le profit commun.

    7.jpg         Dés lors « Tout ce qui donne du plaisir et exclut la peine est utile, car le plaisir est le facteur essentiel du bonheur humain. Être heureux, selon les principes de l’utilitarisme, c’est mener une vie agréable […]. Dans sa formulation finale, le principe de l’utilité exige donc le maximum de plaisir et le minimum de peine pour le plus grand nombre d’hommes […]. Si j’admets les principes de l’utilitarisme, je me considère nécessairement moi-même comme un sujet qui veut éprouver sur le plan émotif et affectif le plus possible de sensations et d’expériences positives, et comme un objet dont on peut se servir pour les provoquer. Et je considère inévitablement de la même manière toute autre personne, qui devient ainsi pour moi un moyen servant à atteindre le maximum de plaisir […]. L’utilitarisme parait être le programme d’un égoïsme conséquent, d’où on ne peut passer à un altruisme authentique. »[3]

             La vision utilitariste de l’amour peut prendre la forme « rigoriste » (la seule finalité légitime du mariage est la procréation en vue de la continuité de l’espèce ; la recherche du plaisir et de la volupté est un mal nécessaire) où la forme « libidienne » (la seule finalité de l’impulsion sexuelle est la recherche de la volupté). Dans les deux cas, cela aboutit à une instrumentalisation de la personne qui n’est pas compatible avec sa dignité en la considérant seulement comme un « objet » utile, un « moyen » et en ignorant sa réalité de « sujet ». Cette instrumentalisation est à l’antithèse de l’amour.

    8.jpg                  1.2. Pour sortir de l’utilitarisme, pour ne pas « se faire avoir », l’amour appelle la réciprocité et la recherche du bien commun demandant le don de soi.

    Pour sortir de l’utilitarisme, « la seule issue de cet égoïsme inévitable est de reconnaître en dehors du plaisir, le bien objectif qui lui aussi, peut unir les personnes, en prenant alors le caractère de bien commun. C’est lui qui est le véritable fondement de l’amour, et les personnes qui le choisissent ensemble s’y soumettent en même temps… L’amour est communion de personne. »[4]

             Selon Aristote, « il existe diverses sortes de réciprocité et ce qui la détermine, c’est le caractère du bien sur lequel elle repose, et avec elle toute l’amitié. Si c’est un bien véritable (bien honnête) la réciprocité est profonde, mûre et presque inébranlable. Par contre, si c’est seulement le profit, l’utilité (bien utile), ou le plaisir qui sont à son origine, elle sera superficielle et instable… Si l’apport de chaque personne à l’amour réciproque est leur amour personnel, doté d’une valeur morale intégrale (amour-vertu), alors la réciprocité acquiert le caractère de stabilité, de certitude… Ceci explique la confiance qu’on a en l’autre personne et qui supprime les soupçons et la jalousie. Pouvoir croire en autrui, pouvoir penser à lui comme à un ami qui ne peut décevoir est pour celui qui aime une source de paix et de joie. La paix et la joie, fruit de l’amour, sont étroitement liées à son essence même. »[5]

    9.jpg         La seule manière d’avoir une relation avec une personne en respectant sa dignité de sujet sans l’instrumentaliser est de l’aimer c’est-à-dire de vouloir pour elle le plus grand bien. Il faut donc que l’impulsion sexuelle qui initie la relation amoureuse ne soit pas séparée du développement de la personne, des dimensions objectives de l’amour.

             Or « l’être humain est fait pour le don de sa personne. L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. »[6] La logique de l’amour trouve donc son achèvement et sa plénitude dans la réciprocité et le don de soi. L’attrait, l’impulsion sexuelle, l’affectivité, les sentiments amoureux, l’amour de concupiscence et l’amour de bienveillance, le plaisir et la tendresse sont transformés par le don de soi réciproque, définitif et total. Cette harmonie permet l’intégration d’un amour ordonné au bien de la personne libre, sans la réduire à un rôle subi « d’objet ». Dans le cadre du mariage la chasteté en « subordonnant le désir de jouir à la disposition à aimer dans toutes les circonstances »[7], protège la réciprocité fondée sur un bien commun « honnête » et donne la confiance, la paix et la joie.


    10.jpg                  1.3. L’institution politique et donc publique du mariage agit sur la conscience de ceux qui s’aiment et permet le « don de soi »

             Cette institution du don de soi réciproque, « amour sponsal », ce « bien commun », a besoin légitimement d’être reconnue en tant qu’union des personnes, par la société car l’amour a besoin de cette reconnaissance, sans laquelle il n’est pas complet. La reconnaissance par la société de cet engagement public définitif, est donc juste et nécessaire « de même que serait « conventionnel » de vouloir effacer la « différence de significations attribuées aux mots tels que « maîtresse », « concubine », « femme entretenue », etc. avec ceux d’ « épouse » ou de « fiancée » (du côté de l’homme les choses se présentent parallèlement). »[8]

             « Dans ce sens, l’institution du mariage est indispensable non seulement en considération des autres hommes qui constituent la société, mais aussi, et surtout, des personnes qu’elle lie. Même s’il n’y avait pas d’autres gens autour d’elles, l’institution du mariage leur serait nécessaire… Les rapports sexuels de l’homme de la femme exigent l’institution du mariage en premier lieu en tant que leur justification dans la conscience de ceux-ci… En effet : « les rapports sexuels en dehors du mariage mettent ipso facto la personne dans la situation d’objet de jouissance. Laquelle des deux est cet objet ? Il n’est pas exclu que ce soit l’homme, mais la femme l’est toujours. »[9]

    11.jpg         Cette logique de l’amour explique l’exigence de droit naturel en faveur du mariage monogamique et irrévocable (« on ne peut pas se donner à l’essai » dira Jean Paul II), seule institution d’intégration de l’amour en vue du bien commun pour fonder le don de soi et prévenir des drames humains de l’utilitarisme dans l’amour.

             Il est donc significatif et paradoxal, comme un besoin inscrit dans la conscience, que ceux qui se veulent les propagandistes de l’amour libre et considèrent en même temps le mariage comme une affaire privée, manifestent le désir militant de la célébration publique du mariage des divorcés ou celui des homosexuels. Ce combat nous révèle que l’institution du mariage agit en tant que justification des rapports sexuels dans la conscience des personnes. Preuve comme en négatif que dans sa conscience même blessée, toute personne a besoin d’une reconnaissance publique et en vue du bien commun de sa relation amoureuse pour savoir qu’il n’instrumentalise pas l’autre.

                      1.4. La famille est l’école de la gratitude, du don et du pardon au bénéfice de l’homme et de toute la société

    12.jpg         L’harmonie qui permet l’amour intégral, a pour moteur la recherche du bien de l’autre qui passe par une gratuité réciproque et le don de soi. Si bien que la famille, foyer du don réciproque des époux, devient pour la personne, le berceau de la vie humaine. Pour la vie en société la famille sera l’école du don et même du pardon, par l’exemple et l’expérience, en apprenant à être généreux, à recevoir et à donner sans compter.

             En effet, la gratitude pour le don reçu gratuitement, appelle naturellement la gratuité de la paternité, de la maternité et de la fraternité.

             Cette école du don est un droit de l’homme car il est le chemin du bonheur. Dans ce rôle d’Église domestique et de cellule de base de la société, la famille, selon Benoît XVI, est le lieu où : « les enfants et les adolescents, et ensuite les jeunes… apprennent le sens de la communauté fondée sur le don, non sur l’intérêt économique ou sur l’idéologie, mais sur l’amour, qui est « la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière. »[10] Cette logique de la gratuité, apprise dans l’enfance et dans l’adolescence, se vit ensuite dans tous les domaines, dans le jeu et dans le sport, dans les relations interpersonnelles, dans l’art, dans le service volontaire des pauvres et de ceux qui souffrent. Une fois assimilée, elle peut se décliner dans les domaines plus complexes de la politique et de l’économie, participant à la construction d’une cité (polis) qui soit accueillante et hospitalière, et en même temps qui ne soit pas vide, ni faussement neutre, mais riche de contenus humains, à la forte consistance éthique. »[11]

    13.jpg         En résumé de cette première partie, nous pouvons formaliser les points suivants :

    • le bien commun ne peut se réduire au bien utile et appelle le don de soi qui fonde la confiance réciproque et la paix,
    • la recherche du bien commun est nécessaire au développement de l’amour,
    • l’amour est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et peut seul transformer la relation entre les personnes pour prévenir toute instrumentalisation, pour ne pas « se faire avoir »,
    • l’institution publique du mariage monogamique et indissoluble est une nécessité pour prévenir les dangers de l’utilitarisme dans l’amour jusque dans la conscience,
    • la famille est l’école naturelle de la vie sociale et de l’apprentissage du don et de la gratuité.

    Ces conclusions, cette vision de la responsabilité de l’homme et de la famille nous permettent d’aborder la seconde question.

    1. Est-ce que cette dynamique, la dynamique du don, pourrait fonder une politique économique au service du développement de toute la personne, à son « être davantage » ?

    14.jpg         Dans Caritas in Veritate, Benoît XVI construit, comme en écho à la logique de Jean-Paul II du don de soi dans la famille, la logique de la nécessité du don et de la gratuité dans l’économie marchande. Logique que nous pouvons synthétiser en quatre points.

    1. La vision utilitariste de l’économie instrumentalise les relations entre les personnes. Elle est une impasse pour conduire au bonheur de l’homme. « Le profit est utile si, en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien quant à la façon de le créer que de l’utiliser. La visée exclusive du profit, s’il est produit de façon mauvaise ou s’il n’a pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté. »[12] [...] « Abandonné au seul principe de l’équivalence de valeur des biens échangés, le marché n’arrive pas à produire la cohésion sociale dont il a pourtant besoin pour bien fonctionner. Sans formes internes de solidarité et de confiance réciproque, le marché ne peut pleinement remplir sa fonction économique. Aujourd’hui, c’est cette confiance qui fait défaut, et la perte de confiance est une perte grave. »[13] 
    2. Pour sortir de l’utilitarisme réducteur, une politique économique doit favoriser la recherche du bien commun. « Il faut [… ] prendre en grande considération le bien commun. Aimer quelqu’un, c’est vouloir son bien et mettre tout en œuvre pour cela. À côté du bien individuel, il y a un bien lié à la vie en société : le bien commun. C’est le bien du ‘nous-tous’, constitué d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale. Ce n’est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien. C’est une exigence de la justice et de la charité que de vouloir le bien commun et de le rechercher. »[14]
    3. Dans les relations entre les personnes, pour ne pas « se faire avoir », pour être quelqu’un et ne pas être utilisé comme un objet, il faut pour cela le lien fraternel du bien commun. Les institutions et la politique économique doivent créer les conditions favorables de l’exercice de la justice et de la charité. « Œuvrer en vue du bien commun signifie d’une part, prendre soin et, d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement, et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la polis, de la cité. On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille davantage en faveur du bien commun qui répond également à ses besoins réels… »[15]
    4. Et donc : « Si le développement économique, social et politique veut être authentiquement humain, il doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression de fraternité. »[16] « [...] Le grand défi qui se présente à nous [...] est celui de montrer, au niveau de la pensée comme des comportements, que non seulement les principes traditionnels de l’éthique sociale, tels que la transparence, l’honnêteté et la responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale. »[17]

    1.jpg         Nous avons vu avec Jean-Paul II, comment le don de soi est nécessaire à l’amour humain dans la famille si chaque conjoint veut aimer en vérité et donc ne pas instrumentaliser l’autre. Ce don de soi est le fondement de la confiance qui dans la conscience des époux leur « prouve » que c’est bien la recherche d’un bien commun qui les réunit.

             Le don et la gratuité, comme expression de la fraternité, c’est-à-dire de l’amour fraternel, ne sont-ils pas la cause incontournable capable d’orienter une politique économique vers le bien commun ? Cette logique du don et de la gratuité, comme expression de l’amour fraternel, n’est-elle pas la fondation en vérité de la confiance dans l’échange même marchand ?

             Il semble que Benoît XVI, nous suggère la cohérence de cette logique mais sans doute au nom du principe de subsidiarité, nous laisse-t-il la responsabilité de la mettre en œuvre. À l’instar des chercheurs mobilisés par CapitalDon[i] et en particulier de ceux du GRACE (Groupe de Recherche sur l’Anthropologie Chrétienne en Entreprise), présidé par le professeur Pierre-Yves Gomez, il semble donc opportun pour comprendre la crise de se demander pourquoi le don et la gratuité semblent-ils exclus par l’économie contemporaine ?[18]

    2.jpg         Je vous propose de considérer en premier lieu quelles sont, dans l’économie marchande, les richesses à échanger pour répondre aux besoins réels des personnes et par quel système d’échange.

             Nous verrons ensuite que Benoît XVI nous assure qu’une économie ne peut être juste sans le don et la gratuité.

                      2.2 Quelles sont, dans l’économie marchande, les richesses à échanger pour répondre aux besoins réels des personnes et par quel système d’échange ?

             Si nous considérons l’économie et singulièrement l’économie de l’entreprise que je connais mieux comme un transfert de ressources (biens et services produits, informations et conseils, salaires, impôts, dividendes, etc.) entre les parties prenantes. La question économique classique est celle de l’évaluation de ces ressources transférées qui constitue un système économique. Sur la base de la recherche disponible, nous pouvons distinguer trois types d’évaluation :

    3.jpg

    1. l’échange évalué sur un « marché » (dont les définitions sont assez larges) et comptabilisable par un « paiement »,
    2. le don social, évalué par une série de dons et contre-dons qui créent du lien social tel que Marcel Mauss (et ses successeurs) l’a mis en évidence ;
    3. enfin le don libre (ou gratuit), sans contrepartie attendue et dont l’évaluation se fait à partir de la personnalité du donateur et selon des critères subjectifs et moraux (générosité, sacrifice, etc.).

             Le système économique permet des évaluations par le marché, les dons et contre-dons et les transferts gratuits. C’est cet ensemble qui permet de repérer la création de valeur dans une économie.

             Nous considérons que l’économie dominante réduit donc le système d’évaluation économique aux seuls transferts comptabilisables (ou qu’elle oblige à considérer tous les transferts comme « comptabilisables »). Or les organisations ne se résument pas à ces échanges marchands comptabilisés, mais elles intègrent aussi, d’une part des dons et des contre-dons destinés à « créer du lien social » et, d’autre part, des dons sans contreparties (le travail bien fait, l’encouragement et le soutien, le service rendu sans calcul et sans retour, etc.) qui contribuent à l’efficience concrète et à l’efficacité des entreprises. Une analyse réaliste doit donc tenir compte des modes d’évaluation propre à chaque type de transferts, l’ensemble formant la complexité d’une entreprise ou de l’économie dans son ensemble.

    4.jpg         Chaque transfert est, en effet, évalué selon des logiques et une efficacité qui lui est propre et c’est l’ensemble qui permet de définir la cohérence et la performance d’une organisation.

             L’échange marchand permet le transfert d’objets (produits ou services) dont la valeur est établie par un calcul explicite ou implicite. La réciprocité de l’échange est fixée et garantie par les normes sociales en cours.

             Par définition, ce que nous appellerons le don « social » a pour objectif principal de créer du lien social sur la base d’une évaluation bilatérale dans le cadre de normes sociales. Il est de bon ton de rendre une invitation etc. Mais la réciprocité est risquée (pas de retour) mais fait partie des normes sociales.

             Le don libre ou le don gratuit a pour objectif l’affirmation de son être et de son identité sur la base de critères personnels ou moraux. La réciprocité est incertaine, le donateur n’attend pas de retour direct du donataire. Il agit pour le bien de l’autre sans demander un retour.

    5.jpg                  2.3 Alors, une économie peut-elle être juste sans le don et la gratuité ?

             À l’article 1937, le Catéchisme de l’Église Catholique cite les Dialogues dans lesquels le Christ dit à Sainte Catherine de Sienne : « Je ne donne pas toutes les vertus également à chacun... Il en est plusieurs que je distribue de telle manière, tantôt à l’un, tantôt à l’autre... A l’un, c’est la charité ; à l’autre, la justice ; à celui-ci l’humilité ; à celui-là, une foi vive... Quant aux biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres... J’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi. »[19]

             Il ne peut y avoir une politique économique juste ni de système d’échange juste sans la charité puisque l’égalité de l’avoir que Dieu n’a pas voulu, a pour intention de rendre la charité nécessaire.

    6.jpg         Il faut donc que le don et la gratuité fassent partie des échanges de l’économie marchande si l’on veut que cette économie soit juste. Sans la gratuité, on ne parvient même pas à réaliser la justice.

             « Si hier on pouvait penser qu’il fallait d’abord rechercher la justice et que la gratuité devait intervenir ensuite comme un complément, aujourd’hui, il faut dire que sans la gratuité on ne parvient même pas à réaliser la justice. [...] La charité dans la vérité, dans ce cas, signifie qu’il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier le profit, entendent aller au-delà de la logique de l’échange des équivalents et du profit comme but en soi. »[20]

             Benoît XVI va expliciter l’urgence de cette nécessité dans son message pour la paix du 1er Janvier 2012 :

    « Dans notre monde où la valeur de la personne, de sa dignité et de ses droits – au-delà des déclarations d’intentions – est sérieusement menacée par la tendance généralisée à recourir exclusivement aux critères de l’utilité, du profit et de l’avoir, il est important de ne pas couper le concept de justice de ses racines transcendantes. La justice, en effet, n’est pas une simple convention humaine, car ce qui est juste n’est pas déterminé originairement par la loi positive, mais par l’identité profonde de l’être humain. C’est la vision intégrale de l’homme qui permet de ne pas tomber dans une conception contractuelle de la justice et d’ouvrir aussi, grâce à elle, l’horizon de la solidarité et de l’amour.

    7.jpg         Nous ne pouvons pas ignorer que certains courants de la culture moderne, soutenus par des principes économiques rationalistes et individualistes, ont aliéné le concept de justice jusque dans ses racines transcendantes, le séparant de la charité et de la solidarité : « la cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité manifeste toujours l’amour de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle donne une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour la justice dans le monde. »

             Conclusion

             Nous savons que c’est la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs qui est devenue la pierre d’angle.

             L’utilitarisme a conduit notre société à rejeter le don de soi comme fondement de l’amour qui choisit librement le bien commun de la famille. Jean-Paul II nous fait découvrir qu’il en est la pierre d’angle. Sans le don de soi, l’amour et la famille s’écroulent.

    8.jpg         L’avidité matérialiste des bâtisseurs de l’économie a réduit les échanges aux richesses qui ont une valeur financière. Ils ont rejeté le don et la gratuité de leur politique, de leur art de vivre ensemble. Benoît XVI nous invite à ramasser cette pierre pour en faire la « pierre d’angle ».

             Sans le don et la gratuité, la politique économique est dans une impasse. Elle a réduit son champ d’action à celui du profit financier, curieusement, il ne lui reste plus que les dettes financières des États.

             En ces temps de crise où l’avidité mauvaise conseillère semble avoir, par la mauvaise dette, mis en panne le moteur de l’économie, ne serait-il pas juste de refonder aussi la confiance dans l’économie sur le don ?

             Permettez–moi alors dans cette conclusion d’ouvrir une autre perspective qui associe plus encore le destin de la famille et celui d’une politique économique. Car si politique économique et famille ont le don pour vrai moteur, la famille a une mission particulière pour que l’échange soit possible : nous apprendre à recevoir gratuitement !

    9.jpg         Au fond de son cœur en effet, tout homme fait l’expérience de la joie du don.

             Mais il n’a pas confiance que cela soit possible, il n’y croit pas. Pourquoi ?

             Donner, peut-être et souvent oui, pourquoi pas !

             Mais recevoir ? Recevoir par nécessité ? Recevoir sans pouvoir rendre ? Sans jamais être quitte ? Devoir la vie, devoir ce que l’on sait, devoir ce que l’on aime sans aucun mérite de sa part, voilà l’inacceptable des indignés de notre temps.

             Toute l’énergie culturelle, politique et sociale est mobilisée pour que nul n’ait le sentiment de devoir quelque chose à quelqu’un, ni à ses parents qui m’ont fait par plaisir et pour eux, ni à ses frères et sœurs, ni à ses amis qui cotisent à la solidarité sociale, ni à son patron qui fait de l’argent sur notre dos, ni à ses professeurs qui sont au service du pouvoir politique, ni à sa patrie, etc.

             Nous sommes devenus des individus qui ne veulent rien devoir à personne, même pas à Dieu. Nous avons des droits pas des dettes ! Nous voulons être justes mais ne jamais demander pardon. Bénéficier de la solidarité sans visage, oui, si c’est d’un acteur impersonnel dont nous ne pouvons croiser les yeux, une abstraction, la caisse de sécurité sociale, de chômage, l’État, etc.

    10.jpg         Benoît XVI, à l’opposé de la culture ambiante, nous fait découvrir dans Deus Caritas Est que « Pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi mais moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne. »[21] La famille fondée sur le don réciproque des époux, devrait être la société naturelle qui peut nous faire expérimenter la joie de recevoir gratuitement sans nous humilier. La famille est la société « prototype » capable de transformer l’avoir en « plus d’être », qui donne la vie et conduit la personne au-delà du cercle étriqué de son moi, qui « l’éduque en vue du bien commun ».

             De cette certaine manière, la famille fondée sur le don de soi devient sacrement c’est-à-dire signe visible de l’amour de Dieu capable de transformer la nature blessée de l’homme. La famille chrétienne participe ainsi à la mission de l’Église qui s’adressant à tous les hommes, nous dit : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ?
    Écoutez-moi donc : mangez de bonnes choses, régalez-vous de viandes savoureuses ! Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez
    … »[22]

    11.jpg         C’est ainsi que la famille peut révéler à l’homme qui il est : « Ce qu’il a, il le doit », et fonder la confiance pour la vie, à commencer par la confiance en soi parce que l’on sait que l’on est aimé gratuitement. Même si la participation de chacun par son travail au regard de ses talents est nécessaire, chaque homme est un pauvre, riche de dettes.

             C’est la gratitude qui fait l’homme. C’est dans la famille que tout homme peut apprendre à recevoir gratuitement sans en être gêné. C’est donc la famille qui peut faire expérimenter aux hommes la confiance dans l’autre et le moteur nécessaire dans les échanges au service de l’homme : la gratitude et le don. « Ce que vous avez reçu gratuitement donnez le gratuitement ».

             Ce n’est pas la loi du marché qui peut seule créer la vraie richesse, elle a aussi besoin de la loi du don qui n’humilie pas.

             Il faudra ensuite à l’homme toute une vie pour accepter de se présenter les mains vides et devenir mendiant du don gratuit, mendiant du pur amour sans crainte de « se faire avoir ». La famille, Église domestique, participe naturellement à cette révélation de la miséricorde.


             Une politique économique raisonnable s’attachera donc en priorité à donner à la famille la liberté d’être pour tous les hommes le foyer naturel de l’amour, de la confiance et du « don ».

             Dans un monde ou chacun a peur d’être « utilisé », de « se faire avoir », la famille a le secret de la confiance pour nous « faire être » pour l’éternité.

     


    bruno de saint chamas,Écologie humaine,politique,économie,famille,transmission,éducation,foi,christianisme,conscience,sandrine treuillardBruno de Saint Chamas

    Délégué général de CapitalDon,
    Président d'Ichtus

     
    Initialement publié sous le titre 
    Politique économique et famille
    sur le site de l’A.E.S. 
    (Académie d’Éducation et d’Études Sociales)
    le 5 mars 2012.

    Sur ce lien La Vaillante vous invite à lire l’échange de vues à la suite de l’exposé de l’auteur.

     

    12.jpg[i] CapitalDon Un fonds au service du don dans l’économie, destiné à promouvoir la force vertueuse de la gratuité et du don dans les pratiques économiques, une initiative pleine d’une espérance prophétique ». Ce Fonds de dotation est une initiative de Pierre Deschamps. 

    [1] Henry de Lubac sj – expert au concile Vatican II - 1896 -1991, théologien catholique et cardinal français.

    [2] Amour et Responsabilité, p. 31

    [3] Ib., pp. 27-29

    [4] Ib., p. 30

    [5] Ib., p. 79

    [6] Gaudium et spes

    [7] Amour et Responsabilité, p. 158

    [8] Ib., p. 207

    [9] Ib., p. 208

    [10] Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [11] Benoît XVI, Zagreb, 4 juin 2011

    [12] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 21

    [13] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 34

    [14]
    Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [15] Benoît XVI, Caritas in Veritate

    [16] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 34

    [17] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 36

    13.jpg[18] Pourquoi le don et la gratuité semblent-ils exclus par l’économie contemporaine ?

    L’économie telle qu’elle est enseignée et étudiée aujourd’hui est supposée ne concerner que les échanges marchands comptabilisés entre les acteurs.

    Les notions de don et gratuité sont exclues de l’économie par définition et renvoyées dans le registre du social ou de la morale. Il n’y aurait donc d’économie que marchande. Or cette affirmation devenue pensée dominante pose un certain nombre de problèmes… à l’économie elle-même. Elle ne tient pas compte d’une partie importante de l’activité économique réelle comme la constitution de réseaux, la communication d’information, l’apprentissage ou la créativité entrepreneuriale etc..

    Au plan anthropologique, « l’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa nature de transcendance. L’homme moderne est souvent convaincu, à tort, d’être lui-même le seul auteur de lui-même, de sa vie, de la société. » L’enseignement social de l’Eglise souligne ici un constat universel et qui dépasse toute référence confessionnelle : donner et recevoir sont des caractéristiques anthropologiques fondamentales qui constituent aussi bien l’ordre social que la place de la personne dans la société. Inclus dans des relations sociales interpersonnelles, l’être humain participe mais aussi se réalise pleinement en transférant régulièrement des ressources sans contrepartie évaluées par un échange marchand : par exemple des connaissances, des informations, des expériences, des conseils, des services et des biens utiles aux autres sans qu’un prix soit attaché au transfert.

    De nombreux travaux en anthropologie, en psychologie et en sociologie ont ainsi mis en évidence que le don et le transfert gratuit structurent non seulement la société mais aussi la personnalité humaine.

    Peut-on dés lors considérer que l’entreprise, qui est une organisation sociale centrale dans nos société, échappe seule à cette logique ?

    [19] CEC, 1937 : S. Catherine de Sienne, dial. 1,6

    [20] Benoît XVI, Caritas in Veritate - 38

    [21] Benoît XVI, Deus Caritas est - 34

    [22] Is., 55, 1-3

     

    J'ai donné ces images en lancette,

    extraites de la vidéographie La partiton (the score),

    que vous pouvez regarder & écouter sur YouTube, ci-dessus.

    Avec une musique à l'accordéon interprétée par le grand Stefan Hussong.

    Sandrine Treuillard, pour Bruno de Saint Chamas & La Vaillante.

     

     

     

     

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  • Porter le foulard en France est un choix - musulmane & patriote

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          L’acceptation ou, disons plutôt, le rapport apaisé au foulard islamique doit-il forcément résulter du passage de ce dernier sous le rouleau compresseur de la mode, de l’hyper-consommation et du divertissement à outrance ?

               Il semble qu’il faille tout lisser.

             Dévitaliser, tuer l’essence profonde des choses, l’énergie pure et vibrante qui habite les grandes actions pour que ces dernières trouvent finalement grâce aux yeux de la masse. 

              Tout est étrangement potentiellement appauvri ; rendu inoffensif, médiocre et tiède par la récupération silencieuse qu’en fait la société de marché. 

             Le Che ou Malcolm X sur un T-shirt floqué, du rap prolétaire au hiphop dansant populaire en discothèque, n’est-ce pas la même action mercantile qui vient ajouter son petit zest ? 

             Et maintenant… le foulard au pied des grandes marques, le foulard et le mannequinat, le foulard dans les concours de beauté, le foulard bientôt partout, à condition d’accepter que ce dernier soit relégué au même rang que toutes les autres différences. Nivellement par le bas, dont le slogan pourrait être : « si certains se travestissent, d’autres portent un foulard. »

              Piège subtile, difficile à déceler.

             Il ne faut pas confondre deux choses : d’un côté faire comprendre qu’une femme qui porte le foulard est avant tout une femme, reconnaître son humanité et ses droits légaux, constituent des points de lutte légitimes et importants.

             De l’autre côté, il y a une fausse lutte, une escroquerie qui voudrait habilement faire oublier que choisir, c’est renoncer. Et le foulard en France est un choix. 

             En effet animées par notre foi, il y a des choses auxquelles nous renonçons, auxquelles nous disons non, et ce au risque de ne plus être ”comme tout le monde.”
    Un « non » de principe et d’action. Un rejet, une tentative de résistance.

             Car la banalisation graduelle du foulard sur certains supports – les moins sérieux – ne correspond pas à ce à quoi nous aspirons. Le foulard comme nous le comprenons va bien au-delà d’un simple fichu sur la tête car il est quelque part la manifestation d’un lien direct avec la transcendance.

             Transcendance qui fait que nous rejetons la marchandisation potentielle d’absolument tout, et en première instance ici celle du corps des femmes.

             Rappelons que l’islam comme système de valeurs, au même titre que de nombreuses traditions religieuses, spirituelles et même culturelles, ne peut être dissout dans toutes les folies de notre époque. Il impose encore une fois la résistance. Résister à ce qui nuit à l’Homme dans son ensemble en défendant ce qu’il a de plus précieux. Sa valeur intrinsèque, que certains voudraient pouvoir monnayer.

             Ainsi notre posture n’est pas simplement celle qui réclamerait sa part du gâteau capitaliste. Qui voudrait que chaque chose soit halalisable, qu’il suffirait de flouter ce qui dépasse du cadre pour devenir « muslim friendly ». Non, ceci n’est ni notre approche, ni notre but. 

             Si certains se sont battus contre les discriminations à l’entrée des boîtes de nuit, c’est pour nous un honneur que de ne pas y avoir notre place.
             Quelle reconnaissance y a-t-il au juste à devenir la proie des grandes marques qui ne nous nieront certes jamais le droit inaliénable que nous avons d’être avant tout des consommatrices ?

    Si la foi est réelle, l’inspiration sera supérieure et les actions qui en découleront également. Il y aura donc des choses qui, dans leur essence, seront contre nos principes. 

             Nous ne nions pas la difficulté à définir la ligne et la limite entre les deux.

             Nous ne faisons que témoigner de notre petitesse d’âme après tout.

    Comment aimer ce système injuste et hideux qu’est l’hyper-matérialisme au point de vouloir en devenir la caricature déformée ?

             Remettons les choses dans l’ordre : les femmes qui portent le foulard étaient bénies d’être épargnées par la publicité et les stratégies de communication en tous genres ; en revanche ces femmes continuent de subir l’épreuve du rejet quand il s’agit d’étudier, de travailler, de se rendre dans des lieux culturels ou de s’engager en tant que citoyennes.

             N’orientons pas notre énergie vers la mauvaise lutte, ne nous réjouissons pas de l’entrée du foulard dans des industries qui prônent le contraire de ce dernier.

             En toute fin, il est vrai que : « c’est la femme qui fait le foulard et non le foulard qui fait la femme. »


    « Et j’aimerais mieux être, O fourmis des cités,
    Tourbe, foule, hommes faux, cœurs morts, races déchues,
    Un arbre dans les bois qu’une âme en vos cohues ! »

    Victor Hugo, ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent


    dfvs,islam,la france,foi,politique,transmission,éducation,femmeHynd DFVS

     

    Article initialement publié sous le titre :
    Le foulard de demain, un simple accessoire ?
    sur le site Des Française Voilées S'expriment

     

     



    Précédent article de Hynd DFVS sur La Vaillante :
    L’islam est une chance et une opportunité aujourd’hui en France,
    afin que la France puisse renouer avec ses valeurs traditionnelles
    qui ont fait d’elles cette grande nation

    Autres articles du même auteur sur BV :
    Et si l’extrémisme des Femen nuisait plus aux femmes qu’il ne les libère ?
    Voile musulman : radicalisation ou mondialisation ?

     

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  • Le droit d'euthanasie aux mineurs signe une forme d'abandon & assombrit d'une mort symbolique le lien filial & social

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    Je m'interroge quant au fait que des jeunes de 12-17 ans auraient potentiellement la maturité de discernement et seraient en état de conscience suffisant pour décider de façon éclairée de se laisser euthanasier en cas de maladie incurable.

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                Même à l'âge présumé dit adulte, un jeune n'a pas fini de se construire. Un jeune ayant tout juste atteint l'âge adulte, se montre encore dépendant – à juste titre – de l'avis des adultes plus âgés que lui. Son autonomie de pensée se fortifie tout en restant relative. Elle se révèle encore dans une dépendance avec la génération qui le précède. Le jeune de 18 ans, et au-delà, reste influençable et dans la plupart des cas appréciera volontiers de s'appuyer sur « plus grand que lui » dans les décisions importantes de sa vie. Il a encore besoin d'être guidé, cadré, conseillé. Que dire alors de la maturité de discernement d'un mineur d'âge ?!

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Les partisans de la « bonne mort » à élargir aux mineurs ont-ils réfléchi aux conséquences d'un tel choix qui deviendrait accessible aux 12-17 ? Le poids de responsabilité psychique, éthique – et spirituel, pour peu que l'on admette l'intervention de cette dimension dans ce débat – chargerait lourdement ces jeunes épaules en leur induisant l'idée d'un « droit » à mourir. Prétendre que ces jeunes mineurs à peine sortis de l'enfance ont soit la capacité de décider s'ils veulent continuer à vivre jusqu'au bout de leur maladie invalidante, soit d'en finir et ce, en en mesurant lucidement les conséquences, m'apparaît non seulement grave mais est également un leurre. J'y vois un risque d'amplification de la souffrance et de majoration de la tension déjà naturellement liée à l'épreuve de la maladie ou du handicap.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Plus profondément, quelle déresponsabilisation, voir décharge, de la part des adultes ! J'y perçois un phénomène de grave démission, révélateur d'une société en perte de repères, de courage et de force face à l'épreuve ultime : celle qui confronte à la peur de la souffrance et au final à la peur de la mort. Octroyer le droit d'euthanasie aux mineurs d'âge signe une forme d'abandon psychique de l'adulte face au jeune. Il assombrit d'une mort symbolique le lien filial et social.

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                L'enfant ou le jeune pourrait-il moins considérer la maladie en soi comme catastrophique que de ressentir et souffrir de la fragilité du lien vécu avec son entourage ? Mon expérience de psychothérapeute me fait dire que la relation aux adultes insécurisés est inconfortable pour le jeune enfant/adolescent et peut devenir anxiogène ; voire également se révéler source de dépression précoce. Les enfants comme les ados encore en pleine croissance ont tendance à capter finement l'atmosphère sensible de l'environnement familial et social. Ils ne savent pas toujours qu'en faire. Ils sont tout à la fois en recherche d'eux-mêmes et aspirent à s'extraire de la dépendance à l'adulte, et tout à la fois encore soumis au souci d'appartenance. « Si je corresponds à, je fais partie de ; si je fais et suis comme, je suis rattaché à... ». Ambivalence peu confortable, normale cependant à ces âges à la fois fougueux et vulnérables.

                À supposer que certains adultes restent submergés par leurs propres émotions, par un sentiment d'impuissance et de détresse, par l'appréhension ressentie quant à la réalité d'un avenir devenu incertain pour leur enfant malade, cela touche et atteint sensiblement cet enfant. Déjà vulnérabilisé par sa maladie ou son handicap, il peut ressentir à fleur de peau l'état psychique du parent ou du corps médical en difficulté. Cette potentielle charge supplémentaire peut réduire sensiblement la capacité de discernement du jeune dans le débat qui nous préoccupe.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Par ailleurs, un adolescent qui se sent abandonné par les adultes à l'idée de la mort, ceci dans la force de vie qui lui reste tant qu'il est vivant, peut aussi en être profondément atteint dans son estime de soi, dans sa dignité, dans son droit et son désir de vivre. Il pourrait se sentir intimement et essentiellement blessé dans le lien qu'il espère vivre dans un attachement solide et fidèle d'amour donné et reçu, jusqu'au bout de l'épreuve.

                Un enfant mineur est-il donc en mesure de « discerner, pleinement et raisonnablement » s'il désire mourir ?

                Il me semble nécessaire d'envisager la perspective qu'il peut exister chez certains jeunes de vouloir préférer démissionner de la vie davantage à cause du poids et de la douleur qu'ils ressentent autour d'eux, qu'à cause de leur propre maladie ou de leur situation médicale invalidante.

                Excluant la pathologie psychique, un enfant, un jeune, désire plutôt vivre que mourir.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Un jeune adolescent n'a pas encore une claire idée de ce que c'est que d'être adulte. Ses projets sont à une autre échelle que ceux que ses parents projettent éventuellement sur lui. Ceux-ci évaluent avec une conscience différente la perspective interrompue d'un potentiel de croissance qu'ils espéraient, selon leurs critères, voire évoluer vers de l'expansion plutôt que vers une extinction.

                Si le jeune est ou devient limité par le handicap ou la maladie, il peut arriver que celui-ci l'envisage avec moins de gravité que ne le ferait l'adulte. Le jeune enfant ou l'adolescent sera par contre très sensible à la façon dont les autres considèrent son état physique ainsi qu'aux pensées projectives de son entourage sur lui.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Dès lors il y a lieu de se poser la question dans le cas où un jeune mineur demanderait à mourir, s'il le demande pour lui ou pour ne plus peser sur l'entourage. « Cela fait trop mal à papa, à maman... j'aime mieux m'en aller ». Il y a ceux qui le diront, et ceux qui le penseront secrètement sans pouvoir le dire. Dire « vouloir mourir » veut également souvent dire « je ne veux plus ressentir cette souffrance » – morale ou physique. Les témoignages des soins palliatifs attestent de réponses autres que la mort à offrir aux personnes sombrant dans de tels épanchements, ô combien compréhensibles. Il est urgent de promouvoir une façon de vivre en société qui humanise et (re)donne une place à la souffrance et à la mort. Ceci, autrement qu'en accélérant voir qu'en forçant la fin de vie. Il n'y a par ailleurs pas à blâmer les parents qui perdent pied devant la souffrance ou l'état critique de leur enfant. La détresse, la révolte et le sentiment d'impuissance sont à entendre, à reconnaître et à panser d'un soin compétent et attentionné. Il y a lieu de chercher à intégrer la réalité de toute souffrance au cœur même d'un lien d'amitié, d'amour et de soutien. Dans sa particularité, ce lien est à tisser et à toujours recréer autour de la personne malade qui cherche avant tout à être rejointe. L'amour échangé ne meurt pas : il circule et grandit. Il n'est tenté ni de faire mourir ni de mourir.

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité            Il s'agirait donc moins de chercher à tuer la souffrance en tuant la personne et avec elle le potentiel d'amour qu'il resterait à s'échanger, qu'à apprivoiser et à assumer l'inconfort de ce qui fait mal. Ceci, au cœur d'une relation nourrissante et privilégiée investie avec la personne malade. Ce qui participe à donner force de vie, c'est de se sentir rejoint, compris, tendrement aimé. C'est la qualité du lien mis en chantier dans la relation qui fait fleurir le goût de la vie plus que celui de la mort. Parce que créer du lien et être dans un lien authentiquement édifiant avec l'autre régénère et offre sa part de sens à la vie. Toute personne – enfant, jeune, adulte, vieillard – est un puits de découverte de la naissance à la mort, si l'on cherche à la rencontrer dans son être essentiel qui « parle » jusqu'au cœur du silence et de la tourmente. C'est interpellant d'entendre de jeunes enfants révéler des trésors de réflexion, de simplicité et de profondeur dans des situations d'extrêmes épreuves. « Mais je danse moi, mais je vis ! », disait une petite fille atteinte d'un mal incurable.


    Anne Schaub-Thomas

    Psychothérapeute

    euthanasie,dignité de la personne,transmission,éducation,vulnérabilité
    Retrouvez cet article sur la page enrichie Euthanasie & Dignité humaine

     

    Article publié originellement sur euthanasiestop.be, le 10/12/2013, sous le titre :
    Le droit à l'euthanasie devrait-il s'étendre aux moins de 18 ans ?


    Photographies :
    Flash Mob Alliance Vita mars 2012
    Soulager mais pas tuer.org

     

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  • Édith Stein… merveilleuse éducatrice

    SPIRE 1923-1931

    Visage ÉDITH STEIN.jpg 

            

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

            Cette période de vie laborieuse à l’ombre du monastère des Dominicaines enseignantes et tout illuminée de la pure joie de découvrir un peu du contenu de la vérité révélée, nous est connue surtout à travers les témoignages des élèves ou des disciples d’Édith Stein.

             La Mère Prieure du couvent de Sainte-Madeleine de Spire nous dit combien son arrivée sembla providentielle ; les religieuses venaient de fonder un établissement à Mannheim et la directrice des études fut transférée dans cette ville. Il avait été impossible de la remplacer et de désigner un professeur d’allemand pour les classes supérieures du collège de jeunes filles. Édith Stein repris ces cours, elle assuma la préparation des élèves aux examens d’État et bientôt celle des jeunes religieuses à l’enseignement.

             « Elle était pour nous toutes un exemple lumineux, écrit la supérieure ; nous sentons maintenant encore le bienfait de son rayonnement. » Éducatrice-née, sa manière d’enseigner était remarquable, allant de pair avec un véritable don de pédagogie. Elle trouvait le moyen d’ajouter des heures de leçons particulières à celles de ses cours et de poursuivre en privé l’étude de saint Thomas.

             Très simple, humblement dévouée à sa tâche quotidienne, elle aurait souhaité passer inaperçue. Mais son extraordinaire capacité intellectuelle et son don d’expliquer les choses les plus ardues lui valaient de nombreuses requêtes de la part des élèves et des maîtresses. Jamais elle ne refusait de rendre service, s’en tenant littéralement à ce conseil que nous trouvons dans sa correspondance : « … Pour ce qui est de nos relations avec autrui, le besoin des âmes transcende tout règlement de vie. Car nos activités personnelles ne sont que des moyens qui tendent vers une fin, tandis que l’amour du prochain est la fin même, puisque Dieu est Amour.[1] »

             Sa bonté était tout à fait remarquable, rapportent les sœurs dominicaines. Dieu seul sait combien de misères physiques et morales elle a soulagées. Sa correspondance très étendue en témoigne. Pas un détail ne lui échappait quand il s’agissait de faire le bien. Les dimanches et jours de fête, lorsque les religieuses étaient appelées au parloir, Édith les déchargeait du soin de la vaisselle. Elle passait des heures, les jours de congé, à distribuer la soupe populaire. Elle s’était procuré la liste des pauvres de la ville et on la voyait, au temps de Noël, disparaître mystérieusement, les bras chargés de colis préparés en secret.

             De sa vie intérieure, elle ne nous dit rien. Nous ne savons que ce qui ressort des témoignages portés par son entourage. Celles qui l’on connue n’ont jamais oublié la qualité et la profondeur du silence qui semblait l’envelopper. Elle restait des heures en prière près du tabernacle de la petite chapelle conventuelle, tout absorbée en Dieu. Sa manière de prier touchait les âmes bien davantage que les plus beaux discours : «  Sa seule présence, écrit un jeune professeur, était une invitation à monter… elle nous entraînait à sa suite sans beaucoup de paroles, par le seul rayonnement de son cœur pur, noble et donné. »

             Afin de consoler une de ses élèves, assez peu douée, Édith trouvait ces termes délicats :

    Visage ÉDITH STEIN.jpg         «  N’essayez pas de mesurer ce que vous comprenez à la manière dont vous savez le dire. Ce que vous avez compris vous pénètre, agissant en vous et rayonnant de vous, même s’il vous est impossible de l’exprimer. Une fois que l’on s’est totalement remise entre les mains de Dieu, il faut lui faire la confiance de penser qu’il saura bien tirer quelque chose de nous. Il lui appartient de juger ce dont nous sommes capables ; pour nous, il est bien inutile de nous perdre en analyses. Croyez-moi, ces gens que vous avez rencontrés et qui vous ont semblé tellement plus proches que vous de l’idéal chrétien, si vous pouviez les connaître de l’intérieur, vous sauriez qu’ils souffrent eux aussi de leur impuissance et de leur pauvreté…[2] »

     

    Élisabeth de Miribel

    Extrait de Comme l’or purifié par le feu - Édith Stein 1891-1942
    Cerf, 2012

      



    [1] Mère Thérèse-Renée du Saint-Esprit, Edith Stein, Lebensbild einer Philosophin und Karmelitin, p. 73.

    [2] Idem, p. 74.

     

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  • "En fait d’impressionnabilité l’enfant, l’artiste et le saint sont frères" Méditation de la citation de Édith Stein

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    La notion d’Écologie Humaine attire à elle celle, primordiale et fondatrice, de l’intériorité. La vie intérieure de l’être humain est l’espace-temps par lequel il va s’accroître et grandir. C’est l’expérience de soi en soi au sein du monde. Plus il y sera attentif, plus il s’affinera dans sa manière d’être librement au monde et plus il s’y réalisera en phase avec ce qu’il est profondément. Plus il saura visiter la petite cellule qui est en lui, plus il sera plein d’une force sereine qui rayonnera de lui et se propagera sans effort, naturellement. La petite cellule en soi est une chambre des délices[i].

    « En fait d’impressionnabilité l’enfant, l’artiste et le saint sont frères. » ÉDITH STEIN

     

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    TENDRE À UNE DÉFINITION DE L’IMPRESSIONNABILITÉ 

    IMPRESSIONNABILITÉ : vulnérabilité, faculté de se laisser traverser, de se laisser affecter par l’altérité du monde.

    L’être est ouvert à plus grand ou plus petit que lui. Forme de curiosité questionnant le monde, l’extérieur à soi, l’autre. Quête de l’Autre. L’impressionnabilité est une manière d’être en devenir. Une manière de se laisser advenir ; de naître à soi-même par ce qui est extérieur à soi ; de se laisser visiter par l’Autre.

    L’être comme un lieu en soi où, telle une pellicule sensible se laissant impressionner accueille ce que le monde imprime en lui, acquiesce à la coloration qu’il va tracer sur lui, s’en laisse modifier, altérer.

    L’impressionnabilité est un acquiescement à l’altération du monde sur soi, en soi.

    C’est par le jeu pour l’enfant qui rêve tout en jouant, babillant, se racontant des histoires, chantonnant, dansant… ;

    C’est par la création pour l’artiste qui reçoit, se nourrit autant qu’il donne à percevoir le résultat des énergies qui l’ont traversé ;

    C’est par l’oraison pour le saint, qui accompagne toutes ses activités, que ce soit dans le travail, ses relations à autrui, aussi bien que dans sa pratique de la lectio divina (oraison, méditation, contemplation) lecture sainte des religieux.

    Ce qui rend frères l’enfant, l’artiste et le saint est cette attitude de prière étendue à la matérialité du monde, à la relation à l’autre, dans les activités quotidiennes. L’incantation permanente et secrète au creux de soi, où que l’on soit, quoi que l’on fasse.

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    LE SYMBOLE FONDE L’HOMME

    Ce qui fonde l’homme, la nature humaine, c’est sa faculté à susciter du symbolique. Le repère dans la relation à l’autre est symbole. Parce que l’individu est individe, qu’on ne peut le diviser sans porter atteinte à son intégrité vitale, la dimension symbolique est présente à l’homme dès le commencement de sa vie et jusqu’à son terme. C’est d’abord une manière d’être avec sa propre solitude d’individu, être individe. 

    L’homme est l’être de la reconnaissance par excellence. Reconnaissance de soi par autrui, reconnaissance d’autrui, de ceux qui lui font du bien, qui lui ont donné la vie, reconnaissance mutuelle de ceux qui l’aiment et avec lesquels il entre en relation, reconnaissance qui s’exprime aussi, comme à son sommet, dans la possibilité de donner à son tour de soi, de laisser des traces constructives et épanouissantes de soi dans le monde. La quête de reconnaissance est inhérente à l’homme. Il est aussi un être de la louange, capable d’exprimer la gratitude profonde une fois qu’il a éprouvé pour lui-même la joie d’être accueilli pour ce qu’il est, reconnu, né à nouveau dans le regard de l’autre. 

    Le symbole est le vecteur, le véhicule du caractère exclusivement humain de l’homme. C’est la figure, l’objet, la forme, le dessin, l’image, le mot, la parole, la lettre, la métaphore, le geste… mis en circulation, mis en situation de partage, d’échanges entre les enfants, entre les adultes, entre les enfants et les adultes. Entre l’homme et le grand Autre. Ce peut être & devrait être d’abord un rapport à sa propre solitude. Le symbole est ce par quoi se reconnaît la faculté de l’homme à l’être. L’homme est un être de la relation, de la communication, du rapport à l’altérité. Le jeu, le rêve, la rêverie ; le rêve nocturne, le songe, la pensée, la création ; la prière ; toutes les disciplines du travail humain depuis l’artisanat jusqu’aux métiers ayant trait à l’économie, à la finance, au droit, en passant par les professions de santé et du social, ceux de la culture, de l’éducation et de l’enseignement ; et même au sein de la misère sociale, de l’indigence matérielle la plus dégradée, l’homme a encore et toujours ce besoin de relation a plus grand et plus petit que soi, et de matérialiser par des voies symboliques ce fait-là d’être là, un homme au monde dans toutes les situations concrètes qu’il présente de façon incessamment renouvelée. Depuis sa geôle ou sur un trône, seul ou accompagné, en activité ou privé d’activité, la première faculté de l’homme, parce qu’il a soif de relation, est de fabriquer malgré lui du symbolique, de rechercher le lien à l’altérité du monde. C’est par cela qu’il est homme et qu’il existe. Il cherche cette part de lui-même, il s’adresse à l’altérité qui est en lui ; il rêvera, écrira, pensera, parlera, jouera, même seul. Dans la petite cellule en soi, l’homme appelle sans relâche. 

    « Le cœur des petits enfants n’a-t-il pas été créé pour prier, pour aimer ? Pourquoi en est-il si peu qui prient ? Pourtant, la prière des enfants est toute puissante. Rien de plus beau n’est monté à Dieu que la prière des enfants. Plusieurs enfants réunis dans la prière font pour le Ciel des choses merveilleuses. Ô mères ! Faites aimer la prière à vos enfants et Dieu trouvera sa gloire en vous. Soyez certaines que les anges prient au milieu des enfants et demandent avec eux. » MARTHE ROBIN

                Notre société actuelle ruine le symbolique. Elle s’y attaque, mais s’y achoppe. On ne peut retirer à l’homme sa manière d’être qui est toute profondeur. L’impressionnabilité d’Édith Stein est fort mise à mal. Elle est malmenée, utilisée, manipulée, orchestrée, blessée, violée, bafouée ou tout simplement niée. Le nihilisme totalisant dénie le besoin qu’a l’homme du symbolique, le contraignant par cet acte à se plier à ses idéologies, à ses visées néfastes de domination mortifère, bref, à l’avilissement de la nature humaine pour continuer à dominer les masses, les individus ainsi dénaturés. Ce pouvoir utilise aussi, cependant, des armes pleines de symboles qui déracinent l’individu, le privent de la relation vitale à sa vie spirituelle, dénigre l’existence de ce besoin primordial. Bref, divise l’individu en son cœur même, s’introduit en lui pour le briser, le déraciner. Dès que l’enfant à accès aux écrans de toutes sortes (voir le nourrisson en situation devant un écran), son impressionnabilité est alors très vite mise en danger et pervertie.

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    PRENDRE SOIN DE L’IMPRESSIONNABILITÉ

    Considérer chaque individu comme un être porteur au fond de lui comme d’une sorte de chambre obscure, une camera oscura, la chambre photosensible, la cellule intérieure par une petite ouverture de laquelle le monde extérieur figuré par des rayons de lumière va impressionner la pellicule sensible, cette peau interne tapissant les parois de la chambre de l’être. Le lieu en soi, éminemment intime, est visité par les rais de lumière provenant de l’extérieur, qui impriment en lui des impressions de toutes natures. C’est dans cette cellule intérieure exposée à la lumière, ce lieu en soi tout monastique (monos : un seul), à la configuration si unique & particulière bien que présente en chacun universellement, que va se former la relation symbolique au monde, à l’altérité. Il faudrait pouvoir agir avec cette chambre intérieure comme se tenant aux abords d’un sanctuaire. Porter une attention toute spéciale à ce lieu présent dans chaque individu comme s’il s’agissait d’un sanctuaire. Avec discrétion, tact et délicatesse. Sans en forcer l’entrer. Rester en relation avec l’autre c’est respecter cette frontière, cet espace intime vital, ne pas franchir cette zone par la force, ne pas transgresser la limite, mais progresser dans la relation d’altérité, proposer son altérité, l’exposer doucement, et laisser l’autre s’y ouvrir en tout désir, en toute liberté, dans l’acquiescement libre au mouvement du partage. La lumière au seuil du cœur de l’autre, l’ouverture du diaphragme doit pouvoir se faire librement, le diamètre de l’opercule laissant les rais lumineux investir ce lieu interne, pouvoir être modulé sans contrainte extérieur. C’est cela se laisser impressionner. Comme le papier reçoit l’encre des lettres. Comme la pellicule photosensible est exposée à la lumière de façon dosée. 

    L’impressionnabilité chez l’enfant, l’artiste ou le saint est cette attitude toute priante dans sa relation avec l’extérieur, au monde extérieur à soi, à l’altérité du monde. Ce monde comprend les différentes perceptions sensibles que l’on en a, les mouvements, les lumières, les ombres, les procès (au sens de processus), toutes les choses physiques et matérielles qui sont aussi gouvernées par du symbolique, du fait même que le regard de l’être humain est pétri par la quête de l’altérité. Ce regard de l’être humain est à la fois ancré dans l’être et dans le devenir permanent. Le symbolique est en devenir permanent. C’est un langage animé, vivant. Le besoin de relation de l’homme est intégral, absolu. Un bébé laissé à lui-même meurt, même s’il est nourri par des automates. J’ai besoin de la cellule sanctuarisée de l’autre pour vivre. Que je sois enfant, artiste ou saint. Bref, homme tout simplement. C’est la quête de ma vie : me laisser impressionner par la bienveillance du monde extérieur à moi. Et, cette lumière ayant déposé des traces en moi, en restituer les fruits inouïs, inédits, spécifiques à ce que je suis, ce qui relancera ma relation, le dialogue que j’établis avec le monde, l’enrichira et le fera progresser en humanité. 

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    APPRENDRE À RECONNAÎTRE LE SANCTUAIRE DE L’ÊTRE

    La tâche de l’Écologie Humaine en art et culture est d’apprendre à reconnaître ce sanctuaire de l’être où tant de phénomènes exclusivement humains ont lieu, à le connaître, à le préserver. Permettre à chaque individu désireux de vivre en vérité ce qu’il est au fond de lui-même, cet être de relation bienveillante envers soi-même et le monde.

    Avant d’être une pratique, l’art est une manière d’être, comme être enfant en est une, comme être saint en est une autre, avec des pratiques spécifiques nourrissant ces manières d’êtres.

    La pratique de l’art est d’abord une manière d’être et d’agir avec son espace sacré intérieur dans la relation à l’autre, au monde et à soi. L’Écologie Humaine est ce lieu symbolique de partage d’expériences ou pourra s’apprendre à repérer cet espace en soi & à l’aimer ; à le laisser interagir avec autrui & son environnement. Cette cellule sanctuarisée de l’homme est le cœur où s’agitent les énergies créatrices, la chambre secrète dans laquelle s’inscrivent les représentations, les relations au monde, qui seront restituées, comme traduites, dans la manière d’être au monde de chaque individu : individe, unique, précieux et sacré.

     

    SANDRINE TREUILLARD


    16 juin 2013
    pour L’ECOLOGIE HUMAINE
    rubrique Art & culture

     


    i « La petite cellule qui se souvient est une petite chambre des délices. » Geoffroi de Vinsauf, en 1210 environ in « POETRIA NOVA », « en ces temps où la longue tradition de méditation touchait à sa fin » écrit Mary Carruthers dans son ouvrage « MACHINA MEMORIALIS - MÉDITATION, RHÉTORIQUE ET FABRICATION DES IMAGES AU MOYEN ÂGE »

     

    --------------------

    Sandrine Treuillard

    Née en 1974 à Orléans. Diplômée des Beaux-Arts de Bourges (1995) puis de Lyon (1999). Formation typographique & pao à l’Imprimerie Nationale (2001). Porte 34 est son lieu de vie et de travail (écriture, photographie & vidéographie), rue Étienne Marey, Paris 20ème de 2002 à 2009.

    Correspondances : 1998-2005 avec l’éditeur & commissaire d’exposition bernois Johannes Gachnang. - 2006-2008 avec l’écrivain Pascal Quignard. - 2002-2004 Assistante de l’artiste vidéaste Joël Bartoloméo. - 2004 Voyage à Naples : Carnet de voyage photos mailé. - 2005 Performance à Marseille, exposition à La Friche La Belle de Mai, avec Les Instants Vidéo. - 2006 Commence ses productions en vidéographie. Les Instants vidéo, Côté Court, Traverse Vidéo et Imagespassages sont les festivals qui diffusent ses travaux. - 2008 : Naissance du blog MACHINA PERCEPTIONIS & nouveau voyage à Naples & en Sicile - 2010-2011, travaille le rapport de la vidéographie avec la musique contemporaine des accordéonistes Stefan Hussong & Teodoro Anzellotti. - Été 2012 : création de l’entreprise GRAPHISMISENPAGE - Création & animation du blog La Vaillante - Paroles de fond & de veille au service de la vie dans la société française_Post 13/01/2013  

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  • Comment apprendre à ce que les urbains reposent la question de la campagne ? (Le Temps des Grâces)

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    Michel Corajoud Paysagiste.jpg« Tant que les urbains n’auront pas pris à bras le corps cette question de leurs campagnes, et qu’il n’y aura pas réconciliation de ces deux mondes, il n’y a pas d’espoir. Parce que c’est quanti-tativement les urbains qui peuvent faire pression. Les paysans sont cuits, ils sont dans une seringue de laquelle ils ne peuvent pas sortir. Mais si un jour l’ensemble des urbains questionne la société en disant : «  Eh ! Attention ! Notre grenier on doit le préserver… notre grenier pour manger, mais aussi notre grenier de paysages à conserver… » ça fait du monde, hein ?! Et comment apprendre à ce que les urbains reposent la question de la campagne ? Il n’y a que l’éducation, il n’y a que l’école.

    ZonePylones élect-Paysage.jpgLe fait que ces petites villes rurales gardent ce qui fait encore leurs qualités, c’est qu’elles sont en perspective de leur rivière, elles sont en perspective de leur montagne, leur territoire agricole est encore en vue, la situation n’est pas bouchée comme elle l’est dans les grands centres urbains où vous ne savez plus où vous êtes. Où il y a la Seine qui fait qu’à Paris on a une géographie qui s’impose quand on est au bord de la Seine. Et puis comme beaucoup du système urbain, Paris est orienté par rapport à elle, sa géographie reste très présente, mais… Et puis, on a la butte Montmartre, on a des choses comme ça, on a quelques éléments de géographie, mais… De plus en plus les villes ont tendance à masquer tout ça. Et je pense qu’il y a une sorte de retour nécessaire à faire pour que l’on retrouve cette sorte de simplicité qui est celle de l’attention où l’on est. Qu’est-ce qui vaut la peine d’être conservé ? À L’Isle-d’Abeau, par exemple, à la sortie de l’école les enfants regardent la vue sur le Mont-Blanc. J’ai le sentiment que c’est mieux que quand ils sortent de l’école ils ne voient rien du tout… Parce qu’ils sont dans des haies, dans des systèmes de protection qui font que l’attention n’est portée sur rien. Quand vous êtes à L’Isle-d’Abeau, de savoir que vous participez d’un paysage, d’une vallée, qui est la grande vallée du Rhône, et que vous avez à l’horizon la chaîne de montagnes des Alpes, je ne sais pas si ça vous guérit de tous les malheurs… mais vous restez en intelligence avec le lieu. Et ça, c’est réactionnaire de penser comme ça ? Je ne crois pas, je pense que cette frénésie de vouloir… Aujourd’hui, il y a toute une série de gens qui voudrait faire penser à tout le monde que la modernité c’est le chaos. »

     

    Michel Corajoud
    Paysagiste, Paris

    Extrait du film documentaire de Dominique Marchais
    Le Temps des Grâces, 2009, Capricci

    "Le Temps des Grâces" en VOD - Film de Dominique Marchais - en Streaming et à Télécharger 

    Le Temps des Grâces Présentation sur La Vaillante

    Le Temps des Grâces Retranscriptions sur La Vaillante 

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  • Quand on n’a que l’amour et qu’on ne peut pas avoir d’enfant, on est autorisé, aujourd’hui, à en programmer un qui sera arraché à sa mère dès la naissance

    AC Venot 1 - 18 juin 2015.jpg         Quand on n’a que l’amour et qu’on ne peut pas avoir d’enfant, on est autorisé, aujourd’hui, à en programmer un qui sera arraché à sa mère dès la naissance. Tout se passera bien pour cet enfant, on lui expliquera tout : ton papa et ta maman, ou tes deux mamans, ou tes deux papas, ne pouvaient pas te concevoir. Alors ils ont loué une dame très gentille qui avait des enfants et ils sont  allés te chercher très loin pour te ramener chez eux. Quand on n’a que l’amour… Et puis le petit bébé va grandir, il va demander qui est sa maman, et réaliser qu’il a deux ou trois mamans : mais alors qui est ma vraie maman ?

             Alors j’ai été abandonné ? Alors vous m’avez négocié, fabriqué, trié, acheté ? Pas de problème, dites-vous, quand on a que l’amour, on sait expliquer… c’est moi, ta vraie maman : moi qui avait l’intention de t’avoir ! Oui mais, à qui je ressemble ?  Quand on n’a que l’amour…

             Et puis l’adolescent se fait jour et avec lui le temps des questions tortueuses, le temps des frottements, le temps de la construction de l’identité et des remises en cause : Vous n’êtes pas mes vrais parents, je veux ma maman, j’irai la chercher. Quelles sont mes origines ? Je déteste me voir dans la glace, je ne sais pas à qui je ressemble, je me sens mal, pourquoi ? Quelle est cette colère sourde qui gronde en moi sans s’apaise… ? Quand on n’a que l’amour… Mais nous t’avons élevé, nous t’aimons, pourquoi ne vas-tu pas bien mon chéri ? Tu as été choisi parmi les meilleurs, pourquoi n’es-tu pas heureux ? Ah oui, entre la case assurance handicap et le choix de la couleur des yeux, cette case n’était pas prévue dans le contrat de GPA.

    MaternitéMarchandisée 18:06:2015.jpg         À tous ceux qui parlent de la Gestation Pour Autrui, de ce bonheur d’être né et abandonné par sa mère, à tous ceux-là, il est temps de dire que nous, les adoptés, nous avons une vraie expérience de la situation. Laissez-nous vous dire que nous portons pour toute notre vie cette blessure d’abandon. Nos parents adoptifs nous ont donné une vraie chance de bien redémarrer et c’est un sacré défi pour tous. Comment derrière vos prétoires, Messieurs les juges, comment assis sur vos bancs, Messieurs les Députés, pouvez-vous ne pas réaliser qu’un enfant n’est pas une chose, qu’il a des sentiments et un ressenti de ce qui lui arrive, même tout petit ? Comment pouvez-vous ignorer que nous avons une peur panique de l’abandon et que nous n’aimons pas le changement ? Pourquoi ne pas vouloir entendre que nous sommes marqués par cet arrachement de départ ?

             Mais, nous les adoptés, savons aussi que nos parents adoptifs ne sont pour rien dans ce qui nous est arrivé. Nos parents adoptifs ne nous ont pas soumis à cette blessure. Ils se sont employés à la guérir. Au contraire, ces petits sans voix, nés d’une GPA et arrachés à leur mère, comment pourront-ils exprimer plus tard leur souffrance et leur mal-être, auprès de parents qui ont programmé l’abandon de leur propre enfant ? Nous, enfants adoptés, n’avons pas ce conflit de loyauté qui sera le leur, et leur interdira de dire leur souffrance, allant même jusqu’à les priver de mots pour la penser et se la dire à eux-mêmes.

    AC Venot 2 - 18 juin 2015.jpg         Réalisez-vous sérieusement que ces filles arrachées à la naissance à leur mère deviendront un jour elles-mêmes ”maman”. Mais le pourront elles seulement, tant leur petite mémoire leur rappellera la souffrance de leur départ dans la vie ? Comment vous faire comprendre cette évidence : nous les enfants nous ne voulons pas être créés pour être abandonnés. Quand on a que l’amour… on n’arrache pas un enfant à sa mère.  

    Anne-Claude Venot 
    Présidente de l’Agence Européenne des Adoptés

    Discours du 18 juin 2015 devant le Palais de Justice de Paris
    repris de Atlantico.

    Photos : Chяistophe † =


     

     

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  • GPA-PMA : Un libéralisme effréné a transformé toute personne en marchandise soumise à la loi de l’offre et de la demande

    JP Delaume Myard 30 mai 2015Vincennes.jpg

    Le 30 mai 2015, Ludovine de La Rochère & Jean-Pier Delaume-Myard
    étaient les invités des AFC du Val-de-Marne,
    dans le cadre du Tour de France pour la Famille de LMPT.
     

     Après le rappel de ce qu'est la GPA, 
    voici l'intervention de Jean-Pier Delaume-Myard :

     

             Mes cher(es) ami(es), merci de m’accueillir, aujourd’hui, parmi vous.

             La question de savoir si la loi Taubira prenait en compte les droits de l’enfant a été cruciale dès mes premières interventions. Elle a été, aussi et bien sûr, le fondement de l’immense mobilisation contre le mariage de personnes de même sexe.

             Pourtant, des centaines et des centaines de milliers de personnes dans la rue ont été méprisées, une pétition de 700 000 signatures déposée au CESE a été balayée d’un revers de main, des débats ont été bâclés et orientés. Nous avons connu également un vote à main levée au petit matin au Sénat, une deuxième lecture sans débat à l’Assemblée Nationale, et tout cela, paraît-il, au nom de la démocratie et afin d’opérer un changement de civilisation dans le pays dits des ”Droits de l’Homme”.

             Depuis la première manifestation fin 2012, La Manif Pour Tous a avancé un certain nombre d’arguments pour s’opposer à la loi Taubira. Ils ont été ignorés par les médias et dénigrés par les partisans du mariage pour tous, au motif que nous mentions ou que nous propagions de fausses informations.

             Si je me suis engagé contre la loi Taubira ouvrant le mariage pour personnes de même sexe, c’est que cette loi est en réalité la porte ouverte à la GPA et à la PMA. La preuve nous a été apportée dès le 25 janvier 2013, par l’envoi de la Garde des Sceaux de la navrante « circulaire Taubira » demandant aux juridictions de délivrer « des certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger d’un père français et d’une mère porteuse et ce, avec « application immédiate » ».

             Il est à noter que cette circulaire est envoyée, à la surprise générale, au moment même où le gouvernement annonce la saisine du Comité consultatif National d’Éthique, dont, entre parenthèse, nous attendons toujours la réponse.

             Revenons un instant sur cette circulaire. Que dit-elle exactement ? La circulaire recommande « lorsqu’il apparaît avec suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui », de « veiller à ce qu’il soit fait droit » à de telles demandes. Cette circulaire est la preuve, depuis le début, du double langage du gouvernement. Alors qu’il jure qu’il ne saurait être question d’accepter la GPA, c’est tout l’inverse dans les faits. C’est en réalité une légalisation de la gestation par et pour autrui.

             C’est aussi et surtout une immense hypocrisie de la part du gouvernement français qui préfère pour ses citoyens la pratique de la GPA en dehors du territoire français.

             Ce ne sont plus seulement les droits de l’enfant que l’on viole, mais aussi ceux de la personne humaine. La GPA n’est pas plus ni moins que la légalisation d’une prostitution étatisée, une nationalisation organisée du corps de la femme.

     

    AFF TDF Vincennes et AFC.jpg   Mais au fait, pourquoi nous à La Manif Pour Tous s’obstine-t-on à parler de GPA ? En promulguant la loi Taubira, le mariage pour tous inclut de facto l’adoption, la GPA et la PMA, car c’est tout ou rien : qui dit mariage dit tout cela, car la finalité du mariage est la fondation d’une famille, il en est le cadre institutionnel.

             On sait bien que les enfants adoptables sont rares et que les couples de même sexe auront beaucoup de mal à en adopter. De fait, environ 25 000 couples hétérosexuels ont un agrément pour seulement 2 000 enfants à adopter. Autre complication induite par la promulgation de la loi Taubira : un certain nombre de pays ont fermé l’adoption aux pays ayant voté une loi sur l’homoparentalité. Le nombre d'adoptions a été de moins de 1 000 en 2014, soit la moitié des adoptions il y a encore trois ans. De plus en plus de pays ont arrêté de collaborer avec la France. Certains, comme Djibouti, n'acceptent plus de candidatures venant de France. D'autres, comme le Congo, ont arrêté net, bloquant ainsi des enfants déjà adoptés, mais pas encore sortis du pays, dans leur orphelinat.
C’est une double catastrophe : d'une part, les enfants sont de plus en plus nombreux dans les orphelinats, d'autre part, les ressources de ces mêmes orphelinats ont chuté brutalement, puisque c'étaient les adoptants qui les finançaient pour la plus grande part.

             Il n’y a pas que des hommes politiques de gauche qui se disent favorables à l’adoption, il y a aussi des hommes politiques de droite comme le maire de Bordeaux qui, dans une interviewe pour un magazine a déclaré : « Après mûre réflexion, je suis favorable à l’adoption par un couple de même sexe, après qu’on aura vérifié, comme c’est le cas pour les couples hétérosexuels, que les conditions d’épanouissement de l’enfant sont réunies ». En ce qui me concerne, j’ai vérifié mes conditions d’épanouissement pour les prochaines élections présidentielles. Et bien en 2017, j’ai décidé, en tant qu’homosexuel, de ne pas adopter Alain Juppé, puisqu’il s’agit de lui. 

             Ceci étant dit, quelle solution reste-t-il alors pour que les couples de même sexe puissent se prévaloir des mêmes droits que les couples hétérosexuels ? Pour les femmes, c’est la pratique de la PMA, légale notamment en Belgique et en Espagne. 

             Est-ce une pratique qui mérite d’être encouragée et admise en France ? Si tel était le cas, les couples d’hommes qui, pour des raisons physiologiques, ne pourront jamais accéder à la procréation, ne seraient-ils pas fondés à réclamer l’égalité par rapport aux couples de femmes en matière d’enfants ? Dans ce cas de figure, seule la légalisation de la GPA permettrait de satisfaire leurs revendications avec toutes ses conséquences.

             Bien sûr  qu’un couple de même sexe peut apporter autant de bonheur qu’un couple hétérosexuel. Certes et après ? Quels seront les repères pour cet enfant, sa filiation ?  Son non rapport à la mère ou au père ? Il y a aussi les grands parents, ils jouent un rôle considérable dans l’éducation, on l’oublie un peu trop souvent. L’enfant n’a pas à être traité comme un cobaye. Il n’a pas à s'adapter à une dictature « Homo-parentale ».

             Le 4 décembre 2013, la majorité a adopté une loi pénalisant les clients de prostitués. Si la GPA passe au détour de la PMA, est-ce que le fait de se servir du corps d’une femme contre rémunération ne sera-t-il pas considéré comme un acte répréhensible par la loi ? Ce n’est pas seulement moi qui m’interroge ainsi, mais Najat Vallaud Belkacem, alors ministre des droits de la femme quand elle dit devant l’Assemblée nationale :

             « La détresse de l’un ne se soigne pas par l’exploitation de la détresse de l’autre. Elle n’est jamais une justification… Depuis quand notre pays admettrait-il que la liberté aille au-delà de ce qui ne nuit pas à autrui ? Depuis quand privilégierions-nous une souffrance par rapport à une autre ? Depuis quand le corps humain devrait-il être assimilé à un médicament ? Depuis quand se soignerait-on aux dépens d’une autre personne. »

             Pour une fois, vous avez raison Madame la Ministre. Ni la femme, ni l’enfant ne doivent être traités comme une marchandise. Ceci est contraire à la reconnaissance de la dignité inhérente de l’être humain. Traiter une personne comme une marchandise est la caractéristique de  l’esclavage, comme une caractéristique de la prostitution.

    DSCN6296.JPG         En tant qu’homosexuel, depuis le début de mon engagement, je ne me bats pas pour une communauté, je me bats en mon âme et conscience pour que chaque enfant ait un père et une mère.  Je suis avant tout un citoyen, un citoyen engagé, si j’avais été hétérosexuel, je me serais battu tout autant au côté de La Manif Pour Tous : c’est-à-dire du côté de la raison ! Mon engagement n’a rien à voir avec mon orientation sexuelle.

             Si demain en France, la GPA et la PMA passent les grands perdants ne seraient pas vous, ni moi. Les grands perdants seraient malheureusement les enfants eux-mêmes en leurs confisquant leur droit à une légitime filiation. En les privant de leur égalité vis-à-vis des autres enfants reconnus d’un père et  d’une mère. Le gouvernement, à force de vouloir faire des lois et des concessions pour le lobby gay, fait de l’apartheid non seulement vis-à-vis des autres citoyens, mais plus encore vis-à-vis des homosexuels eux-mêmes. Et je dis bien de l’apartheid, c’est-à-dire une politique ultra-minoritaire et communautariste à l’encontre d’une majorité de Français.

             En conclusion, la GPA au nom de qui ? Au nom de quoi ?

             Au nom d’un lobby gay non représentatif des homosexuels.

             Au nom d’une idéologie eugéniste.

             Comment pouvons-nous cautionner, accepter la vente d’enfants et l’exploitation de femmes ? Comment pouvons-nous rester aveugle devant tant de souffrance ? 

             Un libéralisme effréné a transformé toute personne en marchandise soumise à la loi de l’offre et de la demande. On veut nous faire croire que c’est au nom des ”droits de l’homme”, caution morale indiscutable, que la GPA doit être acceptée, au nom de l’intérêt supérieur des enfants et du droit au respect de la vie familiale. 

             Mensonge, dix fois, cent fois, mille fois mensonges. Il est urgent d’abroger la loi Taubira qui permet implicitement cette ignominie. Demandons aussi que soit, sans délai, retirée la circulaire Taubira qui est le mensonge le plus odieux en laissant croire qu’un enfant peut être apatride. Taubira à travers cette circulaire octroie de façon scandaleuse, purement et simplement, un droit à la filiation censitaire.

             Cour Européenne des Droits de l’Homme réveillez-vous ! Avec l’arrêt inique que vous avez rendu le 27 janvier dernier, vous réduisez à néant la liberté des États de refuser la GPA et de ne pas lui reconnaître d’effets juridiques. Plus encore, votre arrêt est une incitation au trafic international d’enfants. 

             Non et non, la GPA est ni altruiste, ni généreuse, ni éthique. Elle n’est en rien démocratique. Toute légalisation représenterait une régression du droit, une extension du domaine de l’aliénation.

             Les violeurs d’âme et d’intégrité, par billets de banque ou par cartes bancaires occultent les circonstances d’une naissance obtenue par le manquement le plus élémentaire des droits fondamentaux des mères et des enfants. 

             Outre être des violeurs et des voleurs, ceux qui font appels à la GPA sont aussi le plus souvent de futurs assassins. Les cliniques indiennes réduisent les frais de soins de la mère porteuse entraînant, ainsi, un taux élevé de mortalité maternelle. Telle est la réalité de la GPA dont on demande la libéralisation au nom des droits de l’homme, et qui, aux dires de certains, serait un progrès pour l’humanité. 

             On regrette l’époque où la gauche prônait la lutte des classes, se battait contre l’exploitation de la femme, car il n’y a pas plus pauvre et pas plus en détresse qu’une femme que l’on réduit à l’état de poule pondeuse. Aujourd’hui, cette gauche bien pensante proclame de façon arbitraire le droit à l’enfant, « si je veux et quand je veux », comme un bien de consommation, c’est inacceptable et irresponsable ! 

             En laissant entrer odieusement sur notre territoire des vendeurs d’enfants, on confisque leur droit à une légitime filiation, on les prive de leur égalité vis-à-vis des autres enfants reconnus d’un père et d’une mère.

             Certains hommes politiques  - et pas des moindres -, se refusent de dire si oui ou non ils reviendront sur la loi Taubira, certains hommes politiques - et pas des moindres -, disent clairement que s’ils reviennent au pouvoir, ils seront contre l’abrogation du mariage pour tous. 

             Je voudrais clairement et explicitement leur dire, voir leur expliquez que s’ils n’abrogent pas cette loi, ils légaliseront de fait la polygamie, car comme dirait Lapalisse, deux hommes entre eux ou deux femmes entre elles, ne peuvent pas avoir d’enfant et qu’il faut bien une troisième personne : la mère ou le père génétique. Messieurs et mesdames les politiques, et je sais qu’il y en a dans cette salle, osez dire non à cette loi, ne légalisez pas, en plus de la marchandisation de la femme et de l’enfant, le triolisme. 

             Osez dire non à un lobby qui vous manipule, n’en soyez pas les marionnettes. Prenez garde aux aveugles, ils jalousent la lumière ! 

             En tant qu’homosexuel, je refuse que mon orientation sexuelle devienne l’expression d’une loi imposée à tous ; je refuse d’être la caution d’une loi qui tôt au tard va tuer purement et simplement la Famille. 

             Le désir d'enfants, et je le sais, est une réalité sincère, mais nous homosexuels, nous sommes des personnes responsables, nous n’avons pas à demanderà la société d’organiser légalement des vols d’enfants, des viols de femmes pour transformer cette réalité-là 

             Non le ventre des femmes n’est en rien comparable avec les bras d’un ouvrier. Non le ventre des femmes n’est pas à louer. Non le ventre des femmes n’est pas un distributeur d’enfants pour bobo gay en mal d’affection.

             La GPA pas en notre nom, pas en mon nom !

             Je vous remercie.

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     Jean-Pier Delaume-Myard
    Porte-parole de La Manif Pour Tous

     

     

    Photographies : ©Chantal Desmoulins-Lebeault, AFC Val-de-Marne, LMPT

     

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  • Le prêtre, la fatigue & le repos

    pape françois,foi,christianisme,transmission,prêtre,vulnérabilité,eucharistie

                « Ma main sera pour toujours avec lui, mon bras fortifiera son courage » (Ps 88, 22). C’est ainsi que pense le Seigneur quand il dit en lui-même : « J’ai trouvé David mon serviteur, je l’ai sacré avec mon huile sainte » (v.21). C’est ainsi que pense notre Père chaque fois qu’il « trouve » un prêtre. Et il ajoute encore : « Mon amour et ma fidélité sont avec lui, il me dira : tu es mon Père mon Dieu, mon roc et mon salut »  (vv. 25.27).

                Il est très beau d’entrer, avec le psalmiste, dans ce monologue de notre Dieu. Il parle de nous, ses prêtres, ses curés ; mais en réalité ce n’est pas un monologue, il ne parle pas seul : c’est le Père qui dit à Jésus : « Tes amis, ceux qui t’aiment, pourront me dire de manière spéciale : tu es mon Père » (cf. Gn 14, 21). Et si le Seigneur pense et se préoccupe tant de la manière dont il pourra nous aider, c’est parce qu’il sait que la charge d’oindre le peuple fidèle n’est pas facile, elle est dure ; elle nous conduit à la fatigue et à la lassitude. Nous en faisons l’expérience de multiples manières : de la fatigue habituelle du travail apostolique quotidien, à celle de la maladie et de la mort, y compris dans le fait de se consumer dans le martyre.

                La fatigue des prêtres ! Savez-vous combien de fois je pense à cela : à la fatigue de vous tous ? J’y pense beaucoup et je prie souvent, surtout quand moi aussi je suis fatigué. Je prie pour vous qui travaillez au milieu du peuple fidèle de Dieu qui vous a été confié, et, pour beaucoup, en des lieux très abandonnés et dangereux. Notre fatigue, chers prêtres, est comme l’encens qui monte silencieusement vers le ciel (cf. Ps 140, 2; Ap 8, 3-4). Notre fatigue va droit au cœur du Père.

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                Soyez sûrs que la Vierge Marie se rend compte de cette fatigue, et la fait remarquer tout de suite au Seigneur. Comme Mère, elle sait comprendre quand ses fils sont fatigués et elle ne pense à rien d’autre. Elle nous dira toujours, lorsque nous venons à elle : « Bienvenue ! repose-toi, fils. Après nous parlerons… Ne suis-je pas là, moi qui suis ta Mère ? » (cf. Evangelii gaudium, n. 286). Et elle dira à son Fils, comme à Cana : « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2, 3).

                Il arrive aussi que, lorsque nous ressentons le poids du travail pastoral, nous ayons la tentation de nous reposer de n’importe quelle manière, comme si le repos n’était pas une chose de Dieu. Ne tombons pas dans cette tentation. Notre fatigue est précieuse aux yeux de Jésus, qui nous accueille et nous fait relever : «Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, moi je vous procurerai le repos » (cf. Mt 11, 28). Quand quelqu’un sait que, mort de fatigue, il peut se prosterner en adoration et dire : « Ça suffit pour aujourd’hui, Seigneur », et se rendre devant le Père, il sait aussi qu’il ne s’effondre pas, mais qu’il se renouvelle, parce que celui qui a oint le peuple fidèle de Dieu de l’huile d’allégresse, le Seigneur l’oint également : « Il met le diadème sur sa tête au lieu de la cendre, l’huile d’allégresse au lieu des larmes, le chant au lieu d’un esprit abattu » (cf. Is 61, 3).

                Ayons bien présent à l’esprit qu’une clé de la fécondité sacerdotale se trouve dans la manière dont nous nous reposons, dont nous sentons que le Seigneur s’occupe de notre fatigue. Comme il est difficile d’apprendre à se reposer ! Là se joue notre confiance, et aussi le souvenir que nous aussi nous sommes des brebis et nous avons besoin du pasteur, qui nous aide. Quelques questions à ce sujet peuvent nous aider.

    10675579_308744219312834_7326918446506052644_n.jpg            Est-ce que je sais me reposer en recevant l’amour, la gratuité et toute l’affection que me donne le peuple fidèle de Dieu ? Ou bien, après le travail pastoral est-ce que je cherche des repos plus raffinés, non pas ceux des pauvres, mais ceux qu’offrent la société de consommation ? L’Esprit Saint est-il vraiment pour moi « repos dans la fatigue », ou seulement celui qui me fait travailler ? Est-ce que je sais demander l’aide de quelque prêtre sage ? Est-ce que je sais me reposer de moi-même, de mon auto-exigence, de mon autosatisfaction, de mon autoréférence ? Est-ce que je sais converser avec Jésus, avec le Père, avec la Vierge et Saint Joseph, avec mes saints amis protecteurs pour me reposer dans leurs exigences – qui sont douces et légères –, dans la satisfaction d’être avec eux – eux, ils aiment rester en ma compagnie –, et dans leurs intérêts et leurs références – seule les intéresse la plus grande gloire de Dieu – … ? Est-ce que je sais me reposer de mes ennemis sous la protection du Seigneur ? Est-ce que j’argumente et conspire en moi-même, ressassant plusieurs fois ma défense, ou est-ce que je me confie à l’Esprit Saint qui m’enseigne ce que je dois dire en toute occasion ? Est-ce que je me préoccupe et me tourmente excessivement ou, comme Paul, est-ce que je trouve le repos en disant : « Je sais en qui j’ai mis ma foi » (2 Tm 1, 12) ?

                Revoyons un moment, brièvement, les engagements des prêtres, qu’aujourd’hui la liturgie nous proclame : porter aux pauvres la Bonne Nouvelle, annoncer la libération aux prisonniers et la guérison aux aveugles, donner la liberté aux opprimés et proclamer l’année de grâce du Seigneur. Isaïe dit aussi soigner ceux qui ont le cœur brisé et consoler les affligés.

    pape françois,foi,christianisme,transmission,prêtre,vulnérabilité,eucharistie            Ce ne sont pas des tâches faciles, ce ne sont pas des tâches extérieures, comme le sont par exemple les activités manuelles – construire une nouvelle salle paroissiale, ou tracer les lignes d’un terrain de football pour les jeunes du patronage… ; les tâches mentionnées par Jésus engagent notre capacité de compassion, ce sont des tâches dans lesquelles le cœur est « mû » et ému. Nous nous réjouissons avec les fiancés qui se marient, nous rions avec l’enfant qu’ils font baptiser ; nous accompagnons les jeunes qui se préparent au mariage et à la famille ; nous nous affligeons avec celui qui reçoit l’onction sur un lit d’hôpital ; nous pleurons avec ceux qui enterrent une personne chère… Tant d’émotions… Si nous avons le cœur ouvert, cette émotion et tant d’affection fatiguent le cœur du pasteur. Pour nous, prêtres, les histoires de nos gens ne sont pas un bulletin d’information : nous connaissons nos gens, nous pouvons deviner ce qui se passe dans leur cœur ; et le nôtre, en souffrant avec eux, s’effiloche, se défait en mille morceaux, il est bouleversé et semble même mangé par les gens : prenez et mangez. C’est la parole que le prêtre de Jésus chuchote constamment quand il prend soin de son peuple fidèle : prenez et mangez, prenez et buvez… Et ainsi notre vie sacerdotale se donne dans le service, dans la proximité du peuple de Dieu… qui toujours, toujours fatigue.

                Je voudrais maintenant partager avec vous quelques autres fatigues sur lesquelles j’ai médité.

    1538643_213275732193017_440857702_n.jpg            Il y a celle que nous pouvons appeler « la fatigue des gens, la fatigue des foules » : pour le Seigneur, comme pour nous, elle était épuisante – l’Évangile le dit –, mais c’est une bonne fatigue, une fatigue pleine de fruits et de joie. Les gens qui le suivaient, les familles qui lui portaient leurs enfants pour qu’il les bénisse, ceux qui avaient été guéris, qui venaient avec leurs amis, les jeunes qui s’enthousiasmaient pour le Rabbi…, ne lui laissaient même pas le temps de manger. Mais le Seigneur ne se fatiguait pas de rester avec les gens. Au contraire : il semble que cela le remontait. (cf. Evangellii gaudium, n. 11). Cette fatigue au milieu de notre activité est, en général, une grâce qui est à portée de main de nous tous, prêtres (cf. ibid., n. 279). C’est vraiment une belle chose : les gens aiment, désirent et ont besoin de leurs pasteurs ! Le peuple fidèle ne nous laisse pas sans occupation directe, sauf si on se cache dans un bureau ou si on part en ville avec des verres teintés. Et cette fatigue est bonne, c’est une fatigue saine. C’est la fatigue du prêtre avec l’odeur de ses brebis… mais avec le sourire de papa qui contemple ses enfants et ses petits enfants. Rien à voir avec ceux qui sentent des parfums chers et qui te regardent de loin et de haut (cf. ibid., n. 97). Nous sommes les amis de l’Époux, c’est là notre joie. Si Jésus fait paître le troupeau au milieu de nous, nous ne pouvons pas être des pasteurs au visage acide, qui se lamentent, ni, ce qui est pire, des pasteurs qui s’ennuient. Odeur des brebis et sourire de pères… Oui, très fatigués, mais avec la joie de celui qui écoute son Seigneur qui dit : « Venez les bénis de mon Père » (Mt 25, 34).

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                Il y a aussi la fatigue que nous pouvons appeler « la fatigue des ennemis ». Le démon et ses adeptes ne dorment pas ; et comme leurs oreilles ne supportent pas la Parole de Dieu, ils travaillent inlassablement pour la faire taire ou la troubler. Ici la fatigue de les affronter est plus dure. Non seulement il s’agit de faire le bien, avec toute la peine que cela comporte, mais il faut aussi défendre le troupeau et se défendre soi-même du mal (cf. Evangelii gaudium, n. 83). Le malin est plus astucieux que nous, et il est capable de démolir en un moment ce que nous avons construit avec patience durant beaucoup de temps. Il est nécessaire ici de demander la grâce d’apprendre à neutraliser – c’est une habitude importante : apprendre à neutraliser ‑ : neutraliser le mal, ne pas arracher l’ivraie, ne pas prétendre défendre comme des surhommes ce que seul le Seigneur doit défendre. Tout cela aide à ne pas baisser les bras devant l’épaisseur de l’iniquité, devant la dérision des méchants. La parole du Seigneur pour ces situations de fatigue est : «Ayez courage, j’ai vaincu le monde ! » (Jn 16, 33). Et cette parole nous donnera de la force.

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                Et une dernière – dernière pour que cette homélie ne vous fatigue pas trop – il y a aussi « la fatigue de soi-même » (cf. Evangelii gaudium, n. 277). C’est peut-être la plus dangereuse. Parce que les deux autres proviennent du fait d’être exposé, de sortir de nous même pour oindre et nous donner quelque chose à faire (nous sommes ceux qui prenons soin). En revanche, cette fatigue est plus autoréférentielle : c’est la déception de soi-même, mais pas regardée en face, avec la sérénité joyeuse de celui qui se découvre pécheur et qui a besoin de pardon, d’aide : celui-là demande de l’aide et va de l’avant. Il s’agit de la fatigue qui porte à « vouloir et ne pas vouloir », le fait de tout risquer et ensuite de regretter l’ail et les oignons d’Égypte, de jouer avec l’illusion d’être autre chose. J’aime appeler cette fatigue « minauder avec la mondanité spirituelle ». Et quand on reste seul, on s’aperçoit que beaucoup de secteurs de la vie ont été imprégnés de cette mondanité, et on a même l’impression qu’aucun bain ne peut la nettoyer. Il peut y avoir là pour nous une mauvaise fatigue. La parole de l’Apocalypse nous indique la cause de cette fatigue : «Tu ne manques pas de persévérance, et tu as tant supporté pour mon nom, sans ménager ta peine. Mais j’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné » (2, 3-4). Seul l’amour donne du repos. Celui qui ne s’aime pas se fatigue mal, et à la longue, se fatigue plus mal.

                L’image la plus profonde et mystérieuse de la manière dont le Seigneur s’occupe de notre fatigue pastorale est celle de celui qui « ayant aimé les siens…, les aima jusqu’à la fin » (Jn 13, 1) : la scène du lavement des pieds. J’aime la contempler comme lavement de la sequela. Le Seigneur purifie la sequela elle-même, il s’implique avec nous (Evanglii gaudium, n. 24), il se charge le premier de nettoyer toute tache, ce smog mondain et onctueux qui s’est collé durant le chemin que nous avons fait en son Nom.

    pape françois,foi,christianisme,transmission,prêtre,vulnérabilité,eucharistie            Nous savons que l’on peut voir dans les pieds comment va tout notre corps. Dans la manière de suivre le Seigneur se manifeste comment va notre cœur. Les plaies des pieds, les déboitements et la fatigue sont des signes de la manière dont nous l’avons suivi, de ces routes que nous avons faites pour chercher ses brebis perdues, en essayant de conduire le troupeau vers les verts pâturages et les eaux tranquilles (cf. ibid., n. 270). Le Seigneur nous lave et nous purifie de tout ce qui s’est accumulé sous nos pieds pour le suivre. Et c’est sacré. Il ne permet pas qu’ils restent sales. Il les embrasse comme des blessures de guerre, de sorte que la saleté du travail, c’est lui qui la nettoie.

             La sequela de Jésus est lavée par le Seigneur lui-même pour que nous nous sentions en droit d’être « joyeux », « remplis », « sans peur ni faute » et pour que nous ayons ainsi le courage de sortir et d’aller « jusqu’aux extrémités du monde, vers toutes les périphéries », porter cette bonne nouvelle aux plus abandonnés, sachant qu’ « il est avec nous, tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Et s’il vous plaît, demandons la grâce d’apprendre à être fatigués, mais bien fatigués !

     

    581664_109965129190745_49240641_n.pngHomélie du pape François
    Messe chrismale, 2 avril 2015

     

     

    © Librairie éditrice du Vatican
    (2 avril 2015) © Innovative Media Inc.

     

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  • Saint Martin, perle des prêtres

    LE  PLEXUS  SOLAIRE  &  LE  CŒUR 

    Buste-reliquaire St Martin.jpg         La petite boîte en verre enchâssée dans le buste-reliquaire se situe sous la croix pectorale de l’Évêque de Tours, à l’endroit même du plexus solaire[1].

             La poitrine est le siège du cœur et ce dernier rassemble toute la personne en son symbole. La croix pectorale du Christ est ici placée pour être au plus près du cœur de celui qui la porte.

             Le plexus solaire est, lui, situé au centre du diaphragme. Si nous posons notre poing sous les seins à ce niveau de l’estomac, dans ce creux entre la pointe du sternum & le nombril, nous trouvons cette zone qui est un centre nerveux, émotionnel et énergétique très actif et non moins précieux que le cœur. Le plexus solaire participe même de son rayonnement.

             Quand le Christ a subi la crucifixion, sa cage thoracique était compressée de par l’étendue des bras en croix. Le diaphragme et la respiration oppressés, le rythme cardiaque ralenti, l’apport en oxygène dans le sang est raréfié. Lors du martyre de la crucifixion, le plexus solaire est lui-même esquinté : comme les cinq branches d’une étoile tiraillées. Le plexus solaire rassemble en son bulbe un réseau de nerfs intriqués parvenus à lui en rayons d’autres régions du corps. La symbolique du Cœur de Jésus au centre de la poitrine concentre ces deux aspects : du cœur, situé à gauche dans la poitrine ; et du plexus solaire, situé au niveau du diaphragme, sous la poitrine, au centre.

             Sang et respiration. Souffle et pulsation. Sentiments et émotions.

             Quand un saint est représenté sous la forme d’un buste-reliquaire il nous est rappelé que ce saint eut un lien de communion avec le Christ, à ses souffrances, à sa joie et à sa Charité. La relique que renferme la petite boîte en verre du plexus solaire n’est autre que cette Charité. Ce qu’il y a de plus précieux est ici conservé, protégé dans une boîte en verre, et bien souvent objet, fragment difficile à distinguer. Car la Charité est impalpable et invisible. Que ce petit réceptacle en verre fut vide serait plus représentatif du trésor qu’il étreint. La Charité se sent mais ne se perçoit pas comme un objet visible.

             Ce buste-reliquaire de saint Martin n’exhale-t-il pas la charité pure ? La bonté ne se lit-elle pas dans les traits de son visage ? Le rouge de sa chape ne nous transmet-il pas la chaleur de ce qui l’habite ?


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    Comme nous l’avons vu dans un précédent écrit[2], saint Martin a communié à la charité du Christ. Il eut la grâce de vivre de sa Passion en voyant en songe l’Ecce Homo lui apparaître, recouvert de la moitié de sa cape romaine qu’il avait cédée la veille à un misérable, à une porte de la ville d’Amiens. La compassion de saint Martin pour ce misérable se révèle être, par le songe divin, participation à la Passion du Christ lorsque Pilate présenta l’Ecce Homo (« voici l’homme ») aux Juifs après l’avoir fait flagellé. Ecce Homo humilié et outragé par les soldats qui le vêtir de la couleur pourpre du Roi et enfoncèrent la couronne d’épines sur son crâne, lui imposant un roseau à maintenir pour sceptre.

             Le buste-reliquaire de l’Évêque de Tours renferme le précieux trésor de la Charité du Christ que Dieu lui partagea, à laquelle Martin eut le privilège de communier avant de se faire chrétien.

             Le plexus solaire est le siège où converge cette énergie d’amour, zone dans laquelle elle circule et d’où elle rayonne.

     

    SAINT MARTIN   PERLE DES PRÊTRES

    St Martin Perle des Prêtres.jpg         Dans le chœur de la Basilique Saint-Martin de Tours, je vis une bannière ancienne sur laquelle était brodée cette affirmation : Saint Martin perle des prêtres. Le bas-relief sculpté dans le bois de l'autel représente ce qui est dessiné ci-contre. 

             Laissons Sulpice Sévère, son biographe, disciple et témoin direct, nous relater cette scène :

    «  (…) ce jour-là, se produisit un fait merveilleux que je vais raconter. Comme l’évêque, suivant le rite, bénissait l’autel, nous avons vu jaillir de sa tête un globe de feu, qui s’éleva dans les airs avec un rayonnement lumineux comme une très longue chevelure de flammes. Cela, nous l’avons vu un jour de grande affluence, au milieu d’une grande multitude de peuple ; et cependant, les seules personnes qui l’aient vu, c’est une des vierges, un des prêtres, trois seulement parmi les moines. Pourquoi tous les autres ne l’ont-ils pas vu ? De cela, nous ne saurions être juges. » 

             Ce qui me frappe, c’est la correspondance des formes entre le cercle plein de la grande eucharistie présentée lors de l’élévation à l’offertoire ; le cercle de ce globe de feu flamboyant au-dessus de sa tête ; et la sensation globulaire de la zone du plexus solaire. Ces trois manifestations sont de l’ordre du rayonnement solaire. Il y a aussi une nette correspondance entre ces trois formes et cette caractérisation de perle (des prêtres), puisque la perle est aussi sphérique que le globe. Et accolée au nom de prêtres cette sphère minuscule atteint la taille du globe de feu, au-dessus de sa tête, ou de la sainte eucharistie qu’il élèvera et que nous adorerons un instant en silence.

             La prière eucharistique commence par ce dialogue entre le prêtre qui célèbre la messe et l’assemblée :

    -       Le Seigneur soit avec vous.
    -       Et avec votre esprit.
    -       Élevons notre cœur.
    -       Nous le tournons vers le Seigneur.
    -       Rendons grâce au Seigneur notre Dieu
    -       Cela est juste et bon.
       

             Le prêtre prononce ces paroles en les accompagnant de gestes. Écartant les bras en un geste d’accueil et de partage : le Seigneur soit avec vous. Tendant les mains en coupelle vers le haut : élevons notre cœur. Par cette élévation du cœur nous nous tournons vers le Père du Ciel, nous disposant ainsi à la prière. Il s’agit d’une orientation de tout l’être vers Dieu (« Examinons notre voix, scrutons-la, et revenons au Seigneur, élevons notre cœur et nos mains vers Dieu qui est au Ciel. » Lm 3, 40-41). Ce mouvement du cœur vers les réalités célestes mimée par le prêtre préfigure l’élévation de l’eucharistie qui suivra, quand le prêtre présentera l’Hostie consacrée à l’assemblée, tendue devant lui et vers le haut, entre le pouce et l'index de la main droite, au-dessus du Sang dans le calice qu'il tient de la main gauche.

    17Depuis l'autel Christ.jpg         Le rituel de la messe met en scène la circulation de l’amour entre Dieu et les hommes, le prêtre représentant à la fois la personne du Christ et la personne de l’Église que forment les membres de l’assemblée de tous les croyants d’ici et du monde entier. Qu’il s’agisse de notre cœur que nous élevons ou de l’Hostie consacrée que présente le prêtre à l’assemblée, l’un symbolise l’amour humain pour Dieu ; l’autre montre la Présence réelle de l’amour de Dieu pour les hommes, dans ce rappel du Sacrifice saint de son Fils Unique Jésus Christ, qu’est l’Eucharistie. 

             Et quand, sur l’autel, nous exposons l’Hostie sainte sertie dans l’ostensoir, souvent sont figurés par l’orfèvre des rayons qui émanent du Saint Sacrement manifestant ainsi le rayonnement de l’amour de Dieu auquel il veut nous faire communier, auquel il nous attire par cette admirable dévotion qu’est l’adoration eucharistique.

     

    L’ADORATION SAINT MARTIN

    ARIm 1.jpg         Suite à la visite de l’église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18) dont témoigne la vidéo-diaporama, enveloppé dans le chant Vivre d’amour de Thérèse de Lisieux (interprété a capella par la Chorale des Guides & Scouts d’Europe), apparaît, se détachant de la pierre au-dessus du portail (à 14'50"), le projet d’un groupe de prière pour les églises de campagne que j’ai nommé Adoration Saint-Martin.

     

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    Foyer d’amour eucharistique
    l’Adoration Saint Martin
    au cœur de nos campagnes.

    À la suite de l’Apôtre de la Gaule
    l’Adoration Saint Martin
    est une fraternité d’adorateurs.

    Pour faire jaillir cette sublime prière
    au cœur des églises de campagne
    l’
    Adoration Saint Martin
    présente un enseignement
    suivi de la célébration eucharistique.

    Le temps d’Adoration
    découle de la Messe.
     

    C’est l’Apôtre qui a posé sa tête
    sur la poitrine du Seigneur
    et boit à la source
    de son Sacré Cœur.


    Foyer d'am Euch Ado St Martin Portail .jpg         L’enseignement peut avoir lieu après la messe, sous la forme d’une méditation lue, afin d’engager les adorateurs dans la prière. Puis, laisser l’Esprit saint œuvrer dans les cœurs, en silence. L’adoration en tant que telle doit se passer dans la prière silencieuse.

             Comme premières méditations lues je propose les deux sous-titres de cet article Le plexus solaire & le cœur et Saint Martin perle des prêtres et, en premier, La compassion de saint Martin de Tours pour la France. Dans la page Adoration Saint Martin d’autres articles viendront enrichir le corpus des textes de méditation. La figure de saint Martin de Tours étant un modèle de sainteté à explorer comme homme, prêtre et évêque, à redécouvrir pour notre époque où l’évangélisation des campagnes est en jeu afin de restaurer le cœur abîmé des hommes et redonner sa vigueur à la foi chrétienne de notre pays.

     

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    Retrouvez cet article sur la page enrichie Adoration Saint Martin
    & sur la page enrichie La France & le Sacré Cœur

    Toutes les photos & dessins : © Sandrine Treuillard
    Buste-reliquaire & arrêts sur image vidéo : église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18)
    Ecce Homo : église Saint-Martin d'Aubigny/Nère (18)
     
     
     
     


    [1] Cet emplacement de la relique est remarquable dans d’autres bustes de ce type. J’en ai vu à Naples, au couvent des Clarisses, devenu un musée, lors de mon voyage en 2008. Comme celui de sainte Claire, datant du XVIIème. 

    Reliquaire Ste Claire Plexus.jpg

    [2]La compassion de Saint Martin de Tours pour la France : http://lavaillante.hautetfort.com/archive/2015/02/07/la-compassion-de-saint-martin-de-tours-pour-la-france5554222.html

     

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  • Une nouvelle guerre de religion ?

    ND GP & Mgr Petit + logo.jpg

    Quel drôle de titre pour une conférence de carême !

    Je ne suis ni sociologue, ni politologue, ni polémologue. La conférence de carême de ce soir participe néanmoins totalement de ma mission d’évêque. Un évêque ne parle pas que de Dieu et de l’Église mais aussi du monde.

    Le concile Vatican II l’explique très clairement et donne la méthode pour comprendre le monde : « Pour mener à bien cette tâche, l'Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l'Évangile, de telle sorte qu'elle puisse répondre, d'une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. » (Gaudium et Spes, 4)

    Un peu plus loin, il ajoute : « … La foi, en effet, éclaire toutes choses d'une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l'homme, orientant ainsi l'esprit vers des solutions pleinement humaines. » (Gaudium et Spes, 11)

    La conférence de ce soir voudrait nous aider à remplir cette mission de l’Église aujourd’hui en France : scruter puis interpréter en vue de répondre aux questions éternelles de l’homme par des solutions pleinement humaines.

     

    Mgr Ravel.jpgScruter : une nouvelle guerre de religion

    Observons attentivement le monde pour ne pas nous emballer sur des tigres de papiers ou des sous-évaluations d’événements pourtant considérables. Or, non seulement le monde est compliqué mais on redouble sa complexité par un langage déraisonnablement incorrect. Ainsi on nous retient de parler d’ « Islamisme » au motif que nous ferions des amalgames. Le français, jugé incapable de réfléchir par lui-même, ne serait-il plus capable que de faire des distinctions évidentes ! C’est irritant pour notre amour-propre. Mais ce qui est outrageant pour la raison, c’est que le discours, dans le même temps, nous explique que la laïcité est menacée. L’homme que je suis s’interroge : pourquoi la laïcité est-elle menacée si aucune religion n’est impliquée dans les attentats ?

    Regardons les faits, examinons-les de près en toute objectivité.

    Au cours de ces cinq dernières années, dans le monde s’allument des foyers nouveaux de guerres nouvelles. Les révolutions arabes, la persécution des chrétiens en Inde ou au Sri Lanka, les horreurs de Boko Haram au Nigéria, la guerre sans nom de Daesh en Irak et en Syrie et tant d’autres brasiers de violence et d’horreurs comportent tous une question religieuse à un titre ou à un autre. La religion fait systématiquement son apparition comme cause explicite de ces nouvelles guerres. Subitement des millions de chrétiens découvrent qu’ils ne peuvent pas être indiens s’ils ne sont pas hindous. Des millions de coptes découvrent qu’ils ne sont pas de vrais égyptiens parce qu’ils sont chrétiens, etc. La liste est longue : le Vatican connaît aujourd’hui 139 pays où les chrétiens subissent des persécutions ! Comme l’écrit Timothy Radcliffe dans « Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde » : « La religion fait un retour spectaculaire au centre de la scène qu’aucun politicien ne peut plus se permettre d’ignorer. » (p. 809)

    Une nouvelle guerre de religion se déplie autour de nous et chez nous.

    Mgr Ravel 15.21.jpgC’est une guerre parce que ses buts sont politiques : si les motivations sont religieuses et si les moyens sont terroristes, les buts sont politiques. Que nous le voulions ou pas, c’est bien une guerre car ce qui est visé n’est peut être pas immédiatement l’occupation d’une terre mais certainement la déstabilisation ou la réorganisation de la Cité. Il ne s’agit pas d’un terrorisme de gang aux visées financières mais d’un terrorisme à buts politiques : certains hommes, groupes ou Etats veulent s’assurer que leur religion dicte intégralement la forme de la société, la forme de vie personnelle ou sociale, vestimentaire ou sociétale, économique et politique. C’est le caractère totalitaire d’une religion qui investit aujourd’hui le champ de la guerre à titre de source première et de but ultime. Par totalitaire, j’entends un mouvement, au final politique, s’imposant contre la responsabilité humaine. Il veut l’attaquer puis la submerger par l’infantilisation, par la force ou par la séduction. Nous prêchons, nous chrétiens, une religion « totalisante », ce n’est pas du tout la même chose : dans le respect et dans le salut de la liberté responsable de chacun, elle investit tout l’homme par des vertus qui ne se juxtaposent pas aux autres vertus humaines mais qui les soulèvent et les complètent : la foi, l’espérance et la charité.

    Cette guerre est partiellement nouvelle par les moyens mis en œuvre.

    C’est une lutte essentiellement conduite par le terrorisme : si les motivations sont explicitement religieuses, les moyens sont efficacement terroristes. Le terrorisme se définit par les moyens utilisés : tuer directement des innocents pour faire peur, privilégier les cibles non combattantes mais significatives, etc. Mais ces moyens ne sont ni exclusifs ni vraiment nouveaux : Daesh combine ce terrorisme avec des moyens tactiques plus classiques en Irak et en Syrie (chars, 3 conquêtes, etc.). Et le terrorisme n’a pas attendu la religion pour noircir nos sociétés : IRA en Irlande, ETA en pays basque, etc.

    Cette guerre est vraiment nouvelle par son aspect transnational ou globalisé.

    Non pas mondial, comme nous l’avons vécu deux fois en trente ans lors de 14-18 puis 39-45. Non pas international comme un ensemble de nations contre une nation ou contre une force de déstabilisation. Pensons à nos interventions sous casques bleus au nom de l’ONU dans les Balkans. Mais un conflit qui se moque des frontières. Le nouveau rapport de force s’établit de façon transnationale : avant-hier au Canada ou aux Etats-Unis, hier à Paris, aujourd’hui à Copenhague… A peu près tous les continents ont été touchés ou sont susceptibles de l’être par l’Islamisme : Océanie avec l’Australie, Afrique, Amérique (le 11 septembre 2001), Europe et bien entendu Asie avec le Pakistan, etc. A regarder les points touchés, il en ressortirait une impression de « désordre » si on les analyse avec la grille habituelle, celle de conquêtes territoriales. En réalité, cette guerre se fiche du terrain : elle peut même frapper « chez elle » broyant les populations mêmes où ces leaders vivent et naissent (Pakistan, Afghanistan, par exemple).

    Nous gagnerions à nommer cette guerre « guerre globalisée », de ce nom qui fait froid dans le dos, « la globalisation ». La globalisation, c’est-à-dire la marche triomphale, accélérée par le numérique (Internet), d’une économie à taille terrestre, d’une promotion scientifique et technologique à l’échelle mondiale, mais surtout d’une uniformisation de la pensée par la diffusion universelle des mêmes codes mentaux. Cette globalisation me paraît être le terrain propice pour cette guerre naissante. Il ne s’agit pas ici de thèse altermondialiste ou écologique encore moins nationaliste. Il s’agit de prendre conscience de cet effritement des frontières, politiques ou mentales qui autorise toutes les circulations : des biens, des maux et des idées.

    Mgr Ravel Pose avec le poing.jpgMais cette lutte est surtout nouvelle par l’implication explicite de la religion qui la fait naître et qui l’achève. La religion, qu’on le veuille ou non, est mêlée à cette violence armée parce qu’elle est nommément la motivation de ces guerres. Là réside la vraie nouveauté de ce qui nous advient. Et la méconnaissance volontaire de la vie religieuse par nos élites rend sa perception difficile. Et il va de soi que l’on combat mal l’ennemi qu’on a mal identifié. On a parlé de « choc de civilisations » : avec raison, beaucoup s’opposent à cette expression. En réalité, les civilisations ne sont pas impliquées comme telles : la preuve en est que cette « guerre de religion » s’étend sans merci à des hommes de même civilisation, de même race ou de même langue (arabe, par exemple, ou indienne). La destruction d’œuvres d’art de civilisations disparues en Afghanistan ou en Irak montre clairement que la lutte est avant tout idéologiquement religieuse et religieusement idéologique. Ce n’est donc pas un choc de civilisations mais une nouvelle guerre de religion. Ce qui a pu laisser croire à un « choc des civilisations » tient à ce qu’il y a un choc idéologique inouï, nous l’analyserons dans la deuxième partie, un affrontement non pas entre l’Occident et l’Islam mais entre deux idéologies, l’une islamiste, religieusement dévoyée et l’autre laïciste, occidentalement détournée. Il se fait que la première est née en Islam et que la seconde provient de l’Occident.

    La guerre de religion que nous nommons ne se revendique pas comme visant d’autres religions en tant que telles. Il ne s’agit pas d’un affrontement de dogmes. En ce sens, ce n’est pas une guerre des religions entre elles comme si l’une s’opposait symétriquement à l’autre. Ici, des croyants d’autres religions ou des croyants de la même religion sont visés non à cause de leur dogme mais à cause de leur existence même. Leur existence de citoyen contredit la religion des agresseurs. Ces nationalismes religieux d’un genre nouveau trient la population en fonction de leur religion, gardent ceux qui en sont dignes et éliminent les autres : derrière la prétendue sauvegarde d’une culture, se met en œuvre des racismes religieux. Ces racismes s’exercent aussi entre croyants : l’islamisme a fait plus de victimes musulmanes qu’occidentales (par exemple en Afghanistan).

    Dans tous ces cas, il y a une constante : la juste relation entre le politique et le religieux est attaquée. Sur ce point nous sommes d’accord avec les discours ambiants : la laïcité est en péril dans cette guerre nouvelle à flambée religieuse.

     

    Mgr Ravel Main tendue.jpgInterpréter : un conflit entre deux idéologies

    L’établissement des faits ne suffit pas : il nous faut aussi les interpréter, essayer d’en voir les tenants et les aboutissants à la lumière de la foi. L’apparition de cette nouvelle guerre ne serait-elle qu’une naissance spontanée ou, au contraire, ne serait-elle pas née comme opposition (terrible) à une idéologie pernicieuse contre laquelle elle se dresserait ? Il s’agit maintenant non plus de décrire mais de voir quelles forces invisibles traversent la réalité scrutée…

    Comme dans toute guerre, on doit chercher les deux camps. Dans toute guerre, il y a au moins deux camps. Ou, pour le dire autrement, deux champs de force traversent cette lutte et va la rendre de plus en plus vive. Qui affrontent qui ? Nous l’avons dit plus haut, deux idéologies s’affrontent dont l’une est souvent assimilée à l’Occident et l’autre à l’Islam. Cette vision est courte. Donc fausse.

    Regardons les choses plutôt à partir de l’évangile selon saint Mattieu au chapitre 8. A ce moment-là de l’histoire de Jésus, il a autour de lui ses premiers disciples mais aussi ses adversaires, encore masqués mais déjà agissants dans l’ombre. La situation est grave. Il décide alors de changer de rive au bord du lac de Galilée. Jésus souhaite ainsi se mettre au calme pour analyser la situation avec ses disciples : il cherche à leur donner une interprétation évangélique des faits. Or que se passe-t-il ?

    « Les disciples avaient oublié de prendre des pains et ils n’avaient qu’un pain avec eux dans la barque. Or Jésus leur faisait cette recommandation : « Ouvrez l’œil et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode ! » Et eux, de faire entre eux cette réflexion, qu’ils n’ont pas de pain. » (Mt 8, 14 à 16)

    Une remarque d’abord. Obsédés par leur mauvaise préparation logistique, les disciples n’écoutent plus le Christ. L’effet de ce passage est saisissant : obnubilés par leur faim future, les hommes ne prennent pas au sérieux ceux qui tentent de leur décrire les vraies forces qui traversent aujourd’hui leur société et qui conduiront à la catastrophe si on les laisse agir ! Et nous en sommes là en France : nous mangeons à notre faim mais les préoccupations de l’immédiat nous interdisent d’écouter au-delà des promesses d’un « point de croissance » économique. Or écouter le Christ n’était pas si compliqué que cela dès que nous nous intéressons au présent. Le Christ veut qu’ils écoutent sa lecture du monde au présent en laissant le souci du lendemain.

    Que dit-il ? En face de l’homme et agissantes contre lui, il y a deux forces nommées « levain » car elles agissent de façon cachée et intérieure : la force du religieux durci, les Pharisiens, et la force du politique raidi, Hérode. Entrons maintenant en matière. Déclinons cette analyse dans ces temps qui sont les nôtres. Qui sont les pharisiens d’aujourd’hui ? Qui est Hérode aujourd’hui ? Quels sont les adversaires en présence ?

    Je complète dès maintenant la thèse énoncée plus haut.

     

    Mgr Ravel magistral !.jpgDes idéologies traversent le monde global

    Ne pensons pas à des pays qui se combattent. Ni même à des factions qui s’opposeraient pour des religions ou des cultures. Les deux adversaires qui s’affrontent sur notre sol et de partout dans le monde s’incarnent dans des hommes voire des clans, c’est certain : il y a bien des frères Quouachi, des réseaux al Quaïda. Mais en réalité, en eux, derrière eux, œuvrent des esprits mauvais, purs esprits séparés des réalités et de l’expérience ; ce sont des idéologies malignes toutes les deux, entre lesquelles nous nous situons.

    Dans la Bible, ces idéologies et leur mode de transformation du monde par influence secrète sont nommés « levain ». « Ouvrez l’œil et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode ! » (Mc 8, 15) prévient Jésus.

    Par idéologie, j’entends bien désigner une façon de penser qui induit une manière d’agir déconnectée de l’expérience et de l’histoire. Elle naît hors de la réalité et elle veut faire rentrer cette réalité dans ses cadres préconstruits. C’est en quoi elle est terrifiante : le bon sens lui est totalement étranger et quand la réalité la dérange, elle la change. Ainsi cette propension qu’a l’idéologie de transformer l’histoire, lieu privilégié de la propagande, et de ne jamais regarder la réalité en face. Il n’y a pas d’honnêteté dans l’idéologie. Voilà le fond du problème : elle nie les faits quand ils ne rentrent pas dans ses cases. Elle coupe les têtes ; elle déteste les hommes de terrain qui osent dire ce qu’ils voient et ce qu’ils sentent et ce qu’ils vivent.

    Comme un levain travaille et transforme de l’intérieur, de façon cachée, l’idéologie ne suppose pas nécessairement au départ une force politique. Elle n’a pas besoin de forces étatiques. C’est d’abord une force s’exerçant sur les esprits. Voilà pourquoi la violence qu’elle génère pour gagner les esprits prend la forme du terrorisme. Terrorisme de la poudre ou terrorisme de la pensée. Sous le régime soviétique, les deux formes étaient utilisées avec un grand bonheur. Pourquoi le terrorisme ? Parce que l’idéologie vise à plier les esprits par influence. Par exemple, rien n’est aussi contagieux que la peur. L’idéologie veut gagner les esprits par la peur. La peur corrode les cœurs ; la terreur tue quelques personnes certes, mais l’important est ailleurs : l’important ce sont les millions de vivants non pas touchés par les balles mais couchés par la peur. La peur inhibe l’intelligence ; la peur déstabilise nos raisons et nos confiances. La peur déséquilibre l’homme et le soumet mieux que la violence corporelle.

    Par peur nous devenons capable de faire n’importe quoi. De renoncer à notre dignité d’homme.

     

    Mgr Ravel 15.23.jpgLe premier camp : l’idéologie religieuse ou le levain des pharisiens

    Le Christ nomme ce camp : le levain des pharisiens. Les pharisiens représentent en son temps, les hommes d’une religion durcie. C’est bien ainsi que les évangiles nous les montrent. Applicateurs rigoureux d’une loi détachée du bon sens, ils ne craignent pas de manquer à l’humanité simple de leur prochain. Au nom de Dieu, ils négligent leurs propres pères et tueront un innocent. Au premier siècle, les zélotes et les sicaires représentent la frange politique armée de ce durcissement. Mais la partie strictement religieuse n’est pas moins corrosive.

    Cette première idéologie saute aux yeux immédiatement parce qu’elle s’exprime par une violence meurtrière. Il s’agit du terrorisme à revendication religieuse, chez nous un islamisme. En Inde, l’hindouisme fournit la matrice d’une éradication de toutes autres formes religieuses sur la terre indienne.

    Le levain des pharisiens, c’est l’idéologie des purs et des durs, d’abord critiques puis sectaires, enfin meurtriers. La volonté d’éradiquer les « méchants » au nom de Dieu avec les moyens du politique. Seuls les « bons » doivent survivre. Les autres on les tue ou on les expulse.

    C’est l’idéologie de la caricature de Dieu au mépris de l’homme.

    Derrière les meurtres au nom de Dieu se cache toujours la jalousie de Caïn : en fait, Caïn veut plaire à Dieu et n’y arrive pas car son cœur est trouble. Et sa colère contre un Dieu qui lui apparaît comme un juge inique, il la retourne contre son frère. En se méprenant sur Dieu, il tue son frère. La violence fuse en face de Dieu mais elle déborde sur l’homme. A la base, il y a donc la colère, la colère devant le sentiment d’une injustice, la grande colère qui tourne à la haine. Et la haine pousse au meurtre. Et le meurtre à la guerre.

    L’esprit de Caïn est troublé par la colère et le meurtre. Quand Dieu l’interroge sur son frère, il répond : « suis-je le gardien de mon frère ? » Est-il frère ou gardien de son frère ? Pour lui, il ne pense même plus à être simplement le frère de son frère… C’est la religion de la colère contre Dieu qui s’achève en assassinat du frère.

     

    Mgr Ravel Index & Sourire.jpg

    Le deuxième camp : l’idéologie laïciste ou le levain d’Hérode

    Cette religion de la laïcité (car elle se définit elle-même ainsi) s’exerce rarement chez nous par des violences physiques ou des actes terroristes. Pour autant la manipulation des medias, le détournement des vertus éducatives, les relégations arbitraires sont ses armes habituelles. Hérode en est le symbole. Hérode, roi de Galilée, le politique que nous connaissons par l’Évangile, fait couper la tête à Jean-Baptiste à cause d’une promesse faite dans l’ivresse du plaisir.

    Le récit de saint Marc au chapitre 6 est très clair :

    « Car c’était lui, Hérode, qui avait donné l’ordre d’arrêter Jean et de l’enchaîner dans la prison, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, que lui-même avait prise pour épouse. En effet, Jean lui disait : « Tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton  frère. » Hérodiade en voulait donc à Jean, et elle cherchait à le faire mourir. Mais elle n’y arrivait pas parce que Hérode avait peur de Jean : il savait que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait ; quand il l’avait entendu, il était très embarrassé ; cependant il l’écoutait avec plaisir.

    Or, une occasion favorable se présenta quand, le jour de son anniversaire, Hérode fit un dîner pour ses dignitaires, pour les chefs de l’armée et pour les notables de la Galilée. La fille d’Hérodiade fit son entrée et dansa. Elle plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai. » Et il lui fit ce serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, même si c’est la moitié de mon royaume. » Elle sortit alors pour dire à sa mère : « Qu’est-ce que je vais demander ? » Hérodiade répondit : « La tête de Jean, celui qui baptise. » Aussitôt la jeune fille s’empressa de retourner auprès du roi, et lui fit cette demande : « Je veux que, tout de suite, tu me donnes sur un plat la tête de Jean le Baptiste. » Le roi fut vivement attristé contrarié ; mais à cause du serment et des convives, il ne voulut pas lui opposer un refus. Aussitôt il envoya un garde avec l’ordre d’apporter la tête de Jean. Le garde s’en alla décapiter Jean dans la prison.»

    Il s’agit bien d’une forme d’athéisme pratique qui se sent menacée dans sa renonciation à l’éthique. Un athéisme pratique qui joue son va-tout contre la morale et la religion représentée par Jean. Il est intéressant de noter que la problématique du mariage est au cœur de la réaction d’Hérode. De façon ramassée, cette scène évangélique dit tout de cette terrible posture idéologique : contre son sentiment, Hérode exécute Jean à cause d’un mécanisme qui promeut un humanisme caricatural. Même la fidélité à sa promesse est une imposture : elle tient de la logique du drogué ou de l’ivrogne : comment pourrait-il donner la moitié de son Royaume ?

    Il s’agit bien d’un athéisme : Dieu est éliminé de toute conscience et réalisation publiques. Peu lui importe que Dieu subsiste dans quelque recoin individuel pourvu qu’il n’imprime aucune marque à l’action visible dans la rue, dans le métier, dans la vie civile… Hérode se moque de Dieu comme ce juge inique dont parle Jésus dans la parabole de la veuve importune : « J’ai beau ne pas craindre Dieu et n’avoir de considération pour personne… » (Luc 18, 4). Mais c’est un athéisme qui ne se dit pas et qui avance sous couvert de progrès alors qu’il n’est qu’une religion parmi les autres, la religion de la laïcité.

    Ainsi l’Évangile éclaire cette guerre. Il s’agit bien d’une guerre de religion, entre deux idéologies religieuses : à l’idéologie religieuse de la caricature de Dieu au mépris de l’homme s’oppose l’idéologie religieuse de la caricature de l’homme au mépris de Dieu.

    L’affrontement n’est donc pas entre chrétiens et musulmans ou entre bouddhistes et musulmans : mais entre une conception politique de la religion et une conception religieuse de la politique. Toutes les deux contredisent la belle et bonne laïcité, héritée de 20 siècles de christianisme, dégradée en laïcisme, érigée en religion ou niée par elle. Le mot laïcité répété comme un mantra ne dit plus une juste relation entre le politique et le religieux mais il désigne un rapport d’exclusion de tout religieux ou de tout politique. Pouvons-nous répondre à tout cela ?

     

    Mgr Ravel15.19.jpgRépondre : l’incarnation de Dieu

    Et nous que devons-nous faire ? Il nous faudra peut-être prendre les armes si telle est notre mission. Mais soldats, citoyens, mères de famille, nous avons tous une autre lutte à conduire autre que la lutte politique, militaire ou sécuritaire qui traitent les symptômes mais pas les causes.

    Il y a urgence : les juifs et les chrétiens sont et seront les premières victimes de ce terrible affrontement des deux idéologies. Pour une raison très simple : les deux camps assimilent les chrétiens à l’autre camp, aux ennemis à abattre. Mais, dans le même temps, les chrétiens se savent porteurs d’une étonnante bonne nouvelle, de la réponse adéquate à ces questions terrifiantes.

    Que dire ? Que faire ? Quatre leçons pour notre Carême.

     

    Mgr Ravel15.25.jpgRefuser toute idéologie

    Ne tombons pas dans le panneau des idéologies désignées plus haut. Ne nous laissons pas prendre par une idéologie quelque proche de notre pensée soit-elle. Nos esprits aussi peuvent être brouillés car nous respirons l’air de notre temps. « Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle puisque vous êtes des azymes… Célébrons la fête non pas avec du vieux levain, ni un levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de pureté et de vérité. » (1 Cor 5, 7-8) Précisons notre appartenance et nos solidarités humaines : une chose d’être et de se dire solidaire d’une nation, autre chose d’en partager tous les poisons. J’aime la France et je suis prêt à mourir pour elle. Pour autant je ne suis pas obligé d’adhérer à tous les vents empoisonnés qui la traversent. Saint Paul oppose même le levain de malice à l’azyme de pureté et de vérité. Il y a là une belle leçon : d’une façon générale et universelle, l’homme n’a pas à suivre une idéologie mais il doit s’attacher à la vérité fruit de l’expérience et de la raison. La foi n’est pas une idéologie parce qu’elle se trouve confirmée par la raison de l’homme et l’expérience de Dieu.

     

    Mgr Ravel Pose avec le poing.jpgL’incarnation du Christ : une humanité concrète

    Pour résister à l’idéologie, rien de tel que l’enseignement du Christ : la vérité du Christ offre la vraie réponse à ce monde pénétré de guerres. Par son incarnation, il nous presse d’aller à l’homme concret, individuel et de ne jamais servir l’Humanité en général. Le bon sens de l’amour du prochain s’incarne dans la bonté. Or la bonté ne recherche pas à faire le bien en général ; elle regarde très précisément tel homme concret dont elle porte la blessure avec lui. Jésus parle de l’amour du prochain, celui dont on ignore la religion mais qui se trouve sur notre route. Tout le reste nous fait perdre notre temps. Etre bon avec l’homme avec qui nous partageons le chemin.

     

    Mgr Ravel15.25.jpgTenir ensemble l’homme et Dieu

    Vrai Dieu et vrai homme, le Christ valide la possibilité réelle de ne pas faire le choix entre l’homme et Dieu. Ni Dieu sans l’homme concret, ni l’homme sans Dieu transcendant. L’Esprit du Christ nous force à tenir ensemble deux réalités qui ne sont pas deux idées : l’homme et Dieu.

    La connaissance et l’annonce du vrai Dieu coïncident avec la connaissance et la reconnaissance de l’homme. C’est un même mouvement, un même combat, une même confiance. Nous n’avons pas à choisir entre Dieu et l’homme, comme on cherche à nous le faire croire de tous bords. Nous n’avons pas à choisir Dieu aux dépends de l’homme. Ou choisir l’homme aux dépends de Dieu. Notre religion chrétienne nous propose les deux en même temps : le camp de Dieu, c’est aussi celui de l’homme. On ne paie pas sa foi en Dieu de la mort de l’homme. On ne paie pas sa foi en l’homme de la mort de Dieu. Toutes ces oppositions sont factices, récentes (nées au XIXème siècle) et lorsqu’elles tournent à la caricature, elles deviennent féroces, terribles, mortifères.

     

    Mgr Ravel15.23.jpgLe choix du chrétien : entre la vie et la mort

    Pour autant, il y a bien un choix à faire. Car il y a dans la Bible comme dans nos vies une autre alternative, un autre choix que celui que voudraient nous imposer les idéologies antagonistes. L’alternative est la suivante : « Choisis la vie ou la mort. Choisis l’amour ou la haine. Choisis le bien ou le mal. » Là est pour nous aujourd’hui, au cœur de la tourmente qui naît sous nos yeux, le vrai choix. Dt 30, 15 à 20 : « Vois ! Je mets aujourd’hui devant toi ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur. … Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui. »

    Cf. Ps 33 ;

    Les idéologies résistent aux idéologies. Mais elles succombent devant la vraie foi, science de la vie et de la vie éternelle. Entrons de plain-pied dans ce choix pour la vie et nous serons les pourfendeurs silencieux mais efficaces de cette guerre nouvelle de religion.

     

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          Monseigneur Luc Ravel

          Conférence de Carême de l’Évêque aux Armées Françaises
          le 9 mars 2015 Chapelle Notre Dame du Bon Secours – Paris 6ème              (sur le site du Diocèse aux armées françaises)

     

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  • Que veut dire une église à l'intérieur de notre cité ? Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18)

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    « À la vue d'un clocher, vous pouvez dire : - Qu'est-ce qu'il y a là ? - Le Corps de Notre-Seigneur. - Pourquoi y est-il ? - Parce qu'un prêtre est passé là et a dit la sainte messe. » Pensée du saint Curé d'Ars

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    D'abord désigné Évêque de Tours,
    saint Martin, perle des prêtres
    eut d'abord pitié
    des pauvres
    de nos campagnes

     

     

     

     

     

     

     

     

    Buste-reliquaire de saint Martin de Tours,
    don de l'archevêque de Bourges,
    Mgr Armand Maillard




    Vidéo-diaporama : le sens (de la visite) de l'église Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18)


    « Qu'on le sache bien
     : un siècle grandit ou décroît en raison de son culte pour la divine Eucharistie. 
    » Saint Pierre-Julien Eymard, Fondateur des Pères du Saint Sacrement (sss Société du Saint Sacrement)
     

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    Le Sacré Cœur correspond au pilier central

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         « Voilà ce qui devrait nous inquiéter : non pas faire en sorte qu’on évite de raser nos églises, mais faire en sorte que pour aujourd’hui et pour demain, nos contemporains soient encore capables de comprendre ce qu’est une église, nos contemporains soient encore capables de comprendre ce que signifie pour eux la place de cette église à l’intérieur de chacune de nos villes et de chacun de nos villages. De fait, ne nous y méprenons pas, nous enfermer dans le lexique de la défense des valeurs, c’est le plus sûr moyen de perdre les unes après les autres toutes les batailles que nous rencontrerons. Reprenons cet exemple tout simple qui est celui du patrimoine sacré à l’intérieur de nos villes. Nous pouvons nous engager pour défendre les murs de nos églises et nous avons raison de le faire, et il va falloir le faire car l’un des grands défis que nous allons rencontrer dans les années à venir sera précisément celui d’éviter que notre patrimoine et notre patrimoine sacré ne soit progressivement ou rasé ou reconverti dans une utilisation qui ne correspond pas à son essence propre et à l’intention de nos aïeux qui ont construit ces églises à l’intérieur de chacune de nos villes. Nous devons nous engager pour défendre ce patrimoine. Mais si nous nous engageons simplement comme chrétiens pour dire « Ne touche pas à mon église » comme d’autres ont dit « Touche pas à mon pote », si nous nous engageons simplement pour dire « Ceci est notre héritage, n’y touchez pas, nous le défendrons jusqu’au bout parce que nous ne voulons pas qu’on touche à notre famille », alors dans ce cas-là nous sommes sûrs de perdre les batailles les unes après les autres et nous sommes certains que nos églises finiront par s’écrouler quel que soit le nombre de pétitions que nous aurons signées, de manifestations que nous aurons organisées, d’occupations que nous aurons mises en scène.

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         Ce qui compte le plus profondément bien sûr, c’est que nous défendions ce patrimoine, mais aussi et surtout que nous fassions en sorte que nos contemporains puissent retrouver le sens de ces églises, pour que nos contemporains puissent entendre à nouveau ce qu’elles veulent dire à l’intérieur de nos villes. Et ceci, précisément, ce n’est pas d’une logique de défense de nos valeurs, de préservation de notre propre famille, de nos intérêts, de notre lobby qu’il s’agit, c’est d’une tentative de conversion collective qu’il s’agit. Voilà ce que nous avons à vivre et à faire vivre. Et la première conversion qu’il s’agit de vivre c’est la nôtre. Croyons-nous encore que nos églises ont quelque chose à dire au temps présent ? Croyons-nous encore que chacune de nos chapelles, que chacune de nos cathédrales qui sont, comme le disait un poète – mais je ne me rappelle plus lequel, pardonnez-moi – qui sont comme des doigts levés vers le ciel dans chacune de nos villes, croyons-nous encore qu’un de ces doigts levés vers le ciel aient quelque chose à dire au temps présent et aux générations qui viennent ?

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         Nous pouvons, je crois, être profondément inquiets, et je le suis comme certains d’entre vous bien sûr, comme tous certainement, lorsque je vois justement tant de nos contemporains, et tant de jeunes en particulier, passer devant nos églises, passer devant nos calvaires, sans rien comprendre de ce qu’ils veulent dire. Comme le dit la magnifique affirmation de Saint-Exupéry dans Citadelle : « Je me sens lourd de secrets inutiles, je me sens lourd de trésors inutiles comme d’une musique qui jamais plus ne sera comprise. » Parfois j’ai le sentiment, comme vous certainement peut-être, que nous avons peut-être déjà perdu la bataille, en tous les cas si nous ne sommes plus capables de faire comprendre à ceux qui sont autour de nous l’actualité de la parole que nous voudrions leur porter. Mais ce désespoir évidemment ne doit pas nous atteindre, il ne doit pas nous empêcher d’agir, car le seul véritable péché, nous le savons, c’est le péché contre l’espérance. Et donc il nous reste à prendre au sérieux l’actualité de notre propre héritage.

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         Voilà ce que veut dire ne pas se laisser exclure : prendre au sérieux l’actualité de notre propre héritage, être convaincu que sans lui aucune société ne se fondera. Madame Taubira nous a menti quand elle disait qu’il s’agissait d’un changement de civilisation. Le mariage pour tous n’était pas un changement de civilisation, la déconstruction de notre héritage n’est pas un changement de civilisation, car il n’y a pas de civilisation dans la déconstruction de cet héritage, il n’y a que la dé-civilisation, la dé-culturation, la destruction de toute société.

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy         Nous le savons bien encore une fois, les civilisations sont mortelles. Il ne reste donc plus qu’une seule possibilité : prendre au sérieux pour aujourd’hui et pour demain l’actualité de l’héritage que nous avons reçu pour tous ceux qui nous entourent, prendre au sérieux la soif qu’ils ont, même lorsqu’elle n’est pas dite, même lorsqu’elle n’est pas pensée, même lorsqu’elle ne s’exprime que sous la forme de l’agressivité, prendre au sérieux la soif de notre monde et la nécessité de dire à ce monde qui vient le message que nous avons reçu, en mettant sur ce message des mots d’une actualité absolue. Ne plus tenter simplement de nous faire plaisir en répétant les mêmes mots parce que nous avons le sentiment qu’ils nous parlent à l’intérieur de notre petite communauté, mais tenter de réinventer un vocabulaire qui parle à chacun de ceux qui nous entourent pour rejoindre au plus profond de leur cœur leurs aspirations les plus essentielles. Voilà ce que veut dire croire à la vérité de la parole du Christ. Croire à la vérité de la parole du Christ, c’est croire que tout homme a soif de cette parole, parce qu’elle le rejoint dans la vérité de sa personne, parce qu’elle le rejoint dans la vérité de toute aventure humaine.

    foi,christianisme,conscience,art & culture,éducation,transmission,sandrine treuillard,la france,politique,françois-xavier bellamy,ichtus,sacré cœur,saint martin,jeanne d'arc,adoration,eucharistie         Notre but donc n’est pas simplement de défendre nos convictions, notre but n’est pas de faire en sorte que nos chapelles ne s’écroulent pas trop vite, de les protéger en érigeant des lignes Maginot qui nous éviteront pour un temps de voir la destruction de ce que nos ancêtres ont construit. Notre but c’est de faire en sorte que nos chapelles parlent à nouveau à tous ceux qui nous entourent, notre but c’est de faire en sorte précisément de redonner à notre société la vie qu’elle attend en redonnant vie à l’héritage que nous avons reçu. »

    François-Xavier Bellamy

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    12 octobre 2014 - « Faut-il défendre ses convictions »  Introduction au Colloque Ichtus  « Catholiques en action 2014 »
    (Extrait de Une civilisation qui a perdu le sens de l’actualité de son héritage ne peut que s’écrouler de l’intérieur)

    Photographies : Arrêts sur image de la vidéo-diaporama de Sandrine Treuillard

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    Détail de la statue de Sainte Solange
    patronne du Berry

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  • Une civilisation qui a perdu le sens de l’actualité de son héritage ne peut que s’écrouler de l’intérieur

                      Quelle immense joie de vous rencontrer, quelle immense joie de vous retrouver si nombreux, et je voudrais remercier encore Bruno de Saint Chamas de son invitation qui me touche beaucoup, j’espère que je serai à la hauteur de cette marque de confiance pour ouvrir ce nouveau colloque Catholiques en action.

             Alors en réfléchissant à la dynamique de cette journée, eh bien nous avons souhaité ouvrir cette réflexion par une question effectivement provocatrice, mais vous verrez que la réponse l’est tout autant sinon plus : Faut-il défendre ses convictions ?

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             Et pour entretenir cette réflexion je voudrais commencer par deux petites anecdotes qui me viennent de la semaine passée. Première anecdote, débat entre Alain Duhamel et Eric Zemmour sur RTL la semaine dernière. À un moment donné de la réflexion, Eric Zemmour tente de dire à Alain Duhamel que son propos n’est pas juste, que son propos n’est pas vrai. Alors Alain Duhamel presque étonné, stupéfait, se retire un moment – vous pourrez regarder, une personne m’a envoyé la vidéo par mail, c’est à 16 minutes de la vidéo – et Alain Duhamel dit à Eric Zemmour : « Mais enfin voyons, quelle étrange expression ! Vous savez bien qu’il n’y a pas de vérité, il n’y a pas une vérité ! Chacun défend sa vérité ! ». Première anecdote.

             Deuxième anecdote qui m’a été racontée par le Père Matthieu Rougé que vous connaissez peut-être, au moins de réputation, qui a été pendant des années aumônier des parlementaires et curé de la basilique Sainte-Clotilde à Paris, le Père Matthieu Rougé me raconte qu’il intervenait il y a de cela quelques semaines devant un parterre de chefs d’entreprises invités par une organisation, et parmi les participants à la table ronde, dont il était l’un des membres, figurait le directeur de Sciences Po Aix-en-Provence. À la fin de son propos, à la fin de l’intervention du Père Rougé, le directeur de Sciences Po Aix se lève, interrompt la séance et dit : « Je suis en désaccord profond avec les paroles de Monsieur Rougé, parce que Monsieur Rougé parle tout le temps de la vérité. Mais nous savons bien qu’il n’y a pas une vérité, et nous à Sciences Po, nous formons des étudiants qui savent qu’il n’y a pas de vérité, et nous les formons à défendre les apparences de la sincérité sur n’importe quel sujet. » Le Père Rougé me dit que dans la salle il y a eu un instant de silence.

             Je crois qu’il est important de bien comprendre que nous sommes là au cœur du problème fondamental de la société contemporaine : l’idée selon laquelle il n’y a pas une vérité, une vérité qui nous appartiendrait de chercher ensemble, mais une pluralité de familles de pensées, de convictions, qui s’opposent et qui se rencontrent.

             Le sénateur Jean-Pierre Michel ne disait pas autre chose lorsque, dans la vidéo que vous venez de voir à l’instant, il expliquait à Thibaud Collin, lui aussi stupéfait, que la justice n’était qu’une question de rapport de forces. « Pour moi, disait-il, il n’y a pas une justice à rechercher, il n’y a pas une idée du juste qui devrait nous servir de modèle. La justice, c’est ce que dit la loi, et ce que dit la loi c’est le produit d’un rapport de forces à un moment donné. » Le même sénateur Jean-Pierre Michel ne peut pas s’étonner aujourd’hui, et il ne peut surtout pas considérer que les dernières élections sénatoriales ont été injustes, il y a perdu son fauteuil, ce n’est qu’une question de rapport de forces.

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             Mais je crois que ce qui est très frappant, vous voyez, c’est que la société contemporaine vit le débat démocratique comme l’occasion pour des familles de pensée, pour des familles d’intérêt, de se rencontrer sur le modèle du rapport de forces. Et le grand drame, je crois, et le grand piège – et c’est peut-être celui que je voudrais tenter de mettre au jour avec vous ce matin – le grand drame et le grand piège serait que nous tombions à notre tour dans cette idée. Combien de fois avons-nous entendu dans le grand mouvement social de 2013 : « Nous nous sommes faits avoir, mais maintenant on ne nous y reprendra pas, nous allons nous aussi devenir un lobby parmi d’autres. Nous allons nous aussi devenir un groupe d’intérêt, et nous allons défendre nos valeurs, nous allons réapprendre à défendre nos valeurs. »

             Axel (Norgaard Rokvam, fondateur des Veilleurs) vient de dire avec l’éloquence qui le caractérise : « Nous passons d’une logique de l’enfouissement, du silence et de la crainte à une logique de l’affirmation, de la proclamation, à une logique précisément dans laquelle nous voudrions à nouveau exprimer ce qui nous tient le plus à cœur et ce qui nous est le plus cher. » Et les Veilleurs ont été l’un des moments, je crois, les plus marquants de cette expression nouvelle de notre désir de communiquer à tous la vérité que nous avons reçue.

             Mais précisément ce qui est en jeu, c’est que nous nous mettions au service de la vérité, et non pas que nous croyions défendre à notre tour, comme d’autres groupes sociaux parmi d’autres, des convictions ou des valeurs ou des intérêts qui nous sont propres. On veut nous faire tomber dans ce piège. Et on voudrait que les chrétiens soient une force de conviction parmi d’autres, qu’ils soient une famille de pensée parmi d’autres. Aujourd’hui ils sont en minorité, on s’attachera à ce qu’ils le soient toujours, mais surtout le plus important d’entre tout, c’est qu’ils continuent de se regarder eux-mêmes comme étant un groupe de pression isolé. De fait ce qui insupporte le monde dans les valeurs que nous défendons, ce qui insupporte le monde dans les convictions que nous portons, ça n’est pas que nous ayons des valeurs ou des convictions, mais c’est que nous pensions qu’elles sont universelles et qu’elles valent pour tout homme.

             On nous a fait là encore, souvenez-vous, dans le grand mouvement de 2013, on nous a fait cette objection étonnée et paradoxalement indignée : « Qu’est-ce que vous venez faire dans cette histoire, vous les catholiques ? Qu’est-ce que vous venez faire là-dedans ? De toute façon vous n’avez rien à perdre dans le mariage homosexuel. Il suffit que vous continuiez à vous marier entre hommes et femmes, vous n’avez rien à perdre. Laissez simplement à d’autres le soin de se marier comme ils veulent, mais vous n’avez rien à perdre dans cette question. » Eh bien d’une certaine façon, c’est vrai. Comme famille de pensée, comme famille spirituelle, nous n’avions probablement pas grand-chose à perdre, et nous aurions pu nous contenter de dire que nous pouvions vivre nos valeurs entre nous.

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             Mais voilà, nous pensons que la définition du mariage que nous avons reçue en héritage, cette définition du mariage n’est pas simplement la nôtre. Ça n’est pas simplement celle que nous préférons, celle qui apporte le plus à notre communauté, propre à notre communauté singulière. Nous pensons que cette définition du mariage est universellement bonne pour l’homme et pour la société. Et c’est pour cela que nous nous sommes engagés. C’est pour cela que nous sommes sortis de chez nous pour aller dire à notre temps que le mariage ne peut pas devenir l’union de deux hommes ou de deux femmes sans perdre sa signification profonde, sans perdre ce qui fait de lui qu’il est un pilier fondamental de la vie de la cité.

             Nous ne défendons pas nos propres convictions pour nous-mêmes, nous ne défendons pas nos propres valeurs. Et, encore une fois, on voudrait nous enfermer dans ce lexique, et ce lexique est le plus relativiste qui soit. Nous ne sommes pas là pour défendre nos convictions, nous sommes là pour servir le bien de la société, et c’est au nom du bien de la société que nous affirmons ce que nous avons à dire et que nous continuerons de le dire envers et contre tout. Et je crois que l’attitude change en profondeur si nous sommes convaincus que ce qui est en jeu ce n’est pas la préservation de nos propres valeurs, mais ce qui est en jeu c’est le bien de la société dans son ensemble.

             Arrêtons-nous un instant sur ce tout petit mot qui concentre à lui-seul, je crois, l’essentiel du piège ; ce tout petit mot que nous chérissons par bien des aspects, et qui pourtant est en réalité un drame intellectuel : ce petit mot de valeur. Il est bon d’avoir des valeurs, croyons-nous, et de  défendre ses valeurs, il est bon de promouvoir ses valeurs. En réalité, vous voyez, je crois profondément que le mot de valeur est le terme le plus relativiste qui soit. Il est normal que chacun ait des valeurs. Les valeurs sont relatives, contrairement à la vérité. Que la vérité soit relative, c’est là quelque chose qui ne peut pas être fondé en raison, qui ne peut même pas être pensé un seul instant. Affirmer qu’il n’y a pas de vérité, que chacun est sa vérité, ce n’est pas le début d’une nouvelle forme de pensée, c’est la fin de toute pensée. Car s’il n’y a pas de vérité, alors à quoi bon tenter de penser le monde ! À quoi bon tenter d’ajuster notre esprit à la réalité qui est présente devant nous, à quoi bon d’ailleurs en parler ensemble ? J’y reviendrai.

             Affirmer, donc, qu’il n’y a pas de vérité, que chacun a sa vérité, c’est là une chose absurde. Mais affirmer que chacun a ses valeurs propres, c’est là tout à fait normal et naturel. Si je devais vous montrer une photo de la maison où j’ai grandi, où j’ai tous mes souvenirs d’enfance, cette photo aurait probablement beaucoup de valeur pour moi, et elle n’en aurait certainement aucune pour vous. Toute la difficulté d’ailleurs de l’assurance vient de la question de savoir comment assurer, précisément, ce qui a une valeur non marchande, ce qui a une valeur tout à fait relative, une valeur très personnelle, une valeur affective. Et nous savons bien que lorsque notre maison brûle nous perdons dans un incendie bien des choses qui avaient beaucoup de valeur, mais qu’on ne nous remboursera jamais.

             Que les valeurs soient personnelles, que les valeurs soient relatives à des groupes humains, à des individualités, que les valeurs dépendent de notre histoire, de notre mémoire, de notre sensibilité, c’est là tout à fait normal et naturel. Mais le christianisme ne fait pas partie de nos valeurs. Et nous n’adhérons pas à la foi chrétienne parce que cela rentre dans nos valeurs. Nous n’adhérons d’ailleurs pas à la foi chrétienne pour les valeurs qu’elle défend. Nous ne défendons pas le christianisme dans le monde parce que nous voulons défendre ces valeurs. Ce serait une absurdité, ce serait précisément considérer que le christianisme est une affaire de valeurs, c’est-à-dire une affaire relative. D’une certaine façon, le lexique de la défense des valeurs marque l’abdication de notre propre intelligence devant le relativisme contemporain. Comme si nous aussi nous rentrions dans cette logique relativiste, comme si nous nous considérions comme une famille de pensée parmi d’autres, comme un lobby parmi d’autres, comme une famille spirituelle parmi d’autres. Nous ne sommes pas une famille de pensée parmi d’autres. Nous ne sommes pas un lobby, nous ne sommes pas un lobby comme les autres. Nous ne défendons pas le christianisme parce qu’il s’agit de nos valeurs et que nous tenons à nos valeurs, non. Il n’y a qu’une seule bonne raison d’adhérer au christianisme, une et une seule. Il n’y a qu’une seule bonne raison de croire au Christ, et cette seule raison, c’est la certitude que le christianisme dit la vérité. Le christianisme dit la vérité, et c’est la seule raison que nous avons de croire au Christ. Aucune autre raison ne peut compter. Ça n’est pas une question de sensibilité, ça n’est pas une question d’attachement personnel, ça n’est pas une question de valeur précisément. Bien-sûr, ensuite, la parole du Christ entre dans notre vie et parce qu’elle entre dans notre vie elle la transforme, elle la bouleverse, elle nous transforme, et elle nous pousse à transformer le monde autour de nous. Et lorsqu’elle rentre dans notre histoire, la parole du Christ marque notre propre vie et alors elle rentre aussi dans notre sensibilité, elle rentre aussi dans nos émotions, dans nos sentiments, dans nos affections. Et alors elle prend une immense valeur pour nous. Mais ce n’est pas d’abord la raison que nous avons de croire au Christ. L’adhésion au christianisme n’est pas une affaire de valeurs, c’est une affaire de vérité.

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            Vous voyez, j’ai été très surpris, dans le débat sur le mariage pour tous, de rencontrer très souvent des catholiques, des jeunes, mais pas seulement des jeunes, de rencontrer parfois même des adultes catholiques, qui venaient me voir en me disant : « Venez nous expliquer un peu ce que c’est que le mariage et la famille, venez nous donner de bonnes raisons de défendre nos convictions. Donnez-nous de bonnes raisons de défendre le mariage, de défendre la famille. » Je comprends en même temps que nous ayons besoin de prendre des moments comme celui que nous allons prendre aujourd’hui pour cultiver ensemble les raisons que nous avons d’adhérer à ce à quoi nous croyons. Mais reconnaissons qu’il y a une grande fragilité dans cette adhésion qui ne connaît même pas les raisons qu’elle a d’adhérer à ce qu’elle voudrait défendre. Nous ne défendons pas, encore une fois, le mariage par tradition, nous ne défendons pas le mariage par habitude, par conformisme social ! Nous ne défendons pas notre héritage parce que c’est celui de notre famille ! Mais nous devons défendre cet héritage pour son actualité, nous devons le défendre par la certitude intérieure, la certitude rationnelle que nous avons de proposer à la société l’accomplissement de l’homme à l’intérieur de la cité.

             Et voilà précisément ce qui fait la parole du chrétien et ce qui fait que la parole du chrétien dérange dans le monde d’aujourd’hui. Nous ne devons pas nous résigner à être une famille de pensée parmi d’autres. Nous défendons une parole, qui n’est pas d’ailleurs la nôtre, nous défendons une parole qui nous dépasse de très loin, et cette parole précisément vaut pour chaque homme. Et c’est précisément pour cela que nous continuerons à la répéter envers et contre tout.

             Je voudrais pointer deux dangers. Deux dangers qui viennent de ce risque de la disparition intérieure de la certitude que nous pouvons avoir de l’universalisme de nos propres convictions, ou en tous les cas, de cette parole que nous avons à  défendre.

    Le premier danger c’est le risque de l’enfermement. De fait, ce dont rêve le monde, c’est de nous enfermer à l’intérieur de notre propre ghetto : « Vous êtes catholique, vous êtes bien sympathique, on aime vous regarder dans Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? ou dans La vie est un long fleuve tranquille, ça nous amuse beaucoup, mais restez là où vous êtes, restez dans votre propre petite famille, restez dans votre zoo, restez comme des animaux de conservation qu’on regarde comme les restes d’une histoire passée. Alors nous vous aimerons, alors nous vous respecterons. Mais surtout ne venez plus faire incursion dans les débats de société, et surtout ne prétendez pas défendre des convictions qui vaudraient de façon universelle. » C’est là ce que nous entendons très souvent, d’ailleursn dans les propos qui se veulent rassurants de certains de nos ministres. Vous avez peut-être lu comme moi l’interview de Manuel Valls dans la Croix à propos de la gestation pour autrui. Et Manuel Valls disait : « Oui, peut-être sur le mariage nous avons été un peu violents, je le reconnais. Il faut savoir écouter tout le monde, il faut savoir écouter les convictions d’où qu’elles viennent, même lorsqu’elles viennent de certaines familles spirituelles. Nous voulons bien vous écouter, nous voulons bien que vous preniez part à la discussion, mais surtout ne venez pas trop nous déranger. Ce que vous dites vaut pour votre famille spirituelle et seulement pour vous. Ce que vous dites vaut comme le signe d’une tradition qui se conserve et que nous voulons bien respecter à ce titre, mais seulement à ce titre. »

             Bref, le rêve de la société contemporaine, c’est de nous enfermer et ainsi de nous exclure, de nous rendre nous-mêmes convaincus que nous défendons nos propres valeurs et que nous ne faisons que défendre des valeurs qui nous appartiennent en propre, mais qui ne valent plus pour le monde contemporain. Ce serait là, je crois, un grand danger. Nous n’avons pas le droit de nous laisser enfermer. J’ai été comme jeune chrétien profondément marqué par cette parole si souvent répétée du pape François lors des dernières Journées Mondiales de la Jeunesse. Le pape François a répété aux jeunes à plusieurs reprises, dans les quelques jours qu’ont duré ses visites aux Journées Mondiales de la Jeunesse, il leur a répété à plusieurs reprises : « Vous n’avez pas le droit de vous laisser exclure. Vous n’avez pas le droit de vous laisser exclure. » Et je crois que nous pourrions redire aujourd’hui la même chose aux catholiques de notre pays : nous n’avons pas le droit de nous laisser exclure, nous n’avons pas le droit de nous laisser regarder comme les restes d’une famille de pensée en train de disparaître, ou comme les restes d’une famille de pensée enfermée sur elle-même. Nous ne sommes pas des marginaux, nous ne parlons pas dans les marges, nous ne parlons pas simplement pour nos chapelles. Notre parole est universelle. Le premier danger, donc, serait celui de l’enfermement, celui de l’enfermement à l’intérieur d’un ensemble, d’un univers de convictions, d’une famille de pensée particulière.

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             Et de fait, c’est peut-être le deuxième danger, c’est le risque du confort que suscite cet enfermement, car à l’intérieur de notre propre chapelle, comme nous sommes bien, comme nous nous sentons bien, comme nous nous sentons tous en accord. Nous sommes heureux les uns avec les autres. Et de fait il est bon que nous puissions cultiver cette amitié, et des journées comme celle-ci sont l’occasion de cultiver cette amitié qui est si nécessaire à la recherche de la vérité. La recherche de la vérité est consubstantielle à la création d’un lien d’amitié. Chercher ensemble le vrai, c’est cela qui fonde une amitié authentique. Une journée comme celle-ci est précieuse, justement pour renforcer en nous cette amitié au service du vrai. Mais qu’elle soit, justement, au service du vrai. Qu’elle soit au service de notre désir d’aller vers l’extérieur porter ensuite ce désir de vérité que nous aurons cultivé ensemble. L’amitié que nous aurons suscitée entre nous deviendra mortifère si précisément elle n’est plus habitée par le désir de porter au monde une parole vivante dans son actualité.

             Si nous continuons à entretenir ensemble simplement un certain nombre de rites et de traditions, qui finiront par valoir pour elles-mêmes, si nous perdons le sens de la dimension transcendante de cette culture dont nous vivons, de cette culture que nous avons reçue et que nous voudrions porter, alors dans ce cas-là il y a un grand danger pour nous, il y a un autre piège. On peut mourir de deux façons, vous savez, on peut mourir de deux façons. On peut très bien se faire tuer, et c’est malheureusement ce que vivent nos frères chrétiens dans bien des lieux du monde. On peut se faire tuer au nom de la foi chrétienne. C’est une première façon de mourir. C’est une première façon de voir disparaître la voix qui porte le Christ à l’intérieur du monde. Mais on peut mourir d’une autre façon malheureusement, et c’est peut-être celle qui nous guette aujourd’hui plus particulièrement : on peut mourir de l’intérieur, on peut se laisser dissoudre de l’intérieur, on peut perdre le sens de la dimension vivante de la parole qui nous habite et ne plus la vivre, ne plus nous relier à elle que sous la forme d’une tradition qu’il faudrait entretenir, qu’il faudrait conserver, conserver à tout prix.

             Bernanos écrit : « On nous dit qu’il faut conserver, mais en réalité nous chrétiens de France nous sommes là pour servir. Nous ne sommes pas là pour conserver, nous ne sommes pas des conservateurs. » Bien-sûr il y a beaucoup à conserver dans l’héritage que nous avons reçu. Mais nous ne conservons pas pour conserver, cet héritage nous le gardons pour le transmettre, parce que cet héritage est vivant. Nous le gardons précisément dans son actualité, non pas parce que nous avons à le conserver, mais d’une certaine façon parce que c’est lui qui nous conserve, et qu’il n’y a que lui qui puisse nous sauver, qui puisse nous conserver.

             L’instinct de conservation n’est pas toujours bon conseiller. Bien-sûr, Bernanos le dit encore : « Nous n’avons pas le goût de la destruction. » Nous ne sommes pas comme le monde contemporain obsédé par la déconstruction. Aujourd’hui, vous voyez, l’obsession du temps présent, c’est de tout déconstruire. Et paradoxalement, même l’école qui devrait être le lieu de la transmission par excellence, devient le lieu de la déconstruction. À l’école on n’apprend plus qu’à déconstruire, et l’obsession de notre actuel ministre de l’Education nationale, comme vous le savez, c’est de déconstruire : déconstruire les stéréotypes sexistes, déconstruire les préjugés de genre, tout déconstruire avant que rien ne soit construit.

             Nous n’avons pas comme le monde contemporain la passion de la destruction. Nous ne sommes pas des obsédés de l’esprit critique à tout prix. Nous ne voulons pas de la domination de l’ironie corrosive, qui fait que toute autorité se disloque instantanément dès qu’elle prétend avoir quelque chose de sérieux à dire. Mais pour autant il y aurait un piège qui consisterait là encore à nous raidir presque par opposition, par réflexe inverse, dans un pur instinct de conservation, qui serait conservation pour elle-même, conservation d’un héritage dans le vide, conservation d’une tradition pour le passé qu’elle représente. Mais notre tradition ne représente pas le passé. Notre tradition, avec toute la richesse de notre histoire, représente précisément ce sur quoi peut se fonder notre avenir, précisément là encore parce qu’elle est puissance de vérité.

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             Et je voudrais peut-être ouvrir notre réflexion à la dimension de la culture, et non pas simplement des convictions qui sont les nôtres. Nous sommes les héritiers d’une culture, et d’une culture bimillénaire. Nous sommes les héritiers d’une histoire et d’une langue. Nous sommes les héritiers d’une civilisation. Cette civilisation, nous le savons, est en péril, car les civilisations sont mortelles comme disait Paul Valéry : « Elles aussi peuvent se détruire de l’extérieur lorsque les grandes invasions les mettent en danger, mais elles se détruisent aussi et sans doute beaucoup plus sûrement de l’intérieur. » Et c’est sans doute exactement ce à quoi nous sommes en train d’assister aujourd’hui. Une civilisation qui a perdu le sens de l’actualité de son héritage, de la dimension profondément vivante de la tradition qu’elle a reçue, cette civilisation-là ne peut que s’écrouler de l’intérieur.

             Sous quel mode devons-nous être attachés à notre culture ? De quel point de vue devons-nous tenter de sauver cette culture que nous avons reçue ? Eh bien là encore, vous voyez, je crois qu’il y aurait un piège qui consisterait à prolonger cette mort intérieure, et qui consisterait à défendre cette culture et cette tradition, un peu comme on enferme les Indiens dans des réserves pour qu’ils y perpétuent leurs rites, afin que nous voyions encore quelque chose en ethnologues de ce à quoi ont ressemblé les siècles passés. Nous ne devons pas défendre notre culture pour l’histoire quelle représente, pour le passé qui l’a formée, mais cette culture nous devons la défendre parce qu’elle est puissance de vie et de vérité. Oh bien-sûr c’est une culture particulière, et l’Église nous apprend à ne pas idolâtrer les cultures, l’Eglise nous apprend à ne pas idolâtrer les langages : contrairement aux musulmans, nous ne croyons pas qu’il y ait une langue dans laquelle Dieu a parlé et que cette langue soit la seule qui puisse exprimer le vrai. Depuis toujours l’Église a rencontré la diversité des cultures et des civilisations. Et j’ai eu la chance d’hériter d’un saint patron qui sait précisément, bien avant que les managers ne s’emparent de ce thème, ce que peut être le dialogue interculturel, un saint patron qui a su ce qu’est que communiquer la vérité de l’évangile à la civilisation chinoise, à la civilisation japonaise, aux civilisations de l’Orient.

             Mais, profondément, ce qui est fondamental, ça n’est donc pas que nous idolâtrions notre culture comme étant la seule à détenir la vérité, mais malgré tout que nous reconnaissions que c’est par elle qu’est passé la vérité de notre évangile. C’est par elle qu’est passé la vérité de l’évangile pour chacun d’entre nous dans notre propre histoire, et de ce point de vue-là nous pouvons lui être reconnaissants. Notre langue, notre culture, notre civilisation est celle par laquelle le Christ nous a parlé, celle dans laquelle le Christ, pour nous, s’est incarné dans l’histoire qui est la nôtre. Mais cette civilisation elle est aussi celle par laquelle le Christ a parlé d’une façon si singulière. Notre civilisation occidentale, notre civilisation européenne, celle précisément où l’Eglise a mis son cœur battant, et notre culture française, notre langue française, la langue de la fille aînée de l’Église, qui a été aux avant-postes dans la réception du message du Christ et dans sa communication au monde, et qui malheureusement peut-être est aujourd’hui aussi aux avant-postes dans le refus de cet héritage.

             Nous devons aimer cette culture, encore une fois non pas pour la conserver comme on conserverait dans du formol quelque relique dépassée qui n’aurait plus aucun sens pour nous, nous devons conserver cette civilisation non pas pour garder des monuments, pour éviter qu’ils ne s’écroulent, et simplement pour rappeler aux historiens de demain ce qu’était l’histoire d’autrefois, mais nous devons la conserver avec amour et avec passion parce qu’elle est ce par quoi peut passer la parole du Christ pour les générations qui viennent, ce par quoi peut passer la parole de vérité, ce par quoi peut passer le bien de l’homme pour la cité de demain. Voilà la seule raison qui doit nous pousser à nous engager. Nous ne sommes pas là pour défendre nos valeurs, nous ne sommes pas là pour défendre notre héritage et notre patrimoine. Ou en tous les cas si nous défendons nos valeurs, si nous défendons notre héritage et notre patrimoine, c’est précisément parce que cet héritage et ce patrimoine sont vivants, c’est parce que dans ces valeurs se trouvent toutes la valeur de l’existence humaine possible, c’est parce que c’est par là que s’accomplit la vie des hommes dans le monde et dans la société.

             Voilà ce qui devrait nous inquiéter : non pas faire en sorte qu’on évite de raser nos églises, mais faire en sorte que pour aujourd’hui et pour demain, nos contemporains soient encore capables de comprendre ce qu’est une église, nos contemporains soient encore capables de comprendre ce que signifie pour eux la place de cette église à l’intérieur de chacune de nos villes et de chacun de nos villages*. De fait, ne nous y méprenons pas, nous enfermer dans le lexique de la défense des valeurs, c’est le plus sûr moyen de perdre les unes après les autres toutes les batailles que nous rencontrerons. Reprenons cet exemple tout simple qui est celui du patrimoine sacré à l’intérieur de nos villes. Nous pouvons nous engager pour défendre les murs de nos églises et nous avons raison de le faire, et il va falloir le faire car l’un des grands défis que nous allons rencontrer dans les années à venir sera précisément celui d’éviter que notre patrimoine et notre patrimoine sacré ne soit progressivement ou rasé ou reconverti dans une utilisation qui ne correspond pas à son essence propre et à l’intention de nos aïeux qui ont construit ces églises à l’intérieur de chacune de nos villes. Nous devons nous engager pour défendre ce patrimoine. Mais si nous nous engageons simplement comme chrétiens pour dire « Ne touche pas à mon église » comme d’autres ont dit « Touche pas à mon pote », si nous nous engageons simplement pour dire « Ceci est notre héritage, n’y touchez pas, nous le défendrons jusqu’au bout parce que nous ne voulons pas qu’on touche à notre famille », alors dans ce cas-là nous sommes sûrs de perdre les batailles les unes après les autres et nous sommes certains que nos églises finiront par s’écrouler quel que soit le nombre de pétitions que nous aurons signées, de manifestations que nous aurons organisées, d’occupations que nous aurons mises en scène.

             Ce qui compte le plus profondément bien sûr, c’est que nous défendions ce patrimoine, mais aussi et surtout que nous fassions en sorte que nos contemporains puissent retrouver le sens de ces églises, pour que nos contemporains puissent entendre à nouveau ce qu’elles veulent dire à l’intérieur de nos villes. Et ceci, précisément, ce n’est pas d’une logique de défense de nos valeurs, de préservation de notre propre famille, de nos intérêts, de notre lobby qu’il s’agit, c’est d’une tentative de conversion collective qu’il s’agit. Voilà ce que nous avons à vivre et à faire vivre. Et la première conversion qu’il s’agit de vivre c’est la nôtre. Croyons-nous encore que nos églises ont quelque chose à dire au temps présent ? Croyons-nous encore que chacune de nos chapelles, que chacune de nos cathédrales qui sont, comme le disait un poète – mais je ne me rappelle plus lequel, pardonnez-moi – qui sont comme des doigts levés vers le ciel dans chacune de nos villes, croyons-nous encore qu’un de ces doigts levés vers le ciel aient quelque chose à dire au temps présent et aux générations qui viennent ?

              Nous pouvons, je crois, être profondément inquiets, et je le suis comme certains d’entre vous bien sûr, comme tous certainement, lorsque je vois justement tant de nos contemporains, et tant de jeunes en particulier, passer devant nos églises, passer devant nos calvaires, sans rien comprendre de ce qu’ils veulent dire. Comme le dit la magnifique affirmation de Saint-Exupéry dans Citadelle : « Je me sens lourd de secrets inutiles, je me sens lourd de trésors inutiles comme d’une musique qui jamais plus ne sera comprise. » Parfois j’ai le sentiment, comme vous certainement peut-être, que nous avons peut-être déjà perdu la bataille, en tous les cas si nous ne sommes plus capables de faire comprendre à ceux qui sont autour de nous l’actualité de la parole que nous voudrions leur porter. Mais ce désespoir évidemment ne doit pas nous atteindre, il ne doit pas nous empêcher d’agir, car le seul véritable péché, nous le savons, c’est le péché contre l’espérance. Et donc il nous reste à prendre au sérieux l’actualité de notre propre héritage.

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             Voilà ce que veut dire ne pas se laisser exclure : prendre au sérieux l’actualité de notre propre héritage, être convaincu que sans lui aucune société ne se fondera. Madame Taubira nous a menti quand elle disait qu’il s’agissait d’un changement de civilisation. Le mariage pour tous n’était pas un changement de civilisation, la déconstruction de notre héritage n’est pas un changement de civilisation, car il n’y a pas de civilisation dans la déconstruction de cet héritage, il n’y a que la dé-civilisation, la dé-culturation, la destruction de toute société.

             Nous le savons bien encore une fois, les civilisations sont mortelles. Il ne reste donc plus qu’une seule possibilité : prendre au sérieux pour aujourd’hui et pour demain l’actualité de l’héritage que nous avons reçu pour tous ceux qui nous entourent, prendre au sérieux la soif qu’ils ont, même lorsqu’elle n’est pas dite, même lorsqu’elle n’est pas pensée, même lorsqu’elle ne s’exprime que sous la forme de l’agressivité, prendre au sérieux la soif de notre monde et la nécessité de dire à ce monde qui vient le message que nous avons reçu, en mettant sur ce message des mots d’une actualité absolue. Ne plus tenter simplement de nous faire plaisir en répétant les mêmes mots parce que nous avons le sentiment qu’ils nous parlent à l’intérieur de notre petite communauté, mais tenter de réinventer un vocabulaire qui parle à chacun de ceux qui nous entourent pour rejoindre au plus profond de leur cœur leurs aspirations les plus essentielles. Voilà ce que veut dire croire à la vérité de la parole du Christ. Croire à la vérité de la parole du Christ, c’est croire que tout homme a soif de cette parole, parce qu’elle le rejoint dans la vérité de sa personne, parce qu’elle le rejoint dans la vérité de toute aventure humaine.

             Notre but donc n’est pas simplement de défendre nos convictions, notre but n’est pas de faire en sorte que nos chapelles ne s’écroulent pas trop vite, de les protéger en érigeant des lignes Maginot qui nous éviteront pour un temps de voir la destruction de ce que nos ancêtres ont construit. Notre but c’est de faire en sorte que nos chapelles parlent à nouveau à tous ceux qui nous entourent, notre but c’est de faire en sorte précisément de redonner à notre société la vie qu’elle attend en redonnant vie à l’héritage que nous avons reçu.

             Voilà peut-être simplement quelques pistes de réflexion très brèves pour ouvrir cette journée. J’espère que vous ne serez pas choqués par le caractère paradoxal ni de la question, ni de la réponse. Nous ne sommes pas là pour défendre nos convictions. Laissons cela aux autres, laissons cela à ceux qui ne défendent que leurs intérêts, laissons cela à Jean-Pierre Michel, à Christiane Taubira, à Vincent Peillon. Laissons-les défendre leurs convictions. Nous servons le bien de l’homme, nous servons le bien de tout homme, et aucun autre but n’est suffisamment grand pour nous.

    Merci beaucoup.

     

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    François-Xavier Bellamy
    12 octobre 2014 - 
    « Faut-il défendre ses convictions »  Introduction au Colloque Ichtus  « Catholiques en action 2014 »

     

     

     

     

    * Voir aussi Que veut dire une église à l'intérieur de notre cité ? Saint-Martin de Sury-ès-Bois (18) avec François-Xavier Bellamy

     

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  • Rebâtir la France, Terre d'Espérance

    Retranscription de l’émission Le Grand Témoin, du 20 janvier 2015.

    Louis Daufresne invite le général Didier Tauzin à l’occasion de la sortie de son livre Rebâtir la France (Éditions du Mareuil) et pour son association France, Terre d’Espérance.

    http://www.france-terre-esperance.com/index.html

     

    Louis Daufresne Potrait Radio ND.jpgLouis Daufresne : Quand la grande muette commence à l’ouvrir c’est que les choses ne vont pas si bien que cela. Les scènes de guerre en plein Paris habitent toujours les esprits d’autant que la nouvelle caricature de Mahomet publié par Charlie Hebdo, édition diffusée à des millions d’exemplaires, risque fort de mettre le feu à la planète. Déjà des églises brûlent, des hommes meurent. À qui la faute ? Le principe de précaution que s’imposent de plus en plus les peuples vieux et frileux aurait sans doute eu ici toute sa pertinence. Le général Didier Tauzin connaît bien les forces spéciales : il a commandé le premier RPIMA Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine, prestigieuse unité. Il a dirigé plusieurs opérations de libération d’otages. Aujourd’hui, il s’engage en fondant une association, France, terre d’Espérance et en publiant un essai dont nous allons parler au fil de cette émission : Rebâtir la France. Général Tauzin, bonjour.

    Général Didier Tauzin : Bonjour.

    L.D. : Vous avez dit sur une chaîne de télévision, en tout cas c’est ce que j’ai aperçu sur un bandeau de BFMTV : « Ce n’est qu’un début, ce que nous vivons… ». C’est vrai ?

    D. Tauzin 11.37.jpgG. D.T. : Oui, absolument, c’est vrai. Ce n’est qu’un début. Nous sommes maintenant… D’ailleurs monsieur Valls l’a dit lui-même : nous sommes maintenant dans une guerre qui a tous les aspects d’une guerre mondiale. Non pas du tout de celles que nous avons connues au XXème siècle, mais une guerre d’abord complètement asymétrique : du point de vue technologique, au moins, c’est-à-dire des gens extrêmement rustiques qui se contentent de vraiment très peu de choses, qui passent complètement inaperçus, qui ne coûtent rien à leurs commanditaires… face à des armées ou les polices installées et lourdement équipées… face à des populations qui ne s’attendent pas du tout à cela, ne comprennent pas encore qu’elles sont dans une guerre. Asymétrique, aussi, dans le sens où nous ne sommes pas dans une guerre d’armées. Il n’y a pas de champ de batailles. Le champ de bataille c’est le monde entier et c’est en même temps chacun d’entre nous, c’est notre conscience… Il s’agit de nous terroriser, de nous faire progressivement baisser la garde intellectuelle — si je peux dire — pour aller dans le sens idéologique que veulent ces gens-là. C’est aussi une guerre idéologique.

    L.D. : Quel est le but de guerre ? 

    G. D.T. : Le but de guerre, très clairement : il faut se dire que nous sommes face à l’islamisme. L’islamisme dérive d’une lecture du Coran. Il est clair que le Coran prête dans beaucoup de ses sourates a interprétations diverses. J’en ai lu quelques passages récemment, dans le cadre de cette affaire. Il est clair, pour certains passages, que des esprits frustes et très peu cultivés et, surtout, manipulés par des commanditaires peu recommandables, peuvent en faire une lecture vraiment dramatique pour le monde. Dans certains passages est quand même écrit : « Il faut tuer les infidèles ». D’ailleurs, c’est ce que le patron de Daesh, de l’État Islamique, Abou Bakr al-Baghdadi préconise. D’après ce que je sais de lui, c’est quelqu’un qui n’a aucune haine contre quiconque. Simplement il est écrit : « Il faut tuer les mécréants », eh bien, ils tuent les mécréants. Voilà. C’est tout. Donc, le but de guerre en fait dérive d’une lecture extrêmement littérale du Coran. Beaucoup de musulmans font une lecture beaucoup plus spirituelle du Coran, en particulier les soufis, mais d’autres en font une lecture extrêmement littérale. Et donc, il s’agit maintenant de convertir le monde, là, par le sang et le feu. Il ne faut pas non plus se leurrer : on ne regarde plus l’histoire. Mais le Djihad tel qu’il est pratiqué par Al Qaïda, par Daesh, a été pratiqué tout au long de l’histoire de l’islam. L’étendard noir que nous voyons aujourd’hui sur les télévisions, qui est brandi en Iraq et en Syrie par Daesh, est le même étendard noir que brandissaient les armées de Mahomet dès la conquête, par exemple, de l’Espagne. 

    L.D. : Cela veut dire que vous faites l’amalgame, là… 

    G. D.T. : Ce n’est pas un amalgame… Attendez, il faut faire très attention. L’amalgame qu’il ne faut pas faire c’est entre la grande majorité des musulmans qui n’a pas de sang sur les mains, qui n’accepte pas du tout cette interprétation littérale du Coran, et qui ne se reconnait pas du tout dans les crimes commis au nom du Coran et au nom de Mahomet, l’amalgame entre ces gens là et les massacreurs, les terroristes. C’est cet amalgame-là qu’il ne faut pas faire. Par contre, cela n’empêche pas de regarder les choses en face. Quand on veut résoudre un problème il faut le poser correctement. Et je remarque que le président égyptien, le Général al-Sissi, a dit très récemment qu’il faut faire le ménage dans l’islam. Il s’était levé contre le fait que dans les mosquées égyptiennes aujourd’hui on parle encore des juifs comme de singes et des chrétiens comme de porcs. Donc, voyez-vous, même l’islam se remet en question. Cela est très bon et nécessaire. Un écrivain algérien écrivait récemment dans une tribune — du Figaro je crois, peu importe — que la vocation de l’islam c’est de convertir et non de gouverner. Il écrivait que l’immense majorité des musulmans font cela à titre personnelle et dans leur famille, d’une manière pacifique à l’égard de la société. Une infime minorité, au contraire, fait une lecture littérale du Coran.

    L.D. : Général Didier Tauzin, c’est au Sénégal, à Dakar, que vous voyez le jour en 1950. Votre père militaire a fait la guerre de 39-45, l’Indochine et l’Algérie. Vous le dites, votre vocation d’officier est venue très rapidement. Sans doute en 1954 : alors que vous aviez à peine quatre ans, votre père avait alors adressé une lettre à votre mère pensant que ce serait la dernière. Lettre dans laquelle il annonçait qu’il était volontaire pour sauter sur Diên Biên Phu. Une histoire qui a bercé toute votre vie, votre enfance et votre jeunesse. Votre vocation, elle, s’est confirmée avec le temps : à 21 ans, vous intégrez Saint-Cyr.


    Marion Duchêne ortrait Radio ND.jpgMarion Duchêne : Portrait 

             Didier Tauzin a 25 ans, à peine, lors de sa première opération. Il s’agissait de protéger Houphouët-Boigny avec moins de quinze hommes, se souvient-il : « Le commandement m’a transformé. Cela demandait exigence et amour. C’était avant tout un service ». 1992 : Didier Tauzin prend la tête des Para du Premier Régiment d’Infanterie de Marine. La Somalie, la Yougoslavie, le Rwanda entre 92 et 94. En 2006, c’est la retraite. Didier Tauzin le répète : « Ma conversion chrétienne m’a beaucoup aidé à m’épanouir dans les fonctions de commandement. » Élevé dans la religion catholique, il n’a jamais été très pratiquant jusqu’à une retraite ignacienne à Bayonne, en 1975 : « Cela a tout changé dans ma vie ! », dit-il. Le général Tauzin n’a jamais caché sa foi. Mieux : il a toujours eu une statue de la Vierge sur son bureau. La Parole qui le guide aujourd’hui : « Vous êtes la Lumière du monde. » « Ce n’est pas une invitation, c’est un ordre », souligne celui qui a toujours refusé de s’encarter. « On n’a qu’un seul parti, c’est la France », disait-on dans sa famille. L’année 2013 et La Manif Pour Tous ont poussé Didier Tauzin à écrire Rebâtir la France aux éditions Mareuil et à fonder l’association France, Terre d’Espérance. « Nous sommes à la fin d’une époque, c’est pour moi une certitude », déclare le général. « L’objectif de mon livre est d’éviter que notre pays ne bascule dans la guerre civile. On nous a monté les uns contre les autres », insiste-t-il. Et à ceux qui ont trop souvent dénigré les soldats, les gendarmes et les policiers, le général Didier Tauzin répond en citant Anatole France : «  Les vertus militaires ont enfanté la civilisation entière ».  

    Louis Daufresne Potrait Radio ND.jpgL.D. : Je reviens à ce que vous disiez tout à l’heure, général Didier Tauzin, à propos de cette infime minorité qui a une lecture littérale du Coran. Comment peut-on évaluer le soutien dont elle dispose dans les banlieues, cette infime minorité ? Je crois que vous avez des statistiques à nous faire partager…

    D Tauzin 11.36.jpgG. D.T. : Oui. D’après une émission de CNN, la chaîne américaine que j’ai capté sur internet : 15 à 25% de la population musulmane serait plus ou moins favorable au djihadisme, tel qu’il est pratiqué par ces gens-là. 15 à 25% ce qui, au niveau mondial, fait une population de 300 millions d’habitants, d’après cette émission des Services de Renseignements occidentaux. On peut considérer que CNN est une chaîne sérieuse… Il faut d’ailleurs prendre cela avec précaution : la fourchette est large, 15 à 25%. Je prends la moitié de cette fourchette : 20%. Si cette fourchette est avérée, en France, cela fait 1 million de musulmans qui seraient, peu ou proue, favorable au djihadisme tel qu’il est pratiqué. C’est énorme ! Dans cette population importante, dans ce million, une toute petite minorité passe à l’acte. Mais cette minorité se renouvelle en permanence. 

    L.D. : Cela a toujours été le cas dans l’histoire que les minorités… La révolution Russe, c’était pareil…

    G. D.T. : Cela a toujours été le cas. D’ailleurs c’est ce que disait CNN. Il ne faut, bien sûr, pas faire d’amalgame mais… À l’époque de Hitler, il n’y avait qu’une minorité d’allemands qui était nazie. Ils ont mis le feu au monde. Leur objectif étant de terroriser pour faire plier nos consciences et nos volontés, ils peuvent employer à peu près n’importe quels moyens. Je ne sais pas sous quelle forme, mais c’est une guerre qui va durer et qui ne fait que commencer.   

    L.D. : On peut se poser la question. Vous dites : « C’est pour faire plier nos consciences ». Mais on peut avoir le réflexe inverse qui consiste à dire : « Eh bien non, justement cela ne va pas nous faire plier, cela va nous raidir ». Puisque face à l’horreur de ce type de tuerie il peu y avoir une prise de conscience. C’est peut-être ce qui s’est produit, d’ailleurs, il y a un peu plus d’une semaine à la République. C’est peut-être un résultat qui est aléatoire — le fait de chercher à faire plier les consciences. Cela peut produire l’effet inverse.

    G. D.T. : Exactement ! Et ça va produire l’effet inverse. Surtout en France. Parce que nous sommes un peuple rebelle. Et c’est très bien en soi, d’ailleurs. Ça va produire l’effet inverse. Mais peut-être que ces gens-là ne sont pas allés jusqu’au bout de l’étude psychologique des peuples. Ces erreurs-là sont très fréquentes. De toute façon, cela va tomber à plat… enfin, cela va faire beaucoup de mal, mais ça ne peut pas réussir à notre égard parce que, en France, le réveil chrétien est commencé. 

    L.D. : À quoi le voyez-vous ?

    G. D.T. : J’ai vu que le réveil chrétien a commencé à La Manif Pour Tous. Ce n’était pas que des chrétiens, mais suscité largement par des chrétiens. Et j’y ai participé moi-même avec beaucoup de ferveur. Là, j’ai vu un changement radical par rapport à toute la période que j’ai connue depuis mai 1968. Nous sommes vraiment dans un changement radical, un tournant de civilisation. Je partage l’idée fondamentale de Houellebecq — et c’est d’ailleurs cette idée qui a donné lieu à ce livre — qui a été commencé au printemps 2013, quand il dit que nous sommes à la fin de ce cycle qui a commencé avec la Renaissance, la Réforme, qui s’est poursuivit avec les Lumières, qui s’est incarné politiquement avec la Révolution Française. Nous sommes à la fin. Alors, je ne vais pas dire comme lui que la République est morte, parce que de quelle République parle-t-il ? La République-institution ?, ou bien cette République théorique, idéologique, à fond de laïcisme exacerbé, qu’on nous sert en permanence ? Je pense que celle-là, oui, est morte. Mais « son cadavre va bouger encore longtemps » pour prendre le mot de Karl Marx à propos de Dieu. Donc, ce réveil chrétien fait que les islamistes ont perdu d’avance. Ils ont perdu d’avance pour une autre raison. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais je crois, à divers signes, je pense qu’en France il y a beaucoup plus de musulmans qui deviennent chrétiens, que des chrétiens qui deviennent musulmans. J’ai récemment rencontré une jeune marocaine qui s’est convertie de l’islam au christianisme, au catholicisme. Elle me l’a confirmé. Ce mouvement avec ce qui s’est passé, par exemple, la semaine dernière, à mon avis, ne peut que s’amplifier. C’est d’ailleurs un de nos devoirs, à nous, chrétiens : un devoir de chrétiens et un devoir politique en même temps, que d’aller à la rencontre de ces gens-là et de les aider. Et je trouve scandaleux que notre République laisse diffuser des fatwas contre ces gens-là. Par exemple, cette jeune femme fait l’objet d’une fatwa, condamnation à mort, si elle ne revient pas à l’islam.

    L.D. : Et la république ne réagit pas, pour vous… ?        

    G. D.T. : Elle a porté plainte. Pour l’instant n’a été donné aucune suite. L’imam qui a émis la fatwa est toujours en liberté.

    L.D. : Vous seriez pour son expulsion ? 

    G. D.T. : Mais évidemment, il faut faire quelque chose ! Soit les Droits de l’Homme sont quelque chose, soit notre République a un sens et dans ce cas on ne peut pas tolérer que sur notre sol la charia s’applique. Soit elle n’a plus de sens, elle est morte, réellement, déjà. Mais elle va entraîner du chaos. Voilà !

    L.D. : Général Tauzin, vous dites qu’on assiste à des mouvements de conversion d’une ampleur importante.

    G. D.T. : Non, je n’ai pas dit ça ! Je dis qu’il y a plus de musulmans qui se font chrétiens que de chrétiens qui se font musulmans.

    L.D. : C’est une intuition, c’est une appréciation fondée ? 

    G. D.T. : C’est beaucoup plus une intuition qu’une appréciation étayée parce que ces gens-là ne le manifeste pas. Ils ne peuvent pas le manifester parce qu’ils sont automatiquement coupés de leur communauté initiale musulmane. De plus, pour l’instant, notre Église n’est pas encore bien ”équipée” pour les accueillir. J’ai quand même rencontré des gens, récemment, qui se donnent à cette mission d’accueillir les musulmans qui deviennent chrétiens. Ou même, d’ailleurs, d’essayer de convertir. C’est très beau, c’est magnifique. Et je crois franchement que l’avenir est par-là. Mais forcément cela ne peut de toute façon qu’attiser les conflits. Les islamistes vont se retourner vers les musulmans qui se convertissent. Ils vont même sans doute leur faire beaucoup de mal. Je pense que, d’un point de vue chrétien, c’est là que vont se trouver les martyrs qui vont permettre le renouveau national.    

    L.D. : On peut imaginer aussi que ces attentats sont une forme de… une façon de discipliner peut-être aussi la communauté musulmane.

    G. D.T. : C’est évident. C’est une façon de l’encadrer. Mais c’est peut-être aussi le combat de la dernière chance pour ces gens-là, ces attentats. Au niveau mondial l’islam est très perturbé en ce moment. Il a beaucoup de mal à s’adapter à la modernité. Je vais souvent en Afrique et je sais que des chefs musulmans africains s’inquiètent beaucoup du nombre de conversions de musulmans au christianisme. Je dis ”au christianisme” parce qu’ils vont vers des communautés chrétiennes diverses, vers le catholicisme, les protestantismes, etc. Ils s’en inquiètent beaucoup parce qu’il y a un véritable mouvement en Afrique noire musulmane. Et ce mouvement tend à s’amplifier.      

    L.D. : Et ça c’est l’Afrique aussi… ! 

    G. D.T. : C’est l’Afrique, d’accord, mais cela peut passer très vite dans d’autres régions, et particulièrement en Europe.

    L.D. : Mais en Afrique on est peut-être d’abord déjà animiste et puis après catholique, protestant, musulman… 

    G. D.T. : Ohhh, bien sûr, bien sûr. Mais vous savez, même en France il y a encore des relents d’animisme ou de… c’est évident. Mais enfin, quand même, l’islam y est bien implanté. Et même le christianisme. 

    L.D. : Général Didier Tauzin… Je voudrais d’abord aborder une question avant de voir comment on va ”rebâtir la France”, puisque c’est quand même votre ambition… Est-ce que du point de vue sécuritaire la réponse apportée par les autorités françaises vous paraît adaptée ? Est-ce que l’on sait dans quel sens on va ? Parce qu’on a le sentiment que droite et gauche, déjà, se divisent sur la question des libertés individuelles, la restriction des libertés que supposerait une démarche anti-terroriste beaucoup plus pertinente. Quelle est votre analyse sur ce point ? Qu’attendez-vous de la part des autorités ?

    G. D.T. : Mon analyse est justement que notre système politique n’est plus adapté, n’est pas adapté à cette affaire. Parce que ce n’est pas une affaire de partis. Comment fonctionne un parti ? Sur le mode marxiste : thèse/antithèse. Automatiquement, c’est le conflit. Pourquoi ? Parce que le parti a des besoins propres : il a son identité propre, sa stratégie de parti. Tout est vu au travers du prisme de la stratégie du parti. Or, en l’occurrence, il s’agit de quoi ? D’une guerre. Avec des morts. Donc, la stratégie du parti n’a plus lieu d’être. Il y a des mesures techniques à envisager. La première chose est de stopper le gel, la diminution des effectifs et la diminution des budgets. Qu’ils soient militaires, pour la gendarmerie ou pour la police. 

    L.D. : Il aura fallu un attentat…

    TourEiffelMilitaires.jpgG. D.T. : C’est terrible ! C’est absolument terrible qu’il faille un attentat pour en arriver là ! Mais cela fait des années ! Ensuite, il faut prendre la mesure de la menace. On peut considérer que Clausewitz, qui pourtant vivait à l’époque napoléonienne, a vu juste. Il envisageait une montée aux extrêmes de la violence. On y arrive. Parce que la violence non seulement se répand à l’intérieur même des sociétés — nous sommes nous-mêmes personnellement de plus en plus violents, parfois à l’égard de nous-mêmes, d’ailleurs — : 10000 jeunes se suicident chaque année, en France. Et puis les moyens de destructions sont de plus en plus importants. Aujourd’hui, on peut très bien envisager que les djihadistes emploient d’ici à quelque temps, peut-être très rapidement, des armes nucléaires miniaturisées. Puisqu’on sait faire une arme nucléaire miniaturisée depuis pas mal de temps, déjà.         

    L.D. : Ils ont les capacités de le faire ? 

    G. D.T. : Je pense qu’ils peuvent l’avoir. Parce que vous savez que l’argent achète tout, malheureusement, dans notre monde. Et l’argent, ils en ont. Il faut mêler cela aux stratégies des puissances. Un exemple passé : ce sont les américains qui ont créé les Talibans. Qui ensuite se sont retournés contre eux. Au bout du compte cela fait quinze ans de guerre américaine en Afghanistan, avec trois milles morts américains contre les Talibans que les américains ont créés. Si vous voulez, on peut très bien avoir dans le monde quelqu’un possédant la technologie de cette arme nucléaire miniature et qui la vende à Daesh ou Al-Quaïda. Cela peut très bien se produire.

    L.D. : C’est un risque. Est-ce qu’on est à la hauteur de ce risque-là aujourd’hui ? 

    G. D.T. : Je ne pense pas que nous soyons à la hauteur de ce risque-là aujourd’hui, tout simplement parce que… Il faut absolument que nous développions, que nous intensifiions nos services de renseignements et nos moyens d’action. 

    L.D. : Par quel biais ? 

    G. D.T. : D’abord le financement, évidemment. Écoutez, cela fait partie des missions…

    L.D. : Un million de personnes à suivre potentiellement… On ne les suivra jamais. Il n’y aura jamais les budget, ni… 

    G. D.T. : Non, il n’est pas possible de suivre au jour le jour un million de personnes. Ce n’est pas possible. Il faut d’ailleurs dans ce million de personnes repérer ceux qui sont potentiellement… 

    L.D. : Mais c’est colossal, en tout cas. Même s’il y a 10% à suivre, c’est énorme. 

    G. D.T. : C’est colossal. Pour suivre un frère Kouachi en permanence il faut 20 ou 30 personnes. C’est énorme. En estimant qu’il y en a 1500 en France, voilà, vous avez tout de suite une dimension énorme. Mais c’est une mission régalienne ! 

    L.D. : Est-ce qu’il faut changer les lois ? 

    G. D.T. : C’est évident, il faudra changer les lois parce que tout évolue en permanence.    

    L.D. : La gauche, pour vous, prendra l’initiative de restreindre les libertés… ?  

    G. D.T. : La gauche peut devenir, ne serait-ce que par besoin électoral — si je puis dire — démagogie électorale, ou réflexe, sentant qu’elle s’est trompée, peut devenir très dure. Les régimes les plus dictatoriaux et totalitaires, quand même, pratiquement toujours étaient des régimes de gauche ou dits de gauche. Il ne faut pas l’oublier. Donc, oui, la gauche peut faire ça. Mais est-ce qu’il est bon que ce soit la gauche qui le fasse. Et la droite s’opposant plus ou moins… Non. Les missions régaliennes de l’État, à mon avis, ne doivent pas être abordées dans un contexte droite/gauche, dans un contexte de partis. Pour moi c’est une faute. Parce que les missions régaliennes sont la survie de la nation.   

    L.D. : Justement général Tauzin, on va rester sur cette idée pour voir où vous voulez en venir pour Rebâtir la France, c’est aux éditions Mareuil. Je signale que vous avez fondé une association qui s’appelle France, Terre d’Espérance et on va voir où cela va nous conduire après les infos.


    Gérard Leclerc Portrait.jpgChronique de Gérard Leclerc : Michel Onfray et René Girard 

             La question des rapports de l’islam avec la violence est aujourd’hui partout. J’ai regardé en différé l’intervention de Michel Onfray sur le sujet, samedi soir dans l’émission de Laurent Ruquier On n’est pas couché. Elle m’a beaucoup intéressé, d’autant que le fondateur de l’université populaire de Caen se trouvait opposé, dans un véritable bras de fer, avec le journaliste Aymeric Caron, bien connu pour ses positions à propos de l’islamophobie. On pourrait certes reprocher à Michel Onfray une sorte d’hostilité anti-religieuse, thématisée dans son Traité d’athéologie, un ouvrage que, personnellement, je récuse totalement, mais l’intéressé a au moins un mérite : celui d’argumenter ses positions. Avec lui, on peut toujours discuter.

             Or, samedi soir, Onfray avait des arguments incontestables contre lesquels Caron avait du mal à présenter des objections. Son recours consistait à désigner le danger d’essentialiser un islam violent et ainsi de stigmatiser l’ensemble des musulmans. Telle n’était pas l’intention de Michel Onfray, qui réclamait la liberté d’interroger l’histoire et les sources. Là-dessus, je ne puis qu’être d’accord, d’autant plus que je suis disposé à la même acribie à l’égard de ma propre religion, à condition que le travail soit fait sérieusement. Ce n’est pas souvent le cas, la tentation étant de mettre toutes les traditions sur le même pied à partir de postulats rationalistes. L’ennemi intellectuel, c’est bien le fondamentalisme, qui récuse toute intelligence de la foi et toute approche critique du corpus de toutes les traditions. 

             Je ne nie pas qu’il y a un problème de la violence dans le corpus biblique, mais il n’est pas tabou aussi bien chez les juifs que chez les chrétiens. Peut-être conviendrait-il aussi de reprendre les choses sur le mode de René Girard, qui a montré que, dès l’origine, le sacré est en relation directe avec la violence qu’il a pour mission de limiter, non sans dérives dangereuses. Reprendre l’analyse girardienne serait un bon moyen de discernement, en prenant quelques distances avec les passions présentes.


    Louis Daufresne Potrait Radio ND.jpgL.D. : C’est le général Didier Tauzin, général des Forces Spéciales qui est avec nous ce matin, notre grand témoin. Rebâtir la France aux éditions Mareuil. Telle est son ambition, sans cynisme, résolu à quitter la logique des partis et des sondages. François Hollande et Manuel Valls sortent des abysses d’impopularité grâce, paraît-il, à l’unité retrouvée. Le général Tauzin en appelle à la conscience citoyenne estimant, ce sont vos mots mon général, « que l’État ne sert plus la nation que la politique, que la France n’est plus qu’une étape dans un parcours professionnel au service de l’oligarchie mondiale. » Mon général, ce n’est pas si fréquent que des officiers supérieurs se retournent contre le système qu’ils ont servi, qu’ils se lancent dans une autre bataille. Une bataille autrement difficile qui est celle des idées.           

    D. Tauzin 11.36.jpgG. D.T. : C’est assez rare, en effet. Dans notre pays c’est mêmes très rare et cela suscite toujours des questions. Je peux tout de suite rassurer Manuel Valls — ou alors lui occasionner un regret, peut importe… Il ne s’agit pas pour nous, bien entendu — je dis pour nous parce que je ne suis pas seul — il ne s’agit pas de coup d’État, de putsch, etc. C’est évident. Nous restons dans la plus parfaite légalité, c’est clair. Surtout en ce moment où la situation est très tendue en France : il ne s’agit pas d’en rajouter, c’est évident.   

    L.D. : Mais le dire cela signifie que c’est quand même assez ”chaud”, les relations avec les pouvoirs institués… 

    G. D.T. : Non, ce n’est pas ”chaud” avec les pouvoirs institués parce que je n’ai aucune relation avec eux. Ce livre, je l’ai écrit seul dans mon coin, avec beaucoup d’avis que j’ai pris autour de moi mais dans la grande discrétion. Pour l’instant personne n’est au courant. Depuis quelques jours, bien sûr, les journalistes sont au courant. Mais il n’y a pas de distension avec les gens qui sont au pouvoir. Je me situe vraiment sur un autre terrain. J’estime que nous sommes revenu à ce que de Gaulle appelait « le système désastreux des partis ». Je m’explique : en 1962, il provoque un référendum qui finalement décide que le président de la République sera élu au suffrage universel direct. Et à ce moment-là, après le référendum, le général de Gaulle estime que ce faisant, « nous avons mis fin au système désastreux des partis ». L’expression est de lui. Il décède en 1970 et à ce moment-là, dans le monde, notamment aux États-Unis, les observateurs envisageaient que, du fait de ce qu’elle était devenue et de ses fondamentaux, la France était à coup sûr, la grande puissance européenne de la fin du XXème siècle et que la vraie question était de savoir ce qu’elle ferait de sa puissance. Et qu’elle serait aussi l’une des plus grandes puissances mondiales du XXIème siècle. Or, en  2011, Jean-Pierre Chevènement publie un livre La France est-elle finie ?. Que s’est-t-il passé entre temps ? Eh bien, quatre ans après la mort de de Gaulle, avec l’élection du président Giscard d’Estaing, le régime désastreux des partis a commencé à se réinstaller. Et ça n’a fait que se développer, et aujourd’hui nous sommes dans une…   

    L.D. : Et qui l’a voulu, ça ? 

    G. D.T. : Je ne sais pas si cela a été voulu par les acteurs. Certainement par des influences, des gens qui sont derrière les acteurs de premier plan, les présidents, les ministres, etc. Mais en fait, c’est une logique. Normal : un parti, qu’est-ce que c’est ? C’est une équipe, ou une entreprise. Je compare cela maintenant à des entreprises dont l’objectif est de conquérir le pouvoir puis de le conserver. Il y a une stratégie de parti. Ces partis développent une stratégie commerciale, aujourd’hui : du marketing. Nous sommes le marché. Et c’est un marché qui est fini. On ne peut pas l’étendre. Sauf à donner la nationalité française à des immigrés. C’est ce qui a beaucoup été fait. Donc là, on peut étendre le marché. Autrement ce marché est fini. Et donc, la bataille commerciale entre les partis fait rage, à coups de démagogie, à coups d’achat des consciences et des votes, surtout, et cela au détriment de la France. Parce que la stratégie de parti peut…  

    L.D. : À coups de financement aussi : les associations, etc. Aucune transparence quant au financement associatif…

    G. D.T. : Voilà ! Cela fait partie de la démagogie tout cela. Ces stratégies de partis, conquérantes, peuvent très bien aller contre le bien commun, contre l’intérêt général. Peu importe, au bout du compte, puisque c’est bon pour le parti. 

    L.D. : Mais qui met de l’ordre, alors, là-dedans ?

    G. D.T. : Mais personne ne met de l’ordre. Parce que ce système des partis qui… 

    L.D. : Mais vous, vous le souhaitez…        

    G. D.T. : Mais, il faut impérativement mettre de l’ordre…

    L.D. : Par qui ?

    G. D.T. : Par quelqu’un qui s’engage en politique. Je ne sais pas où me mènera cette affaire…

    L.D. : Donc, un militaire… Il faut qu’un militaire remette de l’ordre… C’est souvent un militaire, d’ailleurs, qui vient… 

    G. D.T. : Dans notre histoire c’est souvent un militaire et parfois, d’ailleurs, cela se termine mal pour lui en particulier, et même parfois pour la France. Parce qu’il ne s’y prend pas forcément bien. Mais ça peut être quelqu’un d’autre. J’établis, ici, les grandes orientations qu’il faut prendre pour remettre la France à flot et lui redonner un avenir. Je ne sais pas du tout où va me mener cette affaire. Aujourd’hui en 2014…  

    L.D. : Pas à un coup d’État militaire en tout cas… 

    G. D.T. : Certainement pas. Il ne faut pas faire ça. C’est hors de question. Aujourd’hui, début 2015, on peut se poser la question : Est-ce que l’on pourra réaliser les élections présidentielles en 2017 ? La situation est tellement tendue que l’on peut vraiment se poser la question. Donc, j’ai décidé, dans un premier temps, d’établir les conditions du renouveau français, ou d’un redressement de la France. Et les conditions d’une nouvelle politique d’avenir, une politique de l’espérance. 

    L.D. : Alors, expliquez-moi, général Tauzin… Comment concevez-vous le renouveau en sortant de cette logique de partis ? Puisque vous nous dites, précisément d’ailleurs, un rien agacé, que ce système verrouille tout.

    G. D.T. : Ce système verrouille tout, oui. Agacé, c’est peu. Je suis scandalisé. 

    L.D. : Quitte à emmener la nation dans l’abîme, peu importe à vrai dire. Il y a une logique, en fait, perverse, qui fait que le système se répète… 

    G. D.T. : Tout à fait. Mais qui n’est pas nouvelle dans notre histoire. 

    L.D. : Qui n’est pas nouvelle. Mais alors comment fait-on pour sortir de cela, ou alors rebâtir quelque chose en dehors de ce système ? Que fait-on ? De l’entrisme et on prend le pouvoir dans le système ? De quelle manière casse-t-on les choses ? 

    G. D.T. : Ma démarche est de créer quelque chose en dehors du système. 

    L.D. : Un parti supplémentaire ?

    G. D.T. : Ça peut-être un parti. Parce qu’aujourd’hui, du point de vue économique, du point de vue organisationnel, on peut estimer que le parti est presque incontournable. Pour l’instant, ce n’est qu’une association. Je souhaiterais ne pas la transformer en parti. Mais s’il faut le faire, on le fera. Mais ce parti aura comme objectif, comme raison d’être, de mettre fin au système des partis. Non pas aux partis eux-mêmes, parce que c’est un mal congénital à l’humanité.   

    L.D. : Mais vous aurez tout le monde contre vous : tous les partis et tous les médias. Enfin, peut-être pas le nôtre…

    G. D.T. : Peut-être pas le vôtre, et peut-être pas non plus les français. Parce que regardez les partis : d’après le sondage SEVIPOF de janvier 2014 — j’ai un an de retard — les partis n’ont plus la confiance que de 10 à 12% des français. C’est-à-dire moins que le président Hollande. Ce n’est pas peu dire ! Donc les partis sont quasiment hors jeu. Les médias institutionnels, si je peux dire, les médias politiquement corrects, eux-mêmes… 

    L.D. : ”Main stream” : ceux qui influencent l’opinion.          

    G. D.T. : Voilà ! Ces médias aussi ont eux-mêmes une cotte d’amour, une cotte de confiance de plus en plus rétrécie. 

    L.D. : Oui et non, mon général, parce que regardez, BFMTV : c’est quand même la consécration de BFMTV, qui est quand même un média… Les événements nous ont montré que tout le monde était devant sa télé.  

    G. D.T. : Mais tout le monde est devant sa télé, bien entendu, parce qu’il n’y a que cela ! Mais d’un autre côté, le sentiment des français est qu’ils sont de plus en plus décalés par rapport à ce qui est annoncé. Je ne vais pas vous faire une grande confidence en vous disant que je ne regarde plus jamais les informations télévisées, sauf dans les cas comme cela pour avoir les images. Et uniquement les images. Les commentaires, dans la plupart des cas, sont biaisés.

    L.D. : Vous écoutez la radio, c’est l’essentiel ! 

    G. D.T. : J’écoute certaines radios. La vôtre…

    L.D. : Général Tauzin, vous dites que les partis sont désavoués mais observez que quand il y a des élections, il y a une vraie différence entre une personne qui est investie par un parti et la personne qui ne l’est pas. Celle qui n’est pas investie a un risque inouï d’être ratatinée. Cela veut dire que les partis…

    G. D.T. : C’est évident. Jusqu’à maintenant. Mais regardez quand même ce qui se passe. Maintenant on en arrive à 50% de votants, à peu près. Quand un parti dit : « Je pèse 25% des électeurs, il pèse 25% des votants. C’est-à-dire, en fait, combien ? 12%. Un quart de la moitié. Donc, leur légitimité démocratique, comme on dit, est extrêmement faible aujourd’hui. 12% des français suffisent à élire un président de la République. 

    L.D. : Oui, mais c’est un rapport symbolique, ce n’est pas un rapport de nombres. Cela pourrait être même 2%, ce serait pareil.          

    G. D.T. : Oui, bien sûr, cela pourrait être 2%, ce serait exactement pareil. Cela veut dire que notre système démocratique… existe-t-il vraiment ? Voilà ! Somme-nous vraiment en démocratie ? Or, il y a aujourd’hui, c’est manifeste… J’aime beaucoup parler avec les gens — c’est un défaut, peut-être, enfin non, je ne crois pas. J’aime beaucoup parler avec les gens et énormément de gens, qui votent, par ailleurs — moi-même, je vote — énormément de gens disent : « Mais il faut qu’on change de système ! Ça ne va plus. On va dans le mur ! Ces gens-là, », en parlant des élus du niveau national en particulier, « ces gens-là sont complètement déconnectés de la réalité et ne connaissent pas la France ! »

    L.D. : Alors, comment faites-vous ?    

    G. D.T. : Dans un premier temps, je vous l’ai dit, je fais une association. Je publie ce livre. J’établis : 1° Le diagnostic ; et 2° Les grandes lignes de ce que j’affirme qu’il faut faire pour redresser la France. 

    L.D. : C’est donc un livre manifeste, Rebâtir la France.

    Couv Rebâtir la France.jpgG. D.T. : C’est un livre manifeste. Et avec cette association France, Terre d’Espérance, avec un fonds de dotation et déjà des gens qui s’y accrochent, qui s’y réfèrent, qui vont adhérer. Nous avons décidé hier soir la création de ce qu’on appelle, pour l’instant — l’appellation est tout à fait temporaire — un bureau d’études, un think tank en français moderne, n’est-ce pas. Nous allons aussi créer ce qu’on appelle un club d’entrepreneurs, c’est lancé. Avant de créer des réseaux professionnels. Par exemple, il y a bien sûr des militaires en retraites intéressés par cette initiative et qui ont déjà commencé à se rapprocher de moi, en attendant d’autres professions : les enseignants, etc. Ce que nous voulons c’est diffuser cette initiative. Donner des arguments intellectuels et des objectifs à toute une quantité de gens. Par exemple, les gens de La Manif Pour Tous ont fait un travail remarquable — franchement, c’est fantastique —, mais ont du mal à transformer l’essai. Ils ont réussi à nous rassembler — encore une fois d’une manière magnifique — contre le Mariage Pour Tous. C’est parfaitement réussi, c’est beau ! Et maintenant, passer au niveau politique parce qu’il faut faire autre chose. Eh bien, là, j’essaie et je pense pouvoir leur donner une perspective politique. Alors, sans objectif personnel. Vous savez, à 65 ans, comme disait Giscard d’Estaing il y a quelques années : « Je commence à penser beaucoup plus aux valeurs d’éternité » qu’au reste.                

    L.D. : On est jeune en politique à 65 ans ! 

    G. D.T. : Oui (sceptique suivi d’un grand rire)… Le problème n’est pas là. Je suis officier. Quand je suis entré à Saint-Cyr en 1971, c’était l’époque de la Guerre Froide ”dur-dur” : vous savez, on ne se posait pas la question d’une carrière. On servait la France au risque de sa peau. Je suis toujours dans la même dynamique.

    L.D. : Alors quels savoir-faire, justement, puisque vous parlez de La Manif Pour Tous, qu’est-ce qui a manqué et qu’est-ce qui pourrait intervenir dans ce mouvement — qui continue finalement à exister parce qu’il a suscité des mobilisations — pour passer à l’étape supérieure ? 

    G. D.T. : J’ai rencontré récemment des gens de La Manif Pour Tous qui ont dit leur étonnement de l’ampleur qu’avaient prises les choses. Plusieurs ont dit : « Mais, on y est pour rien. C’est le Saint Esprit qui a fait. Nous, on a fait des bricoles et c’est Lui qui a fait le reste ». Bon. Je me place un petit peu dans la même perspective parce que je perçois combien je suis faible dans cette affaire-là, face à cette montagne que constituent à la fois les partis, les gens en place, les médias, etc. Avec la centaine de personnes qui maintenant me suivent, qu’est-ce que je suis ? Vraiment, une souri face au mammouth. Je le sais.

    L.D. : Vous êtes David. Face à Goliath.

    G. D.T. : Si je suis David, c’est super, parce que David a vaincu Goliath ! 

    L.D. : Mais vous comptez le faire. 

    G. D.T. : Oui, je compte le faire. J’ai vraiment la foi ancrée. Je ne peux pas dire le contraire. Je suis persuadé que nous réussirons. Quand ? Et qui concrètement, moi ou un autre, peu importe. Mais nous réussirons. Ça marchera. Parce que aujourd’hui nous sommes — je reprends un petit peu ce que je dis au début — nous sommes donc à ce changement radical de période politique. Un cycle de 500 ans qui a commencé à la Renaissance se termine maintenant. Une France nouvelle naît. Il y a un cisaillement. C’est une période très dangereuse, à tous points de vue. Dans 20 ans, la bascule… au plus tard — parce que ça peut être dans trois mois… 

    L.D. : La bascule démographique ?

    G. D.T. : La bascule sera faite. Non, pas la bascule démographique. Mais la bascule culturelle. La bascule politique sera faite. Dans 20 ans ce sera fait.

    L.D. : Vous dites : « disparition de la France par déclin démographique et perte de l’identité… »  

    G. D.T. : Attendez… Ça c’est autre chose. Là, on ne parle pas de la même chose. Ici, chez nous en France, il y a une France qui meurt : celle que nous avons vécu au XXème siècle, etc. elle est en train de disparaître — son cadavre va bouger longtemps encore, certes. Et une France qui naît : dans 20 ans au plus tard la bascule sera faite pour des raisons tout simplement d’âge. Mais en ce moment, c’est très dangereux. 

    L.D. : « Le changement, c’est maintenant. »

    G. D.T. : « Le changement, c’est maintenant ! » (rire). Il va se faire de toute façon. Tout simplement, pour l’instant, beaucoup de gens ne savent pas dans quel sens où aller. Alors moi j’ai souhaité  — avec des camarades qui m’y ont incité, d’ailleurs — formaliser ce qu’il faut faire. Cela a donné ce livre. 

    L.D. : Vous en êtes à l’étape ”constitution d’une réflexion de réseaux”…

    G. D.T. : Ah oui, on commence a constituer les réseaux.

    L.D. : Mais à quel moment est-ce qu’on passe dans le dur de l’action ? 

    G. D.T. : Mais qu’est-ce que c’est que le dur de l’action ? Nous nous sommes placés dans une hypothèse : essayer de faire face au pire. Ce n’est pas pour rien que nous sommes officiers généraux. Parce que nous sommes trois officiers généraux — un quarteron auraient dit certains, n’est-ce pas.

    L.D. : C’est le quart de cent, un quarteron.

    Rwanda Livre Didier Tauzin.jpgG. D.T. : (rire) Voilà… Nous avons connu le Liban. La Somalie. Le Rwanda. La Yougoslavie. Et l’un de nous a connu le Cambodge. On a vu — d’un peu plus loin parce que nous étions hors-circuit à ce moment là — la Côte d’Ivoire, etc. Sur le terrain, moi j’ai connu le Liban, la Somalie, le Rwanda, la Yougoslavie. Et au printemps 2013 certains signes nous laissaient croire que potentiellement notre pays allait dans cette direction. Pour nous, c’est insupportable. Insupportable ! Des voitures piégées avec de la viande humaine sur les murs… Je me souviens, en Somalie, j’étais sous un épineux en train de rédiger mes ordres pour le lendemain : eh bien sur 360°, à perte de vue, une tombe tous les deux mètres. Et entre les tombes, des gosses affamés. Je ne veux pas voir ça chez moi. Donc, notre idée est de préparer un recours — c’est très clair — à une situation dramatique. C’est ça notre point de départ. Cette situation dramatique peut survenir très rapidement. Alors on fera ce qu’on pourra. Mais on ne laissera pas la France tomber.  

    L.D. : C’est une question que l’on va vous poser, général Tauzin : Est-ce que vous avez des appuis, est-ce qu’il y a du monde dans le personnel politique que vous reprendriez ? Est-ce qu’il y a une forme de synergie qui pourrait se faire avec du personnel politique actuel ?

    G. D.T. : Ça vient, ça vient. Mais c’est évident. Attendez : nous ne sommes, très clairement, nous ne sommes en guerre contre aucun français. Qu’il soit musulman, chrétien, athée. Qu’il soit de gauche, de droite, de nulle part.

    L.D. : Enfin, La Manif Pour Tous est quand même plus proche de la droite et du catholicisme que de Charlie Hebdo  

    G. D.T. : La Manif Pour Tous est plus proche de la droite et du catholicisme que de Charlie Hebdo mais nous ne sommes en guerre contre aucun français. Ceux qui veulent nous rejoindre, blancs/blacks/beurs, chrétiens/juifs/musulmans/athées… du moment qu’ils reconnaissent, qu’ils acceptent la réalité de la France qui n’a pas seulement des racines chrétiennes, mais qui est chrétienne. Même si aujourd’hui la foi a tendance à s’étioler, quoiqu’elle redémarre… 

    L.D. : C’est un préalable que vous posez. Aucun parti ne pose ce préalable.        

    G. D.T. : Oui, bien entendu, parce qu’on ne peut pas reconstruire… Aucun parti ne pose ce préalable parce qu’ils ne veulent pas reconnaître la réalité. C’est logique qu’ils ne reconnaissent pas ce préalable. C’est logique, pourquoi ? Parce qu’ils se situent tous dans une culture issue du transfert, qui s’est produit en 1789, du transfert de souveraineté vers le peuple. Or, qu’a-t-on transféré au peuple comme souveraineté ? Non seulement la souveraineté du roi, mais aussi la souveraineté de Dieu. Le peuple est devenu, un petit peu, son Dieu, son propre référent. Cela donne les partis. Aujourd’hui, à 50% des voix plus une, on décide qui a le droit de vie ou qui n’a pas le droit de vie. C’est 100% des pouvoirs. Il est donc normal que ces partis ne reconnaissent pas mêmes les racines chrétiennes de la France. 

    L.D. : Merci général Didier Tauzin. Justement, je vais conclure avec ces « racines chrétiennes de la France » dont vous parlez dans cet ouvrage qui est une forme de profession de foi. Ça s’appelle Rebâtir la France aux éditions Mareuil et vous dites justement : « Tout en elle est marqué de l’empreinte chrétienne : sa civilisation, sa culture, sa conception de l’homme, de la liberté, du mérite, du travail. Ses paysages, ses lois, ses mentalités. Même ses partis politiques », que vous venez de fustiger, justement, « procédaient jusqu’à une époque récente « de vertus chrétiennes devenues folles »[i] ». Je précise que l’association que vous avez fondée s’appelle France, Terre d’Espérance, avec son site internet. C’est un projet que vous avez lancé et vous-même — et c’est à souligner parce que c’est assez rare — vous-même militaire, officier supérieur, général, expérience des opérations spéciales, des prises d’otages, eh bien vous-même vous décidez en quelque sorte de vous lancer en politique. À bientôt général Tauzin, merci. Et le Grand Témoin, bien sûr, chaque matin, à partir de 7h35. À demain.              

    Photographies : Portraits du Général Didier Tauzin & des militaires au pied de la Tour Eiffel par Simon Lambert / Haytham Pictures : http://www.haythampictures.com/



    [i] Gilbert Keith Chesterton, dans Orthodoxie, 1908.

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  • On autoriserait le médecin à donner la mort à son patient, en conscience

    Retrouvez cet article sur la page enrichie De la dignité humaine & de la loi Leonetti.

     

    SDD ouvertureSite.jpg         Nous sommes plus de 500 étudiants en médecine de toute la France, regroupés au sein de l'association Soigner Dans la Dignité pour encourager la réflexion et la formation sur la fin de vie.

             Nous voulons lutter contre les peurs entourant la fin de vie, la défiance entretenue par certains contre le corps médical, et contre un préjugé destructeur : non, on ne meurt pas en France dans d'atroces souffrances, les solutions existent mais manquent de moyens et de visibilité.  

    SDD Logo.jpg         Les lois sur la fin de vie ne sont pas assez connues et appliquées. Ce constat unanime motive certains pour demander un nouveau texte. Nous refusons cette démarche. Le cadre actuel de 2005, reconnu et estimé à l'étranger, ouvre une troisième voie raisonnable entre acharnement thérapeutique et euthanasie. La priorité est de faire connaitre cette loi, et non d'en écrire une nouvelle.  

             Alors que le rapport que vont rendre prochainement Jean Leonetti et Alain Claeys à l'Assemblée Nationale devrait proposer des changements importants dans ce domaine, il nous semble important de revenir sur le cas de la sédation en phase terminale d'une maladie.

    SDDOuvertureSite2.jpg         Ce procédé consiste à faire baisser la vigilance du malade de manière réversible dans les situations extrêmes de souffrances liées à une angoisse forte, de détresse respiratoire ou de très rares douleurs réfractaires au traitement antalgique. Ce protocole n'intervient qu'en dernier recours, il concerne une très faible proportion des personnes accompagnées en soins palliatifs. En effet, les médicaments utilisés sont néfastes pour l'organisme, et peuvent abréger la vie du patient par ailleurs. 

    SDD Logo.jpg

             La loi encadre l'utilisation de tels produits. S'applique alors le principe du double effet : un tel acte médical n'est possible que si l'intention et la volonté du médecin sont d'apaiser les souffrances de la personne, et non d'abréger sa vie. L'intention du médecin introduit ici ne se réduit pas à un concept moral, au contraire. L'intention qui préside à la mise en place d'un traitement régi par le double effet est visible dans les doses mises en place. Les médecins recherchent en effet la plus faible dose efficace, pour minimiser les effets secondaires du produit.  

             Nous sommes alertés par certains propos concernant la sédation. On nous parle notamment d'un « droit à la sédation profonde et terminale », évacuant le principe du double effet. On autoriserait alors très clairement le médecin à donner la mort à son patient, en conscience. Il pourrait ainsi utiliser un sédatif à forte dose, sans que la loi ne prenne en compte son intention. Nous refusons le raccourci mensonger et malheureux d'une euthanasie par sédation profonde, hypocritement déguisée sous ce nom de sédation terminale.

    SDD OuvertureSite 3.jpg         Cette mesure n'est pas un ajustement. Elle franchit une limite dangereuse : nous entrons dans la logique euthanasique. 

             Nous payons aujourd'hui le lourd tribu du manque critique de praticiens formés et disposant des moyens nécessaires à accompagner le mourant dans le respect de sa dignité d'homme. 

     

             Nous, soignants de la France de demain, voulons être une force de proposition au service d'une médecine à visage humain.  

    SDD Logo.jpg

             Nous constatons l'urgence d'informer nos concitoyens sur la loi. Nous désirons être formés à l'accompagnement et refusons toute mesure qui donne au médecin le pouvoir de mettre fin à la vie de son patient. Notre vocation de médecins reçue d'Hippocrate est de « guérir parfois, soulager souvent, réconforter toujours ». Nous sommes au service de nos patients, nous ne voulons pas d'une médecine qui distille la vie ou la mort à volonté.

    Jean Fontant SDD.jpgJean Fontant
    Interne en soins palliatifs, Président de Soigner Dans la Dignité
    Article repris du Figaro Vox

     

     

     

    Alix, étudiante en médecine et porte-parole de Soulager mais pas tuer

     

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  • Nous ne sommes pas là pour conserver mais pour libérer ! #5 oct 2014 Les Veilleurs

    La Vaillante est heureuse d'accueillir une nouvelle fois la parole du représentant des Veilleurs.

    Capture d’écran 2014-12-16 à 15.26.53.pngChers amis, 

             Il y a seulement quelques mois, nous n’imaginions pas que le bien commun de la Cité et la valeur inaliénable de la personne puissent être ainsi sacrifiés. Et pourtant voici venue, avec la PMA et la GPA, l’ultime transgression vers la marchandisation de tout ! Mais nous n’imaginions pas non plus, il y a seulement quelques mois, que notre génération de veilleurs se lèverait ainsi, refusant de vivre dans une société soumise à tous les narcissismes sans avoir rien dit. Sans avoir rien proposé d'alternative aux valeurs avariées d’une culture du mensonge et de la consommation. Dans une société où la pulsion prime sur la réflexion, et les plaisirs rapides sur les joies profondes, les Veilleurs sont un signe de contradiction radicale, ou plus simplement humaine. Camus disait que la seule façon de faire face à un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même devient un acte de rébellion. Dans un monde en perpétuelle quête de sens, la dialectique du progrès et ses promesses frelatées ont montré leur incapacité à préserver les équilibres naturels et culturels, et à assurer une cohésion sociale fondée sur la justice. Leur échec est là et nous en sommes les témoins. Mais l’espoir est là, aussi, et nous en sommes le signe.

    Capture d’écran 2014-12-16 à 15.24.40.png         Le signe de l’éveil des consciences, c’est que beaucoup d’entre nous s’engagent dans la vie associative, politique et spirituelle, souvent après des années de laisser-aller. Aujourd’hui, nous ne sommes pas seulement réunis dans l’espoir d’une victoire de parlement. Ne serait-ce pas dérisoire dans un pays traversé par une triple crise, économique, morale et politique ? Nous sommes avant tout réunis dans l’espoir d’une véritable metanoïa personnelle et collective, c’est-à-dire un renversement de la pensée dialectique dans notre pays. Ce renversement commence par la conquête de soi, puisque dans la guerre culturelle qui s’est ouverte, c’est bien la conscience qui est visée, la saine conscience de la personne, le bon sens du peuple profond. Les Veilleurs mènent la bataille décisive : par une expérience à la fois intellectuelle et esthétique, ils font le choix de la culture, qui est une option anthropologique. En réconciliant les approches culturelles et politiques, écologiques et anthropologiques, ils leur rendent leur unité perdue. Les Veilleurs agissent à l’ombre des antennes médiatiques et politiques car la vertu naît dans l’ombre. Ils font la lumière sur les affres du temps, puisque le vice meurt à la lumière. Mais ils font surtout le choix de la rencontre plutôt que celui de la division. Car c’est dans la relation que l’homme se reconnaît. C’est à cette insoumission que nous vous appelons ! Veut-on laisser l’homme, et la France in fine, se fracturer de toutes parts ? Levons-nous ! avant que le peuple ne se soulève ! Rejoignons-le, faisons corps avec ses aspirations légitimes. Ne nous préoccupons plus de questions de patrimoine et de comptes en banque : cela passera ! Soucions-nous de ce qui demeure ! Nous ne sommes pas là pour conserver mais pour libérer ! Mettons-y notre cœur, notre courage, reconstruisons la France libre que nous aimons ! C’est une tâche exaltante, une responsabilité, un devoir. C’est un élan d’amour !


    Capture d’écran 2014-12-16 à 15.26.54.pngAxel Nørgaard Rokvam
    réécrit dans la nuit du 4 au 5 octobre 2014

     

     

     

     

     

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  • Un serviteur de la lumière s'adresse au monde musulman

    Abdennour Bidar.jpg         Cher monde musulman, je suis un de tes fils éloignés qui te regarde du dehors et de loin – de ce pays de France où tant de tes enfants vivent aujourd’hui. Je te regarde avec mes yeux sévères de philosophe nourri depuis son enfance par le taçawwuf (soufisme) et par la pensée occidentale. Je te regarde donc à partir de ma position de barzakh, d’isthme entre les deux mers de l’Orient et de l’Occident !


             Et qu’est-ce que je vois ? Qu’est-ce que je vois mieux que d’autres sans doute parce que justement je te regarde de loin, avec le recul de la distance ? Je te vois toi, dans un état de misère et de souffrance qui me rend infiniment triste, mais qui rend encore plus sévère mon jugement de philosophe ! Car je te vois en train d’enfanter un monstre qui prétend se nommer Etat islamique et auquel certains préfèrent donner un nom de démon : DAESH. Mais le pire est que je te vois te perdre – perdre ton temps et ton honneur – dans le refus de reconnaître que ce monstre est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton écartèlement entre passé et présent, de ton incapacité trop durable à trouver ta place dans la civilisation humaine.


             Que dis-tu en effet face à ce monstre ? Tu cries « Ce n’est pas moi ! », « Ce n’est pas l’islam ! ». Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom (hashtag #NotInMyName). Tu t’insurges que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as raison de le faire. Il est indispensable qu’à la face du monde tu proclames ainsi, haut et fort, que l’islam dénonce la barbarie. Mais c’est tout à fait insuffisant ! Car tu te réfugies dans le réflexe de l’autodéfense sans assumer aussi et surtout la responsabilité de l’autocritique. Tu te contentes de t’indigner alors que ce moment aurait été une occasion historique de te remettre en question ! Et tu accuses au lieu de prendre ta propre responsabilité : « Arrêtez, vous les occidentaux, et vous tous les ennemis de l’islam de nous associer à ce monstre ! Le terrorisme ce n’est pas l’islam, le vrai islam, le bon islam qui ne veut pas dire la guerre mais la paix ! »


             J’entends ce cri de révolte qui monte en toi, ô mon cher monde musulman, et je le comprends. Oui tu as raison, comme chacune des autres grandes inspirations sacrées du monde l’islam a créé tout au long de son histoire de la Beauté, de la Justice, du Sens, du Bien, et il a puissamment éclairé l’être humain sur le chemin du mystère de l’existence… Je me bats ici en Occident, dans chacun de mes livres, pour que cette sagesse de l’islam et de toutes les religions ne soit pas oubliée ni méprisée ! Mais de ma position lointaine je vois aussi autre chose que tu ne sais pas voir… Et cela m’inspire une question – LA grande question : pourquoi ce monstre t’a-t-il volé ton visage ? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre ? C’est qu’en réalité derrière ce monstre se cache un immense problème, que tu ne sembles pas prêt à regarder en face. Il faudra bien pourtant que tu finisses par en avoir le courage.

             Ce problème est celui des racines du mal. D’où viennent les crimes de ce soi-disant « Etat islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c’est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre – et il en surgira autant d’autres monstres pires encore que celui-ci tant que tu tarderas à admettre ta maladie, pour attaquer enfin cette racine du mal !


             Même les intellectuels occidentaux ont de la difficulté à le voir : pour la plupart ils ont tellement oublié ce qu’est la puissance de la religion – en bien et en mal, sur la vie et sur la mort – qu’ils me disent « Non le problème du monde musulman n’est pas l’islam, pas la religion, mais la politique, l’histoire, l’économie, etc. ». Ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur de réacteur d’une civilisation humaine ! Et que l’avenir de l’humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité tout entière ! Saurons-nous tous nous rassembler, à l’échelle de la planète, pour affronter ce défi fondamental ? La nature spirituelle de l’homme a horreur du vide, et si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir elle le fera demain avec des religions toujours plus inadaptées au présent – et qui comme l’islam actuellement se mettront alors à produire des monstres.


             Je vois en toi, ô monde musulman, des forces immenses prêtes à se lever pour contribuer à cet effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIème siècle ! Malgré la gravité de ta maladie, il y a en toi une multitude extraordinaire de femmes et d’hommes qui sont prêts à réformer l’islam, à réinventer son génie au-delà de ses formes historiques et à participer ainsi au renouvellement complet du rapport que l’humanité entretenait jusque là avec ses dieux ! C’est à tous ceux-là, musulmans et non musulmans qui rêvent ensemble de révolution spirituelle, que je me suis adressé dans mes ouvrages ! Pour leur donner, avec mes mots de philosophe, confiance en ce qu’entrevoit leur espérance !


             Mais ces musulmanes et ces musulmans qui regardent vers l’avenir ne sont pas encore assez nombreux ni leur parole assez puissante. Tous ceux là, dont je salue la lucidité et le courage, ont parfaitement vu que c’est l’état général de maladie profonde du monde musulman qui explique la naissance des monstres terroristes aux noms de Al Qaida, Al Nostra, AQMI ou « État Islamique ». Ils ont bien compris que ce ne sont là que les symptômes les plus visibles sur un immense corps malade, dont les maladies chroniques sont les suivantes : impuissance à instituer des démocraties durables dans lesquelles est reconnue comme droit moral et politique la liberté de conscience vis-à-vis des dogmes de la religion; difficultés chroniques à améliorer la condition des femmes dans le sens de l’égalité, de la responsabilité et de la liberté; impuissance à séparer suffisamment le pouvoir politique de son contrôle par l’autorité de la religion; incapacité à instituer un respect, une tolérance et une véritable reconnaissance du pluralisme religieux et des minorités religieuses.


             Tout cela serait-il donc la faute de l’Occident ? Combien de temps précieux vas-tu perdre encore, ô cher monde musulman, avec cette accusation stupide à laquelle toi-même tu ne crois plus, et derrière laquelle tu te caches pour continuer à te mentir à toi-même ?


             Depuis le XVIIIème siècle en particulier, il est temps de te l’avouer, tu as été incapable de répondre au défi de l’Occident. Soit tu t’es réfugié de façon infantile et mortifère dans le passé, avec la régression obscurantiste du wahhabisme qui continue de faire des ravages presque partout à l’intérieur de tes frontières – un wahhabisme que tu répands à partir de tes lieux saints de l’Arabie Saoudite comme un cancer qui partirait de ton cœur lui-même ! Soit tu as suivi le pire de cet Occident, en produisant comme lui des nationalismes et un modernisme qui est une caricature de modernité – je veux parler notamment de ce développement technologique sans cohérence avec leur archaïsme religieux qui fait de tes « élites » richissimes du Golfe seulement des victimes consentantes de la maladie mondiale qu’est le culte du dieu argent.


             Qu’as-tu d’admirable aujourd’hui, mon ami ? Qu’est-ce qui en toi reste digne de susciter le respect des autres peuples et civilisations de la Terre ? Où sont tes sages, et as-tu encore une sagesse à proposer au monde ? Où sont tes grands hommes ? Qui sont tes Mandela, qui sont tes Gandhi, qui sont tes Aung San Suu Kyi ? Où sont tes grands penseurs dont les livres devraient être lus dans le monde entier comme au temps où les mathématiciens et les philosophes arabes ou persans faisaient référence de l’Inde à l’Espagne ? En réalité tu es devenu si faible derrière la certitude que tu affiches toujours au sujet de toi-même… Tu ne sais plus du tout qui tu es ni où tu veux aller, et cela te rend aussi malheureux qu’agressif… Tu t’obstines à ne pas écouter ceux qui t’appellent à changer en te libérant enfin de la domination que tu as offerte à la religion sur la vie toute entière.


             Tu as choisi de considérer que Mohammed était prophète et roi. Tu as choisi de définir l’islam comme religion politique, sociale, morale, devant régner comme un tyran aussi bien sur l’Etat que sur la vie civile, aussi bien dans la rue et dans la maison qu’à l’intérieur même de chaque conscience. Tu as choisi de croire et d’imposer que l’islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu’« Il n’y a pas de contrainte en religion » (La ikraha fi Dîn). Tu as fait de son Appel à la liberté l’empire de la contrainte ! Comment une civilisation peut-elle trahir à ce point son propre texte sacré ?


             De nombreuses voix que tu ne veux pas entendre s’élèvent aujourd’hui dans la Oumma pour dénoncer ce tabou d’une religion autoritaire et indiscutable… Au point que trop de croyants ont tellement intériorisé une culture de la soumission à la tradition et aux « maîtres de religion » (imams, muftis, shouyoukhs, etc.) qu’ils ne comprennent même pas qu’on leur parle de liberté spirituelle, ni qu’on leur parle de choix personnel vis-à-vis des « piliers » de l’islam. Tout cela constitue pour eux une « ligne rouge » si sacrée qu’ils n’osent pas donner à leur propre conscience le droit de le remette en question ! Et il y a tant de familles où cette confusion entre spiritualité et servitude est incrustée dans les esprits dès le plus jeune âge, et où l’éducation spirituelle est d’une telle pauvreté que tout ce qui concerne la religion reste quelque chose qui ne se discute pas !


             Or cela de toute évidence n’est pas imposé par le terrorisme de quelques troupes de fous fanatiques embarqués par l’Etat islamique. Non ce problème là est infiniment plus profond ! Mais qui veut l’entendre ? Silence là-dessus dans le monde musulman, et dans les médias occidentaux on n’entend plus que tous ces spécialistes du terrorisme qui aggravent jour après jour la myopie générale ! Il ne faut donc pas que tu t’illusionnes, ô mon ami, en faisant croire que quand on en aura fini avec le terrorisme islamiste l’islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que je viens d’évoquer – une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent l’islam ordinaire, l’islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l’islam du passé dépassé, l’islam déformé par tous ceux qui l’instrumentalisent politiquement, l’islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin cette révolution qui dans les sociétés et les consciences fera rimer définitivement spiritualité et liberté ?


             Bien sûr dans ton immense territoire il y a des îlots de liberté spirituelle : des familles qui transmettent un islam de tolérance, de choix personnel, d’approfondissement spirituel ; des lieux où l’islam donne encore le meilleur de lui-même, une culture du partage, de l’honneur, de la recherche du savoir, et une spiritualité en quête de ce lieu sacré où l’être humain et la réalité ultime qu’on appelle Allâh se rencontrent. Il y a en Terre d’islam, et partout dans les communautés musulmanes du monde, des consciences fortes et libres. Mais elles restent condamnées à vivre leur liberté sans reconnaissance d’un véritable droit, à leurs risques et périls face au contrôle communautaire ou même parfois face à la police religieuse. Jamais pour l’instant le droit de dire « Je choisis mon islam », « J’ai mon propre rapport à l’islam » n’a été reconnu par « l’islam officiel » des dignitaires. Ceux-là au contraire s’acharnent à imposer que « La doctrine de l’islam est unique » et que « L’obéissance aux piliers de l’islam est la seule voie droite » (sirâtou-l-moustaqîm).


             Ce refus du droit à la liberté vis-à-vis de la religion est l’une de ces racines du mal dont tu souffres, ô mon cher monde musulman, l’un de ces ventres obscurs où grandissent les monstres que tu fais bondir depuis quelques années au visage effrayé du monde entier. Car cette religion de fer impose à tes sociétés tout entières une violence insoutenable. Elle enferme toujours trop de tes filles et tous tes fils dans la cage d’un Bien et d’un Mal, d’un licite (halâl) et d’un illicite (harâm) que personne ne choisit mais que tout le monde subit. Elle emprisonne les volontés, elle conditionne les esprits, elle empêche ou entrave tout choix de vie personnel. Dans trop de tes contrées tu associes encore la religion et la violence – contre les femmes, les « mauvais croyants », les minorités chrétiennes ou autres, les penseurs et les esprits libres, les rebelles – de sorte que cette religion et cette violence finissent par se confondre, chez les plus déséquilibrés et les plus fragiles de tes fils, dans la monstruosité du jihad !


             Alors ne fais plus semblant de t’étonner, je t’en prie, que des démons tels que le soi-disant Etat islamique t’aient pris ton visage ! Les monstres et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop de grimaces ! Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C’est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l’éducation que tu donnes à tes enfants, dans chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n’es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout cela ! C’est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres, et si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de destruction.


             Cher monde musulman… Je ne suis qu’un philosophe, et comme d’habitude certains diront que le philosophe est un hérétique. Je ne cherche pourtant qu’à faire resplendir à nouveau la lumière – c’est le nom que tu m’as donné qui me le commande, Abdennour, « Serviteur de la Lumière ». Je n’aurais pas été si sévère dans cette lettre si je ne croyais pas en toi. Comme on dit en français, « Qui aime bien châtie bien ». Et au contraire tous ceux qui aujourd’hui ne sont pas assez sévères avec toi – qui veulent faire de toi une victime – tous ceux-là en réalité ne te rendent pas service !


             Je crois en toi, je crois en ta contribution à faire demain de notre planète un univers à la fois plus humain et plus spirituel ! Salâm, que la paix soit sur toi.

     

     

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    Abdennour Bidar

    est normalien, philosophe et musulman français
    paru le 3 octobre 2014 sur Lab'Oratoire

     

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  • La LGBT en réclamant des droits que les homosexuels ne réclament pas nous enferment dans une catégorie de personnes particulières, au sein même de l’humanité ; ce qui crée une inégalité de fait

    Cher(es) ami(es),

    JPDelaume-Myard #5oct2014.jpgRégulièrement, des journalistes et le lobby gay attachent à mon nom le qualificatif de « caution homosexuelle ».

    Ils démontrent, ainsi, en creux ce que je n'ai de cesse de dénoncer : 
    la pensée unique voir la pensée inique.

    En me classant comme « caution homosexuelle », ils font preuve d'homophobie à mon égard et à l’égard de tous les homosexuels qui nous ont rejoints (et ils sont nombreux) depuis ces derniers mois.

    Un homosexuel, s'il n’est pas d’avis avec le lobby gay, est forcément manipulé, encadré.

    Et bien non, un homosexuel peut penser avec autre chose que son sexe !

    Certains disent que La Manif Pour Tous a contribué à une montée de l’homophobie, est-ce une blague ou quoi ?

    Qui créé une image malsaine de l’homosexualité, si ce n’est le lobby gay lui-même au moment, notamment, des gay prides où des individus se dandinent à moitié à poil sur des chars. Croyez-vous que cela donne une image positive de l’homosexualité ?

    Le lobby gay exerce une dictature insupportable.

    Il ne représente en rien les homosexuels.

    Le gouvernement, à force de vouloir faire des lois et des concessions pour ce lobby, fait de l’apartheid, et je dis bien de l’apartheid, non seulement vis-à-vis des autres citoyens, mais plus encore vis-à-vis des homosexuels eux-mêmes, c’est-à-dire une politique ultra-minoritaire et communautariste à l’encontre d’une majorité de citoyens, en l’occurrence VOUS ET MOI.

    En réclamant à cors et à cris, la GPA et la PMA, le lobby Gay souhaite par des lois scélérates enlever sciemment le droit des enfants à avoir un père et une mère, confondant, par là même, le droit à l’enfant et le droit des enfants et en exploitant les femmes les plus défavorisées, en les réduisant à de simples poules pondeuses, confondant, par là même, le droit des Femmes et le droit à la femme.

    En outre, la cour de cassation en validant le fait que deux lesbiennes puissent avoir un enfant par le biais de la Procréation Médicalement Assistée, et j’insiste sur le mot « Médicalement » considère qu’être lesbienne est une maladie, quelle avancée sociale !

    Depuis le début, NOUS, tous ensemble, homos ou hétéros, nous n’avons rien lâché et nous ne lâcherons rien.

    Il est temps de mettre un terme à tous ces projets LGBT et anti-famille.

    Certes, nous homosexuels, nous souhaitons les mêmes droits que tout un chacun, mais des droits sociaux et uniquement cela. Nous n’avons pas besoin pour se faire de revêtir une robe de marié.

    Nul besoin d’une manipulation législative diligentée par un groupuscule communautariste.

    La LGBT résume les homosexuels par rapport à une identité sexuelle, ce qui est blessant et insultant.

    La LGBT en réclamant des droits que les homosexuels ne réclament pas nous enferment dans une catégorie de personnes particulières, au sein même de l’humanité ; ce qui crée une inégalité de fait.

    Enfin, pour conclure, certains hommes politiques - et pas des moindres -, se refusent de dire si oui ou non ils reviendront sur la loi Taubira, certains hommes politiques - et pas des moindres -, disent clairement que s’ils reviennent au pouvoir, ils seront contre l’abrogation du mariage pour tous.

    Nous sommes, aujourd’hui, en France, des milliers, des millions dans la rue… nous avons le pouvoir de leur dire que de leur réponse il en va de l’avenir de nos enfants, nous avons le pouvoir de leur dire que de leur réponse ils peuvent éviter de faire légalement des orphelins, nous avons le pouvoir de leur dire que de leur réponse il en va du respect de la Femme.

    Messieurs les politiques osez dire non à cette loi ! Osez dire non à un lobby qui vous manipule, n’en soyez pas les marionnettes. Prenez garde aux aveugles, ils jalousent la lumière !

    Nous homosexuels, nous vous disons que nous refusons que notre choix sexuel devienne l’expression d’une loi imposée à tous.

    Nous refusons d’être caution d’une loi qui tôt au tard va tuer purement et simplement la Famille.

    PMA, GPA, Adoption

    PasEnMonNom

     

    Jean-Pier Delaume-Myard
    Porte-parole de La Manif Pour Tous
    Le 5 octobre 2014

    Photo : La Manif Pour Tous

     

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  • Les professionnels de l'enfance veillent…

    Portrait Enfant Jérôme Brunet.jpg

    Jérôme Brunet veille…

    J’ai travaillé, comme animateur, dans les quartiers dits « sensibles » à Dreux dans les années 80. J’y ai vu combien le manque de repères, l’absence des parents plongeaient les enfants et les jeunes adolescents dans des comportements marqués par la violence, la peur, les phénomènes de bandes… j’ai vu comment, pour se protéger des autres, ils devaient s’endurcir, se montrer agressif, faire peur à l’autre. J’ai vu cette violence qui naît de l’absence de sécurité psychique.

    Malik, je pense à toi qui as pu montrer, parce que nous avions pu construire la confiance, que derrière l’épaisse carapace de piquants, il y avait un cœur merveilleux, simple. Un cœur d’enfant.

    En formation, à l’école normale des instituteurs, j’ai entendu ces idéologues niant la place de l’inné dans la personne, nous dire que les enfants étaient tous égaux en capacité, dès la naissance. Que tout était une question de pédagogie, de façon de s’y prendre.

    Ceux-là même qui vantaient la méthode globale, méprisaient l’apprentissage par cœur des tables de multiplication, promouvaient la grammaire structuraliste (à laquelle nombre d’enseignants ne comprenaient pas grand-chose…).

    J’ai vu les regards perdus de l’enfant qui n’apprend pas, qui ne comprend pas, parce qu’on ne prend pas en compte sa capacité, sa forme d’intelligence…

    Christophe, Anthony et vous, les jumeaux, je pense à vous. A cette souffrance qu’a été la classe pour vous.

    Instituteur, j’ai découvert la dépression de l’enfant dont les parents se séparent, ou se disputent et à qui on demandait de continuer à être performant à l’école. J’ai frappé au mur de l’indifférence des adultes qui niaient le problème : il ne fallait pas dire que les enfants souffraient du divorce de leurs parents, car cela pouvait être interprété comme un jugement négatif. A l’époque, beaucoup de psychologues n’osaient pas s’exprimer sur cette question ou niaient le problème.

    Je pense à toi, Ariane, qui était pleine de vie et pétillante dans cette classe de grande section. Et qui du jour au lendemain est devenue éteinte… pleurait et me confiait que tes parents se séparaient. Je revois ta maman qui me disait qu’elle t’avait tout expliqué, et que tu allais bien.

    Directeur d’école, j’ai accompagné ces enfants qui perturbaient la classe. J’ai vu leur immense angoisse, leur détresse de ne pas comprendre les repères de la vie avec les autres, parce qu’on ne les leur avait pas appris.

    J’ai vu ces enfants rois, qui devenaient tyrans… ceux que l’on appelle maintenant les pervers narcissiques…

    J’ai accompagné cette angoisse – qu’un adulte ne supporterait pas – qui naît de l’absence des repères structurants, qui posent les limites de la liberté pour la faire naître et qui sécurisent dans un monde de relations si complexes.

    J’ai vu le fruit blette, empoisonné, mortel d’ « il est interdit d’interdire ».

    J’ai entendu ce psychologue qui me confiait son désarroi parce qu’il devait poser des diagnostics de psychopathe pour des enfants de 12 ans.

    Je pense à toi Thomas, qui a réussi à te construire parce que nous avons su baliser un chemin pour t’accompagner. Je pense à toi, Olivier que nous n’avons pu sortir de ta souffrance.

    J’ai vu la détresse de ces parents qui avaient peur de leurs enfants et n’osaient pas dire non et tenir bon face à la contradiction par peur de leur faire du mal.

    J’ai vu aussi des couples exploser à cause de la confusion des rôles.

    Et j’ai vu que le suicide des jeunes devenait une préoccupation de plus en plus grave. Que la violence gratuite entre jeunes apparaissait et se développait. Que la drogue, l’alcool deviennent des fléaux. Que la pornographie circule dans les cours d’école et de collège.

    J’ai vu que la plupart du temps, l’enfant souffre en silence.

    Et j’ai entendu tous ceux-là qui disent que les enfants s’adaptent aux nouvelles situations familiales, que la famille recomposée, c’est formidable, qu’il n’y a aucun problème à avoir deux papas ou deux mamans, à naître par GPA, ou PMA avec donneur anonyme, à être privé d’une partie de sa filiation biologique, puisqu’il « suffit d’expliquer aux enfants pour qu’ils comprennent ».

    Depuis plusieurs années, avec d’autres, j’ai décidé de ne plus me taire et de redire qu’un enfant a droit à une éducation qui le prépare à la vie d’adulte, qui n’est pas un long fleuve tranquille.

    Qu’il a droit à la sécurité physique et psychologique, aux soins, à l’amour de ses parents, à la construction de sa personnalité dans toutes les dimensions de la personne : physique, intellectuelle, psychique.

    Bien sûr, la vie, avec ses accidents ne s’écrit jamais avec des lignes droites, les règles ont toujours des exceptions. C’est la vie.

    Mais l’exception ne doit pas devenir la règle.
    Je suis devenu un veilleur.
    Alors, je veille.

     

    JÉRÔME BRUNET
    Président de l’Appel des Professionnels de l’Enfance
    Porte-parole de la Manif pour tous

    Article initialement publié sur
    APPEL DES PROFESSIONNELS DE L’ENFANCE

     

     

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  • Le produit de la trahison d’une classe intellectuelle qui refuse de transmettre l’héritage intellectuel, moral et spirituel à une jeunesse abandonnée aux pulsions de la sauvagerie

    FX Bellamy LES DÉSHÉRITÉS.jpg                  François-Xavier Bellamy dans son livre « Les déshérités » dénonce les théories de Jean-Jacques Rousseau et de Karl Marx préconisées aujourd’hui par nos ministres. Celles-ci, en effet, mettent comme préalable à toute révolution réussie la fabrique de bons sauvages par la mise en place d’une amnésie collective. Enfants du Mékong en connaît le prix. Pour le seul Cambodge, 2 millions de génocidés avec une sauvagerie inouïe. Les fomentateurs ont tous été formés dans les universités françaises aux lettres de notre encyclopédiste bien connu et de Karl Marx. Le Cambodge était pourtant un peuple d’une culture multiséculaire qui avait ses propres médecins, ses professeurs d’université, ses avocats. Quel est le mécanisme qui engendre une telle barbarie ? François-Xavier Bellamy dénonce la théorie du bon sauvage qui interdit au maître de transmettre ce qu’il sait et impose à son disciple à apprendre à ignorer, plutôt qu’à savoir. Notre normalien démontre que la génération qui a béni les massacres d’hier au nom de la régénération des peuples, corrompus, perdure dans nos écoles. Et de citer des inspecteurs généraux de l’éducation intimant aux brillants élèves de la rue d’Ulm : « Vous n’avez rien à transmettre ». Et un ministre, même de droite, en 2009, de dire que « la culture générale est discriminatoire ». À la fois homme politique et professeur de philosophie, il dénonce la trahison d’une génération qui a bénéficié amplement de la culture transmise. Pourtant, pour incuber du ”bon sauvage”, par perversité idéologique, elle la refuse à la génération suivante. On sait que la barbarie s’est installée chez les jeunes à qui on a refusé toutes références morales et culturelles  : « l’homme réduit à l’utilisation des choses et interdit de rapports moraux d’homme à homme », dénonce-t-il. C’était effectivement le programme de Pol Pot. Ce n’est peut-être pas un hasard si les épurateurs d’hier ont été tellement soutenus par nos universités françaises. Ce sont les mêmes qui, malgré les millions de morts conséquents aux théories qu’ils ont encouragées, continuent à les développer. Le ”bon sauvage” est en réalité un barbare. Le toulousain Merah, ou ce furieux à l’accent de Liverpool qui coupe les têtes pour les brandir comme les révolutionnaires de 93, est en fait un sauvage. « Qu’il soit islamiste ou marxiste il est le produit de la trahison, insiste notre auteur, d’une classe intellectuelle qui refuse de transmettre l’héritage intellectuel, moral et spirituel à une jeunesse abandonnée aux pulsions de la sauvagerie. »   

     

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    Yves Meaudre
    Directeur général
    d’Enfants du Mékong

     

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  • L'égalité entre homme et femme selon F-X. Bellamy

    FX Bellamy LES DÉSHÉRITÉS.jpg

    François-Xavier Bellamy, auteur de « Les déshérités - ou l’urgence de transmettre » répond à Sylvie Braibant et à Mohamed Kaci (Émission « 64’ Le monde en français », rubrique « Grand angle », TV5Monde, du 2 septembre 2014).

     

     

     

                          S.B. : C’est une question un peu sous forme d’interpellation, puisque, François-Xavier Bellamy, vous vous présentez comme un défenseur irréductible entre les sexes et vous soutenez que, pour parvenir à cette égalité, c’est la transmission du savoir qu’il faut faire.

             Je voudrais vous soumettre des chiffres. En France, 71% des filles réussissent au baccalauréat. 61% seulement pour les garçons. Et malgré cette supériorité, les filles se dirigent majoritairement vers les filières littéraires ou médico-sociales, tandis que les garçons se précipitent, eux, dans les secteurs d’excellence tels les sciences dures et les hautes technologies. Cette orientation naturelle ne date pas d’hier, comme le montre cette « Fabrique des filles » qui retrace la pédagogie mise en place depuis Jules Ferry pour inciter les élèves elles-mêmes à se diriger vers des filières où elles pourraient appliquer leurs qualités ”féminines”. Et c’est un travers, d’ailleurs, qui n’existe pas seulement en France, mais dans toute l’Europe, sauf en Suède. Peut-être parce que dans ce pays on a mis en place depuis des décennies ces « ABCD de l’égalité » que vous aimez tant détester.

             Alors, je vous repose la question : Croyez-vous donc toujours que c’est seulement par la transmission du savoir que l’on parviendra à surmonter l’inégalité entre les ”genres” ?

     

    FX Bellamy Photo.jpg         F-X.B. : Merci beaucoup pour votre question et merci pour la formulation de votre question. Vous avez dit quelque chose qui me paraît très symptomatique. Vous avez dit que « les filles ne se dirigeaient pas vers les filières d’excellence mais qu’elles se dirigeaient vers les filières plutôt littéraires. » Moi qui ai fait une filière littéraire et qui suis un professeur, un métier extraordinairement féminisé, je suis absolument en désaccord avec vous sur la formulation même de votre question. Je crois que les filières littéraires sont des filières d’excellence et je ne suis absolument pas jaloux de mes camarades qui ont fait des carrières d’ingénieurs ou de financiers. Je crois que l’enseignement de la philosophie…

     

              M.K. : … Les débouchés ne sont pas les mêmes, quand même…

     

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             F-X.B. : À quelle aune les évalue-t-on ? Si on les évalue en terme strictement financiers oui, c’est vrai que je gagne peut-être moins qu’un ou une de mes ami(e)s qui serait entré(e) dans la banque ou dans la finance. Mais je ne suis pas moins heureux pour autant et même je peux vous garantir le contraire. C’est un métier dans lequel on peut trouver un épanouissement extraordinaire.

             Je crois qu’il faut éviter de plaquer des modèles de réussite exclusifs. Vous voyez, c’est très paradoxal : les métiers vers lesquels les hommes se dirigent majoritairement vous les décrivez comme des métiers d’excellence. En réalité, n’est-ce pas là précisément faire peser une forme d’aliénation sur les femmes qui, parce qu’elles sont attirées par d’autres métiers, se voient déniée la possibilité d’incarner une forme d’excellence dans ces métiers-là ? Moi qui suis enseignant, je crois que c’est un métier qui suppose des compétences extrêmement complexes, variées et dans lesquelles on peut exprimer une excellence particulière. Je ne vois pas pourquoi on serait plus excellent parce qu’on a choisi d’aller compiler des tableaux Excel dans une tour de La Défense.

     

            M.K. : Alors, comment remettre la transmission au cœur du système éducatif français ? Quelles sont les pistes que vous proposez et que vous évoquez dans ce livre ?

     

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             F-X.B. : Pour assurer l’égalité à tous les élèves, l’égalité entre les sexes mais aussi l’égalité entre les origines, les milieux sociaux… je crois précisément qu’il faut que l’école redevienne une école de la transmission qui offre à tous la possibilité d’accéder aux mêmes savoirs. C’est-à-dire au meilleur de ce que notre culture a à transmettre parce que – et c’est l’idée que j’essaie de défendre au cœur de ce livre – au fond, le propre de notre expérience humaine est que nous ne sommes pas nous-mêmes par nature, nous avons besoin de la rencontre avec l’autre, avec ce patrimoine qui nous est transmis pour devenir nous-mêmes et conquérir notre propre personnalité. Garçons comme filles, issus de milieux sociaux divers, nous avons besoin de cette culture que nous recevons. Je crois que la meilleure chose que nous puissions faire est, au lieu de se focaliser sur la volonté de produire des uniformités qui ne répondent à rien, d’obliger les filles à s’intéresser à des métiers d’ingénieur parce que nous avons l’impression que c’est cela l’excellence… Donnons à chacun la même possibilité d’accès au savoir. Les filles qui voudront être ingénieurs seront ingénieurs, les filles qui voudront enseigner la philosophie enseigneront la philosophie. Et de la même façon pour les garçons. C’est la meilleure façon par laquelle nous pourrons servir une égalité réelle et aussi - et c’est très important - une liberté réelle de chacun, l’accès de chacun à sa propre singularité que de transmettre vraiment le meilleur de notre culture, de notre langue, de notre capacité d’écriture et de parole à chacun des enfants de France.  

     

     

    Retrouvez François-Xavier Bellamy avec « La critique du nihilisme contemporain serait très maladroite si elle s’appuyait sur le lexique des valeurs »

     

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  • Français, musulman et patriote ? Camel Bechikh à Lyon

    La Vaillante  a adapté à l'écrit la retranscription faite par Fils de France de la conférence filmée que donna Camel Bechikh à Lyon, en janvier 2014. Vous retrouverez les interventions publiques de Camel Bechikh retranscrites sur la page Une raison d'espérance.

     

    http://www.filsdefrance.fr/Bonsoir, merci pour votre présence, merci à l'ensemble de l’équipe de Fils de France de Lyon d'avoir organisé cette soirée. Depuis deux années d'existence de Fils de France, c'est la première fois que nous venons en province, très heureux de commencer par Lyon, sachant que pour nous, Lyon est un des terrains les plus difficiles en France pour tout un ensemble de raisons que j'évoquerai peut-être tout à l'heure. Si vous le voulez bien, je ne vais pas énormément parler mais plutôt laisser libre les questionnements de façon à ce que nous puissions tordre un peu la ligne Fils de France tout en étant, je l'espère, critique. Que je puisse être stimulé par vous, pour essayer de répondre à tout ce qui n'est pas forcément clair dans vos esprits. J'imagine qu'il doit y avoir pas mal de points d'interrogations sur ce qu'est cet objet un peu non identifié dans le champ métapolitique qu'est aujourd'hui Fils de France. Donc, je fais une présentation relativement succincte et je vous laisse la parole pour discuter sur les points obscurs de Fils de France.

     

    Pour faire simple, Fils de France qu'est-ce que c'est ? Tout à l'heure, je suis allé faire la prière du vendredi dans une mosquée de banlieue. Quelques personnes m'ont reconnu, une conversation s'est engagée avec des personnes qui ne me connaissaient pas du tout et me disaient : « Qu'est-ce que Fils de France ? ». D'après les aspects vestimentaires, on ne peut pas dire qu'ils étaient "clients" potentiels de Fils de France : ils étaient assez lookés qamis, etc... J'ai donc commencé à expliquer… La ligne de Fils de France est relativement simple : c'est de dire que l'individu dans son identité est composé de plusieurs lignes : une ligne nationale, une ligne ethnique, une ligne religieuse, etc… Et que nous, à Fils de France, nous avions le désir ardent de distinguer ce qui relevait du culte de ce qui relevait de la culture. Pour quelles raisons ? Parce que dans un contexte d'immigration relativement important, comme a été celui de la France dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le fait qu'une population importante extra-européenne et extra-chrétienne se retrouve à l'intérieur de l'Hexagone, a questionné les identités des uns et des autres et donc produit aussi un certain nombre de tensions. Dans la volonté de faire baisser ces tensions, l’idée était simplement de dire que l'on pouvait être musulman dans son identité spirituelle, et totalement français dans son identité culturelle. Lorsque nous disons cela, nous répondons à un certain nombre d'acteurs du moment qui insistent dans les revendications sociales, notamment en convoquant l'islam, ou dans un certain rapport à la mémoire où l'on convoque encore la religion musulmane. L'islam se retrouve donc mêlé à des revendications tout à fait légitimes, par une partie des acteurs de quartiers qui, dans leur islamité, combattent les injustices sociales. Or, nous, nous disons que l’appartenance à une strate sociologique ne relève pas de la confession. On peut être riche et musulman et on peut être pauvre et catholique. Constamment amalgamer l'idée de l'islam et de sa condition sociale enferme l'image musulmane dans une stratification sociale, tandis que l'islam est une idée universelle.

     

    Pareillement concernant la mémoire. Notamment concernant la guerre d'Algérie et la mémoire du colonialisme en général ­­─ d'ailleurs c'est pour cela que Lyon est un terrain peu aisé pour Fils de France, puisqu'une grande communauté algérienne est présente. L'Algérie et la guerre d'Algérie en particulier sont souvent amalgamées à l'identité religieuse. Or, tous les musulmans ne sont pas fils ou petits-fils de résistants algériens et tous les résistants algériens n'étaient pas musulmans. Il y a eu un nombre conséquent de communistes, notamment durant la guerre d'Algérie. Ainsi, des français de vieille souche se sont engagés corps et âmes pour l'indépendance de ce pays et qui sont d'ailleurs aujourd'hui considérés comme des résistants. Que l'on soit dans le social, que l'on soit dans l'historique ou dans tout un tas de revendications, il y a un amalgame malheureux entre une identité spirituelle et une condition, une trajectoire sociale. Á Fils de France, nous avions ce désir ardent de distinguer tout cela en disant que oui, nous pouvons être musulman et pas forcément lié à ces trajectoires de revendications sociales ou historiques. Pourquoi ? Parce que la France s'est créée sur des régions aux cultures fortes et qu'elle possède une culture, même si elle est très malmenée en ce moment par cette américanisation rampante qui déstructure des habitudes bien françaises. Cette identité française demeure forte. Maintenir une sorte de fantasme des origines maghrébines ou arabes au fur et à mesure des générations n'avait pas de sens avec la réalité. Vous allez avoir des gens qui revendiquent une appartenance, par exemple, et de manière très pompeuse, à l'Algérie ou au Maroc, mais qui finalement vivent en France de façon bien, ou relativement bien, mais n'émettent pas l'idée du retour dans les pays d'origine. Là encore, l'islam est convoqué comme un adjuvant ou un additif identitaire alors que ce n'est finalement pas son rôle. En terme de perception pour le français de vieille souche, de ce fait religieux à travers ces revendications sociales, à travers la (sur)revendication des origines, etc… cela pose d'énormes points d'interrogations. Si on y ajoute les tensions internationales dues aux différentes guerres du Golf, d'Afghanistan et éventuellement l'aspect belliqueux de certains groupes musulmans, on a un paysage islamique français extrêmement hétérogène mais composé uniquement de trains qui arrivent en retard, en négligeant et en ignorant par une sélection involontaire, tous les trains qui arrivent à l'heure.

     

    Finalement, les trains qui arrivent à l'heure sont tous ces jeunes musulmans français socialisés, de manière tout à fait classique, par l'école républicaine, la télévision, les groupes d'amis, etc… qui ont une islamité soit héritée, soit culturelle, soit pratiquante, et parfois même littéraliste, mais qui n'éprouvent pas de contradictions entre leur identité culturelle et leur identité cultuelle, qui assument tout à fait le fait d'être culturellement français, même si ce culturellement français pose énormément de points d'interrogations dans un contexte de mondialisation destructrice pour les identités culturelles. Donc, ne voyant pas ces trains qui arrivent à l'heure, ne voient pas de contradictions notoires entre le fait de l'identité musulmane et de l'identité française.

     

    Ensuite, on va dire : « Oui, mais il y a des incompatibilités fortes entre la dimension musulmane, qui lie la foi et la loi, et la dimension laïque et française. » Ce sont, je pense, de petites questions auxquelles on peut très simplement et très facilement répondre s’il y a une mise en perspective de ce qu'est l'islam dans son processus d'acculturation, de transmission, ou de passage dans des cultures diverses et variées et la tradition monarchique et républicaine française, qui a toujours fait sa place à l'altérité, qu'elle soit ethnique ou même religieuse.

     

    Puisque l'islam est à la fois un système éthique et à la fois religieux et politique, comment peut-il s'adapter au contexte laïcisé, sécularisé, qu'est le contexte français républicain ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/La religion musulmane a produit une civilisation qu'on a appelée la civilisation musulmane, islamique. Il faut juste distinguer l'islam avec un i minuscule de l'Islam avec un I majuscule. L'islam avec un i minuscule est cet ensemble religieux, universel, qui est une spiritualité. L’Islam avec un I majuscule est l'islam de la civilisation musulmane qui commence avec les omeyades, pour faire simple, donc dynastique, etc… Pourquoi l'islam est-il devenu un système politique ? Parce qu'à l'époque, et les chrétiens avant les musulmans, on imbriquait le religieux dans le politique. La conversion de l'empereur Constantin au christianisme aboutit à ce que l'Empire byzantin, qui était païen, ait pour religion le christianisme. Les musulmans, dans ce contexte-là, ont créé un empire en calquant leur système de gouvernance sur l'Empire byzantin. C'est donc une occurrence historique qui produit un système. Le système califal, où le politique et le religieux s’imbriquent, n'est pas un système qui rencontre la profondeur des textes musulmans, pas du tout. C’est simplement une rencontre avec une donnée politique, historique de l'époque. Et les musulmans ont adopté cette manière de fonctionner qui avait été adoptée par les chrétiens eux-mêmes. Le processus de sécularisation, donc de distinction du religieux et du politique, existait malgré tout puisque les théologiens étaient consultés par le pouvoir politique, mais n'étaient pas le pouvoir politique. Le système califal, dynastique, consultait les théologiens mais les théologiens n'étaient pas les tenants du pouvoir. Je dirais que cette idée que l'islam ne distingue pas le système politique du système religieux est une extrapolation de ce qu'a été l'Islam avec un I majuscule dans un cadre historique particulier. C'est ce qui fait dire à un nombre de théologiens, aujourd'hui, que la possibilité de réinventer les systèmes de gouvernance dans les pays musulmans ou chez les musulmans en tant que minorité dans les pays non-musulmans est constamment en mouvement. Il n'y a donc pas de système arrêté.

     

    Quelle est la position de Fils de France sur l'islam de France ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/L'islam est né dans un pays arabe qui s'appelle la péninsule arabique. Le Coran a été révélé en arabe à un Prophète arabe. Mais c'est un message universel : il y a une réalité anthropologique de ces primo musulmans qui se situe dans l'arabité. Mais le message étant universel, il va très vite dépasser cette arabité et va rencontrer un ensemble de cultures, de races, d'ethnies, de langues extrêmement différentes. Á tel point qu'aujourd'hui, les arabes ne sont qu'un cinquième de la population musulmane mondiale. Quoi de commun entre un malien et un indonésien ? Manifestement, du point de vue culturel, ils s'habillent différemment, ils mangent différemment, ils parlent différemment, ils pensent différemment. Mais si vous les mettez ensemble pour accomplir la prière de midi, de Dohr, ils feront quatre unités de prière tous les deux. Parce que la mécanique religieuse, qu'elle soit liée à l'orthodoxie ou à la pratique, sont identiques quel que soit le lieu où l'on se trouve.

     

    Mais quand on parle d'un islam de France, à Fils de France, on parle même d'un islam français car nous percevons trois étapes. Nous parlons d'abord d'un islam en France qui est l'islam de nos parents : c'est-à-dire que ce sont des gens qui ont vécu vingt ans, trente ans dans le sud de la méditerranée et qui arrivent en France avec une identité religieuse, mais qui est cantonnée à leur culture façonnée par leur vie au Maroc, en Algérie ou en Afrique subsaharienne, en Tunisie, en Turquie, etc… Ensuite, il y a ce que nous appelons l'islam de France : c'est l'islam de leurs enfants, qui commencent à composer avec un environnement nouveau qui accueille une foi nouvelle (nouvelle avec beaucoup de guillemets parce qu'en vérité la France et l'islam connaissent une relation historique bien plus importante que cela). Pour la première fois, massivement, des musulmans vont commencer à réfléchir aux concepts de laïcité, de république, de citoyenneté en les liant, en les confrontant à leur identité religieuse. Nous appelons cela un islam de France. C'est le moment où l'on va tenter d'aménager la rencontre entre cette foi musulmane, cette pratique musulmane et les concepts forts qui font la République française. Et en troisième lieu, nous à Fils de France, nous parlons d'un islam français. L'islam français, c'est celui qui ne se pose plus la question. Je suis musulman, je prie cinq fois par jour. Comme je mange trois fois par jour pour nourrir mon corps, je prie cinq fois par jour pour nourrir mon âme. Ma dimension spirituelle, ma dimension verticale sont intrinsèquement musulmanes. Mais, mon horizontalité, ma socialisation, mes codes culturels, mes codes d'interactions sont inscrits, sans que je me pose la question, puisque c'est un fait j'ai grandi avec, dans la culture française. Il n'y a plus de question posée entre cette verticalité eschatologique, spirituelle ─ pour certains qui en ont la chance, mystique ─ et cette horizontalité culturelle, française. Avec, pour caricaturer à outrance, la baguette et le béret. Baguette et béret avec un mois de jeûne annuel et mes cinq prières par jour. Ça c'est l'islam français.

     

    N’avez-vous pas peur que cet islam français dénature le message authentique de l'islam?

     

    http://www.filsdefrance.fr/C'est un islam français qui est encadré, il n'est pas anarchique. Il est encadré par les théologiens qui ont la capacité de distinguer ce qui peut être acculturé de ce qui ne doit pas l'être. Si on est en France, on priera cinq fois par jour, que l'on soit à New-York, à Médine ou à Bamako, les prières canoniques sont inscrites cinq fois par jour. On peut les faire ou ne pas les faire, ce n'est pas la question. L'orthodoxie musulmane est valable pour l'ensemble des musulmans. Notre spécificité c'est d'être, de vivre et de respirer français et d'aimer notre pays la France avec une spiritualité qui est musulmane. Alors on me dira : « Mais cette spiritualité est étrangère à la culture française ». Je réponds : « Oui, mais le christianisme n'est pas né au Mont St Michel. Le christianisme lui-même est un produit proche-oriental ou sémite. » Il n'y a finalement pas d'opposition entre les deux.

     

    Je vais vous donner un exemple très clair de la plasticité. C'est très important cette idée de plasticité. L'islam est quelque chose d'extrêmement plastique, il a une forte capacité d'adaptation aux cultures que la religion musulmane rencontre. Cette forte capacité d’adaptation se traduit notamment par quelque chose d'important qui est le mariage. Le mariage est une pratique sociale, universelle, à tel point même qu'on nous a fait le "Mariage pour Tous" maintenant. Ce mariage entre un homme et une femme en islam possède quelques conditions. La première condition est l'acceptation mutuelle : le fait que l'homme veuille se marier avec cette femme et que cette femme veuille se marier avec cet homme. Quand on parle de mariage forcé islamique, on est déjà dans l'antinomie de ce qu'est la religion musulmane qu'on amalgame souvent avec des traditions, de malheureuses traditions. Donc, d’abord, l'acceptation mutuelle. Ensuite, la dote : qui peut être presque symbolique. Et les témoins : en islam, contrairement au catholicisme, le mariage n'est pas un sacrement. Le mariage est un contrat entre deux personnes en vue de vivre ensemble et de procréer. Si nous sommes dans un cadre contractuel, il faut que le contrat puisse être respecté, que les deux parties puissent faire respecter leurs droits et devoirs : il faut donc un cadre légal. Au début des années quatre-vingt-dix, un ensemble de théologiens se sont réunis en disant : « Mais puisque la finalité de la jurisprudence musulmane dans le mariage est de faire respecter les droits et devoirs de l'époux et de l'épouse, seul un cadre légal peut assurer la finalité de la jurisprudence musulmane. » Ce n'est donc pas symboliquement le mariage devant un imam qui fera foi puisque la loi ne le reconnaît pas. C'est donc le mariage à la mairie qui devient le mariage musulman. Parce que seul le mariage à la mairie propose un cadre contractuel qui respecte la finalité de ce contrat de mariage, qui est de faire respecter les droits et devoirs de l'époux et de l'épouse. C'est un petit exemple de processus d'acculturation. Je pourrais vous en produire peut-être des dizaines qui exposent cette plasticité de la religion musulmane. Et souvent, nous sommes dans une position très identitaire aujourd'hui en France. Il faut aussi analyser ça à l'aune d'une psychologie sociale. Car être fils d'immigré c'est être quelque part déraciné et en voie d'enracinement. Cette période de fragilité identitaire, souvent, pousse à une forme de rigidité identitaire. D'où la convocation de l'islam, parfois, comme objet de protestation, notamment.

     

    Fils de France semble proche d'une certaine mouvance de droite. Peut-on en déduire que Fils de France est de droite et en quoi seriez-vous de droite ? Et est-ce que vous avez rencontré des résistances de certains partis ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/La ligne de Fils de France a été fondée il y a deux ans par les membres fondateurs. L'idée principale étant le patriotisme français. Donc, nous nous plaçons à droite puisque historiquement la droite est héritière de ces valeurs catholiques, du point de vue de la morale. Mais la droite est aussi, si je schématise à outrance, le réceptacle du néolibéralisme, ou du libéralisme, ou du capitalisme, contre lequel nous nous plaçons en porte à faux puisque souhaitant une résistance de la culture française face à cette mondialisation. Nous savons très bien que c'est le néolibéralisme, la marchandisation à outrance qui détruit les cultures en les uniformisant. Donc nous serions plutôt de ce point de vue-là "social" ou dans un capitalisme social à la De Gaulle. C’est-à-dire un entreprenariat qui ne soit pas bridé mais qui ne devienne pas le centre de la vie du pays. Une économie au service des français et non pas des français au service de quelques patrons. Je ne vais pas reprendre le célèbre slogan "droite des valeurs, gauche du travail"… mais on n'est pas très loin.   

     

    Y a-t-il vraiment une possibilité d'ouverture avec le Front National ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Lorsque je me déplace au Front National (Idée Nation est une composante du Front National) je me déplace chez des gens qui sont islamo-sceptiques, voire islamophobes. Et islamophobe, ça veut dire qu'ils craignent l'islam. Pour certains qu’ils détestent l'islam. Et lorsque les journalistes me disent : « Mais pourquoi allez-vous chez Idées Nation ? Ne pensez-vous pas créditer le Front National d'un musulman de service qui viendrait jouer le rôle de valider quelque part leur ligne ? ». Je réponds : « Pas du tout ». Je dis, si moi je dois dialoguer, si moi j'ai choisi de me battre dans ce pays pour apaiser les tensions… Parce que je pense que fondamentalement plus les français seront divisés plus la France sera faible ; et plus la France sera faible et plus elle risquera de se noyer dans la mondialisation ; et plus elle se noiera dans la mondialisation, plus nous perdrons l'héritage de ce que des générations et des générations d'hommes et de femmes en France nous ont légué. Et ça, on n'a pas le droit de le faire. Donc moi, quand je me déplace chez Idées Nation ou ailleurs, je le fais dans un esprit de dialogue. Je ne vais pas dialoguer avec celui qui est d'accord avec moi, ça n'a aucun sens. Je vais dialoguer avec celui qui me craint, qui me redoute, celui qui me déteste, celui qui me hait, celui avec qui j'ai absolument besoin de parler. Lorsque je me déplace chez des gens qui sont très hostiles à l'islam, aux musulmans, je le fais dans le cadre de l'apaisement, pas dans le cadre d'aller signer un bulletin d'adhésion. Je suis musulman, ça n'échappera à personne, mais Dieu a parlé avec tout le monde même avec le diable, c'est vrai ou c'est pas vrai ? Il y a bien un dialogue entre le diable et Dieu dans le Coran. De plus, je pense que c'est très utile, car souvent les rapports humains permettent de lever beaucoup d'amalgames, de fantasmes, etc…  

     

    Avez-vous rencontré des résistances dans ces milieux de droite, à part le FN ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Non. Même à Idées Nation où la salle était aussi importante que celle-là. Vous savez qu'à la fin de mon intervention, des personnes ont rendu leur carte du FN. Et à côté de ça, j'ai été applaudi quelques fois quand même, et moi je n'ai pas vendu mon identité. Avant la conférence j'étais musulman et après je l'étais toujours. J'ai simplement exposé ce que nous à Fils de France nous avions à dire.

     

    Et avec les monarchistes aussi ?

     

    Oui, avec l'ensemble des courants de droite ou de droite nationale, je n'ai pas rencontré de résistance.

     

    Le prosélytisme fait-il vraiment parti du code génétique de l'islam ? Quel avenir pour nous chrétiens quand on voit cet islam progressant et menaçant ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Vous parlez de l'aspect "missionnaire" ? Qui existe d'ailleurs dans le christianisme et dans l'islam, et pas dans le judaïsme. Je ne suis pas le porte-parole des musulmans de France, loin s'en faut. Mais je crois qu'avant d'envisager l'aspect missionnaire vis-à-vis des autres confessions, ou en dehors des musulmans de France, il y aurait déjà beaucoup à faire au sein des musulmans de France eux-mêmes. En termes de réapprentissage de la foi profonde et du dépassement identitaire, dont je parlais tout à l'heure. Est-ce que les musulmans de France ont des velléités missionnaires ? Je pense qu'il y a des musulmans de France qui ont cette envie de partager leur foi et donc deviennent prosélytes. Mais je ne crois pas que six millions de musulmans en France soient des missionnaires patentés. Je crois que la plupart des musulmans de France vivent paisiblement leur foi, tentent très difficilement de la transmettre à leurs enfants, qui eux-mêmes tentent de la transmettre à leurs enfants, dans un environnement qui est quand même très hostile à la foi et à la morale, qu'elle soit catholique ou musulmane. Avant d'aller chercher en dehors de sa communauté respective, il y a tant à faire à l'intérieur. Déjà à l'intérieur de soi-même : demeurer fidèle à ses engagements, ce qui n'est pas simple, au sein de sa famille, puis au sein de la société ou de la communauté à laquelle on appartient. Mais, en effet vous avez raison, l'islam contient une partie qui est liée à la transmission. Maintenant, l'exposition de ces principes musulmans est d'avantage dans le fait du témoignage, de témoigner de sa foi. C'est comme si vous me posiez la question sur le djihadisme. Je vous dirais oui, la notion de djihad, notamment intérieur, fait partie de l'islam. Qu'il y ait une minorité de musulmans qui la comprenne pour aller en découdre au Proche-Orient, oui cela me semble inévitable. Mais cela reste extrêmement fragmentaire, minoritaire, et ne remet pas en cause l'équilibre global, je pense, de la relation entre la majorité chrétienne, catholique, en espérant qu'elle le reste, car la plus grande menace pour la majorité chrétienne et catholique, je ne crois pas que ce soit l'islam. C'est davantage le consumérisme et une certaine laïcité militante, agressive à l'endroit du catholicisme.

     

    Je crois au contraire que l'islam peut renforcer l'identité chrétienne de la France comme les chrétiens peuvent renforcer l'identité musulmane, à condition qu'il y ait cette logique, cette compréhension fondamentale de valeurs qui unifient.

     

    Que pensez-vous d'un certain aspect "belliqueux" de certaines sourates du Coran ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je ne suis pas théologien, mais je sais que dans le Coran, il y a des versets principiels qui sont des principes ; et des versets contextuels, donc uniquement liés au moment coranique. Les versets belliqueux sont des moments où il y a eu des tensions entre les tribus chrétiennes, juives et musulmanes. Quand on me dit ça, je réponds que d'une part les musulmans lisent très très peu le Coran. Le Coran n'est pas un livre central chez les musulmans, il ne faut pas rêver. Cela fait partie des fantasmes de penser que les musulmans lisent le Coran, le liraient tous les jours, intégralement et le comprendraient. C’est absolument faux. Je ne sais combien il y a de musulmans dans cette salle, je ne vais pas faire un sondage, mais si je demandais de lever la main à ceux qui ont lu le Coran une seule fois dans les six mois derniers, il n'y aurait pas beaucoup de mains qui se lèveraient. Ce n'est pas parce qu'un texte possède des mots que ce texte se traduit par des comportements. Si je dis " qu'UN SANG IMPUR ABREUVE nos SILLONS !", de fait le texte est violent "du sang" " impur" et qui abreuverait des sillons. L'image est hyper violente mais cela ne fait pas des français des zigouilleurs patentés. En effet, dans l'hymne nationale, il y a un couplet qui est assez fort du point de vue de la violence. Mais les français sont-ils nourris par ce couplet de la Marseillaise dans leur manière de vivre au quotidien et même au-delà ? Je ne le crois pas.

     

    Il faut quand même distinguer ce qui relève de la réalité des comportements de ce qui est l'œuvre, d'ailleurs, des exégètes, de quelques versets du Coran, très contextuels à l'endroit de la violence.

     

    Mais la Marseillaise a été écrite par des hommes et le Coran par Dieu. Pourquoi Dieu s'arrêterait-il à des événements contextuels ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Il y a des versets qui sont abrogés dans le Coran car ils relèvent uniquement du contexte, du moment coranique. Mais je le redis : est-ce que le comportement aujourd'hui des musulmans que vous côtoyez au quotidien est imprégné de ces quelques versets dont on nous parle tout le temps, en ignorant d'ailleurs tous les autres versets qui parlent d'amour, de miséricorde, de partage, de générosité, de véracité, de magnanimité, etc... ? Il y a une focalisation qui me semble disproportionnée, hypertrophique, sur quelques versets qui ne se révèlent pas être une réalité dans le quotidien des six millions de musulmans en France, et même ailleurs. Et si l'on veut partir de là, je peux dire que l'histoire du christianisme aussi a été truffée d'épisodes d'une violence rare. Je ne vais pourtant pas stigmatiser ou mettre à l'index la spiritualité catholique qui a donné St Thomas d'Aquin, Jean Chrysostome, St Jean de la Croix, Charles de Foucault, Marthe Robin (que j'explore en ce moment). Il faut être honnête dans son approche : on ne peut pas envisager quelques lignes qui ne se reflètent pas dans le quotidien des musulmans et ignorer la majorité des textes scripturaires : Coran et hadiths, et les textes des théologiens ou des spiritualistes soufis qui ont mis l'amour au centre de tous les comportements. Pourquoi ne nous parle-t-on pas des versets liés à l'amour, à la miséricorde, à la générosité ? J'entends ce que vous dites Monsieur, mais de fait, il y a une sélection des textes musulmans qui vont souvent dans un sens plutôt que dans un autre.

     

    Ce sont les théologiens qui ont abrogé les textes parlant d'amour.

     

    http://www.filsdefrance.fr/Ce que vous dites n'existe pas. Les théologiens n'ont pas abrogé les versets parlant d'amour. Je ne sais pas où vous avez entendu ça. Je ne sais pas par quel canal vous êtes entré en connaissance avec l'islam. Souvent, les gens qui ont cette approche d'un islam violent, dénué d'amour, ont des sources bibliographiques très antimusulmanes. Elles existent, mais il y a aussi celles qui sont plus rationnelles que nous allons trouver chez Louis Massignon, Laoust, Sourdel, etc… qui ont été les grands islamologues français. Mais ceux-là, bizarrement, on ne les lit plus. On lit volontiers les quelques pamphlets antimusulmans et ça devient la seule porte d'entrée pour comprendre la religion musulmane. C'est comme si moi, pour m'intéresser au catholicisme, je passais par la porte d'entrée des libres penseurs, de l'anticléricalisme, des bouffeurs de curés et je me dirais : « Ben dis-donc, le catholicisme c'est ça ?! » Évidemment, si on s'intéresse à un fait religieux par ceux qui le combattent, ple dénigrent, le détestent, évidemment, on va aboutir à une vue de ce fait religieux très orienté.

     

    Mais il n'en reste pas moins que cette littérature très antimusulmane demeure extrêmement minoritaire à l'intérieur de l’ensemble de ce qu'a fourni l'orientalisme depuis le XIXème siècle.

     

    Peut-on admettre de la violence, car la violence fait aussi partie de la réalité humaine ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/On peut tout relativiser. Mais aujourd'hui, l'actualité internationale est très anxiogène pour ceux qui ne sont pas musulmans en France, parce qu'ils ne connaissent pas de l'intérieur ce que vous vous connaissez de l'intérieur. De l'extérieur, quand on voit ce qui se passe en Afghanistan, au Pakistan ou en Arabie Saoudite, pour envisager son voisin musulman, ça produit forcément de l'anxiété. C'est à ça qu'il faut répondre.

     

    Quand je parle de violence, je parle de violence spirituelle...

     

    Mais les gens ne parlent pas de violence spirituelle. Ils parlent d'égorgement, de lapidation, d'attentats, etc…

     

    Certains médias vous accusent de faire de la taqiya, de la ruse. Que répondre à ces gens-là ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Le mot taqiya n'est pas lié à la tradition sunnite. Il est lié à a tradition chiite. Les chiites ont été persécutés par les sunnites. Á un moment, pour dissimuler leur foi chiite, pour ne pas être embêté, inquiété, les chiites ont dissimulé leur chiisme. Ils se sont autorisés le mensonge par ruse dans ce qu'ils appellent la taqyia. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'en France, si les cathares avaient produit de la taqiya, il y aurait encore des cathares en France. Quand une majorité religieuse opprime, persécute une minorité religieuse, soit elle ruse pour survivre, soit elle se fait exterminer. Le mot taqiya n'est déjà pas approprié. Ces gens qui parlent de taqiya pour Fils de France ont l'impression qu'on est obligé de passer par eux pour aimer la France. Or, moi, très sincèrement, je me fiche complètement de ces gens-là ! Mon rapport charnel et amoureux à mon pays, il est dans mon enfance, dans mon Berry, il est dans mes souvenirs affectifs, amoureux, à la terre, à la forêt… Je ne passe pas par ces gens-là pour m'autoriser à avoir un rapport amoureux à mon pays. Après, on ne peut pas être d'accord avec tout le monde, c'est de bonne guerre en plus. Car du côté non musulman, on va nous dire qu’on fait de la taqiya ; et du côté musulman une minorité va nous dire que nous sommes en train de vendre nos principes. Le fait est qu’on ne peut pas plaire à tout le monde.

     

    En revanche, je crois qu’il faut garder sa ligne, être le plus argumenté, le plus articulé possible, rationnel. Mais aussi sentimental. Fils de France est quand même une démarche très sentimentale et aimante. Bien faire et laisser dire. C’est la devise : « Bien faire et laisser dire ».

     

    Je souhaiterais juste apporter un témoignage quant à la plasticité de l'islam. Sur l'Île de la Réunion, les imams demandent le certificat attestant le mariage à la mairie avant de prononcer le mariage au sein de la mosquée, et cela pour conforter ce que vous disiez quant à la plasticité de l'islam, qui est un fait.

     

    http://www.filsdefrance.fr/Concernant la mosquée… La mosquée a son fond et sa forme. Dans son fond, elle est un lieu de moralisation. La mosquée comme l'église, le temple ou la synagogue est un lieu où l'on se nourrit de la présence du divin pour, sorti de cette mosquée, rayonner de cette bienfaisance que nous avons captée dans la prière. C'est valable pour les chrétiens et pour les juifs. Je connais beaucoup moins les religions orientales. La mosquée est un lieu de moralisation dans un moment où la surconsommation pousse à être amoral. Aujourd'hui, le fait de maîtriser son instinct est l'enjeu du bien commun. Parce que maîtriser son instinct c'est maîtriser l'équilibre dans l'espace public. Si chacun s'adonnait et laissait libre court à son instinct, nous serions dans une situation des plus inquiétantes. La morale est là pour cadrer les instincts humains, que l'on soit catholique, juif ou musulman. Quand je parle de mosquée, il y a donc sa forme et son fond. Dans son fond elle est un lieu de moralisation. Á condition que l'imam, le responsable de la mosquée, ait un certain éclairage sur le rapport qui situe la religion et la Nation. Le culte et la culture. La communauté musulmane et la communauté non musulmane. Il faudrait que les imams aient cette conscience dialectique qui fait que le musulman n'est pas que musulman dans la mosquée, mais va interagir avec une majorité qui n'est pas musulmane, dans un pays qui découvre avec fracas médiatique cette présence musulmane importante. Donc dans son fond, la mosquée est un lieu de moralisation dans une époque où la morale n'existe plus. Je pense que c'est extrêmement positif. On ne pourra pas en reprocher l’existence lorsque les couches sociales défavorisées sont de fait plus enclines à produire de la petite délinquance, de la délinquance, de la criminalité, quelque soit son origine ethnique ou religieuse, par ailleurs. Si on prend l'immigration mexicaine aux États-Unis, on a bien des hispaniques de religion catholique qui produisent cette petite délinquance, délinquance, criminalité, banditisme. Au-delà de l'aspect identitaire, dans les classes populaires on est plus sensibles et plus vulnérables au fait de franchir la limite du droit. Maintenant, dans ces classes populaires, s’il n'y a pas comme ciment une moralité qui permette de recadrer cette tentation, c'est le chaos. Le fond de la mosquée est donc moralisateur, et Dieu sait que dans les quartiers populaires on a besoin évidemment de morale. On ne peut pas être musulman pratiquant et délinquant, ça ne va pas ensemble, même si on a tenté de nous le faire croire.

     

    Ainsi, il y a le fond de la mosquée, son enseignement, et il y la forme. La forme doit respecter l'architecture locale. La France, comme je le disais tout à l'heure, est construite sur des identités régionales extrêmement fortes. Je ne vois pas au nom de quoi l’on construirait en Normandie une mosquée à l'image d'une mosquée marocaine, ou algérienne, ou je ne sais quoi. La Normandie a une tradition architecturale, la Bretagne a une tradition architecturale, la Flandre française a une tradition architecturale. Il n'y a pas d'antinomie entre le fait de transmettre dans le fond cette morale, qui participe au bien commun, et l'identité extérieure, architecturale, qui doit s'adapter au cadre.

     

    Le problème de la "progression" de l'islam est surtout le problème de l'immigration. Á partir du moment où vous ouvrez les vannes et que vous faites rentrer 250 000 étrangers par an sur le sol français, dont la majorité est souvent de confession musulmane, l'islamisation de la France passe par l'immigration. Pas par les primo-migrants des années soixante, soixante-dix et par leurs enfants. On confond souvent l'islamisation de la France et l'immigration. Très souvent la confusion entre les deux fait qu'on va désigner un musulman, qui peut être un musulman converti, en plus, tandis que le problème est lié au pouvoir public qui ne limite pas les flux migratoires. Nous à Fils de France, nous sommes très clairs sur la question. Nous distinguons le culte et la culture. Notre culte est musulman, notre culture est française. Et nous sommes farouchement opposés à l'ouverture anarchique des flux migratoires. Pourquoi ? Parce que c'est déjà une violence pour ceux qui émigrent. Le déracinement est déjà une violence pour celui qui émigre. Je vous invite à aller voir un ethnopsychiatre qui s'appelle Hamid Salmi, qui a travaillé sur les pathologies psychiatriques liées au déracinement. Comment certains pères de famille, après avoir émigrés, se retrouvent malades. Malades de ne plus posséder le rôle que l'anthropologie d'origine leur conférait en tant que chef de famille, etc… En France, ils arrivent dans une société qui ne reconnaît pas leur place en tant que telle. Et cela provoque des pathologies. Quand on dit être opposé à l'immigration, ce n'est pas le fils d'immigré qui est content d'avoir immigré, qui se sent bien dans un pays riche et qui refuse le droit à ceux du sud de pouvoir bénéficier de ce dont lui a bénéficié. Ce n'est pas ça. C'est dire qu’il y a aujourd'hui un système néolibéral qui exploite la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes et qui traite les hommes comme on traite les marchandises. On délocalise, finalement. C'est une forme de délocalisation. Sauf qu'on ne parle pas d'usines mais d'individus.

     

    Nous nous opposons donc à l'immigration parce que c'est destructeur pour les cultures, c'est destructeur pour les individus. Et puis ça fait surtout le jeu d'une minorité riche et mondialisée.

     

    Avez-vous des modèles d'homme dans l'Histoire de France ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Oui, Vauban. C'est un modèle parce qu'il fait figure du génie français incarné, de l'amour véritable d'un homme pour son pays. Ce génie d'avoir posé les forteresses pour le défendre. Et totalement intègre dans son rôle d'homme, de serviteur de l'État éminent. Vauban est pour moi le modèle.

     

    Nous sommes en pleine campagne électorale. Certains imams appellent à ne pas voter pour des raisons religieuses. Pensez-vous que le vote musulman soit indispensable à l'amélioration de la condition de la communauté en France ?

     

    Premièrement sur le vote, il me semble aberrant que des imams se mêlent de ces questions-là. Les imams ont un rôle spirituel, c'est déjà extrêmement lourd à porter pour aller s'intéresser aux questions politiques. Ce n’est pas leur rôle. D'autre part, décourager les musulmans d'aller voter est une aberration, puisque cela les coupe d'un droit citoyen fondamental qui est un des symboles d'appartenance à la Nation. Puisque en votant, on se soucie du destin de son pays. Ne votant pas, cela veut dire que l’on a un certain retrait qui n'est pas acceptable lorsque l’on est français. On n'est pas français de papiers, on est français parce qu'on aime son pays et qu'on veut le défendre. On doit pour cela participer au vote. J'espère que le vote musulman ne se confessionalisera jamais. J'espère que nous aurons des musulmans de l'extrême gauche à l'extrême droite. Moi, j'ai mes convictions mais ce ne sont que les miennes. J'espère que la coloration spirituelle n'épousera pas une coloration politique, ce serait dramatique. Je ne crois pas qu'il faille penser l'amélioration de la condition des musulmans de France par une sorte de chantage au vote. Je pense que nous aurons les politiques que nous méritons, mais au-delà de notre appartenance uniquement spirituelle, puisque nous ne sommes pas que musulmans. Nous sommes aussi travailleurs, assurés sociaux, utilisateurs de la route, de l'école publique, des transports publics, etc... La question du vote est liée à un ensemble de questions. Essentialiser la question du vote au bien-être de la communauté musulmane me semble ridicule. On vit dans un système global où le vote n'est qu'une partie. On ne peut pas vivre de manière sélective en disant : « Le vote c'est un péché, par contre les allocations familiales ne sont pas un péché ». Si on veut être "anti" dans sa démarche et donc courageux, eh bien on fait le choix objectif de vivre dans un lieu qui soit en adéquation complète avec ses convictions. Sauf que ça s'appelle le pays de « oui-oui ». Ça n'existe pas.

     

    Lorsque vous allez voter pour quelqu'un aujourd'hui, évidemment, il n'y a aucun français qui vote pour un politique qui répond à cent pour cent à ses aspirations. Vous allez voter pour le moins pire ou voter blanc.

     

    Comment vous situez-vous par rapport à Sheikh Imran Hossein qui appelle justement à ne pas voter ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je vais vous faire une confidence. Je n'ai jamais vu une seule vidéo de cette personne. J'en entends parler, mais je ne le connais pas. J'ai juste entendu dire qu'il s'était autorisé à déclarer que les musulmans de France ne devaient pas voter. J'imagine qu'il a plein de bonnes idées et dis plein de choses intéressantes et très sensées. Mais là, il commettait une énormité. Ce n'est pas son rôle.

     

    Vous parliez de patriotisme et d'amour pour la France par rapport à votre enfance, à vos souvenirs, etc… Il y a des jeunes qui ne grandissent pas dans la campagne ou dans le Berry, qui sont en ville, et qui ont moins de souvenirs positifs que vous. Si aujourd'hui vous deviez vous adresser à eux, quels mots utiliseriez-vous ?

     

    Je vous remercie du fond du cœur, vraiment, vous me touchez beaucoup avec votre question. Parce que j'ai eu cet après-midi une personne qui m'a dit exactement la même chose que vous. Il m'a dit : « Camel, votre discours est trop lié à une partie des musulmans qui existe, mais à Fils de France vous oubliez ceux qui n'ont que le béton et les frustrations de ne pas avoir goûté à cette France charnelle. ». J'entends bien votre propos monsieur et il me touche. Pour vous répondre, je ne peux pas me mettre à votre place, ou à leur place. Mais je peux dire qu’à Fils de France beaucoup de jeunes issus de ces quartiers difficiles nous ont rejoints. Ils nous ont rejoints en signifiant parfaitement l'idée qu'ils ne nous rejoignaient pas par un amour charnel ou sentimental de la France, mais par une dimension intellectuelle. Le patriotisme est ce qui va permettre de recimenter l'ensemble des français qui ne sont pas black-blanc-beur, mais bleu-blanc-rouge pour un meilleur vivre ensemble à l'intérieur de nos frontières, et en terme de rayonnement international.

     

    C'est vrai que nous avons les deux grands ensembles à Fils de France. On a des gens qui, plutôt dans mon profil, ont vécu des choses extrêmement belles dans leur parcours. Et d'autres personnes qui ont vécu des choses très frustrantes, comme vous le disiez tout à l'heure. C'est-à-dire ne pas goûter à la beauté des châteaux de la Loire, ne pas goûter à la forêt, etc… qui n’ont vécu que dans de l'urbanité froide. Il faut prendre de la hauteur, ce n'est jamais trop tard. Une fois que nous avons vingt ans, trente ans, nous pouvons aller redécouvrir ce patrimoine-là. Des jeunes à Fils de France avaient les mêmes propos que vous et n'étaient jamais sortis de la banlieue parisienne. Par leur expérience à Fils de France ils ont choisi d'aller voir ce qu'était la France. Ils ont pris leur voiture, ont passé un mois sur les routes, en passant par les Alpes, ont découvert le Sud-ouest, etc… Et pour la première fois de leur vie, ils touchaient du doigt la beauté de ce pays. Ce qui n'a pas été fait en trente ans s'est produit en l'espace d'un mois. Ils sont devenus des amoureux de la France. Car la France est belle à pleurer en vérité. Il ne faut pas grand-chose.

     

    Merci de votre question monsieur.

     

    Que pensez-vous de la médiatisation soudaine de celui que j'appellerai "l'imam illettré", Chalghoumi, qui contraste avec le silence autour de Fils de France ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Il est utile à une minorité de militants pro-israéliens qui s'appuie sur cette personne... Lorsqu'il s'exprime, je pense que tous les musulmans ont envie de se cacher derrière leur fauteuil… Mais ça m'embête de dire du mal de cette personne-là, car humainement je n'ai pas de ressenti à son égard. J’éprouve plus de peine, de pitié pour le rôle qu'on lui fait jouer, que de ressenti à son égard.

     

    Tout à l'heure, vous parliez des valeurs qui réunissent, qui vous tiennent à cœur et vous évoquiez comment l'islam traditionnel peut s'adapter à la laïcité...

     

    La laïcité est un mot un peu fourre-tout. Mais on peut en distinguer trois grands types. La laïcité juridique est inscrite dans la loi. Elles est une chance pour les religions parce qu’elle permet, quand la loi est respectée, de pouvoir trouver un accommodement raisonnable entre les différentes spiritualités, une zone de neutralité. La laïcité anthropologique est celle que le peuple de France a assimilée dans sa manière d'être, qui fait qu'elle a une vue sécularisée de la foi. Le troisième type de laïcité est problématique : c’est la laïcité militante. Celle qui instrumentalise la laïcité contre la religion. Qui ne fait plus de la laïcité un objet de neutralité mais un objet d'attaque systématique de la religion.

     

    Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain : il y a des choses extrêmement positives dans le processus de sécularisation qu'a vécu la France, pour les religieux et les religions elles-mêmes qui sont protégées du politique. Ce n'est pas uniquement le politique qui se protège du religieux, mais aussi les religions qui se protègent du politique. Dans le même temps, il y a cette instrumentalisation. Par exemple, une personne comme Caroline Fourest convoque la laïcité. Elle fait croire qu'elle attaque un communautarisme par le biais d'une laïcité. Or, elle-même parle depuis un communautarisme qui est celui de LGBT. Elle est farouchement en guerre contre tout ce qui pourrait menacer, de manière réelle ou fantasmée, son orientation sexuelle. Elle fait de cette orientation sexuelle un objet de guerre permanent en passant par la laïcité pour attaquer les religions. Là, on est dans un cas typique de laïcité militante qui, depuis un communautarisme, feint d'en dénoncer un autre.

     

    J'ai été choqué quand vous avez comparé l'Homme à Dieu. On ne peut comparer l'Homme à Dieu...

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je vais vous dire pourquoi on peut. Je vais résumer ma réponse très rapidement. Quand on parle des 99 attributs de Dieu, ce sont 99 attributs qui nous servent de cheminement pour améliorer notre comportement et notre âme. Dieu est le Pardonneur. Nous nous devons, nous, d'être pardonneur. Nous n'atteindrons jamais la capacité de pardon que possède le divin, mais nous nous devons d'avoir comme exemple cet attribut. Quand on parle de "asma wa siffat", les noms et attributs de Dieu, ce sont des pistes qui permettent à l'homme de cheminer vers Dieu. Je ne compare pas Dieu à l’homme, mais… Lorsque, par exemple, on dit : « Dieu a créé l'homme à son image ». Pour un musulman, quelle est l'image absolue de Dieu ? Sa qualité fondamentale première, quelle est-elle ? L'unicité. Quand Dieu dit : « J'ai créé l'homme à mon image » c'est que l'Unicité divine se retrouve dans l’unicité de chacun des individus que nous sommes. Nous sommes tous uniques. Est-ce qu'il y a deux personnes comme vous ? Non, manifestement vous êtes seul. Vous êtes bien créé à l'image de Dieu. Votre unicité est à l'image de l'Unicité de Dieu. Je ne fais pas de comparaison en disant cela. Je dis simplement que le divin se dévoile en partie à l'homme de façon à ce que nous aspirions à le rejoindre dans Ses qualités absolues.

     

    Il est important que nos amis catholiques connaissent mieux la religion musulmane, comme il est aussi très important que les musulmans connaissent mieux la religion catholique. Pour ma part, moi qui ai été davantage socialisé dans les milieux catholiques que dans les milieux musulmans, je viens d'avoir quarante ans, et je redécouvre la mystique catholique. C'est un bonheur absolu parce qu'elle me renvoie à ma spiritualité musulmane. Je prie mieux cinq fois par jour depuis que je lis Marthe Robin, Charles de Foucault, ces grands mystiques chrétiens. Comme certains chrétiens ont mieux pratiqué leur christianisme en s'intéressant à la mystique musulmane. Il y a un effet de miroir, un effet d'altérité qui est extrêmement touchant et qui n'est pas une altérité d'enfermement, mais une altérité d'enrichissement. Je vous dis cela avec mon cœur, mes tripes, mon cerveau.

     

    Pour vous, n'y a-t-il pas d'incompatibilité entre islam et démocratie ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Qu'est-ce que la démocratie ? Comment l'islam définit les systèmes de gouvernance ? Ce sont des questions extrêmement larges. Est-ce qu'aujourd'hui, en France, nous sommes dans une démocratie, fondamentalement ? Les derniers événements nous ont montré que... Ce sont des questions qui me dépassent, il faut les poser à des personnes légitimes pour y répondre. Je n'ai pas de légitimité. Mais pour moi, évidemment, il n'y a pas à couper les cheveux en quatre.

     

    Quel est réellement l'objectif de Fils de France ? Est-ce uniquement un groupe de discussion ou est-ce qu'à terme il y a des projets, des actions sociales, politiques ou autres ?

     

    La vocation de Fils de France est de permettre de faciliter le processus d'acculturation. C'est-à-dire le passage de la culture de nos parents à celle qui est la nôtre, et qui sera encore plus celle de nos enfants et petits-enfants. C’est  désenclaver la communauté musulmane. Participer à "dépolluer" les musulmans de la propagande de SOS Racisme des années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, qui consistait à systématiquement opérer une détestation de la France. C’est rationaliser notre idée au pays, vis-à-vis des musulmans. Et vis-à-vis des non-musulmans, c’est aller présenter au-delà des fantasmes ce qu'est la réalité très hétérogène des musulmans de France.

     

    Nous avons une double mission : celle de présenter, avec toute la modestie que cela impose, ce processus d'acculturation aux musulmans, en disant : « On nous a contaminé avec un certain nombre d'idées presque belliqueuses, depuis notre enfance, vis-à-vis du blanc catholique, etc… ». Et, dans le même temps, aller voir le blanc catholique et lui dire : « Attention, on est en train de polluer aussi votre cerveau avec des idées très arrêtées sur ce qu'est la réalité du fait hétérogène du musulman en France. » Notre mission fondamentale est de créer de l'apaisement, d'éviter la tension, d'essayer de réunir les français autour du bleu-blanc-rouge plutôt qu'autour du black-blanc-beur. C'est tenter de réunifier les français pour un vivre ensemble plus harmonieux et un pays plus fort. Parce que nous sommes patriotes. Nous n'avons pas du tout de projet politique.

     

    Qu'est-ce que l'acculturation?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Le "a" n'est pas un "a" privatif quand nous parlons d'acculturation. C'est le passage d'une culture à une autre. L'acculturation est le fait qu'une minorité, après une vague migratoire, adopte les codes culturels de la majorité. Si nos parents ont vécu ─ et c’est le cas pour beaucoup d'entre nous à Fils de France ─ dans la campagne maghrébine, il est clair et évident que les notions culturelles, les notions de coutumes, de traditions, ne sont pas les mêmes dans la campagne maghrébine que dans la campagne berrichonne. Nos parents sont culturellement situés, et nous, nous le sommes différemment. Nos enfants et nos petits-enfants le seront encore différemment. Tout cela va dans un sens qui est le fait du passage de la culture de nos parents vers la culture qui sera celle de nos enfants et de nos petits-enfants et arrière-petits-enfants.

     

    Acculturation n'est pas la privation de la culture. C'est le passage d'une culture vers une autre sans altérer la transmission de la religion. C'est en cela que nous distinguons parfaitement le culte de la culture. S'acculturer ce n'est pas se dé-islamiser. Se séculariser ce n'est pas se dé-islamiser. Se laïciser ce n'est pas se dé-islamiser. C'est simplement adopter les codes d'interaction coutumiers, traditionnels, culturels de cet ensemble riche qu'est la France. Le problème est que cette acculturation se vit d'une minorité vis-à-vis d’une majorité à l'intérieur de nos murs. Et la France elle-même vit un processus d'acculturation, par l'impérialisme culturel américain qui transforme les traditions culturelles françaises. Je le disais l'autre jour à l'Action Française : il faut savoir que dans le plan Marshall, lorsque les États-Unis aident l'Europe à se reconstruire, et notamment la France, les quatre cinquième de l'aide sont un don. Il n'y a pas de retour. Mais est compris dans cette aide le fait d'accepter, sans condition aucune, la production cinématographique hollywoodienne. En effet, il y a une difficulté, ou des résistances de la minorité vis-à-vis de la majorité, à l'intérieur d'un pays. Parce que ce même pays connaît lui-même une perturbation identitaire, culturelle d'acculturation à une mondialisation qui perturbe. Je ne suis pas très vieux mais la France de mon enfance ne ressemble pas à celle d'aujourd'hui. C'est allé extrêmement vite.

     

    Et cela ne va pas dans le sens de l'identité française. Mais dans le sens de l'hégémonie américaine qui transforme notre environnement.

     

    Je me sens profondément française, mais aussi profondément algérienne, puisque je suis née en Algérie. Peut-on se penser seulement "français" ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Á Fils de France, nous ne sommes pas dans une logique binaire. Nous ne sommes pas en train de dire : « Transformez-vous maintenant, nous sommes purement français et totalement amnésiques de nos racines, etc… ». Pas du tout. Il est hyper important que les musulmans issus de l'immigration connaissent leurs origines, leurs racines, et qu’ils connaissent la possibilité de se rendre dans leur pays d'origine pour aller honorer la tombe de leurs aïeux. Il est important qu'ils transmettent à leurs enfants la mémoire de leur pays d'origine. Mais pas de manière fantasmée, pas de manière agressive et identitaire au sens de repli sur soi. Mais dans un apaisement généralisé.

     

    Par exemple, à Paris vous avez une communauté aveyronnaise extrêmement importante qui au XIXème siècle a immigré et est devenue tenancière des cafés. Les cafés à Paris sont tenus par des Auvergnats, des Aveyronnais et des Kabyles, généralement. Maintenant cela a changé : les chinois ont racheté. Il est tout à fait souhaitable que ces aveyronnais retournent en Aveyron se revivifier et maintiennent, malgré la sur-urbanité parisienne, la filiation culturelle de l'Aveyron. C'est tout à fait souhaitable. Ce que je dis tout le temps, c'est de regarder dans le rétroviseur lorsqu'on conduit. C'est hyper utile. Vous avez besoin de regarder dans votre rétroviseur. Regarder derrière assure votre sécurité. Mais vous ne pouvez pas rester braqué sur votre rétroviseur, sinon vous allez faire un accident. Vous regardez devant vous, vous regardez loin devant vous. Á Fils de France nous regardons loin devant nous. Et c'est parce que nous regardons loin devant que nous arrivons à dépassionner les questions immédiates. Et parce que nous regardons dans le rétroviseur, nous avons un développement que nous trouvons sain. Nous regardons vers le futur, mais sans oublier d'où nous venons.

     

    C'est extrêmement important sinon vous êtes schizophrène.

     

    Mais c'est quand même quelque chose d'assez compliqué de gérer deux cultures ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Oui, parce que nous sommes une génération charnière. Ce problème-là sera moins important pour vos enfants et vos petits-enfants. Nous sommes une génération très "entre-deux". Bien sûr, ce n'est pas facile.

     

    Quelle devrait-être la position d'un français musulman vis-à-vis d'Alain Soral et de Dieudonné ?

     

    La position d'un français musulman, pour moi, cela ne veut rien dire. Être français et musulman ne détermine pas son opinion dans le champ politique. On peut être musulman et être pour l'euro, être musulman et contre l'Euro ; on peut être musulman et apprécier les arts contemporains et être musulman et préférer le classicisme du XVIIIème siècle. Ce n’est pas déterminant.

     

    Concernant Alain Soral et Dieudonné : ils ont en ce moment beaucoup de souffrance, puisqu'ils sont attaqués de toutes parts. Le système se révèle dans son agressivité la plus visible, la plus violente. Mais je crois aussi que cela a créé des solidarités qui ont renforcé leur manière d'être et a eu l'effet de les faire connaître à des gens qui ne les connaissaient pas. Il n'y a pas eu seulement de la perte pour eux, à ce niveau-là.

     

    Quelle est la position de Fils de France par rapport aux JRE (Journée de Retrait de l'École) ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je suis un des porte-parole de la Manif Pour Tous. D'ailleurs, j'espère qu'après demain, tout le monde dans cette salle sera Place Bellecour pour soutenir un tas d'oppositions à des horreurs que le gouvernement nous prépare. Ne comptez pas en disant : « Il y a aura du monde, je n'ai pas besoin d'y aller ». Tout au contraire, non seulement il faut que vous y alliez, mais en plus que vous alliez chercher des gens qui n'étaient pas disposés à y aller, pour vous y accompagner. C'est extrêmement important. Il ne faut pas que le gouvernement sente un essoufflement dans ce mouvement de contestation à la Loi Taubira. Concernant les JRE, nous à la Manif Pour Tous, avons choisi une manière plus "soft" de travailler. Il se trouve que Farida Belghoul, en l’espace d’un mois, a fait avancer les choses plus que nous l'aurions fait, peut être, en dix ans. Elle a bossé impeccablement et on ne peut que la féliciter. D'ailleurs, j'ai eu l'occasion de lui envoyer un message de soutien et de félicitation. Après…  C'est très difficile pour moi, parce que j'appartiens à un mouvement qui a choisi objectivement d'être dans des choses moins radicales, moins subversives. En même temps, je vois la démarche de Farida Belghoul comme étant un coup de génie.

     

    Je suis donc pris entre ma fidélité et ma loyauté à Ludovine de Larochère, la présidente de la Manif Pour Tous, et mon lien sympathique et amical envers Farida Belghoul.

     

    En ce moment le gouvernement veut interdire l'école à la maison. Qu'en pensez-vous ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Je ne sais pas si vous connaissez Anne Coffinier, une ancienne ambassadrice française, un des soutiens de la Manif Pour Tous qui a créé un mouvement très important qu'il faut aller voir : "Créer son école". Elle est dans une logique justement de dire que, si le gouvernement attaque les valeurs fondamentales de cette France catholique, traditionnelle, etc… par les horribles choses qu'on nous prépare, il ne s'agit pas de déscolariser mais au moins de pouvoir créer des écoles qui réuniront des enfants et des parents ayant envie de transmettre une éducation, une instruction qui soit différente. Elle a créé son site : créer-son-ecole.com. Une personne d'une intelligence rare.

     

    Tout à l'heure, vous parliez d'acculturation. Quelle est la différence entre assimilation et acculturation ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Intégration, assimilation… Les contours sont flous, on ne sait pas de quoi on parle. Parce que certains vont vous dire : « Intégrez-vous ! Pourquoi ne mangez-vous pas de porc ? », etc... L'intégration ou l'assimilation, dans la tête de certains, est la perte de l'identité religieuse, aussi. C'est pour cela que nous avons mis à l'honneur le mot "acculturation". Parce qu'il permettait de distinguer ce qui fait la religiosité de ce qui fait la culture. Sachant que la religiosité ou la religion musulmane elle-même, parce qu'elle est plastique, a possibilité de s'acculturer.

     

    Il y a une double acculturation. Celle de l'individu dans ce qui ne concerne pas son attachement au religieux. Et l'acculturation de la pratique religieuse qui, elle, englobe le fait de, plastiquement, composer avec un environnement nouveau. Nous ne sommes pas dans l'assimilation, nous ne sommes pas dans l'intégration. Ou alors si Fils de France parle d'assimilation ou d'intégration, il s’agit d'assimilation sociale. L'assimilation sociale ou l'intégration sociale étant le préalable pour le processus d'acculturation. Si vous êtes marginal dans l'école, dans le travail et dans le logement, il y a quasiment une impossibilité de pouvoir passer à la culture majoritaire. Parce que si vous vivez dans un ensemble où, constamment, des vagues migratoires supérieures s'ajoutent d'années en années ; où les codes d'interaction, de communication, le droit coutumier s'inscrivant dans ces zones sont presque refermés sur eux-mêmes… vous êtes coupé des codes de la majorité de la culture française. Évidemment, si on est mal logé, mal scolarisé et mal embauché, vous avez trois points majeurs qui bloquent l'assimilation ou l'intégration sociale.

     

    Á partir du moment où vous êtes dans un quartier relativement ouvert, dans une école où les fils d'immigrés ne sont pas ultra majoritaires ; à partir du moment où vous êtes dans un travail où vous côtoyez la France et les vieux français de souche, vous avez trois points majeurs qui font que vous allez entrer en interaction normale et adopter les codes de la majorité par les frottements avec elle. Je suis très surpris, par exemple, quand je vais à Marseille, de voir de jeunes enfants de troisième ou quatrième génération parler quasiment le dialecte algérois. En fait, Marseille étant un port, vous avez sans cesse des vagues migratoires qui font que les codes, et même les codes de langage de certains ensembles urbains, sont davantage marqués par le sud de la méditerranée que par le provençal.

     

    Ne pensez-vous pas que le voile serait une limite à cette acculturation ?

     

    http://www.filsdefrance.fr/Le fait qu'une musulmane souhaite couvrir ses cheveux peut se faire avec un béret, un chapeau, un bonnet, une casquette… avec ce qu'on veut. Si vous limitez le fait qu'une musulmane doive couvrir ses cheveux avec un voile, vous avez un signe exogène, un signe d'habillement qui n'est pas dans la tradition française et qui va être remarqué dans l'espace public. Si la femme musulmane choisit dans son attitude (parce que ce qui est demandé finalement c'est davantage la pudeur…) de couvrir ses cheveux avec un couvre-chef qui fait partie de la culture locale, cela deviendra totalement invisible.

     

    [L'Abbé de Tanoüarn est traditionnaliste et a des positions très islamo-sceptiques. J'utilise très volontairement un euphémisme. En une heure  et demie de discussion, on ne pouvait pas être fécond. La capacité intellectuelle des deux intervenants a été bridée par la limite du temps.]1

     

    Il y a un monastère, le monastère de Sainte Catherine, au pied du Mont Sinaï, au sein duquel est conservée une lettre du prophète, une lettre d'allégeance où le prophète dit clairement que les chrétiens sont sous notre protection, qu'on ne cherche pas à leur nuire, ni à les convertir, etc… C'est vraiment une lettre qui est intéressante à lire pour un chrétien pour comprendre l'engagement islamique envers le christianisme.

     

    http://www.filsdefrance.fr/Tout à fait. C'est aux musulmans de France, je pense, de remettre au goût du jour l'ensemble des sagesses liées à l'interreligieux qui sont dans nos mains, et que l'on ne montre pas assez...

     

    Je pense que nous avons fait le tour, merci chers amis.

     

     

     

    1 Se réfère au débat islamo-chrétien entre Guillaume de Tanoüarn et Tareq Oubrou organisé par Fils de France le 9 décembre 2013 : « Catholiques et musulmans, partenaires ou adversaires ? ».

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  • La critique du nihilisme contemporain serait très maladroite si elle s’appuyait sur le lexique des valeurs

    FX Bellamy Photo.jpgLa société contemporaine ne se reconnaît pas comme une société nihiliste. Nous ne cessons de rapporter nos comportements politiques, sociaux, et même économiques, à des postulats éthiques : comme individus, comme citoyens, comme consommateurs, nous voudrions agir en fonction de nos valeurs, au point que le vocabulaire des valeurs a littéralement envahi le débat public. Rien ne semble plus indiscutable que l’importance des valeurs ; certaines sont contingentes – les instituts de sondage distingueront les « valeurs de droite » des « valeurs de gauche » ; de quelques autres, au contraire, on voudrait qu’elles soient unanimement partagées : ainsi des « valeurs de la République », par exemple. Le discours de la défense des valeurs, qu’il soit partisan ou universaliste, donne aux discussions politiques, médiatiques et intellectuelles, une tonalité dogmatique bien paradoxale pour notre société.

    Paradoxale, parce que notre époque est en même temps celle du pouvoir absolu de l’ironie. La post-modernité se conçoit comme l’heure du crépuscule de toutes les idoles ; rien ne doit tenir en place de ce qui pourrait nous surplomber. Rien de certain, de sérieux ou de sacré ne saurait être épargné par la corrosion libératrice de l’universelle parodie. La responsabilité politique est dévaluée, la fonction enseignante déclassée, le modèle familial traditionnel dépassé ; tout ce qui pouvait faire fonction d’autorité se trouve progressivement disqualifié. La figure même de l’intellectuel a perdu sa légitimité ; la fonction critique est désormais assumée par l’univers du divertissement, le seul qui puisse encore produire des idoles. La dérision générale s’exerce en particulier sur la religion comme un signe de contradiction posé face à l’affirmation de nos libertés – et en particulier sur la religion catholique, considérée comme la plus dangereuse de toutes puisqu’elle a si longtemps marqué de son emprise une culture que nous voudrions voir enfin laïcisée. Tous les colosses de l’ancien temps sont donc peu à peu abattus ; de performances en pièces de théâtre, de plateaux de télévision en vidéos de grande diffusion, les acteurs médiatiques dissolvent tout ce qui semble encore tenir trop fermement. Rien ne doit rester intouchable, rien ne doit échapper aux coups de marteau que prodigue avec persévérance cette ironie qui ne rit pas.

    Dans cette perspective, l’incantation des valeurs apparaît pour ce qu’elle est : un symptôme. Elle est simplement l’expression de notre peur du vide. La destruction jubilatoire des figures de l’autorité s’opère en effet au nom de notre liberté – une liberté qui ne se déploie plus dans un monde balisé, repéré, mais dans l’espace indéfini, sans bornes, où l’individu  contemporain, débarrassé des normes dont il héritait, évolue à présent. Cette expérience originaire, que nous avons recherchée avec tant d’ardeur, nous fascine et nous terrifie. L’ironie supprime toutes les limites qui s’imposaient à notre désir, mais par là elle nous rend incapables de rien désirer vraiment. C’est exactement cette situation que Hans Jonas décrit dans Le Principe responsabilité : « Nous frissonnons dans le dénuement d’un nihilisme dans lequel le plus grand des pouvoirs s’accouple avec le plus grand vide, la plus grande capacité avec le plus petit savoir du à quoi bon. »

    Nous voilà libres, de cette liberté d’indifférence qui semble constituer, d’une certaine façon, le projet même de la modernité. Liberté d’indétermination, qui suppose d’affirmer l’indifférence du bien et du mal, et donc un relativisme impensable et impraticable, mais nécessaire à notre indépendance. Comme l’écrivait Descartes, dans une lettre célèbre au Père Mesland, « il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d’admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre libre arbitre. » Au nom de la liberté de l’individu, ne plus laisser une norme objective s’imposer à l’action ou à la raison : voilà, si tôt et déjà parfaitement exprimé, le principe du relativisme contemporain – ce qui le fonde, et ce qui l’explique. Car ainsi compris, le relativisme que nous partageons n’est pas sceptique : il est nihiliste.

    Il correspond en effet au culte du vouloir pour lui-même, du vouloir vide, indéterminé. Une volonté que rien ne précède, « volonté de puissance » ou, plus simplement encore, « volonté de volonté ». Pour la jeunesse européenne, ces expressions de Nietzsche et Heidegger trouvent leur effectuation concrète dans la « mondialisation de l’indifférence » dont le Pape François parlait à Lampedusa ; nos vies sont désormais inscrites dans l’universel marché où chacun peut faire ses choix, en fonction de ses ressources. Le culte individualiste de l’autodétermination a conduit à un mouvement d’ « économisation » du monde, structuré autour de la figure du consommateur : le marché est en effet le lieu du libre choix, qu’aucun jugement a priori ne précède et ne détermine. Tout y est commensurable, mesurable, relatif. Le marché n’admet pas de norme absolue – c’est d’ailleurs là le seul absolu qu’il défende : l’éviction de toute transcendance qui viendrait perturber l’espace du libre échange. Dans cette « économisation » du monde, tout devient affaire de transactions : les relations sociales, l’amour, les corps… Les récents débats de société révèlent bien ce mouvement progressif de dérégulation, la suppression des barrières héritées d’une culture de la transcendance au nom d’un espace accru de liberté, qui s’accompagne bientôt de sa traduction économique.

    Dans cette perspective, la rhétorique des valeurs n’est qu’un masque, qui voudrait dissimuler à nos propres yeux l’horizontalité totale de cette axiologie dont la fragilité, dans le relativisme universel, nous angoisse. Comme toutes les autres, les « valeurs de l’humanisme », ou les « valeurs de la République », n’ont aucun fondement dans l’absolu. La valeur est toujours le résultat d’une évaluation ; à l’intérieur du marché, tout prend une valeur – mais une valeur relative, dépendant des besoins du moment, des habitudes du passé et des calculs sur l’avenir. La valeur s’estime et s’ajuste, elle croît et décroît. Que le contexte évolue : le bien qui avait une valeur considérable peut, en un seul instant, ne plus rien valoir du tout. Et puisque, à l’intérieur du marché, rien n’a de valeur absolue, on peut dire en fait que rien ne vaut rien.

    La critique de ce nihilisme contemporain serait donc très maladroite si elle s’appuyait à son tour sur le lexique des valeurs. Qu’elle vienne de la philosophie, de la politique ou de la religion, la « défense des valeurs » signe d’une certaine façon la victoire ultime de ce relativisme contre lequel elle prétend s’armer. À titre personnel, je refuse l’idée de m’engager pour promouvoir « mes valeurs »: notre société ne sera sauvée du nihilisme inassumé qui la caractérise que par une parole qui assume le caractère non relatif des buts auxquels elle tend. Je voudrais parler et écrire pour servir en vérité le bien et la justice dans le monde contemporain ; ce ne sont pas « mes » valeurs, mais ce à quoi aspirent nos consciences, et qu’il nous appartient de rechercher ensemble. C’est cette recherche de l’absolu qui peut seule, aujourd’hui, redonner à nos vies le sens qui les sauvera du désespoir, et à nos sociétés la possibilité du dialogue, d’où vient toute authentique relation.

    François-Xavier Bellamy

    In la Revue Esprit mars-avril 2014
    numéro spécial sur le nihilisme
      Logo Revue Esprit.jpg

     

     

     

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  • Des enfants endoctrinés par des théories féministes ne seront en rien demain des personnes libres, mais des esclaves…

    JP Delaume_Myard.jpg« Cher(e)s ami(e)s, depuis le début de mon engagement, je n’ai eu de cesse de répéter que je suis homosexuel et pas gay. Si je précise de nouveau cela, à l’occasion du bilan de notre grenelle de la Famille, c’est que cette distinction n’est en rien une subtilité linguistique de ma part. Elle revêt une réalité qui est la cause de ce qui s’est passé hier aux États-Unis, ce qui se passe aujourd’hui en France, et ce qui se passera demain dans toute l’Europe, contre la Famille. Le lobby gay est déterminé à détruire, et peut importe les moyens, les institutions du mariage et de la famille ; aidée en cela par certains lobby féministes, comme les femen, mais pas seulement.

    Après la loi Taubira pour le mariage entre personnes de même sexe voici que maintenant risque d’arriver les conséquences directes de celle-ci, la PMA et la GPA.

    Le désir d'enfant, et je le sais, est une réalité sincère et douloureuse, mais nous homosexuels, nous n’avons pas à demander, pour autant, à la société de bricoler quelque chose pour transformer cette réalité-là 

    Mais revenons un instant sur un des multiples mensonges de la loi Taubira. Je veux parler de l’adoption.

    Les couples hétérosexuels ont déjà bien du mal à pouvoir adopter un enfant. Il existe très peu de pupilles de la Nation qui le soient. Ces couples doivent alors se diriger la plupart du temps vers des pays d’Afrique ou d’Amérique Latine.

    Il est peut-être utile de rappeler que dans ces pays, leur convention rejette toute adoption par des parents de même sexe. Et aujourd’hui, certains d’entre eux ferment même leur frontière pour les couples hétérosexuels.

    L’enfant n’a pas à être traité comme un cobaye. Il n’a pas à s'adapter à une dictature « Homo-parentale ».

    Le gouvernement, à force de vouloir faire des lois et des concessions pour le lobby gay, fait de l’apartheid non seulement vis-à-vis des autres citoyens, mais plus encore vis-à-vis des homosexuels eux-mêmes. Et je dis bien de l’apartheid, c’est-à-dire une politique ultra-minoritaire et communautariste à l’encontre d’une majorité de Français.

    Pour faire croire qu’un homme avec un homme ou une femme avec une femme pouvait avoir un enfant, on nous impose l’idéologie du genre. On nous dit mensonge lorsqu’on l’évoque.

    Nous avons beau brandir « Papa porte une robe », « Tango a deux papas » ou bien encore « Jean a deux mamans », on nous dit que nous sommes d’affreux réactionnaires.

    N’ayons pas peur de dire haut et fort que des enfants endoctrinés par des théories féministes ne seront en rien demain des personnes libres, mais des esclaves bien plus que le machisme qu’elles sont censées combattre.

    Une Nation construite ainsi ne pourra adhérer qu’aux idées les plus ridicules et les plus aberrantes et cela avec la même servilité.

    J’aimerais faire une comparaison hasardeuse, mais en réalité je ne le pense pas.

    Le 4 décembre 2013, la majorité a adopté une loi pénalisant les clients de prostitués.

    Si la GPA passe au détour de la PMA, est-ce que le fait de se servir du corps d’une femme contre rémunération ne sera-t-il pas considéré comme un acte du coup répréhensible par la loi ?

    Ce n’est pas seulement moi qui m’interroge ainsi, mais la ministre des droits de la femme elle-même quand elle a dit devant l’Assemblée nationale, je cite :

    JP Delaume-Myard 2.jpg« La détresse de l’un ne se soigne pas par l’exploitation de la détresse de l’autre. Elle n’est jamais une justification… Depuis quand notre pays admettrait-il que la liberté aille au-delà de ce qui ne nuit pas à autrui ? Depuis quand privilégierions une souffrance par rapport à une autre ? Depuis quand le corps humain devrait-il être assimilé à un médicament ? Depuis quand se soignerait-on aux dépens d’une autre personne. »

    Pour une fois, vous avez raison Madame la Ministre.

    Enfin, pour conclure, je voudrais dire comme je l’avais déjà dit, il y a un an à la même date à Tours, il est quand même incroyable qu’en ce 8 mars, journée de la Femme, que cela soit un homme qui plus est homosexuel qui défende l’intégrité de la Femme.

    Lorsque je vois que ce sont des femmes elles-mêmes qui veulent exploiter la misère d’autres femmes, je me dis dans quel monde vit-on ? Femmes réveillez-vous ! Indignez-vous comme aurait dit Stéphane Heissel. »

     

    Jean-Pier Delaume-Myard
    Porte-Parole de La Manif Pour Tous

    Grenelle de la Famille
    8 mars 2014
    Mutualité de Paris

     

     

     

     

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    Comment une Secrétaire d’État m’a demandé de me taire 

    Par Jean-Pier Delaume-Myard, porte-parole national de La Manif Pour Tous, auteur de "HOMOSEXUEL contre le mariage pour tous"

     

    Le 28 avril 2014, la Secrétaire d’État à la Famille et aux Personnes âgées, Laurence Rossignol, a reçu une délégation de La Manif Pour Tous, dans le cadre de ses rencontres avec des associations familiales ou des mouvements citoyens. Une rencontre que nous avions réclamée de longue date et que la Ministre en charge de ce dossier du précédent gouvernement avait toujours refusé.


    Comme le 25 janvier 2013, lors de l’entrevue avec Monsieur le Président de la République, je faisais partie de la délégation, mais j’ai été reçu, cette fois-ci, beaucoup moins courtoisement, la Secrétaire d’État m’a demandé purement et simplement de me taire.

    La délégation autour de Ludovine de la Rochère, Présidente, était composée de quatre personnes, Jérôme Brunet, Porte-parole de L’Appel des professionnels de l’enfance et de La Manif Pour Tous, Albéric Dumont, Coordinateur général de La Manif Pour Tous, Anne-Claude Venot, porte-parole des Adoptés pour l’enfance, mouvement du collectif de La Manif Pour Tous et de moi-même.

    Avant la conclusion de Ludovine de la Rochère, je fus le dernier à prendre la parole.

    J’eus à peine le temps de commencer de donner mon point de vue : « Je représente de nombreux homosexuels - hommes et femmes, qui sont contre la loi qui a ouvert le mariage entre personnes de même sexe. En leurs noms, je vous remercie de me recevoir car nous avons eu, jusqu’ici, l’impression que l’on nous volait notre voix. 

    Madame la Ministre vous avez appelé à l’apaisement. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

    Cependant, dès le mois de mai, débuteront dans toute la France, les gay pride 2014. Et je m’en inquiète fortement en tant que porte-parole de La Manif Pour Tous, mais aussi en tant qu’homosexuel.

    Je m’en inquiète en tant que porte-parole de la Manif Pour Tous car je ne voudrai pas que vous écoutiez les sirènes de la LGBT qui vont, réclamer, à cors et à cris, à cette occasion, l’obtention de la PMA et ses dérives directes, la GPA. »

    Paradoxalement, alors que je l’avais remercié, quelques instants plus tôt, de nous donner (nous homosexuels) la parole que la Secrétaire d’État me demandait si « je souhaitais vraiment poursuivre ». 

    Pour Madame Rossignol, il n’était pas question de revenir sur la loi Taubira. En outre, elle-même, ainsi que le Premier Ministre et Madame Marisol Touraine, ministre des Affaires Sociales et de la Santé, avaient été très claires, « il n’y aura pas de PMA sous cette mandature et pas plus d’amendement » de qui que se soit ; pas plus de madame Esther Benbassa, Sénatrice EELV, qui pour la Secrétaire d’État lorsqu’on lui a fait part de notre inquiétude quant à son souhait de déposer un article, nous a affirmé qu’ « elle était seule à avoir cette position ».

    Lorsque je retentai de prendre la parole pour indiquer que « des associations gays comme l'Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens » souhaitaient la « voir reprendre l'accès à la PMA à toutes les femmes, en couples ou célibataire, le statut du beau-parent, la reconnaissance de la pluriparentalité, et la reconnaissance des états civils étrangers des enfants nés par GPA. » 

    Que je poursuivis, en rappelant que « la circulaire Taubira » inquiétait « également La Manif Pour Tous. Cette circulaire signifie la régularisation, en France, d'enfants qui seraient nés, entre guillemets, illégalement. Mais, Madame la Ministre comme vous le savez tout enfant-né, par exemple, sur le sol américain est américain. Cette circulaire introduit en réalité un premier pas vers la légalisation de la GPA et la mercantilisation de l'enfant ce qui est pour nous totalement insupportable. »

    La Secrétaire d’État a affirmée, alors que cette circulaire fait actuellement l’objet, depuis plusieurs mois, d’un recours devant le Conseil d’État, qu’elle « faisait partie à part entière de la Loi Taubira ».

    Puis, elle ignora la suite de mes propos souhaitant aborder les futures propositions de la Loi Famille dont la première devrait passer dès le mois de mai en commission des lois.

    Alors que la Secrétaire d’État demande l'apaisement avec les associations contre le mariage homosexuel, elle commence fort mal, du moins avec un des représentants homosexuels.

    On verra bien, si Madame Rossignol demandera à la LGBT de se taire sur la PMA, on verra bien si Madame Rossignol demandera à Madame Esther Benbassa, Sénatrice EELV, de se taire au Sénat.

    Si le gouvernement ne veut plus attendre parler de la Loi Taubira et de la PMA, pourquoi alors ne demande-t-il pas au Comité Consultatif National d’Éthique de se dessaisir de la demande du Président de la République de donner un avis sur la PMA ? Pourquoi ne demande-t-il pas à Madame Taubira de retirer sa circulaire qui introduit une suspicion quant à la GPA ?

    Enfin, si la Secrétaire d’État ne souhaite plus que soit abordé la question de la PMA, condition très clairement sine qua non pour être de nouveau reçu, pourquoi laisser alors l’adoption dans la loi ouvrant le mariage pour personnes de même sexe, puisque tout le monde sait que l’adoption pour des couples homosexuels est pratiquement impossible, la majorité des conventions des pays autorisant l’adoption l’interdisant pour les homosexuels… il faudra, donc, bien qu’un jour ou l’autre, face à la pression des associations gays ce gouvernement traite de nouveau la question de la PMA.

    Pour l’heure, circulez il n’y a rien à voir. Taisez-vous, Jean-Pier… Delaume-Myard.

     

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  • Fabrice Hadjadj #Grenelle de la Famille - 8 mars - Mutualité

    fabrice hadjadj,éducation,transmission,vulnérabilité  

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    « Qu’est-ce qu’une famille ? On peut s’étonner que nous soyons ici, ensemble, à poser cette question, et certains ne manqueront pas de croire que notre démarche ne pourra que conduire soit au ressassement de choses banales, soit à la complication de choses simples. Nous n’aurions pas d’autre alternative, avec une telle question, que d’enfoncer des portes ouvertes ou de couper les cheveux en quatre.

    En même temps, on le devine, les premières évidences se cachent toujours dans leur lumière. Ce n’est pas seulement comme le nez au milieu de ma figure, trop proche pour être vu ; ni comme le paysage cent fois retraversé, tellement connu qu’il s’efface. C’est surtout comme une source qui éclaire et fonde les autres choses, mais qui ne peut pas, dès lors, être elle-même fondée ni éclairée. Devant cette source, nous sommes semblables à des oiseaux de nuit qui voudraient regarder le soleil en face.

    Nous provenons tous d’une famille, nous commençons tous avec un nom de famille, nous avons tous eu une certaine famille pour berceau. La famille est un fondement. Or, si elle est un fondement, on ne saurait « fonder la famille ». Si elle se situe au principe de nos vies concrètes, il devient impossible de la justifier ou de l’expliquer, parce qu’il faudrait recourir à un principe antérieur, et la famille ne serait plus qu’une réalité secondaire et dérivée, non pas une matrice. Les théoriciens qui voudraient que la première communauté humaine fût issue d’un contrat passé entre individus asexués et solitaires, déclarent eux-mêmes qu’il s’agit là d’une fiction, d’une hypothèse de travail, et non d’une réalité[1]. Il n’y a pas, au niveau humain, de principe antérieur à la famille. On ne peut donc pas l’expliquer ni la justifier, on peut seulement expliciter sa présence qui nous devance toujours.

    Et c’est pourquoi ceux qui attaquent la famille dans son évidence sont si difficiles à contester. Expliquer que l’homme descend du singe est plus facile que d’expliquer qu’un enfant descend d’un homme et d’une femme, parce que dans le premier cas, la thèse réclame effectivement des explications, et même des explications nombreuses, alors que dans le second, il n’y rien à expliquer, il ne s’agit même pas d’une thèse, mais d’un donné absolument initial, comme l’existence du monde extérieur. Or comment prouver que le monde extérieur existe ? Comment montrer à quelqu’un que le soleil éclaire ?

     

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    Et pourtant le soleil manifeste les couleurs et, par là, indirectement, se manifeste. Et la famille, dont nous avons à parler, manifeste et se manifeste. On a beau contester, cela se manifeste. Et cela ne se manifeste pas que dans les rues, cela se manifeste en nous, dans nos culottes, si j’ose dire, qu’on le veuille ou non, cela se manifeste aussi bien à l’église que dans une soirée LGBT, cela se manifeste par la barbe d’un capucin aussi bien que par la poitrine d’une Femen. Pour que cela ne se manifeste plus, il faudrait être un ange.

    Cette manifestation est si irrésistible que nous assistons depuis quelques décennies, de la part de ceux-là même qui voulaient se débarrasser la famille, à un étrange retour du refoulé familial. Ceux qui dénonçaient la famille comme l’institution répressive et oppressive de base, veulent à présent faire de l’enfant le produit d’une manipulation génétique (puisque l’égalité réclame que deux femmes ou deux hommes puissent également en avoir avec leurs propres gamètes), ce qui est aller bien au-delà de l’oppression ou de la répression, puisque c’est courir vers une fabrication pur et simple, et faire despotiquement de l’enfant, l’objet d’un planning, la réalisation d’un fantasme, et plus encore un cobaye de laboratoire. Cette contradiction prouve qu’on ne peut déconstruire le naturel, mais seulement construire à côté son simulacre, comme on ne fabrique une intelligence artificielle que d’après le peu que l’on a compris de l’intelligence humaine.  

     

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    Qu’est-ce donc qu’une famille ? Les gens les mieux intentionnés à son égard insistent sur certains éléments de définition. J’en retiendrai trois : 1° La famille est d’abord le lieu du premier amour. Il est fondamental que les parents s’aiment et que l’enfant soit aimé, sans quoi la famille ne peut que se dessécher ou se décomposer. 2° La famille est le lieu de la première éducation. L’enfant y naît à partir d’un projet parental responsable, où l’on songe à son futur, à son édification, à sa qualification avec la plus grande compétence possible. 3° La famille humaine est aussi un lieu de respect des libertés. Les parents s’y sont unis par un contrat, et, à travers leur mission éducative, ils contribuent, non à renforcer la dépendance, mais à promouvoir l’autonomie de l’enfant.

    Nous insistons souvent sur ces caractéristiques, parce que nous songeons au bien de l’enfant. Mais ce faisant nous manquons l’essence de la famille, et, alors même que nous pensons la défendre, nous fourbissons les armes qui permettent de l’attaquer. À trop se préoccuper du bien de l’enfant, on oublie l’être de l’enfant. À trop s’attarder sur les devoirs des parents, on oublie l’être du père et de la mère. Les éléments que nous venons de proposer, amour, éducation, liberté, disent tout sauf l’essentiel, à savoir que les parents sont les parents, et l’enfant est leur enfant.

     

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    Et voilà le conséquence fatale : en prétendant fonder la famille parfaite sur l’amour, l’éducation et la liberté, ce qu’on fonde, en vérité, ce n’est pas la perfection de la famille, mais l’excellence de l’orphelinat. Cela ne fait aucun doute : dans un excellent orphelinat, on aime les enfants, on les éduque, on respecte leur personne. On y est même en quelque sorte dans la plénitude du projet parental, puisque prendre soin des enfants est le projet constitutif d’une telle entreprise.

    Ne considérer la famille qu’à partir de l’amour, de l’éducation et de la liberté, la fonder sur le bien de l’enfant en tant qu’individu et non en tant qu’enfant, et sur les devoirs des parents en tant qu’éducateur et non en tant que parents, c’est proposer une famille déjà défamilialisée. Car on pourra toujours vous dire qu’un père et une mère peuvent être moins aimants, moins compétents et moins respectueux que deux hommes ou deux femmes, et certainement moins efficace que toute une organisation composée des meilleurs spécialistes. Cette organisation d’individus compétents pourra passer pour la meilleure des familles, et la meilleure des familles s’identifiera au meilleur des orphelinats.

     

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    Pourquoi manquons-nous si facilement l’essence de la famille ? Parce que le principe de la famille est trop élémentaire, trop humble, trop animal en apparence, et donc honteux (ne parle-t-on pas de « parties honteuses » ?). Vous avez compris, le principe de la famille est dans le sexe. Même quand il s’agit d’une famille adoptive, même quand il s’agit d’une famille spirituelle, où le père est un père abbé, et les frères sont des moines, les pures et hautes dénominations qu’on emploie viennent d’abord de la sexualité. Les noms du père et du fils s’énoncent à partir de ce fondement sensible qui est notre fécondité charnelle.

    C’est parce qu’un homme a connu une femme, et que de leur étreinte, par surabondance, ont jailli des enfants, qu’il y a ces noms de famille, ces noms de père, de mère, de fils, de fille, de sœurs et de frères. Le mot qui achève la devise républicaine : « fraternité » procède lui-même du sexe et de la famille naturelle. Quant aux fameuses théories du genre, qui croient pouvoir affirmer que la masculinité et la féminité ne sont que des constructions sociales, elles s’appuient elle aussi sur la différence des sexes, sans lesquels l’idée même du masculin ou du féminin ne nous viendrait pas à l’esprit.

     

    La famille est donc d’abord le lieu où s’articulent la différence des sexes et la différence des générations, ainsi que la différence de ces deux différences. La différence des sexes, à partir de la fécondité propre à leur union, engendre la différence des générations, et cette différence des générations n’a rien d’analogue avec la différence des sexes. L’interdit fondamental de l’inceste nous le signal, mais aussi le fait que lorsque l’homme s’unit à sa femme, il ne cherche pas d’abord à avoir un enfant, il cherche d’abord à s’unir à sa femme, et l’enfant advient, comme un surcroît.

    La famille noue ainsi cinq types de liens : conjugal (de l’homme et de la femme), filial (des parents aux enfants), fraternel (des parents entre eux), à quoi s’ajoutent deux autres que l’on oublie souvent, et qui sont pourtant décisif pour l’inscription historique et déjà politique de la famille. D’abord, le lien des grands-parents aux petits-enfants, qui permet de tempérer l’influence des parents, et d’ouvrir le temps de la famille à celui de la tradition[2]. Il y a encore un cinquième type de lien que tend à occulter l’idéal du couple mais que ne manque pas de rappeler la belle-mère, je veux parler du lien avec la belle-famille – ce que l’on pourrait appeler la « théorie du gendre ». Avec lui, l’alliance conjugale se double d’une alliance pour ainsi dire tribale, et ouvre l’espace de la famille à celui de la société.

    Or la particularité de ces liens familiaux, c’est qu’ils ne se fondent pas d’abord sur une décision, mais sur un désir, c’est qu’ils ne viennent pas d’abord d’une convention, mais d’un élan naturel. Bien sûr, le désir doit y être assumé dans la décision (ou plutôt le consentement), et la nature s’y déploie à travers des aspects conventionnels. Mais il y va d’abord de quelque chose qui nous traverse, une donation, qui vient de l’autre et va à l’autre, et donc dépasse nos calculs. Cela nous emporte plus loin que nous-mêmes, plus loin que nos projets individuels (qui peut former le projet d’avoir une belle-mère ?), parce que cela nous ouvre à l’autre sexe et à l’autre génération, parce que cela nous intéresse à un temps qui n’est déjà plus le nôtre.

     

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    Disons-le simplement : aucun calcul ne peut avoir pour résultat une naissance. Personne ne peut se dire honnêtement : « Ça y est, je suis prêt, je suis assez mûr, assez compétent pour avoir un enfant, je sais parfaitement comme il faut s’y prendre pour en faire un homme accompli, j’ai le droit souverain de le faire venir au monde et d’être son maître. » Comment donc pourrions-nous avoir le droit d’élever un enfant, quand nous sommes nous-mêmes si bas, quand nous ne comprenons pas le mystère de la vie ?

    Il ne s’agit donc pas d’un droit, mais d’un fait. L’enfant advient selon un don de la nature, et de ce don nous ne sommes jamais vraiment dignes. Il est le surcroît d’un amour sexuel, et non le résultat d’une visée directe. Car aucune assurance humaine, technique ou morale, ne peut être légitimement à l’origine de sa venue. Si sa présence relevait de notre compétence, alors nous le dominerions absolument, il serait un rouage dans un dispositif, une étape dans un projet, et non l’événement de la vie qui commence et toujours nous dépasse. Lorsqu’un enfant lance à ses parents : « Je n’ai pas choisi de naître », les parents peuvent toujours lui retourner la politesse : « Nous non plus, nous n’avons pas choisi, cela nous a été donné, et nous essayons de changer notre surprise en gratitude. »

     

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    Nous pouvons à présent reprendre les trois éléments dont nous avons parlé plus haut, l’amour, l’éducation, la liberté, et voir comment ils se spécifient au sein de la famille, à partir de cette donation qui nous dépasse.

    Première spécificité : l’amour familial est essentiellement un amour sans préférence. Il ne relève pas du choix ni de la comparaison. Cela vaut spécialement pour la relation entre les parents et les enfants. L’amour des parents et des enfants est fondé sur la filiation elle-même et non sur des affinités électives. On le sent très bien lorsque le père est un lecteur de Tite-Live tandis que le fils se consacre aux jeux vidéos. Jamais ils n’auraient songé à se trouver dans le même salon. Jamais ils n’auraient formé ensemble un club. Mais la famille est le contraire du club électif ou sélectif. Les liens du sang y brisent les chaînes du parti tout autant que les chaînettes du caprice.

    L’enfant est toujours tel que les parents ne l’auraient pas voulu, mais aussi tel qu’ils l’aiment, et donc qu’ils consentent inconditionnellement à l’accueillir. Les parents sont toujours tels que les enfants leur auraient préféré des héros de films, Charles Ingalls, par exemple, ou Yoda, mais aussi tels qu’ils les aiment, malgré tout, de cet amour constitutif, qui précéda leur propre conscience d’eux-mêmes, et donc tels qu’ils doivent inconditionnellement les honorer.

    La famille, c’est toujours l’amour du vieux con et du jeune abruti, et c’est cela qui la rend si admirable, c’est cela qui en fait l’école de la charité. La charité est l’amour surnaturel du prochain, celui qu’on n’a pas choisi et qui nous est de prime abord antipathique. Or les premiers prochains que l’on n’a pas choisis, et qui nous sont souvent insupportables, ce sont nos proches. 

     

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    Deuxième spécificité : dans la famille, le lien éducatif se fonde sur une autorité sans compétence. On n’attend pas d’être un bon père ou une bonne mère pour avoir un enfant. Sans quoi on attendrait toujours. La paternité vous tombe dessus, parce que le désir vous a tourné vers une femme. Quel rapport entre les deux ? La biologie y voit une continuité. Mais la phénoménologie, disons la lecture de l’expérience vécue, montre une disproportion radicale, sinon une rupture entre le désir érotique et l’accueil d’un enfant. La paternité n’est pas une anticipation. C’est la présence de l’enfant qui vous la donne, cette paternité, c’est lui qui vous en investit soudain, comme d’un costume trop grand.

    On peut comprendre, s’il en va ainsi, la réticence des fabricateurs du Meilleur des mondes : « En quoi celui qui a simplement couché avec une femme serait-il habilité à élever un enfant ? En quoi sa libido bestiale lui octroie-t-elle une quelconque compétence éducative ? » Cette réticence conduit fatalement au règne des incubateurs et des pédagogues, et à la mise au rebut des véritables parents. Le père est alors remplacé par l’expert, et la famille, par la firme professionnelle.

    Mais, dans la famille, il ne s’agit pas d’abord de projet d’éducation mais de réalité de la filiation. Ce n’est pas la compétence qui y fonde l’autorité. C’est l’autorité reçue, malgré ses faiblesses, qui se met par la suite en quête d’une certaine compétence, sans doute, mais qui possède aussi son efficacité propre quoique paradoxale. L’autorité sans compétence a une valeur en soi, et même une valeur sans prix. D’une part, le père y montre qu’il n’est pas le Père, avec une majuscule, qu’il est lui-même un fils, et donc qu’il doit avec son fils se tourner vers une autorité plus haute que la sienne. D’autre part, puisque son autorité ne vient pas d’une compétence, mais d’un don, le père ne peut pas faire de l’enfant sa créature, et essayer de le valoriser sur sa propre échelle de valeur : il doit l’accueillir comme un mystère. Et c’est cela l’autorité la plus profonde, qui se distingue de toute compétence fonctionnelle. Elle n’instruit pas l’enfant en vue de telle ou telle qualification particulière, elle lui manifeste le mystère de l’existence comme don reçu.

     

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    Enfin, troisième spécificité en droite ligne de celles qui précèdent : dans la famille s’exerce une liberté sans maîtrise, quelque chose, nous l’avons déjà vu, qui n’est pas la liberté d’indépendance ou de pure décision, mais une liberté de consentement à ce qui est donné. Le projet parental est vite brisé par l’aventure familiale. Car il s’agit bien d’une aventure, et non d’une projection. Toutes les tragédies antiques en témoignent, qui mettent toujours en scène des histoires de famille. Mais il y a aussi ce fait ordinaire qui appartient plutôt à la comédie selon Molière : le fils ou la fille n’ont de père et de mère que pour les quitter, fonder une autre famille, épouser un parti qui n’est souvent pas le meilleur aux yeux de leurs parents.

    La famille est toujours en excès sur elle-même, non seulement par le don de la naissance, mais aussi par les alliances extérieures dont elle procède et vers lesquelles elle va. Il y a votre belle-mère et puis il y a la belle-mère de votre propre fils, il y a cette extension de proche en proche qui, d’après Aristote, constitue le village puis la Cité.

    Cette liberté sans maîtrise, qui vous lance dans une aventure et même dans un drame, répond à des liens qui ne sont pas contractuels. On aimerait bien ne vivre que selon des contrats et pouvoir ajuster les rapports selon sa convenance, se dégager dès que ça sent la crise. Or, on peut changer d’associé, mais on ne peut pas changer d’enfant. Et l’on peut devenir copain avec un plus âgé que soi, mais on ne peut, sans fausseté, devenir le copain de son père. Comme la différence sexuelle empêche la fusion, la différence générationnelle interdit le nivellement. Il faut faire avec un ordre causal, une hiérarchie donnée, un patrimoine hérité, ce qui invite la liberté à s’ouvrir aux distinctions du réel, et à ne pas sombrer dans l’indifférenciation d’une prétendue toute-puissance.

     

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    Nous pouvons à présent approcher la famille dans le secret de son essence. Elle n’est pas une chose parmi d’autres, mais foyer, et non pas « foyer clos », mais foyer rayonnant. Un foyer, en peinture, n’est pas un objet qui apparaît dans une perspective, mais le point à partir duquel s’ouvre la perspective. Un foyer est aussi un feu, à savoir lumière et chaleur, et donc quelque chose qu’on n’éclaire pas avec autre chose, mais qui s’éclaire de lui-même, qui se manifeste de lui-même. Je veux dire par là que la famille, avant d’être un objet de pensée, est ce à partir de quoi nous nous sommes mis à penser. Souvent, on l’oublie, comme on oublie le sol, comme on ne voit pas ce qui nous tient et nous pousse en avant. À partir de cet oubli et de la fiction individualiste qui en découle, nous avons tendance à dissocier le logique et le généalogique. Nous posons l’homme comme individu doué de raison, et refusons de le reconnaître comme fils de ses pères. Or il est l’un avec l’autre. La tradition chrétienne nous le rappelle divinement. Pour elle, le Logos est le nom grec de la raison, mais c’est aussi le nom évangélique du Fils.

    Qu’est-ce donc qu’une famille ? On peut l’envisager à partir de ce que nous avons dit : la famille est le socle charnel de l’ouverture à la transcendance. La différence sexuelle, la différence générationnelle, et la différence des ceux deux différences, nous y apprennent à nous tourner vers l’autre en tant qu’autre. C’est le lieu du don et de la réception incalculable d’une vie qui se déploie avec nous mais aussi malgré nous, et qui nous jette toujours plus avant dans le mystère d’exister.

     

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    C’est comme ce premier lieu de l’existence qu’elle est aussi lieu de résistance. Résistance à l’idéologie, à la bien-pensance, à la programmation. La famille est la communauté originelle, donnée d’abord par nature et non seulement instituée par convention. Elle offre donc toujours, par son ancrage sexuel, un contrepoint à l’artifice, et ménage un espace pour ce qu’on peut appeler une vérification.

    L’homme public peut cultiver son image de façade, montrer son plus beau profil sur les réseaux sociaux, mais quel est son visage dans le privé, devant sa femme et ses enfants ? Le grand Hercule, qui a vaincu les monstres, se trouve minable devant Déjanire. Le jeune génie, qui perce sur les étalages, a honte d’être vu avec son papa et sa maman, lesquels attestent de son origine commune. La volonté de puissance est toujours contrariée par la proximité familiale. Et c’est pourquoi le totalitarisme aussi bien que le libéralisme, l’emprise technologique aussi bien que le fondamentalisme religieux, commencent toujours par mettre la famille sous tutelle, avant d’essayer de la détruire. »

     

    Fabrice Hadjadj

    Grenelle de la Famille

    8 mars 2014

    La Mutualité

     

    [1]Rousseau écrit dans l’introduction de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754) :« Commençons donc par écarter tous les faits. » Mais, au début du Contrat Social (I, 2), il ne peut s’empêcher d’admettre le fait fondamental : « La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. »

    [2] Je pense à l’usage grec de la papponymie : « Selon cette coutume, le fait pour un homme de prénommer son fils aîné du prénom de son propre père confirme à la fois et transcende que tout parent retrouve ses propres parents à travers ses enfants. La permutation symbolique implique au minimum la succession de trois générations pour fabriquer de l’humain institué » (Pierre Legendre, Filiation, Filiation. Leçon IV, Fayard, 1990, p. 62.)  

     

     

     

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  • L'islam et la France, un amour possible ?

    Conférence de Camel Bechikh, Président de Fils de France (Association Culturelle et Éducative des Musulmans de Moissy) à Moissy, en novembre 2013.
    Avec l'aimable autorisation de Camel Bechikh, La Vaillante reprend la retranscription réalisée par Fils de France de la vidéo postée en fin de ce message. Vous retrouverez les retranscriptions de ses interventions publiques sur la page Une raison d'espérance.

     

    camel bechikh,christianisme,foi,lmpt,conscience,théorie du genre,éducation,transmission« Merci à l'association de Moissy, d'inviter Fils de France. Comme le disait Selim, la position de Fils de France est un peu iconoclaste, parce que nouvelle dans le paysage islamique français. À Fils de France, nous faisons le pari de dire que non seulement il n'y a pas d'antagonisme entre l'identité musulmane et l'identité française, mais plus que ça, au-delà de la non-antinomie, il peut même y avoir une symbiose positive et épanouissante dans le fait que nous soyons de spiritualité musulmane et de nationalité française. Évidemment, le champ est un peu brouillé en ce moment car nous parlons plus d'islamophobie, qui devient presque le vecteur essentiel de notre perception à la France, or la France et l'islam ont une relation très ancienne depuis le Moyen-Âge, puisque, vous le savez peut-être, il y a eu ce qu'on appelait l’Émirat de Narbonne, où du VIIIème siècle au XIème siècle, les musulmans avaient administré un territoire propre des Pyrénées aux Alpes Maritimes d'aujourd'hui. Dans cet Émirat de Narbonne, les musulmans faisaient battre monnaie avec une face en caractère latin et une face en caractère arabe. C’est très intéressant car au VIIIème siècle, en plein Moyen-Âge, on aurait pu penser que cette présence musulmane aurait donné lieu à des combats incessants. Évidemment, au départ il y a eu des batailles pour occuper les territoires puisque le propre d'un peuple, d'une civilisation, c'est aussi l'expansion des territoires. Il y a eu la colonisation occidentale et bien avant il y a eu une colonisation européenne, byzantine, perse et évidemment arabo-musulmane. Tout cela est le B-A-BA de l'histoire des peuples.

    Camel Moissy 2.jpgJe voudrais prendre l'exemple de cet Émirat de Narbonne, un exemple que j'avais déjà donné au Bourget au Rassemblement Annuel des Musulmans de France il y a deux ans, pour expliquer que dans les années 60, on a fait des fouilles archéologiques à côté de la Cathédrale de Narbonne et lorsqu'on a fait ces fouilles archéologiques, on a découvert les fondations d'une mosquée. C'était la mosquée de l’Émirat. Étrangement cette mosquée, alors que les musulmans sont en situation de domination, n'est pas éloignée de l’Église mais elle est collée à l’Église. Déjà, d'une : l'église n'était pas détruite, cela n'est pas une révélation pour vous et moi, mais en plus les musulmans cherchent une certaine forme de proximité entre les deux lieux de culte. Si on fait l'analogie, la comparaison entre la forme architecturale de cette mosquée et celles qui sont construites en Afrique du Nord à la même période, on s'aperçoit que le minaret doit se trouver sur le mur mitoyen qui est le mur reliant les deux édifices, or sur ce mur mitoyen, on retrouve le clocher. Ce qui a fait dire aux archéologues qu'en situation de domination militaire, administrative, les musulmans n'ont pas détruit l'église, ils n'ont pas non plus construit la mosquée, l'édifice loin de l'église mais ils sont allés au-delà de cela, ils ont collé la mosquée à l'église, ils utilisaient en même temps que les chrétiens le clocher pour faire l'appel à la prière. Nous sommes au VIIIème siècle donc en termes d'exemple de cohabitation, je dirais que c'est assez éloquent. La France est une République laïque mais c'est un pays de confession catholique, de confession chrétienne. Son identité est principalement chrétienne et les valeurs du christianisme, du catholicisme sont de fait extrêmement proches de notre spiritualité musulmane.

    Camel Moissy 2.jpg

    Si on envisage le rapport entre les deux religions finalement, il ne peut être que vertueux. Je vous rappelle que le Prophète Muhammad (Paix et Bénédiction de Dieu sur lui) invite les primo musulmans à fuir Qoraïche, il les envoie sous la direction de Uthman Ibn 'Affan (que Dieu l'agréé) en Abyssinie auprès d'un roi chrétien juste comme l'appelle le Prophète (Paix et Bénédiction de Dieu sur lui). L'idée de départ est qu’entre le christianisme et l'islam il n'y a pas d'antinomie, même si quand, bien évidemment, les deux religions sont prises dans l'histoire, dans la politique, il peut y avoir des frictions, notamment les croisades. Mais si nous envisageons l'ensemble des rapports entre le catholicisme et l'islam depuis l'avènement de l'islam au VIIème siècle, on s'aperçoit qu'il y a d'avantage de rapports vertueux entre les deux spiritualités plutôt que des conflits. La France étant profondément chrétienne, il est de fait, de la part de ses valeurs profondes, pas d’antinomie, pas d'opposition possible entre notre foi et l'identité principale de la France qui est le christianisme. Cela est la première chose. Ensuite la France devient une république : du fait de la révolution de 1789 nous passons de la Monarchie à la République et la République ambitionne un projet nouveau qui s'appelle la sécularisation, c'est-à-dire qu'on sépare la religion et le pouvoir. Cela s'appelle aussi la laïcité. Cette laïcité, cette sécularisation, s'est beaucoup construite dans l'anticléricalisme, dans le fait d'être contre la religion. La République s'est construite en grande partie contre la religion, ce que je veux dire par là, c'est que lorsque nous, en tant que musulmans, nous arrivons près d'un siècle et demi plus tard en France et que nous connaissons des perturbations dans l'expression de notre foi dans l'espace public, il faut juste se rappeler que ce n'est pas complètement une situation qui vise les simples musulmans mais c'est une situation historique qui vise d'abord la religion. Je donne aussi cet exemple assez souvent qui est celui du mot "liberté" : le sens du mot "liberté" en France est « comment se défaire de la religion, comment se libérer de la religion ». Quand on prend le mot "liberté" aux États-Unis c'est exactement le contraire, c'est « pouvoir pratiquer librement sa religion ». Pourquoi ? Parce que l'Amérique s'est créée du fait des migrations des différents types de protestantismes persécutés par le catholicisme en Europe. Ces gens-là, à un moment, ont fui le catholicisme et se sont retrouvés en Amérique. Et leur principale préoccupation était la liberté religieuse. On a donc le même mot, mais de part et d'autre de l'Atlantique il a un sens inversé. Je vous dis tout ça, pourquoi ? Pour qu'en tant que musulmans français, nous ayons bien conscience que si parfois il y a des frictions entre notre identité musulmane et notre système français, ce n'est pas à destination unique de notre foi musulmane. C'est que nous sommes pris dans une histoire contemporaine qui s'est d'abord créée sur le fait de se séparer de la religion. En partant de là, on peut aussi considérer la laïcité comme une chance puisqu'elle permet de faire en sorte que l'ensemble des religions puissent cohabiter sans que les religions fortes prennent le pouvoir et ne domestiquent, ne persécutent les religions faibles. Je vous rappelle, comme je le disais tout à l'heure, que les protestants ont souffert de ces persécutions, que les athées ou que différentes congrégations à l'intérieur même du catholicisme ont souffert de ces persécutions. Par conséquent, à un moment donné, le législateur a initié un système de gouvernance nouveau qui était la laïcité et qui permettait à l'ensemble des religions de pouvoir cohabiter entre elles. Ceci dit, il faut distinguer trois types de laïcité : il y a la laïcité juridique qui, si elle était appliquée, ne poserait de problème à personne ; il y a la laïcité qu'on peut qualifier d'anthropologique qui est complètement intégrée dans les us et coutumes des gens, même les catholiques les plus pratiquants ont intégré le fait qu'il y ait la séparation du pouvoir et de la religion, de l’État et des Églises ; et la laïcité militante, c'est celle qui se situe dans le champ associatif et qui se construit de l'anti-religion. Il y a donc trois types, trois niveaux de laïcité. Quand en tant que musulman nous avons un souci de pratique religieuse, il est bon de savoir à quel canal nous avons à faire, de manière à ne pas commettre d'injustice, à ne pas mettre tout le monde dans le même panier. L'islam est une religion universelle, l'islam est né chez les arabes, révélé chez des tribus arabes qui avaient eux-mêmes leurs us et coutumes. Mais l'arabité de l'islam est un point de départ, ce n'est pas un point d'arrivée. Le point d'arrivée est de pouvoir proposer cette foi à des gens de différentes époques, de différentes cultures, qu'ils puissent l'accepter ou la rejeter. Je vais vous donner un exemple assez éloquent. Vous savez ce qu'est une société patriarcale ? Une société patriarcale est une société comme elles le sont généralement dans le pourtour méditerranéen, où les hommes ont le pouvoir, où les hommes sont au centre de la société et la plupart des ensembles culturels, la majorité, fonctionnent selon un mode patriarcal. La plupart des sociétés dans le monde, qu'elles soient industrielles ou traditionnelles fonctionnent sous un mode patriarcal où l'homme est au centre de la société et possède les pouvoirs.

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    Aujourd'hui, le plus grand ensemble ethnique au monde, huit millions d'individus, qui a conservé un système matriarcal où les femmes possèdent tous les pouvoirs, les biens, les terres et qui fait essentiellement hériter ses filles est une société musulmane que l'on trouve en Indonésie et qui s'appelle les Minangkabau. Pourquoi je vous dis cela ? C'est pour exprimer la plasticité de la religion musulmane. La religion musulmane est ferme dans sa 'Aquida, dans son dogme, l'Unicité de Dieu est indiscutable, le fait de croire aux anges, aux Livres, aux Prophètes, au Destin, ce sont des piliers de la Foi qui sont indiscutables. Les 'ibada, les adorations, le fait que nous prions cinq fois par jour, que nous jeûnons un mois dans l'année et que nous faisons une fois le Pèlerinage dans notre vie etc. sont des choses indiscutables mais aménageables, si nous sommes en voyage ou si nous sommes malades, bref vous connaissez bien ou mieux que moi ces choses-là. Et il y a une troisième partie que nous appelons el mu'amalat, les actions courantes du fait de la vie en société qui sont constamment en variance. C'est-à-dire que selon les sociétés que l'islam rencontre, il y a une capacité d'adaptation aux us et coutumes locales avec bien entendu la part d'éthique, de morale obligatoire dans ces actions courantes. Si par exemple, je fais un contrat, il y a des éléments stables dans le contrat qui sont l'honnêteté, la parole donnée, la véracité etc. Ensuite, la manière dont va se dérouler la transaction commerciale peut varier d'une culture à une autre. Donc l'islam encadre la troisième partie qu'on appelle el mou'amalat par ses principes moraux qui sont la justice, la véracité, la générosité, l'abnégation, le fait d'être magnanime etc. Toutes les qualités morales que le Prophète (Paix et Bénédiction de Dieu sur lui) portait en lui, il était rappelez-vous, « le Coran qui marchait » comme disait 'Aïcha (Que Dieu l'agréé), et toutes ces qualités morales doivent uniquement accompagner les us et coutumes des civilisations, des ensembles culturels que l'islam rencontre. Indéniablement, si on prend un sénégalais et si on prend un indonésien, ils mangent différemment, s'habillent différemment, ils pensent peut-être même différemment, mais si on les met dans une pièce l'un et l'autre, ils sauront tous les deux comment faire la Salat Dohr : il n'y en n’a pas un qui fera quatre unités de prière et l'autre trois unités mais tous deux savent que la prière de Dohr est de quatre unités. Ce que je veux dire par là est qu'il y a dans la religion musulmane des choses qui sont inscrites dans le marbre et il y a un ensemble de choses qui sont amenées à bouger. La célèbre parole d’Ibn Qayyim el Jawziya qui dit « l'avis juridique change selon l'époque, le lieu et l'individu », c'est-à-dire que pour une même question il peut y avoir une formulation différente de la part des savants. Et comment nous en sommes arrivés là ? C'est qu'il y a ce fameux hadith du Prophète (Paix et Bénédiction de Dieu sur lui) qui dit « Le Prophète était avec les compagnons et un homme est entré et lui a dit "Ô Prophète si je tue quelqu'un, est-ce que Dieu me pardonne ?", le Prophète lui a répondu "Non !". La personne est repartie et une autre entre et pose la même question au Prophète "Ô Prophète, si je tue quelqu'un, est-ce que Dieu me pardonne ?" et le Prophète de répondre "Oui !". Et les compagnons de s'étonner bien évidemment, " Ô Prophète, comment as-tu pu répondre différemment à une même question ?", le Prophète de répondre "le premier, je lui ai dit "non" car c'est quelqu'un qui partait pour tuer quelqu'un, qui avait l'intention de tuer quelqu'un, alors que le deuxième je lui ai dit "oui" parce qu'il cherchait à se repentir d'un acte qu'il avait commis dans le passé". » Ainsi à une même question, il peut y avoir une réponse différenciée. Ce que je veux dire par là est que notre situation aujourd'hui sociologique, historique, se situe dans une nouvelle réalité qui s'appelle la France, qui s'appelle l'Europe, qui s'appelle l'Occident. Si nous continuons à vouloir maintenir la culture maghrébine, je ne dis même pas arabe, je dis bien maghrébine et plein d'autres choses encore, dans un ensemble qui culturellement est homogène depuis quasiment deux mille ans, nous allons maintenir l'islam comme un corps étranger. Et nous serons toujours vus dans notre foi comme des étrangers parce que culturellement parlant, nous confondons la Foi musulmane qui est universelle, qui rencontre les cultures et s'y adapte et la maghrebinité qui fait qu'on peut être maghrébin musulman mais aussi maghrébin hindou, maghrébin bouddhiste et je ne sais quoi d'autre. Il est essentiel de situer, à chacun sa place, la notion de culte et la notion de culture. Et ce que nous disons nous à Fils de France, si notre culte est musulman, notre culture est française, un peu plus française que celle de nos parents qui eux étaient des primo-migrants, mais notre culture est un peu moins française que celle de nos enfants, qui sera un peu moins française que celle de nos petits-enfants, et moins française que celle de nos arrières petits-enfants et ainsi de suite, jusqu'à ce que nous arrivions à des générations de musulmans où ils ne se poseront même plus la question de savoir s’ils mettent des babouches ou pas des babouches. Pour eux, l'histoire de la babouche sera une chose complètement exotique. En revanche, le fait de prier cinq fois par jour demeure au-delà du temps, et au-delà de l'espace. Ce que je veux dire, ce n'est pas parce qu'on mange beaucoup de couscous qu'on est meilleur musulman, donc il y a des automatismes culturels qu'il va falloir penser pour les distinguer et ne pas les encombrer de la Foi musulmane. Parce que la Foi musulmane, de fait elle épouse, rencontre et s'adapte aux différents espaces qu'elle rencontre.

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    Donc pas d'antinomie profonde entre notre identité musulmane et l'identité profonde catholique de la France. Je ne sais pas si vous le savez mais la France est le seul pays au monde à avoir été sacré par l'Église. La France est le pays au monde à avoir le plus de Saints canonisés. Il y a des saints espagnols, des saints italiens, eh bien la France compte le plus de saints au monde canonisés par le Vatican. La France naît du Baptême de Clovis. Il y a une imprégnation profonde des valeurs catholiques avec l'identité française, même si aujourd'hui nous sommes dans une République laïque, qui distingue en termes de gouvernance l'Église et l’État. Hier, c'était la fête de la Toussaint, la Toussaint était férié pour l'ensemble des français. Si le calendrier français est rythmé par des fêtes catholiques et bien c'est parce que la France est un pays catholique.

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    D'ailleurs certains sociologues parlent de la France comme d’une catholaïcité. Si nous musulmans, nous n'envisageons pas le lieu de notre vie dans son histoire large et dans son identité large, nous passons à côté de tout. Si nous pensons que la France c'est TF1, la Star Academy et H&M, eh bien on n'a rien compris à cet espace culturellement extrêmement riche qui s'appelle la France. La France est construite sur des identités culturelles très fortes, Pays Basque, Bourgogne, Bretagne, Flandres, Auvergne, Ardennes etc. Donc avec des dialectes différents, avec des nourritures différentes, avec des façons de s'habiller différentes qui sont en train d'être complètement éradiquées par la mondialisation. Mais la beauté d'un pays finalement, c'est sa diversité. Dieu dit dans la Sourate Al Hujurat (Les appartements) « (...) Nous avons fait de vous des nations et des tribus, afin que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux (...) ». Si ces cultures disparaissent eh bien on va à l'encontre de la Volonté de Dieu d'avoir créé des peuples différents. Et la mondialisation aujourd'hui menace l'identité française, mais pas seulement. Moi je suis d'origine algérienne et quand je vais en Algérie, par exemple… une fois je recherchais une tenue traditionnelle de Tlemsen, je vous défis aujourd'hui de trouver un couturier qui la fasse, ça n'existe plus ! En l'espace de dix ans, ça a été totalement éradiqué ! Remplacé par le qamis saoudien fabriqué en Chine. C'est triste parce que ces cultures-là, elles ont mis du temps à se créer, à se former, tous les pays du monde possèdent une diversité culturelle qu'il faudrait entretenir puisque c'est la volonté divine. Donc nous, en tant que musulmans, nous sommes dans ce qu'on appelle en sociologie un processus d'acculturation, le "a" n'étant pas privatif : ça ne veut pas dire qu'on n'a pas de culture mais que nous sommes en train de passer de la culture de nos parents, qui était une culture maghrébine, à la culture de nos enfants, de nos petits-enfants et arrières petits-enfants qui est française. Mais comme le disais tout à l'heure le conférencier précédent, encore faut-il distinguer ce qui relève dans la culture du réel et du factice, du traditionnel, du naturel, de la synthèse et de l'artificiel. Indéniablement lorsque nos jeunes se tournent vers une sous culture américaine, ils sont dans un égarement culturel, je dirais. Puisque ce n'est pas leur culture en vérité. Nike, ce n'est pas notre culture, le rap n'est pas notre culture.

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    Nous habitons, nous vivons dans le pays le plus touristique au monde, le plus visité au monde ! Pourquoi ? Parce que c'est le pays le plus beau du monde, le pays le plus riche au monde en matière de culture, de patrimoine, d'ensemble urbain etc. Donc, on ne peut pas passer à côté de tout ça ! On ne peut pas s'américaniser et dire « la France c'est la colonisation, moi, je n'aime pas la France », sans dire qu'on est en train de s'américaniser. Finalement, à choisir entre l'ensemble culturel le plus visité au monde, qui a produit en termes d'art, d'artisanat, de littérature… parmi les choses les plus brillantes que l'humanité ait connu, moi, sincèrement, je préfère l'entité culturelle française dans sa complexité, sa beauté esthétique, au Mc Do américain ! Et quand je parlais tout à l'heure de processus d'acculturation — le passage de la culture de nos parents vers la culture de notre pays — ça passe par une réflexion ! Ça passe par le fait de faire des choix, des choix de vie notamment. Et ça passe aussi par le fait de pouvoir décrypter les arnaques, les artefacts qui nous ont été livrés dans les années 80, 90, notamment par SOS racisme. SOS racisme, nous a livré un logiciel en boîte pour détester la France, en nous victimisant à outrance : ils ont fait de nous des pleurnichards à vie. Et ça continue par d'autres formes d'ailleurs. Quand je parle d'islamophobie, bien sûr je dis qu'il ne faut pas laisser passer les actes islamophobes, mais ça se passe à travers le juridique, à travers le droit. Accompagner la lutte contre l'islamophobie par de la pleurnicherie, par de la victimisation, c'est contre-productif ! Il faut juste envisager les faits et combattre juridiquement et y opposer un discours digne et sain de ce qu'est réellement notre religion, mais surtout essayer de comprendre les peurs des autres. Parce qu’on peut évidemment dire « on nous aime pas ! », en vérité ce n’est pas tant qu'on ne nous aime pas mais qu'on ne nous connaît pas. Les musulmans de France ne sont pas connus et les musulmans de France ont finalement très peu fait pour mieux se faire connaître. Pour un tas de raisons d'ailleurs qui sont légitimes parce que lorsqu’on est en position d'acculturation, qu'on n'est pas vraiment français, qu'on n'est pas vraiment algérien ou marocain, on est dans une situation identitaire très inconfortable, on n'a pas les outils nécessaires pour traduire ce qu'on est ou ce qu'on n'est pas, d'ailleurs. Donc, on se réfugie parfois dans une forme hyper visible de religiosité pour exister dans l'espace, en disant « je ne suis pas français, je ne suis pas algérien, d'ailleurs je suis musulman ». Mais en vérité, ce n'est pas suffisant. Parce que l'islamité ne se traduit pas d'abord par le vêtement comme manière d'exister dans la société, c'est d'abord un comportement. On va puiser dans nos actes d'adoration, dans la 'Aquida, dans les 'ibadat, on va puiser dans les deux premiers niveaux pour les reverser dans le troisième niveau qui est el mou'amalat. Ça veut dire que plus je prie, plus je lis le Coran, plus je me rapproche de Dieu… plus je deviens véridique, plus je deviens honnête, plus je deviens sensible aux malheurs des autres, plus j'essaie d'avoir de l'empathie, plus j'aime, plus je me transforme intérieurement et plus cette formation intérieure produit un élément positif, admirable, apaisé, paisible et apaisant dans l'espace social. Nous sommes en vérité un peu dans le schéma inverse. Nous sommes, et notamment par le biais de l'islamophobie, constamment dans une situation de confrontation. Alors qu'en vérité, il n'y a pas lieu à ce qu'il y ait confrontation. Puisque nous, nous devons envisager au contraire la paix. Pourquoi ? Parce que la paix est l'essence de notre religion. Le mot islam est construit à partir du mot salam, Salam étant l'un des attributs de Dieu. Nous sommes 'abdosalam, les adorateurs de Celui qui incarne la paix. Nous devrions donc être au service permanent de la paix dans ce pays. Au lieu de ça, je m'aperçois que beaucoup d'acteurs ou une partie des acteurs de la communauté musulmane, même s’ils ne sont pas liés directement à la foi musulmane ou aux mosquées etc., sont des entrepreneurs de guerre. Nous sommes constamment dans un rapport post-colonial, et nous voilà asservi à l'homme blanc, mauvais par nature alors que nous, nous venons du Sud... Toute une rhétorique dont internet nous nourrit, qui est finalement le prolongement de ce qui a été institutionnalisé à l'époque par le parti socialiste qui était SOS racisme et qui se retrouve aujourd'hui d'une manière moins institutionnelle mais tout aussi réelle, qui est celui de se victimiser en permanence et de produire sur cette victimisation un discours belliqueux, belliciste qui cherche l'affrontement. Ce qui est antinomique avec nos valeurs. Parce que l'islam est basé sur la paix. Salam étant un attribut de Dieu, nous sommes les serviteurs de la paix. Est-ce que les attributs divins sont là pour être réciter sans être vécus ? Évidemment non, ils sont là pour d'abord être vécus puis récités. Les caractéristiques de Dieu doivent constituer notre manière de nous porter. On se dirige vers la sainteté. Mais finalement, on peut s'apercevoir les uns les autres pour être honnête, dans notre communauté, on a plus tendance à soigner les apparences exotériques, les apparences extérieures de notre foi, plutôt que les aspects ésotériques qui sont les aspects intérieurs de notre foi. En vérité, on va être extrêmement pointilleux sur le halal par exemple : c'est bien mais je m'aperçois qu'il y a une inversion des priorités. Je vois beaucoup de gens qui ne pratiquent pas, ou pire qui pratiquent des choses illicites, qui commettent de petites délinquances mais qui ne se posent pas la question de savoir si leur comportement est en accord avec l'éthique musulmane. Mais s’il s'agit d'aller manger un hamburger halal, là ça devient extrêmement tranché. En vérité, il y a une inversion des valeurs. Ce qui est le plus difficile, c'est de modifier son comportement, c'est un jihad, ce fameux grand jihad. Le grand jihad est celui qu'on mène contre soi-même pour modifier son comportement. Ça c'est très difficile. En revanche, aller au burger halal ou au Mac Donald, faire le choix entre deux fast-foods qui sont des importations américaines, est relativement simple. En plus, on nourrit sa bonne conscience en plus de nourrir son ventre, on nourrit sa bonne conscience en ayant acheté un hamburger halal. En vérité le vécu des attributs divins est complètement délaissé. Il faut être honnête à l'endroit de ce que nous sommes, sommes-nous réellement "ceux qui croient" et "font de bonnes actions" ? Où sommes-nous juste "ceux qui croient" sans avoir capté les richesses de la Foi ? La Foi qui se vit à travers les attributs divins. J'en reviens à notre idée de « l'islam et la France, un amour possible ? » point d'interrogation. Bien évidemment, si nous vivons notre spiritualité de manière profonde, avec l'empathie nécessaire vis à vis de nos frères catholiques et nos sœurs catholiques, et bien il y a toutes les raisons de penser que nous allons vers un avenir vertueux.

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    Vous savez, je suis porte parole national de La Manif Pour Tous. Vous savez ce que c'est la Manif Pour Tous ? La Manif Pour Tous c'est un grand mouvement populaire qui s'est levé conte le mariage des homosexuels en France. Pire que ça : contre l'adoption des enfants par les homosexuels en France. Intérieurement, dites-vous maintenant ce que chacun d'entre vous avait fait lorsque nous avons appelé les musulmans à manifester. Il y a eu des centaines de milliers de tracts distribués chaque vendredi pendant les manifestations devant les mosquées. Très peu de musulmans malheureusement ont été présents à ces manifestations, très peu. Et parce que nous ne nous sommes pas engagés, nous portons en partie la responsabilité de ce mariage homosexuel. Et nous portons la responsabilité en partie que des enfants auront comme parents deux homosexuels, deux hommes ou deux femmes dès le berceau. C'est vachement joyeux, vous ne trouvez pas ? On a tous eu un papa ou une maman ou les accidents de la vie ont fait que nous avons manqué d'un papa ou d'une maman. C'est l'horreur, c'est horrible ! Papa où t'es ? Maman où t'es ? Le cri du papa absent ou de la maman absente. Eh bien, en partie parce que les musulmans de France ne se sont pas levés contre cette loi, nous portons une partie de la responsabilité. Une partie de la responsabilité, je n'ai pas dit la responsabilité, mais une partie. Il y a eu des fuites du gouvernement, des fuites qui ont dit que si les musulmans s'étaient engagés en masse, il aurait été retiré ! Vous êtes sceptiques ? Nous en reparlerons après ! Moi, en tous cas, je me sens personnellement coupable, en partie coupable du fait que demain des enfants soient privés d'un père ou d'une mère, et que le droit ait été modifié quant à la filiation. Il y a des enfants qui ne sauront pas d'où ils viennent. La filiation est coupée. Dieu dit dans le Coran : « Ô hommes, Nous vous avons créé d'un mâle et d'une femelle... » Donc Dieu nous a créé à partir d'un homme et d'une femme et à partir de cet homme et de cette femme a été créé un nombre conséquent d'hommes et de femmes. Ce verset-là est répété dans toutes les mosquées du monde. Chaque vendredi incarne la filiation. Le fait que nous savons d'où nous venons. La loi sur ce mariage homosexuel, et bientôt la PMA dont je vous dirai un petit mot tout à l'heure, et bientôt la GPA, feront que les enfants naîtront sans filiation, la filiation sera coupée puisqu'on donnera une ovule ou un sperme selon que le couple soit de deux hommes ou de deux femmes, l'enfant sera coupé de sa filiation. Évidemment ce n'est pas trop tard, le mouvement de La Manif Pour Tous continue. Nous avons encore la lutte contre la PMA, puisqu'elle n'est pas encore juridiquement actée, comme on dit en mauvais français, mais le gouvernement prépare la PMA. Le Conseil d’Éthique qui disposait de dix-sept religieux en son sein et qui donne son avis sur l'éthique d'une loi, eh bien, on a viré dernièrement tous les religieux qui le composaient et on les a remplacé par des non religieux. Pourquoi ? Parce qu'on leur dit que la PMA (la PMA est le fait qu'un couple de femmes puisse avoir une gamète homme pour pouvoir avoir un enfant) sera acceptée si le Conseil d’Éthique se prononce en faveur. Donc, il y a un mois, le Conseil d’Éthique a été bouleversé et on a remplacé les religieux par des non religieux. La PMA n'est pas encore arrivée mais elle arrivera puisque c'est dans les projets du gouvernement, puisqu'il le prépare en chamboulant le Conseil d’Éthique. Ainsi les couples de femmes pourront avoir droit à la maternité et donc les couples d'hommes diront qu'au nom de l'égalité : «  ils l'ont accepté pour les femmes, maintenant reste à faire pour nous les hommes. » Sauf que les hommes ne peuvent pas porter d'enfants, donc ils feront appel à des mères porteuses. Ces gens-là achèteront un ovule, insémineront une femme dans le tiers-monde, parce que bien évidemment pour huit mille euros, ce n'est pas une européenne qui va le faire. Ça se passera en Inde, au Nigeria ou je ne sais où ailleurs et les couples d'hommes pourront accéder à la paternité en achetant des bébés, finalement.

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    Maintenant, j'en reviens à notre histoire entre islam et France, amour possible ou pas possible ? Évidemment oui c'est possible. Nous avons tout un tas de causes communes qui permettraient de mieux faire connaître les gens. Parce que quand vous avez distribué des tracts, lorsque vous avez manifesté, fait un sitting avec des gens qui n'étaient pas musulmans mais qui étaient catholiques convaincus, des chrétiens convaincus ou des juifs convaincus, eh bien vous vous trouvez tout de suite un certain nombre de points communs qui vont vous rapprocher. Moi, j'ai vu des catholiques très pratiquants, de conditions sociales très favorisées mais qui m'ont dit n'avoir jamais rencontré de musulman. Et depuis que je distribue des tracts avec Myriam et Leïla qui portent le voile, on se rend compte que notre anthropologie est identique. On a envie d'avoir une vie de famille saine, on n'a pas envie de voir des publicités comme celle que vous voyez dernièrement sur l'adultère "Eden.com". Vous avez vu ça ? C'est un site sur l'adultère. C'est-à-dire qu'aujourd'hui on est en train de commercialiser de l'adultère alors que l'adultère est interdite par la loi, puisque les époux lorsqu'ils se marient à la mairie se doivent mutuellement la fidélité. On est dans un monde où les valeurs qui sont les valeurs fondatrices de la France sont les valeurs fondatrices et fondamentales de notre religion. Nous avons un combat à mener, le halal c'est bien, le hijab aussi, pourquoi pas ?, mais fondamentalement ? Est-ce que le fait de faire la promotion de l’adultère, d'exploser la cellule familiale est un gain en terme de projet, d'environnement pour nos vies futures et les générations futures ? Évidemment non ! Ce qui sera présent demain se décide aujourd'hui. Donc, nous avons tout à faire en tant que musulman français avec les autres confessions et même les non confessions parce qu'il y a des gens qui sont athées mais qui ont du bon sens, pour s'ériger contre ce processus qui détruisent les sociétés. Si on prend les valeurs fondamentales de la parole donnée, le fait de donner sa parole, le respect intergénérationnel, le fait de respecter les personnes âgées, le fait de respecter la vie, le fait de respecter les valeurs familiales… tout ça se sont des choses qui nous sont très chères en tant que musulmans. Toutes ces valeurs là sont aussi les valeurs fondatrices de la France qui les a perdues en partie à cause de la Révolution française, qui les a perdues encore en plus grande partie à cause de Mai 68. Mais tout ça, se sont des chantiers pour nous en tant que musulmans, en tant que musulmanes. Évidemment, quand je dis ça j'enfonce des portes ouvertes parce que vous savez aussi bien que moi ce que je suis en train de vous dire, ce n'est uniquement qu'un rappel. J'ai tellement entendu de musulmans me dire : "de toute façon moi, le mariage homosexuel ne me concerne pas parce que dans ma vie ce n'est pas quelque chose qui existe". C'est faux, parce que de toute façon c'est quelque chose qui va vous toucher d'une manière ou d'une autre. Si ce n'est pas vous, ce sera vos enfants, si ce n'est pas vos enfants, ce sera vos petits enfants.

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    Vous savez ce qu'est la théorie du genre ? La théorie du genre, c'est une théorie qui nous arrive des États-Unis, qui est en train officiellement d'entrer dans nos écoles françaises, qui dit que la sexualité d'un individu n'est pas le fait de son appartenance biologique mais il est le fait de déterminismes culturels et sociaux. Je m'explique : ce n'est pas parce que vous avez un corps de femme ou un corps d'homme que vous êtes un homme ou une femme. Non, c'est la société qui vous dit que vous êtes un homme ou une femme. Donc si on fait jouer des enfants, des garçons à la poupée et des filles aux voitures ou aux pistolets, ils seront libres de dire "je suis un homme" ou "je suis une femme". On peut être pendant un certain temps un homme puis revenir à une femme etc. Ce n'est pas de la science fiction ce que je suis en train de vous dire, c'est la réalité. Najat Vallaut-Belkacem a inauguré une crèche dédiée à la théorie du genre, où on a séparé les garçons des filles, de manière imperméable : du côté garçons des poupées et du côté des filles des voitures. C'est ça la théorie du genre et c'est en train d'arriver et La Manif Pour Tous a créé des comités de vigilance sur le genre. Ces comités de vigilance sont ouverts à toutes et à tous, mais si les musulmans n'y participent pas, c'est un coup d'épée dans l'eau. Donc moi je pense qu'on peut s'aimer, on doit s'aimer et on va s'aimer. Parce que nous avons beaucoup de choses en commun, beaucoup plus de choses qui nous rapprochent que de choses qui nous font diverger. D'une part et d'une autre part parce qu'il y a un ensemble de luttes sociétales dans lesquelles les musulmans doivent être aux premiers plans, aux premières loges. Il suffit de conscientiser, de rationaliser, de penser, de faire passer ces choses-là par notre esprit, par notre raison, par notre logos et se dire comment moi en tant que musulman, priant cinq fois par jour, jeûnant un mois dans l'année, et pour les plus pieux, les lundis et jeudis, lisant mes deux hizbs de Coran par jour, faisant mes invocations le matin et le soir, espérant aller visiter les lieux saints, comment socialement, je me positionne sur ces questions-là ? Parce que lui, le catholique, il fait la même chose, et finalement comme on fait la même chose, eh bien on se rencontre sur les mêmes points. Donc comme on se rencontre sur les mêmes points, eh bien on vit des choses en commun. Et comme on vit des choses en commun, on n'a plus la télévision, on n'a plus le Point ni l'Express qui fait la médiation et l'interface entre les musulmans et les non musulmans, et enfin, nous avons une société unie, un socle commun, solide qui se crée sur des valeurs. »

     

     

    Votre discours consiste à oublier la culture d'origine ?

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    Non, ce n'est pas oublier. Souvent dans mes conférences, j'ai été très clair. Ce n'est pas de l'amnésie, tout au contraire : le devoir de mémoire est l'origine, et la filiation au sens historique, culturel et évidemment familial, doit être constamment rappelé. Il est très intéressant que les générations futures de jeunes d'origine algérienne, marocaine etc., puissent aller retrouver la tombe des anciens au village etc., parce que c'est très constructeur de l'identité, c'est-à-dire qu'il faut vraiment savoir d'où l'on vient. Ce que je veux dire c'est qu'il y a une forme de fantasme, d'illusion dans l'aspect culturel. Quand on glorifie l'arabité pour accéder à l'islam, je pense qu'on est en train de trahir l'islam car l'islam n'est pas la religion des arabes mais la religion de l'humanité. Les arabes — il y en a d’ailleurs qui sont chrétiens — ont des us et coutumes, des cultures et des traditions qui sont emprunts de l'arabité mais ne sont pas musulmans. Il ne faut pas confondre les deux. Confondre les deux signifie emprisonner une spiritualité qui se veut légère et universelle à quelque chose qui est très circonstancié qui sont nos origines. Mais ça ne veut pas dire qu'on va jouer l'amnésie, être plus français que les français, ce n'est pas ça ! C'est quelque chose qui simplement intègre dans notre dynamique historique, sociétale, le fait que, qu'on le veuille ou non, nous sommes moins maghrébins que nos parents et nous le sommes un peu plus que nos enfants et que nos enfants le sont un peu plus que nos petits enfants etc. C'est-à-dire qu'il y a une marge inéluctable du fait que nous soyons scolarisés, que nous vivions, que nous soyons inondés de messages etc. Moi, je vais souvent en Algérie et je fais en sorte que mes enfants aillent en Algérie mais en même temps, ils ont le drapeau français dans leur chambre. Ça ne veut pas dire que nous sommes dans une confrontation, ça veut dire : vous avez votre véhicule, vous avez une destination, votre pare-brise est grand comme ça et vous avez deux rétroviseurs qui vous permettent de regarder derrière. Mais si vous regardez constamment derrière, vous allez aller dans le décor. Or, le fait de regarder derrière est très utile pour pouvoir marcher droit, donc le fait de connaître son origine, le fait même d'entretenir vis-à-vis de nos enfants l'idée que nous venons d'un pays qui a été ceci ou cela, mais que notre avenir se porte dans une direction, fera que naturellement l'apport dont vous parlez se fait à travers ce que nous sommes. L'arabité est quelque chose de fantastique : l'arabité n'est pas raciale. Quoi de commun racialement entre un libanais et un soudanais ? Rien, pourtant ils sont arabes. L'arabité est une entité linguistique. Les gens sont arabes parce qu'ils parlent arabe mais en plus de ça il y a certaines caractéristiques, assez bien d'ailleurs caricaturalement développées dans Tintin au pays de l'or noir, c'est-à-dire des excès de grande générosité, l'hospitalité, mais en même temps l'impulsivité etc. qui sont très caractéristiques, très liées à l'identité des arabes. Moi, ça me fait très plaisir. Par exemple quand j'étais gamin, j'étais horrifié quand je trouvais quelqu'un qui mangeait un petit pain au chocolat devant moi et qui ne m'en proposait pas. On n'est pas habitué à ça, parce que dans  notre culture d'origine arabe, quand tu manges quelque chose, tu le partages. C'est normal. Vous comprenez ce que je veux dire ? Cette idée de l'arabité en tant que valeur qui va apporter en terme de générosité (d'ailleurs les français sont aussi généreux). Mais il ne faut pas folkloriser, fantasmer ou pire que ça, emprisonner notre religiosité. Quand je vois par exemple des convertis qui se mettent à parler avec quasiment un accent du bled, qui se déguisent pour aller à la mosquée, qui e baladent chez eux avec des sdaris, je dis qu'il y a de fait une fusion qui n'est pas souhaitable entre une religiosité universelle et une culture contextuelle.

    Vous dites que les musulmans ne sont pas allés manifester à La Manif Pour Tous et qu'ils sont en partie responsables du passage de cette loi...

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    Quand je dis que nous sommes en partie responsables, je veux dire que quand je vois des manifestations sur la Palestine, lorsque Gaza est bombardé, à juste titre les musulmans manifestent. J'ai conduit plusieurs convois humanitaire à Gaza donc je sais ce que c'est, je sais de quoi je parle, j'ai été responsable d'organismes d'aides humanitaires destinées à la Palestine, eh bien à mon sens, la cause palestinienne est moins grave du point de vue sociétale que le mariage gay. Parce que le conflit palestinien de toute façon se réglera et on doit faire valoir les droits des palestiniens à travers notre engagement aussi. Là, on est en contradiction avec El fitra, cette nature humaine. C'est la nature humaine qui est contredite par une loi et ça, en tant que musulmans qui avons très clairement distingué l'homme de la femme et entretenu l'idée de la filiation… cette loi entre en contradiction directe avec nos valeurs.

    Vous nous proposez d'aller plutôt vers le cassoulet halal que le burger halal en somme ?

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    Pourquoi j'avais opposé le kebab Mac Do au bistrot ? J'ai tenté de dire par cet exemple-là que les lieux de socialisation, ou en tout cas le commerce lié à la gastronomie, n'est pas anodin en France. La cuisine française, avec la cuisine chinoise et la cuisine marocaine, est des plus élaborée au monde. Ce que je crois c'est qu’en n'adoptant pas, ou en ne découvrant pas, ou en ne s'appropriant pas un art culinaire représentant une classe majeure dans l'art culinaire en règle générale, nous passons à côté de quelque chose… Alors on peut ne pas aimer le cassoulet mais on peut aimer le pâté aux pommes de terre, le magret de canard ou le lapin à la moutarde… la variété culinaire française et son élaboration sont si incroyablement diverses et raffinées que face à la pauvreté d'un hamburger ou d'un sandwich grec, on est face à une misère culinaire. On va faire des pieds et des mains, et à juste titre, lorsqu'une espèce animale disparaît parce qu'elle a mis des siècles et des siècles à évoluer et que quand elle disparaît, c'est le patrimoine de l'humanité qui disparaît, mais les arts, cultures, us et coutumes liés à un peuple ont aussi mis des années, des siècles et des siècles à se développer et à aboutir. Donc si nous en tant que citoyens français, musulmans ou pas musulmans, cédons à la mondialisation en délaissant le formidable patrimoine que nous ont légué les générations antérieures, eh bien on loupe un coche. Après ce n'est pas la question de halal ou pas halal, un magret de canard, le canard doit être halal tout simplement. Faisons découvrir ensemble à nos enfants, au lieu de simple pâtes-frites etc. Ce n'est pas beaucoup plus cher, c'est très ludique, c'est extrêmement appréciable à cuisiner et c'est beau ! Et ça fait partie des choses qui font qu'on construit, sans avoir à réciter la marseillaise tous les matins, une identité plus apaisée.

    Que pensez-vous de cette nouvelle Chartre de la laïcité à l'école ? Et de cette morale laïque militante ?

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    La Charte de la laïcité de Vincent Peillon à l'école, eh bien c'est très bien dit par Vincent Peillon : il dit que la Révolution française n'est pas arrivée à bout du catholicisme et qu'il faut effacer toutes traces du catholicisme en France. Mais quand on vous dit « toutes traces de catholicisme », le catholicisme n'est qu'un corps, je dirais. Ce qu'on veut c'est effacer la morale catholique. Et la morale catholique, c'est la morale musulmane. Ce sont les mêmes, la morale juive aussi bien évidemment. Lorsqu'on veut tuer la famille, on veut tuer la distinction homme-femme. Lorsque les enfants donnent des ordres aux parents, lorsque l'autorité devient un fait de subversion, eh bien nous sommes dans une société d'anarchie : les repères sont complètement détruits et c'est une société où l'économie de marché, où la consommation pourra davantage s'épanouir. Je n'invente rien : en 1972, quatre ans après 1968, un philosophe qui s'appelle Michel Clouscart, un marxiste, explique comment par Mai 1968, en disant qu'il faut une liberté sexuelle totale, qu'il faut plus de loisir, qu'il faut moins travailler, donc en détruisant les valeurs d'une société, on va pouvoir étendre les ressources du Marché de la consommation, donc du libéralisme.  Est-ce que vous me comprenez ? C'est-à-dire qu'on va détruire des valeurs morales pour nous amener à devenir de simples consommateurs, c'est tout ! Lorsqu'on éduque nos enfants, il y a des valeurs profondes de croyances, de vérité, d’abnégation, de générosité, et quand il est habité, structuré par des valeurs eschatologiques, le jour du jugement dernier, la présence des anges… eh bien, bien évidemment, que Pokemon et compagnie lui feront moins envie. C'est le vide spirituel, le vide identitaire qui a besoin d'être rempli par ces messages, ces bombardements médiatiques, de la sur-image, du surmarketing. Il y a un lien intrinsèque entre le fait de tuer une morale et la consommation. Et quand on parle de morale laïque, ce n'est rien de plus que tuer ce qui restait de morale chrétienne en France. Et ça, c'est aussi notre combat, parce qu'on a les mêmes valeurs. Aujourd'hui on commence à détruire des églises en France : les musulmans devraient être à la pointe de cette contestation de cette destruction des églises ! Parce que symboliquement parlant, détruire une église c'est grave ! Moi, ça me met en colère. Parce que demain, s’il se passait la même chose dans les pays musulmans, on serait très content de voir des chrétiens s'ériger contre la destruction des mosquées ou des synagogues. Parce qu'il y a un combat commun, on a des valeurs communes, des idées communes et il y a surtout un pays commun. Nous sommes dans un même espace.

    Quand on connaît le parcours sulfureux de l'avocat Karim Achoui, que pensez-vous de son initiative de créer la LDJM (Ligue de Défense Judiciaire des Musulmans) pour défendre les droits des musulmans ?

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    Concernant la LDJM, moi je crains que l'islam soit devenu un produit marketing. L'islam devient un moyen de vendre, un moyen commercial et, étrangement, une spiritualité qui devrait nous pousser à moins consommer devient quelque part une identité musulmane qui nous pousse à davantage consommer. Lorsque je vois que dans les grandes surface par exemple, il y a des grands rayons halal, finalement pourquoi l'islam est-il banni de l'école et a-t-il une si grande place dans les marchés ? Pourquoi ? : parce qu'à l'école, on transmet des valeurs et aujourd'hui dans certaines écoles on impose la Charte de la laïcité. Donc dans ces écoles-là, pas de morale, surtout pas catholique, surtout pas juive et surtout pas musulmane. En revanche dans les supermarchés, pour faire tourner la machine néo-libérale, l'islam a une place et un rayonnage où personne n'a rien à redire tant que vous donnez de l'argent. Donc, nous sommes dans une société qui ne retient pas l'idée des valeurs mais qui se sert des valeurs pour faire consommer. Et il est dangereux de voir des musulmans qui estampillent un tas de produits qui n'ont rien à faire dans le halal comme étant halal. J'ai vu des pubs sur internet "voyage halal" ! Je ne mens pas, je suis sérieux. En fait, aujourd'hui, les musulmans se ré-islamisent, donc ça devient une niche marketing, donc on va essayer d'avoir leur bonnes faveurs commerciales en passant par leur islamité, en passant par leur spiritualité. Mais c'est odieux comme manière de faire ! Ce qui est halal, et bien on le sait, il y a le Coran pour distinguer, c'est pour cela qu'on l'appelle "El fourqane", le discernement, Celui qui permet de distinguer le vrai, du faux. Donc voyage halal, défilé de mode de hijab. On en arrive à une spiritualité qui devrait nous distinguer, nous éloigner de la surconsommation et finalement cette spiritualité devient un faire-valoir pour la consommation. C'est là que nous en tant que musulmans, nous devrions faire fonctionner nos méninges. C'est-à-dire : qu'est ce qui relève authentiquement de la spiritualité, de la foi et qu'est-ce qui relève d'un acte de consommation qui me permette d'exister en tant que musulman dans l'espace public ? Concernant la LDJM, je crains que ce soit un fait marketing, quasiment commercial, qui touche l'affect des musulmans, leur pathos, leur sensibilité, leur sentimentalité, pour capter un fait juridico-marketing. Maintenant, il est évident que quand une musulmane est agressée, comme quand une non-musulmane est agressée, il y a des tribunaux, il y a un Droit qui existe et tout ça doit être porté devant les tribunaux. Mais devenir un objet marketing captant la sensibilité des musulmans, là je dis faites attention. Moi, je suis parti aux États-Unis, je suis allé rencontrer l'Anti Diffamation Ligue, c'est une organisation juive aux États-Unis qui lutte contre l'antisémitisme. Mais, il faut voir à quel point cet organisme a besoin de l'antisémitisme pour exister. Et quand il n'existe pas, il est obligé de l'inventer. Le moindre graffitis sur une synagogue devient un acte antisémite. Alors qu'en vérité, il n'y a pas d'acte antisémite. Ça veut dire qu'on enclenche une machine qui va avoir besoin de s'alimenter, et même si il n'y a plus d'islamophobie ou d'actes islamophobes, il va quasiment falloir en créer. Je ne sais pas si je suis clair… La machine se nourrit comme ça, on fait tourner la boutique. Donc, il faut distinguer ce qui relève de la légitimité, du droit, porter plainte de manière tout à fait conventionnelle quant il s'agit d'un acte islamophobe et la capacité d'acteurs à pouvoir domestiquer cette islamophobie pour pouvoir en faire un fond de commerce. Voilà, je suis un peu sévère dans mes mots mais il se passe exactement la même chose avec la communauté juive aux États-Unis. Et je n'ai pas fantasmé, parce que je suis allé les rencontrer dans leur bureau à Washington pour comprendre quels étaient les mécanismes de la victimisation qui permettaient de faire d'une minorité victimisée une minorité agissante dans le champ politique. Alors si nous faisons cela en France, qui n'est pas une société communautariste à l’anglo-saxonne, mais une société où la citoyenneté est partagée par tous, nous entrons en confrontation avec le logiciel basique de la constitution et de l'identité française et nous nous mettrons de fait à l'écart de l'ensemble de nos compatriotes français. Concernant l'islamophobie, toujours, je voudrais juste rappeler — et ce n'est pas pour dire que c'est normal ou pas normal, mais c'est important que ce soit rappeler aux musulmans — que la cathophobie au XVIIIème siècle a fait près de 600 000 morts, le génocide de Vendée. Durant la Révolution française, les révolutionnaires sont allés un peu loin, c'est-à-dire qu'ils voulaient interdire les églises, interdire la religion, brûler les Évangiles etc. En Vendée, un certain nombre de français, de catholiques, se sont levés contre la Révolution française. Ils les ont zigouillés à hauteur de 600 000 personnes. En ne tuant pas que les hommes, mais aussi les femmes et les enfants. Alors ceci n'excuse pas cela, ce n'est pas ce que je suis en train de dire. Je dis simplement qu'il faut que nous, en tant que musulmans, ayons une vision globale de ce qu'est l'histoire française parce que c'est aussi notre histoire, parce que nous sommes français, et savoir intégrer nos problématiques dans une dynamique historique et sociétale, de telle manière à ce que nous ne regardions pas seulement notre propre nombril, en disant que nous n'avons pas été les seuls à souffrir dans ce pays là, non ! Il y a une dimension anti-religieuse, anti-cléricale où le concept de liberté se crée en distinction, voire en opposition, voire en persécution de la religion en France. Mais il faut aussi envisager la chance qu'est la laïcité qui permet que les religions fortes ne prennent pas le pas sur les religions faibles, et la laïcité, comme le disait un sage, est la branche sur laquelle tout le monde est assis, s'il y en a un qui veut la scier c'est tout le monde qui tombe.

    Vous parlez uniquement des Catholiques et des Musulmans mais jamais de la communauté juive, pourquoi ?

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    De la communauté juive, très souvent je ne parle pas, je parle principalement des catholiques. Mais comme je ne parle pas des juifs, je ne parle pas non plus des protestants, ni des orthodoxes, ni des bouddhistes, ni des hindouistes etc. Parce qu'en faites ces religions : juives… même si la religion juive est plus ancienne en France que le christianisme. Le judaïsme arrive en France avec l'Empire Romain et les premiers évangélistes arrivent durant le premier siècle. Donc en terme de nombre c'est le catholicisme qui chapote, c'est pour ça que je parle souvent de "catholaïcité" et que je ne parle pas du judaïsme, du protestantisme, de l'hindouisme etc. Et surtout, je pense que fondamentalement, le catholicisme, pour peu qu'on essaie de le comprendre, de le connaître, partage des valeurs. Je reprends l'exemple de la Toussaint, j'ai appris hier que la Toussaint avait aussi comme sens le fait que tout être humain pouvait, s’il le voulait, devenir saint. C'est-à-dire que quand on parle en islam de muslim, mu'mim, mouhsin — le mouhsin est celui par lequel Dieu voit, entend — celui qui est habité par Dieu est élevé au rang de Saint. Et la Toussaint, dans son sens catholique, pas musulman, c'est de dire que la Sainteté est accessible aux humains, ce n'est pas quelque chose qui est du domaine de l'angélisme. J'ai trouvé le sens très percutant dans notre spiritualité. D'ailleurs si je vous fais lire une page des Confessions de St Augustin, ou si je vous fais lire une page de Rabi'a el 'Adawiyya, vous serez très embarrassés pour savoir qui a dit quoi. Parce qu'en vérité et fondamentalement, la mystique catholique et la mystique musulmane sont très très proches dans le sens et dans les valeurs. Alors bien évidemment, je ne parle pas du dogme, etc.

     

     

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  • Les liens humains ont une nature qui résiste à l’arbitraire humain, à l’arbitraire des lois humaines

    POUR DÉFENDRE LA LOI NATURELLE 


    Pierre Manent.jpg« La notion de loi naturelle est aujourd’hui discréditée. Elle est pourtant indispensable pour donner sens au monde humain, et agir raisonnablement dans ce monde. L’idée aujourd’hui triomphante, l’idée flatteuse, exaltante et en même temps presque puérile, est que les êtres humains sont les auteurs exclusifs de la loi qui règle leur action. Celle-ci, dit-on, ne saurait s’appuyer sur aucune réalité indépendante de la volonté humaine, que ce soit Dieu ou la nature. Le progrès irréversible de l’homme moderne, pensons-nous, a consisté à passer de l’hétéronomie à l’autonomie, de la règle gagée sur autre chose que la volonté humaine à la règle résultant exclusivement de la volonté humaine. Or, tout cela qui aux yeux de beaucoup est l’évidence même, se révèle en réalité comme une construction d’une extrême fragilité.

     

    ON NE PEUT SE PASSER D’UNE RÉFÉRENCE À LA NATURE

    La première chose à remarquer est la suivante : ceux mêmes qui écartent, méprisent, ridiculisent la notion de nature comme norme de l’action humaine ne peuvent s’en passer. Il est impossible de commencer à dire quelque chose sur les êtres humains sans dire quelque chose sur leur nature. La philosophie individualiste des droits de l'homme, celle qui règne, et qui rejette avec tant de mépris la notion de loi naturelle, repose elle aussi sur une certaine idée de la nature humaine. Dire que nous sommes des individus titulaires de droits, c'est dire que ces droits nous appartiennent par nature, qu'ils ne résultent donc pas de l'arbitraire humain, et que nul arbitraire humain ne peut nous en priver. Ces droits nous appartiennent dès lors que nous naissons à la vie, et on ne peut nous les enlever qu’en nous enlevant la vie. Les droits de l’homme sont des droits naturels.

     

    LES LIENS HUMAINS NE SONT PAS MOINS NATURELS QUE LES ÊTRES HUMAINS

    En revanche, pour l’individualisme, et c’est sur ce point qu’il entend effectivement se séparer de toute idée de nature, les liens humains, eux, à la différence des droits, ne sont pas naturels. Ils sont artificiels, œuvres des hommes, que les hommes peuvent défaire après les avoir formés. Telle est donc la doctrine de l’individualisme moderne : les hommes sont des individus naturels qui nouent entre eux des liens artificiels. La divergence entre la doctrine individualiste et la doctrine catholique, qui toutes deux reposent également sur une certaine idée de la nature humaine, cette divergence réside en ceci que, pour la doctrine catholique les liens entre les êtres humains ne sont pas moins naturels que les individus eux-mêmes, et que donc, les liens humains aussi ont une nature qui résiste à l’arbitraire humain, à l’arbitraire des lois humaines.

     

    LA LOI EST LA RÈGLE QUI CONDUIT NOTRE NATURE VERS SON BIEN

    « C’est impossible ! » s’écrit l’individualisme régnant. « C’est impossible puisque les lois sont évidemment faites par les hommes ! ». Les lois sont faites par les hommes, certes. Mais elles ne sont pas faites dans le vide, elles ne sont pas faites pour rien, elles sont faites pour le bien des hommes. Et le bien des hommes ne peut être conçu sans référence à leur nature, à la nature humaine. Dès lors, qu’est-ce que la loi naturelle ? C’est la règle qui conduit notre nature vers son bien. Règle qui est découverte et éprouvée au cours de l’expérience humaine si du moins on prend la peine d’examiner celle-ci de la manière la plus lucide et la plus consciencieuse.

    La vie humaine est inintelligible si l’on n’y discerne pas les biens et les liens dans lesquels notre nature s’éprouve et se déploie. Liens familiaux, sociaux, politiques, religieux. Liens religieux : s’il y a un Dieu, Père des hommes, il faut bien qu’Il nous ait donné, qu’Il ait donné à notre nature les règles, les prises pour nous approcher de Lui. Liens sociaux et politiques : quoi de plus naturel que la sociabilité humaine, que le vivre ensemble amical. L’amitié est un lien et un bien inscrit dans notre nature. Liens familiaux : les êtres humains naissent et meurent et ils s’unissent pour faire des enfants. La naissance, la mort, la différence sexuelle et la différence des générations sont autant d’articulations naturelles du monde humains, naturelles puisque nous n’avons aucun pouvoir sur elles. Nous pouvons regimber, rêver, prétendre… la vie humaine continuera d’être ordonnée et de trouver sens selon la naissance et la mort et selon la différence des sexes et des générations.

     

    LES DROITS NE REMPLACENT PAS LES BIENS

    L’égalité des droits est précieuse car elle motive l’effort pour élargir le plus possible l’accès aux biens humains. Mais les droits ne remplacent pas les biens. Pour qu’il y ait des droits il faut qu’il y ait des biens. Et ces biens nous ne pouvons pas nous les donner à nous-mêmes, nous devons les recevoir de la nature. Nous pouvons choisir nos amis, mais la capacité d’être ami, nous la recevons de la nature et de l’amitié de son auteur. La tentation aujourd’hui est d’oublier que les biens humains sont reçus avant d’être voulus. La tentation aujourd’hui est de construire une immense machine, lois et techniques, qui distribuerait les biens comme si l’homme pouvait les produire, c’est-à-dire produire sa nature. Vaine entreprise qui ne peut amener qu’un ordre social parodique, mais sous la tyrannie de la loi, la générosité de la nature reste intacte. »

     

    Pierre Manent
    École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)

     

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  • Un serment en soi-même : jamais nous n’abandonnerons les combats de la famille, pour nos familles et pour la France

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    Grenelle de la famille

     

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    « De nouvelles réalités s’imposent à tous. L’idée qu’on fasse aujourd’hui la promotion de l’adultère dans les couloirs du métro ne touche pas qu’une strate de la population, ne touche pas que les militants de La Manif Pour Tous, ne touche pas que les premiers engagés dans la résistance qu’est LMPT, mais touche bien l’ensemble des populations. Et l’ensemble des populations, bien sûr, est très choqué par cette évolution. J’ai trente neuf ans et je dois dire que la France de mon enfance me manque. Elle me manque. Pourquoi ? Parce que c’est allé beaucoup trop vite. L’accélération de l’histoire agit de manière extrêmement pernicieuse et en très peu de temps nous avons connu le Pacs, puis le mariage maintenant « pour tous », demain très certainement la Pma et au nom de l’égalité, la Gpa. Je dis tout cela parce que je pense que nous sommes gardiens d’un patrimoine. Lorsque nous évoquons la famille il s’agit là bien d’un patrimoine. Nous sommes à Bordeaux : Bordeaux est le plus grand ensemble urbain au monde classé par l’UNESCO et tout cela est le fruit d’une bataille. Préserver un patrimoine et le transmettre intact aux générations futures est de l’ordre quasiment de l’eschatologie. Il y a une dimension chevaleresque dans le fait de prendre conscience de l’importance de ce que peut être une faune, une flore ou un ensemble urbain. Mais qu’est-ce que la famille face à une faune, une flore ou un ensemble urbain ? Bien évidemment, elle est au-delà de tout cela. Et je pense que nous sommes une génération de résistants. Je pense que aujourd’hui soit on s'engage, soit on est complice, soit on collabore. Et notre idée à La Manif Pour Tous a tenu en deux temps. Un premier temps que nous n’avons pas vraiment contrôlé. Nous avons réagi : c’est le temps des manifestations, celui où, poussés par un élan « surhumain », nous avons été des millions à nous déplacer dans les rues. C’est le premier temps qui allait très bien d’ailleurs avec la figure de notre première porte-parole, Frigide Barjot. Mais aujourd’hui nous sommes dans un second temps. Un temps plus posé, plus mûr, qui est extrêmement dangereux parce que les médias parlent moins de nous. Ce soir, Sud-Ouest a choisi de ne pas venir couvrir cet événement. Et on peut se poser la question : est-ce que parce que les médias parlent moins de nous, de notre combat, notre résistance serait-elle moins légitime ? Évidemment non. Donc, je voudrais vous dire, mais avec mon cœur, que tous les gens qui ont pris les tgv pour partir à Paris, vous y étiez certainement, dites-vous que nous avons besoin tout autant de ces gens-là dans cette deuxième partie de travail qui sera plus posé, plus lié à la réflexion, lié à la « pro-activité ». Nous allons anticiper, maintenant, car nous savons que nous avons un impact certain sur le gouvernement, sinon nous aurions déjà la PMA et plus encore. Soyons extrêmement conscients que nous sommes le plus grand mouvement populaire que la France ait porté depuis mai 68. N'en déplaise aux médias. (…)

    La mobilisation continue, n'en déplaise aux médias. Nous sommes une génération charnière, ne soyons pas le maillon faible. Nous avons tous eu la chance de vivre dans une famille. Eh bien moi, personnellement, je souffre parfois d'insomnie, parce que je me dis : "Est-ce que j'ai vraiment tout fait pour que cette loi ne passe pas ?" L'idée d'imaginer un enfant qui n'a rien demandé, élevé par deux hommes ou par deux femmes, me fait terriblement mal au cœur. Le cœur ne suffit pas : au sentiment doit succéder la réflexion et à la réflexion doit succéder l'engagement, l'action. Nous avons connu comme je l’ai dit tout à l’heure une première phase, qui dépendait un peu des actions du gouvernement auxquelles nous avons réagi. Nous sommes dans une deuxième phase de réflexion. Nous devons dans cette deuxième phase absolument retrouver le maillage de toutes celles et ceux qui se sont engagé(e)s durant cette première période, sinon notre mouvement risque de se défaire, de se déliter, et nous n'aurions pas perdu qu'une bataille, mais peut-être la guerre.

     

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    Dans cet engagement, je voudrais souligner la bénédiction divine, et je pèse mes mots, d’avoir aujourd’hui comme présidente Ludovine de la Rochère. J’étais il y a deux semaines en séminaire avec elle dans une abbaye normande : nous étions 48 heures enfermés à réfléchir sur ce que seraient les prochaines étapes de LMPT. Je la connaissais finalement très mal avant ce séminaire et elle m’a beaucoup impressionné. Depuis 20 ans, j’avale des séminaires. Et je l’ai vu d’une acuité, d’une intelligence, d’une réactivité… Au moment où nous étions tous extrêmement fatigués, elle restait alerte, bienveillante. Elle porte ce mouvement comme une mère porte un enfant, véritablement. Attention à celles et ceux qui ont pensé ou qui pensent que Ludovine est une aristocrate qui, pour passer le temps de libre, se serait engagée dans une cause médiatique. Ce n’est pas ça. Ludovine c’est un moine-soldat, si je puis dire. Et véritablement c’est une bénédiction divine que de l’avoir. Je m’excuse, je sais que tu es très pudique, je m’excuse d’avoir à lui dire comme cela, mais il est terriblement important pour une troupe de savoir qu’elle est engagée avec un général, un chef qui en vaille la peine. Et Dieu sait que Ludovine est beaucoup plus que cela.

    Merci de m’avoir écouté. On ne lâche rien. Ce n’est pas qu’un slogan. Véritablement, on se fait un serment en soi-même en se disant que jamais nous n’abandonnerons les combats de la famille, pour nos familles et pour la France. »

     

    Camel Bechikh

    Grenelle de la Famille
    Bordeaux, 16.X.13

     

    Camel Bechikh au Grenelle de la Famille

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