Le prêtre n’a de raison d’être que l’enfantement des âmes à Dieu : Ordinations sacerdotales de Didier & Johannes par Monseigneur Rey
En cette fête des deux Apôtres, piliers de l'Église, saint Pierre et saint Paul, La Vaillante relaie le très beau texte de Monseigneur Dominique Rey sur le prêtre, l'Eucharistie, la vie donnée au Christ & à l'Église.
Le 16 juin 2018, cette homélie a été prononcée à l’occasion des ordinations sacerdotales de Johannes de Habsbourg et Didier Berthod, membres de la Fraternité Eucharistein — & fils spirituels du P. Nicolas Buttet, le fondateur — au Champs des Martyrs, à Vérolliez, Saint-Maurice (Suisse).
Ordination presbytérale de Johannes de Hasbourg et Didier Berthod
Toute ordination sacerdotale est l’occasion d’une action de grâce. Cette action de grâce est le fruit d’abord d’un émerveillement devant l’appel de Dieu. Appel déroutant qui dépasse les programmes de vie que l’on s’était fixés, qui bouscule nos agendas. Appel mystérieux qui se fraie un chemin à travers des rencontres parfois impromptues, au fil de prises de conscience, au gré des aléas de la vie… Une conviction, au départ subjective, va devenir peu à peu une certitude consistante lorsqu’elle est confirmée, confortée par l’Église.
Cet appel au sacerdoce, au fur et à mesure qu’il s’affiche, nous dépasse et nous plonge dans la démesure de la miséricorde de Dieu à notre égard. Qui sommes-nous pour recevoir une telle mission, devenir ministres du Seigneur, pour le représenter ? « Oh, que le prêtre est quelque chose de grand ! S’il se comprenait, il mourrait », disait le curé d’Ars. Un prêtre aîné me répétait il y a quelque temps : « Les prêtres sont de moins en moins nombreux. Il va falloir qu’ils ressemblent de plus en plus à Jésus-Christ ».
Notre action de grâce en ce jour est aussi portée par la générosité de la réponse à cet appel du Seigneur. Dans quelques instants, Johannes et Didier vont se prostrer sur le sol de tout leur long, dans une posture qui signifie le don radical de soi, jusqu’à la mort à soi-même. Par cette prostration, Johannes et Didier exprimeront ainsi qu’ils épousent cette terre qui devient le lieu de leur mission, jusqu’à la déposition de leur corps sur elle, en elle. La seule réponse qui vaille face à l’appel de Dieu est un oui sans restriction et sans retour en arrière, jusqu’à la mort.
Le « oui » que Johannes et Didier vont prononcer sera pour vous et pour l’Église, source de salut et de bénédiction. Ce « oui » les projette dans une nouvelle dimension de leur existence. De fils, de frère, d’ami… ils deviennent désormais vos pères. Pères pour vous engendrer à la foi. Radicalement au service de votre sainteté et de la croissance de l’Église notre Mère.
Cette cérémonie est action de grâce, mais aussi elle va transformer la vie de Johannes et de Didier qui vont recevoir le sacrement de l’Ordre. Ils vont devenir des médiateurs de la grâce de Dieu en étant configurés au Christ Bon Pasteur, pour agir in persona Christi, c’est-à-dire en la personne du Christ afin de le rendre présent. Désormais ils ne s’appartiennent plus. Le centre de gravité de leur existence se déplace en direction de la mission que le Christ leur confie. Leur existence devient pastorale, c’est-à-dire qu’elle ne se comprend qu’à partir de la mission que Dieu leur confie. Le prêtre n’a de raison d’être que l’enfantement des âmes à Dieu. Il fait naître l’homme, tout homme à la vie de Dieu. Il donne Dieu. Il donne le goût de Dieu et fait grandir le Corps du Christ qu’est l’Église.
La joie du prêtre est de susciter autour de lui le bonheur de croire en Dieu. Son combat c’est de vaincre les résistances et les refus que suscite cette annonce dans le cœur de l’homme. Le combat commence par lui-même, en ce qui en lui freine ou interdit l’action du Seigneur. Souvent la joie de la mission se cueille, non seulement après, mais aussi au cœur de la bataille. Comme en témoignent les Actes des Apôtres, « ceux-ci étaient tout heureux d’avoir été trouvé dignes de subir des outrages pour le nom de Jésus ».
Au cœur de la vie du prêtre, il y a l’eucharistie. Jamais le prêtre n’est autant prêtre qu’à la messe lorsqu’il prononce en la personne du Christ les paroles qui convertissent le pain et le vin en Corps et Sang du Christ. Moment d’intimité avec Dieu qui nous rejoint au plus intime de notre cœur. Moment de communion avec l’Eglise qui comme Corps du Christ, se construit à partir de l’eucharistie. Moment de sanctification du peuple chrétien, mais aussi de transformation du monde puisque celle-ci commence à partir de l’eucharistie. « On ne comprendra le bonheur qu’il y a à dire la messe, que dans le ciel », disait encore le curé d’Ars, qui ajoutait : « Voyez la puissance du prêtre : la langue du prêtre, d’un morceau de pain fait advenir Dieu. C’est plus que de créer…. »
Si l’efficacité du sacrement ne dépend pas de la sainteté du prêtre (Pastores dabo Vobis), l’Église souligne par contre que la sainteté du prêtre rend fructueux son ministère. Le prêtre est appelé à propager dans tous les compartiments de sa vie ce qu’il célèbre dans le sacrement de l’eucharistie. Sa vie entière se comprend, s’unifie, se perfectionne à partir de l’eucharistie. Comme le disait le pape Jean-Paul II « l’eucharistie, c’est ma vie. »
La qualité de la vie pastorale du prêtre dépend essentiellement de l’eucharistie. C’était encore Jean-Paul II qui disait : « l’eucharistie est le sacrement le plus efficace pour l’évangélisation » Nos initiatives aussi géniales soient-elles, resteront toujours des œuvres humaines. L’eucharistie elle, est l’œuvre de Dieu. Je peux parler beaucoup sur Dieu, à propos de Dieu, mais la vertu de l’eucharistie est de Le rendre personnellement et substantiellement présent. Le prêtre célèbre dans l’eucharistie « source et sommet de la vie chrétienne » (Lumen Gentium n° 11), l’abaissement de Dieu, l’actualité de la Croix du Christ qui offre sa vie pour nous. Chaque messe accompagne notre marche vers la Patrie céleste. De messe en messe, nous marchons avec Dieu, vers Dieu. Le prêtre fait mémoire du Seigneur pour le faire vivre aujourd’hui en nos cœurs. Le prêtre signifie l’aujourd’hui de Dieu pour marcher ensemble sous sa conduite, vers un avenir qu’il a ouvert au matin de Pâques.
Par l’eucharistie, le prêtre nous apprend à discerner la présence de Dieu dans le pain et le vin offert. Tout Dieu dans la modicité de la parcelle d’hostie. L’infini dans l’infime. Tout le sacrifice du Christ dans une goutte de vin qui devient une larme de son Sang. La miséricorde divine s’exprime par ce geste inouï du Christ qui a voulu nous rejoindre au-dedans de nous-mêmes lorsque nous le recevons comme une nourriture. La miséricorde de Dieu s’exprime par sa descente jusque dans nos intestins, jusque dans nos entrailles.
Ministre de l’eucharistie, le prêtre est serviteur de la Miséricorde divine. Face au mal le plus profond qui afflige notre humanité, qui blesse le cœur de chacun d’entre nous, la seule réponse qui permet à l’homme de ne pas désespérer de lui-même et des autres et même de Dieu, c’est la miséricorde qu’il nous révèle en son Fils. Il en est l’humble instrument. En raison de la miséricorde divine révélée par le Christ, l’homme ne peut tomber qu’en Dieu, aussi basse que soit sa chute. Par son ministère de la confession et en accordant le pardon de Dieu, mais aussi par son regard paternel, son attention à chacun et aux plus petits, par sa prévenance à l’égard des plus fragiles, le prêtre est homme de miséricorde.
Johannes et Didier, il vous faudra toujours revenir à cette infinie miséricorde de Dieu qui vous a choisis, appelés, bénis en ce jour consacré pour être ses ministres. Dans votre ministère de prêtre, vous aurez à vivre de pardon, en le donnant aux autres et aussi en le recevant pour vous-mêmes. Il vous faudra « recoudre », comme le disait Blanche de Castille qui s’adressait à son fils Louis IX, le futur saint Louis, à propos de la France blessée par tant de divisions. Oui, Johannes et Didier, vous serez des « couturiers de la grâce ». Recoudre, telle sera votre mission. Recoudre le fil rompu avec Dieu, avec les autres, avec son propre passé. Ce ministère de réconciliation sera votre joie mais aussi votre croix, en « complétant en votre chair ce qui manque à la Passion du Christ ».
Johannes et Didier, le meilleur que l’on puisse souhaiter pour vous en ce jour de votre ordination presbytérale, c’est la fidélité. La fidélité dans la sainteté. La fidélité à travers vos pauvretés et parfois grâce à elles. En paraphrasant Bernanos dans son journal du curé de campagne : « La grâce des grâces est de s’aimer humblement soi-même. »
+ Dominique Rey
Abbaye de Saint-Maurice (Suisse)
16 juin 2018
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