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  • À propos de Etty Hillesum

    À propos de la vidéographie « Enciellement Édith Etty »

    REGARDS CROISÉS SUR ETTY HILLESUM *
    Sous la direction de Cécilia Dutter


    « Certains commentateurs ont parfois reproché à la jeune femme une forme de résignation. Sa résistance n’a certes pas été active au sens de lutte armée ou de combat souterrain contre l’ennemi (…). Pourtant, on ne peut parler de passivité. Sa résistance est bien active au cœur de l’individu. Elle n’agit pas en combattant, mais cette inaction conjoncturelle est en réalité une action spirituelle, au sens de tentative de rééquilibrage du monde pour retrouver la paix universelle. » CÉCILIA DUTTER

    « Personnellement, j’oscille entre l’idée qu’il y a quelque chose d’inadmissible à louer la beauté de l’existence au sein même d’une entreprise d’anéantissement de la vie et l’idée qu’au contraire, Etty atteint là une vérité suprême à laquelle je n’ai pas accès. Ce qu’elle essaie de faire passer par le langage semble au-delà des mots. » DELPHINE HORVILLEUR

    « Elle se rend compte que son discours est inaudible. À plusieurs reprises, elle souligne qu’il est plus simple d’atteindre ce détachement quand on n’a pas charge d’âme (pas d’enfant à nourrir, à la survie duquel s’occuper[i]). D’ailleurs, si les lettres qu’elles envoient du camp témoignent d’une vertigineuse hauteur de vue sur la période, il n’est pas sûr qu’elle se soit souvent risquée à tenir de tels propos aux déportés. Vis-à-vis de l’aide qu’elle peut leur apporter, elle dit simplement : ”Mon faire consiste à être là”. » CÉCILIA DUTTER


    « Il est à noter que le nom de Dieu en hébreu, YHWH est une combinaison du verbe être au passé, présent et futur. Dieu a donc quelque chose à voir avec ”l’être à tous les temps”, comme si l’approche du divin tenait à la fois de la capacité à saisir le ”réalisé”, le ”en cours” et le ”à venir”. » DELPHINE HORVILLEUR
     

    Etty « est bouleversante parce qu’elle nous parle d’une humanité en lutte et de notre soif d’absolu. Son journal se veut une esquisse de son œuvre à venir. Nous, lecteur, savons qu’il n’y en aura pas d’autre après. Mais en l’espèce, c’est l’esquisse, donc l’étude, qui se révèle être l’œuvre elle-même. Je vois ici un enseignement philosophique et théologique très fort : dans l’existence, ”la préparation à”, ”est”. La préparation à vivre, est la vie ; la préparation à la prière est la prière ; la préparation à l’action est l’action. Si dans la première partie du livre, Etty est dans l’attente d’une réalisation, à un moment donné, elle sait qu’elle est. Elle comprend qu’ ”elle est” au-delà de ”il y aura”. » DELPHINE HORVILLEUR

    « Ainsi, pour tout être vivant, la mort est elle une réalité inéluctable. Donc la vie s’achèvera certainement tôt ou tard par la mort, comme acte final d’une pièce jouée sur la scène du théâtre de l’existence. C’est la sentence véridique irrévocable.

    « Tout ce qui y vit est périssable et ne subsiste que la face de ton Seigneur, Seigneur de majesté et de munificence », Sourate 55, le Miséricordieux, verset 26 et 27. Cette annonce du Coran loue et glorifie la pérennité de la face divine en tant qu’absolu dont la trace de splendeur se reflète sur le support que lui tend tout visage humain, qu’il soit souriant, aimant, ou qu’il soit vociférant, haineux. Mais un visage enclin à l’impermanence et aux effets du temps.

    Devant une telle affirmation si apodictique, si péremptoire, Etty Hillesum n’avait, mue par sa foi, qu’à consentir au décret humain. Il ne sagit pas pour elle d’une résignation morose ni d’une soumission maladive et déprimée, mais d’une acceptation sereine de la volonté divine. Cette manière d’agir relève d’un acte d’islam, aux sens étymologique et spirituel : c’est une remise de soi confiante et dans la paix à Dieu. C’est une pacification de l’âme. Finalement mourir, c’est retrouver l’être Premier avec calme et quiétude, s’y préparer sa vie durant fait atteindre à l’ataraxie au moment fatidique. » GHALEB BENCHEIKH

    « UN CŒUR UNIVERSEL, REGARDS CROISÉS SUR ETTY HILLESUM » de Cecilia Dutter, Éditions Salvator, 2013


    [i] C’est nous qui précisons.

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  • À l’arrière de la maison je m’assis par terre, sous les volets de sa chambre, je pleurai… (Marthe Robin & Jacques Gauthier)

             Le 7 novembre 2014, le pape François autorisait la Congrégation pour la Cause des Saints à promulguer un décret reconnaissant l'héroïcité des vertus de Marthe Robin (1902-1981). Cette laïque stigmatisée, fondatrice des Foyers de Charité, est maintenant déclarée "vénérable", un pas important vers la béatification.

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             Je vous partage ma rencontre avec Marthe qui a eu lieu le 5 ou 6 septembre 1973, telle que je le relate dans mon carnet de jeûne chrétien : Se purifier pour renaître (Presses de la Renaissance). C'était sûrement un mercredi ou un jeudi, les seules journées où elle recevait les retraitants dans sa chambre.

     

             Je m'étais inscrit à une retraite donnée par le Père Finet au Foyer de Charité de Châteauneuf-de-Galaure. Je vivais alors à l’Arche de Jean Vanier et j’étais attiré par la vie monastique. Je me souviens très bien de la maison toute simple où Marthe est née et où l’on entrait par la cuisine. Je n’entendais que le tic tac de l’horloge et le ronronnement d’un chat. J’attendais avec fébrilité qu’un autre retraitant ait terminé sa visite qui ne durait normalement que trois minutes. Je passai enfin dans la chambre sombre de Marthe comme si je plongeais dans un bain du ciel. Je la devinais sur le lit, les pieds repliés sous son bassin. Je me disais qu’elle lisait probablement dans mon âme. Difficile de rester détendu lorsqu’on a vingt et un ans, qu’on est un jeune converti plein de fougue et de poésie, et que depuis des jours on suit avec ferveur les enseignements du Père Finet. Marthe se chargea de me couper les ailes et de me ramener sur terre assez brusquement.

             Je commençai tout de suite en la remerciant de souffrir pour la nouvelle Pentecôte d’amour. Gaffe à ne pas faire, car Marthe avait horreur des compliments. Le Père Finet nous avait averti, mais je croyais bien faire malgré ma naïveté apparente et mon amour sincère de Jésus et de l’Église. Elle interrompit mon élan en me demandant d’où je venais. Nul besoin d’être voyante tant mon accent québécois me trahissait. Ça commençait mal. J’avais oublié de me présenter, trop occupé à jouer l’important et à lui faire plaisir par mon petit boniment. Lorsque je lui dis que j’étais à l’Arche pour quelques mois et que je venais du Québec, sa voix claire s’anima. D’une simplicité désarmante, elle me demanda des nouvelles de mon pays, de la température… J’étais désemparé. Je n’étais pas venu la rencontrer pour parler du beau temps et je savais que les minutes étaient comptées. Je lui posai « la » question qui me trottait dans la tête depuis des mois : « Est-ce que Jésus me veut à l’abbaye cistercienne d’Oka, près de Montréal »? Sa voix fraîche devint ferme, presque cassante : « Ce n’est pas à moi à dire quoi faire et à prendre des décisions, ma vocation, c’est de prier. Prions ensemble ». J’avais oublié que Marthe était avant tout une femme d’oraison et que la prière était la nourriture de sa vie.

             Nous avons récité lentement un Notre Père, un Je vous salue Marie et, je pense, un Gloire soit au Père. Mais j’étais incapable de prier, parce que trop déçu et humilié. Mon ego en prenait un coup. Une agressivité monta en moi, mêlée d’une frustration. Je me sentais ridicule en priant, rempli de moi-même. Je sortis de la chambre complètement bouleversé, ne sachant pas ce qui m’arrivait. Je me sentais plus mêlé que lorsque j’étais entré. J’étais comme dans un tunnel noir. Il fallait que je trouve une issue.

             Je fondis en larmes à l’extérieur. Je pleurai de rage, comme un enfant abandonné de ses parents. J’étais désespéré. Je criai à Jésus : « Je ne partirai pas d’ici sans retrouver la paix intérieure, sans avoir une réponse ». J’eus l’idée de revoir Marthe, mais c’était impossible. J’allai donc à l’arrière de la maison et je m’assis par terre, sous les volets de sa chambre. Je pleurai, pleurai de misère, jusqu’à n’avoir plus d’eau à offrir. Je me sentais tellement misérable, un peu comme l’enfant prodigue. Je n’avais maintenant qu’à demander pardon et me jeter dans les bras de Dieu. J’expérimentai une fois de plus la miséricorde du Père. Et la paix du Christ arriva, avec cette joie intérieure qui en est le signe. Ma vraie rencontre avec Marthe, c’est au pied de sa fenêtre, assis dans l’herbe comme un bébé, que je la fis en vérité, parce que j’ai pu communier à ma misère réelle et non à l’illusoire merveilleux.

             C’est alors que la parole de Marthe me revint en mémoire, lumineuse et forte : « Ma vocation, c’est de prier ». C’était donc cela la réponse de Marthe. Je n’avais rien compris. Elle m’avait révélé ma vocation, la prière, c’est-à-dire l’union et l’offrande à Dieu, la relation intime et amoureuse au Dieu Vivant. Et je peux attester jusqu’à ce jour que c’est bien ma vocation profonde, même si je ne la réalise pas pleinement. La prière atteste non pas que je suis saint, mais mon désir à le devenir. Aussi je tiens à cette oraison matinale où j’apprends la vie éternelle. Je ne savais pas que plus tard j'écrirai plusieurs livres sur ce thème de la prière, que je donnerais des retraites aux prêtres sur le don de l'oraison et que je prêcherais dans les Foyers de Charité du Québec.

             J’ai tout de même vécu quatre ans à l’abbaye cistercienne d’Oka. Comme Marthe aurait aimé être carmélite, j’aurais aimé aussi être trappiste, mais tel n’était pas la volonté de Dieu. Tout de même, Marthe avait eu bien raison de ne pas répondre directement à ma question. Mais quelle ne fut pas ma surprise de recevoir, un an après mon entrée au monastère, une lettre en provenance de Châteauneuf-de-Galaure où l’on me disait que Marthe pensait à moi et qu’elle priait pour moi. J’y ai vu un clin d’œil de sa part, elle qui disait le 20 septembre 1930 :

             « Moins il y a de nous, plus il y a de Dieu. Ce n’est pas de vivre dans un monastère ni de porter l’habit, pas même d’avoir prononcé des vœux (quoique tout cela soit parfait) qui importe, les saints désirs, les sentiments intérieurs d’amour sont seuls nécessaires ».


    Jacques Gauthier.jpgJACQUES GAUTHIER
    Poète, marié et père de famille, Jacques Gauthier est docteur en théologie (Laval Canada) et professeur à l'Institut de pastorale de l'Université Saint-Paul à Ottawa. 

    www.jacquesgauthier.com/blog.html

     

     

    Pour plus de détails sur la vénérable Marthe Robin, consultez son site officiel.

    Visionnez cette vidéo de 7 minutes sur sa vie et son message.
    Jacques Gauthier en parle également dans son témoignage à
    Un coeur qui écoute de KTO. 

     

    Retrouvez ce témoignage sur la Page enrichie "Marthe Robin : Aux âmes chrétiennes

     

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  • Français catholique & islamophile

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                           J'avais rencontré Denis Hoquet lors de l'Université de Printemps de Fils de France, à Saint-Chéron, le 17 mai 2014
    (à droite de la photo, 3ème personne en partant de la gauche, au second plan). Son approche m'avait séduite en profondeur et j'attendais qu'il produise un article pour La Vaillante. Le voici donc… Qu'il en soit vivement remercié.

     

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           Aujourd'hui, l'"appel de Paris" a retenti dans toute la France. Aujourd'hui, des musulmans ont proclamé clairement "leur soutien aux frères chrétiens d'Orient". Aujourd'hui, une fois encore, les musulmans ont hurlé leur "cri d'urgence" contre "une violence absolument intolérable et incompatible avec l'islam". Les musulmans de France se sont levés contre la "barbarie", des Français musulmans se sont dressés pour résister face à un "crime contre l'humanité".

           En tant que Français, en tant que musulmans, ils n'avaient pas à le faire ; en tout cas, pas spécialement, pas plus que les autres Français. Ils n'étaient certainement pas tenus de lever l'horrible soupçon que font peser sur eux, ceux qui voudraient, par des amalgames honteux, les associer en quelque façon à l'innommable et à l'infâme.  

           Et pourtant, on est heureux qu'ils l'aient fait, comme on est heureux et rassuré de pouvoir en ce jour communier avec eux dans un même rejet de ce qui n'a d'islamique que le nom et rappelle plutôt d'autres barbaries qui, naguère, ravagèrent l'Europe. 

           Il ne faut pas laisser salir l'honneur de l'immense majorité des Français musulmans, des "musulmans du silence", modestes, travailleurs et fraternels. Ils ne doivent jamais être les otages du cynisme et de la haine. La République française aime également tous ses enfants ; la République française a également foi en eux. Quand elle les condamne, c'est uniquement sur leurs actes. Et sur la nature de ces actes mauvais, on ne soulignera jamais assez l'unité profonde de la nation française dans sa salutaire diversité. 

           Aujourd'hui, les musulmans de France, les Français musulmans ont lancé un appel. Aujourd'hui, nous devions répondre à cet appel, nous voulions leur dire qu'il a été entendu et qu'il va droit au cœur. Engagée dans une métamorphose aussi profonde que périlleuse, la France a besoin d'entendre la voix de tous ses enfants, de faire résonner l'écho de leur vérité pour qu'enfin, contre les aboiements et contre les rumeurs, prévale, dans son développement nécessaire, l'évidence de l'unité nationale.
     

    politique, foi, la france, islam, camel bechikhDENIS HOQUET

    Secrétaire Départemental du Pas-de-Calais
    de Debout la France

    Né en 1954, professeur de lettres,
    Denis Hocquet est un passionné d'histoire
    et de littératures indiennes.

     

     

     

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  • Filmer le lieu c'est le contempler

    Retrouvez cet article sur la page enrichie de La Vaillante :

    Faire œuvre de beauté : Édith Stein & Etty Hillesum - Enciellement

    Sphère Enciellement.jpg

    FILMER LE LIEU C’EST LE CONTEMPLER

                La décision de sortir la caméra de son sac et de se mettre à filmer répond à l’appel du lieu. Avant ma pratique de la vidéographie (”écriture du voir”), sortir l’appareil photo, la petite camera oscura de mon sac, obéissait à la même vocation, convocation du lieu. Mais la dimension de la durée manquait à l’instantané photographique qui ne pouvait rendre compte de l’expérience de rencontre du lieu, qui s’effectue dans la durée.

                Le risque du temps qui passe s’introduit dans l’acte de filmer au temps présent. Défi que le lieu me lance, ou me murmure, d’oser le rencontrer dans la durée, de me laisser aller à son propre temps extérieur, le laisser altérer (rendre autre) mon temps intérieur. Défi et désir de m’abandonner à une prière spacieuse. Mon ego acquiesce à cet abandon. Je[i] m’abandonne à la possibilité d’un non-événement ou à l’avènement d’un événement. J’ignore ce qui va se passer dans le lieu pendant le filmage, comment les choses vont interagir et comment je vais me situer avec elles, pendant cette prière spacieuse. Je scrute le lieu en le suivant, en filmant à sa suite : les lumières, les ombres, les frétillements du vent dans les feuilles, les sons en hors-champ me guident, me conduisent dans le temps et suggèrent des formes en formation, en transformation. Je filme les métamorphoses. Le lieu devient métaphysique. Il devient le temple du temps (présent dans la durée). Je contemple le lieu, suis avec lui. Ce cadre que le filmage cherche à obtenir tout en scrutant ce qui advient sous mes yeux[ii], sans que je ne sache ce qui va advenir à l’instant suivant, ce cadre, dis-je, s’invente au fur et à mesure dans la durée de l’acte de filmer.

        Ce qui intervient depuis le hors-champ, les sons remarquables et la ”musique du lieu”, procède du sens métaphysique donné à cette durée du lieu vivant. Cette durée vivante (vivante parce que filmer le lieu, support de la durée, donne vie au temps) devient prière spacieuse. Acceptation calme de ce qui advient du temps sans événements particuliers autres que les mouvements de la lumière, du vent, des sons. On peut atteindre, alors, à une forme de communion avec le lieu tout en le filmant. S’abandonnant à l’acte de filmer comme on s’abandonne au temps de la prière.

                On est passé depuis longtemps de l’attente d’un événement, non sans quelque impatience, à l’acquiescement à se fondre dans la durée du temps qui s’écoule dans le lieu. C’est parce qu’on n’attend plus rien que quelque chose advient. Cette chose n’est pas de nature habituelle et quotidienne. Bien qu’elle se cache dans l’habituel et le quotidien : car le lieu a son double-fond. Elle est révélation. Dévoilement d’un temps autre, d’une durée inhabituelle. Cette durée devient célébration du lieu et du temps. Communion avec le lieu dans la durée du présent. J’ai cessé d’attendre, quelque chose advient. Je suis cessée. Ce n’est plus moi, mon ego qui agit volontairement. Je me laisse prier avec la caméra. Je suis l’instrument de la durée du présent dans le lieu. C’est alors qu’il se donne à moi qui suis abandonnée à lui.

                Le lieu devient sacré par l’attention de mon regard, et de toutes mes capacités perceptives. Il devient sanctuaire du seul fait de ma posture priante qui donne forme au cadrage quand je le filme, quand je le scrute avec la caméra dans la paume, quand j’écoute les sons qui interagissent avec lui. Je suis avec le lieu, en contemplation[iii]. Le fait de cadrer un espace du lieu, un coin de terre ou d’eau, c’est déjà le consacrer, le rendre sacré, lui donner une frontière qui fait autorité, qui enjoint à l’humilité, à l’écoute, à l’obéissance des choses invisibles et divines. Qui dévoile la Présence.


    SANDRINE TREUILLARD


    (14 juin 2014, Saint Mandé)



    [i]Le ”je” en italique est l’indice de cette sorte d’abnégation, de mise en retrait de soi. Ce n’est plus l’ego qui agit. C’est être au présent dans une forme d’anéantissement de soi. Coloration de la spiritualité rhénane de Maître Eckhart.

    [ii]Sous mes sens, toute ma perception, à travers mon corps dont la caméra est un membre devenu aussi sensible.

    [iii] "Contemplation" est à l’origine un terme de la langue augurale (dans la Rome antique) — composé de cum (avec) et de templum au sens ancien de « espace carré délimité dans le ciel et sur terre par l’augure, pour interpréter des présages ». Cet espace virtuel, sans n’avoir plus de visée augurale, est le tableau du Voir (vidéographie) : délimité par le cadre de la caméra fouillant dans le lieu réel, se laissant guider par la lumière sur les choses. Ce lieu délimité, ce périmètre est rendu sacré par le cadrage qui le mesure. Ce carré, ce coin de terre choisi, quand je le cadre, révèle un espace qui l’excède.

    Contempler quand je filme c’est être concentrée dans l’observation minutieuse, dans une attention extrême de ce qui s’agite dans ce périmètre spatial délimité par le cadrage. La « contemplation » en vidéographie est être attentive et dans l’exspectatio. Dans l’attente d’un événement extérieur à soi, dans cet espace extérieur délimité dans lequel je projette mon attention qui est visuelle, sonore, kinésique et aussi intérieure. Ce cadre qui filme à l’extérieur est autant un espace que je rends disponible en moi pour accueillir cet extérieur-là. Comme deux vases communiquant. Ce n’est pas un simple enregistrement de l’image par une machine. La caméra n’est pas une machine à enregistrer. Elle n’est pas tout à fait extérieure à moi. Je suis aussi à l’intérieur de la caméra. La chambre intérieure, mon être, filme. La petite caméra dans la paume est un objet organique. Elle fait partie de de la caméra. La chambre intérieure, mon être, filme. La petite caméra dans la paume est un objet organique. Elle fait partie de mon organisme, de mon corps. Elle est une extension extérieure de mon attention intérieure. Contempler avec la caméra c’est opérer cet échange, ce repons, comme un chant sacré, entre le dehors délimité que je filme et mon intériorité qui est présente au lieu. Ma présence au lieu se réalise au sein du filmage, dans ce temps-là qui semble immobile. Il y a des transferts, des échanges entre mon intérieur et ce que perçoivent les sens par le biais de la caméra. La caméra enregistre cet échange vivant et est l’objet même des possibles tensions du filmage. Elle est l’instrument de la contemplation. Elle est traversée par les fluides qui viennent du lieu, comme la lumière, les sons, les mouvements multiples de la nature (s’entend aussi bien du réel, la nature comme réalité extérieure à mon corps). La caméra est aussi le vecteur de mes propres mouvements, à première vue purement mécaniques, comme ces sursauts nerveux du poignet, ou quand je décide de faire un zoom. Mais ces mouvements venant de mon corps ou de ma décision, affectant la caméra et donc affectant l’image qui en résulte, n’est pas seulement mécanique. Ce type de mouvement provenant de moi (mon corps et ma volonté) donne sens à l’image en l’affectant dans son cours, sa durée contemplative. Le heurt désarçonne le regard. Comme dans l’entrée dans le sommeil le sursaut nerveux électrise tout le corps et, au lieu de le réveiller tout de bon, l’entraîne dans l’abandon au sommeil, dans cet autre temps du psychisme. C’est comme un seuil, un palier. Le sens donné à l’image séquentielle évolue, se modifie soudain. Au sein de la durée qui frôle l’endormissement, qui frôle la mort, le sens est rendu, un sens nouveau est donné dans la durée, provoqué par ce jaillissement involontaire d’énergie. (Reprise des notes dans Machina perceptionis à propos de « LA VISION DE JEAN DE L’ALVERNE », vidéographie de janvier 2012 : http://treuilsanaturemorte.blogspot.fr/2013/05/le-heurt-desarconne-le-regard_28.html)

     

     
     
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