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  • L’art et la culture, ces dernières décades, ont été le champ d’expérimentation de la culture de la déconstruction la plus avant-gardiste

    Que faisons-nous-là à être assis par terre pendant ces heures tardives, en dehors de chez nous ?

    Nous répondons à un besoin vital d’être là.

    Nous sentons bien que ces moments ne sont pas vains : le Pouvoir nous pousse aujourd'hui à choisir à nouveau tout le socle de notre civilisation : ici, ou sur d’autres places de France, nous nous donnons maintenant des maîtres à penser et à vivre libres, des ancêtres pour réapprendre la liberté, non seulement pour lutter contre l'ordre nouveau qu'impose le gouvernement, mais pour nous refonder dans la culture dont nous nous sentons les héritiers, et être à notre tour la culture vivante ; Nous veillons à un avenir respirable pour nous-mêmes et pour nos descendants.

    Je vois les veilleurs comme une école de refondation personnelle et culturelle. Nous faisons l’expérience de notre liberté gagnée face à nos peurs, face aux menaces. 

     

    Nous sommes nous-mêmes paraboles, c’est-à-dire que nous incarnons, par l’expérience que nous vivons ici, en manifestant notre espérance, notre spiritualité, une vision pour le pays ; nous sommes les symboles vivants de la culture que nous promouvons. Cette culture qui se déploie par les textes qui nous sont lus, nous la vivons.

    L’art décrit et délimite la réalité ;

    Moi qui vous parle, je viens d’un secteur qui a été le laboratoire des changements nihilistes et libertaires qui touchent aujourd’hui la sphère intime de nos vies : celui de l’art et de la culture.

    L’art et la culture, ces dernières décades, ont été le champ d’expérimentation de la culture de la déconstruction la plus avant-gardiste, que nous voyons aujourd’hui à l’œuvre sur le terrain sociétal, avec la même approche abstraite et conceptuelle que la loi à laquelle nous sommes confrontés. Déconstruction d’autant plus forte que subventionnée, autorisée, et imposée par l’Etat. L’art dit contemporain est le plus souvent proposé comme un simple moyen de résistance par l’ironie à la société de consommation, et cette tendance, quand on aborde les questions existentielles et spirituelles : se mue en tentation du vide. La recherche de l’absolu d’une société sans transcendance aboutit à la mort absolue ;

    Aujourd’hui nous sommes la preuve vivante que la description de la réalité est fausse si l’Espérance n’y figure pas ; Quelle est donc en art cette espérance ?

    Face au constat amer et mélancolique contemporain de ne percevoir que la fin de tout être, et de toute chose matérielle, l’Espérance garde précieusement la faculté d’aimer la réalité et de s’émerveiller.

    Face aux signes de la présence de l’amour, l’émerveillement est ce moment intense de réception par tout l’être, de quelque chose qui lui est radicalement étranger. Ce n’est pas de l’ordre de l’idée, de la construction intellectuelle, mais de la réalité surprenante. Quelque chose qui survient, qui n’était pas là, et qui embrasse toute votre personne et la transforme. Un phénomène vivant, qui lie l’intimité de l’être au cosmos ; la chair à l’invisible.

    Je m’efforce dans ma peinture de témoigner de ces instants où j’accueille la pleine réalité, sans intellectuellement en faire le tour. Le surgissement du sublime.

    L’émerveillement est une expérience dont l’art a à témoigner ; L’émerveillement élargit la perception  de la réalité, et l’étend jusqu’à l’infini, l’émerveillement rend l’art fécond ; l’émerveillement accepté nous rend libre, et l’expérience artistique excitante.

    Nous sommes vraiment la société de la petite flamme, celle de ce que nous avons aperçu de la vie, celle que Bernanos appelle l’esprit d’enfance.

    Aujourd’hui, nous assis, silencieux, veilleurs, par notre présence même, refondons une culture pour la vie ensemble, vécue dans les principes de la réalité, celle de la chair, fondée sur la présence invariable d’un homme et d’une femme pour donner la vie, et celle de la spiritualité de l’amour fécond, qui ne sauraient être séparés.

    François-Xavier de Boissoudy, peintre

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  • L'impasse Dominique Venner

                         On pouvait apprécier Dominique Venner, historien en marge de la vie intellectuelle française, pour son courage, son honnêteté, son travail, tout en éprouvant une distance vis-à-vis de sa philosophie. C'était mon cas. J'étais depuis un an devenu lecteur assidu de sa Nouvelle Revue d'Histoire, dans laquelle je trouvais certaines références et un angle de vue rafraîchissant par rapport au climat intellectuel français ; toutefois, je ne partageais pas ses idées, notamment politiques et spirituelles. Mais c'est la chance de l'esprit que de se retrouver, par-delà ces différences, dans une recherche de la vérité et du sens. La fin extraordinaire qu'il s'est lui-même choisie éclaire d'un nouveau jour ce fond idéologique et religieux qu'il faut interroger.

      

                La fascination mortifère du passé dans laquelle son milieu politique (la droite nationaliste des années 50 et 60) risquait de se glacer, l'homme l'a sublimée au mieux par son engagement intellectuel à partir des années 70. Ce n'est pourtant pas sans recréer une identité fictive qu'il a élaboré une pensée de la volonté et des origines au parfum un peu allemand : un passé païen mythique dans tous les sens du terme, Heidegger et Nietzsche, l'idée fondamentale que le vouloir et l'être ne font qu'un. L'un des problèmes majeurs de l'intelligence humaine est sa propension à rêver le réel au lieu de le considérer, puis de le penser. Il y avait une part de lumière en Dominique Venner, celle qui, précisément, faisait le deuil de ce lyrisme qu'il sacrifiait au travail d'éclaircissement. Son dernier geste comme ses écrits montrent que la part ténébreuse, qui n'est autre que la part idéologique, l'aura emporté dans cette vie.

     

                Nous vivons un moment à proprement parler apocalyptique, les illusions se défont, la réalité montre ses aspects. L’obscurcissement augmente aujourd'hui avec les chances de le dissiper, par cette montée de l'intensité du temps, comme si le chaos et le dévoilement allaient de pair. Mais Dominique Venner n'est pas mort de la laideur de notre époque, qui pourra bien faire d'autres victimes plus faibles, il s'est laissé gagner par ses propres obscurités. Dans ses derniers messages, il s'inquiétait de l'effondrement spirituel et moral à travers sa contestation de la loi Taubira, mais aussi de la perspective d'une islamisation qui pourrait devenir totale, ce qu'il jugeait d'ailleurs un plus grave danger. Il y a assurément une violence dans le métissage imposé, le système du remplacement, le déracinement obligatoire que nous impose le pouvoir mondial à travers nos élites serviles. La haine de soi, le rejet de la terre, la culpabilisation des origines me sont devenus, comme à d'autres, insupportables ; en cela je comprends l'extrémité de son geste. Mais en vue de quoi a-t-il agi ? Il parle d'un « sacrifice » qui serait une « fondation ». Le suicide pourrait-il être fécond ? Laisse-t-il de l'espace, de la liberté pour nous saisir d'un avenir ? Faut-il faire un culte de ce geste et donc de sa personne, de son œuvre, pour « fonder » un espoir ? Mais de quoi ? Je vois finalement autant de pulsion de mort dans la négation des racines que dans leur exaltation en tant qu'absolu, et, autant je salue l'intellectuel pour son travail d'historien, autant son retour à une « mémoire identitaire » me semble une façon impérieuse de nous placer devant un passé aussi imposé et arbitraire que n'importe quelle idéologie plus triomphante aujourd'hui.

     

                Que dire aux amis, ou simplement aux personnes qui ne sont pas issus directement de cette mémoire européenne, comment proposer un avenir à partir d'un passé d'ailleurs un peu fantasmé ? Venner dénonçait une « métaphysique de l'illimité », le christianisme, destructrice de nos peuples, mais que doit-on dire de sa philosophie ? Si l'immigration massive et la logique du remplacement nous indignent, cela signifie-t-il que nous devons rester « entre soi » et ne pas nous adresser à tous ceux qui, aujourd'hui, vivent, pensent, font la France ? Quelle impasse ! Il ne fallait pas le lire beaucoup pour se rendre compte qu'il avait un compte à régler avec le christianisme, pour ne pas dire une haine à peine feutrée, mais rentrée contre lui. Il lui en voulait de son universalité dissolvante mais quoi, existerait-il un tel dilemme que de choisir entre l'universel et le particulier, les deux ne doivent-ils pas s'articuler dans l'exercice de l'amour ? Il y a plus. On a vu une partie de la blogosphère de droite et des animateurs de Radio Courtoisie, que je salue au passage, perdre un peu la raison devant ce geste inouï, s'empresser de nous dire que ce n'était ni folie ni désespoir, jusqu'à déclarer qu'il s'agissait d'un sacrifice héroïque et prometteur. Je m'inscris en faux.

     

                Il y a des formes de folie froide. L'homme commence ainsi sa lettre : « Je suis sain de corps et d’esprit, et suis comblé d’amour par ma femme et mes enfants. J’aime la vie ». On ne formule que ce qui ne va pas de soi... Se suicider en pleine possession de ses moyens, sans problème affectif, uniquement pour un idéal dont on a vu qu'il n'avait pas de contour précis ni de véritable générosité, relève d'une pathologie grave. Le désespoir, ici, ou la désespérance, sont patents : « C’est en décidant soi-même, en voulant vraiment son destin que l’on est vainqueur du néant. Et il n’y a pas d’échappatoire à cette exigence puisque nous n’avons que cette vie dans laquelle il nous appartient d’être entièrement nous-mêmes ou de n’être rien. » Voilà comment la « volonté » prométhéenne fait une boucle, finit par se détruire, et même par se nier jusqu'à la dérision, parce qu'elle s'est crue tout. Cette conjonction des pulsions de puissance et de mort entre en contradiction, d'ailleurs, avec sa critique de l'individualisme destructeur. Pour être quelque chose plutôt que rien, il faut se suicider devant l'autel de Notre-Dame, tout sacrifier, la vie, l'espoir, l'amour même, à la grandeur du symbole, à ce néant pourtant tant dénoncé. L'acte de Dominique Venner n'a pas de vraie grandeur : il cherche la grandeur – ce n'est pas la même chose. L'homme ose nous dire : « Il faudra certainement des gestes nouveaux, spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences, secouer les consciences anesthésiées et réveiller la mémoire de nos origines. Nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes. » Mais quelle cohérence y a-t-il entre ce suicide infamant pour la vie, profanateur pour l’Église, enfin destructeur de toute symbolique par son extrémisme même – et les ressources de l'identité ou la « fondation » d'un avenir ?

     

                Mes amis, rien n'est bon dans ce geste qui me fait même personnellement relire ce que je sais, ce que j'ai reçu de cet historien honorable en le remettant plus sévèrement en cause que je ne l'aurais fait. Il est des moments de séparation intellectuelle. Certains catholiques de sensibilité traditionaliste, en cette occasion, m'ont paru plus amoureux du sacré que du Christ et de l’Église. Les Évangiles produisent pourtant, à l'avance, une décapante critique du religieux formel et de la fausse grandeur. Rien de bon ne sortira de ce geste. Le lendemain, une « femen » imitait le sacrifié dans une parodie qu'il n'avait que trop méritée. Il aura ouvert une brèche, mais des plus mauvaises : qui font du passage à l'acte un langage et une concurrence. Je n'y vois que de l'orgueil et de la mort. Je veux défendre la vie. Je suis contre le suicide assisté. Contre le suicide-spectacle. Contre le lyrisme ou l'imaginaire qui obnubilent. « Méfiez-vous des faux prophètes, vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » Amis qui aimez la France, qui désirez sa renaissance, oui, il existe un passé que nous devons connaître et chérir mais aussi un avenir à peupler, à conquérir, et c'est au présent, dans le réel, qu'il nous faut avancer avec tous nos frères, même ceux que nous croyons contre nous. « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous haïssent. » Tâchons de ne plus craindre, d'aimer et de convaincre. Et si nous avons besoin d'une boussole et d'un but, d'un horizon et d'un fondement, de racine et de ciel, enfin d'un ordre qui ouvre, ce n'est pas dans les fumées d'un paganisme de la force et de l'identité qu'on le trouvera, c'est dans le Christ et ce qu'il porte de fruits : la paix, l'humilité, la fermeté dans le combat, la charité, le désir de comprendre, la vocation de se donner – la volonté d'aller vers l'autre et le réel.

     

    Lucien Fornello
    pour
    La Vaillante

    le 24 mai 2013

     

     

     

     

     

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  • Du fait de la question de l’enfant, le mariage pour tous est amené à disparaître

     « Durant l’Antiquité, Socrate et le sophiste Protagoras se sont opposés au cours d’une controverse mémorable. À Protagoras qui déclarait que « l’Homme est la mesure de toutes choses », Socrate a répondu avec l’ironie cinglante qu’on lui connaît que c’est la folie qui devient la mesure de toutes choses quand tel est le cas. Pourquoi ? Parce que quand l’Homme mesure tout, plus rien ne mesure l’Homme.

    Les Sages du Conseil constitutionnel ont rendu leur verdict. Le mariage pour tous n’est pas anticonstitutionnel. Ce qui, dans le contexte actuel se comprend. Dans le monde laïc qui est le nôtre, la loi des hommes ayant remplacé la loi ontologique, il est normal qu’il en soit ainsi. Faisons du mariage un simple contrat comme un autre, le mariage pour tous n’a effectivement rien qui viole la loi. Quand quelqu’un souscrit un contrat d’assistance avec un vendeur de machines à laver, ce vendeur ne lui demande pas s’il est hétérosexuel ou pas. Il n’a pas à le faire. D’où la légitimité du mariage pour tous entendu comme contrat. Faisons du mariage un droit et rien qu’un droit. Ayant la même valeur qu’un contrat d’assistance avec un vendeur de machines à laver, il n’y a aucune raison de refuser le mariage aux homosexuels. Dans l’avenir toutefois, il est fort possible que le Conseil constitutionnel ait à repenser cela pour tous pour trois raisons.

    I- Dans un premier temps, très vite va se poser la question de la PMA (Procréation médicalement assistée) ainsi que celle de la GPA (Gestation pour autrui). Il va falloir alors se demander si, pour que les parents homosexuels soient des parents comme les autres, il est légal d’enlever son père à un enfant en remplaçant le père absent par des paillettes ou par un tiers. Tout comme il va falloir se demander s’il est légal d’enlever sa mère à un enfant en remplaçant celle-ci par le ventre d’une mère porteuse. L'État considère aujourd’hui le fait d’être un orphelin comme un drame qu’il faut secourir. Sera-t-il constitutionnel de promulguer le contraire ?

    II- Admettons que les Sages qui auront à statuer sur ce cas décident de ne pas autoriser la GPA pour ne pas condamner certains enfants à l’orphelinat par avance, comment vont-ils s’y prendre pour expliquer aux couples homosexuels qu’ils ont le droit de se marier mais pas d’avoir des enfants ? S’ils disent effectivement non, cela reviendra de fait de fait à supprimer le mariage pour tous en faisant de ce mariage un demi-mariage que les homosexuels n’accepteront certainement pas. D’où crise.

    III- À l’inverse, si, pour satisfaire le désir des couples homosexuels les Sages entérinent la PMA et la GPA, il faudra qu’ils expliquent aux Français qu’une nouvelle ère est venue. Celle d’une humanité sans filiation. Les êtres humains auront une traçabilité de leurs origines comme la viande. Mais ils n’auront pas plus de valeur qu’elle. Ce qui amènera à se demander si le Droit n’est pas en train de tuer l’Homme. D’où une autre crise.

    Autrement dit, quoi qu’il arrive, du fait de la question de l’enfant, le mariage pour tous est amené à disparaître. Sauf si, au nom du Droit souverain de l’Homme, on en décide autrement. Cela voudra dire alors qu’au nom du Droit et de l’égalité on n’est plus dans le Droit mais dans la violence et dans la folie. Et là, c’est Socrate qui aura raison. On est fou quand on pense que l’Homme et le Droit sont la mesure de toutes choses. »

     


    Bertrand Vergely

    In Atlantico
    Le 18 mai 2013

     

     

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  • L'horizon historico-transcendantal qu'une minorité inattendue est en train de redécouvrir

    Zenit - Pensez-vous sérieusement que la génération des veilleurs est l'héritière la plus authentique de l'espoir déçu de 68?

    Gérard Leclerc - Je le pense très sérieusement, du moins au sens précis de Clavel. Si ces jeunes gens se sont dressés contre le mariage pour tous, ce n'est pas seulement pour refuser la loi Taubira. Leur refus se dessine à partir d'une option fondamentale de civilisation, celle que Clavel avait bien mise en évidence. Je reprends sa formule« La culture c'est une option sur l'absolu. » Cela veut dire que ce qui inspire un art de vivre, une façon de vivre ensemble, de construire un monde commun, de concevoir l'économie, se réfère à un sens qui donne tout son prix à notre humanité. D'où la volonté des veilleurs de respirer, de méditer, d'ouvrir à un autre horizon. Cela s'est fait dans le cadre des grandes manifestations, et surtout à la suite de celle du 24 mars, où l'affrontement avec les forces de l'ordre a paru un moment faire dévier le mouvement. Allait-on s'amuser à jouer à cache-cache avec les flics dans tout Paris? N'y avait-il pas mieux à faire, en s'arrêtant, en se posant, pour réfléchir et voir plus loin?

    Nous retrouvons là l'horizon historico-transcendantal dont nous parlions et qui nous ramène à 68, à ce que 68 a raté magistralement, mais qu'une minorité inattendue est en train de redécouvrir.

    Vous parlez de minorité. N'est-ce pas la faiblesse principale de ce mouvement, qui malgré tout reste en décalage par rapport à sa propre génération complètement imprégnée par la culture dominante?

    Oui, c'est vrai, indiscutable. Je rappelle toutefois que c'était déjà le cas en 68, où la danse était menée par des groupuscules peut-être encore plus minoritaires qu'aujourd'hui. Par ailleurs il faut apprécier les qualités de ladite minorité. J'en ai déjà parlé dans un entretien précédent. Elle n'a pas son équivalent en fait de conviction par rapport au relativisme généralisé de l'époque, si ce n'est au nihilisme plus ou moins diffus ici et là. En quoi s'est-elle d'abord distingué, sinon par le courage d'être et de dire? C'est la première fois qu'on ose dire sans peur, sans complexe, qu'on est en désaccord avec la culture imposée, l'esthétique des médias, la bien-pensance ordinaire. Jusqu'ici toute velléité d'affirmation d'une différence se trouvait écrasée, sous le joug fatal de l'incrimination de ringardise. Eh bien, ça ne marche plus! Et c'est considérable. Désormais, il y a une force de refus et d'affirmation en même temps, que plus rien n’impressionnera. Cela fait contraste avec toute une période, où, notamment dans l'Église, on avait peur de son ombre, et où il fallait être le plus discret possible. C'est une des raisons essentielles pour lesquelles je crois que tout cela va franchir l'obstacle du prochain été.

    Comment tout ce qui s'est affirmé depuis plusieurs mois dans une épreuve de force politique peut-il se prolonger, au-delà de la bataille sur la loi Taubira?

    La difficulté est certaine, mais la façon dont elle sera négociée sera significative de la valeur de l'engagement des derniers mois. L'été sera sans doute propice à une réflexion générale, sans doute dans le cadre d'universités organisées par les uns et les autres. Il me semble, quant à moi, que cette réflexion se doit de distinguer les domaines, ou, si l'on veut, les ordres pascaliens.

    Je commence par le dernier, celui de la charité qui renvoie au domaine propre de l'Église, éventuellement à d'autres appartenances spirituelles. Guillaume Tabard, dans une chronique du Figaro, a finement remarqué que la tonalité de la résistance était donnée par la génération JMJ. Or, cette génération s'est forgée tout au long des pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, dans le sens d'un recentrement autour des fondamentaux du christianisme: la méditation de la parole, la sanctification par les sacrements, le service des autres à travers toutes les médiations de l'engagement.

    Toute la solidité des 50000 jeunes Français qui étaient présents aux JMJ de Madrid, repose sur ce socle. Sa pérennité est liée à une fécondité et à un dynamisme missionnaire qui trouvent leurs lieux privilégiés dans les réseaux des paroisses, des aumôneries et des mouvements. Je suis intimement persuadé que l'enjeu de la bataille du mariage et des autres réformes sociétales à venir constitue un stimulant puissant à une revivification générale du tissu ecclésial. C'est un premier point.

    Le second concerne l'ordre des médiations sociales elles-mêmes, qui sont liées au politique mais le nourrissent en le précédant. La Manif pour tous est la plus massive de ces structures qui organisent les tâches. Elle s'est formée à partir d'un objectif précis, elle a fait preuve d'une réactivité et d'une inventivité étonnantes. Elle sera sans doute amenée à se perpétuer, ne serait-ce qu'en se référant à de nouveaux objectifs, ceux que l'actualité imposera. Je pense à la loi annoncée sur la famille, si toutefois le gouvernement ne l'ajourne pas par la plus élémentaire prudence. Il y a aussi la loi sur la fin de vie, et tout ce qui concerne les questions bioéthiques. Après le vote de la loi Taubira, dans quelle mesure faudra-t-il étudier les procédures de l'objection de conscience, ne serait-ce que pour venir en aide aux officiers municipaux qui ne voudront pas procéder à des mariages homosexuels? Mais il y a aussi tous les mouvements ou associations qui existent déjà et qui continueront à alimenter la réflexion commune sur chacun des sujets en débat. Il est certain que l'Alliance VITA, pas la justesse de son positionnement et la qualité intellectuelle de ses cadres, continuera à jouer un rôle tout à fait essentiel dans cette affaire.

    Je suis également persuadé qu'il y aura lieu de multiplier les think tanks où philosophes, théologiens, juristes, scientifiques seraient en mesure d'approfondir les questions en suspens. Que l'on prenne celle de l'homosexualité par exemple: je suis frappé par l'intérêt de tout ce qu'a apporté sur ce sujet un Philippe Ariño. On a bien eu raison de distinguer le combat pour le mariage des problèmes posés par l'homosexualité, et je pense extrêmement dangereuse toute tentative d'en faire un objectif de combat. Mais cela n'empêche pas que l'on réfléchisse à frais nouveaux sur cette condition particulière que la culture contemporaine a tenté de masquer voire de travestir par toute une propagande. La sociologue Irène Théry s'est beaucoup répandue sur les divers médias pour imposer une justification des mutations de la famille. On ne lui a pas assez répondu, alors qu'elle est l'interprète de cette révolution sociétale que le pouvoir cautionne. Il ne suffit pas de brandir les principes d'une morale dite naturelle pour répondre à toutes les difficultés inhérentes à l'éclatement de la famille. Je m'arrête là, en ayant bien conscience qu'il faudra aller beaucoup plus loin dans les recherches et les propositions.

    Troisième et dernier point, le combat politique. Il y aurait lieu d'analyser sérieusement comment les choses se sont déroulées et enchaînées depuis septembre 2012. La Manif pour tous a forcément travaillé avec la représentation parlementaire, celle qui dans l'opposition affrontait directement le gouvernement. Il me semble qu'il y a toujours eu distinction des rôles au travers d'une coopération très intense. On peut dire aussi que c'est la mobilisation entraînée et sans cesse dynamisée par la Manif pour tous, qui a produit une sorte de métamorphose à l'intérieur de l'UMP. Hervé Mariton, Jean-Frédéric Poisson, Philippe Gosselin, Henri Guaino et Christian Jacob (je ne puis les nommer tous) n'ont pu déployer leur talent au Palais Bourbon que parce qu'ils avaient derrière eux tout cet élan populaire et parce que l'UMP se trouvait ainsi provoquée à la résistance. Ce n'était pas gagné d'avance, parce que des personnages aussi importants que Nathalie Kosciusko-Morizet et Bruno Le Maire, voire Alain Juppé, étaient sur une extrême réserve, craignant de s'associer à un combat à leurs yeux retardataire. Il faut ajouter qu'on a découvert que le Front national n'était pas très mobilisé sur le sujet. L'absence de Marine le Pen à tous les rassemblements a bien montré qu'elle ne situait pas l'axe de son combat de ce côté-là. En revanche, il faut reconnaître au journal Le Monde d'avoir mis en évidence une donnée tout à fait originale, liée à cette mobilisation étonnante et sans précédents. Il y a désormais un phénomène de génération qui atteint les jeunes militants et militantes et qui transcende les partis. La mobilisation a créé une sorte d'âme commune qui aura beaucoup de conséquences pour l'avenir. Lorsqu'on écoute la jeune Marion Maréchal-Le Pen, il est patent qu'elle appartient d'abord à sa génération dont elle parle le langage, sans avoir peur de dire au passage qu'elle est inspirée par sa foi.

    Tout cela pour dire que le champ politique s'est ouvert et qu'il laisse la possibilité à de nouvelles initiatives dont il faudra inventer au fur et à mesure les formes.

    J'en conclus très provisoirement que rien ne va s'arrêter et que, bien au contraire, une nouvelle étape s'annonce, aussi passionnante que celle que nous venons de vivre.

     

    Propos recueillis par Anita Bourdin

    Zenit, 17 mai 3013

     

     

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