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  • Des raisons de donner sa vie & la vie en Europe — Fabrice Hadjadj

    Fabrice Hadjadj Portrait.jpgChers Djihadistes — c'est le titre d'une lettre ouverte publiée par Philippe Muray — un de nos plus grands polémistes français — peu après les attentats du 11 septembre 2001. Cette lettre s'achève par une série d'avertissements aux terroristes islamiques, mais ceux qu'elle vise en vérité, par ricochet et par ironie, ce sont les Occidentaux fanatiques du confort et du supermarché. Je vous cite un passage dont vous allez tout de suite capter l'heureuse et cinglante raillerie : « [Chers Djihadistes], craignez la colère du consommateur, du touriste, du vacancier descendant de son camping-car ! Vous nous imaginez vautrés dans des plaisirs et des loisirs qui nous ont ramollis, Eh bien nous lutterons comme des lions pour protéger notre ramollissement. […] Nous nous battrons pour tout, pour les mots qui n'ont plus de sens et pour la vie qui va avec. » Et l'on peut ajouter aujourd'hui : nous nous battrons spécialement pour Charlie Hebdo, journal hier moribond, et qui n'avait aucun esprit critique — puisque critiquer, c'est discerner, et que Charlie mettait dans le même sac les djihadistes, les rabbins, les flics, les catholiques, les Français moyens — mais nous en ferons justement l'emblème de la confusion et du néant qui nous animent !

    Voilà à peu près l'état de l'État français. Au lieu de se laisser interpeler par les événements, il en remet une couche, il en profite pour se payer sa bonne conscience, remonter dans les sondages, se ranger du côté des victimes innocentes, de la liberté bafouée, de la moralité outragée, pourvu qu'on ne reconnaisse pas le vide humain d'une politique menée depuis plusieurs décennies, ni l'erreur d'un certain modèle européocentrique selon lequel le monde évoluerait fatalement vers la sécularisation, alors qu'on assiste presque partout ailleurs, et au moins depuis 1979, à un retour du religieux dans la sphère politique. Mais voilà : cette trop bonne conscience et cet aveuglement idéologique sont en train de préparer pour bientôt, sinon la guerre civile, du moins le suicide de l'Europe.

    La première chose qu'il faut constater, c'est que les terroristes des récents attentats de Paris sont des Français, qu'ils ont grandi en France et ne sont pas des accidents ni des monstres, mais des produits de l'intégration à la française, de vrais rejetons de la République actuelle, avec toute la révolte que cette descendance peut induire.

    En 2009, Amedy Coulibaly, l'auteur des attentats de Montrouge et du supermarché casher de Saint-Mandé, était reçu au palais de l'Élysée par Nicolas Sarkozy avec neuf autres jeunes choisis par leurs employeurs pour témoigner des bienfaits de la formation par alternance: il travaillait alors en contrat de professionnalisation à l'usine Coca-Cola de sa ville natale de Grigny —Les frères Kouachi, orphelins issus de l'immigration, furent recueillis entre 1994 et 2000 dans un Centre d'éducation en Corrèze appartenant à la fondation Claude-Pompidou. Au lendemain de la fusillade au siège de Charlie Hebdo, le chef de ce Centre éducatif marquait sa stupéfaction: « On est tous choqués par l'affaire et parce qu'on connait ces jeunes. On a du mal à s'imaginer que ces gamins qui ont été parfaitement intégrés (ils jouaient au foot dans les clubs locaux) puissent comme ça délibérément tuer. On a du mal à y croire. Durant leur parcours chez nous, ils n'ont jamais posé de problème de comportement. Saïd Kouachi […] était tout à fait prêt à rentrer dans la vie socio-professionnelle. » Ces propos ne sont pas sans rappeler ceux du maire de Lunel -petite ville du Sud de la France- qui s'étonnait que dix jeunes de sa commune soient partis faire le djihad en Syrie, alors qu'il venait de refaire un magnifique skate park au milieu de leur quartier…

    Quelle ingratitude ! Comment ces jeunes n'ont-ils pas eu l'impression d'avoir accompli leurs aspirations les plus profondes en travaillant pour Coca-Cola, en faisant du skate board, en jouant dans le club de foot local ? Comment leur désir d'héroïcité, de contemplation et de liberté ne s'est-il pas senti comblé par l'offre si généreuse de choisir entre deux plats surgelés, de regarder une série américaine ou de s'abstenir aux élections ? Comment leurs espérances de pensée et d'amour ne se sont-elles pas réalisées en voyant tous les progrès en marche, à savoir la crise économique, le mariage gay, la légalisation de l'euthanasie ? Car c'était précisément le débat qui intéressait le gouvernement français juste avant les attentats: la République était toute tendue vers cette grande conquête humaine, la dernière sans doute, à savoir le droit d'être assisté dans son suicide ou achevé par des bourreaux dont la délicatesse est attestée par leur diplôme en médecine…

    Comprenez-moi: les Kouachi, Coulibaly, étaient « parfaitement intégrés », mais intégrés au rien, à la négation de tout élan historique et spirituel, et c'est pourquoi ils ont fini par se soumettre à un islamisme qui n'était pas seulement en réaction à ce vide mais aussi en continuité avec ce vide, avec sa logistique de déracinement mondial, de perte de la transmission familiale, d'amélioration technique des corps pour en faire de super-instruments connectés à un dispositif sans âme…

    Un jeune ne cherche pas seulement des raisons de vivre, mais aussi, surtout — parce que nous ne pouvons pas vivre toujours — des raisons de donner sa vie. Or y a-t-il encore en Europe des raisons de donner sa vie ? La liberté d'expression ? Soit ! Mais qu'avons-nous donc à exprimer de si important ? Quelle Bonne nouvelle avons-nous à annoncer au monde ?

    Cette question de savoir si l'Europe est encore capable de porter une transcendance qui donne un sens à nos actions ­— cette question, dis-je, parce qu'elle est la plus spirituelle de toutes, est aussi la plus charnelle. Il ne s'agit pas que de donner sa vie ; il s'agit aussi de donner la vie. Curieusement, ou providentiellement, dans son audience du 7 janvier, le jour même des premiers attentats, le pape François citait une homélie d'Oscar Romero montrant le lien entre le martyre et la maternité, entre le fait d'être prêt à donner sa vie et le fait d'être prêt à donner la vie. C'est une évidence incontournable: notre faiblesse spirituelle se répercute sur la démographie ; qu'on le veuille ou non, la fécondité biologique est toujours un signe d'espoir vécu (même si cet espoir est désordonné, comme dans le natalisme nationaliste ou impérialiste).

    Si l'on adopte un point de vue complètement darwinien, il faut admettre que le darwinisme n'est pas un avantage sélectif. Croire que l'homme est le résultat mortel d'un bricolage hasardeux de l'évolution ne vous encourage guère à avoir des enfants. Plutôt un chat ou un caniche. Ou peut-être un ou deux petits sapiens sapiens, par inertie, par convention, mais au final moins comme des enfants que comme des joujoux pour exercer votre despotisme et vous distraire de votre angoisse (avant de l'aggraver radicalement). La réussite théorique du darwinisme ne peut donc aboutir qu'à la réussite pratique des fondamentalistes qui nient cette théorie, mais qui, eux, font beaucoup de petits. Une amie islamologue, Annie Laurent, eut pour moi sur ce sujet une parole très éclairante : « L'enfantement est le djihad des femmes. »

    Ce qui détermina jadis le Général de Gaulle à octroyer son indépendance à l'Algérie fut précisément la question démographique. Garder l'Algérie française en toute justice, c'était accorder la citoyenneté à tous, mais la démocratie française étant soumise à la loi de la majorité, et donc à la démographie, elle finirait par se soumettre à la loi coranique. De Gaulle confiait le 5 mars 1959 à Alain Peyrefitte : « Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l'intégration, si tous les Arabes et Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées! »

    Il y a certes une libération de la femme dont nous pouvons être fiers, mais lorsque cette libération aboutit au militantisme contraceptif et abortif, la maternité et la paternité étant désormais conçus comme des charges insupportables pour des individus qui ont oublié qu'ils sont d'abord des fils et des filles, cette libération ne peut que laisser la place, après quelques générations, à la domination en nombre des femmes en burqa, car les femmes en mini-jupes se reproduisent beaucoup moins.

    Nous avons beau jeu de protester: « Oh ! la burqa ! quelles mœurs barbares ! » Ces mœurs barbares permettent, par une immigration compensant la dénatalité européenne, de faire tourner notre civilisation du futur — enfin, d'un futur sans postérité…

    Au fond, les djihadistes commettent une grave erreur stratégique : en provoquant des réactions indignées, ils ne réussissent qu'à ralentir l'islamisation douce de l'Europe, celle que présente Michel Houellebecq dans son dernier roman (paru aussi le 7 janvier), et qui s'opère du fait de notre double asthénie religieuse et sexuelle. À moins que notre insistance à « ne pas faire d'amalgame », à dire que l'islam n'a rien à voir avec l'islamisme (alors qu'aussi bien le président égyptien Al-Sissi que les frères musulmans nous disent le contraire), et à nous culpabiliser de notre passé colonial -à moins que toute cette confusion nous livre avec encore plus d'obséquiosité vaine au processus en cours.

    Il est en tout cas une vanité que nous devons cesser d'avoir — c'est de croire que les mouvements islamistes sont des mouvements pré-Lumières, barbares comme je le disais plus haut, et qui se modéreront sitôt qu'ils découvriront les splendeurs du consumérisme. En vérité, ce sont des mouvements post-Lumières. Ils savent que les utopies humanistes, qui s'étaient substituées à la foi religieuse, se sont effondrées. En sorte qu'on peut se demander avec raison si l'islam ne serait pas le terme dialectique d'une Europe techno-libérale qui a rejeté ses racines gréco-latines et ses ailes juive et chrétienne : comme cette Europe ne peut pas vivre trop longtemps sans Dieu ni mères, mais comme, en enfant gâtée, elle ne saurait revenir à sa mère l'Église, elle consent finalement à s'adonner à un monothéisme facile, où le rapport à la richesse est dédramatisé, où la morale sexuelle est plus lâche, où la postmodernité hi-tech bâtit des cités radieuses comme celles du Qatar. Dieu + le capitalisme, les houris de harem + les souris d'ordinateur, pourquoi ne serait-ce pas le dernier compromis, la véritable fin de l'histoire ?

    Une chose me paraît certaine : ce qu'il y a de bon dans le siècle des Lumières ne saurait plus subsister désormais sans la Lumière des siècles. Mais reconnaîtrons-nous que cette Lumière est celle du Verbe fait chair, du Dieu fait homme, c'est-à-dire d'une divinité qui n'écrase pas l'humain, mais l'assume dans sa liberté et dans sa faiblesse ? Telle est la question que je vous pose en dernier lieu : Vous êtes romains, mais avez-vous des raisons fortes pour que Saint-Pierre ne connaisse pas le même sort que Sainte-Sophie ? Vous êtes italiens, mais êtes-vous capable de vous battre pour la Divine Comédie, ou bien en aurez-vous honte, parce qu'au chant XXVIII de son Enfer, Dante ose mettre Mahomet dans la neuvième bolge du huitième cercle ? Enfin, nous sommes européens, mais sommes-nous fiers de notre drapeau avec ses douze étoiles ? Est-ce que nous nous souvenons même du sens de ces douze étoiles, qui renvoient à l'Apocalypse de saint Jean et à la foi de Schuman et De Gasperi ? Le temps du confort est fini. Il nous faut répondre, ou nous sommes morts : pour quelle Europe sommes-nous prêts à donner la vie ?

    Fabrice Hadjadj
    Publié dans Figaro Vox

    Écrivain et philosophe, directeur de l'Institut européen d'études anthropologiques Philanthropos. Son dernier essai, Puisque tout est en voie de destruction, a été publié chez Le Passeur Éditeur (avril 2014).

    Ce texte est celui d'une intervention donnée par le philosophe en Italie à la Fondation de Gasperi devant les ministres italiens de l'Intérieur et des Affaires étrangères, le président de la communauté juive de Rome, le vice-président des communautés religieuses islamiques de la ville.

     

     

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  • Bien qu’ayant honte d’elle-même et de son histoire, la France continue de vouloir donner des leçons au monde entier

    L e t t r e     à    m o n    f r è r e    m u s u l m a n

    Croix-Croissant.jpgPardonne-moi Brahim : l’autre jour l’évêque, qui avait remarqué tes larmes, t’avait largement ouvert les bras et te serrait contre lui. Ces pleurs accueillis en silence valaient tous les mots que j’aurais pu trouver pour te consoler. Tu nous as dit ensuite que tes larmes ne venaient pas des attitudes hostiles aux musulmans en France, mais de cette haine banalisée contre les religions, contre ta religion, à travers ces caricatures obscènes de ce qui est le plus précieux à tes yeux, ton prophète.

    Pardonne-moi parce qu’après cette folie meurtrière des attentats du mois de janvier, nous n’avons trouvé comme antidote que quelques slogans indigents, dont on constate déjà qu’ils n’étaient pas à la hauteur de la situation. Tu nous disais ton incompréhension face à ce rejet brutal de tes raisons de vivre par l’affirmation grossière d’un « devoir de blasphème ». Je me souviendrai longtemps de tes paroles sages affirmant que le fond du problème n’était pas la présence de Dieu, mais bien plutôt son absence de la société. La violence vient du fait que l’on a oublié Dieu, qu’on fait même tout pour le faire disparaître de l’horizon de l’homme. Charles de Foucauld Portrait photo.jpgPardonne-moi parce que nous avons certainement une responsabilité en cela. Toi, dont les ancêtres marocains impressionnèrent Charles de Foucauld explorateur par leur ferveur et leur sens du sacré, tu as été surpris en arrivant en France à l’âge de 16 ans : où donc était Dieu ?

    Pardonne-moi, parce que nous catholiques sommes lents à reconnaître nos torts dans les malheurs d’aujourd’hui, nos « responsabilités dans les maux de notre temps », comme « l’indifférence religieuse qui conduit beaucoup d’hommes d’aujourd’hui à vivre comme si Dieu n’existait pas » et la perte du sens de la transcendance… Nous n’avons pas manifesté l’authentique visage de Dieu « en raison des défaillances de notre vie religieuse, morale et sociale ».

    Pardonne-moi parce que ton profond respect pour la piété est blessé par cette hostilité qui n’est plus muette envers les croyants. Pardon pour toutes les fois où tu t’es senti heurté par l’agressivité de ces militants de l’impiété. Ils disent : pas de Dieu, mais pour toi –comme pour nous !- c’est une folie. Pardonne-moi parce que nous avons fait de cette maladie de l’intelligence une nouvelle religion : l’athéisme.

    Pardonne-moi parce que cette laïcité dont on nous parle abondamment en des termes élogieux est une idée chrétienne devenue folle. Principe évangélique sage, il a été travesti et détourné d’une façon violemment anticléricale. Avec les années nous pensions qu’il était redevenu pacifique : voilà qu’il méprise à nouveau les croyants. Parce que le laïcisme est incapable de comprendre l’Islam, il montre son dédain envers toute la dimension religieuse de l’homme et professe sa commisération pour les chrétiens. Rassure-toi, la laïcité n’est pas ce que nous avons de plus sacré et la République n’est pas devenue notre religion commune. Jamais notre foi chrétienne ne s’est cantonnée à la sphère privée, jamais elle ne doit non plus porter atteinte à la légitime autonomie des réalités temporelles.

    Pardonne-moi parce qu’on n’entend plus ces jours-ci que des appels à l’avènement d’un Islam modéré, républicain et laïc. Je suis confus que l’on puisse ainsi mépriser ta religion en s’adjugeant le pouvoir de déterminer quel est le bon ou le mauvais musulman. C’est une grande tradition jacobine française que de chercher à asservir la religion, à la museler. Mais n’est pas Napoléon qui veut… Même lui d’ailleurs, ayant échoué à éliminer l’Eglise, dût se résigner à composer avec le Pape.

    Pardon, parce seuls vous pouvez nous dire et définir ce qu’est l’Islam. Comme tu le sais nous croyons en la Révélation de Dieu en Jésus-Christ. Le rapport difficile de l’Islam avec la violence n’est pas sans lien avec le statut du Coran et la place de la raison. Mais il ne nous appartient pas de l’interpréter à votre place. Nous ne pouvons que vous donner notre sentiment : il nous apparaît nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu au moyen de la raison. Pardon pour ces exégèses abusives de votre livre, pour qu’il soit absolument laïco-compatible. Nous dissertons sur le Coran, mais nous ignorons le nom de nos voisins musulmans.

    Pardonne-moi Brahim, parce que cette France, obscène et arrogante, obsédée et méprisante, n’est pas la France. Pardonne-moi parce que, bien qu’ayant honte d’elle-même et de son histoire, elle continue de vouloir donner des leçons au monde entier.

    Pardonne-moi parce que nous avons eu peur de vous parler. Nous n’avons pas osé vous dire que les chrétiens souffrent souvent en terre d’Islam et nous avons murmuré derrière votre dos. Nous avons préféré nous taire et nous plaindre, honteux de notre foi. Pardonne-moi parce que nous n’avons pas osé vous partager le meilleur de notre Évangile et les trésors de la Révélation, ne vous aimant pas assez pour cela. Oui, c’est cela, nous ne vous aimons pas assez, nous sommes des témoins peu crédibles de notre foi en Jésus-Christ.

    Tu auras compris que, même si nous souffrons de ses contradictions, nous aimons notre pays, devenu aussi le tien. Même s’ils ne nous faisaient pas rire, nous pleurons les défunts journalistes des attentats, comme les autres victimes : nous prions pour eux et leurs familles. Même si nous ne partageons pas votre foi, nous vous estimons et voulons tisser des relations qui soient fraternelles.

    Accepte notre demande de pardon et accueille notre désir de mieux te connaître et de te rencontrer. Veuille nous accorder la possibilité de bâtir avec toi la Civilisation de l’Amour.

    PèreLM Guitton Portrait.jpgPère Louis-Marie Guitton
    Publié dans l'Observatoire Socio-Politique du diocèse de Fréjus 

    Logo ObservatoirSocioPolitiq.jpg

     

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  • Nous devons stopper notre décomposition culturelle et redécouvrir ce que nous sommes vraiment : la France est d’abord un pays, pas une forme de gouvernement

    Nicole Buron, Rédactrice en Chef de la revue Permanences interroge Guillaume de Prémare, Délégué général d'Ichtus, qui analyse la situation après les 7, 8 et 11 janvier 2015.

    https://www.youtube.com/watch?v=iabrZfD2lTk

     

    Capture d’écran 2015-02-05 à 14.33.28.pngQue pensez-vous de ce que nous vivons autour du choc « Charlie Hebdo » ?

    G2 Prémare 3.jpgIl faut partir du fait générateur qui est le terrorisme. La France a déjà connu, dans un passé récent, des vagues de terrorisme. Mais elles n’étaient pas de la même nature. Je vois deux différences profondes.

    La première différence est que les vagues de terrorisme des années 1980 et 1990 étaient principalement destinées à faire pression sur la politique internationale de la France, qu’il s’agisse du conflit israélo-palestinien ou de l’Algérie. Aujourd’hui, les terroristes cherchent aussi à faire pression sur la France par rapport à ses engagements militaires à travers le monde, mais ils poursuivent plus largement un objectif de conquête politico-religieuse à l’échelle mondiale, ce qui est nouveau, appuyé sur une idéologie politico-religieuse qui est ancienne.

    La deuxième différence, c’est que les terroristes venaient jusqu’ici le plus souvent de l’extérieur. Aujourd’hui, l’islam radical s’appuie principalement sur des musulmans qui vivent en France, et sont même de nationalité française. Les jeunes sont radicalisés en France, font leurs armes à l’étranger puis reviennent en France pour combattre. C’est un élément-clé de la stratégie terroriste en France : mener une guerre de l’intérieur qui s’appuie sur des troupes déjà sur le sol français.

    guillaume de prémare,nicole buron,ichtus,politique,conscience,la france,islam,camel bechikhSelon vous, quelle est la stratégie de ces terroristes ?

    Leur stratégie est de semer le chaos, de provoquer un état de choc global de notre société, pour créer une fracture irrémédiable entre les musulmans français et le reste de la population. Ils commettent donc des attentats pour faire grimper à son paroxysme la peur de l’islam et l’hostilité envers l’islam, jusqu’à la psychose, à un point tel que les musulmans ressentent cette hostilité, y compris, si possible, en raison de représailles contre la communauté musulmane. Il nous faut donc impérativement éviter les délires identitaires agressifs.

    Ils misent sur l’aspect très communautaire de la religion musulmane pour gagner l’opinion musulmane. Celle-ci, se sentant en terrain hostile, se communautariserait toujours davantage et serait mûre pour d’abord éprouver de la sympathie pour le djihadisme, ensuite leur apporter un soutien. Cela ne signifie pas qu’une majorité des millions de musulmans qui vivent en France deviendrait terroriste – dans une guerre les combattants sont toujours minoritaires -, mais les islamistes pourraient recruter de jeunes musulmans sur un terreau de plus en plus favorable et évoluer, dans les quartiers musulmans, en terrain ami. Je ne dis pas qu’ils vont réussir, mais je pense que c’est leur projet.

    Pour accentuer ce processus de séparation des musulmans de la communauté nationale, il y a un autre aspect qui est la guerre culturelle. Il s’agit de séparer toujours davantage culturellement les musulmans de la culture française. Pour cela, ils s’appuient sur la décomposition de la culture française pour en faire un parfait repoussoir pour tout bon musulman. Plus la société française est athée, libertaire, permissive, consumériste, sans repères, vide de sens, et en faillite éducative, plus la fracture culturelle grandit avec les musulmans. Je crois que cet aspect des choses est majeur dans le défi auquel nous sommes confrontés. Ce n’est pas le « choc des cultures », mais le « choc des incultures » comme dit François-Xavier Bellamy.

    guillaume de prémare,nicole buron,ichtus,politique,conscience,la france,islam,camel bechikhAlors, pourquoi Charlie Hebdo ?

    C’est ce que l’on nomme la guerre psychologique. Il y deux choses : le choix de la cible et les moyens employés. Les moyens visent à provoquer l’état de choc : l’utilisation d’armes de guerre, l’exécution froide des journalistes de Charlie Hebdo, et celle bien sûr d’un policier achevé à terre. C’est le complément idéal de l’état de choc mondial volontairement créé par la diffusion de vidéos des horreurs commises au Proche-Orient par l’Etat islamique. Il faut que ça fasse barbare. Plus nous les voyons comme barbares, mieux ils se portent. La deuxième chose, c’est le choix de la cible, Charlie Hebdo. A mon avis, c’est un choix parfaitement pensé.

    Charlie Hebdo est honni par l’opinion musulmane, les musulmans n’ont pas besoin d’être islamistes pour détester Charlie Hebdo. En attaquant Charlie Hebdo, les terroristes veulent désensibiliser les musulmans à la compassion pour les victimes. Cette action psychologique vise notamment les jeunes musulmans qui, comme beaucoup de jeunes de leur génération, sont de plus en plus désensibilisés à la violence par les films, les jeux vidéo et tout ce qu’ils voient à la télévision. Nous avons vu cette semaine, par exemple dans les écoles de Seine-Saint-Denis, que cette action psychologique fonctionne à merveille. Dans certaines écoles, il a été très difficile d’organiser ou de faire respecter la minute de silence.

    Ensuite, en attaquant Charlie Hebdo, les islamistes provoquent une sympathie généralisée pour Charlie Hebdo dans l’opinion publique française. Charlie devient le symbole de la France et la décomposition culturelle s’accélère : la France c’est Charlie et Charlie c’est la France. Dimanche, la France de Saint Louis, de Napoléon, de de Gaulle, d’Aragon et Hugo est devenue « Charlie », ce qui est une régression culturelle. A partir de là, dans le meilleur des cas le jeune musulman est poussé à faire une quenelle à la France, geste de mépris et de défi très populaire dans la jeunesse des banlieues, dans le pire des cas on fabrique les futurs jeunes djihadistes.

    N.Buron 3.jpgD’une certaine manière, nous n’avons pas affirmé ce que nous sommes vraiment…

    G2 Prémare 2.jpgEn effet, nous avons affirmé l’inverse de ce que nous sommes. L’article 4 de la déclaration des droits de l’homme dit que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». C’est un principe fondamental puisqu’il est dans notre document de référence fondamental. Il y a deux ans, le plus grand nombre était d’accord pour critiquer la parution des caricatures parce qu’elles étaient jugées insultantes, blessantes. L’insulte est une violence et la violence nuit à autrui, la violence nuit à celui qui la subit. Bien évidemment, la liberté d’expression est un bien précieux, mais il n’y a pas de liberté absolue dans une société. Nous piétinons donc nos propres principes dits « fondateurs » en disant qu’il y a, en quelque sorte, un droit à l’insulte. La déclaration des droits de l’homme dit l’inverse ! Comment voulez-vous faire respecter des principes que nous piétinons ?

    Ensuite, devons-nous accepter, pour nous-mêmes, cette régression culturelle qui veut que « La France c’est Charlie », qui veut que le poids symbolique de nos valeurs, de notre identité et de notre unité repose sur Charlie ? Luz, un dessinateur de Charlie, a expliqué dans les Inrockuptibles que cette charge symbolique que l’on met sur Charlie Hebdo était à côté de la plaque.

    N.Buron 2.jpgVous êtes en train de nous expliquer que nous avons fait exactement ce qui convient aux terroristes islamistes ?

    G2 Prémare 3.jpgAbsolument. Au départ, il y a une excellente intention : dire sa compassion envers des victimes d’un assassinat terrible et inacceptable, dire son refus de la violence et du terrorisme. Mais le slogan « Je suis Charlie » est venu donner à ce bel élan un contenu hystérique à contre-emploi : la France c’est Charlie et Charlie c’est la France. Ensuite il y a eu la marche, ce bel élan populaire de citoyens qui ont besoin de se rassembler pour dire leur refus du terrorisme et rendre hommage à nos morts. Cet élan a été récupéré par une caste politico-médiatique décrédibilisée qui y a vu l’occasion de se refaire la cerise sur l’affaire Charlie Hebdo. En état de choc, on fait n’importe quoi, on est manipulable, le cerveau sur-sensibilisé jusqu’à l’hystérie est disponible à la manipulation. La broyeuse médiatique est passée par là et la France a défilé avec comme slogan « Je suis Charlie », comme image des caricatures insultantes et comme symbole suprême le crayon qui manie l’insulte. En gros, la caste politico-médiatique est parvenue à donner l’image d’un peuple réuni autour des valeurs, non pas de la France, mais des valeurs vides de sens de leur caste : ce que la propagande politique et télévisuelle a nommé « nos valeurs », « notre modèle », « notre mode de vie ». Le terme même de « marche républicaine » est insuffisant. La question n’est pas celle de la forme de gouvernement, acceptée par le plus grand nombre, mais celle de la France. La France est d’abord un pays, pas une forme de gouvernement.

    La marche était donc une mauvaise idée selon vous ?

    Non, c’était une bonne chose dans l’élan initial. Il aurait peut-être fallu faire une marche blanche, sans slogans ni pancartes, une marche citoyenne, de société civile. Une marche avec pour seul contenu le refus du terrorisme et l’hommage rendu aux victimes. Nous aurions alors gagné une bataille psychologique. Or, dimanche, nous avons perdu une bataille culturelle et psychologique. Ce qui s’est passé est grave et beaucoup de gens ne s’en rendent pas compte parce qu’une propagande sans précédent dans l’histoire de la France contemporaine a été diffusée par la télévision et démultipliée sur les réseaux sociaux comme un réflexe pavlovien. Nous sommes guidés et informés par des irresponsables, des aveugles qui guident des aveugles. Il est temps d’ouvrir les yeux.

    Capture d’écran 2015-02-05 à 14.33.05.pngQue pouvons-nous faire ?

    Tout d’abord mener la guerre sans faiblesse sur le sol même de France contre les terroristes, avec nos services spécialisés et nos moyens policiers. Ensuite, il faut contrer l’adversaire sur les points-clés de sa stratégie : éviter la psychose et garder calme et sang-froid, éviter autant que possible les attitudes agressives et hostiles envers les musulmans, les représailles. Il y en a eu, pour le moment légères. Nous devons ensuite entrer dans la lutte d’influence sur l’opinion musulmane, essayer de nous gagner l’opinion musulmane avant que les islamistes ne la gagnent. Nous devons stopper notre décomposition culturelle et redécouvrir ce que nous sommes vraiment, c’est-à-dire Hugo plutôt que Charlie. Et nous devons, sur cette base commune, nous battre sur le terrain éducatif et culturel. Nous avons tout investi dans le social dans les banlieues, à fonds perdus. Nous devons essayer de transmettre aux jeunes musulmans ce qu’est la France, faire aimer la France aux jeunes musulmans et à leurs parents. Demandez à Jean-François Chemain, Xavier Lemoine ou Camel Bechikh si c’est possible de réduire la fracture culturelle, ils vous diront que oui. C’est leur expérience concrète, pas une idée abstraite. A Montfermeil, ils ont proposé une offre éducative avec les cours Alexandre Dumas. C’est le prototype d’écoles qu’il faudrait étendre sur tout le territoire. Ce qui réussit aujourd’hui à petite échelle, il faut le faire à grande échelle.

    Logo Ichtus.jpgEst-il encore temps ?

    Je ne sais pas, mais partons du principe que oui, il est encore temps. Travaillons avec cœur, détermination et amour. Toute victoire commence par un premier pas, partons à la conquête des cœurs !

    Propos recueillis par Nicole Buron.


     

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