Projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Intervention d’Henri GUAINO, Député des Yvelines,
Pour la motion de rejet préalable
Mardi 29 janvier 2013
Monsieur le Président,
Mesdames les Ministres,
Mes chers collègues,
Permettez-moi de commencer par tenir une promesse que je me suis faite un triste jour de janvier 2010 dans la Chapelle des Invalides :
en prenant pour la première fois la parole à cette tribune, je veux rendre hommage à une grande voix républicaine qui s’est tue trop tôt, celle de Philippe Seguin.
Le 5 mai 1992, certains d’entre vous s’en souviennent, c’était la nuit tragique de Furiani, il était monté à cette même tribune et avait déclaré « je voudrais croire que nous sommes tous d’accord au moins sur un point : l’exceptionnelle importance, l’importance fondamentale du choix auquel nous sommes confrontés. »
Puis, il avait demandé à l’Assemblée de déclarer irrecevable le projet de loi Constitutionnel qui devait permettre la ratification du traité de Maastricht, parce que, disait-il, le Parlement n’avait pas le droit de prendre seul une telle décision.
Aujourd’hui, c’est pour un texte d’une tout autre nature, qui ne met pas en jeu la souveraineté nationale mais les fondements même de notre société, un texte qui a l’ambition, comme l’a dit Madame Le Garde des Sceaux, de réformer la civilisation, que je viens, avec une voix dont j’ai bien conscience qu’elle n’est pas aussi forte que celle de Philippe Seguin, mais avec une gravité comparable à la sienne vous demander de voter cette motion de rejet préalable, conformément à l’article 91 alinéa 5 du règlement de notre Assemblée.
Nous sommes dans un régime parlementaire.
La Vème République est un régime parlementaire.
Mais il arrive que sur des sujets d’une importance exceptionnelle, sur des textes d’une nature particulière, le choix du référendum ne soit pas une simple option mais une obligation : une obligation politique, une obligation intellectuelle, une obligation morale, même si elle n’est pas une obligation juridique.
La constitution offre la possibilité au Président de la république de faire voter le peuple au lieu du Parlement,
elle ne le lui impose pas.
Aussi, ce n’est pas la lettre mais l’esprit de nos institutions qui est ici en cause.
Nous pourrions, nous devrions, au moins nous accorder sur un point, c’est que ce projet de loi est d’une nature très différente de celle des projets qui sont d’habitude soumis au Parlement.
Nous pourrions, nous devrions au moins nous entendre sur un fait : que par son objet même, par les conséquences qu’il peut avoir, par la profondeur des sujets auxquels il touche, ce projet de loi n’est pas un projet de loi ordinaire.
Mes chers collègues,
Vous le savez tous, dès lors que ce projet de loi serait adopté tout retour en arrière serait très difficile, pour ne pas dire impossible. Non parce qu’il serait entré dans les mœurs, non parce que ceux qui aujourd’hui le rejettent – et avec quelle force – s’y seraient habitués, non pour des raisons politiques mais pour des raisons juridiques et pour des raisons humaines.
C’est une loi que l’on ne peut pas prendre à l’essai : si elle était adoptée, des couples se marieraient, des enfants naitraient. Comment dès lors imaginer revenir sur ce qui aurait été accompli ? Comment concevoir que la parole qui aurait été donnée à ces couples, à ces enfants puisse être reprise ? Mais de ce fait, ce que la majorité d’aujourd’hui déciderait, aucune majorité dans l’avenir ne pourrait le défaire.
Or, aucune majorité n’a le droit de dessaisir les majorités futures, c’est la loi d’airain de la démocratie !
Quand une décision quasiment irréversible doit être prise, seul le peuple souverain a le droit de la prendre.
C’est la loi de la République !
Ce texte touche à la conscience de chacun. En évoquant l’éventualité d’une « clause de conscience » pour les Maires, le Président de la république lui-même l’a reconnu.
Et il appartient, aujourd’hui, à notre Assemblée, à chacun d’entre nous, de répondre, en conscience, à la question de savoir si nous avons le droit, je dis bien le droit, en tant que Démocrate, en tant que Républicain de parler ici à la place de ceux que nous représentons, si nous avons le droit, oui le droit, de substituer sur un tel sujet notre conscience à la leur.
C’est la question de la République qui se trouve posée.
La République ne peut vivre que si chaque conscience républicaine est une conscience inquiète se demandant, à chaque instant, si elle n’utilise pas avec excès les pouvoirs qui lui ont été confiés, si elle exerce avec suffisamment de retenue l’autorité qu’on lui a octroyée.
Tous ceux qui sont chargés de faire fonctionner les institutions de la République doivent se rappeler sans cesse que quels que soient les droits, les pouvoirs dont ils disposent, ils n’ont, en vérité, que des devoirs.
La République ne va jamais aussi mal que lorsque cette exigence faiblit dans le cœur et la raison de ceux qui la servent. Et voyez comme elle va mal notre République. Combien elle a besoin de retrouver les vertus qui dans le passé lui ont donné tant de force.
Alors c’est à chaque conscience républicaine, inquiète de savoir où est son devoir que je m’adresse. Je veux lui dire que l’on aurait pu s’y prendre autrement : recenser les inégalités, les injustices, les souffrances et chercher tous ensemble, comme pour la loi bioéthique, une réponse commune afin de régler les problèmes d’héritage, de pension, et même répondre à la demande de reconnaissance d’un amour qui mérite autant de respect, de considération que toutes les autres formes d’amour.
La majorité ne l’a pas souhaité. Elle a voulu que la conclusion soit écrite par avance, irrévocablement, avec l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Avec ce paradoxe que ceux qui, dans le passé, ont tant décrié le mariage veulent aujourd’hui l’offrir à tous.
Dès lors que ce choix avait été fait, il ne pouvait plus y avoir de véritable débat. Un débat dont la conclusion est écrite d’avance, n’est pas un vrai débat. C’est un simulacre.
Si le Président de la République restait sur sa position,
Si la majorité ne changeait pas d’avis, le peuple serait deux fois bafoué :
La première parce qu’il n’aurait pas son mot à dire,
La deuxième parce qu’on l’aurait privé du débat par lequel il aurait pu se forger son jugement.
Mais est-il bien raisonnable de croire qu’à notre époque il est encore possible de tenir le peuple à l’écart de décisions qui conditionnent aussi irrévocablement son avenir ?
Est-il bien raisonnable de croire qu’une loi votée de cette manière - qu’il faut considérer pour ce qu’elle serait, c’est-à-dire un passage en force – pourrait devenir la loi de tous dans les consciences et dans les cœurs ?
Quand on viole les consciences, quand on les piétine, elles se raidissent, elles se ferment.
Regardez ce qui se passe dans la société, regardez les déchirures : On ne crée pas de l’ouverture d’esprit, de la tolérance et mieux que de la tolérance, de la compréhension, du respect, de la fraternité par la brutalité aveugle de la loi.
Pourquoi ne pas admettre enfin que la loi ne peut pas tout régler quand c’est dans l’intimité de la conscience de chacun que se trouve la réponse ?
Pourquoi ne pas reconnaitre qu’il y a toujours dans une société des zones grises où les sentiments et les raisons sont si enchevêtrées que la loi en cherchant à les trancher fait plus de mal que de bien ?
En parlant du mariage pour tous, le gouvernement dit :
Amour !
Mais qui sur ces bancs conteste à deux êtres qui s’aiment le droit de s’aimer ?
Le gouvernement dit :
Liberté !
Mais qui sur ces bancs conteste à quiconque la liberté de vivre selon son cœur ?
Le gouvernement dit :
Égalité des droits !
Mais le mariage n’est pas un droit, c’est une institution.
Le gouvernement dit :
Progrès !
Nous lui opposons la sagesse multimillénaire que toutes les sociétés humaines ont tirée de l’expérience de la vie.
Le million de Français qui est descendu dans les rues de Paris le 13 janvier, parlant pour des millions et des millions d’autres qui n’avaient pu venir, n’a pas manifesté contre l’amour, ni contre la liberté, ni contre l’égalité des droits, ni contre le progrès.
Il a manifesté pour défendre une institution aussi ancienne que la civilisation. Il a manifesté parce que dénaturer cette institution, ce serait bouleverser l’ordre social pour tout le monde, pas seulement pour quelques-uns.
La plupart de ceux qui sont opposés à ce projet, n’ont ni moins de cœur, ni moins de générosité que ceux qui le soutiennent. Ils ne sont pas moins dignes de respect. Ils savent que la société a changé, que les mentalités ont évolué, que la famille s’est transformée. Ils portent sur le monde un regard bienveillant. Ils ne veulent blesser personne. On avait dit qu’il y aurait des débordements, des outrances.
Il n’y en a pas eu une seule !
À ces Français simples et dignes qui ne demandent au fond qu’un peu de respect, de démocratie et de République n’allons-nous répondre que par ces deux mots terribles : Taisez-vous !
Qui peut croire que c’est possible ? Qui peut croire que cela ne laisserait pas de trace ?
Taisez-vous !
Qui peut croire que la République n’en sortirait pas blessée ?
Mes chers collègues, non seulement nous avons à nous prononcer sur un sujet qui n’est au fond, nous le savons bien, comparable à aucun autre, mais nous avons à le faire dans un de ces moments de l’histoire très particuliers, où la politique se voit sommée de redonner un sens aux mots de Civilisation, de civilité, de civilisé.
Dans quelle société, dans quelle civilisation voulez-vous nous faire vivre ? Voilà la question que dans des périodes de malaises et de crises profondes, quand un vieux monde n’arrive pas à mourir et qu’un nouveau n’arrive pas à naître, tous les peuples du monde adressent à tous les pouvoirs et d’abord bien entendu à la politique. Question légitime si l’on veut bien considérer la politique comme l’expression de la volonté humaine dans l’Histoire.
Avec ce texte, nous n’avons pas à prendre position seulement sur une mesure,
pas seulement sur un droit,
pas seulement sur un statut,
nous discutons d’un texte qui est bien davantage qu’un texte : une déclaration d’intentions sur la manière dont nous allons faire évoluer notre société, sur les principes sur lesquels elle se construira, sur les valeurs qu’elle reconnaitra comme siennes.
Nous avons à prendre position sur une politique de civilisation. Oui, une politique de civilisation.
Qu’y a-t-il derrière ce texte sinon d’abord la négation de la différence des sexes et dans le domaine où elle est la plus évidente : celui de la procréation et de la relation à l’enfant ?
Ouvrir le mariage aux couples de même sexe, c’est donner le droit d’avoir des enfants à des couples auxquels la loi de la nature ne le permet pas.
Il ne faut pas tricher avec cette question, il ne faut pas se mentir à ce sujet, c’est un sujet trop grave.
Il n’y a pas d’un côté le mariage et de l’autre côté la procréation et l’enfant.
Dès lors que l’on touche au mariage, on implique l’enfant.
Dès lors que l’on touche au mariage, on pose inéluctablement la question de la procréation.
Dès lors que l’on touche au mariage, on ne peut pas éviter les conséquences sur la filiation.
Et qu’est-ce que cela signifie de vouloir donner un véritable « droit à l’enfant » à des couples de même sexe sinon d’abord que l’on est convaincu qu’il n’y a aucune différence entre le père et la mère.
Qu’il y ait des préjugés sociaux dans la répartition des tâches entre les hommes et les femmes au sein la société, qui le nierait ?
Mais que les relations de l’enfant avec son père ou avec sa mère ne soient que l’expression des préjugés sociaux, quelle idée folle ! Qui donc a aimé de la même manière son père et sa mère ? Qui donc a été aimé de la même manière par son père et par sa mère ?
Il faut l’homme et la femme, le père et la mère, pour engendrer et guider l’enfant sur le chemin de la vie. C’est une loi de la nature. Une loi qu’aucune loi humaine ne peut abolir. Les accidents de la vie en décident parfois autrement. Et chacun s’en sort du mieux qu’il peut. Mais pensez toujours, oui pensez toujours, aux souffrances intimes, aux blessures secrètes de tous ceux auxquels, malgré l’amour infini qu’ils ont reçu de ceux qui les ont élevés, il a manqué et il manque toujours, pour la vie, une mère ou un père.
Et à ceux qui prétendent que les enfants des couples de même sexe apprendront la différence des sexes en regardant autour d’eux ce qui se passe dans la société, je voudrais dire qu’ils semblent ignorer à quel point la prise de conscience pour un enfant qu’il est différent des autres est toujours, pour lui, une source de douleur.
J’ai parlé, un jour, de la souffrance de l’enfant sans père ou sans mère qui devait répondre aux questions :
profession du père, profession de la mère ?
Madame le Ministre de la famille m’a répondu que l’on ne faisait pas de la politique à partir d’un cas personnel. Mais on ne fait pas de politique non plus sans qu’elle soit profondément ancrée dans l’expérience d’une vie, les épreuves affrontées, les peines et les joies ressenties.
À la politique sèche et froide des idéologues, il faut sans cesse opposer la politique charnelle, la politique humaine. Si vous lisiez toutes les lettres que j’ai reçues de Français connus et inconnus, vous sauriez qu’en vous parlant de moi, j’ai parlé pour tous ceux qui ont vécu le même drame intime souvent sans en parler jamais.
Mesdames les Ministres, vous vous défendez - et avec quelle énergie - de vouloir faire disparaitre les mots de mère et de père du Code Civil mais votre dessein est de les faire disparaitre de la société. Voilà la vérité, vous qui ne croyez pas qu’il y a des différences entre l’une et l’autre.
Les racines idéologiques de votre projet sont décidément très profondes : vous ne voulez pas seulement que l’homme domine la nature. Vous voulez que le social triomphe de la nature et que sa victoire soit sans partage.
Vous tournez le dos à la raison. Car c’est la déraison qui commande à l’homme de vouloir nier sa nature.
Où cela nous mènerait-il sinon sur les voies les plus dangereuses ?
Ce texte n’est pas qu’un texte : s’il était adopté, il aurait des conséquences. Voulez-vous réellement les conséquences de ce que vous voulez instaurer ?
Croire que la question du mariage peut être dissociée de celle de la procréation médicale assistée et de celle de la procréation pour autrui, c’est se mentir à soi-même. Cette dissociation est impossible.
Si l’on donnait le droit à des couples par nature stériles d’avoir des enfants, on ne pourrait leur refuser les moyens d’en avoir. On finirait donc, et une partie de la majorité ne s’en cache pas, par donner accès à la procréation assistée à tous les couples de femmes.
Madame le Ministre de la famille m’a dit : la PMA qui est autorisée pour les couples hétérosexuels qui souffrent d’un problème de stérilité crée déjà pour ces couples un « droit à l’enfant ».
Mais dans le cas des couples hétérosexuels, il s’agit seulement d’aider à l’accomplissement de la loi de la nature. Dans le cas de couples de même sexe, il s’agirait, au contraire, de s’affranchir de cette loi. Cela changerait tout. Ce serait faire passer la procréation assistée du champ médical où elle est étroitement contenue dans celui du social. Ce serait ne plus regarder la procréation que sous le seul angle du désir.
Une mère m’a écrit ces quelques mots : « mon mari et moi avons des jumelles de 14 ans issues de PMA à partir de mes gamètes et de celles de mon mari. Je ne juge pas les couples qui font appel à un don de spermatozoïdes mais c'est de tout autre nature. Il y a un vrai déséquilibre dans le couple : c'est l'enfant biologique d'un seul des parents. Je crois que ça peut poser des soucis aux enfants surtout si l'enfant ne sait pas que son père n'est pas le père biologique. Et si cette loi passe, nous allons fabriquer des milliers d’enfants.
Après, disait-elle, c'est l'amour qui compte. »
C’est l’amour qui compte…..
Mais qu’allons-nous faire de l’amour dans cette histoire ?
Il est bien difficile pour n’importe quel parent d’élever des enfants et je suis bien certain que deux femmes ou deux hommes peuvent donner autant d’amour qu’un père et une mère. Les deux femmes qui m’ont élevé m’ont aimé sans compter. Mais que deviendrait l’amour lorsque ayant donné aux femmes les moyens d’exercer ce droit à l’enfant, on ne pourrait pas le refuser indéfiniment aux hommes : on leur concéderait les mères porteuses à moins que ce ne soient les juges qui le fassent. Au nom de cette exigence d’égalité à laquelle le projet de loi qui nous est présenté prétend répondre. Alors s’installerait, fatalement, une relation de client à fournisseur en matière de procréation, la marchandisation des corps, la demande par les clients d’enfants sans défaut, d’enfants qui leur ressemblent…. Devant certains tribunaux dans le monde, on débat déjà pour savoir si l’intérêt de l’enfant doit primer sur le contrat ou l’inverse.
Après, c’est l’amour qui compte….
Mais que deviendrait l’amour alors dans cette relation marchande, dans cet asservissement des corps des plus pauvres ? Dans cette société qui en tout et pour tout ferait passer le plaisir et l’utilité devant tout autre considération, et où serait occultée la dimension spirituelle de l’enfant, de la personne humaine ?
Je veux parler à tous ceux d’entre vous qui, sur tous les bancs de cette Assemblée, n’ont pas renoncé à l’idéal de la République.
Ne voient-ils pas que cette société serait à l’opposé de l’idéal que nous ont légué les Lumières et 20 siècles de civilisation ?
Quel modèle, quel repère pourrions-nous donner alors à nos enfants, à nos petits-enfants ? Que leur dirions nous à chaque fois qu’ils nous interpelleraient par ces mots si fréquents dans leur bouche : « à quoi cela me sert-il ? En quoi cela me procure-t-il du plaisir ? Alors que l’enfant lui-même ne serait plus qu’un obscur objet du désir ?
Comment trouverions-nous les mots pour dire à nos enfants que les plus grandes satisfactions de l’homme sont dans la récompense des efforts qu’il consent sur lui-même, dans les exigences qu’il s’impose à lui-même, dans les principes et dans les règles qui le grandissent en lui fixant des limites.
Comment pourrions-nous encore dire à nos enfants qu’entre la recherche du plaisir le plus immédiat et le plus superficiel et l’utilitarisme le plus étroit, ils ne trouveraient qu’une vie médiocre ?
Quel Républicain ne voit qu’entre l’égalitarisme qui est le principe de cette loi et le communautarisme qui en est l’impensé, il n’y a pas de place pour la République ? Quel Républicain ne comprend qu’en faisant de la revendication de quelques-uns aussi légitime, soit-elle la loi de tous, on fait le contraire de la République.
À tous ceux qui parlent de conservatisme à propos des hommes et des femmes qui s’inquiètent que le pas qu’on veut leur faire franchir soit un pas de trop, une conscience républicaine ne devrait-elle pas répondre que si la République c’est l’audace d’inventer l’avenir, ce n’est pas, pour autant, l’oubli de toutes les leçons de l’Histoire humaine ?
À tous ceux qui exigent que l’on dise oui à leur réforme au nom soi-disant du progrès, une conscience républicaine ne devrait-elle pas répondre que « seul l’esclave dit toujours oui » ?
Oh certes, une telle société peut advenir même sans la dénaturation du mariage. Mais avec ce projet de loi,
nous lui ouvrons grand la porte,
nous l’appelons,
nous rendons son avènement quasiment inéluctable.
Aucune conscience républicaine ne peut rester indifférente à ce danger. C’est le rôle, c’est le devoir, c’est la nature même d’une conscience républicaine d’être inquiète des conséquences des choix que nous nous apprêtons à faire.
Je m’adresse donc à toutes les consciences républicaines que compte cette Assemblée, qu’elles soient de droite, qu’elles soient du centre ou qu’elles soient de gauche :
Comment trancher entre les consciences qui ne sont pas suffisamment inquiètes de ce projet de loi et celles qui, peut-être, le sont trop ?
Comment trancher sinon en permettant à chaque Français de prendre part à la décision ?
Mes chers collègues, je voudrais que chacun d’entre vous, avant de décider, s’il vote pour ou contre cette motion, mesure bien l’importance de sa décision, non seulement pour le présent mais aussi pour l’avenir.
Car nous devons nous demander de quelle manière nous allons répondre à toutes les grandes et graves questions de société et de civilisation que toutes les crises que nous vivons vont nous obliger à affronter dans les années qui viennent.
Les aborderons-nous en faisant prévaloir la seule logique des majorités parlementaires, la seule logique des camps et des partis ?
C’est une question de morale, mais pas seulement car comment rendrons nous acceptables, légitimes – et cette légitimité est indispensable – les règles et les principes au nom desquels nous acceptons de vivre ensemble et de partager – ce n’est pas rien – une destinée commune, si la seule logique qui prime toujours est celle du rapport de force ?
Je ne dis pas cela pour contester la légitimité de la majorité parlementaire - de celle-ci pas plus que d’une autre - à gouverner. C’est la loi de la Démocratie, je l’ai toujours respectée.
Je le dis parce qu’il est des moments et il est des sujets qui appellent chacun à suivre sa conscience davantage que son parti.
Ce moment en est un.
Ce sujet en est un.
Mes chers collègues,
En 1984, François Mitterrand avait imposé contre le souhait de son gouvernement et d’une partie de sa majorité le retrait du projet de loi sur l’école, non parce qu’il avait peur de la rue mais parce qu’il ne voulait pas rouvrir une guerre scolaire dont il se souvenait le mal qu’elle avait fait à la France.
En 1992, il avait répondu à la grande voix de Philippe Seguin en prenant le risque du référendum et du débat. Il avait compris qu’il fallait prendre ce risque pour que la monnaie unique soit la monnaie de tous.
À chaque fois, François Mitterrand ne s’était pas abaissé dans son rôle de chef de l’Etat. Il s’était grandi.
On se grandit toujours quand on donne la parole au peuple.
Il reste quelques semaines au Président de la République pour méditer les leçons de son prédécesseur.
Mais aujourd’hui, c’est à nous de décider pour nous-même.
Nous pouvons décider que c’est au peuple et non à nous de trancher.
Si notre Assemblée fait ce choix, elle ne diminuera pas en prestige, elle ne ruinera pas son autorité : elle les renforcera.
Personne ne se reniera,
Personne ne se déshonorera.
Au contraire, chacun d’entre nous aura redonné du sens au beau nom de « représentant du peuple ».
Mes chers collègues,
Je vous ai parlé pour l’avenir, et c’est pour l’avenir que vous allez décider.
Un dernier mot, Madame le Ministre de la famille : non, je n’aurai pas honte quand mes enfants, mes petits enfants liront les mots que j’ai utilisé dans ce débat avec le souci constant de ne blesser personne mais la conviction profonde que le combat contre la société que ce texte appelle est légitime.
Projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Intervention d’Henri GUAINO, Député des Yvelines,
Pour la motion de rejet préalable
Mardi 29 janvier 2013