Le saint Sacrement, le Cœur de Jésus & la divine miséricorde selon Pauline Jaricot
« Ô Cœur adorable de Jésus ! vous êtes le principe de la divine Eucharistie, comme l’Eucharistie est elle-même le principe des autres sacrements. De la même manière que vous fûtes le siège de la vie temporelle de Jésus, ainsi vous êtes la source de mon existence sacramentelle. Avant que le sang précieux qui nous a rachetés, fût répandu, il recevait en vous la chaleur et le mouvement ; et depuis qu’il a coulé sur la croix, c’est par vous qu’il coule sur nos âmes, pour les purifier, pour les fortifier et les conserver dans la vie de la grâce. Je dis que c’est par vous que le sang de Jésus-Christ est répandu sur nos âmes, parce qu’il n’appartenait qu’à vous seul de concevoir un dessein d’amour assez généreux pour associer des hommes faibles et mortels à votre divin sacerdoce. Parviendrai-je à me faire comprendre ? Par les mérites de votre incarnation et de votre sacrifice sanglant sur le Calvaire, vous avez réconcilié le Ciel avec la terre ; mais votre prodigieux anéantissement dans ces deux adorables mystères, quoique suffisant pour racheter mille mondes, ne suffisait pas pour établir dans votre Église le sacerdoce de la nouvelle alliance. L’orgueil de l’homme est si démesuré et outrage tellement la Divinité, que pour rendre ce même homme capable d’offrir votre auguste sacrifice, vous vous êtes vu forcé de vous anéantir jusqu’au-dessous de la nature humaine, en vous cachant sous les apparences du pain et du vin pour devenir vous-même notre nourriture. Par cet admirable sacrement vous nous transformez en vous-même et nous communiquez votre divinité. Dès lors vos heureux apôtres, en recevant la divine Eucharistie de vos propres mains dans la dernière cène, se trouvent si prodigieusement ennoblis, qu’il ne répugne plus à votre sainteté de leur transmettre votre puissance et de les revêtir de votre sacerdoce, pour renouveler le miracle de la transsubstantiation, faire descendre sur l’autel le Saint des saints, offrir et perpétuer le sacrifice du salut jusqu’à la consommation des siècles, et par ce moyen rendre intarissable la source des mérites et des grâces de Sauveur, et enfin tenir le réservoir de son précieux sang toujours rempli.
C’est dans ce sens que l’Eucharistie, unique source du sacerdoce, est le principe des autres sacrements, et que vous, ô Cœur adorable ! êtes le principe de l’Eucharistie, c’est-à-dire du chef-d’œuvre d’amour infini. Que dirai-je, Seigneur Jésus ? Par ce sacrement vous avez trouvé le moyen d’unir l’homme si intensément à vous, que, ne faisant plus qu’un avec nous, votre cœur devient le principe de notre vie spirituelle, comme notre propre cœur est le principe de notre vie temporelle ; en sorte que, pour m’exprimer comme je le sens, vous créez, en celui qui vous reçoit dignement, un homme spirituel, composé d’un corps spirituel et d’une âme divine. Son âme imparfaite, sanctifiée par votre adorable présence, devient comme le corps spirituel de l’homme, et votre âme devient elle-même l’âme et la vie de cet être renouvelé et comme absorbé en vous. Par la suite de cette merveilleuse union, vous réformez aussi le corps matériel de cette heureuse créature ; votre cœur devient comme le mobile de son cœur, votre sang devient comme l’activité de son sang, et votre chair devient comme sa chair : il vit en vous et vous vivez en lui, tellement, Seigneur, qu’il me paraît étonnant que l’homme ne meurt pas aussi corporellement, dès qu’il est assez malheureux que de se séparer de vous par le péché mortel. Et pourquoi ne perd-il pas alors la vie corporelle ? ô Jésus ! il me semble le comprendre. C’est que l’amour que vous lui portez n’est pas tout concentré dans votre admirable sacrement. Je vois Jésus-Christ crucifié, comme une fontaine de vie placée sur le sommet de la montagne de Sion, d’où jaillissent des sources de grâces et de salut. Ces eaux vivifiantes tombent dans un immense réservoir, qui est l’Eucharistie, mais très-surabondantes, elles dépassent les bords et se précipitent le long de la montagne sainte que le pécheur veut quitter. Elles arrosent la terre qu’il foule aux pieds, elles l’accompagnent partout comme malgré lui ; et, tandis qu’il s’efforce de s’éloigner, elles le poursuivent comme pour l’entraîner dans un deuxième réservoir qui entoure la montagne, qui communique au premier par des canaux souterrains et qui représente le sacrement de Pénitence. C’est dans ce bain de réconciliation que la grâce sollicite le pécheur de se précipiter, afin que, purifié de ses iniquités et de ses ingratitudes, il puisse remonter vers la source primitive qu’il a volontairement abandonnée. Et pourquoi, ô pécheur infortuné, frémissez-vous de ce que le sacrement de Pénitence est un remède à vos maux ? Pourquoi préférez-vous d’être tranquille dans votre malheur, que d’être poursuivi dans votre péché ? Pourquoi vous irritez-vous de ce que la grâce intolérante ne vous laisse pas la cruelle liberté de vous perdre sans crainte comme sans remords ? Ah ! vous ignorez donc que, si vos pieds n’étaient baignés dans les eaux du tabernacle, vous mourriez aussitôt après votre péché, comme un poisson qui perd son élément ; parce que ne pouvant plus glorifier la miséricorde de Dieu, vous iriez incessamment dans l’enfer pour manifester sa justice ?
Quelle faiblesse dans mes paroles ! Aidez-moi, Seigneur, à faire comprendre aux pécheurs qui osent vous résister, que rien n’égale leur aveuglement. Quand ils vous ont délaissé, vous êtes loin de les délaisser vous-même ; votre grâce les poursuit jour et nuit pour les solliciter de revenir à vous. Mais, trop souvent, presque toujours, plus votre grâce les poursuit, plus ils s’irritent contre elle. Résolus de placer leurs affections sur la terre, ils repoussent tout ce qui tend à mettre un frein à leurs désirs déréglés. Rien ne les chagrine tant que la voix qui leur crie : Vous n’avez pas ici-bas de cité fixe et permanente ; le temps vous entraîne malgré vous dans une autre vie qui ne finira jamais. De là leurs interminables déclamations contre la prétendue intolérance de votre Religion et de vos ministres, lesquelles plaintes absurdes ne sont, après tout, que des reproches dirigés contre votre grâce miséricordieuse, qui ne leur laisse pas un instant de repos et veut à toute force pénétrer dans leur cœur. Hélas ! que deviendraient-ils, si vous les preniez au mot, si le sang que vous avez répandu pour eux cessait un seul instant d’intercéder en leur faveur ? Tels que l’ange rebelle, ils seraient de suite frappés d’une malédiction éternelle. C’est faute d’avoir eu cette ressource de salut, que Lucifer et les compagnons de sa révolte furent précipités dès l’instant que leur crime fut consommé. Comme il n’y avait pour eux aucune rédemption, l’exécution des arrêts de la justice divine ne pouvait souffrir aucun délai. Ainsi, pécheurs ingrats, seriez-vous traités vous-mêmes, si vos pieds ne trempaient dans les eaux salutaires qui sortent du tabernacle, c’est-à-dire, dans le sang de Jésus-Christ. Séparés de Dieu, incapables de retourner à lui, vous seriez de suite et invinciblement entraînés dans l’abîme par votre propre poids, comme une pierre lancée dans les airs retombe par la force qui l’attire vers le centre de la terre ; vous perdriez l’existence temporelle qui, désormais, deviendrait inutile à votre salut et à la manifestation des perfections divines. Comme une plante se fane et dessèche quand elle est séparée de sa racine, si elle n’est mise dans l’eau, ainsi périrait le pécheur, si le ruisseau de la grâce était tari sous ses pas. Comment donc, ô aveugles mortels ! le délire de vos égarements peut-il aller jusqu’au point de vouloir oublier Jésus-Christ et de désirer d’en être oubliés, puisque sans lui vous ne pourriez pas rester un seul instant dans la voie qui se trouve entre les deux éternités ; puisque sans lui vous seriez arrachés de force aux criminelles et fugitives jouissances que vous préférez au bonheur du ciel ; puisque sans lui vous seriez incessamment exterminés de dessus la surface de la terre et précipités en corps et en âme, avec la rapidité de l’éclair, dans l’étang de feu et de soufre, disons la vérité tout entière ; puisque vous n’êtes conservés ici-bas et n’existez que dans le sang de Jésus-Christ ! Voilà ce que nous ne méditons pas assez, et ce que la plupart n’ont peut-être jamais compris. Ce Dieu, victime sur le Calvaire et sur l’autel, n’est pas seulement le Sauveur, le réparateur, mais encore le conservateur du genre humain. Son précieux sang devient un élément, hors duquel nous ne pouvons plus exister sur la terre. Si l’immensité de son amour et de sa générosité nous montre l’étendue de son amour et de sa générosité nous montre l’étendue de nos obligations envers lui, telle provoque également une indignation sans borne contre les ingrats qui sont assez ignorants, assez abrutis pour vivre dans l’oubli de ses bienfaits. »
Pauline Jaricot (1799-1862, Lyon)
L’Amour infini dans la divine Eucharistie : ou Le Cœur de Jésus-Christ, Salut de L'Église et de La Société (1823)
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La France & le Sacré Cœur