La honte face à notre nudité est justifiée lorsque cette nudité constitue une menace pour la dignité de la personne
Éloge de la pudeur
Tout récemment nous avons assisté à un véritable festival autour de la nudité, à l’occasion de la polémique causée par la diffusion du livre pour enfant « Tous à poil ». Scandale d’un côté, dérision de l’autre, escalade verbale et assaut de caricatures de plus ou moins bon goût. Rien de bien extraordinaire à se mettre sous la dent tellement les qualificatifs paraissent désormais usés fatigués et élimés : ridicule, rétrograde, archaïque, conservateur, réactionnaire, pudibond, puritain, hypocrite… et le fameux nauséabond ! Il faut dire que nous ne sommes pas habillés depuis très longtemps, puisque ce n’est que depuis Pâques que nous avons revêtu le Christ (Gal, 3).
Alors, « Tous à poil » ou « Revêtez le Christ » ? Une réflexion sur le vêtement ne peut se borner seulement à une pieuse méditation. Et pourtant, il est bien vrai que Dieu se préoccupe de nous habiller: après le péché originel, découvrant leur nudité, Adam et Eve se cachent. Avant de les chasser du paradis, Dieu se fait tailleur -le premier couturier !- et leur confectionne des tuniques de peau. Cette précision donnée par la Genèse n’est sûrement pas un détail. Depuis lors, le vêtement occupe dans notre vie une place importante. Voilant la chair, il reflète la personne et devient aussi un langage pour l’âme.
Inoubliables méditations de saint Jean-Paul II sur la nudité, la honte, le langage du corps… Un trésor de réflexions longuement menées et finement ciselées au fil de 4 années de catéchèse hebdomadaire. Quelle délicatesse il faut pour aborder cette question de la pudeur. On parlait autrefois (?) « d’attentat à la pudeur » : il y a des choses que l’on ne fait pas en public. Mais aujourd’hui, on voudrait faire comme s’il existait encore des tabous, histoire de s’y attaquer et de les renverser. Alors, « Tous à poil » ! La nudité ne choque que celui qui a l’esprit mal tourné, répète-t-on à l’envie. L’enfant lui-même n’est pas étonné par le corps dénudé… Et voilà même qu’un professeur accomplit la « performance » de se déshabiller à l’Université pendant son cours.
La pudeur a ceci de particulier qu’elle disparaît chez les saints, omnia munda mundis, et … les débauchés (Saint Thomas ajoute aussi les vieillards). Faut-il croire que la sainteté s’est démocratisée à ce point qu’elle tend à faire disparaître la pudeur ? La pudeur voile ce qui doit rester caché, dans la crainte d’être instrumentalisé. La honte face à notre nudité est justifiée lorsque cette nudité constitue une menace pour la dignité de la personne ; or la nudité qui fait de la femme un objet pour l’homme (et vice-versa) est source de honte. Jean-Paul II conclut : « Au commencement, la femme n’était pas un objet pour l’homme, ni lui pour elle ». Oui, la honte protège la dignité de la personne, elle manifeste un besoin profond d’acceptation et de reconnaissance de notre personne et, dans le même temps, une crainte que l’autre ne reconnaisse pas et n’affirme pas la vérité de ma personne, révélée par ma nudité. On se couvre alors.
Il y a une bonne crainte qui désire non pas cacher, mais protéger ce qui est précieux ; et plus une chose a de la valeur, plus on est attentif à la préserver. La pudeur n’est peut-être pas une vertu, mais elle permet de jeter les premiers fondements de la tempérance, dit saint Ambroise. C’est l’attitude des médiocres, sans doute, ou plutôt de ceux qui ont « un certain amour du bien et qui ne sont pas totalement affranchis de l’empire du mal », … c’est-à-dire la plupart d’entre nous.
Le vêtement ne fera jamais partie des stéréotypes à déconstruire : au contraire, il est un indice précieux sur la santé d’une société, de sa culture et de son histoire. Il y a une manière de se vêtir ou de se dévêtir qui est conforme à la dignité de la personne ou qui la dégrade. Et l’enfant est précisément celui qui a le plus besoin d’être protégé et éduqué dans ce domaine. « Malheur à celui qui scandalise un seul de ces petits ! » (Mt 18, 6) La nudité à tout prix n’est le signe ni d’un hypothétique retour aux origines ni d’une simplicité retrouvée. Elle ne constitue encore moins une réponse adaptée aux questions des enfants sur le corps. L’exhibition forcenée du corps dénudé provoque généralement l’effet contraire de celui escompté : il n’y a qu’un pas entre le nudisme intégral et le voile intégral.
« La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres », disait Mallarmé. L’oubli de la pudeur ne conduit pas seulement à fausser le regard sur le corps, mais laisse le cœur désarmé contre ces blessures de l’affectivité qui ont tant de mal à cicatriser. La nudité n’est pas non plus un outil au service de la dernière croisade à la mode : contre les discriminations. Loin de rassurer sur les différences, la nudité ne facilite ni la communication ni le respect.
Au fond, la pudeur est au service d’une plus grande liberté intérieure pour pouvoir aimer en vérité. Elle s’éduque, s’entretient et, bien cultivée, elle se conjugue avec élégance et beauté : pudeur et fascination cohabitent volontiers. Faut-il rappeler que mode vient d’un mot qui signifie d’abord équilibre et mesure ? Alors, n’oubliez pas d’aller vous rhabiller !
Père Louis-Marie Guitton
in Observatoire Socio-Politique
du diocèse de Fréjus-Toulon
7 mai 2014